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Full text of "La société des auteurs et compositeurs dramatiques"

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La  Société  des  Auteurs 


et 


Compositeurs  dramatiques 


JEAN     BA.YET 


LA 


Société  des  Auteurs 


ET 


COMPOSITEURS  DRAMATIQUES 


*?>i$&<p*3— 


PARIS 

Arthur   ROUSSEAU,    Éditeur 

14,    RUE   SOUFFLOT.    14 

190H 

"C  ** 

BIBLIOTHECA 

Ottavien»1*. 


Les  Origines  de  la  Société  des  Auteurs 

et  Compositeurs  dramatiques 


Les  Origines  de  la  Société  des  Auteurs 
et  Compositeurs  dramatiques 


Les  débuts  de  l'art  dramatique  en  France  ne  nous  mon- 
trent pas  les  auteurs  et  les  entrepreneurs  de  spectacles  se 
partageant  plus  ou  moins  équitablement  le  bénéfice  des 
représentations.  Longtemps  les  auteurs  travaillèrent  pour  la 
gloire,  et  sans  qu'il  y  eût  de  comédiens  de  profession.  Quoi 
qu'en  ait  dit  Boileau,  très  mal  renseigné  à  cet  égard,  nos 
aïeux  se  passionnèrent  pour  le  théâtre,  qui,  au  moyen  âge, 
avait  sa  large  part  dans  toutes  les  réjouissances  publiques, 
dans  tous  les  événements  de  la  vie  nationale.  Un  spectacle 
nouveau  était  alors  un  fait  d'une  autre  importance  que  n'est 
de  nos  jours  une  première  attendue.  Le  répertoire,  à  la 
fois  religieux  et  grossier,  s»4  composait  de  mystères,  qui 
mettaient  en  action  la  vie  des  saints,  les  scènes  de  la  Passion, 
et  de  farces,  de  soties  et  moralités,  mélange  curieux  de  plai- 
santeries très  risquées,  souvent  triviales,  et  d'allusions  poli- 
tiques, parfois  pleines  d'esprit  et  de  verve. 

Le  public  apportait  à  ces  spectacles  une  àme  neuve  et 
pleine  de  ferveur,  ignorante  do  conventions  et  de  la  routine. 
Il  n'y  paraissait  d'ailleurs  que  des  acteurs  volontaires^ 
artistes  d'un  jour,  recrutés  dans  les  diverses  classes  de  la 
population.  Monter  sur  les  planches  étail  un  honneur  forl 
recherché;  il  n'était  grave  bourgeois  qui  ne  Uni  ;>  honneur 
d'y  iigurer,  et  qui  n'acceptât  volontiers  d'interrompre  ^,,v 
occupations  journalières,  pour  se   plier  à  la  discipline  des 


CHAPITRE   PREMIER 

répétitions,  et  se  meubler  La  cervelle  de  plusieurs  centaines 
de  vers. 

Les  représentations  étaient  organisées  par  de  véritables 
corporations  d'amateurs.  A  Paris,  c'était,  à  côté  dos  clercs 
de  la  Basoche,  l'illustre  compagnie  des  Confrères  de  la 
Passio  •.  el  les  joyeux  Enfants-sans-Souci. 

Les  Confrères  de  la  Passion  furent  les  premiers  à  avoir 
un  théâtre  permanent,  où  le  spectacle  se  donnait  à  des  inter- 
valles réguliers.  Jusqu'alors,  on  n'avait  eu  que  des  repré- 
sentations accidentelles,  sur  des  tréteaux  improvisés.  Ils 
s'adonnèrent  d'abord  au  vieux  répertoire  des  mystères;  puis, 
comme  le  public  se  fatiguai!  des  sujets  religieux  et  tristes, 
Ils  s'adjoignirent  les  Enfants-sans-Souci,  artistes  comiques 
(jui  alternèrent  les  farces  avec  les  pièces  .trieuses  :  en  1548, 
les  deux  compagnies  firent  conjointement  l'acquisition  de 
l'Hôtel  de  Bourgogne  qu'ils  aménagèrent  eu  salle  de  spec- 
tacles. 

Les  Confrères  jouissaient,  à  cette  époque,  d'un  véritable 
monopole,  à  Paris.  En  province,  tleurissaient  les  sociétés 
joyeuses,  réunions  de  bourgeois  honorables  qui  entrepre- 
naient  «I  amuser  leurs  concitoyens  par  leurs  divertissements 
burlesques;  souvent  aussi  les  habitants  d'une  ville  s'asso- 
ent  pour  jouer  avec  éclat,  età  frais  communs,  une  pièce 
relig 

Le  clergé  el  l'autorité  témoignaient  une  grande  faveur  à 
entreprises  spontanées;  Ils  encourageaient  volontiers  les 
bonnes  volontés.  Il-  voyaient  d'un  fort  bon  œil  la  représen- 
tation des  mystères,  qui,  dans  une  forme  1res  libre,  contri- 
buaient certainement  ;•  entretenir  et  a  ranimer  l;i  foi,  et  leur 
indulgi  .fil  fort  grande  pour  les  farces  et  soties,  dont 

1  audace  et  la  licence  auraient  Indisposé  plus  d'un  censeur. 
1       les  artistes  volontaires  étaient  des  hommes  honorables, 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIETE  5 

connus  de  Ions,  et  qui  ne  voyaient  clans  ces  spectacles  fort 
attendus  qu'une  occasion  de  se  divertir  en  divertissant  les 
autres.  Le  clergé  au  besoin  se  chargeait  de  recruter  des 
acteurs,  et  mettait  de  bonne  grâce  le  matériel  religieux  à  la 
disposition  des  artistes. 

Les  auteurs  étaient  en  général  des  poètes  bénévoles,  qui 
rimaient  pour  l'honneur  de  rimer.  La  gloire  était  leur  profit 
le  plus  clair.  Parfois  cependant,  une  œuvre  était  spéciale- 
ment commandée  par  une  association,  et  payée  en  beaux 
deniers.  Ainsi  la  confrérie  des  maçons  et  des  charpentiers 
de  Paris  commanda  à  l'illustre  Gringoire  :  «  Une  vie  de 
Monseigneur  Saint-Loys  de  France,  à  jouer  par  personnages  ». 
De  même,  la  confrérie  <le^  cordonniers  de  Paris  commanda 
et  paya,  en  1443,  Un  mystère  de  hi  vie  des  taint*  Crépin  et 
Crêpinien  (1).  Mais,  le  plus  souvent,  l'auteur  de  l'ouvrage 
représenté  était  membre  de  l'association  ;  il  était  payé 
comme  les  artistes  eux-mêmes,  et  seulement  s'il  y  avait  i\c< 
bénétices,  ce  qui  n'était  pas  fréquent.  Le  poète  Gringoire, 
qui  eut,  pour  le  temps,  une  belle  carrière  dramatique,  fut 
surtoul  très  lier  de  son  titre  de  Mère  sotte,  qui  le  faisait  le 
second  dignitaire  de  la  confrérie,  après  le  Prince  des  Sots; 
s  il  gagna  quelque  a  ruent,  ce  fut  moins  comme  auteur  que 
comme  organisateur  attitré  des  spectacles  officiels,  véritables 
représentations  de  gala,  qui  se  donnaient  à  l'occasion  de 
l'entrée  dans  la  capitale  des  souverains  ou  des  personnages 
importants. 

Lu  [502  et  1503,  il  monte  avec  un  associé  quelques 
mystères  mimés  ;  il  reçoit  pour  chacun  cent  livres,  \ 
compris  la  «  construction  îles  échafauds  »  »>ù  se  tiennent 
Les  artistes  ;  l'indemnité  était  modeste. 


1    Petit  i\r  JuUeville.  Le»  comidiem  en  France  au  moyen  âge,  chapitre  l\- 


Q  «  IÀPITRI   PREMIER 

•  il  .lu  Pont-Alais,  compagnon  des  Enfants-sans-Souci, 

la    fois  auteur  et       chef  el  maistre  des  joueurs  de 

moralités  el   farces  à  Paris     .   En   1515,  il  joue  plusieurs 

moralités  devanl  le  duc  de  Lorraine,  et  reçoit  quarante  livres 

h. .11.  une  autre  lois  quatre-vingts  francs.   C'est 

-      En    1530,  il   devient  lui  aussi   entrepreneur 

publiques;  un  aequil  au  comptant  mentionne  un 

iemenl  de  223  livres  tournois  qui  lui  est  fait  pour  avoir 

plusieurs  farces  devanl  le  roi  (1). 

I  ii   tir.'t  du  Parlement,  en    1548,  porta   un  coup  mortel 

i  Confrères  de  la  Passion,  en  leur  interdisant  le  réper- 

Depuis  que  le  mouvemenl  d'idées  de  la  Réforme 

ut  ini^  .-h   péril  la  religion,  L'autorité  voyait  plutôt  une 

tndale  dans  les  spectacles  pieux,  dont  la  naïveté 

la  raillerie  d'un  public  plus  averti.  Les  Confrères 

ûntinrenl  quelque    temps  par  Les  représentations  de 

Fanes.  Mais  le  goûl  avait  changé  ;  on  méprisait  les 

-  trop  simples  ou  trop  grossières  du  passé  ;  on  aspirait 

un  théâtre  nouveau,  <l<»ni  l'avènemenl  est  marqué  par 

•H-  .1.-  la  Cléopâtre  cl  de   Y  Em/hie  de  Jodellc. 

prêter  les  œuvres  «lu  joui-,   on    ne   se  contente 
I'1,  -  "i-  bien   intentionnés,  on   vcui  des  acteurs 

forme  d'abord   des  troupes  ambulantes, 

•    celle  que  Scarron   nous    présente   dans  le  Roman 

les  types  «lu   Destin  ci    de   l'Estoile,    héros 

""'i1'"    bouffons,    moitié    poètes.    Ils    vont   de 

ril  heurtant  souvent  au   mauvais  vouloir  des 

•l"'  le«  tiennenl  \  l'écart  .1.-  habitants,  comme 

de  mœurs  douteuses.  Le  Parlement,  le 

en!  I-  artisteî  bénévoles  du  bon  vieux 


LES   ORIGINES   DE   LA   SOCIETE  7 

temps,  voient  avec  défaveur  ces  nouveau-venus,  qui  font 
profession  de  divertir  les  autres  ;  ils  rencontrent  la  méfiance 
d'un  public  encore  peu  lettré.  Aussi  Richelieu,  qui  favorise 
les  comédiens,  jugera-t-il  nécessaire  d'ordonner,  au  cas  où 
leurs  spectacles  n'auraient  rien  de  contraire  à  la  morale, 
«  que  leur  exercice  ne  puisse  leur  être  imputé  à  blâme,  ni 
préjudicier  à  leur  réputation  dans  le  commerce  public  (1). 
Bientôt  les  comédiens  se  fixent.  Les  Confrères  de  la  Passion 
ont  compris  qu'il  fallait  décidément  céder  au  goût  du 
siècle  :  en  I088,  ils  concèdent  à  l'une  de  ces  troupes  nomades 
la  location  de  leur  théâtre.  Cette  troupe  hérite  de  leur  privi- 
lège ;  en  1613,  elle  prend  le  titre  de  troupe  royale.  C'était 
un  véritable  monopole  qui  lui  était  concédé.  Un  arrêté  de 
1588  le  disait  expressément,  défendant  à  tous  autres  comé- 
diens «  de  jouer  des  comédies  ou  de  faire  des  tours  et 
subtilités  ».  Cependant  le  monopole  ne  fut  pas  si  absolu  au 
début  que  l'on  ne  vît  s'établir  à  Paris,  protégés  par  la  faveur 
royale,  les  deux  grands  théâtres  du  Marais  et  du  Palais- 
Royal.  Ce  fut  une  concurrence  sérieuse.  La  troupe  du 
Palais-Royal,  que  dirigeait  Molière,  passait  pour  inimitable 
dans  le  comique.  D'autre  part,  la  Cour  avait  toujours 
accueilli  avec  faveur  les  troupes  italiennes  de  passage  i\ 
Paris.    En   16(10,  les  Italiens  s'établirent  à  demeure  dans  la 

capitale. 


Du  moment  où  les  tbéâtres  avaient  passé  entre  les  mains 
de  comédiens  de  profession,   uniquement  occupés  de  leur 

métier,    force  leur   fut  de  s'adresser,   pour   alimenter  leur 


1    Ordonnance  du  16  avril  1641 


CH  IPITRE   PREMIER 

s    crivains  étrangers  à  leur  corporation.  Au 
tl„.  .mm.'  ailleurs,  il  se  lil  nue  division  du  travail. 
-    (|  Molière  fait  exception  à  cette  règle,  infatigable  dans 
triple  rôle  d'acteur,  de  directeur  el  d'auteur;  il  succomba 
ûlleurs  .'■  la  tache.  Les  comédiens  furent  donc  obligés  de 
traitei  lesauteurs     externes  »,  comme  on  disait  alors, 
^position  avec  lesauteurs  qui  pouvaient  se  rencontrer 
ni  la  troupe. 
h  h-  >..n  mii\  mi-  le  théâtre,  qui  est  un  document  pre- 
ux | p  l'époque,  Chappuzeau  nous  apprend  comment  se 

mtral  de  représentation  à  la  lin  du  xvu(>  siècle, 

i-dire  dans  la  belle  période  de  noire  art  dramatique  (1). 

Il  t.oit  d'abord  que  l'auteur  soil  lu.  Pour  être  lu,  il  doit  se 

ncilier  les  bonnes  grâces  d'un  membre  de  la  troupe,  qui 

senter  la  pièce  à  ses  camarades. 

I    tuteur  '|ui   présente   une   pièce,  dit  Ghappuzeau,  la 

mmunique  en  particulier  à  celui  des  comédiens  qu'il  croit 

le  plus  intelligent  •  l   !<■  plus  capable  d'en  juger,  afin  que, 

•h  sentiment,  il  la  propose  à  la   troupe,   ou  qu'il  la 

wpprim  les  comédiens  prétendent,  el  avec  raison,  de 

mieux   sentir  le   bon   ou   le  mauvais  succès  d'un 

que  tous  les  auteurs  ensemble  el  Ions  les  plus  beaux 

loin!  que  la  plupart  d'entre  eux  sonl  aussi  auteurs, 

T"'   ■  seule  troupe  royale,  il  y  en  a  cinq  dont  les 

1  forl  bien  reçus 

lien  donl  l'auteur  B'esl  assuré  le  concours  lit  la 

des.    Dans   ces   séances,   véritables 

•    l<    lun    oîi  l'on  discute  d frite  de  l'ouvraee 

lire  des  effets  de  voix,   rivaliser  pour 
tl<  m  l'œui  re  de  leurs  Drotéffés 

i  r 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIÉTÉ  9 

L'auteur,  dès  celle  époque,  doit  faire  sa  cour  aux  comé- 
diens, et  plus  d'une  pièce  esl  faite  moins  pour  plaire  au 
public,  que  pour  donner  un  rôle  à  tel  acteur  en  vogue. 

La  pièce  reçue,  on  aborde  la  question  d'argent.  Parfois  elle 
est  réglée  très  simplement.  Les  comédiens  ne  donneront  rien  : 
c'est  lorsqu'il  s'agit  d'un  débutant.  «  Dans  ce  cas,  dit  Cbappu- 
zeau,  ils  ne  donnent  point  d'argent,  ou  n'en  donnent  que  fort 
peu,  ne  le  considérant  que  comme  un  apprenti  qui  se  doit 
contenter  de  l'honneur  qu'on  lui  fait  de  produire  son  ouvrage  ». 

Ce  n'est  pas  d'hier,  sans  doute,  que  les  débutants  se 
plaignent  de  ne  pouvoir  taire  jouer  leurs  œuvres.  Aussi, 
lorsqu'une  occasion  se  présente  de  placer  un  manuscrit,  ils 
n'affichent  pas  encore  les  prétentions  qu'ils  auront  plus 
lard  :  ils  s'estiment  trop  honorés  que  MM.  les  Comédiens 
veuillent  bien  les  mettre  à  la  scène. 

Lorsque  les  comédiens  acceptent  de  payer,  ils  traiteront 
tantôt  à  forfait,  tantôt  pour  une  pari  proportionnelle  à  la 
recette. 

L'achat  au  comptanl  lui  le  premier  en  usage. 

Au  début,  une  pièce  de  théâtre  se  vendait  fort  mal.  Hardy 
fut  un  auteur  fécond.  De  notre  temps,  il  eût  fait  fortune;  à 
l'époque,  ses  œuvres  se  vendaient  couramment  trois  écus 
chacune. 

Au  commencement  «In  xvme  siècle,  le  prix  habituel  était 
de  dix  écus,  s'il  faut  en  croire  Voltaire    I  . 

Corneille,  qui  apporta  la  gloire  ;'»  la  scène  française  et  qui 
fui  pauvre  toute  sa  vie.  provoqua  pourtant  des  plaintes  très 
vives  de  [a  pari  de  mademoiselle  Beaupré,  de  la  troupe  du 
Marais,  qui  reproche  nu  grand  tragique,  cl  non  s.ms  aigreur, 
d'avoir  fait  monter  les  prix  : 


1    Voltaire,  Vie  de  M"/. 


10  in  IPITR1   PREMIER 

\  ij    ,  tvant,  dit   cette  aimable  personne,  nous  avions 

g  de  théâtre  pour  trois  écus,  que  l'on  nous  faisait  en 

„,,,.  nuit  :  on  \  était  accoutumé,  <it  nous  gagnions  beauooup  ; 

s     t.'inriit.  les  pièces  il»1  M.  Corneille  nous  coûtent  bien 

de  l'argent,  et  nous  gagnons  peu  de  chose  ». 

Il  semble  bien  <|mi  la  qualité  ait  changé  en  même  temps 
que  les  prix.  Car  la  même  artiste  ajoute  : 

Il  est  vrai  (| :es  vieilles  pièces  étaient   misérables. 

-  icteurs  les  faisaient  valoir  »  (1). 

I  es  prii  n'étaient  point  encore  si  exorbitants  que  made- 

liselle  Beaupré  nous  le  laisse  à  penser.  Même  après  cette 

petite  révolution,  qui   lit  <l<is  mécontents,  un  auteur  connu 

n'obtenait    guère    plus   de  deux   cents   pistoles   pour   une 

Que  dirait  aujourd'hui  cette  artiste,  s'il  lui  fallait 

; — i  .1  un  île  nos  dramaturges  à  la  modo? 


i  esl  rapportée  dans  le  Mémoire  à  consulter  et  consul  la- 

!  mvay   de  la  Saussaie  contre  la  troupe  des  comédiens 

Ho     1775    Bibliothèque  il«'  la  Ville,  Théâtre,   12,:JIK. 

quelques   chiffres    qu'on    relève   dans   l<-  registre  de  La  Grange 

i  qui  noua   renseignent  sur   les    droits 

|)oque  : 

ut  à  Gilbert  550  livres  pour  la   Vraie  et  la  Fausse 
1 1  même  lomme  pour  Tonnaxare  ;  à  Corneille,  2,000  livres 

pour   /'      /'  i    ieuses\    1,500  livres   pour  le  Cocu; 

-    ■   Wavarre;  1,100  livres  pour  les  Fâcheux* 

rneille  uni  en  vers  le  Festin  de  Pierre.  l;t  troupe  de 

1  1,100  livret  :  i.i  même  somme  fut  versée  fi  i,i  veuve  de 

tement  tout  I  t.-nt  exceptionnel.  L'œuvre  était  due 

s  le  plus  en  »  cette  époque  :  les  pièces  de  Thomas 

(Tel  plus  d'argent  que  celles  il«-  mui  frère.  Et  la  troupe 

l  mademoiselle  Molière  pour  les  impor- 

dui  1  ii  lociété. 

mieux  <j pi  on  donne  : 

'    B      i    pour  la  tragédie  de  Tonnaxan, 
■  e  M  or  i  i  'l  argenl    . 
•   di     pii  cei    '  i  avance     -  comme  on  rail 

i  l  il|   •  n<  de,  pour  une  puer  de  théâtre  qu  il 
''  '"  ""••  p"-'  m  i  ommande,  -  e  n  esl  pas  cher, 


LES   ORIGINES    DE   LA   SOCIÉTÉ  11 

On  a  beaucoup  parle,  il  est  vrai,  de  la  générosité  des 
comédiens  envers  les  écrivains.  Un  auteur  du  temps,  qui  a 
entrepris  de  les  défendre  contre  la  défaveur  injuste  qui 
posait  encore  sur  eux,  nous  fait  un  tableau  touchant  de  leur 
vie  privée.  11  se  plaît  à  nous  les  montrer  sévères  dans  leurs 
mœurs,  décents  dans  leurs  propos,  assidus  aux  offices,  Entre 
autres  traits  édifiants  qu'il  rapporte  sur  leur  compte,  il  parle 
volontiers  de  leurs  bons  procédés  envers  les  auteurs.  Dans 
un  chapitre  de  son  ouvrage,  intitulé  Combat  de  générosité 
entre  fes  porte*  et  les  comédien*,  Ghappuzeau  raconte  qu'on 
a  vu  un  auteur  célèbre,  et  pourtant  fort  modeste,  forcer  un 
jour  la  troupe  royale  à  reprendre  cinquante  pistoles  sur  la 
somme  qui  lui  avait  été  comptée.  Tellement  1rs  comédiens 
avaient  coutume  de  traiter  libéralement  les  auteurs. 

J'avoue  que  le  trait  cité  par  Ghappuzeau,  si  l'on  veut  y 
ajouter  foi,  n'est  pas  de  nature  à  dissiper  toutes  les  préven- 
tions qu'on  peut  avoir.  L'auteur  dont  il  parle  était  fort 
modeste  assurément;  un  peut-être  désirait-il  s'attacher  plus 
étroitement  ses  interprètes,  par  un  sacrifice  pécuniaire  tou- 
jours bien  accueilli. 

Rapporterons-nous  aussi  l'habitude  qu'avaient  les  comé- 
diens, au  «lire  de  Ghappuzeau,  de  faire  un  présent  à  l'auteur 
qu'ils  jouaient?  Les  cadeaux  entretiennenl  L'amitié.  Il  esl 
fort  probable  que  ces  présents  n'avaient  en  effet  de  valeur 
que  comme   gage    de    bonne   amitié;    le    l'ail    vaul   d 'ailleurs 

d'être  retenu,  car  il  prouve  le»  bons  rapports  des  auteurs  el 
des  comédiens.  Mais  ils  ne  devaient  pas  être  fort  consé- 
quents ;  sans  cela,  Ghappuzeau  les  eûi  fait  entrer  en  compte 
dans  la  rémunération  des  auteurs.  Il  dit  même  qu'ils  avaient 
coutume  avec  les  auteurs  -  de  i"'  pas  se  quitter,  le  marché 
conclu,  sans  se  régaler  ».  On  attend  aujourd'hui  le  cinquau 
tième  ou  la  centième  représentation. 


12  CH  MMTHK   PREMIER 

Pour  C€   qui  est  du  combat   de  générosité,  c'est-à-dire, 

.-h   style  d'affaires,   de   la   fixation   des   droits  d'auteur,   il 

en   va  tout  autrement,   La   lutte   était    inégale.    L'honnête 

Chappuzeau  lui-même   nous   l'avoue  très  Ingénument.  Les 

auteurs  célèbres,  nous  dit-il,  ne  se  montraient  pas  toujours 

nnables.  Ils  étaient  parfois  d'humeur  a  le  prendre  d'un 

peu  baut.  Heureusement    heureusement  pour  lescomédiens) 

icteurs       se   raidissent  de  leur  côté,  et  par  une  bonne 

amie,   tiennent   toujours  de  leur  cru  quelque  ouvrage 

pour  i  en  servir  au  besoin 

is  avons  dit    plus  haut   que  depuis  que  la  profession 

liste  dramatique  était  devenue    un  métier  comme   un 

autre,    les  comédiens    n'étaient  plus,  comme  par  le  passé, 

irsà  leurs  moments  perdus,  et  poètesè  leurs  heures.  Les 

édiens  se  contentaient  de  jouer  les  pièces,  et  cela  vaut 

iCOlip  mieux. 

Cependant  il  n'était  pas  de  troupe  qui  ne  renfermât  dans 

-••m  quelque   talent   dramatique,    qui   n'eût   dans  ses 

archives  quelque   manuscrit  déposé  par  un  membre  de  La 

'■•  loul  prêt    «  passer.  Ce  manuscrit  servait  d'épou- 

M'\  auteurs       externes  »  ;  on   le  sortait   lorsqu'ils 

*••   i  ient  trop  exigeants.    Et   tout   de   suite  ils   reve- 

•  une  plus  saine  appréciation  des  choses.  Le  moyen 

I"»"   il  faut  l'avouer,  si  bon  que  la  Société  des  auteurs 

1  ûV  der,  de  nos  jours,  en  défendant  à  tous 

;  ;       "•  mêléa  de   près  ou  de  loin  à   l'administration 

•I  ""  IhéAtre  d'\  fai i  . oir  des  pièces. 

en  dépit  des  éloges  dont  il  tient  à 

■  pour  leur  gagner  l'opinion,  n'est  pas 

**  '  mpte  au  tond  de  leur  injustice  envers  les 

voit  il   un  danger  dans  ces  procédés 

T"  wront  plu    tard  une  des  causes  de  la  ruine 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIÉTÉ  13 

du  Théâtre-Français,  sous  la  Révolution.  11  croit  devoir  leur 
parler  le  langage  de  la  raison,  et,  quelque  bonne  opinion 
qu'ils  aient  de  leur  mérite,  leur  faire  entendre,  à  mois  cou- 
verts, que  les  ailleurs  eux  aussi  ont  quelque  part  à  leurs 
succès. 

«  Les  autheurs,  écrit-il  dans  son  ouvrage,  doivent  être 
considérés  comme  les  dieux  tutélaires  du  Théâtre  ;  ce  sont 
eux  qui  le  soutiennent  ;  ils  en  sont  les  grands  appuys,  et  il 
tomberait  avec  tous  ses  ornements  et  ses  pompeuses 
machines,  si  de  beaux  vers  et  d'agréables  intrigues  ne  cha- 
touillaient l'oreille  de  l'auditeur,  à  mesure  que  sa  veue  est 
divertie  par  la  beauté  des  objets  qu'où  lui  présente.  Je  sçais 
que  la  Comédie  ne  demande  pas  seulement  un  Autheurqui  la 
compose  :  qu'elle  veut  un  acteur  qui  la  récite,  et  un  théâtre 
où  elle  ><>il  représentée  avec  les  embellissements  qu'il  luy 
peui  donner.  Mois  l'intention  du  Poète  est  l'âme  qui  fait  mou- 
voir tout  le  corps,  et  c'est  de  là  principalement  que  le  monde 
s'attend  de  tirer  le  plaisir  qu'il  va  chercher  au  Théâtre  ». 

Voilà  un  appel  très  discret  à  une  plus  grande  modestie  des 
comédiens.  Ce  qui  parait  certain,  c'est  que  fâchai  à  forfait 
fut  abandonné  sur  la  demande  des  comédiens  eux-mêmes, 
qui  acceptaient  difficilement  de  verser  la  menu1  somme  ;> 
l'a  uteur,  quel  que  lût  son  nom,  le  mérite  de  la  pièce  qu'il 
apportait,  et  l'accueil  qui  lui  «Mail  fait  par  le  publie. 

(le  mode  de  paiement  devint  rare,  dès  la  seconde  moitié 
du  xvne  siècle,  sans  qu'on  puisse  dire  d'une  façon  précise  ;< 
quel  moment  L'usage  s'établit  de  traiter  d'autre  sorte    I  ).  On 

l  On  (ail  généralement  remonter  cel  usage  â  l'année  1653.  Tristan  l'Her- 
milc,  d'après  L'opinion  généralement  reçue,  aurail  accepté  de  lire  à  l'Hôtel 
de  Bourgogne  une  pièce  de  Quinault,  intitulée  les  Rivales. 

Croyant  qu'elle  était  de  lui,  les  comédiens  en  oflrirenl  cent  écus.  Puis. 
lorsqu'ils  Burent  qu'elle  élail  '1»'  Quinault,  alors  débutant,  ils  n'en  \.  ulurenl 
plus  donner  que  cinquante.  C'est  alors  que  Tristan  l'Hermite,  pour  mettre  lin 
aux  discussions  entre  auteurs   et  comédiens,  leur   aurait    proposé  d'aban- 


i  BAPRRI    l'R KM  1ER 

une  fc  l'auteur  une  pari  de   la  recette,  tous  les  frais 
du  théâtre  ayant  été  préalablemenl  déduits  :  il  devient  ainsi 
e    omédiens  :  11  prélève  Ba  part  des  recettes  et  des 
b   in  dépend  du  succès  de  la  pièce.  La  repar- 
ution se  rail  très  simplement.  Tous  les  soirs,  les  comédiens 
font  le  compte  de  la  chambrée,  c'est-à-dire  la  recette  :  ils 
commencent   par  prélever   les    frais  journaliers  ordinaires, 
pais  les  Frais  extraordinaires  de  décors,  de  figuration,  que 
la  pièce  a  pu  uécessiter,  et  qui  <>ni  été  arrêtés  d'accord  avec 
l'autour  :  on  se  partage  le   reste.  Gela  se  passe  à  peu  près 
comme  dans   V Illusion   Comique^   où  Corneille  montre  les 
ira,  la  pièce  finie,  qui  comptent  l'argent  sur  une  table 
et  «mi  prennent  chacun  une  partie  (1). 

tuteur   touche   une  ou  deux  parts   d'acteur;  en   1664, 

ne  eul  au  Palais-Royal  deux  parts  pour  les  Frères  enne- 

première  pièce.  A.  partir  de  1662,  Molière  eut  tantôt 

part,   tantôt  deux.  Gela   représentait  une  quotité  va- 

riabl<  le   nombre   des  parts  n'était  pas  constant  dans 

troupe.    \u   Palais-Royal,  il  oscilla  entre  dix  et  quinze 

1685,  il  varia  pour  la  troupe  Guénégaud  et 

médie-Prançaise  entre  sept  trois  quarts  et  vingt-quatre 

cas,  le   neuvième  de  la  recette,  tous  frais 
rail   dans  la  nouveauté  ;  après  quoi   elle  appar- 
Cette    proposition   surail    été   acceptée   et  serait 
entiont  postérieures. 

ration,  il  esl  su  moins  bisarre  que  Chappu- 

■  m<  ni     m-  le  traitemenl  fail  aux  auteurs  par  les 

dit  un  mot,  el  que  i  on  n'en  trouve  pas  de  tracs  dans 

i   ne  v. 

M"-  de  cottk  diens.  Au  dénouement  du  sj.ee- 
•  Kpirent  La  toile  relevée,  on 

BaiOAMAHI 

i  ompte  t-on  de  i  srgenl  ' 
Au  mon 

•     ■•'  ■  ni. 


LES    ORIGINES    DE   LA    SOCIÉTÉ  15 

et  demie.  C'est  seulement  en   168o  que  le  nombre  fut  fixé  à 
vingt-trois  pour  la  Comédie-Française  (1). 

L'auteur  touche  ses  droits  jusqu'au  moment  où,  les  recettes 
fléchissant,  on  retire  sa  pièce  de  l'affiche.  Les  comédiens 
sont  d'ailleurs  juges  du  moment  où  il  convient  d'abandonner 
la  pièce  ;  cette  question  fera  plus  tard  l'objet  de  règlements 
administratifs.  Il  est  admis  qu'elle  devient  alors  la  propriété 
de  la  troupe,  qui  pourra  la  reprendre  quand  il  lui  plaira, 
sans  avoir  besoin  du  consentement  de  l'auteur,  et  sans  avoir 
à  lui  payer  de  nouveaux  droits. 

Cette  règle  qui  semble  inique  au  premier  abord,  et  qui 
devint  par  la  suite  insupportable  aux  auteurs,  s'établit  pour- 
tant sans  difficulté  et  sans  soulever  de  protestations.  Cela 
s'explique  par  le  régime  du  théâtre  à  cette  époque. 

Les  spectacles  durent  toute  l'année  :  mais  la  saison  d'hiver 
est  beaucoup  plus  fructueuse  que  la  saison  d'été.  Les 
auteurs  de  marque,  tout  comme  aujourd'hui,  ne  veulent  être 
joués  que  dans  le  temps  compris  entre  îa  Toussaint  et 
Pâques;  c'est  le  temps,  d'ailleurs,  où  la  Cour  séjourne  au 
Louvre  ou  à  Saint-Germain.  On  joue  de  préférence  la  tra- 
gédie en  hiver,  et  les  pièces  comiques  en  été,  «  la  gaye 
saison,  dit  Chappuzeau,  voulant  des  divertissements  de 
même  nature  ».  Le  spectacle,  au  début,  n'est  pas  quotidien  : 
on  ne  joue  que  trois  fois  la  semaine,  le  mardi,  le  vendredi 
et  le  dimanche,  qui  sont  et  qui  resteront  les  bons  jours.  Ce 
n'est  que  vers  1680  qu'on  commença,  à  la  Comédie,  à  donner 
des  représentations  tous  les  jours.  Les  premières  ont  lieu 
généralement  le  vendredi,  afin  que  la  publicité  puisse  se 
faire  pour  le  dimanche  qui  suit.  A  cette  époque,  l«i  public 
qui  fréquente  les  théâtres  u'esl  |>;»-  nombreux  :  le  goûi  du 

(1)  J.  Bonnassies,  Les  auteurs  dramatiques  ei  lu  Comédie-Française  à  Parti 
aux  XVII*  et  XVIII*  siècles,  chapitre  I,r,  page  12. 


iMlur    PREMIER 

théâtre  n'est  pas  aussi  développé  qu'il  le  sera  au  siècle  sui- 
nt :  ,1  faut  être  plus  ou  moins  bel  esprit  pour  vouloir  se 
tenir  au  courant  des  pièces  que  l'on  donne.  Aussi  le  public 
il,-  comprend-il  guère  qu'un  cercle  assez  restreinl  d'amateurs 
de  lettrés.  I  e  menu  peuple,  «] u<k  des  tarifs  élevés  écartent, 
ii. ut  que  les  spectacles  d<4  la  foire,  où,  à  peu  de  frais, 
il  peut  rire  a  son  aise.  Lorsque,  vers  1760,  les  comédiens, 
débordés  par  les  Forains,  agiteront  en   vain  le  spectre  de 
leur  privilège,  les  ministres,  que  gagne  Pesprit  démocratique, 
leur  répondront  qu'il  Faut  des  spectacles  pour  le  peuple. 

I  e  moment  arrivait  donc  rapidement  où  tous  les  habitués 

du   théâtre  avaient   vu    la    pièce   nouvelle   et   satisfait  leur 

curiosité.    Il   Fallait   bien  changer  l'affiche,   si  Ton   voulait 

retenir  le  public.  Dans  ces  conditions,  une  pièce,  même  en 

de  succès,  ne  Faisait  guère  de  suite  plus  (Tune  trentaine 

de  entations.  Si  la  pièce  tombe,  la  salle  se  vide  à  bref 

délai,  et  c'est  une  grosse  perte   pour  le  théâtre.   11  n'en  va 

aujourd'hui,  où  l'on  soutient  couramment  des 

médiocres  jusqu'à  sa1  iété  du  public. 

que  les  pièces  étaient  montées  avec  soin,  que 

litions  étaient  longues  et  laborieuses. 

ni  aussi,  les  théâtres,  rivalisant  avec  l'Opéra,  mon- 

ini  véritable  luxe  de  «  machines  »  et 

'i  avec  une  orchestration  importante  et  très 

Molière,  qui  m<  lait  ù  l'intrigue  de  ses  pièces  des 

lit   une  large  place  à  la  musique 

1  •  diena  du  Marais,  qui   ne  pouvaient  lutter,  pour 

l  lit-  I  de  Bourgogne,  se  firent  une  spécia- 

uiachh  i:i  la  Comédie-Française, 

dut  Faire  de  lai   •      acrifices  pour  les  décors 

"'  !  l       comédiens  avaient  d'ailleurs 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIÉTÉ  17 

L'habitude  d'élever  considérablement  le  prix  des  places,  pour 
se  couvrir  de  leurs  frais  extraordinaires. 

Tout  cela  explique  comment  ils  furenl  amenés,  en  com- 
pensatioE  des  risques  importants  qu'ils  couraient,  à  exiger 
des  auteurs  qu'ils  renonçassent  à  leurs  droits  sur  les  reprises. 
Les  reprises  lurent  rares  d'ailleurs  au  xvir  siècle,  même 
pour  les  écrivains  illustres.  Seul,  Molière  vit  reprendre  de  son 
vivant  beaucoup  de  ses  œuvres  :  mais,  outre  le  succès  excep- 
tionnel qu'elles  obtinrent,  il  faut  remarquer  qu'il  avait  un 
théâtre  où  il  était  le  maître. 

La  propriété  des  ouvrages  dramatiques  n'était  d'autre  part 
garantie  par  aucune  loi,  ni  même  par  aucun  texte  adminis- 
tratif. L'usage  ici  encore  faisait  la  règle,  et  il  était  d'usage 
qu'on  représentât  librement  les  pièces  dès  qu'elles  avaient 
paru  en  librairie.  Elles  tombaient  alors  dans  le  domaine 
public,  comme  nous  dirions  aujourd'hui. 

El  cela  aussi  se  comprenait  fort  bien  au  début.  \)(>*  qu'un 
auteur  a  obtenu  une  première  série  de  représentations,  il  a 
tin;  de  son  œuvre  tout  le  profit  qu'il  pouvait  raisonnablement 
en  espérer.  Si  <;i  pièce,  que  les  comédiens  de  In  capitale 
auxquels  il  l'a  donnée  peuvenl  jouer  désormais  librement  et 
s;hi>  avoir  à  lui  rien  payer,  vient  à  être  interprétée  dans 
Quelque  ville  de  France,  coin  me  ni  pourra-t-il  en  être  prévenu 
el  réclamerde  l'argent?  11  n'y  a  p;is  encore  de  société  qui  s'offre 
n  b'  renseigner,  ;»  appuyer  sa  demande.  La  spoliation  paraît 
••leur.'  ici  tonte  naturelle,  el  ce  n'esl  que  beaucoup  plus  tard 
qu'on  songera  ;i  s'en  indigner.  Dans  ces  conditions,  plus  on 
le  jouera  dans  les  provinces,  plus  il  sera  content.  Et,  pour 
faire  connaître  son  œuvre  davantage,  il  la  fera  paraître  en 
librairie.  L'auteur  m'  publiera  donc  pas  sa  pièce,  quelques 
jours  après  la  première  représentation,  comme  cela  se  pra- 
tique aujourd'hui,  car  il  renoncerait   par  là  ô   toucher  de- 


CHAPITRE    PREMIER 

droits  qui   lui   sont   acquis.   Mais,  dès  qu'elle  aura  quitté 

Riche,  o'ayanl  plus  «I»1  profil  pécuniaire  à  espérer,  il  ne 

lus  qu'à  étendre  se  renommée,  et  il  la  fera  imprimer  ; 

quelquefois,  d'ailleurs,  s'il  n'y  pense  pas,  on  y  pensera  pour 

lui      il  o'esl  pas  rare  de  voir  un  auteur  imprimé  d'office. 

\|  «Hère  ae  se  plaignit-il  pas  que  l'on  eût,  à  son  corps  défen- 

dant,  fait  sauter  l<i-  Précieuses  Ridicules  du  Théâtre-Bourbon 

.1  rie  du   Palais,  où   paraissaient  les  ouvrages  nou- 

i\    I  . 

_!«•.  d'ailleurs,  se  retourne  souvent  contre  les 
nédiens,  car  ils  ae  sonl  protégés  contre  la  concurrence 
d'une  troupe  rivale  que  tant  que  la  pièce  qu'ils  ont  reçue 
n  es!  pas  publiée.  En  traitanl  avec  un  auteur,  c'est  donc,  en 
définitive,  un  manuscrit  qu'ils  achètent.  Le  succès  épuisé, 
il-  le  rendront  à  l'auteur,  qui  en  disposera  à  son  gré.  Un 
mple  ii"ii-  le  prouve  : 

1    ièi    mourut,  après  la  quatrième  représentation 

•  In  Malade  imaginaire,  la  troupe  <ln  Palais-Royal  apprit  que 

médiens  de  campagne,  profitant  du  désarroi  causé  par 

'''  mort,  jouaient  la  pièce,  dont  ils  avaient  pu  se  procurer 

une  copie.   La  troupe,  <|ui  avait  fait  de  grands  frais  pour 

oter  le  Malade  imaginaire^  pria  Louis  XIV  d'en  interdire 

ntationà  tous  autres.  La  réclamation  était  fondée, 

onforme  aui  traditions,  car  la  pièce  n'avait  pas  paru  en 

,,,,;  le  roi,  consacrant  la  coutume,  n'hésita-t-il 

••  défendre  6   tous  autres  comédiens  qu'à  ceux  du 

Royal  déjouer  le  Malade  imaginaire.  Il  n'eût  certai- 

idé  de  la  sorte,  si  la  pièce  avait  été  publiée. 

ion,  la  question  semble  s'être  posée  pour  la 

"     i  les  droits  de  l'auteur  passaient  à 

1  Hidiculi 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIÉTÉ  10 

ses  héritiers.  Elle  ne  pouvait  se  présenter  fréquemment, 
puisque  ces  droits  étaient  éphémères.  La  troupe  du  P;i lais- 
Royal  la  trancha  en  faveur  de  mademoiselle  Molière,  et  lui 
versa  une  demi-part  des  droits  de  son  mari.  De  même, 
quand  Thomas  Corneille  mit  en  vers  le  Festin  de  Pierre,  elle 
toucha  une  partie  de  la  somme  payée  par  les  comédiens. 
Mais  il  faut  tenir  compte  de  l'estime  toute  particulière  dont 
l'artiste  jouissait  auprès  de  ses  camarades. 

Cette  faveur  semble  pourtant  avoir  été  étendue  par  la  suite 
aux  héritiers  d'autres  écrivains.  Car  lorsqu'à  la  fin  du 
xviii0  siècle,  les  auteurs  demanderont  que  le  produit  d'une 
pièce  soit  assuré  aux  héritiers,  quand  l'auteur  décède  avant 
qu'elle  ait  eu  trente  représentations,  les  sociétaires  répon- 
dront qu'ils  ne  se  sont  jamais  dérobés  à  cotte  obligation  (1). 

Le  contrat  qui  se  forme,  par  la  réception  d'une  pièce, 
entre  les  sociétaires  et  l 'auteur,  ne  semble  d'ailleurs  pas 
avoir  entraîné  dès  lors  dos  obligations  juridiques  très  netlo- 
ment  définies.  L'on  ne  s'étonna  point  outre  mesure,  quand 
Racine,  mécontent  de  la  troupe  du  Palais-Royal,  qui  jouait 
son  Alexandre,  lui  retira  le  manuscrit  qu'il  s'en  fut  porter  à 
Il  Intel  de  Bourgogne.  Le  procède'1  était  vif.  Cependant 
Molière  ne  réclama  point  :  sans  doute,  il  ne  laissa  pas  de 
jouer  la  pièce,  et  sans  payer  l'auteur,  bien  entendu.  Mais  il 
ne  songea  pas  à  se  pourvoir  contre  cet  enlèvement,  •  '(  il  «v>t 
probable  qu'il  ne  s'y  croyait  pas  autorisé. 


Les  théâtres  étaient  alors  placés  sous  La  direction  des  -•  n- 
tilshommes  de  la  Chambre  Ceux-ci  n'eurenl  d'abord  qu'une 


'1)  Archives  Nationales.  Maison  du  Roi,  0 


CHAPITRE    PlîEMIER 

autorité  nominale  :  puis,  vers  la  fin  du  xvne  siècle,  on  les 
\,,it  intervenir  à  maintes  reprises  dans  les  détails  de  régle- 
mentation intérieure,  ef  aussi  dans  les  rapports  des  comé- 
diens avec  les  anleni •<. 

\   cette   époque,   en   effet,  le  Théâtre-Français,  pour  la 

comédie,  l'Opéra,  pour  les  pièces  lyriques,  se  trouvèrent  en 

>sion  d'un  monopole  à  peu  près  absolu. 

I   .  i  lomédie-Française  \  cilla  jalousement  sur  son  privilège, 

qu'elle  tâcha  de  maintenir  tant  bien  que  mal,  attaqué  sans 

che,    mais   toujours   reconnu,   jusque   dans  la  seconde 

moitié  du  xvnf   siècle.   Durant  cette  période,  elle  ne  trouva 

.•il  face  d'elle  que  les  forains  cl  les  Italiens,  contre  lesquels 

elle  lutta  avec  beaucoup  d'énergie,  d'âpreté  et  de  maladresse. 

squ'en    H'»'.»",    le   théâtre    de   la    foire    voulut   jouer   la 

comédie,  il  se  heurta  à  l'hostilité  violente  des  sociétaires  de 

la   troupe  royale  :   l'histoire  du   théâtre  au  xvm°  siècle  est 

pleine  des  querelles  misérables  ou  ridicules  que  les  sociétaires 

lui  firent,  «•!  <|in  ne  sont  qu'un  écho  de  la  lulle  des  corpora- 

>ntre  la  liberté  Industrielle  sans  cesse  entravée.   Ils 

exploitèrenl  un  répertoire  de  pièces  légères  accompagnées  de 

us,  "ii  Lesage  el  Piron  excellèrent,  jusqu'au  jour  où, 

l'Opéra,   Ils  ouvrirent  une  salle  d'Opéra- 

lique  «|iu  lil  courir  tout  Paris    I  . 

Italiens,    d'abord    cantonnés    dans    leur    répertoire 

btinrent,  en  1691,  malgré  la  Comédie-Française* 

11  de  jouer  en   français.   Dès  lors,  ils  rivalisent 

iU  onl   leurs  auteurs,  parmi  lesquels  Regnard. 

"M  déplu    '   madame  de  Main  tenon,   ils 

1  ils  n'\  devaienl  revenir  qu'en  1710.  Ils 

ain    nt  la  (  médit  Française,  el  un 
'    Henri   Chervi  i    iut   lee   Origines  de  l'Opéra- 
■I   'lu  !"  Juillet  1906. 


LES   ORTGIXES    DE   LA    SOCIETE  21 

essayèrent  encore  des  pièces  italiennes;  mais  comme  celles- 
ci  n'avaient  pins  la  vogue,  ils  exploitèrent  le  répertoire 
français;  beaucoup  d'auteurs,  maltraités  par  la  Comédie- 
Française,  furent  heureux  de  leur  porter  des  manuscrits;  ils 
jouèrent  Marivaux.  C'est  une  concurrence  sérieuse  qu'ils 
font  dès  lors  à  la  Comédie-Française,  jusqu'au  moment  où. 
cédant  au  goût  du  jour,  ils  s'adonnent  à  l'opéra  comique; 
pour  mieux  triompher  de  la  concurrence  de  la  Foire,  qui  a 
la  faveur  du  public,  ils  fusionnent  presque  de  force  avec  elle, 
en  1762(1). 

Louis  XIV,  en  supprimant  les  troupes  du  Palais-Royal  et 
du  Marais,  avait  voulu  établir  un  théâtre  unique,  qui  fût 
comme  un  conservatoire  des  grandes  traditions  artistiques, 
et  qui  soutint  l'éclat  de  la  scène  française,  que  les  chefs- 
d'œuvre  classiques  avaient  mises  en  pleine  lumière.  Cela 
n'empêche  point  le  théâtre  de  décliner.  On  ne  commande 
pas  les  chefs-d'œuvre,  et  ce  n'est  pas  par  mesure  adminis- 
trative que  l'on  peut  s'assurer  le  monopole  du  bon  goût.  A 
la  tin  du  siècle,  d'ailleurs,  la  faveur  royale,  qui  avait  été  un 
encouragement  très  précieux  pour  les  comédiens,  se  détourna 
d'eux.  Le  roi  tournait  à  la  dévotion,  et  la  Cour  croyait  devoir, 
à  son  exemple,  penser  à  son  salut.  Les  grands  seigneurs  qui 
affectaient  jusque-là  envers  les  comédiens  une  aimable 
condescendance,  montrèrent  plus  de  réserve.  Tout  cela, 
c'était  autant  d'appuis  en  moins.  Et  ces  appuis  étaient  néces- 
saires aux  comédiens,  qui,  mal  vus  de  la  bourgeoisie, 
n'avaient  pu  s'établir  que  par  les  marques  d'estime  qui  leur 
étaient  venues  de  très  haut.  Le  goût  du  roi  pour  les  spectacle-, 
l'amitié'  des  grands  seigneurs  qui  se  piquaient  d  aimer  les 
belles-lettres,  le-  avaient  tirés  de  leur-  métiers  de  jongleurs 


1    Les  règlements  el  actes  concernant   la  Comédie  Italienne  Bont  consej 

Yt-e>  aux  Archives  Nationales.  Maibuii  du  Roi,  01 


i  HAl'lTHi:   PREMIER 

ambulants,  el  leur  avaient  Fait,  en  marge  des  classes  bour- 

5j  une  sorte  d'étal  dans  la  société.  Devanl  l'engouement 

Je   la  Cour,    leurs  ennemis  avaient  cru   bon   de   se  taire. 

raque  la  faveur  royale  paru!  se  retirer,  ceux-ci  relevèrent 

la  tète.    Après  les  galas  de   la   Cour  et   la   splendeur  des 

g    officielles,  les  comédiens  connurent  les  vexations  et 

les  tribulations.  Il-  purent  voir  combien  les  choses  avaient 

_,  .  lorsqu'en  1687,  Louis  XIV  donna  brutalement  à  la 

îe    l'ordre    d'avoir  à  chercher    un   autre  local;    ils 

rirent    errants  à    travers    Paris,    repoussés   de  diverses 

pai  sur  les  protestations  violentes  des  curés;  caries 

curés,  qui  tenaienl  beaucoup  aux  redevances  diverses  que  les 

troupes  étaient  obligées  de   leur    payer,  s'indignaient  à  la 

pensée  que  la  musique  de   leurs  violons  pût  se  mêler  aux 

pendant  les  offices. 

Dam  ces  conditions,  le  monopole  du  Théâtre-Français  ne 

ivait  avoir  que  des  conséquences  mauvaises  :  entre  autres 

fieux,   il   fut   la  cause  (Tune  ingérence  de  plus  en 

plus   indiscret  •    des  gentilshommes   dans    les    affaires    de 

médie,  qu'ils  embrouillèrent   à    plaisir.    Les  solliciteurs 

apprirent  le  chemin  de  la  Cour;  les  intrigues,   les  rivalités 

trouvèrenl  an  écho  dans  <•<- 1  aréopage  adminis- 

la  ae  fut  poinl  pour  relever  la  dignité  des  artistes  ; 

Je  leur  mœurs,  si  appréciée  de  Ghappuzeau,  en 

dément.  \  partir  de  cette  époque,  il  y  b  beaucoup 

tableau  enchanteur  que  l'enthousiaste  apologiste 

1 67 1    de  lit  \  ie  prh  ée  des  comédiens. 

>menl  où  les  auteurs   se  trouvaient  en   face  d'un 

lu  moment  qu'un  seul  théâtre  leur  était 

re   d'une  certaine  tenue,  il  fallait  bien 

ntervlnl  pour  fixer  leurs  droits.  On  ne  songe 

inder  un  avis,  ■<  recueillir  leurs  raui  ;  ils 


LES   ORIGINES   DE   LA    SOCIETE  23 

ne  forment  pas  une  corporation,  il>  n'existent  pas  aux  yeux 
de  l'administration. 

Aussi  voyons-nous  les  règles  concernant  les  rapports  de 
la  Comédie-Française  avec  les  auteurs,  condensées  dans 
deux  règlements  de  1086  et  de  1697,  dits  de  la  Dauphine. 
C'est  à  la  Dauphine  en  etï'et  que  Louis  XIV  avait  confié  la 
surintendance  des  théâtres,  qui  fut  encore  donnée,  après 
elle,  à  deux  princesses  du  sang  (1). 

Cependant,  des  règles  fixes  avaient  déjà  été  étahlies  avant 
que  ces  règlements  fussent  édictés.  Les  décisions  les  plus 
anciennes  que  Ton  ait  pu  retrouver  à  ce  sujet  dans  les 
archives  de  la  Comédie  remontent  à  1683,  et  il  est  probable 
qu'elles  ne  firent  que  compléter  des  dispositions  antérieures 
dont  on  n'a  pu  conserver  la  trace. 

Lue  décision  prise,  le  22  mars  1683,  par  les  comédiens 
assemblés  porte  que,  lorsque  les  recettes  faites  par  une  pièce 
nouvelle  en  bonne  saison,  c'est-à-dire  entre  La  Toussaint  et 
Pâques,  «  seront  descendues  deux  fois  de  suite  à  550  livres 
ou  au-dessous,  on  quittera  la  pièce  sans  retour  pour 
l'auteur  ».  Ce  qui  veut  dire  que  la  pièce  quittera  L'affiche. 

La  même  décision  oblige  les  comédiens  à  soutenir  les 
pièces  à  l'extraordinaire,  tant  qu'elles  font  plus  de  650  livres 
par  soirée. 

Soutenir  les  pièces  à  l'extraordinaire,  c'était  élever  le  prix 
des  places.  C'était  un  expédient,  plus  on  moins  digne  d'une 
grande  scène,  auquel  on  avait  recours  pour  maintenir  les 
recettes;  l'auteur  n'était  pas  indifférent  à  cette  combinaison, 
qui  haussait  les  recettes,  et  qui,  par  conséquent,  reculait  1» 
fatale  échéance,  le  moment  où  la  pièce  quitterai!  l'affiche. 


i    La  plupart  dei  règlements  el  décisions  rédigés  pour  la  Comédie-Fi 
çaise,  conservés  dans  les  archives  du  théâtre,  <>nt  été  analysés  par  M.  Bonas- 
Bies  dans  son  ouvrage  sur  les    luteurs  dramatique*  et  la  Comédie  Franco 


i  il  IPITRE   PREMIER 

ir  les  pièces  qui  nécessitaient  beaucoup  de  frais,  on 
doublai!  le  prix  des  places,  parfois  jusqu'à  la  vingtième 
représentation. 

En  1732,    il   ii«i  fut    plus  permis   aux  comédiens  que  de 
tiercei  >t-à-dire   d'augmenter   d'un    Hors)  le    prix    des 

pla<        Quelquefois   aussi,   mais  à    titre    exceptionnel,   on 
élevai!  considérablement  les  tarifs. 

Il  était  également  stipulé  que,  si   une  représentation  de 
pièce  nouvelle  li\<;<\  selon  l<i  répertoire,  pour  un  dimanche, 
•  ii<  i  manquer  par  indisposition  d'un  acteur,  voyage  à  la 
;r.  fête  solennelle,  etc.,  elle  sérail  remise  au  dimanche 
suivant,  a  moins  d'une   fête  pendant   la    semaine  qui   pût 
tenir  lieu  du  dimanche.  C'était  encore  une  disposition  favo- 
rable aux  auteurs.  Puisque  les  pièces  quittaient  l'affiche  sans 
retour,  lorsque  la  recette  fléchissait  deux  fois  de  suite,  il  im- 
portait aux  auteurs  que,  si  un  dimanche,  qui  était  le  meilleur 
jour,  venait  à  leur  manquer,  on  leur  en  assurai  un  autre.  Il 
'I  voir  il.-  même  une  garantie  donnée  aux  auteurs  dans  la 
disposition  qui  arrêtait   que   les  représentations  de   pièces 
ivelles  alterneraient   avec  l<is  représentations  de  pièces 
I  ette  alternance  empêchait  la  troupe,  si  d'aven- 
tureelle  voulait  nuire  à  un  auteur,  de  ne  lui  donner  systé- 
tiquement  que  de  mauvais  jours,  afin   d'avoir  le  droit 
handonner  plus  tôt  sa  pièce. 

Il  fallait  cepen  lanl  tenir  compte  des  Irais  extraordinaires 
qu  nt  entraîner  certaine!  pièces.  Lorsqu'une  œuvre 

le. n  .,11  une  mise  en  semé  particuliè- 

I   était   naturel   que   la   Comédie   pût   en 

l,,l:  mptemen!    les   représentations.    Aussi,    le 

I  l<     décide-1  elle  que  les  minima  de 

>rminant  l'abandon  des  pièces  seront  augmentés, 

'•  du  montant  des  dépenses  extràordipain 


LES  ORIGINES  DE  LA  SOCIÉTÉ  25 

Une  délibération  du  7  juin  de  la  môme  année  fixe  à  un 
dix-huitième  la  part  <l<is  auteurs  pour  les  petites  pièce-, 
c'est-à-dire  les  pièces  eu  un  acte  ou  eu  trois.  11  est  très  pro- 
bable que  leur  part  fut  arrêtée  également  pour  les  grandes 
pièces,  dans  une  séance  dont  le  procès-verbal  n'a  pas  été 
conservé.  Sans  doute  aussi,  cette  délibération  ne  faisail-elle 
que  répéter  ou  modifier  des  décisions  antérieures  sur  les 
droits  d'auteurs. 

Le  1G  avril  IG80,  le  premier  règlement  de  la  Dauphine 
reconnaît  expressément  aux  auteurs  le  droit,  qui  leur  avait 
d'ailleurs  toujours  été  laissé  de  bonne  grâce,  de  faire  eux- 
mêmes,  et  à  leur  convenance,  la  distribution  des  rôles,  eu 
leur  prescrivant,  pour  éviter  toute  difficulté,  de  la  l'aire  en 
double  et  par  avance.  11  affirme  aussi  la  compétence  des 
gentilshommes  de  la  Chambre  pour  régler  les  difficultés  qui 
pourraient  s'élever  entre  les  auteurs  et  les  interprètes. 

Le  18  mais  1686,  une  décision  d'espèce.  La  Comédie  auto- 
rise la  représentation  du  Notaire  obligeant  avec  Alciôiade, 
tragédie  nouvelle.  Les  règlements  défendaient  de  jouer  de 
petites  pièces  avec  les  nouvelles.  On  y  dérogeait  en  faveur 
du  Notaire  obligeant ,  qui  était  l'œuvre  d'un  camarade.  Mais 
comme  on  ne  voulait  pas  avoir  l'air  de  favoriser  1rs  auteurs 
de  la  maison  aux  dépens  ^\^>  autre-,  ou  décidait  du  même 
coup  <|ue  cet  avantage  pourrait  être  accordé  à  tout  auteur 
d'une  petite  piè<  e.  lorsqu'une  tragédie  nouvelle  aurait  été 
jouée  vingt-sept  fois.  I  l'était  l<i  cas  pour  la  I  ragédie  d'Âlcibiade, 

En  1688,  on  lit  un  règlement  pour  les  entrées.  Il  s'ac- 
compagnait >;m>  doute  d'un  autre  règlement  concernant  les 
auteurs,  qui  ne  non-  est  pas  parvenu.  Seul,  l'important 
document  de  1697  nous  est  resté. 

Entre  temps,  le  II  novembre  1689,  la  Comédie  décide 
qu'en  raison  des  charges  nouvelles  dont  elle  est  grevée   i| 


I UMTRK    PKKM1KR 

if  de  tous  les  déboires  éprouvés  par  la  troupe  dans  son 
,1,.  ment   forcé,  cette   même  année)  elle  supprime  à 

l'avenir  le  supplément  alloué  aux  ailleurs  des  pièces  nou- 
velles. Qu'est-ce  que  ce  supplémenl  dont  on  ne  trouve  trace 
nulle  par!  ailleurs?  Etait-ce  une  allocation  importante,  ou 
n'était-ce  pas  plutôt,  ce  qui  est  plus  raisonnable,  quelque 
petit  cadeau,  comme  ceux  que  les  bons  comédiens,  au  dire  de 
Chappuzeau,  offraient  aux  auteurs,  en  gage  de  bonne  amitié? 
Le  règlement  de  I r» « > T .  qui  fut  reproduit  en  1726,  fixe 
d'une  manière  complète  et  détaillée  les  rapports  des  comé- 
diens  avec  les  auteurs.  Voici,  en  résumé,  les  dispositions 
tentielles  de  ««'Ile  charte  des  droits  des  auteurs  : 

\iiimi  2.  -  La  pièce  reçue,  personne  ne  peut  élever 
de  difficultés  relativement  s  la  représentation.  «  Monsieur 
l'autheur  distribue  les  rôles  à  sou  gré  ;  aucun  acteur  ne 
peul  '-ii  refuser  un 

i  la  nouvelle  affirmation  d'un  droil  qui  avait  toujours 
m  nu  aux  auteurs. 
\w ncLE  1 .       Les  pièces  nouvelles  des  auteurs-comédiens 
sont  jouées  que  l'été  :  celles  des  auteurs  externes  le  sont 
de  j  nce  I  ln\ ei 

-t  une  pi.litr-v,.  que  [es  comédiens  avaient  accoutumé 
aux  auteurs. 

l  ne  pièce  nouvelle  <'si  jouée  alternative- 
ui'  ;  llle  on  avec  une  autre  nouvelle  ». 

ition  du  principe  d'alternance  qui  était 
ips  en  honneur  ;i  la  Ûomédie  et  qui,  nous 
1  •!'•  nature  s  assurer  !<•  cours  normal  des 
de  leurs  pièces  jusqu'à  leur  abandon  régulier. 

I  ii     hiver,    on    jonc    les    pièces     nouvelles 

'I1"'   la  recette   -  abaisse  deux   l'ois  de  suite  ;< 
lei  quitte  sans  retour  pour  l'auteur, 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIÉTÉ  27 

«  Article  7.  —  Parmi  les  petites  comédies  qu'on  repré- 
sente avec  les  pièces  sérieuses,  l'auteur  de  la  pièce  nouvelle 
demande  celles  qu'il  lui  plait,  pourvu  qu'elles  soient  en  un 
acte  ». 

Les  comédiens  avaient  toujours  laissé  cette  l'acuité  aux 
auteurs.  Leur  reconnaître  officiellement  ce  droit,  c'était, 
incontestablement,  consacrer  à  leur  profit  un  empiétement 
sur  La  gestion  du  théâtre;  cet  avantage  n'est  jamais  admis 
de  nos  jours  qu'à  titre  purement  gracieux. 

«  Article  8.  —  En  été,  la  pièce  est  quittée  sans  retour 
pour  l'auteur  lorsqu'on  fait  deux  recettes  de  suite  de 
350  livres  et  au-dessous. 

«  Article  10.  —  A  l'égard  des  pièces  nouvelles  «  de  spec- 
tacle et  d'ornement  »,  où  il  y  a  des  frais  journaliers  et 
extraordinaires  (machines,  musique,  location  d'habits, 
ouvriers,  etc.),  la  recette  du  bureau  doit  surpasser  les 
minima,  fixés  par  les  règles  ci-dessus,  de  La  somme  à  laquelle 
montent  ces  frais. 

•  Article  II.  —  Les  auteurs  ont  deux  parts  sur  dix-huit 
dans  les  pièces  nouvelles  en  cinq  actes,  sérieuses  ou  comiques  : 
c'est-à-dire  que,  la  recette  étant  laite  et  h'  compte  rendu, 
on  paye  les  frais  journaliers  et  ordinaires  de  La  Comédie,  et 
le  surplus  se  partage  en  dix-huit  parts,  dont  «  monsieur 
L'autheur  »  prend  deux,  cl  les  seize  parts  restantes  sont  distri- 
buées aux  comédiens  au  prorata  de  leur  intérêt  social. 

«  Article  1:2.  —  Les  auteurs  des  petites  comédies  nou- 
velles, en  trois  aile-    OU   en   un    acte,  ont    le  dix-liiiilieine  de 

la  recette  dans  les  mêmes  conditions.  Pour  faire  valoir  ces 
mêmes  comédies,  on  donne  aux  auteurs  le  choix  de  deux 
pièces  nouvelle^  ;,  représenter  en  même  temps,  les  jours 
qu'il  leur  plait.  On  Leur  applique,  relativement  aux  liais 
ordinaires,  les  mêmes  règles  qu'aux  grandes  pièces. 


CHAPITRE   PREMIER 

\   ,i,ii    |3.  —  On  ne  reçoit  poinl   *lo   petites  comédies 
pendant  l'hiver. 

article   li.        Alin  d'éviter  les  contestations,  on  fait 
maître    ces  règles  aux  ailleurs  avanl  la  lecture  de  leurs 
pièces 

Le  règlement  des  entrées,  qui  suit,  attribue  aux  auteurs, 
tant  qu'ils  touchenl  leur  part,  quatre  billets  pour  les  pièces 
.■h  cinq  actes,  el  deux  pour  les  autres.  S'ils  délivrent  des 
billets  en  plus  de  ce  nombre,  le  prix  en  est  précompté  sur 
leur  part. 

J.'in.iil  de    1697  ne  fait,  sur  bien  des  points,   que  # 

codifier  des  règles  éparses  dans  des  décisions  antérieures; 

-m-  d'autres  il  ne  fail  que  régulariser  des  usages  :  quand  les 

pièces    descendent    au-dessous    des     minima     fixés,    elles 

quittent   l'affiche  -ans  retour  »,   mais  non  sans  espoir  de 

retour.  Car  elles  peuvent  toujours  èlre  reprises.  Les  reprises, 

tu  \\ir  siècle,    devinrent   fréquentes  au  xvme,  alors 

■  1"  un  répertoire  classique  étail  déjà  constitué.   En  ce  cas, 

-  nu'iil  ne  dit  pas  du  tout  que  l'auteur  n'aura  rien. 

les  comédiens  se  chargèrent  de  suppléer  au  silence 

«lu   texte      ils  décidèrent,  conformément  à  la  coutume,  et 

nous  avons  dit  pourquoi  le  procédé  ne  parut  pas  choquant  à 

I  époque,  de  ne  rien   donner  g   l'auteur  en  cas  de  reprise. 

éditions  du    règlement   de    1697   furent  modifiées 

•"  lempa,  dans  un  sens  défavorable  aux  ailleurs,  par  un 

''""•"«  du  27  avril  1699  qui  stipula  que  les  pièces  «  quit- 

'"•  I  affiche      non  plus  lorsque  la  recette  serait  descen- 

Ruite  jusqu'au  minima  fixé,  mais  lorsqu'elle 

■    deux  fois,  indistinctement,  à  ces  chiffres. 

'  »t    importante,    et    très   préjudiciable    aux 

'•m. .me.  j]   y  avait  de   lions  jours, 

li,  '"i  I  o„  faisait  de  telles  recettes,  et  de 


LES   ORIGINES    DE   LA    SOCIÉTÉ  29 

mauvais  jours,  où  Ton  ne  faisail  presque  rien.  Une  pièce  qui 
faiblissait  un  soir  avait  donc  chance  de  se  relever  le  lende- 
main. Et  l'auteur  rentrait  clans  ses  droits. 

dette  chance  lui  était  enlevée  par  la  nouvelle  disposition  ; 
dès  que  la  recette  était  mauvaise  un  soir,  les  comédiens 
n'avaient  plus  à  compter  avec  l'auteur. 

L'on  ne  tarda  pas  d'ailleurs  à  sentir  l'injustice  de  cette 
règle.  Dès  le  30  novembre  1699,  on  décida  «  pour  traiter  les 
auteurs  encore  plus  favorablement  »  —  ceci  ne  manque  pas 
d'ironie  —  que  la  recelte  devrait  descendre  aux  chiffres 
minima  deux  fois  de  suite  ou  trois  fois  indistinctement,  pour 
que  l'auteur  perdîi  ses  droits. 

In  règlement  du  27  octobre  1712  constate  l'étonnante 
légèreté  iwn-  laquelle  les  sociétaires  refusaient  souvent  aux 
auteurs  les  entrées  auxquelles  ils  avaient  droit  «  suivant  le 
caprice  de  celui  des  comédiens  qui  se  trouvait  à  la  porte 
Il  ordonne  aux  comédiens  de  laisser  entrer  les  auteurs  joués, 
sauf  ceux  qui  auraient  travaillé  pour  la  Foire;  la  Comédie 
était  alors  au  |>lu<  fort  de  sa  querelle  avec  la  Foire.  Elle 
gardait  rancune  aux  écrivains  qui  écrivaient  pour  les  forains, 
au  point  de  leur  refuser  l'accès  de  la  Comédie.  Nous  voyons 
que  l'autorité  eul  la  faiblesse  de  céder  à  ses  exigences 
ridicules  (1). 

I  n  règlemenl  du  lô'  novembre  171!)  donné  par  les  gentils- 
hommes de  la  Chambre,  règle  à  nouveau  la  distribution  des 
rôles.  Elle  appartient  aux  auteurs  tant  pour  les  pièces  nou- 
velles que  pour  les  anciennes.  Les  comédiens  qui  refuse- 
raient un  rôle  payeront  une  amende  de  lui)  livres    2  . 

II  tant  croire  que  ces  questions  de  distributions  étaient 


1  Le  texte  de  cette  décision  se  trouve  aux  Archives  Nationali  s,  M  lis  »n  du 
roi,  <>'  844. 

2  Archives  Nationales,  ibid, 


i  il  vi'irm;  PREMIER 

des  nids  à  querelles  :  tsar  il  esi  arrêté  que  les  auteurs  pré- 
dteronl  désormais  leurs  pièces  au  gentilhomme  en  année, 
pour  prévenir  toute  difficulté. 

Au  point  de  vue  des  entrées,  il  est  entendu  que,  suivant 
l'usage,  loul  auteur  joué  aura  ses  entrées  :  cette  faveur  lui 
pour  toute  sa  vie,  s'il  a  donné  au  moins  une 
pièce  en  trois  actes;  pour  trois  ans  seulement,  s'il  n'a  donné 
qu'une  pièce  en  un  acte.  En  cas  de  collaboration,  un  seul 
des  auteurs  aura  ses  entrées. 

Par    contre,    dans    une    décision   du    18    avril    1746,   la 

médie  traite  assez  légèremenl  les  auteurs,  Aux  termes  de 

la  délibération  <|ui  lui  prise  ce  jour-là,  les  pièces  ne  devaient 

plu-  être  a<lini><'>  à    une   lecture   publique   en  comité  que 

lorsque  les  semainiers  ou  un  comédien  les  auraient  jugées 

es  <!»•  cel  honneur. 

-l  d'après  ces  règles  que  la  Comédie  traita  les  auteurs 

jusqu'en   1757.   \  cette  époque,  le  Théâtre-Français  traver- 

i  une  crise  pénible.  Sa  situation  était  Tort  compromise 

par  les  lourdes  dettes  qui  avaient  grevé  s<m  budget.  Il  fallut 

prendre  des  mesures  pour  liquider  cel  arriéré  menaçant.  Le 

i   put    dans   sa  cassette   de   quoi   désintéresser  quelques 

î"air  I.-  reste,  <>n   pensa  qu'il  fallait  le  prendre 

la  pari  des  auteurs.   Il>  avaienl  déjà  fait,  nous  l'avons 

les  frais  du   déménagemenl  de  la  troupe  en  1689  :  il 

dans  l'ordre  qu'ils  payassent  ••••lie  fois-ci  une  partie 

neni    du   23  décembre    l~">7   constate  que    les 
-  •  mente  ne  -nui  plus  exécutés,  ei  il  juge  utile 
i  quelques  modifications. 
"  nouveau  la  procédure  de  la  lecture  de  la  pièce 

efl  de  la  distribution  des  rôles. 

réunis  en  comité  pour  entendre 


LES   ORIGINES    DE    LA   SOCIETE  'M 

la  lecture  d'une  pièce,  est  pourvu  de  lmi>  lèves  :  l'une, 
blanche,  pour  l'acceptation  simple  ;  l'autre,  marbrée,  pour 
l'acceptation  avec  changements  ;  la  troisième,  noire,  pour  le 
refus.  On  vote  par  scrutin,  non  par  acclamation,  pour 
éviter  les  discussions  orageuses.  Le  second  semainier 
apprend  la  décision  à  l'auteur. 

Tout  cela  est  réglé  avec  un  soin  et  une  solennité  impres- 
sionnante. 

Le  règlement  décide  une  fois  de  plus  que  l'auteur  seul 
peut  distribuer  les  rôles  :  l'acteur  qui  refuserait  son  rôle 
s'exposera  il  n  une  amende  de  oO  livres. 

Pour  les  entrées,  il  est  convenu  que  l'auteur  de  deux- 
pièces  en  cinq  actes,  l'auteur  de  trois  pièces  en  trois  actes, 
cl  l'auteur  de  quatre  pièces  en  un  acte  ont  leur  entrée  à  vie. 

L  auteur  d'une  pièce  en  cinq  actes  en  jouit  pendant  trois 
ans,  celui  d'une  pièce  en  trois  actes  pendant  deux  ans.  et 
celui  d'une  pièce  en  un  acte  pendant  un  an. 

Les  titulaires  pourront  d'ailleurs  être  privés  de  leurs 
entrées,  s'ils  troublent  le  spectacle  par  des  cabales  ou  des 
critiques  injurieuses. 

En  outre  de  leurs  entrées,  les  auteurs  joués  recevaient 
des  billets  pour  les  représentations  de  leur  pièce.  On  voit 
que  les  billets  d'auteur,  contre  lesquels  on  a  tant  protesté, 
ut'  datent  pas  d'aujourd'hui.  Vers  la  lin  du  xviu'  siècle, 
lr-  écrivains  ont  droit,  a  ce  titre,  «:>  soixante  billets  poul- 
ies trois  premières  représentations,  ;<  vingt  pour  celles  qui 
BUÎvent  (1). 

Le  changement  le  plus  considérable  réalisé  par  l'acte  de 
I7.")7  concerne  les  droiU  <le>>  auteurs  Bur  les  recettes. 

Le    règlement     fixe    leur    pari    ;i    un    neuvième   pour   cinq 


(1)  Décision  du  27  août  i"i.  Archives  Nationales,  ibid. 


«  Il  vi'li'UK   PREMIER 

acl  mi  douzième   pour  trois  actes,  à  un  dix-huitième 

ur  1111  acte.  Mais  il  esl  admis  désormais  officiellement  (ce 
qui  n'était  qu'un  usage  prend  force  de  disposition  adminis- 
trative   <ju''  lorsqu'une  pièce  quitte  l'affiche,   pour  insuffi- 
des  recettes,  «'lit'  tombe  dans  les  règles.  Or,  tomber 
..  '  !S.  c'est,  nous  le  savons,  (oniher  dans  les  mains 
des  comédiens. 

En  même  temps,  les  chiffres  de   recottes  qui  déterminent 

le   momenl   où   l'on    abandonne   les   représentations   d'une 

pièce  sans  qu'elle  puisse  être,  <m  cas  de  reprise,  une  source 

de  profits  pour   l'auteur,   sonl   singulièrement  élevés.    Les 

pièces  quitteront  l'affiche  dès  que,  deux  lois  de  suite  ou  trois 

3  indistinctement,  la  recette  sera  descendue,  non  plus  à 

i  à  550  livre-,  maisè  1,200  livres  en  hiver,  el  800  livres 

1  ette  disposition  était  1res  défavorable  aux  auteurs, 

un    temps  où  les  reprises  étaienl  devenues  fréquentes. 

On  admel  cependant  une  réserve  en  laveur  de  l'auteur.  Il 

irra,  lorsqu'il  verra  les  recettes  baisser,  retirer  lui- môme 

pour  se  ménager  une  reprise,  lorsqu'elle  aura  déjà 

dii  ou  douze  représentations  dépassant  ces  chiffres  minima, 

il  conservera  ses  droits.  Mais  alors,  la  pièce, 

ur  l'affiche,   tombera   dans  les  règles,  dès  qu'une 

ette  aura  été  inférieure  à  ces  chiffres,  et  sans 

que  I  auteur  puisse  &  nouveau  user  de  la  môme  faculté. 

ni  du    I     juillet    1700   modifia  sur  quelques 

lui  de  1757.  Il  \  est  surtout  question  de  la  lecture 

(uestion  ne  cessait  de  préoccuper  l'autorité;  il 

•   'i"  «lie  soulevait  d'inces  antes  difficultés,  et  que, 

l'l"~   d  un   <         '       comédiens   «-n   usèrent    de    façon 

le     auteurs,   blessant  h  plaisir  par  leurs 

moin  ce  genm  irritabile  vatum. 

ment  \  nouveau   que  les  pièces  ne   seront 


LES   ORIGINES   DE   LA   SOCIÉTÉ  33 

soumises  au  comité  de  lecture  que  sur  le  rapport  favorable 
d'un  examinateur.  Si  celui-ci  les  juge  indignes  d'une  lecture 
publique,  il  devra  donner  ses  raisons  «  le  plus  honnêtement 
qu'il  sera  possible  ». 

De  même,  après  la  lecture,  chacun  des  acteurs  juges  doit 
écrire  très  poliment  ses  motifs  d'acceptation  ou  de  refus 
dont  l'auteur  aura  connaissance. 

La  question  de  la  distribution  des  rôles  est  aussi  de 
celles  sur  lesquelles  on  doit  revenir  à  chaque  instant.  Les 
acteurs,  pénétrés  de  leur  importance  et  de  l'excellence  de 
leur  jugement,  avaient  la  prétention  de  décider  en  dernier 
ressort  des  emplois  qui  leur  convenaient.  C'était  une  source 
perpétuelle  de  conflits  avec  l'auteur.  Trop  souvent  aussi  ils 
refusaient  une  pièce,  dans  la  crainte  qu'un  rôle  leur  fût 
imposé,  qui  ne  les  mît  point  assez  en  valeur. 

Les  gentilshommes  se  flattent  de  remédier  à  ces  cabales, 
en  prescrivant  que  l'auteur  qui  entre  en  lecture  remettra  au 
comité  sa  distribution  cachetée;  le  cachet  ne  sera  rompu 
que  si  la  pièce  est  reçue  et  après  le  vote  du  comité.  Si  des 
corrections  sont  jugées  nécessaires,  la  distribution  sera  ren- 
fermée dans  l'armoire  du  semainier. 

A  quelles  précautions  ne  doit-on  pas  recourir  pour  donner 
quelque  indépendance  de  jugement  au  comité  de  lecture,  pour 
affranchir  l'auteur  du  souci  de  plaire  à  tel  ou  tel  interprète? 

Le  règlement  défend  aussi  à  tout  acteur  de  refuser  un 
rôle,  même  sous  prétexte  qu'il  n'e>(  pas  de  son  emploi, 
sous  peine  d'un»'  amende  de  100  livres,  et,  en  cas  de  réci- 
dive, de  la  privation  de  sa  part  dans  les  représentations  de 
la  pièce  en  cours. 

Le  règlemenl  de  17<*»C)  ne  changea  rien  aux  droits  d'auteur, 
tels  qu'ils  étaient  fixés  par  le  règlemenl  de  1757,  d'une 
manière  fort  compliquée,  nous  l'avons  vu. 


CHAPITRE    PREMIER 

«in    est    forcément    compliqué,    lorsqu'on   va   contre    la 

nu.'  des  choses.  Il  semble  que  l'intérêt  de  Fauteur  et  celui 

diena  soient  communs,  en  un  certain  sens,  et  que 

leur  réputation  et  leur  profit  respectifs  dépendant  de  l'accueil 

i  spectacle,  il-  dussent  souhaiter  également  que  les 

s  fissent  de  bonnes  recettes.  11  n'en  est  pas  ainsi,  avec 

ments  qui  assurent  aux  comédiens  la  propriété  des 

~   lorsque  les  recettes  baissent.  Ils  deviennent,  pour  un 

temps,  les  ennemis  de  la  pièce,  ayant  intérêt  à  ce  qu'elle 

peu  d'argent  dans  la  première  série  des  représentations, 

pour  pouvoir,  un  jour,   la  reprendre  sans  avoir  à  partager 

les  bénéfices.  On  les  voyait,  de  t'ait  —  cela  ne  laisse  pas  de 

us  surprendre  —  donner  les  pièces  nouvelles  dans  des 

: j •  1 1 lions  défavorables,   les  jouer  de  préférence  à  de  mau- 

is  jours,  et   contrairement  aux   prescriptions  des  règle- 

ments,  pour  !<•-  faire  tomber...  dans  les  règles.  Gomme  si  la 

Lnde   règle  de  toutes  !«•-  règles  n'était  pas  qu'une  pièce 

■  .1.-  belles  recettes. 

Il  suffit  du  plu-  futile  événement  pour  précipiter  l'auteur 

gouffre  ouvnt  bous  ses  pas  :  une  fête  à  la  Cour  ou  à 

■  ille,  un  ci.-l  plus  ou  moins  pur,  un  spectacle  plus  brillant 

ailleurs,  ••!  c'en  est  fait  de  lui. 

bais,  lui-même,  qui,  jusqu'à  sa  querelle  avec  les 

eut  toujours  avec  eux  les  rapports  les  plus  cour- 

uner  contre   cette   manie   bizarre.   Il   s'était 

[ue  les  comédiens  lui  demandaient  la  permission  de 

'•    Barbier  de   Séviile  de  préférence   les  soirs  où  il  y 

1  où,  par  conséquent,  il  y  avait  de 

;  our  que  I;.  recette  l'ni  mince.  Il  protesta  : 

1,11     messieurs,   qu'on   vous  demandait  le 

!"  prochain,   vous  avez  oublié 

ie  jour  o,i  donnait  6  h  Cour  le  Coiuh'- 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIÉTÉ  35 

taie  dr  Bourbon autant  j'aurai  de  reconnaissance,  toutes 

js  fois  qu'en  un  l)on  jour  de  bonne  saison  la  Comédie  fera 
honneur  h  ma  pièce  de  la  glisser  au  répertoire,  autant  je 
roirais  avoir  à  m'en  plaindre,  si  elle  ne  se  souvenait  jamais 
u  Barbier  que  pour  lui  faire  boucher  un   trou,  dans  lequel 

s'engloutirait  tout  vivant,  au  grand  détriment  de  son 
xistence  et  de  mes  intérêts  »  (1). 

Le  règlement  de  1766  détermine  jusqu'en  1780  les 
apports  des  comédiens  avec  les  auteurs.  Il  subit  toutefois 
es  modifications  partielles. 

Le  Ier  avril  1768,  un  ordre  des  gentilshommes  de  la 
bambre  enlève  aux  auteurs  le  droit  de  faire  la  distribution 
e  leurs  pièces,  lorsqu'elles  sont  tombées  dans  les  règles, 
et  ordre  constate  que  les  questions  de  distribution  sont  la 
jmrce  de  maintes  tracasseries  et  vexations  des  sociétaires  à 
endroit  des  écrivains  :  pour  éviter  à  l'avenir  ces  chicanes,  il 
Hervé  aux  gentilshommes  de  la  Chambre  le  soin  d'arrêter 
i  distribution  des  pièces,  dès  quilles  seront  tombées  dans 
m  règle-  et  feront  irrévocablement  partie  du  répertoire  (2). 

Fréquemment  les  sociétaires,  en  donnant  leur  avis  sur  la 
Iception  d'une  pièce,  se  contentaient  d'une  appréciation 
Intà  fait  vague  el  superficielle.  «  La  pièce  m'a  fail  plaisir, 
l  je  la  reçois  »,  telle  était  l'opinion  émise  à  l'appui  de  plus 
'un  vote.  Les  auteurs  réclamaient  contre  cette  justice  expé- 
pive,  se  disant  victimes  d'impressions  irréfléchies  ou  «le 
éventions  injustifiées.  Pour  obvier  à  cet  inconvénient,  le 
uc  de  Richelieu  oblige  les  comédiens  en  1770  à  motiver 
pieusement  leurs  votes.  In  arrêi  motivé  esl  presque  un 
on  arrêt.  Les  avis  rendus  «mi  assemblée  seront  mis  sous 
|veloppe   cachetée,    el    portés  aux   gentilshommes   de    La 

(1)  Beaumarchais  ri  son  temps,  par  Louis  <\o  Loménie,  chapitn   \i\ 
2    Décision  en  manuscrit  aux  Archives  Nationales,  ibid. 


3(3  «  Il  APURE    PREMIER 

imbre,  qui  pourront  ainsi  juger  de  la  compétence  de  cel 

I  • 
tte  obligation  est  étendue  peu  après  au  Comité,  qui  lil 
an  premier  lea  manuscrits  déposés,  et  juge  s'ils  doivent  être 
mblée  générale  (2). 
Le   11   janvier   ITTi.   un  ordre  du  duc  de  Duras  enjoinl 
iétaires  de  ne  plus  discuter  avec  les  écrivains  que 
écrit,   pour   éviter  les  querelles,   et  de  conserver  des 
ela    nous   Indique  qu'à  ce  moment  les  rapport? 
lent  forl  tendus  entre  comédiens  et  auteurs. 
I  n  autre  règlement  du  21  juillet  1 77 i  prescrit  des  forma- 
lité très  minutieuses  pour  que  les  pièces  soient  jouées,  sui- 
t  leur  ordre  de  réception,  d'une  façon  en  quelque  sorte 
automatique,  sans  <|u<i  des  intrigues  puissent  avancer  le  toui 
de  quelques  auteurs  en  reculant  certaines  pièces. 

Les   comédiens  devront,    aux    termes  de   ce  règlement, 

jouer  successivement  les  pièces  inscrites  en  rang  utile  dan] 

I  une  des  troia  colonnes  dressées  ;i  cet  etï'et.    La  première 

ntient  !<•-  comédies  et  drames  en  cinq  et  quatre 

la  seconde,  !*•-  tragédies  :  la  troisième,  les  comédies 

''"  "n.  deui  "M  trois  actes.  <iV-l  l'avancemenl  à  l'ancienneté. 

•  1  faul  croire  que  les  comédiens  déterminaient  un   peu 

isemenl  le  loin-  (!•■-  pièces,  et  qu'ils  faisaient 

.     r  indélinimenj  certains  auteurs. 


;ni1  plaignaient    des   comédiens   de    la 

disaient    volontiers    mieux    traités    au 

Italien,  qui  lil  longtemps  une  concurrence  dange- 

■I  manuscrit  aux    Irchivea  Nationales,  ibi 
il  1774.  En  manuscrit  aux  Archive-  Na( 


LES    ORIGINES    DE   LA    SOCIÉTÉ  37 

reuse  à  la  Comédie-Française  ;  plusieurs  écrivains  de  talent 
y  furent  porter  leurs  pièces. 

Le  règlement  donné  aux  comédiens  italiens  par  les  gentils- 
hommes en  177i  fixait  les  droits  des  auteurs  à  un  neuvième 
de  la  recette,  pour  les  pièces  en  trois  actes  et  plus,  à  un 
douzième  pour  les  pièces  en  deux  actes,  à  un  dix-huitième 
pour  un  acte  (1),  partagés  entre  l'auteur  des  paroles  et 
l'auteur  de  la  musique. 

Ces  droits  étaient  calculés  sur  la  recette  nette,  après 
déduction  de  la  taxe  pour  les  pauvres. 

La  recette  journalière  soumise  au  droit  d'auteur  compre- 
nait les  recettes  de  la  porte,  le  produit  des  loges  louées  à  la 
représentation,  mais  non  celui  des  loges  louées  à  l'année. 

L'auteur  n'était  pas  sûr  d'ailleurs  de  toucher  tous  les 
soirs,  et  le  règlement  faisait  une  distinction  très  curieuse, 
qui  aboutissait  à  ne  lui  verser  d'argent  qu'autant  que  sa 
pièce  avait  du  succès. 

11  y  avait  des  représentations  «  utiles  »  et  des  représenta- 
tions «  nulles  ».  Les  premières  sont  celles  qui  donnent  une 
recette  brute  d'au  moins  G00  livres  l'été  et  1,000  livres  en 
hiver,  et  sur  lesquelles  les  auteurs  touchent  leur  part.  Les 
représentations  nulles  sont  celles  qui  font  une  recette  infé- 
rieure à  ces  chitfres,  et  sur  lesquelles  ils  ne  louchent  rien. 
Par  contre,  ils  sont  assurés  d'avoir  leur  part  sur  toutes  les 
représentations  utiles  qui  seront  données  de  leurs  ouvrages 
jusqu'à  leur  mort,  quand  bien  même  le  cours  de  ces  repré- 
sentations aurait  été  interrompu  pendant  un  temps  pins  ou 
moins  long.  Même  leur  droit  passera  U  leurs  héritiers,  pour 
lrv  pièces  qui  n'auraienl  pas  «  - 1 1  cinquante  représentations 


(1)  Ce  règlement,  qui  se  trouve  en   manuscrit  aux  Archives  Nationale! 
Maison  du  Roi,  O1  848  .  a  été  reproduil  dans,  les  Trot*  Théâtre*  de  Partt, 

Des  Essarts,  chapitre  II,  page  2UJ 


CHAPITRE    PREMIER 

utiles,  de  leun  ivant.  En  outre  de  cette  rémunération  en  argent, 
les  auteurs  ont  droit  à  des  billets,  ainsi  qu'à  des  entrées. 

ii   voit,  la  part  des  recettes  entrant  en  compte 
ilcul    des    droits    d'auteur    était    soigneusement 
nui  née,   sans  que  l'on    pût  pn  soustraire  certains  élé- 
ments,  ou  préc pter  sur  cette  part   une  somme  de  frais 

plus  ou  moins  élevée.   Sans  doute,  ici  encore,  le  droit  des 
auteurs  est  arbitrairement  limité,  puisque  lorsque  les  recettes 
endent    h    un    minimum    déterminé,    il    ne    doit   plus 
; .  Au  moins  cette  limitation  n'a-t-elle  pas  pour  effet 
d'intéresser  !<■-  comédiens  à  faire  échouer  la  pièce,  comme 
de  la  chute  dans   les   règles,   puisque  l'auteur 
es  droits,  sa  vie  durant,  sur  toutes  les  représenta- 
-   qui    dépasseront    ce    minimum,    et    que    môme    les 
édiens  auront  à  compter  avec  les  héritiers,  lorsque  la 
•  n  aui  encore  «mi  cinquante  représentations  utiles] 

lire  cinquante  représentations  ayant  fait  des  recettes 
ibles.  Le  règlement  de  1774  interdisait  d'ailleurs  aux 
retirer  arbitrairement  de  l'affiche  une  pièci 
!  d  interrompre  ainsi  !<i  cours  de  ses  représentai 
"'t  qu'elle  était  accueillie  avec  faveur  par  le  public] 
^  I  '  tuteurs  furent  toujours  l'objet  «l'une  pro- 

ie. Le  règlement  «le  177(;  stipule  que  le  libres 
ipositeur  d'une  œuvre   formant  un   spectacle 
"i  chacun  200  livres  pour  les  vingt  première! 
150  livres  pourlesdix  suivantes,  et  100 livret 
•  jusqu'à  la  cinquantième.  Après  la  cinquan^ 
perdaient    donc  leurs  droits.    Mais,   si 
de  quarante  représentations  de  suite,  il 
■"il  une  gratification  de  500  livres  (1). 

bid    chapitre  III,  page  26L 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIÉTÉ  39 

Les  auteurs  d'un  opéra  en  un  acte  recevaient,  suivant  les 
mêmes  distinctions,  80,  60  et  oO  livres,  pour  les  représenta- 
tions données  sans  interruption. 

Il  appartenait  d'ailleurs  à  l'autorité  d'arrêter  le  cours  des 
représentations,  quand  elle  le  jugeait  bon,  soit  pour  insuffi- 
sance de  recettes,  soit  pour  tout  autre  motif. 

En  1781,  le  droit  des  auteurs  cessa  d'être  limité.  Ils  eurent 
droit,  durant  leur  vie,  à  GO  livres,  ou  à  20  livres  pour  un 
acte,  sur  chaque  représentation  au  delà  de  la  quarantième. 

En  outre,  le  roi  accordait  des  prix  ou  des  pensions  aux 
auteurs  qui  s'étaient  particulièrement  distingués  (1). 

Comme  on  le  voit,  il  s'agissait  là  d'un  ensemble  de 
mesures  de  faveur,  prises  par  l'autorité  dans  le  dessein 
avoué  d'acclimater  l'opéra  en  France;  il  n'y  faut  voir 
qu'une  heureuse  exception  dans  le  régime  des  droils 
d'auteur. 


Malgré  la  combinaison  étrange  de  la  chute  dans  les  règles, 
les  auteurs  Q'eussenl  pas  réclamé  contre  le  traitement  (pi»' 
leur  faisait  la  Comédie-Française,  si  l'on  s'en  fût  tenu  à  la 
lettre  (\o>  règlements.  Mais  les  comédiens  en  prenaient  à  leur 
aise  avec  les  lextes,  n'en  retenant  que  ce  qui  leur  étail 
avantageux.  Ils  ne  se  souciaient  guère  de  respecter  les 
ordres  de  l'autorité,  d'ailleurs  changeants  «•!  capricieux,  cl 
que  l'autorité  elle-même  ne  se  gênait  pas  pour  enfreindre  .'« 
l'occasion.  C'esl  pourquoi,  ;>  chaque  instant,  l'intervention 
des  gentilshommes  est  sollicitée  pour  arrêter  leurs  empiète 
ments  et  leur  imposer  de  nouveaux  règlements. 

Ces  règlements  se  suivent...  el  se  ressemblent.  Il  est  géné- 


i    Voir  ;ï  <•<>  Bujel  L'article  I"  du  règlement  du  13  mars  1784    Renouard, 
Traité  des  ///<<</<  d'auteur,  tome  r '•  chapitre  l\ 


CHAPITRE    PREMIER 

lement  constaté,  dans  l<i  préambule,  que  les  décisions  prê- 
tes n'ont  pas  été  observées.  Il  y  a  des  questions,  comme 
-  pièces,  la  distribution  des  rôles,  pour  lesquelles 
doit  -  >sse  leur   rappeler  les  égards  qu'ils  doivent 

•ii-  envers  les  auteurs.  L<1^  amendes  dont  on  les  menace 
ni  toujours  en  augmentant,  mais  ne  les  retiennent  guère, 
Vu   point  de  vue  des  droits  d'auteur,  ils  n'en  usent  pas 
m  «.in-*  librement,  non  pas  quant  au  taux  même  de  ces  droits, 
iquel  \\<  sont  1  »i«-ii  obligés  de  se  soumettre,  niais  quant  à 
leur  calcul  »'t  a  la  détermination  dos  éléments  qui  doivent  y 
m  pris. 
\insi  il-  avaient  accoutumé,  sans  qu'aucun  texte  parût  les 
tutoriser  l<i  moins  du  monde  —  mais  ici  encore  la  coutume 
it  plus  forte  <|u»'  tous  l«'<  décrets  —  à  ne  porter  en  compte 
profit  de  l'auteur,    pour  son   rendement  exact,  que  la 
le  de  la  porte,  c'est-à-dire  le  produit  des  places  prises 
guichets,  au  moment  de  la  représentation.  Quanta  la 
des  petites  loges,  c'est-à-dire  des  abonnements,  elles 
"•  dans  des    compensations  ténébreuses  »,  que  les 
aient  d'office  avec   les  frais  qu'ils  évaluaient 
m. -ni  bien    au-dessus    des  chiffres   de  350  et   de 
3  que  fixaient  les  règlements,  en  y  comprenant  des 
•'•  I  l111  n'auraient  pas  dû  y  figurer. 

,l"  l'I"     H«  comptaient  à  l'auteur  dans  les  frais  du  théâtre 
1  ""l""'1  d<  son  taux  Dominai,  alors  que,  grâce  à 

,,n  nl  !'•'  i  I  administration,  il-  supportaient 

""  ;  up  moins  élevé. 

ils  bizarres  avaient  un  double  avantage.  Tant 

■   maintenait  au-dessus  de  ces  chiffres  fati- 

ensiblement    la    part  de    l'auteur. 

i  I  ennemi. 

•'•  moment  arrivait  vite  où  la  pièce  ne  faisait 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIÉTÉ  41 

plus  1,200  ou  800  livres,  si  l'un  comptait  comme  les  socié- 
taires, tout  en  faisant  bien  davantage,  si  un  comptait  raison- 
nablement. Et  l'on  disait  à  l'auteur,  surpris,  mais  résigné  : 
«  Votre  pièce  ne  fait  plus  ses  frais.  Elle  tombe  clans  les 
règles  ».  Les  comédiens  étaient  ainsi  de  plus  en  plus 
poussés  à  ne  faire  que  de  faibles  recettes,  les  premiers 
temps,  pour  acquérir  la  propriété  des  pièces  nouvelles  et  se 
ménager  des  reprises  heureuses.  Assurés  d'autre  part  du  pro- 
duit des  petites  loges,  qui  devint  bientôt  l'élément  le  plus 
important  de  la  recette,  ils  s'occupaient  moins  de  réveiller  le 
goût  du  public  ;  ils  se  comportaient  un  peu  comme  des 
régisseurs  désintéressés,  et  l'art  dramatique  périclitait. 

L'anarchie  la  plus  complète  semble  d'ailleurs  s'être  intro- 
duite à  la  fin  du  xvme  siècle  dans  les  affaires  de  la  Comédie  : 
affranchis  de  la  tutelle  un  peu  rude  de  Louis  XIV,  les  socié- 
taires donnent  libre  cours  à  leur  fantaisie,  grâce  à  l'indul- 
gente faiblesse  des  gentilshommes  de  la  Chambre.  Les 
artistes  jouent  quand  il  leur  plaît,  s'absentent  quand  ils 
veulent  :  on  joue  telle  pièce  pour  faire  plaisir  à  tel  sociétaire, 
;i  condition  que  toile  autre  exigée  par  un  camarade,  ait  son 
tour.  Le  public,  à  qui  l'on  sert  des  œuvres  dont  il  no  veut 
pins,  manifeste  son  mécontentement,  et  les  tumultes  ne  -ont 
pas  rares. 

Los  autours  sont  naturellement  les  premières  victimes  de 
cette  situation.  On  a  beau  leur  reconnaître  le  droit  de  faire 
leur  distribution  par  avance,  et  sous  pli  cacheté,  les  socié- 
taires influents  refusent  -cuvent  le  rôle  qui  leur  est  dévolu  : 
en  l'acceptant,  il-  croient  faire  une  grâce  :  chacun  joue 
avec  qui  il  lui  plaît.  Pour  satisfaire  entre  soi  a  des  conc< 
Bions  réciproques,  ou  entremêle  trois  un  quatre  pièces  dou- 
velles  à  la  lois,  de  sorte  que  chacune  ae  revient  qu'une  fois 
tous  les  quinze  jours,   ■  Des  haines  implacables,  et  des  dis- 


CHAPITRE    PREMIER 

les  furieuses  divisent  la  Comédie  *mi  deux  partis,  dont 
l'un  invoque  inutilemenl  une  règle,  parce  qu'il  est  opprimé, 
.•l  dont  l'autre  en  repousse  jusqu'au  nom,  parce  qu'il  est  le 
plus  fort.  Qu'on  se  représente,  au  milieu  de  ces  conflits  et 
usses,  \  ingt  auteurs  dramatiques  qui  en  reçoivent 
iremenl  le  contre-coup,  et  qui,  ayant  besoin  de  tout 
le  monde,  ne  peuvenl  complaire  à  l'un  sans  blesser  l'autre. 
On  avouera  qu  il  n'y  a  guère  de  pire  condition  (1)  ». 

I  tisons  la  pari  de  l'exagération,  puisque  c'est  un  auteur, 

qui  parle.  Il  n'en  esl  pas  moins  vrai  que  les  écri- 

rains  devaient  accepter  la  comptabilité  et  les  caprices  des 

comédiens,  les  yeux  fermés,  ou  porter  leurs  pièces  ailleurs. 

De  fait,  on   vit    «1rs  auteurs  connus  émigrer  aux  Italiens 

-.M  travailler  pour  la  Foire  :  mais  cela  n'était  possible  qu'à 

un  petit  nombre  :  car  les  pièces  d'une  certaine  tenue  ne  pou- 

Itre    sur    une  autre  scène  que  les  Français.   La 

plupart,  de  guerre  lasse,  abandonnaient  aux  comédiens  les 

droits    que    ceux-ci    voulaient   encore    bien    leur 

1       les  comédiens  savaient  reconnaître  les  bons 

ils  jouaient  plus  souvent,  à  de  bonnes  époques,  les 

n    qui  se  montraient  «  honnêtes  »  pour  la  Comédie, 

whaitera  toujours  un   auteur,  avant 

irea  avaient  affaire  à  un  auteur   obstiné  ou 

qui  réclamait  son  dû,  ils  lui  envoyaient  un 

]  il*  appelaient  modestement  un  aperçu,  véritable 

1   •  lire,  où  il  était  impossible  de  se  retrouver. 

de  '  e,  auteur  d'Alcidonis,  ne  put  s'empêcher 

'"I"  qu'il  reçut  l'aperçu  de  ses  droits  sur  cinq 

I  v   •     à    i  i    emblée    Sationale,   prononcée 
■   du  muni,  •-,  août  1790.  Archives 

VIII  »•. 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIÉTÉ  13 

représentation^  de  sa  pièce,  qui  avaient  lait  12,500  livres. 
«  Partant,  disait  ce  mémoire,  pour  son  droit  acquis  au 
douzième  de  la  recette...  l'auteur  redoit  la  somme  de 
KM  livres,  8  sous,  8  deniers  à  la  Comédie  (1)  ». 

L'auteur  avait,  parait-il,  recommandé'  la  simplicité  dans 
la  mise  en  scène.  Les  comédiens,  à  qui  coite  recommanda- 
tion avait  déplu,  s'étaienl  vengés  m  montant  son  œuvre 
avec  un  luxe  de  décors  extraordinaire,  si  bien  que.  lorsqu'il 
demanda  ses  comptes,  on  lui  produisit  mi  mémoire  de  frais 
de  déc  rs  et  de  figuration,  qui  le  laissait  encore  en  reste 
avec  le-  sociétaires. 

Louvay  de  la  Saussaie  protesta.  Mais,  après  bien  des 
efforts,  sa  plainte  échoua  au  Conseil  du  roi,  où  elle  fut 
classée.  On  se  tirait  ainsi  à  l'époque  des  procès  épineux. 

«  Depuis  douze  ans,  écrit  Beaumarchais  en  1791,  les  auteurs 
dramatiques  ne  s'étaient  partagé  que  3,800  livres,  dans  ces 
fortes  années  où  le  produit  brut  d'un  million  laissait  aux 
comédiens  français  25,  26,  27,000  francs  de  part  entière  ». 

Les  gentilshommes  de  la  Chambre  avaient  renoncé  h 
espérer  pour  les  écrivains  un  traitement  meilleur  a  la 
Comédie,  sachant  bien  qu'ils  n'auraient  pas  le  dernier  mol 
avec  les  comédiens,  el  surtout  avec  les  comédiennes. 

Un  document  curieux  nous  les  montre  en  171(2.  pleins 
de  bonne  volonté,  demandait!  au  roi  de  suppléer  à  leur  fai- 
blesse :  ils  lui  proposent  decréer  des  prix  Monthyon  pour  les 
dramaturges.  La  première  récompense  offerte  aux  auteurs  de 
pièces  en  cinq  actes  serait  l'honneur  d'être  nommé  au  n>i  : 
à  cette  première  faveur succéderaienl  des  marques  plus  maté- 
rielles d'estime  :  médailles  d'or  de  200,  300,  el  100  francs; 


l    Mémoire  à  consulter  et  consultation  /mur  lr  sieur  Louvay  de  la  v 
r.,niri>  lu  troupi  des  comédiens  français  ordinaires  <iu  i<>t,  1775.  Bibliothèque 
de  la  Ville,  Théâtre.  12,301. 


CHAPITRE    PREMIER 

enfin  une  pension  à  vie  viendrail  couronner  un  long-  effort 
matique    I  ■ 


_  .  mps  les  auteurs  avaienl  souffert  sans  se  plaindre. 

i  -t.-  de  leur  misère  et  du  faste  des  comédiens  ne 

leur  point  choquant.  C'est,  en  effet,  une  idée  très 

lerne,  que  l'on  puisse  gagner  sa  \  i«i  en  faisant  du  théâtre. 

An   début,   les  auteurs   oui    vu,  sans  trop  d'envie,  et  sans 

s'en  scandaliser,  les  comédiens  s'enrichir  avec  des 

rea  qui  ae  leur  rapportaient  presque  rien  à  eux-mêmes. 

{mettaient  sans  trop  de  peine  que  les  artistes  dussent 

gure  dans  la  société  el   tenir  leur  rang.  Pour  eux,  si 

le  hasard  voulait  qu'ils  fussenl  nés  pauvres  et  qu'ils  eussent 

_   ut  «lu  théâtre,  ils  briguaient  une  pension  sur  les  fonds 

ils  dédiaient  leurs  ouvrages  à  de  grands  seigneurs 

des  traitants.  La  pension,  d'ailleurs,  n'était  royale  que 

"i    il  semble  qu'oa  ait  beaucoup  exagéré  les  largesses 

\IV  pour  les  écrivains  (1).  Il  fallait  la  payer  par 

up  de  remerciements  et  par  un  peu  de  dépendance. 

tait    pas  ■•  ce   que   l<i  situation  avait  de 

>mparait,    sans   embarras,    Louis   XIV   à 

Alexandre       M  m  toron,  le  financier,  à  Auguste. 

1      dehors  «lu  théâtre  d'ailleurs,  la  situation   n'était  pas 

;        '      écrivains.  Jusqu'en   1778,  leur  propriété 

,,,,  i  il>  restèrent  à  la  merci  des  libraires  et 

i  qui  d*(  rdinaire  était  concédé,  sous  le  nom 

Ifl  droit  d'imprimer.  Beaucoup  vécurent  dans 

de    auteurs,   i-  janvier    L762,  Archives 
on  temps,  tome  II, 


LES    ORIGINES    DE   LA   SOCIÉTÉ  l5 

la  misère,  qui  enrichirent  leur  éditeur,  et  ils  ne  se  plai- 
gnirent pas. 

Faire  du  commerce  quand  on  était  noble,  c'était  déroger; 
songer  au  profit,  lorsqu'on  faisait  des  lettres,  c'était  man- 
quer de  dignité.  On  peut  y  cire  contraint  :  alors  on  vous 
excusera,  sans  vous  citer  pour  modèle.  Boileau  lui-même, 
qui  croit  devoir  prendre  la  défense  des  écrivains  pauvres, 
verra  moins  L'avantage  de  l'indépendance  que  le  danger  de 
la  spéculation.  11  dira  : 

Je  sais  qu'un  noble  esprit  peut  sans  honle  et  sans  crime, 
Tirer  de  son  travail  un  tribut  légitime. 

mais  il  s'empressera  d'ajouter  : 

...  Je  ne  puis  souffrir  ces  auteurs  renommés 
Qui,  dégoûtés  de  gloire  et  d'argent  affamés, 
Mettent  leur  Apollon  aux  gages  d'un  libraire, 
Et  font  d'un  art  divin  un  métier  mercenaire. 

Pour  lui-même,  d'ailleurs,  il  n'est  guère  intéressé,  et  il 
le  dit  volontiers.  Dans  une  Lettre  qu'il  adresse  à  Colbert 
pour  le  remercier  d'un  privilège  qui  venait  de  lui  être 
accordé,  il  s'exprime  ainsi  : 

«  Je  vois  bien  que  c'est  à  vos  bons  offices  que  je  suis 
redevable  du  privilège  que  Sa  Majesté  veuf  bien  avoir  la 
bonté  de  m'accordor.  J'étais  tout  consolé  du  relus  qu'on  en 
avail  fait  à  mou  libraire  ;  car  c'est  lui  seul  qui  l'avait  solli- 
cité, étant  très  éveillé  pour  ses  intérêts,  et  sachant  fort  bien 
que  je  n'élai^  pas  homme  à  tirer  tribut  de  mes  ouvrages  ». 

Et,  pourtant,  cel  état  de  choses  n'était  pas  fait  pour  donner 
de  l'éclat  nu  métier  des  lettres. 

Derrière  Les  écrivains  illustres,  qui  savaient  garder  de  La 
tenue,  même  dans  la  Louange  de  commande,  se  pressait  une 
foule  d'auteurs  faméliques,  bons  a  toute  besogne,  toujours 
prêts  à  colporter  des  médisances  dans  h1-  gazettes,  à  flatter 


(il  kPITRE   PREMIER 

grands,  ou  à  s'insinuer  dans  les  familles  pour 

\  jouer  de  fort   vilains  personnages,  comme  ce  bel  esprit, 

m   de  dots,  <|ur   Molière  a  dépeint  dans  les  Femmes 

Il  vml  un  temps  où,  les  idées  changeant,  et  la  générosité 

lâchant,  les  écrivains  voulurent  tirer  profit 

leurs  œuvres,  et  en  revendiquèrent  énergiquement  la  pro- 

priéti     De    m£me,  les  ailleurs   dramatiques   se  fatiguèrent 

d'entretenir  les  comédiens  à  leurs  dépens. 

I  m    ceux-ci   objecteront  que   les   temps  sont  durs, 

maintenant  qu'on  observe  l*v  costume  »,  que  la  garde-robe 

I  •  k.iin  mi  de  mademoiselle  Clairon   nécessite  des  frais 

gpendieux.    L'opinion    commence    h   se   faire  jour  qu'un 

leur  doit  vivre  de  ses  ouvrages,  et  qu'il  est  moins  humi- 

:it  de  dépendre  du  goût  du  public  que  du  goût  de  quelques 

iliers.  vi   Voltaire,  qui  a  de  la  fortune,  estime  qu'il 

I  ordre   des    choses   qu'un  écrivain   soit  dans   la 

misère,  Beaumarchais,  riche  également,  veut  qu'il  vive  de 

plume.  Sinon  il  se  perdra,  et  peut-être  aussi  la  littérature 

I'  I  homme,  dit-il,  que  l'impulsion  d'un  beau  génie  eût 

eler  les  chefs-d'œuvre  dramatiques  de  nos 

,;,"|  qu'il   ne  vivra   pas  trois  mois  du  fruit  des 

prè   en  avoir  perdu  cinq  à  L'attendre, 

l»te,   libelliste,  ou  s'abâtardit   dans  quelque 

lucratif  que  dégradant  ». 

qui,   longtemps,   avaient  souffert   en 

"""""•",   ;i   réclamer  el   à  secouer  le  joug  des 

qu'ils  onl  prise  dans  la  société,  dans 

•I""  dans  les  affaires  de  l'Etat,  les 

née,  el   ils  s'indignent,   lorsqu'ils  ont 

**««   de  se  voir  traiter  comme  des  débutants 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIÉTÉ  il 

sans  importance,  quels  ([lie  soient  leur  nom  et  leur  mérite 
littéraire. 

Tous  se  plaignent  de  l'insolence  des  comédiens,  de  leur 
(Mrange  comptabilité,  de  leur  mépris  des  règlements.  Ils 
s'irritent  aussi  à  la  pensée  qu'un  comité  de  lecture,  composé 
de  personnages  plus  ou  moins  compétents,  et  presque  tou- 
jours partiaux,  juge  souverainement  de  la  valeur  de  leurs 
«ouvres,  qu'ils  destinent  en  dernier  ressort  à  la  gloire  ou 
à  l'oubli. 

Ils  réclament  également  contre  le  monopole  de  la  Comédie, 
et  ils  appellent  de  leurs  vœux  l'établissement  d'une  seconde 
scène  nationale,  qui  s'ouvrirait  aux  ouvrages  du  même 
genre  que  ceux  qui  sont  interprétés  au  Théâtre-Français. 
Car  il-  sentent  bien  que  leur  affranchissement  viendra  de  la 
libre  concurrence.  Sur  ce  point,  d'ailleurs,  ils  ont  l'opinion 
publique  avec  eux.  Le  Théâtre-Français  ne  suflit  plus  à 
représenter  les  chefs-d'œuvre  classiques  pour  lesquels  le 
public  a  toujours  un  goùl  particulier  :  les  spectateurs  se 
plaignent  qu'on  leur  donne  toujours  les  mêmes.  Made- 
moiselle Clairon,  qui  entreprit  de  faire  une  revue  du  réper- 
toire classique,  dut  renoncer  à  cette  entreprise  ('norme. 

D'autre  part,  en  face  de  cette  nécessité  de  remettre  à  1;» 
ne  les  œuvres  anciennes,  les  pièces  modernes  attendaient 
indéfiniment  de  voir  le  jour,  leurs  auteurs  ne  trouvant  pas 
d'autre  débouché.  Gel  encombremenl  laissai!  les  comédiens 
maîtres  de  la  situation  ;  car,  bien  que  les  pièces  reçues 
dussenl  être  jouées  dans  un  ordre  déterminé  par  les  règle- 
ments, ils  ne  se  gênaient  aucunement  pour  intervertir  les 
rangs,  et  donner  un  tour  de  faveur  aux  écrivains  qui 
entraient  en  composition. 

Tout  cela  n'allail  point  sans  des  contestations  fréquentes 
et  des  disputes  violentes,  et  ce  n'étaient  pas  là  de  simples 


Chapitre  preMieb 

faite-divers  de  coulisses,  qui  ne  dépassent  pas  L'enceinte  du 
:,-,..  mais  bien  de  véritables  polémiques,  dont  l'opinion 
s'emparait,  et  qui  défrayaient  les  gazettes;  car  nous  sommes 
au  plus  beau  moment  des  factums  et  des  libelles. 

du   Belloy,  l'auteur  du  Siège  de   Calais,   cette 

itriotique  qui  eut  son  heure  de  gros  succès,  se  prend 

,|,.  querelle  avec  les  comédiens,  à  propos  d'une  reprise  de  sa 

ause  était  des  plus  justes  ;  car  l'autorité,  ordinai- 

vorable  à   la    Comédie,    lui   donna  raison.   Gela 

cha   point   du    Belloy,   au  dire  de  quelques-uns,  de 

mourir  du  chagrin  qu'il  eut  de  v^>  discussions.  Tant  il  est 

vrai   qu'il   en  coûte  toujours  d'entrer  en  guerre  avec  ses 

interprètes,  môme  lorsqu'on  doit  avoir  gain  de  cause. 

En  ITT...  Mercier,  l'auteur  du    Tableau  de  Paris,  qui  ne 

put   faire  jouer  que  quelques-unes  des  nombreuses  pièces 

qu'il  composa,  entre  à  son  tour  eu  conflit  avec  la  troupe 

île  :  les  comédiens  refusaient  de  représenter  un  de  ses 

drames,  qui  pourtant  avait  été  accepté,  et  de  recevoir  une 

relie  pièce  de  lui,  Nathalie.   Quels  étaient  les  torts  <bi 

'  Il  avait  écrit  un  Essai  sur  Vart  dramatique,  ouvrage 

lequel  il  développait,  en  les  exagérant,  les  théories  de 

ni  le  théâtre,  et  où  il  malmenait  quelque  peu  les 

M<  cha  :  dans  un  mémoire  qu'il  lit  paraître  à  la 

luit  incident,  il  demandait  qu'on  le  fit  jouer  d'auto- 

el  «pi  "ii  | il   ses  adversaires  pour  l'avoir  traité  de 

libelli 

Il  ment  une  requête  à  la  Grand'Çhambre,  et 

H'  nrion  de  Panse} ,  rédigea  un  copieux  mémoire, 

quel   il   rappelail    l'affaire  Louvay  de    la  Saussaie. 

itoritéd         utilshommes  de  la  Chambre, 

,    l  ai  e  du   Conseil  du  roi   :    il   taxait 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIKTÉ  40 

d'illégalité  le  règlement  de  1766,  comme  n'ayant  pas  été 
enregistré,  et  déclarait  s'en  tenir  an  règlement  de  1757  (1). 
«  Libelle  affreux,  disent  les  gens  en  place,  attaquant  l'auto- 
«  rite  des  quatre  plus  grands  seigneurs  du  royaume  ». 

Ses  audaces  faillirent  lui  coûter  cher.  Réprimandé  par  le 
lieutenant  do  police,  menacé  d'une  lettre  de  cachet,  il  dut 
faire  appel  à  la  protection  du  Parlement.  Cependant,  d'autres 
mémoires  paraissent  en  sa  faveur,  signés  de  llenrion  de 
Pansey,  de  François  de  Neuf  château.  Malesherbes,  bien 
disposé  pour  les  hommes  de  lettres,  se  charge  de  rapporter 
l'affaire  au  Conseil  du  roi. 

Entre  temps  un  nouveau  grief  était  venu  s'ajouter  à  ceux 
qu'il  avait  déjà  :  il  s'était  vu  refuser  ses  entrées,  à  la  porte 
de  la  Comédie  —  on  voit  combien  les  caprices  des  sociétaires 
se  donnaient  libre  cours  à  l'encontre  des  droits  formels  des 
auteurs.  —  Cela  s'est  fait,  écrit  Mercier,  «  avec  un  éclat  et 
une  indécence  qu'on  a  peine  à  imaginer  ».  L'auteur  lésé 
s'en  prend  aux  gentilshommes  et  les  rend  responsables  de 
cet  aiïront.  Ceux-ci  répondent  qu'ils  n'y  sont  pour  rien,  mais 
que  le  plaignant  est  «  trop  aux  déclamations  contre  les 
comédiens  »  pour  le  reconnaître. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Mercier  saisit  l'occasion  pour  assigner 
le-  sociétaires  au  Châtelet.  11  déploie  en  cette  affaire  une 
ardeur  méritoire,  et  va  jusqu'à  se  faire  recevoir  comme 
avocat,  pour  pouvoir  plaider  sa  cause.  La  Comédie  Be  voit 
en  effel  condamner  ;i  laisser  entrer  l'auteur  et  ;i  lui  payer  des 
dommages-intérêts.  Mais  ce-  efforts  devaient  rester  vains  : 
l'affaire  fut  évoquée  en  Conseil,  connue  connexe  ;<  la 
première.    Le    conseil    se  contenta    de    supprimer     •     son 


l    Mémoire  /><n/r  lr  sieur  Mercier  contre  la  troupe  dei  comédiens  fra 
signé  llenrion  de  Pansey,  1775.  Bibliothèque  de  la  Ville,  Théâtre,  12*304. 

4 


.  IIAPITRE    PREMIER 

libelle     comme  injurieux  (1).  En  désespoir  de  cause,  l'au- 
r  confie  sa  réclamation  à  Beaumarchais,  qui  joint  cette 

plaint.'  an  dossier  de  réclamations  qu'il  est  en  train  de  cons- 

titu.-r  pour  accabler  l*vs  sociétaires. 
\j   B  avril  de  la  même  année,  paraissait  un  mémoire  de 
lissot,  qui  prenait  à  partie  les  comédiens,  pour  avoir  refusé 
ur tisanes.  \  ce  propos,  Cailhava  écrivit  à  Fauteur  vexé 

une  lettre  de  consolation,  dans  laquelle  il  attaquait  la  com- 

pél  omédiens  comme  arbitres  du  goût,  et  réclamait 

un  comité  composé  de  gens  de   lettres.  Peut-être  était-ce 

tomber  de  Char}  bde  en  Scylla. 

I  es  auteurs  étaienl   d'ailleurs  soutenus  dans  cette  lutte 
l'opinion,  qui  sentait  combien  le  monopole  de  la  Comédie 

el  ses  pi  Injustes  servaient  mal  le  progrès  des  lettres. 

En  1768,  paraissait  un  ouvrage  sur  les  Causes  de  la  déca- 

du  goût  mr  le  théâtre,  dans  lequel  l'auteur  attribuait 

la  faiblesse  des  œuvres  à  L'organisation  théâtrale.  Cailhava 

'il  écrit  dans  le  même  sens  ses  Causes  de  la  décadence  du 

1      içais  et  moyens  <!<•  le  faire  refleurir,  augmentées 

d'un  plan  pour  rétablissement  d'un  second  Théâtre-Fran- 

idée  d  une  seconde  scène  nationale  était  dans  tous 

riti   lorsque  vint  la  Révolution.  La  Comédie-Française 

•  pertedeson  répertoire.  Dès  1780,  Beaumarchais, 

prenant,  dit-il,  aucun  intérêl  à  la  foule  <h'*  tréteaux 

remplissent  »,  fait  campagne  pour  un 

;  Prançai       il   se   (latte  d'avoir  converti  à  sa 

•  «  h. il  de  Richelieu  (2). 

l'ion    écrites  par  Mercier,  et  un  Extrait 
du    (eut  Vercier,  1778,  Archives  Nationales, 

-  '!'•  Haure]  ept  1780;  Beaumarchais,  CEuv. 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIETE  51 

Cependant,  malgré  leur  combativité,  maigre  les  encoura- 
gements de  l'opinion,  les  efforts  des  auteurs  risquaient  de 
rester  infructueux. 

Gomment  et  par  qui  obtenir  justice  des  comédiens? 
Allaient-ils  se  plaindre  aux  gentilshommes  de  la  Chambre, 
qui  étaient,  somme  toute,  les  protecteurs  naturels  ei  attitrés 
des  auteurs?  Mais,  s'ils  résistaient  parfois  aux  sollicitations 
des  comédiens,  ceux-ci  cédaient  alors  aux  prières  et  aux 
charmes  des  comédiennes,  toujours  prèles  à  venir  au  secours 
de  leurs  camarades.  Poursuivait-on  devant  les  tribunaux? 
L'affaire  était  évoquée  devant  le  Conseil  du  roi,  qui  ne 
jugeait  pas. 

De  plus,  réclamer,  c'était  se  brouiller  presque  sûremeni 
avec  les  comédiens.  Il  y  avait  là  de  quoi  refroidir  pins  d'un 
courage  ;  car  l'on  risquait  de  n'être  plus  joué,  et  nous  avons 
vu  ce  qu'il  en  coûta  à  Mercier  pour  avoir  parlé  trop  légère- 
ment des  sociétaires. 

Aussi,  de  guerre  lasse,  quelques  auteurs,  ei  des  plus 
connus,  avaient  préféré  cesser  tout  rapport  avec  les  socié- 
taires de  la  Comédie.  Piron,  Cailhava  avaient  abandonné  le 
Théâtre-Français  pour  l'Opéra-Comique.  Lesage  avait  plié 
son  talent  aux  exigences  de  la  Foire,  où  sa  verve  et  sa  fan- 
taisie attiraient  un  public  mélangé  de  grands  seigneurs  el  <l«i 
gens  du  menu  peuple.  Collé,  après  avoir  donné  à  la  Comédie- 
Française  Dupuis  et  Desrouais  et  la  Partir  de  chasse  de 
Henri  IV,  avait  renoncé  à  la  carrière  dramatique. 

Les  sociétaires  avaient  même,  au  dire  de  Beaumarchais, 
une  mort  >ur  la  conscience  :  celle  «le  du  Belloy,  aigri  par 
leurs  mauvais  procédés. 

Heureusement,  les  auteurs  rencontrèrent,  pour  soutenir 
leurs  droits,  un  homme  acquis  aux  causes  généreuses,  aussi 
ardent  polémiste  qu'habile  écrivain.  Certes,  rien  ne  poussait 


.  HAPITRE    PREMIER 

umarchais  à  prendre  en  mains  la  cause  de  ses  confrères. 
\uteur  a  succès,  il  était  très  bien  avec  les  comédiens,  d'au- 
t.mt  qu'il  ne  leur  demandai!  pas  d'argent.  Voudrait-il  s'alié- 
ner des  gens  qui  avaient  dans  leurs  mains  le  Barbier  de 
s  l  qui  il  allait  donner  le  Mariage  de  Figaro? 

Il  avait  en  déjà,  pour  son  propre  compte,  et  pour  le  compte 
du  r<'i.  des  affaires  assez  embrouillées  à  démêler,  et  il  s'était 
t.* 1 1  .1--.'/  d'ennemis,  pour  ne  pas  souhaiter  de  s'en  faire  de 
nouveaux,  en  instruisant  une  cause  des  plus  épineuses.  Il 
il  d'ailleurs  trop  d'esprit  pour  ne  pas  savoir  qu'il  était 
plu  d'avoir  raison  d'un  Parlement  que  d'une  troupe  de 

comédiennes.      C'esl  le  bataillon  de  Catherine  de  Médicis, 
il  son  ami  Gudin,  dispersant  avec  des  caresses  l'armée 
d'Henri  IV  el  troublant  en  riant  la  raison  des  graves  conseil- 
lers d'Etat       I  . 

An    moment    même   où   on    vint   le   prier   de  s'occuper 
des    auteurs,    il    était    encore    engagé    dans  son    intermi- 
ble   pro         ivec    M.    de  la  Blache,   et,  en  même  temps 
qu  il  b  occupait  de  forger  de  nouvelles  armes  juridiques  pour 
les  besoins  de  la  procédure,  il  équipait  secrètement  une  flot- 
tille «|in  devait  5e  porter  au  secours  des  Américains  insurgés. 
Il  •"  •  «pli  pourtant  de  soutenir  les  revendications  des  drama- 
ibat  inégal,  011  toute  3on  expérience  de  la  chicane 
nouer  contre  la  force  d'inertie  de  grands  seigneurs, 

M"1  "  ni  p  la  avoir  d'affaires  avec  messieurs  tes  comé- 

diei 

M»"'*   trois  ans  de   travaux,  de  démarches,  d'intrigues, 

loi  suivre  le  cours  dans  uu  compte  rendu  plein 

1  rve  qu'il  écrivit  sur  cette  affaire  (2),  il  ne 

par  Gudin  de  la  Brenellerie,  1888. 

iteu      dranmtiqui       e  trouve  en  ma- 
lle   Recueil  de  pièce»  relative*  n  Va/faire  det 
nationales,  Maison  du  roi,  0«843B. 


LES    ORIGINES    DE   LA   SOCIÉTÉ  53 

devait  aboutir  qu'à  une  victoire  indécise,  à  un  arrêt  équi- 
voque. Mais  l'effort  n'était  pas  perdu.  Les  auteurs  drama- 
tiques, en  s'unissant  pour  obtenir  justice,  prirent  conscience 
de  leurs  droits  et  de  leur  force.  Quand  vint  la   Révolution, 

ils  savaient  ce  qu'ils  devaient  demander  à  une  législation 
nouvelle  et  comment  ils  devaient  s'organiser  pour  en  tirer 
profit. 


L'affaire  de  Louvay  de  la  Saussaie  n'avait  pas  été  sans 
faire  quelque  bruit,  et  sans  mettre  les  comédiens  en  fâcheuse 
posture.  Les  gentilshommes  de  la  Chambre  voulurent  avoir 
l'air  de  s'intéresser  aux  auteurs.  Le  duc  de  Richelieu  pria 
Beaumarchais  de  préparer  un  nouveau  règlement  qui  fît 
régner  la  paix  dans  le  monde  du  théâtre. 

Ce  n'est  pas  sans  arrière-pensée  qu'il  s'adressait  à  l'auteur 
du  Barbier  'If  Séville.  Il  le  savait  très  lié'  avec  les  artistes  de 
la  Comédie,  et  lui  connaissait  peu  d'amitiés  du  côté  des 
auteurs.  Mais  on  a  beau  prendre  ses  précautions,  on  est  par- 
fois trompé.  Le  dur  «le  Richelieu  avait  tout  prévu,  sauf  que 
Beaumarchais  dût  se  conduire  en  «  honnête  homme  ». 

Beaumarchais,  ayant  pleins  pouvoirs  pour  faire  la  lumière, 
demanda  d'abord  aux  sociétaires  de  lui  communiquer  leurs 
registres  de  comptabilité.  Demande  indiscrète,  et  qui  fut 
fort  mal  accueillie.  Les  sociétaires  lui  laissèrent  clairement 
entendre  que  nul  n'avait  le  droit  de  mettre  le  ne/  dans 
leurs  registres,  qu'ils  avaient  d'excellentes  raisons  pour  tenir 
lecrets. 

Beaumarchais  n'insiste  pas  :  mais  comme  le  Théâtre- 
Français  donnait  à  ce  moment  le  Barbier  de  Séville^  ;»  la 
trente-troisième  représentation  de  sa  pièce,  il  réclame  bod 
compte.  Inquiets,  les  comédiens  lui  dépêchent  un  «le  leur? 


CHAPITRE    PREMIER 

marades,  avec  mission  de  pénétrer  ses  intentions,  et  de 

|uj  offrir  de  l'argent.  Ils  ne  pouvaient  croire  que  Fauteur 

leur  cherchai  une  querelle  de  principe,  et  ne  voulaient  voir 

dans  sa  demande  qu'une   revendication   personnelle.  Mais 

Lumarchais  refuse    l'argent,  tant  qu'on   ne  lui  produira 

s   un  compte  certifié  exact.  Le  sociétaire  est  dès  lors  fixe. 

I    ute   entente    esl    impossible.    «  Je   vois  bien,   dit-il   en 

ni   la   tête,  que  vous  voulez  ouvrir  une  querelle  avec 

>médie 

Lumarchais    proteste    de    ses    bons   sentiments.    Mais 

mur  la  troupe,  pressentie  à  nouveau,  déclare  ne  pouvoir 

fournir  de  compte  exael  que  pour  la   recette  de  la  porte, 

icusanl  de  ne  lui  donner,  suivant  l'usage,  qu'un  simple 

t<  h  des  autres  éléments  de  la  recette,  il  lui  fait  entendre 

que  les  choses  doivenl  changer  :  les  auteurs  ont  assez  des 

rçus,    il-   \ ••ulmi  une  comptabilité  en  règle.  Il  conçoit 

d'ailleurs  que  les  chiffres  fatiguent  des  gens  qui  ne  vivent 

que  pour  l'art,  el   très  obligeamment,  il   s'offre  à  faire  les 

uls  à  leur  pla 

Je  i uis  confirmé,  écrit-il  aux  comédiens,  dans  l'idée 

que  voua  êtes  tous  d'honnêtes  gens  très  disposés  à  rendre 

j"-  ix  auteurs,  mais  qu'il  en  est  de  vous  comme  de  tous 

hommes  plus  versés  dans  les  arts  agréables  qu'exercés 

exactes,  el  qui  se  font  <\vs  fantômes  et  des 

d'objets  de  calcul  que  le  moindre  méthodiste  résout 

difficulté 

rendait  parfaitement  compte  d'ailleurs  que   parler 

larer  la  guerre  à  la  Comédie. 

I*   troupe  émui  semble,   s'entoure   de   ses 

avocate,  et,  après  délibération,  décide... 

"■"•  démarche  auprès  du  due  de  Duras.  Celait 

tilhomme  de  la  Chambre,  à  ce  titre  Lien  disposé  pour 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIÉTÉ  55 

les  comédiens  et  pour  les  comédiennes  :  mais  il  était  au  — i 
académicien,  tout  désigné  en  cette  qualité  pour  soutenir 
les  écrivains.  Il  s'en  souvint  :  quelques  minutes  de  conver- 
sation avec  l'avocat  des  auteurs  dramatiques  le  pénétrèrent 
du  bien-fondé  de  ses  revendications  :  il  promit  bonne  et 
prompte  justice,  et  lui  proposa  d'abandonner  sa  querelle 
particulière,  dont  l'auteur  songeait  à  saisir  les  tribunaux, 
pour  préparer  un  règlement  nouveau  qui  supprimât  dans 
l'avenir  toutes  les  difficultés. 

Beaumarchais  accepte  d'être  le  porte-paroles  des  auteurs, 
mais  il  veut  au  moins  les  consulter.  Aussi  invite-t-il  tous 
ceux  de  ses  confrères  qui  ont  été  joués  au  Théâtre-Français 
à  venir  «  prendre  la  soupe  »  chez  lui  pour  discuter  de  leurs 
intérêts  communs. 

C'était  le  premier  appel  fait  à  la  solidarité  qui  doit  unir 
les  écrivains.  Cette  solidarité  ne  s'étend  pas  encore  à  tous 
les  auteurs,  mais  seulement  à  ceux  qui  ont  des  pièces  dans 
un  des  théâtres  existants,  le  plus  important,  il  est  vrai. 

Beaumarchais  fait  connaître  à  tous  l'objet  de  l'entreprise  : 
il  s'agit  d'obtenir  des  comédiens  un  traitement  meilleur  et 
d'arracher  Les  auteurs  à  la  misère.  Il  prévoit  d'ailleurs  que 
l'on  ne  manquera  pas  de  reprocher  aux  écrivains  d'être  trop 
intéressés,  de  trop  rechercher  l'argent,  et  il  répond  d'avance 
à  l'objection. 

«  On  dit  au  foyer  des  Théâtres,  écrit-il,  qu'il  n'est  pas 
noble  aux  auteurs  de  plaider  pour  le  vil  intérêt,  eux  qui  se 
piquent  de  prétendre  à  la  gloire.  (U\  a  raison.  La  gloire  est 
attrayante.  Mais  on  oublie  que  pour  en  jouir  seulement  une 
année,  la  nature  nous  condamne  à  dîner  trois  cent  soixante- 
cinq  fois;  et  si  les  guerriers,  les  magistrats,  ne  rougissent 
pas  de  recueillir  le  noble  salaire  de  leur-  services,  pourquoi 
l'amant  «les  Muses,  incessamment  obligé  de  compter  avec 


(  HAPITRE    PREMIER 

-..n   boulanger,    négligerait-il  de   compter  avec   les  comé- 
diens 

I;.  mm  in  hais  eul  pourtant  toutes  les  peines  du  monde  à 

réunir  ses  convives.  Tant  il  est  malaisé  de  faire  entendre  à 

crivains  qu'ils  peuvent  avoir,  en  dépit  des  apparences, 

intérêts  communs. 

Parmi  ses  invités,  s'il  s'en  trouve  d'enthousiastes,  comme 

Chamfort,  il  en  esl  qui  -»i  récusent,   pour  des  questions  de 

jalousie  professionnelle,  par  amour  du  repos,  ou  par  crainte 

impromettre.  Ces!  La  Harpe,  qui  ne  goûtera  pas  de 

»upe   J    Beaumarchais,   s'il   doit   la    partager  avec   un 

certain  Dora!  «pii  a    <lil  du  mal    de  lui.  Collé,  l'auteur  de 

/.//  partie  de   chasse   de  Henri  f]\    eut   été  une  précieuse 

plu-  d'une    lois   il    eut  maille  à  partir  avec  les 

taires.  Mais  il  est  vieux,  il  est  dégoûté  de  tout  et  il  a 

horreur  des  polémiques  : 

De  tous  ces  gens-là 
dit-il, 

J'en  ai  jusque-là. 

On  Fait  appel  .<  Diderot,  nue  grande  ligure,  une  gloire  du 

le  bourgeois.  Mais  le  maître  esl  aux  champs  :  il  suivra 

Ile  de  loin,  en  faisanl  des  vœux  pour  ses  confrères. 

I         '       un  jeune,  esl  plein  de  zèle,  mais  il  esl  à  l'ombre 

"'  quelque  dette  criarde         il  serait  temps  décidément 

que  les  auteurs  fissent  un  peu  d'argent. 

On  nui  pourtant,  on  délibère;  chacuna  son  projet, 

M"  ''  *''  •  ellent.  Cela  ferait  bien  «les  projets;  on  décide 

ommer  des  commissaires  el    l'on  élit  Beaumarchais, 

1  Marmontel  :  ils  rédigeront  un  règlement 

I  ""  di*  utera.  Voilà  ce  petit  parlement  organisé. 

tinrent,  autour  de  la  table  de  Beaumarchais,  ce 
1     !  néraux  des  auteurs  dranja- 


LES   ORIGINES   DE    LA    SOCIÉTÉ  57 

tiques.  On  rédigea  un  procès-verbal  de  cette  séance  mémo- 
rable ;  il  se  terminait  par  cette  déclaration  : 

«  N'entendons  par  la  dénomination  d'auteurs  dramatiques 
ayant  droit  d'avis  et  voix  délibérative  entre  nous,  que  les 
auteurs  qui  ont  une  ou  plusieurs  pièces  représentées  à  la 
Comédie-Française,  et  nous  convenons  de  n'admet  Ire  à 
délibérer  désormais  avec  nous  que  les  auteurs  dramatiques 
qui  seront  dans  le  même  cas  expliqué  ci-dessus  ». 

On  a  voulu  voir  dans  celle  restriction  l'origine  de  la  dis- 
tinction qui  est  faite  actuellement  entre  sociétaires  et  sta- 
giaires de  la  Société  des  auteurs,  distinction  contre  laquelle 
beaucoup  se  sont  élevés.  Les  littérateurs  qui  n'avaient  pas  été 
joués  à  la  Comédie  auraient  été  les  stagiaires  de  l'époque. 

C'est  forcer  un  peu  les  choses.  A  ce  moment  il  n'y  a  pas 
encore  de  Société  des  auteurs,  à  proprement  parler;  il  n'y  a 
que  des  écrivains  ayant  des  intérêts  dans  un  théâtre,  <it  dis- 
cutant les  conditions  que  leur  fait  ce  théâtre  ;  c'est  là,  il  esl 
vrai,  que  sont  joués  presque  tous  les  uni-  de  talent  ;  la  dis- 
cussion prend  de  ce  luit  une  certaine  importance. 

Dès  1791,  au  contraire,  on  admettra  les  auteurs  de  «  diffé- 
rents genres  »  à  délibérer  sur  les  intérêts  communs.  Pour- 
quoi distinguer  entre  l«'v  écrivains,  du  moment  que  les  lois 
révolutionnaires  ont  permis  ;i  tous  lès  théâtres  de  s'adonner 
indifféremment  aux  divers  genres  dramatiques?  Les  compo- 
siteurs seront  les  bienvenus  :  car  de  même  que  nos  poètes 
tragiques  <>nl  donné  des  pièces  chantées,  de  grands  musi- 
ciens ont  orné  d<'  leur  art  1rs  chefs-d'œuvre  de  la  tragédie 

A  côté  des  signatures  de  Ducis,  «le  Marmontel,  de  Chamfort, 
on  relèvera  les  noms  de  Framery,  de  Grétry,  de  Dalayrac    1  . 


1    Rapport  fait  aux  auteurs  dramatiques  sur  le  traitement  prt  l<< 

Comédie  Française  rn   /T'y/,  ri  délibération  prise  "  ce  tujet.  BeaumQrcI 
tjEuv,  compl.y  l'innin  Didot,  p  <'t  SUiv, 


CHAPITRE    PREMIER 

I  .  latte  entre  la  Comédie  et  les  écrivains  coalisés  s'engagea 
d'abord  au  moyen  1 1  *  *  Factums,  sous  forme  de  polémique 
presque  littéraire.  Les  écrivains  prirent  les  devants,  en  pu- 
bliani  un  cahier  de  réclamations  qui  ne  nous  est  pas  par- 
renu.  Il-  demandaient,  pour  compenser  la  recette  des  petites 

5,  dont  ils  ne  profitaient  pas,  à  toucher  21  louis  par 
soirée,  jusqu'à  la  chute  dans  les  règles  :  à  ce  moment,  ils 
auraient  encore  touché,  leur  vie  durant,  252  livres  pour 
toute  représentation  donnée  de  leur  ouvrage.  Ainsi  ils  vou- 

[  déjà  faire  reconnaître  le  principe  de  la  propriété  litté- 

raire.  Là  ne  s'arrêtaient  pas  leurs  revendications  :  la  concur- 

<|iii  leur  est  faite  par  les  chefs-d'œuvre  classiques  leur 

:t  préjudiciable  ;•  leurs  intérêts;  aussi  expriment-ils  le 
désir  de  voir  reprendre  de  préférence  les  ouvrages  d'auteurs 
rivants,  sur  lesquels  ils  continueraient  à  toucher  des  droits. 
Il-  demandent  qu'on  crée  un  poste  de  commissaire  de  la 
littérature,  ce  f itionnaire  devant  intervenir  dans  les  diffé- 
rends entre  littérateurs  et  comédiens  :  c'était  une  attaque 
directe  contre  l'autorité  des  gentilshommes  de  la  Chambre. 
1  ••  personnage  nouveau  aurait  été  juge  en  dernier  ressort  de 

tleur  des  pièces  présentées        cela  prouve  à  quel  point 

►mité  'I'-  lecture  était  suspect  et  décrié.  Même  ils  pré- 
tendaient réformer  l'administration  intérieure  de  la  Comé- 
ila  voulaient  faire  asseoir  le  parterre,  rejeter  l'élément 

'"M  dans  l'amphithéâtre,  ••(  mettre  le  paradis  à  trois 
lh  i. 

Le    programme    était    chargé;    il   est   probable   que   les 

•'"•ni  demandé  le  |>lu<  que  pour  avoir  quelque 

'•    comédiens  ne  pouvaient  laisser  passer  sans  protester 

►ni  mAlées  de  suspicion  :  un  sieur  Dellecœur, 

"'    l"1"    interprète,   entreprend    une   réfutation   en 


LES    ORIGINES    DE   LA    SOCIÉTÉ  59 

règle,  article  par  article,  de  ces  propositions  condamnable. 
Les  écrivains  s'en  allaient  répétant  que  leur  sort  était  plus 
digne  d'intérêt  que  celui  de  leurs  adversaires.  «  C'est  assez, 
répondent  les  comédiens,  que  leur  état  soit  infâme  »,  sans 
qu'on  leur  enlève  encore  le  profit  pécuniaire  qu'ils  en  peu- 
vent tirer  ;  avec  une  modestie  à  laquelle  ils  n'ont  pas  habitué 
le  public,  ils  exploitent  la  défaveur  qui  s'est  pendant  long- 
temps attachée  à  leur  métier,  pour  continuera  frustrer  les 
écrivains.  Les  sociétaires  paraissent  pourtant  disposés  à 
payer  2\  louis  par  soirée  :  par  contre  la  prétention  des  au- 
teurs  de  toucher,  leur  vie  durant,  2o2  livres  par  représen- 
tation, est  exorbitante;  il  en  est  de  même  de  leur  désir 
d'accaparer  la  scène  de  la  Comédie-Française  au  profit  des 
littérateurs  vivants.  Heureusement  le  public  ne  ratifiera  pas 
ces  vœux  :  il  redemandera  Racine,  Corneille,  Voltaire,  «  et 
remettra  les  auteurs  modernes  à  leur  juste  place  ».  Qu'au- 
raient-ils dit.  si  les  écrivains  avaient  émis  la  prétention, 
comme  ils  feront  plus  laid,  de  toucher  sur  les  représenta- 
tions «le  Corneille  et  de  Racine  ? 

L'autorité  parait  repou<>er  ('gaiement  dans  leur  ensemble 
!♦•>  réclamations  des  écrivains  :  sur  un  point  seulement  elle 
semble  leur  donner  raison  :  il  va  lieu,  pense-t-elle,  «le  faire 
entrer  en  compte,  pour  calculer  les  droits  d'auteur,  la  recette 
des  petite-  luges  (1).  Lue  révision  parait  aussi  s'imposer  au 
sujet  de<  praig  de  toutes  sortes  que  les  sociétaires  onl  pris 
l'habitude  de  faire  supporter  aux  auteurs.  Dans  un  tableau 
destiné  à  être  présenté  aux  membres  du  Conseil  du  roi,  les 
dépenses  de  la  Comédie  son!  réparties  entre  deux  chapitres  : 


l  Voir  Notice,  Réflexions,  Réponse  aux  observations  de  messieurs  les  au- 
teurs sur  le  règlement  r/>/i  stipule  de  leurs  intérêts,  Réflexions  pour  le  due  de 
Duras  sur  le  projet  de  messieurs  les  auteurs,  archives  Nationales,  Maison  du 
Roi,  0*84 


CH  \1MTIIK    PREMIER 

|t.  premier,  coniprenanl  le  droit  des  pauvres,  les  droits  d'au- 
l,.,,,.  |es  salaires  des  soldats  assistants,  les  cachets  des 
artistes,  leurs  étrennes,  leurs  frais  de  voilures,  leurs  jetons 
d'assemblée,  ae  doil  plus  être  h  leur  charge  ;  le  second  seul, 
raprenanl   les  frais   nécessités    pour  la  pièce,   estimés  à 

livres  environ,  doil  leur  être  porté  en  compte  (1). 
Après  ces  préliminaires,    la  discussion  commence.    Elle 
devait   durer  trois  ans.  Les  comédiens  ont  pris  le  parti  le 
pli;       _     quand  on  a  tori  :  se  taire,  et  intriguer. 

I;.  lumarchais  les   lient  en  haleine  par  ses  mémoires,  ses 
culs  impito)  ablemenl  exacts. 

I   autorité,  très  ennuyée  de  ces  discussions,  ne  sait  à  qui 

entendre,  «•!  voudrait  étouffer  l'affaire.    C'est  d'ailleurs  le 

programme  du    régime    :    reculer    toujours...    pour  mieux 

iter.  Il  esl  probable  que  l'affaire  sera  fort  longue,  avoue 

un  jour   très    simplement  le  duc   de   Richelieu,  car   depuis 

bien  des  années  il  n'en  a  vu  Unir  aucune  de  ce  genre.  Leduc 

1         renvoie  Beaumarchais  au  duc  de  Richelieu,  qui  lui 

•  lit  que  l'affaire  esl  'le  la  compétence  du  duc  de  Duras. 

I  •      umédiens  marchent  très  unis,  secondés  par  un  habile 

il    il*  ne  négligent  aucune  influence  auprès  des  grands. 

Il  n  '-n  est   pas   de   même    des   auteurs.   Dès  les    premières 

-    digne.  La  majorité  veut  des  commissaires 

quelques-uns  >'\   opposent,  craignant  (ju'ils 

tenl  le  crédit  que  leur  donnera  celle  situation,  el, 

e  range  point  à  leur  avis,  ils  menacent  de  se 

H    lumarchais   avoue  que  l'union   est  assez  factice. 

dit  il,  la  division  des  principes,  et 

rétentions,  quels  sourds  mécontentements 


rate  de  la   Comédie-Française  pour  servir 
I  -'■    i  -     U  '"    les  auteu)  %  pour  leur  >"■'/ 
In  bfve    Nationales,  ibid 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIÉTÉ  6i 

et  quels  intérêts  cachés,  ne  font  plus,  d'une  compagnie  de 
gens  sensés,  qu'un  corps  désuni,  plein  d'animosités,  de 
reproches  et  d'aigreur  (1)  ».  Dans  l'association,  il  y  a  déjà 
des  dissidents.  En  attendant  que  leur  démêlé  soit  régi»',  les 
auteurs  ont  cou  venu  de  ne  plus  porter  de  manuscrits  au 
Théâtre-Français  :  c'est  la  mise  en  interdil  telle  <jue  la  pra- 
tique actuellement  la  Société  des  auteurs.  Mais  il  y  a,  comme 
aujourd'hui,  des  écrivains  piv>>r>  d'être  joués;  les  comédiens 
n'ont  pas  de  peine  à  les  débaucher. 

«  Us  avaient  reçu  el  joué,  dit  M.  de  Loménie  '2  ,  une 
très  mauvaise  tragédie,  «  Nadir  »,  par  Dubuîsson,  à  la  condi- 
tion qu'il  se  prononcerait  contre  ses  confrères.  Ce  Duhuisson 
avait  publié  sa  pièce  avec  une  préface  très  injurieuse  pour  la 
Société  des  auteurs  ;  et,  ce  qui  était  plus  grave,  Suard,  alors 
censeur,  s'était  en  quelque  sorte  associé  à  l'attaque  de 
Uubuisson  en  approuvant  sa  pièce  ».  De  là,  grande  rumeur 
dans  le  petit  monde  des  hommes  de  théâtre.  Les  lettres 
pieu  vent  chez  Beaumarchais.  La  Harpe  demande  qu'on 
délibère  sur  les  moyens  de  Paire  justice  de  l'incroyable  pré- 
face, de  l'incroyable  tragédie  de  Nadir,  el  de  la  malhonnêteté 
du  censeur.  Sedaine et Marmontel  ne  sont  pas  moins  furieux. 
Gudin,  dans  -a  colère,  traite  Dubuisson  de  <<  Caraïbe  »,  et 
Suard  d1  -  ennemi  des  lettres  ».  Il  faul  avouer  que  le  liait 
étail  noir.  Le  mécontentement  des  commissaires  est  d  autant 
plus  légitime  que,  à  ce  moment,  des  vingt-trois  écrivains 
qui  avaient  dîné  en  excellente  confraternité,  il  n'en  restait 
plus  q  ne  dix-sept.  Les  plus  ardents  en  paroles  ne  -mil  pas  les 
plus  actifs.  Marmontel  est  plein  de  zèle  lorsqu'il  écrit.  Son 
indignation  est  extrême,  quand  il  apprend  que  le  ministn 


l    Lettre  i  Rochon  >\<-  Chabannes,  de  Loménie,  Beaumarcha  t  et  ton 
chap.  M \. 

■i   <  tavrage  cité. 


CHAPITRE    PREMIER 

donné  qu'on   fil    le  silence  sur   l'affaire   Dubuisson  ;    il 
enflamme  l«4  courage  de  ses  amis  : 

C'est  le  moment  de   montrer  de  la  vigueur,  écrit-il  à 
Lumarchais,    faites    un    bon  mémoire...  Je  recommande 
ootre  honneur  à  votre  énergie  e1  à  voire  activité;  voyez  les 
minisl     s,    et  dites-leur  qu'une  assemblée  de  dix-sept  per- 
ces qui  oni  de  l'âme  ne  se  laissent  pas  livrer  au  mépris 
i  finsulte  impunément  ». 
st,  avanl  la  lettre,  la  réponse  de  Mirabeau  au  marquis 
de  Dreui  :  a-t-on  besoin  de  Marmon tel  ?  il  s'évanouit, 

tumarchais  travaille  :  il  fait  des  comptes,  compulse  des 
s,  forge  des  arguments,  se  complaît  dans  la  dialec- 
tique  :  les  autres  commissaires  le  regardent  faire,  à  part 
S  h  in.  ijiii  semble  surtout  avoir  pris  à  tâche  de  ne  rien  lui 
laisser  ignorer  des  méchants  bruits  qui  circulent  à  son 
-h  i  lui.  Beaumarchais  apprendra  qu'il  est  suspect 

nifi    que,  l'affaire  traînant  en  longueur,  on  l'accuse 
'■M  passé   à   l'ennemi.   Bientôt   on  l'obligera   à  rendre 
mpte  par  écrit  <l<'  sa  conduite  :  il  ne  peut  que  rétléchir  h 
-  émentqu'on  trouvée  obliger  les  autres.  A-t-il  un  geste 
d  impatience,  un  mouvement  <!<•  mauvaise  humeur?  Saurin 
nlbnd  en  excuses  :  il  ne  l'a  prévenu  que  par  obligeance. 
pendant,  il  avait  fini  par  avoir  communication  des  livres 
mutabilité  de  la  Comédie,  non  par  les  sociétaires,  mais 
'    I  intendant  des   menus.    Il  put  alors  s'apercevoir  que 
ritiques  qu'on   Faisait  à  leurs  comptes  étaient 
D  nia  la  conférence  qu'il  eut  avec  Gerbier,  l'avocat 
lie,   il   rejeta  tour  à   tour  tous  les  articles  de 
d'administration    intérieure    que   les    sociétaires 
•  f  de  payer  les  auteurs. 
"  r°ulul  >rcer  les  comédiens  a  ne  déduire  !<■  quart 

lue  d  après  l'abonnement  pas.,',  avec  les  hôpi- 


LES  ORIGINES  DE  LA.  SOCIETE  63 

taux  et  non  au  taux  nominal,  les  menaçant,  s'ils  ne  cédaienl 
pas,  de  se  rendre  fermier  des  pauvres. 

Il  y  eut  conférences  sur  conférences  :  on  désespérait 
d'aboutir;  enfin  les  parties  en  cause  convinrent  de  fahv 
entrer  désormais  en  compte  tous  les  éléments  de  la  recette 
et  de  limiter  les  frais  journaliers,  prélevés  avant  la  part 
des  auteurs,  à  600  livres  (1). 

I  >n  signe  la  convention.  Les  gentilshommes  sont  informés 
de  l'entente  ;  le  17  mars  parait  un  arrêt,  très  éloigné  du 
It-xte  convenu,  et  notoirement  contraire  aux  intérêts  des 
écrivains.  Les  comédiens,  sans  nulle  fausse  honte,  avaient 
porté  aux  gentilshommes  de  la  Chambre  un  projet  falsiti»'1 
qu'Àmelot,  ministre  de  la  maison  du  roi,  avait  signé  de 
confiance. 

Vive  émotion  dans  le  camp  des  auteurs  :  on  accuse  Beau- 
marchais d'avoir  passé  à  l'ennemi.  Sans  s'émouvoir  de  ces 
reproches,  celui-ci  sollicite  à  nouveau.  11  obtient  que  l'arrêt 
soit  suspendu.  Nouvelles  conférences  contradictoires,  nouvel 
accord  ;  un  second  arrêt  est  rendu  en  conseil  du  roi,  accom- 
pagné d'un  nouveau  règlement  (2). 

Cette  fois,  c'est  aux  sociétaires  de  se  dire  joués,  et  il  ne 
semble  pas,  quoi  qu'en  ait  dit  Beaumarchais,  qu'ils  aient  eu 
lorl  de  se  plaindre. 

La  troupe,  réunie  en  séance  plénière,  assistée  de  ses 
conseils,  proteste  qu'il  n'est  jamais  intervenu  d'accord  entre 
elle  el  le>  auteurs,  sinon  sur  la  fixation  des  frais.  Elle  esi 
surtout  irritée  de  La  défense  qui  esi  faite  aux  écrivains  par 
l'arrêl  de  traiter  à  forfait,  ou  de  faire  cadeau  de  leurs  pièces 


1  Voir  le  texte  de  cel  accord  s  la  Bibliothèque  Nationale,  Dépol  des 
manuscrits  Recueil  <lc  pièces  relatives  â  L'affaire  des  auteurs  dramatiques, 
n    23  . 

(2)  Arn'-i  du  Conseil  du  roi  du  12  mai  1780.   En  manuscrit  aux    Irchites 

Nationales,  Maison  du  roi,  0'  844. 


CHAPITRE   PREMIER 

es.  Il  est  assez  plaisanl  d'entendre  les  comé- 
diens répéter  que  cette  interdiction  —  inscrite  aujourd'hui 
dans  les  statuts  de  la  Société  des  auteurs  —  est  un  attentat 
i  liberté,  une  violation  du  droil  de  propriété  des  écrivains 
aussi  bien  que  des  comédiens  (  I). 

Une    troisième    fois,    on    reprend    la    discussion.    Mais 

rbier,  qui  prépare  un  autre  règlement,  ne  veut  plus  voir 

I;   Lumarchais  :    il   s'entendra  avec    Saurin   et  Marmontel. 

turaarchais  -•'    contente    de   faire  signifier  à  la  troupe 

l'arrêt  rendu  sur  ses  instances. 

Bientôt   un    nouveau    projel   es!    présenté    à    Àmelot.    Le 

ministre,  <|ui  a  déjà  signé  deux  arrêts  dont  les  parties  n'ont 

pas  voulu   entendre   parler,  r>l   perplexe  ;   «   dans  l'état  de 

fermentation  <»ù  sont   actuellement  les  parties  »,   il  ne  veut 

plu-  rien  signer  sans  faire  un  rapport  au  Conseil  (2). 

I     lin.  un  arrêt   définitif   est    rendu   en    Conseil  du   roi. 

pagné  d'un  règlement  (3).  L'autorité  met  les  plaideurs 

rd  <'ii  ie-  donnant  tout  à  fait  raison  ni  aux  uns  ni  aux 

.-•il!  r 

ii'l  du  conseil  du   9  décembre  17N0  est  une  ente  mal 

les  écrivains  oui  gain   de  cause  pour  le  taux  des 

droits  :  ils  auront  le  septième  de  la  recette  —  c'est  plus  qu'ils 

demandaient        après  déduction  de  l'impôt  des  pauvres 

frais  journaliers  estimés  à  G00  livres  :  Ions  les  éléments 

de  '  tte  entrent  en  compte. 

Mais   les  pièces    tomberont   dans   les  règles,    non  plus  à 
I  800  livres,  mais  à  2,300  et  1,800.  Le  droil  d'au- 
•  pin-  éphémère  encore,  et  risque  de  ne  pas  dépasser 
quelque 

le  i  juin  1 780    trchivei   Nationale»,  ibid, 
duc  de  Dui  !  juillel  17no,  Archives  Nationale», 


>i  'In  9  décembre  1780,  Archives  Nationales,  ibid. 


LES   ORIGINES   DE   LA   SOCIÉTÉ  f,o 


Tel  fut  le  résultat  des  libelles  échangés,  des  intrigues  our- 
dies, des  calomnies  répandues  à  profusion  pendant  trois  ans, 
des  passions  et  des  intérêts  mis  en  jeu. 

Le  règlement  ne  satisfaisait  personne  :  on  a  dit  qu'il  ne 
lui  pas  appliqué  (1);  rien  n'autorise  celte  hypothèse,  que 
Beaumarchais  contredit  (2). 

Ce  qui  est  vrai,  c'est  qu'il  ne  fut  pas  plus  respecté  que  les 
nulles  par  les  comédiens.  En  17!>0,  Fenouillot  de  Palbaire, 
l'auteur  de  VHonnéte  criminel,  proteste  qu'on  joue  sa 
pièce,  à  s. m  corps  défendant  :  précipité,  malgré  lui,  dans 
les  règles,  il  réclame  à  la  Comédie  927  livres,  3  sous, 
8  deniers,  et  se  venge  par  un  libelle  (3). 

Les  auteurs,  qui,  pendant   la   lutte,    avaient  presque  mis 
la   Comédie  en  interdit,  prirent  L'habitude  de  porter  leurs 
pièces  ailleurs,  au  Théâtre  de  Versailles,  ou  à  la  Comédie- 
Italienne  :  ainsi  tirent  Ducis,  Sauvigny,  Mercier,  d'Arnaud. 
Cailhava  devint  un  collaborateur  assidu  du  Théâtre-Italien. 
D'autres  allaient   aux   forains.  Les  comédiens  du  Théâtre- 
Français  protestèrent  contre  cet  abandon.  En  1789,  Cailhava 
voulu!  chercher  fortune  au  théâtre  du  Palais-Royal  :  il  porta 
a  ce  théâtre  des  pièces  dont  la  Comédie  avail  interrompu  la 
carrière,  comme  à  plaisir.  On  vil  les  sociétaires  assemblés 
poursuivre  le  fugitif  el   mettre  opposition  aux  représenta- 
tions. Cailhava  se  vengea    par  un  libelle  où    il    prenait  à 
partie    l«'   comité   de    lecture     I  .    La    Comédie,    délaissi 
reprit   d'autorité  les   Noces  houzardes,  que   Dorvignj   avait 
portées  aux  Variétés  Amusantes. 

I    De  Loménie,  Beaumarchais  et  son  temps,  chapitre  XIX. 

■i  Beaumarchais.  Rapport  fail  aux  auteurs  dramatiques  en  1791,  en  manus- 
ci  il  à  l.i  Bibliothèque  Nal  tonale.  \ .  I •'..  8, 1,9 

:;    Mémoire  de  l'auteui  de  ■■  l'Honnête  criminel    .  tuivi  de  la  déli  du 

1        i    det    \uteurs  dramatiques.  Bibliothèque  de  la  Ville,  Théâtre 

i    Mémoire  pour  Jean- François  Calhava,  Bibliothèque  de  la  Ville,  Théèt 
12,304. 


CHAPITRE    PREMIER 

\  cette  époque,  le  monopole  de  la  Comédie  est  battu  en 
,,  .  De  toutes  parts,  àpartirde  1700,  on  voit  surgir  dans 
es  nouvelles,  en  dehors  de  l'ancienne  enceinte 
des  boulevards;  elles  bénéficient  de  la  curiosité  du  public,  de 
ssitude  de    l'administration,   à  bout  de  sévérités  et  de 
tss<  ries,  et  font  à  la  Comédie-Française,  aux  Italiens,  et 
i  rOpéra,  une  concurrence  autrement  dangereuse  que  celle 
n!  les  théâtres  de  Nicolet  et  d'Audinot,  le 
tre  des  Associés,  ei  surtout  les  Variétés-Amusantes,  qui 
ndireni  tenir  la  place  de  ce  second  Théâtre-Français  que 
mail  l'opinion.  Prétention  peu  justifiée  :  car  s'il  est  un 
reproche  <jni    paraîl  fondé,  parmi  les  accusations  dont  les 
troupes  privilégiées  poursuivenl  ces  scènes  libres,  c'est  bien 
celui  d'avoir  recherché  les  applaudissements  aux  dépens  des 
renances  et  du    l»<>u    goût.    Les    écrivains  qui  approvi- 
sionne^ ces  salles  ne  se  foni  pas  faute  de  piller  les  œuvres 
maîtres,  en  leur  donnantun  tour  licencieux.  Cependant 
médie-Française  en  souffre  :  le  peuple  s'empresse  à  ces 
enchanté  de  s'y  divertir  à  bon  compte.  Leïhéalre- 
1  \\  désert  quand  on  jonc  Molière,  Corneille,  Racine. 

ublic  court  ;'•  Gilles  !<•  Ravisseur  ou  à  Maître  Antoine  (1). 
>médiens    français,    nuis    aux    Italiens,    farouches 
urs  d Un    privilège  qu'ils  ont  été  admis   à  partager, 
d'appeler     l'attention     des    pouvoirs    publies 
s,,r  l«*   entreprises  de  ces   intrus.    L<>s    nouveaux  théâtres 
"",  ""-  parler  et   à    chanter  »  malgré  la  défense 

T"  leur  "n  lui  faite  :  et  ils  continuent,  en  dépit  des  con- 
qui    les    frappent.    Les   sociétaires   dénoncent 
'I'"  di  de  30  acteurs,    de   20    instruments    à 

''"   :  in  eurs,  ei  d'un  répertoire  de  250  pièces; 

•i  Italienne  au  roi  contre  les  nouveau* 
i  du  roi,  m  - . 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIETE  fi7 

Audinot,  qui  n'a  d'abord  annoncé  que  des  marionnettes  en 
bois,  et  qui  fait  manœuvrer  des  acteurs  en  chair  et  en  os  : 
les  Variétés-Amusantes,  qui  jouent  de  véritables  comédies,  et 
démarquent  le  répertoire  de  la  Comédie-Française.  Ne 
parle-t-on  pas  d'un  théâtre  qui  va  s'ouvrir  par  voie  fit- 
souscription,  où  on  ne  jouera  qu'à  partir  de  dix  heures  du 
soir?  Un  théâtre  nocturne  !  c'esi  un   péril  pour  l'Etat. 

Quels  sont  les  résultats  de  cette  liberté?  On  arrache  les 
artisans  à  leur  travail,  on  enlève  les  pères  de  famille  aux 
soins  de  leur  maison,  on  détourne  les  jeunes  gens  pour  l'- 
embaucher dans  les  troupes.  On  offre  au  peuple,  qui  ne 
doii  voir  que  les  parades  et  les  farces,  des  spectacles  de 
comédie  qui  sont  le  privilège  de  la  bourgeoisie  (1). 

Raisonnements  singuliers,  auxquels  les  ministres,  excédés, 
répondent  que  le  système  de  Louis  XIV  et  de  Colberl  a  fail 
son  temps,  et  qu'aujourd'hui  il  faut  de  véritables  spectacles 
pour  le  peuple. 

Jusqu'en  1788,  les  comédiens  français,  conjointement  avec 
les  comédiens  italiens,  n'en  exerceront  pn>  moins  sur  les 
petits  théâtres  un  véritable  droit  de  censure,  que  l'autorité  a 
eu  la  faiblesse  de  leur  accorder.  Ils  en  tire  ni  L'usage  le  plus 
déplorable.  Eux  qui  se  plaignaient  du  mauvais  ton  qui 
régnait  dans  les  spectacles  du  boulevard,  ils  prirent  à  tâche 
de  ne  laisser  passer,  d.ms  le>  œuvres  qu'ils  examinaient,  que 
l«'-  inepties  ou  les  grossièretés,  retranchant  de  préférence 
les  passages  d'une  certaine  tenue  littéraire,  qui  leur  parais 
saient  constituer  une  atteinte  directe  à  leur  monopole.  Leur 
censure  ne  s'arrêtait  <|ue  devant  la  porte  des  Variétés-Amu- 
santes,  qui  ont  d'ailleurs  obtenu  La  faculté  de  jouer  toutes 
les  pièces,  sauf  celles  en  quatre  ou  cinq  actes. 


(1)  Mémoire  précité.  Voir  diverses  autn  mations  dam  le  au  me  goùl 

aux  Archives  Nationales,  ibid, 


(  HAl'ITRE    PREMIER 

«  ela  n<%  suffisait  pourtant  pas  aux  troupes  privilégiées. 
On  les  rit  réclamer,  sans  que  personne  ait  d'ailleurs  songé 

~  .11  étonner,  que  les  nouveaux  théâtres  ne  pussent  mettre 
-m  leurs  affiches  que  le  mot  «  pièce  »,  et  non  le  mot 
omédie  :  qu'ils  ne  pussent  y  mentionner  non  plus  les 
noms  des  interprètes  et  le  nombre  des  représentations  déjà 
données;  que  l'on  ne  récitât  sur  ces  scènes  d'autres  vers  que 
des  vers  burlesques;  que  le  Théâtre  du  Palais-Royal  restât 

Bive<  la  seule  permission  d'avoir  des  marionnettes  de  la 
seule  grandeur  désignée  lors  de  son  établissement  »  (1).  Ils 
demanderont  aussi  que  les  théâtres  nouveaux  soient  tenus 
«h-  prendre  les  sujets  «le  leurs  pièces  dans  les  milieux  bour- 
is,  sans  y  pouvoir  introduire  les  personnages  des  pre- 
mières  classes  de  la  société  (2). 


ec  la  Révolution,  tout  allait  être  remis  en  question  :  le 
monopole  de  ht  Comédie-Française,  le  maintien  de  la  cen- 

i la  liberté  «les  théâtres,  autan!  de  problèmes,  très  dis- 

i  utéa  dans  lr  public,  que  !<•  législateur  allait  devoir  résoudre. 
I''  -  polémiques     -  d'un  ton  d'ailleurs  plus  courtois  —  s'en- 
"i  h  ce   sujet  <'l   entre  !<■>  deux  camps  adverses  des 
comédiens.  L<is  factums,  les  pétitions  se  mul- 
tiplient :  chacun  dit  son  mot  dans  L'affaire. 


u\  in  cause  pendante,  devant  lu  Grand"  Chambr% 

français,   >■/  h-  sieur  \i<-<>lct  ri  1rs  autres 

in  uirei  Nationales,  ibid. 

•■'  bizarre  nous  paraît  d'un  archaïsme  ridicule.  Sommes- 

i    n     i  p  u  bien  longtemps,  un  des  artistes  les 

die  (!'•  !•  lus  .m  il  pas  de  jouer  une  pièce  qui  devait 

ls  m. ,  p  ,,-,.,.  ((l|||  tenait  l<-  pei 

'   un    i  tblier  de  cuir  mu-  les  genoux  <-i  un 

plus  déplacé*  -   pour  un   sociétaire  de  La 

'"•  i".u  i    mu  à  un   .util.'  du  Théâtre- 


LES    ORIGINES    DE   LA    SOCIÉTÉ  69 

Dès  le  27  mars  1790,  les  commissaires  de  la  commune  de 
Paris  réclament  dans  leur  «  Rapport  sur  les  spectacle  <  La 
création  d'un  second  Théâtre-Français.  Les  comédiens 
croient  devoir  protester  contre  ces  conclusions  :  ils  repous- 
sent les  calomnies  qu'on  répand  sur  leur  compte,  depuis 
que  le  mémoire  de  Beaumarchais  a  circulé  dans  le  public. 
Les  auteurs  notamment  se  plaignent  du  règlement  de  1780  : 
mais  ils  n'en  sont  pas  plus  contents  qu'eux    1  . 

De  fait  il  semhle  que  ce  texte,  arrêté  après  des  discussions 
lahorieuses,  ait  mécontenté  tout  le  monde. 

Le  24  août,  La  Harpe,  qui  se  multiplie  pour  ses  confrères, 
est  admis  à  la  barre  de  l'Assemblée  Nationale,  et  donne  lec- 
ture d'une  «  adresse  des  auteurs  dramatiques  »  (2).  11 
s'excuse  d'entretenir  de  questions  littéraires  une  assemblée 
sollicitée  par  d'importantes  préoccupations  politiques.  Mais 
la  cause  des  écrivains  se  confond  avec  celle  de  la  liberté. 
L'exemple  de  Voltaire  est  là  pour  prouver  l'influence  que  le 
théâtre  peut  avoir  sur  la  société.  L'auteur  demande  pour 
les  théâtres  une  liberté  complète,  leur  permettant  de  s'éta- 
blir en  toute  indépendance,  et  de  représenter  indistincte- 
ment les  œuvres  du  passé  aussi  bien  que  les  nouveautés, 
sous  la  seule  surveillance  des  pouvoirs  municipaux. 

Cette  adresse  est  suivie  d'une  Pétition  (3),  lue  également  à 
l'Assemblée,  dont  les  termes  ont  été  arrêtés  par  une  assem- 
blée de  dramaturges  qui  s'esl  tenue  chez  Sedaine  —  c'esl 
lui  qui  maintenant  préside  l'association,  et  offre  l'hospitalité 
aux  belligérants. 


(i)  Observations  pour  h  diens  français  ordinaires  du  Roi  occupant  le 

Théâtre  de  la  Nation,  1790,  Bibliothèque  de  la  ville  de  Paris,  12,6 

■2  Adresse  des  auteurs  dramatiques  à  l'Assemblée  Nationale,  Archivei 
Nationales,  A  I».  VIII,  16,  el  Bibliothèque  de  la  Ville,  Droits  d'auteurs  el  des 
pauvres,  9,861. 

S    Péttt|on  des  auteurs  dramatique*  a  ['Assemblée  Nationale,  ital. 


CHAPITRE   PREMIER 

I  |  Pétition,  qui   n'a  réuni   d'ailleurs  qu'un  petit  nombre 

,1,    sis     tures,  rappelle  les   méfaits  commis  journellement 

>médiens    français,  sous    le  couvert   de   l'autorité 

isante  des  gentilshommes  de  la  Chambre,  l'anarchie 

qui  régnait  dans  la  troupe,  à  la  chute  du  régime. 

Elle   insiste   surtout  sur  la    prétention   formulée  par  les 

étaires  de   rester  maîtres  de   leur  répertoire,   dont  ils 

seraient  véritablement  propriétaires.  Cette  propriété,  répou- 

dent  les  auteurs,  n'est  qu'une  longue  possession  exclusive, 

dée  sur   le   privilège  de  la   troupe.  Ce  privilège  anéanti, 

les  pièces   «In   répertoire   rentrent  dans  la  circulation  com- 

iiiiiii.'.  Sans  doute  les  règlements  disaient  que  les  pièces, 

une    fois    tombées  dans    les    règles,    appartiendraient   aux 

s    Mais  les  règlements  étaient  des  actes  de  l'auto- 

rité,  <ju«'   les   écrivains   n'étaient  pas  admis  à   discuter.  Ils 

les  "ni  -iil»i<.  et  non  acceptés.  N'ayant  pas  traité  librement, 

il-  ne  peuvent  être  considérés,  en  dehors  d'actes  de  cession 

formels,   comme   déchus   de  leur  propriété.  Ces  raisonne- 

tssez   subtils,    étaienl   évidemment  plus  fondés  en 

dté  qu  «-H  droit  strict.  Les  comédiens  pourront  prétendre, 

ma  quelque  apparence  de  raison,  qu'ils  n'ont  pas  à 

-••'   les  actes  de  l'Ancien  Régime,  et  qu'une   loi  ne  peut 

•  mr  sur  des  situations  acquises. 

auteurs  ne  sonl  pas  d'ailleurs   du  même  avis  : 

1    trop    beau.    In    certain    nombre   de   dissidents 

il-   rédigent    une    contre-proposition   qu'ils 

1  omité  de  constitution.  C'est  la  «  Pétition  des 

"  n'ont  pu  signé  celle  de  M. de  La  Harpe  »(l).Aux 

lires  de  l'adres  e  rédigée  par  La  Harpe,  ils 

r»n  """i-  d'écrivains,  moins  illustres,  il  est 

la  Ville  de  Paris,  Droite  d'auteurs  et  des  pauvret. 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIÉTÉ  71 

vrai.  Ils  sont  d'accord  avec  leurs  confrères  pour  reven- 
diquer au  protit  des  écrivains  vivants  un  droit  de  propriété 
littéraire  plus  effectif,  mais  ils  se  montrent  partisans 
résolus  du  monopole  de  la  Comédie  sur  les  œuvres  des 
auteurs  morts:  cela  dans  l'intérêt  même  des  chefs-d'œuvre 
classiques  qui  pourraient  être  exposés,  sur  des  scènes  de 
second  ordre,  à  des  interprétations  médiocres.  Quant  au 
second  Théâtre-Français  qu'on  réclame,  le  Palais-Royal  ne 
suftit-il  pas  à  satisfaire  les  mécontent^  ? 

Les  comédiens  répondent  aux  critiques  dont  on  les 
accable.  Ils  sentent  bien  que  le  changement  de  régime  leur 
commande  la  plus  grande  circonspection;  ils  se  résignent 
à  des  sacrifices  douloureux  :  tout  au  moins  veulent-ils 
conserver,  dans  la  tourmente  révolutionnaire,  quelques- 
unes  de  leurs  anciennes  franchises.  Dans  les  «  Observations 
pour  les  comédiens  français  sur  la  Pétition  des  auteurs 
dramatiques  »,  dues  à  la  plume  de  Mole,  ils  contestent  d'abord 
la  qualité  des  pétitionnaires  (1).  Ceux-ci  disent  représenter 
la  masse  des  auteurs,  et  cette  masse  se  réduit  à  un  petil 
groupe;  ils  font  même  appel,  pour  faire  nombre,  à  des 
écrivains  comme  Framery,  qui  n'ont  jamais  eu  de  pi< 
jouée  au  Théâtre-Français.  —  Non-  avons  vu  que  les 
auteurs  avaient.  Ar<  la  Révolution,  élargi  le- cidre- de  leur 
association. 

Les  sociétaires  ne  demandent  pas  qu'on  restaure  leurs 
privilèges.  Ils  ne  s'opposent  pas  à  la  liberté  du  théâtre, 
bien  que  Louis  XIV  ail  eu  ses  raisons  pour  a'en  point 
vouloir.  On  peut  accorder  aux  écrivains  pour  l'avenir  un 
droit  de  propriété  plus  durable  que  pour  le  passé.  Mais  on 
ne   peul  revenir  sur  i\i'>  contrats  ancien-,  reprendre  ;•  la 


i    1790.  Ce  document  se   trouve  aux    Archives  Nationales,  Droit  d'auteur, 

ibid.,  vi  ..  la  Bibliothèque  de  la  Ville 


CHAPITRE   PREMIER 

troupe  la  disposition  exclusive  d'ouvrages  qu'elle  a  léga- 
lement Acquis  ft  payés.  Ce  sont  là  des  questions  de  propriété 
dont  les  tribunaux  seuls  doivent  connaître.  Privilège,  dira- 
t-on,  mais  rien  n'obligeai  les  écrivains  à  porter  leurs  pièces 
i  la  Comédie-Française  :  les  Italiens  leur  étaient  ouverts, 
s'ils  n'aimaient  mieux  se  Faire  jouer  en  province.  L'argument 
nous  paraît  peu  solide;  mais  n'a-t-on  pas  entendu  de  nos  jouis 
la  Société  des  Auteurs,  au  cours  d'un  procès  récent,  alléguer, 
pour  échapper  à  l'accusation  de  monopole,  que  les  littéra- 
teurs <ini  ne  veulent  pas  se  soumettre  à  ses  lois  sont  libres 
de   s'adresser  aux   scènes  non  classées  ou  aux  théâtres  de 

On  accuse  la  rigueur  des  règlements,   les  hasards  delà 

chute  dans    les    règles.   Mais   Beaumarchais  a   déjà  retiré 

0  livres  du  Mariage  de  Figaro,  qui  n'est  pas  encore 

tombé  dans  les  règles.  Beaucoup  de  pièces  coûtent  au  lieu 

de   rapporter  :  ainsi  le  Souper  Magique,  dont  l'auteur  n'a 

I  lissé  pourtant  de  signer  la  pétition. 

fin   la  Comédie  a  un  million  de  délies  :  son  répertoire 

I  hypothèque  de  ses  créanciers,   on  ne  peut  y  toucher 

3   ébranler   son   crédit.  C'est   l'argument    financier  sur 

lequel  la   troupe  compte    beaucoup  pour  embarrasser  des 

leurs  improvisés.  Les  créanciers  interviennent  d'ail- 

|,MI  inellement   :    ils   vont    porter  leurs  doléances  à 

l'Assemblée  Nationale    1  .  Ce  n'est  pas  l'incident  le  moins 

■   •  de  i  e  plaidoyer pro  domo. 

''•    nombreuse*   brochures  circulent   cependant   dans  le 

'"~  unes  attaquent  les  comédiens,  d'autres  1rs  sou- 

-'     I  "    lea  arguments  pour  ou  contre  la  liberté 

de  la  Comédie  Françaises,  1790,  Biblio- 
Bibliothèque  -k  i ,  y,ii,.  1790,  lu  «  Justification 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIÉTÉ  73 

des  théâtres,  la  propriété  littéraire,  \  sonl  repris  e1  retour- 
nés. Dans  l'un  de  ces  libelles,  signé  cl'  <<  un  amateur  du 
théâtre  »,  le  droit  exclusif  de  la  Comédie  sur  son  répertoire 
est  ardemment  défendu.  L'auteur  invoque  assez  justement 
les  sacrifices  faits  par  la  Comédie  en  décors,  en  costumes,  en 
figuration,  et  jusqu'au  talent  dépensé  par  les  artistes  pour 
mettre  en  valeur  les  pièces  nouvelles  :  les  sociétaires  eus- 
sent-ils déployé  tant  de  zèle,  s'ils  n'avaient  eu  la  pensée  de 
devenir  propriétaires  des  ouvrages?  A  quoi  bon  d'ailleurs 
donner  aux  scènes  libres  un  répertoire  dont  elles  ne  sauront 
que  taire  :  «  Quel  homme,  dit-il,  pourra  se  résoudre  à  aller 
entendre  Iphigénie,  Phèdre,  Britannicus,  aux  théâtres  des 
rieurs  Nicolet  et  Àudinot,  même  à  celui  du  Palais-Royal?  ». 
Les  doléances  de  l'auteur  nous  louchent  moins,  lorsqu'il 
proteste  contre  la  faculté  qu'on  veut  donner  aux  écrivains 
de  traiter  indifféremment  avec  toutes  l<is  scènes.  Ainsi,  dil- 
il.  l'auteur  pourrait  courir  de  théâtre  en  théâtre,  se  vendre 
au  plus  offrant  :  il  pourrait  sans  crime  tirer  d'un  seul 
ouvrage  cinq  ou  six  prolits?  <<  De  celle  permission  naîtraient 
le  découragement,  la  dispersion  des  talents,  la  décadence 
absolue  du  goût,  suivis  de  l'espril  de  parti,  de  cabales  éter- 
aelles,  et  de  la  ruine  inévitable  de  l'une  d<>>  troupes  »  I  . 
Nous  avons  affaire  à  un  ferme  partisan  du  système  de 
Louis  XIV. 

Cette  année-là  paraît  l'ouvrage  de  Framery  sur  l'Organi- 
sation des  Spectacles  de  Paris.  L'auteur  examine  en  détail 
les  prétentions  des  sociétaires  :   il  conclu!  en  demandant, 


des   comédiens  français     .    I2,636a!,  les    «    Réflexions  en  faveur  de   MM.  les 
édiens  français   contre  1rs  prétentions  de  plusieurs  de  MM.  les  nui 
•.'  .   In       Réponse  aux  observations  pour  les  comédiens  f  Droits 

(fauteurs  <i  '/>■*  pauvres,  9,864. 

1    «  Réflexions  dix  tr  In  pétition  des  auteurs  dramatia\ 

12.^8". 


CHAPITRE    PRKM1F.R 

outre    un    second    Théâtre -Français,    une    législation    qui 

orde  aux  écrivains,  leur  vie  durant,  la  propriété  de  leurs 
pie,  ssurée,  à   leur   mort,  à  leurs  héritiers,  jusqu'à  la 

cinquantième  représentation,  puis  à  la  Nation. 

Il  irpe,  qui  se  prodigue  pour  la  bonne  cause,  reprend 
!..  parole,  dans  un  discours  sensationnel  qu'il  prononce  à  la 
-  ciété  des  \mis  de  la  Constitution,  pour  la  liberté  du 
théâtre  1  .  Il  s'excuse  à  nouveau  d'entretenir  son  auditoire 
d'affaires  de  théâtre  :  mais  il  en  parlera  en  citoyen.  Il  hausse 
en  effet  son  Ion  à  la  hauteur  des  événements.  La  victoire 
des  comédiens  serait  «  le  triomphe  de  l'aristocratie  et  du 
despotisme  sur  l'espril  patriotique  et  sur  la  liberté  ».  11 
dénonce  leur  marche  astucieuse  et  oblique  ».  N'a-t-on  pas 
remarqué  dans  le  peuple  un  refroidissement  civique,  lors  des 
Fêtes  de  la  Fédération,  qui  jetèrent  dans  Paris  une  foule  de 
provinciaux.  Pourquoi?  sinon  à  cuise  du  choix  «  insidieux 
••I  perfide  des  pièces  données  à  la  Comédie-Française.  On 
\  joue  .1  tout  instant  des  œuvres  «  dégoûtantes  d'adulation, 
i ■  i  î •  de  servitude  »,  comme  le  Siège  de  Calais,  Gaston  et 

y//'/.  Zelmire.  Que  d'efforts  et  de  démarches  ne  fallut-il 
tire,  avant  d'arracher  aux  sociétaires  la  représentation 
de  Bru  tus  ^  cette  œuvre  vraiment  démocratique? 

!  i  liberté  des  théâtres,  conclut  La  Harpe,  ne  serait  qu'un 

leurre,  si  elle  ne  s'accompagnait  pour  les  comédiens  de  la 

perte  de  leur  répertoire.  Aucune  troupe,  réduite  aux  nou- 

ii''  pourrait   se  soutenir.   Remarque   intéressante  : 

la  solution  inverse  serait  plutôt  admise  aujourd'hui. 

Le  13  janvier  1791,  L<-  Chapelier  présente  son  rapport  à 

I  Assemblée  Nationale  sur  le  projet  de  décret.  Il  est  sur  tous 

ivorable  aux  écrivains.   Les  comédiens,  dans  le 

■■■   té   du  théâtre,  prononcé  par   M.  de  l.<t  Harpe,   lé 
Droit  d  au/ru, .  ibid. 


LES    ORIGINES   DE   LA   SOCIETE  75 

désir  de  conserver  leur  répertoire,  essaient  de  donner  le 
change  à  l'opinion  :  ils  appellent  propriété  ce  qu'ils  dénom- 
maient autrefois  privilège;  leur  prétention  est  extravagante. 
Peut-on  faire  dépendre  une  chose  sacrée,  la  propriété,  des 
manœuvres,  des  fantaisies  qui  déterminaient  la  chute  des 
pièces  dans  les  règles?  A  l'avenir,  d'ailleurs,  les  écrivains 
débattront  librement  avec  les  entrepreneurs  les  questions 
qui  les  intéressent,  sans  que  l'autorité  ait  à  intervenir  dans 
la  discussion.  Le  rapporteur  soutient  la  cause  de  la  liberté 
du  théâtre  :  même  il  estime  qu'il  est  nécessaire  de  réformer 
la  police  des  spectacles  ;  il  ne  veut  plus  voir,  dans  les  salles, 
des  «  satellites  armés  »,  mais  seulement  des  officiers  civils. 

Malgré  quelques  interventions  pour  le  maintien  de  la 
censure,  quelques  protestations  en  faveur  de>  comédiens,  le 
décret  (\^>  13-19  janvier  1791  donne  pleine  satisfaction  aux 
écrivains  sur  toutes  les  questions  en  litige. 

Tout  citoyen  peut  désormais  ouvrir  un  théâtre  el  l'ex- 
ploiter, en  se  conformant  aux  règles  de  police.  Dune,  plus 
de  monopole  au  profit  de  troupes  privilégiées. 

Le  décret  pose  ensuite  le  principe  de  la  propriété  drama- 
tique : 

Art.  3.  —  Les  ouvrages  des  ailleurs  vivants  ne  pourront 
être  représentés  sur  aucun  théâtre  public,  dans  toute 
l'étendue  de  la  France,  sans  le  consentement  formel  et  par 
écrit  des  auteurs,  sous  peine  de  confiscation  du  produit 
total  des  représentations  au  profit  d^>  auteurs. 

Les  écrivains  conserveront  la  propriété  de  leurs  pièces 
pendant  toute  leur  vie:  ce  droit  exclusif  survit  au  profit  de 
leurs  héritiers  pendant  cinq  ans  :  ce  temps  écoulé,  elles 
tombent  dans  le  domaine  public,  et  tout  l<i  monde  peut  les 
représenter  librement.  Donc,  plus  de  monopole  au  profit  de 
certains  théâtres  sur  les  œuvres  du  passé.  Cette  Intention  du 


I  BAPITRE   PREMIER 

gislateur  n'est  pas  moins  formelle,  lors  de  la  discussion 
de  la  loi  des  19  juîllet-6  août,  qui  vient  compléter  les  dispo- 
sitions du  précédenl  décret. 

un  rejette  un   article  ayant   pour  objet  de  tempérer,  en 
Faveur  des  droits  acquis  aux  théâtres  antérieurement  privi- 

_i.-.  les  conséquences  immédiates  du  principe  de  liberté 

solue  d'établissement  dos  théâtres. 

lait  une  victoire  complète  pour  les  auteurs  :  remar- 
quons que  certains  d'entre  eux  en  refuseront  le  bénéfice. 
Colin,  Desfaucherets,  Fabre  d'Eglantine,  Collot  d'Herbois, 
.ni  que  la  Comédie  reste  —  en  bonne  justice  — 
propriétaire  de  son  répertoire,  déclareront  s'en  tenir  au 
profil  <pn'  leur  ont  assuré  les  règlements  (1). 


Du  moment  où  l<i  théâtre  était  libre,  il  n'était  plus  besoin 
que  l'autorité  intervint  pour  fixer,  soil  l'administration  inté- 
rieure  des  salles  de  spectacles,  soil  les  rapports  des  direc- 
tions avec  les  auteurs.  La  réglementation  du  pouvoir  central 
•  it  disparaître  avec  le  monopole. 

Aussi  la  loi  des  19  juillet-6  août  17(.M  porte-t-elle  un  article 
ainsi  conçu  :  La  convention  entre  les  auteurs  et  les  entre- 
preneurs de  spectacles  sera  parfaitement  libre,  et  les  officiers 
municipaux,  ai  aucun  autre  fonctionnaire  ne  pourront  taxer 

diU  --H  j  nj  modérer,  ni  augmenter  les  prix  conve- 
t  *  •  i  - 

'',,,•  indépendance  pouvait  donner  des  résultats  excellents 

1  rivains   :    elle    risquait    fort    de  leur   être   tout 

liciable.   auparavant,  les  règlements,  si  mal 

•  ■     ,-   tacle  de  Lyon  contre  les  çtute\tf$ 

■/    '  .Ile,  12,2 


Les  origines  de  La  société  77 

interprétés  et  si  injustes  qu'ils  fussent,  les  dispensaient  au 
moins  de  discuter  dans  chaque  cas  particulier  avec  les 
directeurs  de  théâtre.  Il  était  à  craindre  que  les  auteurs, 
livrés  à  eux-mêmes,  ne  souscrivissent  aux  conditions  les 
plus  désavantageuses,  de  peur  de  n'être  pas  joués.  Plus  que 
jamais,  il  leur  était  nécessaire  de  se  rapprocher,  de  s'en- 
tendre, pour  n'être  pas  victimes  de  cette  liberté  qu'ils  avaient 
tant  réclamée.  A  quels  déboires  n'eussent-ils  pas  été  exposés, 
si  chacun  d'eux,  isolément,  avait  dû  débattre  les  conditions 
de  ses  traités? 

En  cette  matière,  comme  en  beaucoup  d'autres,  la  liberté 
n'est  rien,  si  l'exercice  n'en  est  garanti  par  l'association. 
Persuadés  des  avantages  qu'ils  retireraient  de  leur  union, 
les  auteurs  convinrent  d'imposer  aux  différentes  scènes  de 
la  capitale  un  taux  de  droits  invariable,  quelle  que  fût 
l'œuvre,  quel  que  fût  l'écrivain  en  cause.  Ainsi  cette  règle 
de  l'égalité  dans  la  rétribution  dont  la  Société  des  Auteurs 
a  fait  son  principe  d'action,  et  qui  n'a  pas  laissé  d'être 
décriée  par  certains  hommes  de  lettres  jaloux  de  leur  indé- 
pendance, fut  la  première  règle  sur  laquelle  s'accordèrent 
les  littérateurs  coalisé'-. 

Ils  exigèrent  alors  le  septième  de  la  recette  pour  cinq  actes, 
le  dixième  pour  trois  actes,  le  quatorzième  pour  un  ou  deux 
actes  :  ce  prélèvement  ne  devait  être  opéré  qu'après  déduc- 
tion des  frais  journaliers,  tant  ordinaires  qu'extraordinaires  : 
mais,  pour  éviter  le  retour  des  anciens  abus.  Ion-  !••-  élé- 
ments en  furent  soigneusement  déterminés. 

Ce  règlement  nouveau  ne  fui  pas  accepté  par  la  Comédie- 
Française   :   il   y  eut   des    pourparlers,  de-    marchanda^ 
Laborieux,   que  Beaumarchais   ;•  résumés   dans    l<*   rapport 
qu'il   lit   sur  cette  discussion,  <■    ;i   la   demande,  dit-il,   des 
auteurs,  fatigués  d'entendre  partout  de-  personnes  induites 


cil  LPITRE   PREMIER 

,.,,  erreur,  leur  dire  qu'ils  traitent  mal  les  comédiens  fran- 
rt  qu'ils  "ut  juré  leur  ruine  (1). 
1  ^   sociétaires    étaient   aigris  par  les   décisions  qui  les 
lien!  privés  de  leur  monopole  :  ils  se  posaient  en  victimes 
de  la   Révolution;  il  est  de  fait  que  la  chute  de  la  Bastille 
lit  eu  pour  premier  résultai  de  faire  baisser  leurs  recettes. 
||v   voulaient   bien   abandonner  le  septième  de   la  recette, 
mais  ils  prétendaient  eu  déduire  préalablement  une  somme 
de  900  livres  à  titre  de  Irais  journaliers,  les  frais  extraor- 
dinaires étant  comptés  en  plus.  Dans  ce  total  figuraient  des 
articles  de  dépense  auxquels  les  auteurs  étaient  tout  à  fait 
étrangers,  tels  que  :  Irais  de  voyage  à  la  Cour,  —  laquelle 
•urne  maintenant  à  Paris,  —  fiacres,  aumônes,  étrennes, 

I  essai,  etc... 
Attitude  d'autant   plu>   incompréhensible,    dit  Beaumar- 
chais, que     ce  constant  refus  de  la  modique  différence  entre 
les  offres    des  auteurs    et  leurs  demandes  leur  a  déjà  coûté 
plus  de  100,000  francs  de   recettes  depuis  six  mois  ».   La 
plupart  des  écrivains  avaient  en  effet  mis  la  Comédie-Fran- 
•   en  interdit  :  toute  entente  étant  devenue  impossible, 
il  qui  lui  portèrent  des  pièces  signèrent  des  trailés  parti- 
rai l'après  un  nouveau  règlement,  qui  fut  élaboré 
ls  troupe  le  18  novembre  1791  (2). 
Pai  contre,  le  Théâtre  de  la  République,  qui  devient  alors 
""•            rivale  de  la  Comédie,  accepta  le  taux  proposé  par 
iation.  Gaillard  et  Dorfeuille,  qui  dirigent  cel  établis- 
-   gèrent  a  ne  prélever  que  700  livres  de  frais  ; 
tinrent  d'ailleurs  <-n  échange  que  les  représentations 


/.''//-/y,//  /mi  nu.,  auieuri  dramatiques  sur  le  traitement 
1  479 1    et  délibération  prise  à  ce  sujet, 

'  Pirmin  Didot,  ]  550  el 

!»•  la  Vil  Rit. 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIÉTÉ  79 

qui  feraient  moins  de  700  livres  de  recette  seraient   mules 

pour  les  auteurs. 

Un  nouveau  traité  est  conclu  avec  ce  même  théâtre  en 
1796,  après  le  discrédit  des  assignats.  Les  droits  d'auteur 
sont  fixés,  suivant  l'étendue  des  pièces,  au  huitième,  au  dou- 
zième on  au  seizième,  après  déduction,  pour  les  frais,  du 
tiers  de  la  recette  totale.  Mais  il  n'y  a  plus  de  soirées  nulles. 

Lorsque  la  Comédie-Française  fut  reconstituée  par 
l'arrêté  d'organisation  de  1799,  l'autorité  lui  imposa  à 
Légard  des  auteurs  le  même  traitement  que  le  Théâtre  de  la 
Répuhlique  avait  dû  accepter  en  1796.  Cela  n'empêcha  pas 
les  autours  de  protester  contre  cette  reconstitution  adminis- 
trative de  la  Comédie-Française.  Le  souvenir  des  privilèges 
de  toutes  sortes  dont  cette  scène  avait  joui,  et  (\<>>  luttes 
qu'ils  avaient  dû  soutenir  contre  elle,  leur  faisait  voir  dans 
cette  restauration  partielle  une  menace  contre  leur  indé- 
pendance. Leur  émotion  se  traduisit  par  une  protestation 
qu'ils  adressèrent  à  ce  sujet  au  ministre,  et  que  Beaumar- 
chais  signa.  Ce  fut  son  dernier  acte  dans  cette  longue  et 
importante  querelle. 


Les  auteurs  dramatiques  avaient  réussi  tani  bien  que  mal 
|  faire  triompher  leurs  droits  sur  les  scènes  de  la  capitale. 
Il  n'en  fut  pas  <le  même  des  scènes  de  province  :  ils  se 
heurtèrent,  dans  les  départements,  ;•  une  résistance  opiniâtre, 
que  tous  les  décrets  du  monde  ne  purenl  vaincre  dès  l'abord. 
Les  directeurs  des  théâtres  des  départements  s'étaient  tou- 
jours trouvés,  en  regard  de  leurs  collègues  de  Paris,  dans 
une  situation  exceptionnelle  el  privilégiée,  au  poini  de  vue 
du  traitement  qu'ils  faisaient  aux  écrivains.  Dans  la  capitale, 


CHAPITRE   PRfeMIEB 

les  droits  d'auteur,  si  limités  qu'ils  fussent,  n'avaient 
jamais  été  ai 

Quoique  l'histoire  théâtrale  de  Paris,  constate  avec  raison 
undocumenl  officiel,  n'offre  qu'une  série  de  brigandages  et 
d'usurpations  sur  les  auteurs,  cependant  l'usage  de  traiter 
n\  (!«•  leurs  pièces,  le  monopole  du  Théâtre-Français, 
les  confiscations  arbitraires  même,  étaient  autant  d'hoin- 
mages  involontaires  rendus  à  la  propriété  <les  ailleurs  (1)  ». 
Hommages  que  le  vice  pend  à  la  vertu,  pourrait-on  dire, 
Une  fois  franchies  l<is  portes  de  la  capitale,  le  droit  d'auteur 
n'existait  plus  dans  le  royaume. 

-  directeurs  de  province,  en  l'absence  d'une  loi  proté- 
_     ni  la    propriété  dramatique,   n'avaient  en   effet   pu   se 

Ire  a    payer  des  droits    aux   écrivains  qu'ils  jouaient. 

Lorsqu'une  pièce  quittai!  l'affiche  à  Paris,  elle  était  perdue 
pour  Fauteur.  A.ussi  retardait-on  le  plus  possible  l'impres- 
sion des  o  n\  res  dramatiques. 

Cel  ait  d'ailleurs  pas  beaucoup  les  entrepreneurs 

de  spectacles;  ils  se  procuraieui  des  copies  plus  ou  inoins 

tronquées  <■!  dénaturées;  au  besoin  ils  en  faisaient  rédiger 

un  résumé  informe,  au  cours  d'une  représentation  :  l'œuvre, 

ainsi  sophistiquée,  était  présentée,  comme  nouveauté  de  la 

lux  spectateurs  de  Lyon  ou  «le  Marseille,  sans  que 

les   réclamations   indignées  de  l'auteur   pussent  troubler  la 

quiétude  de  nos  habiles  fraudeurs.  Car  ils  avaienl  soin  de  se 

1  île  i  les  bonne  des  gouverneurs  de  province  el 

et,  par  l'entremise  «le  ces  personnages, 

«I»  ni  les  questions  indiscrètes  des  magistrats  (2). 

/"//    A-  comité  (Vin  truction  publique  de  l'Assemblée 
'/.     directeur    de  théâtre ^  et  la  propriété  de 
Qualremt  re    1 792,   Bibliothèque  de  la  \  ille  de 

dramatique  la  Pétition  présentée 


LES    ORIGINES    DE   LA    SOCIÉTÉ  8i 

Beaumarchais  avait  cru  devoir  protester  contre  cet  autre 
abus.  Bien  avant  la  Révolution,  il  remit  au  baron  de  Breteuil, 
au  nom  des  auteurs,  un  mémoire  demandant  que  leur  pro- 
priété lût  respectée  dorénavani  dans  les  grandes  villes  du 
royaume  (1).  11  tenta  même  nue  expérience,  et  voulut 
mettre  à  l'épreuve  l'honnêteté  de  ces  entrepreneurs.  Il  leur 
lit  savoir  qu'il  ne  leur  laisserai  jouer  lr  Mariage  de  Figaro 
que  moyennant  redevance.  Pour  plus  de  sûreté,  il  s'abstint 
de  publier  sa  pièce. 

«  Que  tirent  alors  ces  directeurs,  écril-il?  Ils  firent  écrire 
ma  pauvre  pièce  pendant  qu'on  la  représentait,  la  tirent 
imprimer  sur-le-champ,  chargée  de  toutes  les  bêtises,  des 
ordures  ei  des  incorrections,  que  leurs  maladroits  copistes 
y  avaient  partout  insérées,  puis  ils  la  jouèrent,  ainsi  déft- 
gurée,  sur  les  théâtres  de  province  ». 

Quelques-uns  cependant,  plus  délicats  ou  plus  exigeants, 
désirèrent  avoir  une  copie  moins  imparfaite.  Il-  s'adres- 
sèrent directement  h  l'auteur,  qui  s'empressa  de  leur  faire 
reconnaître  par  écrit  ses  droits  de  propriété  littéraire.  Le 
25  juin  1 7 S î .  un  acte  intervienl  par-devanl  notaire  entre 
Beaumarchais  et  un  sieur  Bonier,  négociant,  agissant  pour 
les  directeurs  de  Marseille,  de  Versailles,  de  Rouen  et 
d'Orléans.  Ce  document  curieux  constate  que  le  droit  d'un 
auteur  sur  le  revenu  de  ><,v>  pièces  esl  une  propriété  aussi 
honorable  que  le  produit  dune  terre.  Les  signataires 
B'obligenl  en  conséquence  à  réserver  à  l'avenir  aux  écri- 
vains, -"il  la  recette  totale  de  la  septième  représentation, 
soit  un  septième  sur  les  recettes  de  la  porte  de  toutes  les 
représentations. 

à  l'Assemblée  Nationale  par  les  directeurs  de  spectacles y  Archives  Nationales, 
D      (s  des  auteurs,  A.  D..  VIII  16,  el  Bibliothèque  de  la  Ville  di  P 

l  Beaumarchais,  lettre  à  M.  Robinet,  3  mai  1785,  VEuv.  compl.,  Firmin 
Didot,  |>.  709. 


s^  CHAPITRE    PREMIER 

acession  platonique  :  les  entrepreneurs  signèrent  tout 

ce  qu'on  voulut;  Beaumarchais  no  rôtira  pas  un  sou  de  sa 

e,  bien   qu'il  eût  d'avance   abandonné    ses  droits  aux 

pauvres.  Mais  l'acte  notarié  devail  être  invoqué  plus  tard  à 

ontre   des   directeurs  de  province,  devant   le  Comité 

d'instruction  publique  de  l'Assemblée  Législative  (1). 

I      loi  des  13-19  janvier   1791,  en   exigeant  pour  toute 

représentation  le  consentement  formel  de  l'auteur,  déjouait 

combinaisons  des  entrepreneurs.  Les  manœuvres  aux- 

quelles  il-  se  livraient  en  vertu  d'une  longue  tradition,  en 

l'absence   d'un    texte   établissant  la  propriété   dramatique, 

liaient   autant    d'infractions   à  la  législation  nouvelle. 

D'autre  part,  ils  avaient   toujours  pensé  que  Féloignement 

s  lequel  se  trouvaienl  les  écrivains  les  mettrait  à  l'abri  de 

toute  poursuite.  <  »r  voici  que  pour  la  première  fois  les  auteurs 

dramatiques,  coalisés,  ne  cochaient  pas  leur  intention  de  se 

faire  payer  d'un  bout  de  la  France  à  l'autre  :  victimes  du 

triomphe  de  la   liberté,   il  semblait  donc  que  les  entrepre- 

aeurs  dussenl  supporter  toul  le  poids  des  réformes  réalisées. 

Il-  protestèrent,  disant  qu'on  voulait   leur  ruine,  et  cher- 

chèrenl  tous  les  moyens  de  se  soustraire  a  la  dure  obligation 

rétribuer  les  auteurs. 

i'  'I  abord   ils  prétendirent  que  le  décret  ne  disposait 

ur  l'avenir   2  ;  Ils  n'en   conservaient  pas  moins  le 

1  de   représenter  librement,   c'est-à-dire  gratuitement! 

I'1,         paruea  antérieurement,    celles    du    moins    qui 


blés  Wationale,  />'/,-  Beaumarchais,  contre  l'usurpation 

pai   le»   directeur»  de  spectacles,  lue  au  Comili 

)  décembre  17///.   archives   Nationales,   Droits  del 

•  VIII  Bibliothèque  de  la  Ville,  Droits  des  auteur»  et  des\ 

'■■/ '■  de  l'agent  général  des  auteurs  à  son  corre 

B  bliothètiqe  de  la  Ville,  Théâtre,  12,304. 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIÉTÉ  83 

avaient  été  publiées,  —  suivant  la  distinction  autrefois 
admise.  Pièce  imprimée,  pièce  perdue  :  telle  était  la  règle 
sous  l'Ancien  Régime.  Le  décret  de  janvier,  disaient-ils, 
n'avait  rien  changé  à  cette  règle,  il  n'avait  eu  en  vue  que 
les  théâtres  de  Paris  :  il  est  de  fait  que  le  cas  des  scènes  de 
province  n'avait  pas  eu  l'honneur  dune  discussion  spéciale; 
les  entrepreneurs  pouvaient  tirer  parti  de  ce  silence.  Un 
nouveau  décret  rendu  les  19  juillet-6  août  1791,  à  la  demande 
des  auteurs,  vint  leur  ôter  tout  espoir  de  ce  côté  : 

«  Les  ouvrages  des  auteurs  vivants,  dispose  cedécrel.  même 
ceux  qui  étaient  représentés  avant  cette  époque,  soit  qu'ils  fus- 
sent ou  non  gravés  ou  imprimés,  ne  pourront  être  représentés 
sur  aucun  théâtre  public,  dans  toute  l'étendue  du  royaume, 
sans  le  consentement  formel  et  par  écrit  des  auteurs  ». 

(l'était  la  reconnaissance,  sans  confusion  possible,  de 
deux  droits  distincts  appartenant  aux  auteurs  dramatiques, 
sans  influence  l'un  sur  l'autre  :  le  droit  de  représentation. 
et  le  droit  de  reproduction. 

Les  entrepreneurs  des  grandes  villes  ne  se  tinrent  pas 
pour  battus.  Ne  pouvant  interpréter  les  textes  eu  leur 
faveur,  ils  les  ignorèrent.  Ils  jouèrent  comme  autrefois  les 
autotirs  sans  leur  verser  la  moindre  redevance.  Les  autorités 
locales  continuèrent  à  couvrir  ces  excès  de  pouvoir  :  les 
mêmes  abus  se  perpétuaient,  ;i  travers  le  changement  de 
régime.  Le  principal  étail  «'ii  effet  «le  gagner  «lu  temps.  Il 
s'en  passera  beaucoup,  pensaientles  entrepreneurs,  -  avanl 
que  l'ordre  rétabli  ail  armé  contre  uous  La  force  réprimante  : 
ce  que  nous  aurons  pris  le  sera  <'l  !«'  restera  :  beaucoup  de 
nous  d 'existeront  plus  en  qualité  <!<■  directeurs;  «■!  quel 
moyen  <l»1  revenir  contre  un  directeur  insolvable  ?    I     ». 


1)  Voir  Pétition  précitée  à  l'Assemblée  Nationale  par  Beaumarchaii. 


CHAPITRE    l'HK.MlKK 

I  .,  plupart   prétextaient  qu'il   fallait  attendre  qu'on  eût 
,  |,,,n gé  la  loi.  Tel  est  eu  effet  le  but  de  leurs  efforts.   Qua- 
torze directeurs   se  sont  coalisés,  entraînant  de  force  dans 
leur  mouvement  de  résistance  les  artistes  des  grandes  villes; 
par  cette  manœuvre,  il-  arrivent  à  former  une  masse  impo- 
sante «I»'  dix  mille  citoyens  réclamant  contre  une  loi  oppres- 
sive.   Il-  ont    réuni   de   l'argent  :  ils  sollicitent,   cabalent, 
publient   des   factums,    dans   lesquels  leurs  adversaires   se 
plaignent  d'être  violemment  pris  à  partie  ;  ils  envoient  une 
députation  porter  leurs  doléances  aux  pouvoirs  publics  :  ils 
il  représentés  par  le  sieur  Flachat  «  un  ci-devant  procureur, 
disent   l«'-  auteurs,  qui   ue    fait  que  son  ancien   métier  en 
ni  ses  clients,  et  insultant,  avec  une  impudente  gros- 
»  eux  <|u  il  al taque  en  leur  nom  (1)  ». 
£   us  le    titre  de   -  Réflexions   sommaires  »,  les  pétition- 
i  es  adressent  â  l'Assemblée  Nationale  un  factum  montrant 
leur   volonté    bien   arrêtée    de    ne   changer  en   rien   leurs 
habitudes   2  .  Il-  soutiennent  encore,   laissant  dans  l'ombre 
la   l"i  récente,   que  le  décret  «le  janvier,    ainsi  qu'il  résulte 
des   travaux  préparatoires,   ne   s'appliquait  qu'aux  théâtres 
P  mais  les  auteurs  se   ^<>nl  empressés  de  s'en  pré- 

us  tout  l<'  royaume.  Us  ne  laissent  pas  d'échafauder 
ème  juridique,    très    simple   :   toute    pièce   publiée 
,f   la    propriété   de   celui   qui  l'achète,    il   pourrait    la 
dan       on     alon  :  il   peut   aussi  la    représenter 
publiquement  et  sans  bourse  délier.  L'auteur  pouvait  encore 
1er  maître  de  sa  pièce,  en  gardant  par  devers  lui 

dramatiqu  -  nés  i  la  Pétition 

p  tr  l'  -  direct  m-  de  Bpectacles. 
;  i         i    emblée     Vationale    pour    1rs 

de  province  contre  lu  corporation  des 
Bibliothèque  de  la   Ville,  DroiU  d  auteui 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIKTE  85 

le  privilège  d'imprimer,  et  par  là  même  de  représenter.  Il 
n'en  est  plus  de  môme  aujourd'hui.  En  publiant  sa  pièce,  il 
la  vend  à  tous  :  s'il  veut  eu  conserver  la  propriété,  qu'il 
prenne  un  brevet,  comme  tout  inventeur.  On  ne  pouvait 
plus  impudemment  se  jouer  de  toute  une  législation. 

«  Les  comédiens  du  spectacle  de  Lyon  »  viennent  appuyer 
ces  revendications  (1).  Ils  prétendent  s'autoriser  du  long 
silence  gardé  par  les  auteurs  à  l'égard  des  directeurs  qui 
les  jouaient.  X'ont-ils  pas  assisté  souvent  aui  représentations 
qu'on  donnait  de  leurs  œuvres?  Beaumarchais  lui-même, 
en  publiant  le  Mariage  de  Figaro^  n'a-t-il  pas  indiqué  les 
jeux  de  scène  ?  Tout  cela  ne  prouve-l-il  pas  qu'ils  renon- 
çaient à  réclamer  contre  l'exploitation  libre  de  leurs  ouvrages? 

11  faut  enfin  considérer,  disent-ils,  la  situation  précaire 
des  scène-  de  province,  qui  seraient  ruinées  s'il  leur  fallait 
payer  les  auteurs.  Le  théâtre  de  Lyon  perd  de  60  à  80,000 
francs  depuis  quelques  années;  celui  de  Marseille  ne  se 
soutient  que  par  les  sacrifices  de  ses  actionnaires.  Va-t-on 
élever  le  prix  i\o>  places?  C'est  ce  (indu  voulut  faire  à  Lyon 
en  1787  :  il  y  eut  nue  émeute,  et  le  théâtre  manqua  d'être 
brûlé. 

Les  auteurs  dramatiques  font  paraître  \\n^  réponse,  signée 
par  trente-cinq  écrivains  (2).  Cessions  tacites,  aliénations 
implicites,  voilà  tout  ce  que  les  entrepreneurs  de  province 
trouvent  à  leur  objecter  :  ils  veulent  exploiter  la  longue 
tolérance  que  les  auteurs  ont  montrée  ;i  leur  égard.  Mais  si 
les  écrivains  avaient  en  effet  renoncé  à  se  plaindre  à  la  fin 
de  l'Ancien  Régime,  c'est  qu'ils  se  sentaient  désarmés  en 
face  de  leurs  tout-puissants  adversaires  :   les  plaintes  de  ce 


i    Mémoire  précité   pour  les  comédiens  du  spectacle  de   !  atre  les 

auteurs  dramatiques. 

2   Réponse  précitée  des  auteurs  dram  itioui 


CHAPITRE    PREMIER 

genre  étaient  en  effel  évoquées  au  Conseil  du  Roi,  d'où  elles 

Sortaient  jamais. 

I  es  directeurs,  pour  toucher  l'opinion,  invoquent  les 
g  que  la  Révolution  leur  a  l'ail  subir.  Mais  les  auteurs 
n*\  sont  |»«>ur  rien,  puisqu'ils  n'ont  pu  encore  toucher  des 
droits  en  province.  Il  leur  faudrait,  disent  les  directeurs,  si 
l'on  maintenait  la  loi.  fermer  leurs  magasins  d'habits  et  de 
décorations,  sacrifier  un  répertoire  de  trois  cents  pièces 
nouvelles,  augmenter  le  prix  des  places,  au  risque  de 
soulever  les  récriminations  du  public,  dévoiler  enfin,  pour 
payer  aux  auteurs  la  rétribution  convenue,  les  registres  de 
leur  comptabilité,  qu'ils  ont  intérêt  à  garder  secrets  :  autant 
de  mauvaises  raisons.  Leur  répertoire,  notamment,  dont  ils 
pari. -ut  tant,  ne  leur  a  pas  coûté  cher;  il  comprend  des 
exemplaires  imprimés  qu'ils  oui  achetés  2i  sols  et  des  exem- 
plaires  gravés  qu'ils  oui  achetés  12  sols  (1). 

Mo-  !••-  auteurs  dramatiques  ont  à  se  défendre  sur  un 
terrain  beaucoup  plus  dangereux  pour  eux,  où  des  surprises 
ûndre.  Les  entrepreneurs,  à  bout  d'arguments,  ont 
trouvé  une  .ouïr  excellente,  et  que  le  temps  ne  devait  pas 
émousser,  puisque  toul  récemment,  renouant  une  tradition 
plus  que  centenaire,   deux  directeurs  en  révolte  contre  la 
•'  des  Auteurs  s'en  emparaient  à  nouveau  :  les  drama- 
'  iioiil  une  corporation  ;  ils  détiennent  un  monopole, 
ition    des    plu-   graves   au   momenl   où    l'Assemblée 
tiail  de  proscrire  les  corporations,  où  tout  grou- 
pe menl  était  suspect. 

plupart  des  auteurs  avaient,  dès  ce  momenl,  ainsi  que 
•  '"  ferrom  plus  loin,  confié  a  un  même  agent,  qui  fut 

luteun  l:.  Dernière  réponte  des  auteurs 
drepreneui     de  spectacles  de  départe 

■   •  Il 


LES    ORIGINES    DE   LA    SOCIETE  87 

Framery,  la  perception  de  leurs  droits.  C'esl  plus  qu  il  n'en 
faut,  si  Ton  en  croit  les  comédiens  de  Lyon  (1),  pour  faire 
de  l'association  des  auteurs  un  véritable  syndicat,  analogue 
à  ces  réunions  ouvrières  dont  l'Assemblée  Nationale  vient 
justement  d'ordonner  la  dispersion. 

Les  écrivains  s'indigneront  peut-être  qu'on  assimile 
l'art  dramatique  à  une  industrie.  Mais  la  comparaison  est 
toute  à  leur  désavantage  :  dans  l'industrie,  on  distinguait 
encore  «  l'apprenti  »  du  «  maître  ».  Dans  la  corporation 
des  littérateurs,  tout  le  monde  a  des  droits  égaux  :  on  paie 
le  Mahomet  de  Voltaire  au  même  taux  que  la  plus  basse 
parodie. 

Le  sieur  Flachat,  dans  un  opuscule,  s'empresse  de 
dénoncer  l'association  aux  rigueurs  de  l'Assemblée  (2). 

«  Si  vous  êtes  assez  adroits,  dit-il  aux  auteurs,  pour 
n'avoir  pas  les  debors  d'une  corporation,  vous  faites  pro- 
duire à  vos  assemblées  les  mêmes  pernicieux  résultats; 
vous  établissez  le  même  prix  pour  tous  vos  ouvrages  ;  vous 
défendez  qu'aucun  de  vous  donne  à  un  moindre  prix  que 
celui  qu'il  vous  a  plu  de  fixer  ». 

A  cette  pensée,  il  s'indigne,  comme  s'indignera  Longtemps 
après  Mr  Mille rand,  lorsque,  dans  une  diatribe  véhémente, 
il  dénoncera  le  trust  des  dramaturges. 

Les  auteurs  se  défendent,  il  faul  l'avouer,  par  des  distinc- 
tions plus  subtiles  que  convaincantes. 

On  leur  fait  grief  d'avoir  presque  tous  donné  une  procu- 
ration ;i  un  même  agent.  «  Mais  un  notaire,  répondent-ils, 
un  avoué,  n'ont-ils  qu'un  client  ?  et  plusieurs  personnes  qui 


1     Mmioire  pécité. 

(2j  Dénonciation   de  la  Corporation  des  auteur*  dramatiqn  Flaenatt 

intéressé  à  l'entreprise  det  *pectacles»de  Lyon,  i~'n.  Bibliothèque  de  la  Ville, 
12,298  30. 


sn  CHAPITRE   PREMIER 

chargent  le  même  receveur  à  la  Ville  de  toucher  leurs  routes 
t-elles  donc  une  corporation?  ». 

I    assemblée  a  interdit  les  corporations,  mais  non  les  clubs 
e(  réunions,  pourvu  que  les  décisions  [irises  soient  signées 
nacun,  et  dod  d'un  membre  pour  tous. 
On  voit  à  quelles  arguties   les  écrivains  soûl  obligés   de 
descendre  pour  rester  dans  I»'  droit  commun. 

Us  ge  rendent  coupables,  dit-on  aussi,  de  monopole, 
d'accaparement,  parce  qu'ils  demandent  pour  tous  une  rétri- 
bution proportionnelle  et  uniforme. 

Mais      si  le  mode  proposé  par  M.  de  Beaumarchais,  et 

dont  la  justice  rigoureuse  a  été  démontrée  par  lui,  convient 

dix,  vingt,    trente  auteurs,   sera-ce   donc  une  coalition? 

Parce  <i i h-  beaucoup    de    personnes,    ayant  l'esprit  juste. 

pi. -ut  une  règle  juste,  sera-ce  un  monopole?  ». 

Et    les   auteurs    ajoutent    imprudemment,     faisant    une 

démarcation   —  d'ailleurs   arbitraire  —  qui   les  condamne 

dans  l'avenir  :       Le  monopole  serait  si  les  auteurs  soussi- 

avaienl  voulu  empêcher  les  autres  auteurs  de  vendre 

leurs  "ii\     .       i  d'autres  conditions.  Mais  ils  sont  bien  loin 

d'en   avoir  la    pensée!    Et   si    jamais   ils   l'eussent  conçue, 

I  exécution  n'en  serait-elle  pas  Impossible?  Quels  moyens  un 

lu  mit  il  puni-  empêcher  que  son  confrère  ne  lit  jouer 

aux   conditions  qui   pourraient    lui  convenir?  On 

;t  bien  <|u  une  telle  idée  n'a  jamais  pu  se  poser  :  ajoutons 

•  pu-  plusieurs  des   auteurs   soussignés  traitent  eux-mêmes 

journellemmenl  à  des  conditions  différentes  »  (I  . 

1  •  pourtant  été  franchi.  La  règle  que  Ton  déclarait 

!"  ■  •  établir  forme  aujourd'hui  un  article  ^\^>  statuts 
de  I 


li  imatiqu 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIÉTÉ  89 


Cependant  la  lutte  s'engage  entre  auteurs  el  directeurs 
devant  le  Comité  (l'instruction  publique  de  L'Assemblée 
Législative  (1). 

Le  9  décembre,  le  Comité  entend  les  réclamations  i\^> 
entrepreneurs.  Le  23,  on  tient  une  conférence  contradictoire. 

Beaumarchais,  au  nom  de  ses  confrères,  donne  lecture 
d'un  mémoire  qu'il  a  écrit  sur  la  question,  et  dan-  Lequel, 
dans  un  style  sobre  et  vigoureux,  il  t'ait  justice  de  L'argu- 
mentation juridique  de  ses  adversaires  (2).  Si  les  directeurs 
se  son!  attaqués  aux  écrivains,  contre  toute  équité,  c'esl  que 
dé  ce  côté  seulement  ils  avaient  espoir  de  réduire  leurs  dé- 
penses. Ils  payaient  leurs  fournisseurs,  Leurs  artistes,  Leurs 
décors  :  mais  ils  ne  payaient  pas  les  littérateurs,  parce  que 
u  cinquante  auteurs  bien  isolés,  Loin  des  endroits  où  on  Les 
pille,  n'ont  jamais  eu  la  force  ou  le  crédil  qu'onl  i\^<  mil- 
liers de  fournisseurs  d'accessoires  ». 

La  discussion  se  poursuit  le  26  décembre.  Différents  mé- 
moires sont  lus  en  faveur  des  auteurs  par  Dalayrac,  Chénier, 
Sedaine,  Dubuisson,  Cailhava  :  ce  dernier  fait  valoir  qu'il 
ne  leur  restera  plus  rien,  si  on  ne  leur  Laisse  pas  le  produit 
de  Leurs  pièces,  car  ils  ont  perdu,  par  L'effet  de  la  Révolution, 
les  pensions  qu'ils  touchaient  sur  les  fonds  des  journaux. 

Le  2  janvier,  Quatremère  lit  au  Comité  le  rapport  qu  il  a 
été  chargé  de  rédiger  sur  celle  affaire  3  .  Il  fait  justice  des 
prétentions  i\r>  entrepreneurs,  aussi  bien  pour  le  passé  que 


I    Procès-verbaux  du  Comité  d'instruction  publique  de  VA*sembli\    I 
lative,   recueilli  par  M.    G.  Guillaume,   Paris,    1889,   Imprimerie  Nationale, 
A  u  i  e  1 1 1  b  dramatiques. 

■i    Pétition  précité  e  &  l'Ass  emblée  Nationale, 

3   Rapport  précité 


CHAPITRE    PREMIER 

dans   le  présent.  Ces!  en  vain  q uo  ceux-ci  invoquent  les 
ocea  qu'ils  ont  Faites  pour  des  pièces  qu'ils  se  croyaient 
de  très  bonne  foi  autorisés  à  exploiter,  sans  avoir  de  comptes 
|  rendre  aux  auteurs.    Il>  sont   dans  le  même  cas  que  les 
iétaires  «lu  Théâtre-Français,  qui  prétendaient  conserver 
le  monopole  de  leur  répertoire.  Encore  ces  derniers  s'auto- 
risaient-ils d'une  apparence  de  légalité,  tandis  que  les  direc- 
teurs  en  cause  ne  s'appuienl  que  sur  une  tolérance  illégale. 
I.  assemblée  a'a  pas  à  retenir  leurs  doléances  financières. 
Jamais  aucun  abus  n'aurai!  été  détruit,  si  l'on  eût  consulté 
les  intérêts  de  ceux  qui  vivent  des  abus  ». 

v  anmoins,  pour  leur  ôter  tout  prétexte  à  réclamer  contre 
les  l<>i-  nouvelles,  le  rapporteur  est  disposé  à  leur  accorder 
un  temps  de  répit  suffisant  à  les  couvrir  de  leurs  avances  : 
dans  son  projet  de  décret,  il  propose  de  leur  laisser  la  jouis- 
sance gratuite  des  pièces  qu'ils  ont  adoptées,  jusqu'au  16  avril 
suivant,  en  reportant  à  celle  date  l'application  des  décrets 
précédents. 

Il  est   au    moins   singulier  de  voir  retarder  la  mise   en 
_  1 1 •  •  1 1 r  de  lois  depuis  Longtemps  votées.  Ce  qui  simplifiait  la 
question,  c'est  que  les  directeurs  s'étaient  refusés  jusque-là 
n  tenir  compte. 

sion  ne  devait  pourtant  pas  suffire.  Les  entre- 
preneurs sont-ils   parvenus  à   intéresser  les  législateurs  à 
leurs  déboires  financiers?  L*'  Comité  cède  à   leurs  sugges- 
ns.  <»n  modifie  le  projet  de  décret.  A. près  de  longues  dis- 
ns,  «»n  adopte  un  article  accordant  aux  entrepreneurs, 
lération  des  avances  qu'ils  ont  pu  faire,  La  disposi- 
[rratuite  des  pi<         intérieurement  jouées,  et  cela  pen- 
later  de  La  première  représentation, 
tuteurs  s'impatientent,  car  l<i-  travaux  du 

1  "lU]  ;  Le  5  Février   1792,  ils    prennent    le 


LES    ORIGINES    DE   LA    SOCIÉTÉ  91 

parti  de  s'adresser  directement  à  l'Assemblée.  Elle  fait  le 
meilleur  accueil  à  Laplace,  àGoldoni,  à  Favart,  qui  viennent 
réclamer  justice  au  nom  des  écrivains.  Elle  réclame  le  dépôt 
du  rapport  dans  un  délai  de  quatre  jours.  Le  rapport  attend 
encore  sept  mois.  Le  30  août  1792  enfin  le  décret  paraît  :  il 
est  nettement  défavorable  aux  auteurs. 

L'exposé  des  motifs  rappelle  les  plainte-  des  directeur-. 
«  fondées  sur  ce  que  les  décrets  peuvent  porter  atteinte  aux 
droits  des  différents  spectacles,  pour  n'avoir  pas  assez  dis- 
tingué l'état  passé  de  l'état  avenir,  ainsi  que  la  position  de 
Paris  de  celle  du  reste  de  la  France,  relativement  à  la 
jouissance  des  pièces  de  théâtre  en  vertu  des  conventions 
et  règlements,  ou  en  vertu  d'un  long  et  paisible  usage  ». 

Une  distinction  s'impose  également,  qui  n'a  pas  été  suffi- 
samment précisée,  entre  le  droit  de  reproduction  et  le  droit 
de  représentation.  Ces  deux  droits  doivent  être  protégés 
au  même  litre;  mais  le  second  soutire  i\v^  tempéraments 
-  dictés  par  la  nature  il 1 1  sujet  ». 

En  ce  qui  touche  à  l'état  passé  —  qui  fait  principalement 
l'objet  des  revendications  des  entrepreneurs  —  1»'  décret  de 
ITlej  accorde  que  les  pièces  publiées  et  représentées  libre- 
ment avant  le  13  janvier  1791,  sans  réclamation  légalement 
constatée  de  In  part  des  intéressés,  continueront  à  être  jouées 
sans  autorisation  :  elles  sont  dans  le  domaine  publie.  Ainsi 
ce  qui  avait  été  irrégulier  devenait,  par  l'effet  de  la  l<>i. 
régulier  :  l'abus  taisait  le  droit. 

Pour  l'avenir,  on  ne  conteste  pas  le  droit  de  l'auteur  sur 
son  œuvre  :  maison  le  limite  arbitrairement,  on  le  soumet 
à  de-  formalités  gênantes.  Pour  roter  propriétaire  de  sa 
pièce,  il  faudra  que  l'auteur  mentionne,  sur  les  exemplaires 
de  ><>n  œuvre  imprimée,  les  termes  d'un  traité  déposé  chez 
un  notaire,  par  lequel  il  but  réserve  de  ses  droits.  Ainsi  I  m 


CHAPITRE    PREMIER 

devra  affirmer  publiquement  sa  volonté  de  jouir  de 
luvrages  à  sa  guise.  Encore  la  réserve  proscrite  ne  vaut- 
elle  que  pour  dix  ans.  La  propriété  île  l'auteur  est  singuliè- 
remenl  diminuée. 

I  ,e  privilège  exorbitant  concédé  aux  directeurs  de  province, 
-m-  leurs  sollicitations  instantes,  ne  prit  fin  qu'eu  179!{.  Un 
nouveau  décrel  lui  rendu,  sur  un  rapport  de  Lakanal  (1). 
Tout  le  monde,  dit-il,  a  reconnu  les  imperfections  du  texte 

édent,    même   son   rapporteur,    Romme,  qui   en    a    fait 
l'aveu      avec  la  bonne   loi  qu'on  trouve  chez  ceux  qui  joi- 
nt I.-  lumières  à  la  droiture  ». 

II  Lui  ressortir  l<i>  prétentions  insoutenables  des  directeurs 
qui  veulent  qu'en  achetanl  un  livre,  on  en  devienne  pro- 
priétaire. 

lorsque   l'ouvrage  sorl  des  presses  de  l'imprimeur, 

1'-  comédien   pouvait   se  l'approprier,  réciproquement  l'im- 

primeur  pourrait  s'en  saisir,  lorsqu'il  sort  de  la  bouche  de 

leur,  'd  h-  mettre  aussitôt  en  vente  ». 

I  •  -  droits  <\r  représentation  et  de  reproduction  sont  dis- 

Is,  mais  ilsdoivent  être  sauvegardés  avec  un  soin  égal. 

I  i  Convention  Nationale  rapporte  la  loi  du  30  août  1792 

et  remet  en  vigueur  dans  leur  ensemble,  les  lois  de  1791  et 

d.-  1793  protégeant  la  propriété  dramatique. 


\  cette  époque,  suivant  une  opinion  généralement  admise, 

M"1   noua  parait  fort    contestable,  les  directeurs  de  théâtre 

•  ut  |.lu    trouvé  en  face  d'eux  une  association  d'écrii 


'i  tir  <i  in   propriété  des  auteurs  Crama* 

•  iu  Comité  d'in  Iruction  publique  par  I'.  C,  Baudin% 

bid.y  't  Bibliothèque  de  la  \  itle 


LES    ORIGINES   DE   LA    SOCIETE 

vains  fortement  organisée,  telle  (|uc  le  comité  d'action 
qu'avait  créé  le  génie  actif  de  Beaumarchais.  La  corporation 
des  dramaturges  aurail  cessé  d'exister.  Le  lien  «le  solidarité 
qui  les  unissait  dans  leur  lutte  contre  les  sociétaires  du 
Théâtre-Français,  dans  leurs  revendications  contre  les 
entrepreneurs  de  province,  se  serait  dénoué,  dès  que  la 
victoire  leur  fut  assurée  dans  I<i  domaine  des  l<»i>.  Ou 
n'aurait  plus  vu  que  des  associations  éphémères  el  partielles  : 
nées  d'un  conflit,  elles  disparaissent,  sitôt  qu'il  s'esi  apai 
elles  ne  comprennent  jamais,  comme  ù  l'origine,  qu'un 
petit  nombre  d'écrivains,  fournisseurs  attitrés  de  quelques 
scènes. 

De  fait,  nous  voyons  en  !7!)i  quelques  auteurs  et  compo- 
siteurs, parmi  lesquels  Méhul,  Dalayrac,  Gherubini,  Picard, 
Grétry,  Marsollier,  Sedaine,  s'entendre  pour  défendre  leurs 
droits  contre  les  directeurs  du  théâtre  Feydeau  cl  du  théâtre 
de  la  République,  lu  homme  de  loi,  Baudelocque,  les 
assiste.  Ils  font  des  traités  pour  Paris  et  pour  la  province. 
Il-  examinent  Jours  comptes,  aomment  des  commissaires 
pour  régler  leurs  différends  avec  les  administrations.  De 
même  <iu  1801,  un  traité  intervient  entre  les  sociétaires  des 
théâtres  Favart  el  Feydeau,  et  un  groupe  d'écrivains  et  de 
compositeurs.  Cei  accord,  qui  réuni!  quatre-vingt-quinze 
signatures  d'écrivains,  contienl  des  clauses  générales  el 
obligatoires.  Toutes  les  difficultés  <|ui  peuvent  s'élever  à 
|)i'(»|)o^  de  la  représentation  des  pièces  son!  prévues  el  solu- 
tionnées d'avance.  La  mise  en  interdit  es!  môme  prescrite, 
en  cas  d'inexécution  des  conventions.  L<'  répertoire, 
est-il  dit,  sera  retiré  dès  L'instant,  sans  qu'il  ><>if  besoin, 
pour  effectuer  cette  résiliation,  d'autre  procédure  <|u  une 
simple  mise  en  demeure  extrajudiciaire,  el  sans  que  la 
présente  clause  puisse  être  regardée  comme  comminatoire, 


(  il  \ PITRE   PREMIER 

é  au  contraire  stipulée  de   toute  rigueur  entre  les 

ties    I). 

lu  ISIT.  Scribe,  au  moment  de  faire  jouer  le  Solliciteur, 

réuni!  certains  auteurs  par  un  engagement  mutuel,  et,  grâce 

leur  adhésion,  impose  aux   Variétés  le  traité  général  en 

rueur    au    Vaudeville.    Trois    ans    après,    il    obtient    du 

Gymnase  !<i-  mêmes  avantages  (2). 

Depuis  1791,  écrivent  MM.  Lacan  et  Paulmier  au  sujet 
de  l'association   formée  par  Beaumarchais,  d'autres  sociétés 
formèrent  entre  les  auteurs  du  théâtre  Feydeau  sur  des 
analogues.  Ces  sociétés  ne  durèrent  pas  :  elles  finirent 
par  s'éclipser,  el  l'on  ae  vit  plus  apparaître  que  de  loin  en 
loin   quelques  traités   spéciaux  entre  des  auteurs   de    tout 
re,  qui  ne  constituaient  pas  de  société  réelle,  et  qui  expi- 
raient avec  les  circonstances  qui  les  avaient  fait  naître  (3)  ». 
tte  manière   de  voir  nous  paraît  inexacte.  Sans  doute 
l'association  des  auteurs  ne  s'est  pas  encore  constituée  en 
iété  :  elle  n 'a  pas  formulé  dans  des  statuts  son  programme 

ementation  intérieure. 

Mais   il  existe  dès   lors   indépendamment  des  initiatives 

individuelles,  une  institution  stable,  qui  sera  l'origine  de  la 

tuelle  :  un*'  agence  de  droits  d'auteur,  fondée  par 

imery,    bous    les   auspices   «le    Beaumarchais.    Groupée 

autour  de   ce!  organis financier,  l'association,  due  au 

Lctif  du  redoutable  polémiste,  n'a  pas  perdu  sa  vitalité; 
elle  -  esl  re  serrée,  au  contraire,  en  un  faisceau  pi  us  compact. 


/    i     n  int  on  det  auteut  i  dramatiques  à  ses  adversaires,  l  .s ; > s ,  rédigea 
Commi  lion  dramatique,  Bibliothèque  delà  Ville, 

i,i  lettre  de   \t.  il   Duveyrier  Mélesville  fth  sur  l<<  Société  des 
dramaiiqui   ,  pat  Thoma    Sauvage,  1865,  Bibliothèque 

ires. 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIÉTÉ  95 

L'opinion  publique  semble  avoir  perdu  de  vue  la  corporation 
des  dramaturges,  dès  l'instant  où  elle  a  cessé  d'occuper  le 
monde  des  théâtres  de  ses  réclamations  bruyantes,  «le  ses 
querelles  passionnées;  de  fait,  elle  n'apparaît  plus  au  premier 
plan  ;  au  lieu  de  réclamer  des  changements  de  Législation, 
elle  se  contente  de  tirer  parti  des  lois  existantes  —  ce  qui 
est  plus  sage.  Mais,  retirée  de  la  politique,  l'association  des 
auteurs  reste  fidèle  à  son  programme  :  elle  poursuit  dans 
l'ombre  son  œuvre  utile  et  féconde. 


Dès  1791,  Framery  ;i  fondé  une  agence  de  perception  des 
droits  d'auteur,  sous  le  nom  de  Bureau  dramatique.  Le 
mécanisme  en  est  fort  simple.  Abandonnés  à  eux-mêmes, 
il  n'eut  pas  été  possible  aux  auteurs  de  tirer  parti  de  la 
propriété  qui  leur  était  reconnue  sur  leurs  ouvrages,  sans 
courir,  à  chaque  instant,  le  risque  d'être  dépouillés  par  des 
entrepreneurs  peu  scrupuleux.  Comment  auraient-ils  pu 
savoir,  par  leurs  propres  informalious,  que  tel  j<»ur,  eu  tri 
lieu  de  la  France,  une  de  leurs  œuvres  devnit  être  jouée? 
Le  sachant,  comment  auraient-ils  pu  surveiller  le»  recettes, 
compulser  les  livres  de  comptabilité,  forcer  des  directeurs 
plus  ou  moins  récalcitrants  à  leur  remettre  le  montant  exact 
de  leurs  droits?  lue  telle  surveillance,  à  supposer  qu'elle 
lût  possible,  eût  absorbé  eu  frais  de  toutes  sortes  le  plus 
clair  de  leurs  bénéfices;  à  courir  de  ville  eu  ville  après  leurs 
débiteurs,  ils  auraient  d'ailleurs  perdu  un  temps  considé- 
rable,  mieux  employé  à  composer  des  œuvres  uouvelles. 

Ce  que  chaque  auteur  ne  pouvait  faire  individuellement, 
Framery  eut  l'idée  de  le  faire  collectivement  dans  l'intérêt 
de  tous. 


CHAPITRE   PREMIER 

Il  eut,  pour  tous  ceux  qui  voudraienl  recourir  à  ses  bons 

ins,  un  bureau  de  correspondance,  véritable  office  d'infor- 
mations, el  un  service  d'agents  chargés  de  percevoir  les  droits 
d'auteur,  tant  à  Paris  que  dans  les  grandes  villes  de  province. 

I  ridé  de  pouvoirs  des  ailleurs  qui  lui  ont  donné  leur 
clientèle,  il  s'entremel  pour  eux,  traite  en  leur  nom,  délivre 
en  leur  place  l'autorisation  requise  par  les  lois,  et  se  charge, 
moyennant  une  commission  1res  modique,  de  leur  faire 
tenir  l«i  produit  de  leurs  pièces.  Dans  quelque  ville,  sur 
quelque  scène  qu'on  veuille  le  jouer,  l'auteur  en  sera  immé- 
diatement averti,  et  il  sera  payé. 

Cette  organisation,  dès  qu'elle  lut  connue,  souleva  parmi 
les  entrepreneurs  de  spectacles  de  province  une  véritable 
indignation  1  .  Ils  avaient  déjà  protesté  contre  l'intention 
« I ■  i  avaient  manifestée  les  auteurs  d'exiger  d'eux  le  septième 
de   la    recette,  après  déduction  des  trais,   hormis  ceux  des 

eurs,  des  chanteurs,  des  danseurs  et  des  musiciens.  Ils 
I"-  cachaient  pas,  en  effet,  leur  désir  de  payer  les  ouvrages 
•  leur  idée  et  de  traiter  à  forfait.  Voici  maintenant  que  des 
lants  du  Bureau  dramatique,  véritables  «  doua- 
niers littéraires  .  vont  inspecter  la  comptabilité  des  comé- 
:  il-  ont  même  été  jusqu'à  leur  prescrire  la  manière 
dont  ceux-ci  devaient  tenir  leur-    registres.  Aussi  les  entre- 

neurs    ne   ménagent-ils   pas   l<is  invectives  à   Framery, 
I  habile  inventeur  du  nouveau  s)  stème. 

plan  o  été,  dit-on,  imaginé  par  un  poète  parodiste 
'I'"    comme  on  voit,  ne  cherche  pas  ;i  se  faire  pardonner  la 

nre  par  l'élévation  de  ses  principes,  cl, 

•     de    la    découverte,    il    s'est    l'ait    nommer 

auteurs  :  car  on  remarque  constamment, 

i         'i  contre  la  corporation  des  auteurs,  el 

i  * i i <•  1 1 -  <!<•  Lyon. 


LES   ORIGINES    DE   LA    SOCIETE  M 

parmi  ces  messieurs,  cette  présence  d'esprit,  ce  tact  heureux 
qui  saisit  toujours  dans  cette  affaire  le  résultat  pécu- 
niaire   I  . 

Au-dessus  de  l'agent  général  siège  un  «  sénat  drama- 
tique »,  —  ainsi  rappellent  ses  adversaires.  11  prétond  à 
régner  sur  tous  les  thé,!  1res  de  France,  qu'il  enrégimente 
en  leur  imposant  des  traités  ainsi  conçus  : 

«  Je  soussigné,  directeur  du  spectacle  de  lu  ville  de..., 
m'engage  à  compter  tous  les  soirs  avec  M...,  correspondant 
du  Bureau  dramatique  de  Paris,  des  honoraires  du-  aux 
auteurs,  suivant  le  taux  du  présent  tarif,  pour  toutes  les 
pièces  contenues  dans  la  liste  ci-dessus,  dont  j'ai  le  double, 
en  n'exceptant  que  celles  pour  lesquelles  les  auteurs  m'ont 
donné  leur  consentement  particulier,  dont  je  serai  tenu  de 
fournir  copie. 

«  Le  présent  consentement  ne  devanl  valoir  que  jusqu'à  la 
clôture  des  spectacles  à  Pâques  1792,  sauf  à  être  renouvelé, 
s'il  y  a  lieu  »  (2). 

Ces  traités  renouvelahles,  accompagnés  du  répertoire  social, 
sont  assez  semblables  à  ceux  que  conclut  aujourd'hui  la 
S  'iélé  des  Auteurs.  Remarquons  cependant  une  différence, 
cCst  que  le-  traités  d'alors  respectaient  en  tout  étal  de  cuise 
les  accords  particuliers  qui  pouvaient  intervenir  avec 
certains  écrivains.  Il  reste  un  pas  à  franchir.  Il  sera  vite 
franchi,  si  l'on  en  croit  les  directeurs,  <jni  voient  déjà  les 
auteurs  syndiqués  Installés  ;i  leur  place,  et  régentant 
l'administration  des  théâtres. 

On  citera  alors,  disent-ils,  à  la  place  de  la  ferme  géné- 
rale, l.t  ferme  dramatique  :  elle  aura  ses  chefs,  ses  sous- 
chefs,  ses  directeurs,   ses  contrôleurs  ambulants  ou  séden- 


1  Mémoire  précité  pour  !<•-  comédiens  de  Lyon. 

2  Ibid. 


,<s  CHAPITRE   PREMIER 

imployés;    il   y  aura  des  bureaux  dramatiques, 
mme  il  \  b  des  bureaux  de  tabac  ». 

L 'association  des   auteurs  est  pourtant  d'humeur  conci- 
liante. Nous  avons  La  preuve  de  la  bonne  volonté  des  auteurs 
vis-à-vis    des    entrepreneurs   dans    une    instruction   qu'ils 
nt  d'un  commun  accord,  et  qu'ils  envoient  aux  corres- 
lants  du  Bureau  dramatique. 

Quelques    directeurs,    y    est-il    dit,    ayant   demandé  à 

au  lieu  d'une  rétribution  proportionnée  à  la  recette 

journalière,  un  prix  fixe  pour  chaque  pièce,  en  raison  du 

are  et  du  nombre  d'actes,  l'agent  des  auteurs  a  cru  devoir 

présenter  leur  réclamation  au  comité  desdits  auteurs,  et  il 

•  ■il  esl  résulté  La  délibération  suivante  : 

Les  auteurs  dramatiques,   assemblés  chez   M.  Sedaine, 

nt  entendu  le  rapport  de  M.  Framery,  leur  agent,  d'après 

Lequel  il  paraît  extrêmement  difficile  d'établir  en  ce  moment, 

dans  quelques  villes  du  royaume,  la  perception  exacte  d'une 

rétribution    proportionnée    à   la  recette  journalière,    pour 

chaque   représentation    de   leurs    pièces,    ont   arrêté   qu'en 

irdant  toujours  ce   mode  comme  le  seul  rigoureusement 

te,  il-  consentiront  cependant,  pour  les  villes  seulement, 

Mirla  demande  formelle  de  chaque  directeur,  à  s'en  tenir 

moded  une  rétribution  proportionnée  à  la  recette  annuelle, 

divisée  par  sommes  égales  entre  toutes  Les  représentations 

I  année     en  conséquence,  les  auteurs  donnent  pouvoir  à 

^1    Pramerj  de  traiter  pour  eux  conformément  à  ce  mode, 

aaque  directeur  qui  Le  demandera  formellement,  et  de 

lui  copie  de  La  présente  délibération.  Ce  pouvoir 

-   aérai  de  •  auteurs  dramatiques  n'aura  lieu 

i  Paquet  1792. 

I.t  ont  ligné  : 

X,NI  Sed  iine,  Caron-Beaumarchais,  Leblanc,  M.-J.Chénier. 


LES  ORIGINES  DE  LA  SOCIÉTÉ  99 

Dubuisson,  Radet,  de  Sade,  Cailhava,  de  Santerre,  Grétrv. 
Dalayrac,  Desfontaines,  Marsollier,  etc.  ». 

On  sauve  les  principes,  mais  on  renonce,  pour  le  moment, 
à  un  contrôle  de  tous  les  jours. 

Malgré  ces  concessions,  la  loi  de  1793,  qui  mettait  fin, 
devant  l'Assemblée,  aux  revendications  des  entrepreneurs, 
ne  fut  pas  appliquée  du  jour  au  lendemain. 

Les  directeurs  de  province  se  résignèrent  malaisément  à 
rétribuer  les  auteurs  qu'ils  frustraient  consciencieusement 
depuis  bien  des  années.  Permettre  aux  écrivains  d'exiger 
une  redevance,  c'était,  semblait-il,  vouloir  leur  ruine.  Les 
municipalités  encourageaient  la  résistance,  car  il  s'agissait 
de  la  prospérité  d'entreprises  locales;  les  fonctionnaires, 
chargés  de  faire  respecter  la  loi,  fermaient  les  yeux.  Plus 
d'un  directeur  pouvait  encore  dire  aux  auteurs  ce  qu'il  fut 
répondu  un  jour  à  Beaumarchais  en  1791  :  «  Nous  jouons 
vos  pièces  parce  qu'elles  nous  fournissent  de  bonnes  recettes, 
et  nous  les  jouerons  malgré  vous,  malgré  tous  les  décrets 
du  monde,  et  je  ne  conseille  à  personne  de  venir  nous  en 
empêcher,  il  y  passerait  mal  son  temps  (1)  ». 

On  trouve  dans  les  textes  ofiiciels,  dans  les  décisions 
administratives,  un  écho  des  luttes  qui  se  poursuivent.  En 
1798,  François  de  Neuf  château,  un  auteur  dramatique 
devenu  ministre  de  l'Intérieur,  adresse  une  circulaire  aui 
administrations  départementales,  pour  le>  met  lie  eu  garde 
contre  les  agissements  des  entrepreneur-  de  spectacles  : 
«  Les  auteurs  dramatiques,  écrit-il,  ne  cessenl  de  m'adresser 
des  réclamations  sur  l'étonnante  Légèreté  avec  laquelle 
plusieurs  entrepreneurs  de  spectacles  se  permettent  de 
représenter   les  ouvrages  des  auteurs    vivants,    sans  avoir 


(1)  Beaumarchais,  Pétition  précitée  à  l'Assemblée  Nationale. 

^UniveTiTSjy- 


i.HAPITRE    PREMIER 

obtenu  leur  consentement,  et  sans  acquitter  la  rétribution 
g  >us  le   nom   de    pari  d'auteurs.  (Test  en  vain  que 
leurs  fondés  de  procuration  dans  les  départements  somment 
juridiquement  ces  entrepreneurs  de  suspendre  les  représen- 
tations. Au  mépris  de  ces  sommations,  au  mépris  des  lois 
qui  les  autorisent,  ces  pièces  restent  dans  leur  répertoire  et 
ntinuenf  d'être  jouées  sur  leurs  théâtres  ». 
1  n  autre  passage   montre   que  les   pièces  sont  souvent 
plaj  u  démarquées,  même  dans  l'enceinte  de  la  capi- 

tal( 

Je  suis  informé,  dit  le  ministre,  que  quelques  auteurs, 
tout  dans  la  commune  de  Paris,  ne  font  que  changer  le 
titre  des  ;  et  trouvent  ainsi  moyen  de  se  soustraire  à 

la  loi.  D'autres  encore  se  permettent  de  morceler  les  opéras, 
d  supprimer  1»'-  paroles  ou  la  musique,  et  de  les  faire 
représenter  en  pantomimes  ou  en  comédies,  abus  qui  n'est 
ni  moins  répréhensible,  ni  moins  attentatoire  à  la  propriété 
tant  des  auteurs  que  da>  compositeurs  de  musique  ». 

Le  ministre  rappelle  aux  administrations  départementales 
qu'elles  doivent  toujours  exiger,  ayant  chaque  représenta- 
tion, le  consentement  écrit  de  l'auteur.  Si  quelque  infraction 
aux  lois  qui  protègent  la  propriété  dramatique  vient  à  être 
commise,  elles  devront  arrêter  les  représentations  :  si  cette 
ense  n'était  pas  observée,  il  appartiendrait  aux  officiers 
'l*'  I  i  leur  défaut,  aux  juges  de  paix,  de  confisquer 

I  i  circulaire  relève  d'ailleurs  que  les  fonction- 
ut  pas  toujours  prêté  de  bonne  grâce  à  cette 
1  '«qu'elle  était    sollicitée   par   les   auteurs,   et 
I  une  entent  et   égard  avec   )<i  ministère   de  la 

Le  ministre    <•   flatte  que  le  simple  exposé  de  ces 
'  -  icur  Buffira  b  ramener  les  entrepreneurs  à 
pliu  équitables  envers  les  auteurs. 


LES    ORIGINES   DE   LA    SOCIÉTÉ  101 

Cette  espe'rance,  qui  est  bien  dans  le  style  de  L'époque,  ue 

devait  pas  tarder  à  être  déçue.  Car,  en  1812,  nous  voyons 
qu'on  est  obligé  de  revenir  à  la  charge.  M.  de  Montalivet, 
ministre  de  l'Intérieur,   envoie  aux   préfets  une   circulaire 

qui  réédite  les  prescriptions  de  son  prédécesseur.  11  croit 
devoir  rappeler  plus  spécialement  «  que  le  droit  d'entrée  au 
spectacle  et  les  billets  que  se  réservent  les  auteurs  pour 
eux  et  leurs  fondés  de  pouvoirs  font  partie  du  prix  qu'ils 
ont  droit  d'exiger  des  entrepreneurs,  et  qu'en  conséquence 
on  ne  peut,  sous  aucun  prétexte,  leur  en  refuser  la  jouis- 
sance ». 


Malgré  des  difficultés  et  des  obstacles  de  toutes  sortes,  les 
droits  perçus  par  Framery  pour  le  compte  des  auteurs 
augmentèrent  rapidement.  De  2,200  livres  en  1791,  le  total 
s'élevait  à  100,000  livres  en  1798  (1). 

Cette  année-là,  à  côté  du  Bureau  dramatique,  on  vil  s'ins- 
taller une  agence  rivale,  sous  la  direction  de  Fillette-Loraux. 
La  clientèle  se  trouva  dès  lors  partagée  entre  les  deux  éta- 
blissements. 

Cette  division  lit  naturellement  du  tort  à  Framery,  mais 
elle  parut  une  garantie  précieuse  aux  auteurs  :  la  concur- 
rence stimulait  le  zèle  des  agents;  la  comptabilité  des 
correspondants  de  chaque  agence  dans  les  grandes  villes  se 
trouvait  contrôlée  par  celle  de  l'institution  voisine.  Il  était 
bien  plus  aisé  de  découvrir  les  abus  e1  les  fraudes  qui 
pouvaient  se  produire.  Aussi,  lorsqu'il  lui  question  de 
laisser  tomber  l'établissement  de  Fillette-Loraux  que  celui-ci 
avait  mal  géré,  et  de  conserver  le  seul  Bureau  dramatique 
qui  avait  l'ait  ses  preuves,  la  majorité  se  prononça  pour  le 


[!]   Voir  Assemblée  du  21  uYc.  1813,  Rei  le  la  Société  frl  Auteurs. 


CHAPITRE    PREMIER 

maintien  de  la  seconde  agence,  qui  lut  placer  sous  la  direction 

Sam  an. 

n'est  pas  qu'ils  «mi— ml  à  se  plaindre  de  Framery.  Car 

beaucoup  des  anciens  clients  de  Fillette-Loraux,  constate 
un  documenl  postérieur,  ont  saisi  l'occasion  de  réparer 
l'injustice  qu'on  avait  laite  autrefois  à  M.  Framery;  ils  ont 
pris  un  arrêté  par  lequel  ils  se  sont  unanimement  engagés  à 

jter  attachés  à  -ou  Bureau  (1)  ». 

i  lhaque  établissement  a  son  correspondant  dans  les  grandes 
villes  :  chacun  esl  assisté  dans  son  fonctionnement  d'un  co- 
mité <1<'  direction  composé  de  dramaturges  délégués  parleurs 

ifrères,  clients  de  l'agence.  Ces  comités  ne  tiennent  pas 
d'ailleurs,  comme  les  commissions  d'aujourd'hui,  des  séances 

_iili.it-.  Il-  m- v,.  réunissent  (ju'accidentellement,  lorsque 
leur  appui  «M  réclamé  par  les  agents  pour  établir  les  tarifs 
«»ii  assurer  la  perception.  Les  comités  des  deux  agences  déli- 
bèrenl  en  commun,  lorsqu'il  s'agit  de  discuter  des  questions 
intéressant  la  ma--.'  des  auteurs,  ou  de  prendre  des  mesures. 
•  I'-  coercition  contre  des  entrepreneurs  récalcitrants. 

semblées  générales  réunissent  d'ailleurs,  mais  rare- 
ment,  et  »  des  intervalles  fort  irréguliers,  les  auteurs  ayant 
adhéré  à  I  un  -mi  l'autre  établissement. 

I  ►ciation  a  soumis  tes  directeurs  de  province,  par 
I  intermédiaire   des   agences,   à   des  tarifs  variant  avec  la 

pulation   et    l'importance   des   villes.   Chaque  localité  se 
ive  naturellement  imposée  a  un  taux  excessif,  et  proteste 

►lemment.  Tantôt  c'est  le  directeur  du    théâtre  d'Orléans 

M"  lS""'  qu'il  oe  paiera  pas  suivant  l<i  tarif  auquel  il  a 

wumis,  parce  qu'il  ne  connaît  pas  de  loi  qui  l'y  oblige  (2). 

)w  le  Bureau  dramatique,  page  "<■  octobre  1823, 
■  I,-  la  Société  de*   luteur 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIÉTÉ  103 

Tant  il  est  malais»'  de  persuader  les  gens  qu'une  œuvre 
dramatique  est  une  propriété  comme  une  autre  ei  qu'il  faui 
payer  pour  l'exploiter.  Tantôt  c'est  le  directeur  du  théâtre 
de  Marseille  qui,  de  l'aveu  des  auteurs,  les  a  plus  occupés 
«  de  ses  demandes  plus  ou  moins  injustes,  que  tous  les 
entrepreneurs  de  l'Empire  réunis  (1)  ».  Pour  arriver  à  leurs 
tins,  tous  les  moyens  leur  sont  bons. 

«  Quelques  entrepreneurs,  constatent  les  auteurs,  pour 
donner  plus  de  poids  à  leurs  réclamations,  négligent  momen- 
tanément la  composition  de  leurs  troupes,  éloignent  ain-i 
pour  quelque  temps  le  public,  et,  lorsqu'ils  ont  obtenu  une 
diminution  fondée  sur  la  modicité  de  leurs  recettes,  ren- 
forcent cette  troupe  et  rappellent  les  spectateurs  (2)  ». 

Dans  celte  lutte,  il  faut  bien  le  dire,  l'administration  n'est 
pas  toujours  avec  les  auteurs.  Les  municipalités  sollicitent 
sans  cesse  les  pouvoirs  publics  d'intervenir  en  leur  faveur, 
pour  modérer  la  perception  des  agences  :  plus  d'une  fois,  le 
ministre  de  l'Intérieur,  influencé  par  leurs  réclamations,  8 
la  faiblesse  de  conseiller  aux  auteurs  de  réduire  leurs  tarifs. 
Il  est  bien  difficile  aux  comités  de  ne  pas  écouter  ces 
conseils,  si  Ton  veut  au  moins  maintenir  intact  le  principe 
encore  mal  assuré  de  la  redevance.  C'est  ce  qui  arriva 
notamment  au  cours  des  difficultés  qui  s'élevèrent  entre  le 
Bureau  dramatique  et  le  directeur  du  théâtre  de  Lyon,  fort 
obstiné  (liins  sa  résistance.  Les  comités  durent  céder,  ei  le 
ministre  les  remercia  de  leurs  concessions  opportunes    3 

Les  agents  généraux  font  cependant  de  Louables  efforts 
pour  assurer  la  rentrée  exacte  des  droits  d'auteur.  Dès  1806, 


I    Séance  du  20  <lée.  1813,  ibid. 

(2)  Même  séance. 

(3)  Instruction*  générales  pour  /'  \gence  dramatique,  juin  1823,  Bibliothèque 

de  la  Ville,  i2,o:n>'. 


I  BAPITRE    PREMIER 

les  instructions  générales  envoyées  par  l'agence  Sauvan  à 
rrespondants,  instructions  approuvées  par  Dalayrac, 
Méhul,  Du  val,  Bouilly,  Pixérécourt,  membres  du  Comité  des 
auteurs,  i  ssaienl  d'organiser  un  service  régulier  de  per- 
ception, très  analogue  à  celui  qui  fonctionne  actuellement (1). 
Les  clients  de  l'agence  Sauvan  ont  soumis  les  villes  à  des 
tarifs  qui  diffèrent  suivant  leur  importance  et  suivant  la 
nature  des  pièces  représentées,  réparties  en  quatre  classes. 
!  prescrit  h  ses  correspondants  de  toucher  chaque 
soir  la  rétribution  exigible,  pour  éviter  les  arriérés,  et 
d'envoyer  sans  retard  à  Paris  leurs  états  de  perception. 
Les  correspondants  proposent  aux  directeurs  de  province 
les  nouveautés  de  La  capitale;  ils  veillent  à  ce  qu'aucune 
modification  n'y  soit  apportée,  dans  le  travail  des  représen- 
tations.  IK  doivent  éviter  <l<i  traiter  par  écrit  avec  les  entre- 
preneurs,  pour  que  ceux-ci  aient  à  justifier  pour  chaque 
pièce  mise  à  La  scène  de  L'autorisation  expresse  de  l'auteur. 
Il-  auront  à  -<i  méfier  des  imprésarios,  organisateurs  de 
tournées,  qui,  pour  ne  pas  payer  de  droits,  allèguent  fré- 
quemmenl  qu'ils  sont  propriétaires  »l<v>  œuvres  qu'ils  eolpor- 
tenl  :  Les  correspondants  devront  exiger  qu'on  leur  montre 
des  ion  formels. 

Il  Leur  est  prescrit,  Lorsqu'ils  rencontrent  une  résistance 
quelconque,  de  recourir  Immédiatement  aux  tribunaux,  et 
ncerter  avec  leurs  collègues  de   L'agence  Framery, 
:  que  Les  mesures  prises  soient  plus  efficaces. 

mdants  recevront    une  indemnité  de  ">  0/0 
droits   qu'ils   toucheront  ;   ils  ont    en  outre    leurs 
les  spectacles,  ainsi   que  le  droit  de  signer 
"   entation. 


.  a    M  1906,  Bibliothèque  de  la  Ville,  12,03: y. 


LES   ORIGINES   DE   LA   SOCIETE  L05 

Le  Bureau  dramatique,  installé  rue  Yi vienne,  où  Prin 
succède  en  1811  à  Framery,  ne  cesse  de  rappeler  à  ses 
correspondants  les  textes  qui  protègent  la  propriété  des 
auteurs  (1).  Il  établit  puni-  la  perception  en  province  des 
règles  analogues  à  celles  qu'a  adoptées  la  maison  rivale. 

Les  auteurs,  par  leurs  comités,  interviennent  d'ailleurs 
pour  surveiller  les  perceptions,  et  stimuler  le  zèle  des  corres- 
pondants. Ceux-ci,  mal  recrutés,  se  montraient  souvent 
négligents,  — le  mal  ne  date  pas  d'aujourd'hui.  Les  droits 
versés  par  les  directions  ne  parvenaient  pas  toujours  inté- 
gralement jusqu'aux  intéressés,  soit  qu'il  ne  fussent  pas 
perçus,  soit  qu'ils  se  perdissent  en  route.  Les  auteurs 
sentent  la  nécessité'  de  s'occuper  de  leurs  affaires  et  de 
diriger  eux-mêmes  la  barque.  «  Désireux  de  mettre  l'agent 
généra]  à  l'abri,  même  du  plus  léger  soupçon  »,  les  clients 
de  L'agence  Sauvan  réorganisent  leur  comptabilité  dès  1806; 
à  coté  de  l'agent  qui  jouissait  de  pouvoirs  presque 
Illimités,  ils  placent  un  contrôleur,  chargé  de  surveiller  ses 
opérations,  et  ils  confient  à  leur  comité  [a  haute  direction 
de  l'entreprise.  Ainsi,  déclarent-ils,  les  directeurs  n'auronl 
plus  à  alléguer,  pour  colorer  leurs  refus  ei  leur  mauvaise 
foi,  que  le  produit  des  droits  d'auteur  n'arrive  point  à 
destination,  qu'il  est  la  proie  d'agents  infidèles...  Les 
auteurs  s'administrent  eux-mêmes,  ei  quoiqu'ils  nient  un 
agent,  tout  émane  de  leur  volonté  (2). 

En  I81S  même,  j Is  jugent  opportun  de  remplacer  ce 
contrôleur  pur  un  représentant  du  Comité,  un  écrivain  qu'ils 
délèguenl  à  cette  mission  de  surveillance   3  . 

I    Nouvelle  instruction,  décembre  1807,  Bibliothèque  de  La  Ville, 
Liste  générale  des  auteurs  ei  des  pi  ces  pour  les  correspondants  de  If.  Pria, 
février  1811,  ibid.,  lJ,t;:;:in.  Souvelle  instruction  précitée,  octobre  ; 

ï   Séance  du  lM  mars  iv  i  .  R     istrei  de  la  S 

Nouvelle  instruction  précitée  pour  VA  ramatique,  | 


i  W1TKE   PREMIER 

En  1823,  en  effet,  à  côté  de  Richomme,  caissier  et  délègue 
.!«•  l'Agence  dramatique,  el  successeur  de  Sauvan,  se  trouve 
un  commissaire-inspecteur  homme  Je  lettres,  Guilbert  de 
Pixérécourt    I  . 


I  rentrer   les  droits  d'auteur,  asseoir  solidement  le 

service  de  perception  dramatique  à  travers  toute  la  France, 
malgré  les  protestations  des  intéressés,  tel  semble  être  le 
principal  objet  tics  réunions  et  des  préoccupations  des 
dramaturges  :  il  fallait  d'abord  vivre  et  mettre  à  la  raison 
entrepreneurs  qui  avaient  accoutumé  de  spolier  les 
écrivains  du  fruit  de  leurs  travaux. 

M  lis,  «mi  dehors  de  ces  attributions  financières,  les  comités 
•  •ut  déjà  !'•  souci  d'accentuer  leur  union,  afin  d'en  imposer 
davantage  aui  entrepreneurs  de  spectacles;  en  cela,  ils 
restent  fidèles  à  la  pensée  du  fondateur  de  l'association, 
Beaumarchais.  Les  procès-verbaux  de  leurs  séances  nous 
donnent  plu-  d'une  preuve  de  leur  activité  à  cet  égard. 

\  Paris,  à   part  !<■-  scènes  secondaires,  qui  ont   pris  la 

*u<  i  des  théâtres  de  la  Foire  et  s'en  tiennent  à  un  prix 

fixe  ou  librement  débattu  avec  les  auteurs,  toutes  les  scènes 

de  genre  ont  été   soumises   à    un  droit  proportionnel.   Les 

t,:-  «uit  conclu  avec  les  directions  d<\s  traités  généraux, 

:l  la  l'Un  [été  des  Auteurs  n'aura  qu'à  prendre  la 

Mnsi  elle  entrera  en  relations  avec  1rs  théâtres  du  Vaude- 
rille,  des  Variétés,  el   du  Gymnase,   sur  la   foi   d'accords 
en  1793,  en  1817,  •■.,  1820,  d  renouvelés  sans  modi- 
ition. 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIÉTÉ  107 

Les  auteurs  n'hésitaient  pas  à  faire  respecter  la  foi  jurée, 
en  prononçant  au  besoin,  comme  aujourd'hui,  la  mise  à 
l'index. 

En  1796  notamment,  des  difficultés  s'élèvent  avec  le 
théâtre  de  la  République,  au  sujet  du  paiement  des  frais 
journaliers.  Le  théâtre  fut  mis  en  interdit,  jusqu'à  ce  qu'une 
décision  fût  intervenue  (1). 

En  1806,  nous  voyons  les  comités  des  deux  agences  se 
réunir  en  séance  plénière,  pour  condamner  au  sein  de 
l'association  des  manœuvres  qui  risquaient  de  compromettre 
la  situation  de  tous.  À  L'origine,  la  plupart  des  traités 
conclus  à  l'avance  dans  la  capitale  pour  la  fixation  des  droits 
d'auteur  concernaient  seulement  certains  théâtres  et  un 
groupe  d'écrivains,  fournisseurs  habituels  des  théâtres  en 
cause  ;  les  littérateurs  qui  rédigeaient  et  signaient  ces  actes 
ne  songeaient  pas  à  s'interdire  de  violer  le  pacte  conclu  ; 
l'accord  se  faisait  sur  leur  initiative,  e!  les  clauses  en  étaient 
librement  débattues.  Pouvaient-ils  prévoir  le  cas  où  l'un 
des  adhérents  viendrait  à  traiter  à  d'autres  conditions  <|iic 
celles  qu'il  avait  souscrites  en  connaissance  de  cause,  dans 
son  intérêt  bien  entendu?  Les  salles  de  spectacles  étaient 
d'ailleurs  peu  nombreuses  :  chacune  était  en  Ire  le-  mains 
de  quelques  littérateurs  privilégiés.  Il  n'y  avait  guère  ;i 
redouter  les  fantaisies  d'un  intrus  qui,  dans  son  impatience 
d'être  joué,  viendrait  compromettre  L'équilibre  obtenu.  Aussi 
les  Littérateurs  se  faisaient-ils  un  point  d'honneur  de 
n'exercer  ^m-  leurs  confrères  aucune  pression,  se  flattant  de 
lev  retenir  par  les  avantages  qu'ils  retireraient  de  celte  union. 

Quand  (\ii>  théâtres  nouveaux  s'élevèrent  en  grand 
aombre,  quand   les  divers  genres  dramatiques  se  dévelop 


l    L'association  à  bcs  adversaires,  pa 


g  CHAPITRE    PREMIER 

pèren!  et  se  multiplièrent  au  point  de  n'être  plus  séparés 
les  nih  des  autres  que  par  îles  frontières  imprécises  et  chan- 
ttes,  la  corporation  des  dramaturges  s'accrut  notable- 
ni, -ni:  il  ne  fui  plus  possible  de  limiter  arbitrairement  le 
nombre  des  auteurs  qui  avaient  des  intérêts  dans  telle  ou 
telle  scène.  Presque  tous  cependant  se  placèrent  sous  la 
tutelle  de  l'association,  pour  avoir  droit  à  sa  protection,  et 
bénéficier  de  l'intermédiaire  des  agences  dramatiques. 

Mais  il  étail  à  craindre  que  beaucoup,  n'étant  liés  par 
aucune  obligation,  ne  retinssent  des  clauses  de  l'association 
que  celles  qui  leur  paraîtraient  avantageuses,  en  rejetant 
celles  qui  limiteraient  leur  liberté  d'action. 

De  fait,   on  vit  i\(>*  ce   moment  —   le  mal  ne  date  pas 
d'aujourd'hui  —  les  débutants  et  les  inconnus,  pressés  de 
produire,  accepter  des  conditions   fort  inférieures  aux 
tarifs  de  l'association. 

Cette  concurrence  déloyale  était  des  plus  dangereuses  pour 
les  auteurs  arrivés  »,  qui,  s'en  tenant  au  tarif  général, 
risquaient  de  se  voir  fermer  les  théâtres  où  leur  situation 
était  le  plus  établie. 

Aussi    les  comités   réunis   décidèrent-ils  d'interdire   aux 

auteurs  syndiqués  toute  cession  de  leurs  pièces,  tout  accord 

rticulier  conclu  en   dehors    des   conditions  arrêtées  par 

iation.  Cette  défense  est    formulée  dans  un  acte  du 

>bre  1806,  qui   porte,  entre  autres,  les  signatures  de 

Dupaty,  Dalayrac,   Marsollier,    Radet,    Pixérécourt, 

1 1      lafoj ...  Elle  était  ainsi  motivée  : 

sidérant  que  plusieurs  auteurs  conseillent  des  mar- 

particuliei  '      directeurs  de  spectacles,  et  que 

tipulent,  pour  chaque  représentation  de  leurs 

i   moindres   que  ceux   fixés   par  le  tarif 

•!•  i  int  que  ces  traités  particuliers  portent 


LES    ORIGINES    DE   LA    SOCIETE  100 

une  atteinte  funeste  aux  droits  de  tous,  en  ce  que  les  direc- 
teurs de  spectacle,  une  fois  munis  d'un  nombre  d'ouvm. 
à  bas  prix,  négligent,  abandonnent  ceux  dont  la  perception 
reste  soumise  au  tarif  général.  —  Considérant  que  ces 
traités  particuliers  ont  été  généralement  reconnus  désavan- 
tageux pour  les  auteurs  eux-mêmes...  »  (1). 

Cette  dernière  considération  commande  toutes  les  autres. 
La  véritable  raison  qu'ils  donnaient,  raison  très  judicieuse, 
et  qui  n'a  pas  cessé  de  l'être,  c'est  que  jamais  un  directeur 
de  spectacles  ne  propose  un  in  a  relié  particulier  que  dans  le 
dessein  de  payer  moins  cher. 

Cette  défense  comportait  une  sanction,  moins  sévère  qu'au- 
jourd'hui. En  cas  d'infraction,  les  agents  généraux  avaient 
ordre  de  rendre  aux  contrevenants  leur  procuration.  De 
nos  jours,  un  tel  acte  d'indépendance  coûterait  six  mille 
francs. 


Lorsque,  vers  1806,  les  pouvoirs  publics  se  préoccupèrent 
de  donner  aux  théâtres  un  régime  nouveau,  et  de  restreindre 
la  liberté  de  cette  industrie,  qui  avait  fait  surgir  trop  de 
scènes  nouvelles,  et  provoqué  des  faillites  nombreuses,  on 
songea  à  garantir  aux  écrivain-  une  rémunération  le>n.»- 
rable.  Le  premier  projet  de  décret  rédigé  par  le  ministre  «le 
l'intérieur  s'inspirait  de  celle  idée,  et  leur  réservait  une 
part  fixe  et  uniforme  dans  In  recette  des  salles  de  specta- 
cles. Il  protégeait  même  les  familles  des  littérateurs  contre 
les  cessions  des  droits  imposées  ou  irréfléchies  :  il  <li-j»<»-ail 
que,  lorsqu'un  auteur  céderait  -.1  pièce  en  toute  propriété 
;•  un  directeur,  cette  convention  n'aurait  d'effel  que  <l«i  son 
vivant  ;  elle  ne  sérail  pas  opposable  à  ses  héritiers. 


1    Assemblée  des  comités  «lu  10  octobre  1806,  Registres  '!<•  1    - 


[  |(ï  .  H  IPITRE    PREMIER 

On  revenait  au   monopole   :    il  semblait  naturel,   comme 
g    i-  l'Ancien  Régime,   de  donner  une  charte  de  garanties 

aux  auteurs. 

\|  ,  g  ces  dispositions  ne  se  retrouvent  pas  dans  le  décret 
qui  tut  rendu  le8juin  1800,  et  qui  porte  seulement: 

\     [cle  10.  —  Les  auteurs  cl  les  entrepreneurs  seront  libres 
de  déterminer  en  Ire  eux,  par  des  conventions  mutuelles,  les 
rétributions  dues  aux  premiers  par  somme  fixe  ou  autrement. 
\r,  ii.  i  i   II. —  Les  autorités  locales  veilleront  strictement 
cution  ilf  ces  conventions  ». 
h  un  autre  côté,  la  règle  que  les  auteurs  s'étaient  imposée 
.1.'    il-    passer    avec    les  administrations  théâtrales   aucun 
traité  particulier  semble  être  restée  lettre  morte.  Les  comités, 
qui  L'avaient  édictée,  manquaient  de  sanctions  pour  la  faire 
appliquer    :    il>  n'avaient  pas   alors  à   leur  disposition   ces 
statuts,  hérissés  de  clauses  pénales  et  de  menaces,  qui  pro- 
_  -iit    aujourd'hui    l'action  de  la   commission  des   auteurs 
dramatiques.  Le  lien  social  qui  reliait  les  auteurs,  groupés 
autour  d(       _  snces  d'affaires  qui  se  chargeaient   de  faire 
rentrer  leurs  droits,  était  «les  plus  vagues,  et  les  comités,  qui 
disposaient  d'un  pouvoir  de  contrôle  sur  les  agences,  qui 
prononçaient  souverainement  mu-  les  réclamations  des  entre- 
preneurs «!«■  spectacle,  n'avaienl  sur  les  membres  adhérents 
mu    pouvoir  disciplinaire,   aucune  autorité,  sinon  pure- 
ment nominale.  M-  étaient  Leurs  délégués,  et  non  leurs  chefs, 
rebours    des  commissaires   actuels   qui    entraînent    de 
dans  la  politique  qu'ils  adoptent, 
pratique,   s*il    Faut  <n  croire  Scribe,  les  auteurs 
soum        •  liaient  au  rabais    I  .  Les  prii  l<is  plus  dérisoires 

1  \  lemblée  générale  <ln  18  mai  is.'J'i,  V Association 
dramatiquei    défendue   par    ses    adversaires, 
:  ». 


LES    ORIGINES    DE    LA    SOCIÉTÉ  iil 

étaient  acceptés  couramment.  On  cite  une  pièce  de  Désaugiers 
et  Gentil,  la  Chatte  Merveilleuse  ^  qui  eut  cinq  cents  repré- 
sentations aux  Variétés,  à  raison  de  quatre  mille  francs  de 
recette  par  soirée  :  elle  rapporta  deux  millions  aux  direc- 
teurs ;  les  auteurs  touchaient  à  eux  deux  un  louis  par 
représentation.  Il  n'était  pas  rare  que  le  tarif  descendit  à 
cinq  ou  six  francs. 

Le  traitement  fait  aux  collaborateurs  d'une  morne  pièce 
était  très  inégal.  Caignez  et  d'Aubigny,  qui  tirent  jouer  la 
Pie  Voleuse,  touchaient,  l'un  18  francs,  l'autre  i  fr.  50  par 
soirée  (1). 

Ces  abus  devaient  amener  les  auteurs  à  s'entendre  pour  se 
donner  une  organisation  plus  stable  et  plus  forte.  Scribe 
consacra  ses  efforts  à  cette  entreprise  ;  il  voulut  réaliser 
bous  une  forme  définitive  l'union  des  auteurs  préparée  par 
Beaumarchais.  11  eut  La  main  heureuse,  puisque  la  société 
qu'il  fonda  a  déjà  vécu  plus  de  quatre-vingts  ans,  malgré  les 
assauts  furieux  qui  lui  furent  donnés. 


Le  7  mars  1829,  les  auteurs  dramatiques  se  réunissaient 
en  assemblée  générale  :  ils  adoptaient  des  règles  qui  régissenl 
encore,  dans  leurs  dispositions  principales,  L'association 
actuelle. 

C'est  une  véritable  société  qui  se  crée  à  cette  époque  entre 
les  auteurs;  en  1837  il>  lui  donneront  expressément  I<i  nom 
et  le  caractère  d'une  société  civile. 

Elle  comprend   tous  les  auteurs  <il  compositeurs  drame 
tiques,  quel  que   soil  le  genre  qu'ils  cultivent,  les  scènes 
auxquelles  Us  s'adressent.  Lll<>  a  des  statuts  qui  déterminent 


[1)  L'Association  dramatique  à  te*  adversaires ,  page  11. 


1  12  t  H  AI'll'KE   PREMÎEli 

o  m  position,  son  administration,  l'action  régulière  et  uni- 
forme qu'elle  entend  exercer  désormais  sur  le  marché  dra- 
matique. 

Le  luit  de  l'association  est,  aux  termes  mêmes  du  règle- 
iii. Mit.  la  défense  mutuelle  des  droits  des  associés  vis-à-vis 
des  administrations  théâtrales,  ou  de  tous  autres  en  rapport 
d'intérêts  avec  l<i-  auteurs,  e1  la  perception  des  droits  des 
auteurs  vis-à-vis  des  administrations  théâtrales  de  Paris  et 
dans  les  départements  ». 

I      S  ciété  passera,  non  plus  avec  tel  ou  tel  théâtre,  mais 

ec  toutes  les  scènes  de  Taris  et  de  la  province,  des  traités 
_  iT.iux.  valables  pour  un  nombre  d'années  déterminé,  et 
renouvelables  indéfiniment.  Ces  traités  seront  de  véritables 

lifications,  arrêtées  d'après  un  type  identique,  et  réglant 
dans  le  plus  grand  détail  les  obligations  diverses  dont  les 
directeurs  de  théâtres  seront  tenus  envers  les  auteurs  qu'ils 
représenteront.  Le  calcul  des  droits  se  fera  d'après  une  pro- 
portion invariable,  <d  il  est  interdit,  sous  peine  de  sanctions 
aux  directeurs  d'imposer,  aux  auteurs  de  consentir 
des  conditions  inférieures.  Telle  est  la  clause  essentielle  du 

le  qui  lie  encore  aujourd'hui  les  auteurs  membres  de  la 
S 

auteurs  ae  subiront  plus  désormais  la  loi   des  direc- 
teur! :  ils  dicteront  leurs  volontés. 

e«  par  Framery  et  par  Sauvan  ne  devaient 

raltre  dans  cette  réorganisation   :   elles  devaieni 

1er  toutes  les  deux,  mais  réunies  désormais  sous  une 

autorité,  e(   sous  le   contrôle  étroit  de   la  nouvelle 

>ciation.  Il   n'y  a  plus  un  comité  pour  chaque  agence  : 

ont     urveillées  dans  leur  gestion  par  une 

comi  n  d'auteurs  unique. 

"i  enfin  renvei  utre  les  auteurs  et  les 


LES   ORIGINES    DE    LA   SOCIÉTÉ  113 

directeurs  :  nous  avons  vu  par  quelles  fourches  caudines 
les  auteurs  avaient  dû  passer  avant  d'avoir  le  droit  d'abord 
de  réclamer  une  rémunération,  ensuite  d'en  assurer  le  paie- 
ment. Ils  ne  prendront  plus  désormais  le  chemin  de  l'hôpital, 
à  l'exemple  des  Malfilâtre  et  des  (iilhert.  En  1829  ils  don- 
naient les  maîtres;  aussi  n'excitent-ils  plus  notre  pitié. 

L'opinion  semble  morne  se  retourner  contre  eux,  les  accu- 
sant d'avoir  abusé  de  la  situation.  La  société  qu'ils  consti- 
tuèrent autrefois  pour  la  défense  de  leurs  droits  se  com- 
porte, dit-on,  comme  une  société  commerciale,  comme  un 
syndicat  industriel.  L'argent,  qui  se  mêle  à  tout,  s'est  mêlé 
à  la  lit (érature,  et  il  l'a  dépréciée  :  les  auteurs  sont  des 
hommes  d'affaires,  avant  d'être  des  hommes  de  talent.  On 
ne  désire  plus  le  succès  pour  la  gloire,  mais  pour  le  profit. 
Et  les  esprits  chagrins  vantent  l'âge  ancien  —  l'âge  d'or,  si 
l'on  peut  dire,  pour  l'opposer  à  notre  âge  d'argent  —  où 
les  poètes  rimaient  pour  L'honneur  de  rimer,  comme  l'hon- 
nèle  Gringoire.  Tout  cela  n'est  pas  sans  nuire  au  bon 
renom  de  Beaumarchais  :  et,  comme  il  fut  à  l'origine  de  ce 
mouvement  d'affranchissement  des  auteurs,  et  qu'il  eut  Le 
malheur  d'être  riche,  on  s'en  prend  à  lui.  N'est-ce  pas  lui 
qui  a  parlé  d'argent  à  do  écrivains  qui  ne  songeaient  qu  ;i 
la  gloire? 

C'est  remonter  un  peu  loin,  quoi  qu'on  pense  nu  fond 
de  l;i  question.  Beaumarchais,  quelle  que  lui  sa  perspicacité, 
n'avait  pas  vu  h  loin.  Il  s'était  demandé  simplement  -  il 
était  préférable  qu'un  auteur  vécu!  du  fruit  de  ses  ouvrages, 
plutôt  que  «l«i  chercher  ailleurs  «le-  ressources  plu-  ou  moins 
aléatoires,  «il  parfois  chèrement  acquises. 

El  comme  il  avait  vu  ses  confrères  réduits  a  une  mendicité 
plu  .  ..h  moins  <li  in  •  e,  M  en  avait  i  onclu  qu'il  valait  mieui 
qu'ils   fussent    payés,   pour  être    libre      I   était    là   toute  m 


1  1  i  CHAPITRE    PREMIER 

pei  •  il  la  disait  très  simplement,  lorsqu'il  écrivait  au 

duc  de  Duras 

Il  vaut  mieux,  suivant  moi,  qu'un  homme  de  lettres 
vive  honnêtement  du  fruit  de  ses  ouvrages,  que  de  courir 
après  des  places  ou  des  pensions  qu'il  peut  mendier  long- 
temps  sans  les  .irradier  ». 

Il  ne  pensail  pas  sans  doute  que  le  théâtre  pût  être 
considéré  un  jour  comme  un  moyen  de  s'enrichir  rapide- 
ment :  et  bien  peu  «le  ceux  qui  s'y  consacrèrent,  parmi  ses 

atemporains,  comptaient  y  faire  fortune. 


La  Société  actuelle 

Son  organisation 


La  Société  actuelle  —  Son  organisation 


C'est  le  7  mars  1829  que  la  Société  actuelle  des  Auteurs 
dramatiques  fut  fondée,  sur  l'initiative  de  Scribe  et  d'un 
groupe  d'écrivains,  parmi  lesquels  se  trouvaient  Etienne, 
Casimir  Delavigne,  Mélesville,  Rougemont,  Bouilly,  etc., 
tous  également  préoccupés  de  créer  une  association  perma- 
nente, plus  stable  et  plus  forte  que  celle  qui  existait  aupa- 
ravant. Une  assemblée  générale  réunit  80  auteurs  au  foyer 
du  théâtre  des  Nouveautés,  sous  la  présidence  de  M.  de 
Rougemont.  Le  congrès,  après  lecture  d'un  rapport  de 
Mélesville,  posa  les  principes  d'une  organisation  que  les 
différents  statuts  élaborés  depuis  cette  époque  ont  toujours 
respectée  (1). 

Sur  un  point  seulement  —  mais  sur  un  point  essentiel  — 
les  statuts  de  1829,  qui  furent  adoptés  par  2o7  membres 
adhérents,  diffèrent  des  statuts  plus  récent-. 

L'acte  sous  seings  privés,  passé  en  1829,  n'établit  pas 
entre  les  signataires  une  véritable  société.  S.'-  clauses  ont 
pour  objet  d'instituer  des  mandataires,  chargés  de  la  défense 
di><  intérêts  communs,  de  créer,  par  voie  de  prélèvement 
sur  les  droits  d'auteur,  une  caisse  subvenant  aux  frais  géné- 
raux, ainsi  qu'un  fonds  de  secours  pour  les  auteurs  malheu- 
reux —  institution  à  laquelle  Scribe  tenait  tout  particuliè- 


1    V  itsoeiation  de*  auteur*  et  compositeur*  dramatique*  défendu*  ■ 

adversaires.  Mémoire  précité. 


1  1S  CHAPITRE    II 

rement.  Mais  il  n'est  question  nulle  part  d'un  lien  social, 
retenant  les  signataires  par  des  obligations  réciproques. 

En  remettant  leurs  pouvoirs  aux  agents,  les  auteurs 
g'ei  -  -  tient  donc  à  se  conformer  aux  règles  adoptées  par 
l'assemblée  des  auteurs  en  1829.  Mais  ils  n'en  gardaient 
pas  moins  toute  leur  liberté  et  toute  leur  indépendance;  il 
leur  était  loisible,  à  toute  heure,  de  se  retirer  du  groupe- 
nt.-nt.  en  renonçant  aux  bons  offices  des  agents. 

Donc  nulle  contrainte  pour  les  auteurs,  mais  aussi  nulle 
force  pour  l'organisme  nouveau,  qui,  dès  le  début,  se  heur- 
tait aux  plus  graves  difficultés.  Car  qui  disait,  à  cette 
que,  association  des  auteurs,  disait  lutte  —  et  cela  est 
encore  un  peu  vrai  aujourd'hui. 

I  issociation  qui  se  créait  avait  pour  but  d'imposer  aux 
directeurs  de  théâtre  une  réglementation  plus  sévère  et  plus 
effi  Nul   doute  (ju'ils  ne  la  combattissent  par  tous  les 

moyens;  l'histoire  de  la  Société,  pendant  le  siècle  dernier, 

confond  presque  avec  l'histoire  de  ses  démêlés  avec  les 
directions  théâtrales,  refusant  de  s'incliner  devant  elle,  et 
de  reconnaître  son  existence  légale,  qui,  il  y  a  trois  ans  à 
peine,  lui  était  encore  >i  àprement  déniée. 

Chaque    fois    qu'un    conflit    surgit    entre  la    Société   des 

\uteurs  et  un  théâtre,  il  se  manifeste  par  le  retrait  du  réper- 

d.  véritable  mise  à  L'index  par  laquelle  la  Société 

une  les  directeurs,  privés  du  secours  des  membres  de 
i  ition. 

Mais  cette  défense,  très  énergique,  n'a  de  valeur  qu'autant 
T1  ■•      membres  s'inclinent  devant    la   volonté  com- 

mune :  elle  devient  parfaitement  illusoire,  si  Le  syndical  ne 

adhérents  a  une  forte  discipline. 
1  '  ,,'"t-  de  1829  i.  était  pas  un  contrat  de  société,  mais 
ontrat  de  mandat.  La  Commission,  «'lue  par  Les  auteurs, 


LA    SOCIÉTÉ    ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  119 

n'avait  aucun  moyen  de  sévir  contre  les  défaillances  pos- 
sibles des  membres  adhérents.  Elle  ne  devait  pas  tarder  à 
sentir  les  vices  de  cette  organisation  encore  timide. 

Dès  1832,  Ferdinand  Langlé,  membre  de  la  Commission, 
constate  que  le  pacte  de  1829  n'empêche  pas  les  auteurs 
syndiqués  de  se  soustraire  à  leur  devoir,  quand  les  mesures 
de  coercition  prises  contre  les  administrations  théâtrales 
leur  paraissent  léser  leurs  intérêts  particuliers.  11  soumet  à 
la  Commission  un  projet  de  constitution  de  l'association  en 
société  civile. 

Les  conseils  judiciaires  examinent  le  projet  :  tandis  qu'ils 
délibèrent  encore,  un  conflit  surgit  en  1837  entre  la  Com- 
mission et  le  directeur  des  théâtres  de  l'Ambigu  et  de  la 
(iaîté. 

Les  auteurs  s'empressent  d'adopter  un  plan  de  campagne  : 
le  répertoire  est  retiré  au  délinquant.  Les  associés  reçoivent 
Tordre  de  cesser  toutes  relations  avec  les  théâtres  proscrits. 
Mais  des  défections  se  produisent;  car  la  Commission  n'esl 
pas  à  même  de  les  prévenir. 

C'est  ce  qu'elle  reconnaît  elle-même  au  cours  d'une  d»'  ses 
séances,  alors  que  l'état  de  guerre  est  déclaré. 

«  Août  1837.  —  A  l'occasion  d'un  procès  entamé  entre  la 
Commission  e!  M.  de  Cèscau penne,  directeur  des  théâtres  de 
l'Ambigu  et  de  la  Gaité,  MM.  Francis  Cornu,  d'Epagny, 
Tournemine,  Deyeux,  et  quelques  .mires,  refusent  de  ><•  ^ou- 
mettre  à  la  délibération  qui  a  décidé  que  les  auteurs  De 
donneraient  pas  de  pièces  à  ces  théâtres,  jusqu'à  ce  que  les 
diflerends  existants  eussent  cessé. 

«  Les  conseils  judiciaires  font  observer  à  la  Commission 
que  l.t  Société  n'existant  que  par  la  délibération  de  1829,  les 
signatures  apposées  au  bas  de  <•••  règlement  n'ont  donné 
aux   membres  de  la  Commission  que   la  simple  qualité  de 


CHAPITRE    II 

mandataires,  el  que  les  signataires  peuvent  retirer  leurs 
pouvoirs,  quand  bon  leur  semble,  ensemble  ou  séparément. 
mseils  insistent  clone  pour  régulariser  l'association,  en 
lui  donnant  la  forme  d'une  société  civile  régulière,  à  durée 
limitée,  qui  engagera  irrévocablement  tous  les  signataires. 
La  Commission  reconnaît  la  justesse  de  ces  réflexions,  et, 
enattendanl  ces  mesures  d'organisation  nouvelle,  elle  décide 
que  les  auteurs  dissidents,  qui  refusent  de  se  soumettre  au 
vote  de  l'assemblée,  seront  regardés  comme  ayant  retiré  leur 
mandat,  el  que  les  agents  généraux  cesseront  de  leur  côté 
de  toucher  leurs  droits  et  rendront  leurs  pouvoirs  ». 

Exiger  la  retraite  des  membres  insurgés  contre  ses  déci- 
sions,  c'était  toul  ce  que  pouvait  Faire  la  Commission.  Et  ce 
n'était  pas  assez.  Los  membres  exclus  rentreraient  un  jour 
mi  l'autre  dans  l'association  :  cependant,  la  Société  n'aurait 

-  pu  imposer  ses  volontés  au  théâtre  avec  lequel  elle  était 
en  conflit. 

En  1837  .'iilin.  l'Association  des  Auteurs,  par  acte  passé 
en  l'élude  de  M'    Thomas,  notaire  à  Paris,  se  constitue  en 

iété  <i\i!f    I  .  Jusqu'au  lermc  prévu  par  les  statuts,  les 

nataires  ue  devaient  pins  avoir  la  faculté  de  se    retirer. 

ris  d<.iil<'  l'indépendance  des  auteurs  en  souffrit,  et  nous 
verrons  qu'ils  ont  souvent  protesté  contre  cet  assujettisse- 
ment. Mais  il  c'est  que  juste  de  reconnaître  qu'il  était  impos- 
sible de  procéder  autrement,  à   moins  que  la  réunion  des 

leurs  voulût  se  réduire  a  être  simplement  un  cercle,  un 
une  réunion  de  compétences,  permettant  de  discuter 
intérêts  des  écrivains,  de  Former  des  pétitions,  et  de 
donner  des  avis. 

1  ■  de  la  première  heure  lurent  pourtant  peu 

l«0  Hem     <!' tiuKilifiurs.  UiblioUn-(fiif 
Ue  la  Vit 


LA    SOCIÉTÉ    ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  121 

nombreux.  Beaucoup  des  anciens  membres  de  L'association 
s'abstinrent  pendant  assez  longtemps,  soit  négligence,  soit 
hésitation,  à  engager  définitivement  leur  liberté.  Cette 
abstention  inquiète  les  commissions.  En  lS'il),  Labiche 
demande  qu'on  prenne  dos  mesures  sévères  contre  ceux  qui 
n'ont  pas  encore  inscrit  leur  nom,  qu'on  cesse  de  percevoir 
leurs  droits.  En  1859,  la  Commission  décide  encore  de 
mettre  en  demeure  trente-quatre  auteurs  qui  ne  se  sont  pas 
décidés:  quatre-vingt-neuf  écrivains  ont  formellement  refusé 
leur  adhésion.  Ils  seront  définitivement  rayés    I  . 

L'acte  social  finit  toutefois  par  réunir  tous  les  auteurs 
qui  comptent  dans  le  théâtre. 

Dans  la  nouvelle  forme  que  l'Association  des  auteurs  s'esl 
donnée,  l'adhésion  aux  statuts  est  expressément  exi_ 
de  tous  ceux  qui  voudront,  à  un  titre  quelconque,  béné- 
ficier de  l'organisation  commune.  Les  statu U  enserrent 
les  membres  adhérents  dans  un  réseau  d'obligations  rigou- 
reuses,  auxquelles  ils  ne  peuvent  se  soustraire.  L'action  de 
chacun  est  étroitement  limitée  par  l'action  collective  de  la 
Société;  celle-ci  peut  dès  lors  traiter  avec  les  directeurs, 
Mire  de  ne  pas  être  trahie  à  l'improviste  par  quelques-uns 
de  v,.v  membres  :  cette  dépendance  est  même,  dous  le 
verrons,  plus  rigoureuse  et  plus  absolue  que  dans  toute  autre 
association  littéraire,  et  d'aucuns  veulent  y  voir  un  véri- 
table esclavage. 

L'acte  de  1  S-^T  fut  rédigea  nouveau  en  I S7*J  et  en  1904, 
mais  il  n'a  pas  été  modifié  dans  ses  principes  généraux,  dans 
ses  articles  fondamentaux.  La  durée  de  la  Société,  aux  termes 
de-  statuts  «le  ls:{7.  était  limitée  à  une  période  de  vingt- 
cinq  années,  à  dater  de  1829,  Mais  elle  continuait  de  plein 


t    Mémoire  précité. 


CHAPITRE    II 

droit,  si  la  liquidation  n'en  était  pas  demandée,  dans  le 
mois  précédant  l'expiration  du  temps  fixé  pour  sa  validité, 
par  les  deux  tiers  des  associés.  La  liquidation  n'ayant  pas 
été  demandée  en  1854,  la  Société  ne  prit  lin  qu'en  mars  1879. 
L'institution  ne  devait  pas  d'ailleurs  disparaître.  Elle  se 
reconstitua  immédiatement,  sur  les  mêmes  bases,  par  un 
acte  du  2\  février  1879,  pour  une  durée  de  vingt-cinq  ans, 
sauf  prorogation  de  plein  droit  dans  les  mêmes  conditions. 
I  i  liquidation  n'ayant  pas  été  proposée  en  1904,  à  l'expira- 
tion du  terme  prévu  en  1879,  la  Société  a  continué  entre  les 
mêmes  membres  :  on  a  seulement  profité  de  cette  échéance 
pour  remanier  les  statuts  sur  quelques  points. 

L'objet  de  la  Société  esl  ainsi  défini  par  l'article  5  des 
statuts  de  1904  : 

!  La  défense  mutuelle  des  droits  des  associés  vis-à-vis 
des  administrations  théâtrales  ou  de  tous  autres  en  rapport 
d'intérêt  avec  les  auteurs  : 

-    La  perception  des  droits  des  auteurs  vis-à-vis  des  admi- 
nistrations  théâtrales,   à    Paris,   dans   les    départements,   à 
l'étranger,    partout   enfin   où    la  perception  peut  s'exercer 
dément,  el  la  mise  en  commun  d'une  partie  de  ces  droits; 
l       réation  d'un  fonds  de  secours,  au  profil  des  associés, 
de  leurs  veuves,  héritiers  ou  parents; 

l  i    création    au    profit   des   associés   d'une  caisse   de 
pensions  de  retraite,  quand   les  ressources  de   la  Société  le 
mettront  : 

ition  d'un    fonds  commun   de  bénéfices    parta- 

■  lé  des  Auteurs  est  multiple,  complexe  dans 

""   et  dans  son  objet.  On  peut  \  voir  une  société  de 

'•',-  puisque  le  premier  but  qu'elle  poursuive,  et  !<•  plus 

de  remettre  a  un  organisme  permanent  la 


LA    SOCIÉTÉ    ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  123 

défense  dos  droits  des  auteurs  :   elle  peut  être  comparée  h 

une  société  de  secours  mutuels,  puisqu'elle  se  propose  de 
verser  à  ses  membres,  dans  i\i>>  conditions  déterminées,  des 
pensions  ou  des  secours.  Elle  aime  nussi  à  se  dire  syndical 
professionnel,  et,  si  cette  dénomination  doit  lui  être  refusée, 
d'après  la  législation  qui  régit  actuellement  le  droit  syn- 
dical, il  est  bien  certain  qu'elle  constitue  uu  groupement  de 
proleetion  des  intérêts  littéraires  très  analogue  à  ceux  qui 
se  sont  constitués  pour  la  défense  des  intérêts  commerciaux 
ou  industriels.  Elle  est  enfin  —  et  nous  verrons  que  ce 
caractère  prime  les  autres  —  société  civile,  puisqu'elle 
prévoit  la  création  d'un  fonds  commun,  alimenté  par  les 
cotisations  de  ses  membres,  et  la  répartition  de  bénéfices 
entre  ceux-ci. 


A  col*'  de  la  Société  des  Auteurs  et  Compositeurs  drama- 
tiques, s'esl  fondée  une  Société  des  Auteurs,  Compositeurs 
et  Editeurs  de  musique,  dont  les  statuts  se  -<>nl  visiblement 
inspirés  des  statuts  de  la  première.  Elle  protège  les  intérêts 
de  ses  membres  sur  les  œuvres  musicales  qui  ne  sonl  pas 
destinées  à  soutenir  une  action  dramatique. 

Elle  perçoit  aussi  <l<is  droits  sur  tous  les  morceaux  ou 
airs  isolés,  qu'il  s'agisse  (railleur-  de  musique  de  scène 
exécutée  dans  les  théâtres,  de  chansonnettes,  ouvertures, 
monologue-  ou  fantaisies  dans  les  concerts,  les  music-halls, 
les  bals,  etc... 

Telle  est  la  distinction  générale  que  l'on  peul  faire  entre 
les  deux  sociétés  :  mais  elle  souffre  des  dérogations. 

Bien  que  les  deux  associations  aient  souvent  les  mêmes 
clients,  qu'elles  soienl  en  rapports  constants,  leur  domaine 


IJ',  CHAPITRE    II 

touche  sans  se  confondre,  et  il  est  aujourd'hui  nettement 

délimité. 

Il  n'en  a  pas  toujours  été  ainsi.  Les  frontières,  mal  tracées, 
mil  i    ;s.  Il  y  a  eu  des  froissements,  des  contesta- 

tions,  sur  lesquels  les  tribunaux  furent  appelés  à  se  pro- 
noncer. Il  es!  intéressant  de  dire  comment  surgirent  ces 
Incidents,  qui  furenl  le  point  de  départ  d'une  nouvelle 
démarcation  entre  le-  deux  groupements. 

Jusqu  ;iii    milieu   du    siècle  dernier,  aucune   association, 

aucune  agence  même  n'assurait  aux  compositeurs  le  recou- 

111. -ut  dt'  leurs  droits  sur  leurs  oeuvres  indépendantes  de 

tout  récit  dramatique,  aux  écrivains  des  droits  sur  les  chan- 

ls  el  monologues  isolés.   Les  auteurs,  en  l'absence  d'une 

3  irisation  centrale,  ignoraient  d'ailleurs  les  exécutions 
qu'on  donnait  de   leurs  ouvrages.  Comment  auraient-ils  pu 

roir  que  dans  le]  concert,  dos  œuvres  de  leur  composition 
ieni  et  utées,  ou  mêmequedans  tel  théâtre  de  telle 

ville  "H  avait  joué  une  pièce  où  certains  airs  de  leur  inven- 
li"ii  étaient  intercalés?  Au  reste,  le  plus  souvent,  étant 
donnée  la  variété  des  spectacles,  les  droits  eussent  coûté  plus 
de  mal  &  recouvrer  qu'ils  n'eussent  rapporté  de  bénéfice. 

La  propriété  musicale  avait  paru  si  précaire,  qu'elle  avait 
abandonnée  par  les  intéressés  aux  mains  des  éditeurs. 
imprimant  des  œuvres  musicales,  ceux-ci,  en  vertu  d'une 

dition  constante,  acquéraient  Ions  les  droits  qu'elles  pou- 

ienl  procurer.  C'est  ce  qui  explique  que,  lorsque  la  nou- 

constitua    par  acte  du  34  janvier  1851,  ils 

furent  appelés  à  partager  avec  les  compositeurs  les  bénéfices 

de  la  perception  nouvelle  (1).  C'était  pour  tout  le  monde  nue 


odation  de  la  Société  lyrique,  la  plaidoirie  de  M*  Doumero 
•  I    Compositeur?    dramatiques   cunlit 


LA   SOCIÉTÉ   ACTUELLE.    —   SON   ORGANISATION  125 

véritable  aubaine,  puisqu'il  s'agissait  de  gains  que  les  entre- 
preneurs de  spectacle  s'étaient  jusqu'alors  appropriés  sans 
remords.  Ces  revenus  inattendus  ne  cessèrent  (railleurs  de 
grossir.  Les  sommes  perçues,  qui  atteignaient  tout  juste 
t,000  francs  la  première  année,  s'élevaient  à  près  de  deux 
millions  en  1898.  Les  recettes  de  l'exercice  1906-1907  ont 
atteint  3,391 ,628  francs. 

Aux  termes  de  ses  statuls.  l'action  de  la  nouvelle  Société 
était  limitée  aux  établissements  publics  ^  qui  exécutent  les 
œuvres  littéraires  ou  musicales  avec  ou  sans  paroles  origi- 
nales, tels  que  théâtres,  concerts,  cales  chanlants,  et  tous 
autres  établissements  exploitant  les  productions  littéraires 
et  musicales  mitres  que  les  pièces  de  théâtre  ». 

Elle  ouvrait  donc  aux  auteurs  une  nouvelle  source  de 
revenus,  s;uis  porter  aucune  atteinte  à  ceux  dont  la  Société 
dramatique  elFectuait  la  perception.  Celle-ci  continuait  à 
toucher  seule  les  droits  sur  les  comédies,  les  opéras,  sur 
toute  œuvre  scénique  en  un  mot,  la  nouvelle  Société  ne 
s'occupant  que  des  morceaux  détachés,  littéraires  ou  musi- 
caux, pour  lesquels,  jusqu'alors,  aucune  perception  régulière 
n'avait  été  organisée.  La  Société  lyrique  déclarai!  d'ailleurs 
expressément  qu'elle  n'entendait  en  rien  empiéter  sur  les 
attributions  et  les  prérogatives  de  la  Société  dramatique. 

11  est  à  remarquer  que  la  distinction  des  œuvres  qui 
relevaient  de  l'une  ou  de  L'autre  des  deux  associations  était 


Société  des  Auteurs,   Compositeurs  <•!   Editeurs  de  musique  •.  Imprimerie 
Chaix,  18 

On  raconte  qu'un  Boir,  en   1897,   M.  Bourget,   compositeur,  se   rendil  sus 
ambassadeurs,  où  l'on   jouail  un   œuvre   de  lui,  la  M<      M    \el  «  I  <>, 
Italien. 

Il  no   demanda  qu'un   verre  d'eau   sucrée.   Lorsque   I  m   vint    1m 

réels  mer  1»'  prix  de  ss  place  : 

„  Commen  ris  Bourg»  I   d<  m  I    in<     ,    ur  votre  iren 

entendu  ms  \  ièc< 

yerre  d  •  lu  merée  qu<   la  Société  lyriqm  i   existen 


CHAPITRE    H 

ndée  uniquemenl  sur  le  caractère  morne  des  ouvrages  — 
selon  qu'ils  pouvaienl  être  considérés  ou  non  comme  drama- 
tiques —  el  non  sur  le  genre  des  établissements  dans  lesquels 
ils  étaient  représentés  ou  exécutés.  Mais  elle  se  faisait  d'elle- 
même  entre  les  établissements;  car,  si  la  Société  lyrique  pou- 
vait être  amenée,  par  l'esprit  même  de  ses  statuts,  à  réclamer 
des  droits  Bur  la  musique  de  scène  dans  les  théâtres,  la 
-  ciété  dramatique,  par  contre,  n'avait  pas  accès  dans  les 
music-halls,  qui  riaient  assimilés  à  cette  époque  aux  débits 
«I»'  boissons,  et  qui  ne  pouvaient,  sans  sortir  de  leur 
domaine  légal,  représenter  les  œuvres  dramatiques,  réser- 
>i--i  bien  par  le  décret  de  1852  que  par  celui  de  1806, 
nia  théâtres  autorisés. 

équilibre  lut  rompu  en  186i.  Le  décret  du  0  janvier 
1864,  <|ui  inaugurai!  effectivement  le  régime  de  la  liberté 
des  théâtres,  que  la  Révolution  avait  édicté,  sans  le  respecter, 
décidait  dan-  -<>n  article  4  :  «  Les  ouvrages  dramatiques  de 
tous  les  .in'-  pourront  être  représentés  dans  tous  les 
très 

'ut  une  véritable  révolution  dans  l'art  dramatique.  Ce 
ut  pas  seulement  l'affranchissement  des  genres  que  le 
décret  proclamait,  en  autorisant  les  petits  théâtres  à  repré- 
iter  les  comédies  ci  les  drames  qui  n'avaient  accès,  jusque- 
la,  que  dans  les  grands  théâtres  autorisés  ;  c'était  aussi,  —  car 
lisposition  «lu  décret  doit  être  entendue  dans  son  acccp- 
tion  la   pin-  large,        dégager  les   music-halls  des  exhibi- 
tions, des  chansonnettes,  H  attractions  «le  tout  genre,  dans 
[uelles   il  .ut   été   sévèrement    cantonnés,  et  leur 

mettre  «!«•  puiser  au  répertoire  dramatique.  Encourage- 
''",  précieuj  pour  l<  oncerts,  qui  comprirent  que 

retenir  leur  public,  il-  devaient   devenir  de  véritables 

ipectacles  van.'--.    Ils  ne  cessèrent 


LA    SOCIÉTÉ    ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  127 

de  se  multiplier,  dès  ce  moment,  et  leur  prospérité,  qui  n'a 
fait  que  croître,  si  elle  a  permis  à  de  jeunes  talents  de  se 
produire  et  de  faire  un  apprentissage  utile  sur  ces  scènes  de 
second  ordre,  n'a  pas  été  sans  donner  les  plus  vives  inquié- 
tudes sur  l'avenir  de  l'art  dramatique. 

Les  music-halls,  grâce  au  nouveau  régime  en  vigueur, 
firent  une  place  de  plus  en  plus  large  aux  œuvres  drama- 
tiques. Ce  furent  d'abord  des  saynètes,  puis  des  actes  entiers, 
enfin  des  revues,  montées  avec  un  luxe  de  décors  et  une 
figuration  de  plus  en  plus  riche.  11  y  avait  là  une  source  de 
profits  dont  la  Société  dramatique  ne  pouvait  se  désinté- 
resser. Pour  mettre  la  main  sur  ces  profits,  elle  augmenta  le 
nombre  de  ses  agents,  elle  imposa  des  traités  aux  cafés- 
concerts. 

C'est  ainsi  que,  dès  1865,  nous  lui  voyons  toucher  des 
droits  aux  Folies-Marigny,  aux  Folies  Saint-Antoine,  au 
théâtre  Saint-Pierre,  à  l'Ecole  lyrique.  En  18G7  et  1868,  elle 
traite  avec  l'Eldorado,  avec  l'Alcazar,  avec  le  Concert  du 
XXe  Siècle.  C'est,  en  1868  et  1869,  le  tour  des  Folies-Bergère, 
des  Porcherons,  du  Concert  Tivoli,  des  Mille-Colonnes,  «b1 
beaucoup  d'autres  scènes,  dont  les  unes  ont  disparu,  suivant 
les  caprices  du  goût  public,  dont  les  autres  sont  encore 
debout,  et  en  pleine  prospérité. 

D'autre  part,  la  Société  lyrique  émit  la  prétention  fcrès 
n.iturelle  de  toucher  des  droits  sur  la  musique  de  scène  «fin- 
ies théâtres,  où  elle  n'avail  jamais  eu  en  Fait  ses  entn 
Il  y  eut  des  rencontres  en  tre  les  deux  S  <  ><  ■  i  «  *  I  »  *  -  :  cela  n'alla 
pas  sans  quelques  heurts,  sans  quelques  erreurs  de  percep 
tion.  Aussi  sentirent-elles  La  nécessité  de  délimiter,  par  une 
♦•ntente  courtoise,  leur  domaine  respectif  :  une  convention 
intervint  à  la  date  du  18  mai  1866.  \ui  termes  <l«v  cel  accord, 
les  agents  de  la  Société  dramatique  resteni  seuls  charg 


CHAPITRE    II 

de    la     perception     des    droits   des    membres    de   ladite 
,.|,.  pour  les  représentations  des  œuvres  dramatiques  ». 
De  son  côté  la  Société  lyrique  perçoit: 

1  Dans  les  théâtres  •  les  droits  attribués  aux  intermèdes, 
tels  que  :  chansons,  chansonnettes,  romances,  etc...,  duos, 
trios,  chœurs,  ouvertures,  symphonies,  concerts,  etc., 
Q'appartenani  à  aucune  œuvre  dramatique  représentée  ; 

\n\  termes  de  ses  traités,  la  rétribution  fixée  par  abon- 
nement,  pour  la  musique  appartenant  à  ses  sociétaires, 
employée  dans  les  drames,  vaudevilles,  féeries,  revues,  etc.». 

2  Dans  tous  l<1-  établissements  autres  que  les  théâtres, 
les   droits   sur    l'exécution    de    toutes    œuvres    musicales, 

aies,  instrumentales,  môme  pour  celles  extraites  d'oeuvres 
dramatiques. 

Ainsi   chaque   Société    conservait  son   patrimoine.    Quoi 

qu'on  ail  prétendu   parla  suite,  il  résultait  de  l'esprit  de  la 

nvention  <|u<i  la  Société  dramatique  continuait  à  toucher 

pour  toute  œuvre  destinée  à  la  représentation,  qu'il  s'agit 

d'une  œuvre  parlée  ou  d'une  œuvre  musicale,  aussi  bien 

dans  les  théâtres  que  dans  les  music-halls.  De  son  côté,  la 

-     iété  lyrique  percevail  bis  droits  sur  L'exécution  de  toute 

oeuvre   purement    lyrique,  dans  tout   établissement  public, 

théâtre  «»m  café-concert  —  cela  est  dil  expressément.  Après 

tvani  1866,  c'est  donc  an  caractère  de  l'œuvre  qu'il 

nvient  de  s'attacher,  aon  à  la  scène  sur  laquelle  elle  esl 

,11  représentée. 
Un  plion  était  cependant  admise,  an  sujet  des  frag- 

menta d'œuvres  dramatiques  qui,  aux  termes  de  la  conven- 
ir   relevaient   de   la    Société  lyrique,    <'u   dépit  de  leur 
dramatique,    lorsqu'ils   étaient    représentés  dans 
i  hantants.   (  ta   n'avait    pas   voulu   étendre  à   des 
le  p]         uvenl  san    importance,  les  distinction 


LA    SOCIÉTÉ    ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  129 

admises,  pour  les  œuvres  entières,  dans  la  composition  des 
spectacles  des  music-halls. 

Les  mêmes  principes  réglaient  le  partage  des  perceptions 
dans  les  concerls  accidentels. 

Lorsque  ces  concerls,  porte  la  ((invention  de  1866,  sont 
donnés  dans  un  théâtre  (le  mol  théâtre  est  pris  ici  dans  son 
sens  générique,  et  comprend  toute  salle  de  spectacle),  sans 
adjonction  d'une  œuvre  dramatique,  le  droit  entier  est 
perçu  par  la  Société  Lyrique  :  s'il  y  a  adjonction  d'une 
œuvre  dramatique,  les  droits  de  l'œuvre  et  des  fragments 
d'œuvres  dramatiques  sont  perçus  par  la  Société  dramatique, 
les  autres  morceaux  par  la  Société  lyrique. 

Si  le  concert  est  donné  dans  une  salle  autre  qu'une  salle 
de  spectacle,  avec  adjonction  d'une  œuvre  dramatique,  le 
droit  de  l'œuvre  dramatique  seulement  est  perçu  par  les 
agents  de  la  Société  dramatique. 

Toutes  ces  dispositions  étaient  parfaitement  conforme-  à 
l'objet  très  distinct  des  deux  Sociétés,  <jni  a  été  défini  par 
un  auteur  dans  les  termes  suivants  : 

«  [L'objet  de  La  Société  de  Musique  ,  écrit  M.  Pouillet, 
tout  ;i  fait  analogue  à  celui  de  la  première  Société,  s'en 
distingue  pourtant  nettement.  Elle  ;»  en  effet  pour  Iml  de 
percevoir  les  droits  des  auteurs,  compositeurs  et  éditeurs 
de  musique,  sur  toute  œuvre  qui  n'es!  pas  une  pièce  de 
théâtre,  c'est-à-dire  pour  tous  les  morceaux  isolés,  tirés 
d'ailleurs  ou  non  d'un  ouvrage  dramatique.  En  effet  les 
statuts  «le  la  Société  dramatique  parlent  de  «  représen- 
'«  tation  »,  .  >  I  «  »  i  •  ^  que  ceux  de  l;i  Société  de  Musique  parlenl 
l'exécution  »    I  . 

Apre-  1866,   le-  perceptions  parallèles  des  deux  Société 


l    Pouillet,  ï'niiii-  >h>  la  propriété  littéraire  et  artistique^  [>a^ 


130  CHAPITRE    H 

poursuivirent,  sans  amener  de  complications  nouvelles, 
chaqui  S      été  percevant,  dans  les  établissements  de   tout 
h.  .  les  droits  qui  lui  revenaient,  aux  termes  de  la  conven- 
tion. 

En  1893  pourtant,  il  y  eu1  lieu  de  modifier  l'accord  inter- 
\i  ii h  en  1866;  mais  le  principe  de  la  répartition  des  droits 
entre  les  deux  Sociétés  n'étail  pas  en  jeu,  il  s'agissait  sim- 
plemenl  dune  question  de  tarifs. 

Jusqu'alors  la  Société  lyrique  s'était  contentée  d'imposer 
un  abonnement  modique  aux  salles  de  spectacles  qui  faisaient 
un  peu  de  musique  accessoire.  Cette  musique  accessoire 
c'avait  pas  tardé  à  prendre  une  importance  de  plus  en  plus 
nde,  avec  le  développement  des  revues  qui  écrémaient 
habilement  les  partitions  les  plus  connues.  Ces  larges 
emprunts  ue  laissaient  pas  que  de  nuire  aux  compositeurs, 
dont  il-  vulgarisaient  les  œuvres,  et  pouvaient  empêcher 
ainsi  les  reprises  possibles.  I  Sependant  les  clients  de  la  Société 
lyrique,  cédant  à  la  communauté  le  droit  d'autoriser  l'exécu- 
tion de  leurs  ouvrages,  n'avaienl  aucun  moyen  de  s'opposer 
me  exploitation  qui  risquait  de  leur  porter  préjudice.  Au 
moins  fallait-il  qu'une  rétribution  plus  équitable  fût  allouée 
dans  au    musicien,   véritable  collaborateur  sans  le 

Sur  les  vives  instances  de  beaucoup  de  ses  membres, 
iété  lyrique  fui  amenée  à  proposer  aux  directeurs  des 
lies  de  spectacles  des  traités  stipulant  1  0/0  d'abord,  puis 
-  ,(  I  0/0,  pour  la  musique  accessoire. 

I     '•  I  »i     en  arrêtanl  ces  dispositions  nouvelles,  le  Syndi- 
Ifl  S  ciété  lyrique  n'étail  pas  sans  concevoir  quelques 
inquiétude      [       directeurs,  menacés  d'une  perception  plus 
prétendaient  recourir  désormais  à  des  partitions  nou- 
velles, relevant  de  la  Société  dramatique.  De  son  coté  cette 
-  inquiétai!   de  ces    perceptions,    qui  risquaienl  de 


LA    SOCIÉTÉ    ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  131 

diminuer  d'autant  les  droits  qu'elle  loucha  il.  Car  il  s'agissail 
de  perceptions  faites  à  l'occasion  d'ouvrages  dramatiques, 
qu'on  aurait  air.si  soustraites  à  sou  approbation  et  à  son 
intermédiaire.  N'était-ce  pas  sortir  des  termes  de  la  conven- 
tion qui  liait  les  deux  institutions? 

Une  entente  eut  lieu  entre  les  deux  Sociétés  :  elle  abouti! 
à  un  accord  qui  fut  conclu  le  17  novembre  1893.  La  Société 
dramatique  régularisait  la  situation,  en  Faisant  à  la  Société 
voisine  des  concessions  légitimes. 

«  Lorsqu'un  ouvrage  dramatique,  dil  la  convention  nou- 
velle, comprendra  de  un  à  six  airs  intercalés,  extraits 
d'oeuvres  dramatiques  ou  lyriques  représentées,  de  romances, 
de  chansonnettes,  ou  des  airs  nouveaux  de  compositeurs 
non  déclarés  à  cei  ouvrage  dramatique,  les  compositeurs  de 
ces  airs  recevront  le  droit  proportionnel  de  I  0/0  qui  est  el 
continuera  à  être  perçu  parla  Société  des  Auteurs,  Composi- 
teurs et  Editeurs  de  musique. 

«  Lorsqu'un  ouvrage  dramatique  comprendra  de  sepl  à 
à  douze  airs  intercalés...  il  sera  prélevé, sur  les  droits  perçus 
en  vertu  des  traités  passés  entre  la  Commission  des  auteurs 
et  compositeurs  dramatiques  et  les  directeurs  des  théâtres 
de  Paris,  une  part  correspondant  à  I  0  Dde  la  recette  brute. 
Cette  part  de  1  0/0  sera  versée  entre  les  mains  de  l'Agent 
général  de  la  Société  des  Auteurs,  Compositeurs  e1  Editeurs 
de  musique,  pour  être  confondue  avec  le  I  o  u  qu'il  aura 
directement  perçu,  ei  ces2  <>  0  devront  être  répartis,  comme 
d'usage,  entre  les  compositeurs  des  airs  intercalés. 

«  Enfin,  lorsque  !«'  nombre  des  airs  intercalés  sera  de  treize 
et  au-dessus,  il  sera  prélevé,  sur  les  droits  perçus  par  la 
Société  des  Auteurs  ei  Comp  siteurs  dramatiques,  une  pari 
correspondant  à  2  o  0  de  la  recette  brute  :  ces  ~  (>  0  seronl 
versés  à  l'Agenl  général  de  la  So<  iété  des  Auteurs,  Composi- 


CHAPITRÉ    II 

leurs  el  Editeurs  de  musique,  pour  être  confondus  avec  le 
1  0  Q  qu'il  aura  directement  perçu,  et  la  répartition  des  3  0/0 
ainsi  obtenus  sera  faite  par  ses  soins,  comme  il  est  dit  ci-dessus. 
Il  c-l  bien  entendu  que  la  musique  exécutée  pendant  les 
entractes,  la  musique  dite  de  scène  (trémolos,  entrées  et 
sorties  de  personnages,  etc...),  ne  seront  pas  considérées 
comme  des  airs  intercalés,  et  ne  bénéficieront  pas  des  pré- 
sentes dispositions  ». 

Dispositions  analogues  pour  la  province  et  l'étranger]. 
Les  règlements  de  ces  prélèvements  serontfaits  le  quinze 
de  chaque  mois  par  les  soins  de  MM.  les  Agents  généraux 
de  la  Société  des  Ailleurs  et  Compositeurs  dramatiques,  et  le 
produit  de  ces  droits  sera  versé  à  M.  l'Agent  général  de  la 
S  ciété  des  Auteurs,  Compositeurs  et  Editeurs  de  musique, 
sous  déduction  des  prélèvements  statutaires  »  (1). 

Comme  complément  à  cet  accord,  il  convient  d'ajouter  que 
la  Commission  des  Auteurs  et  Compositeurs  dramatiques  a 
décidé,  en  1898,  que  les  termes  de  cette  convention  seraient 

ttdua  aui  pièces  anciennes  reprises  avec  des  modifica- 
tion- permettant  de  les  considérer  comme  de  véritables 
pièces  nouvelles,  avec  une  musique  différente  de  celle  em- 
ployée  •'  la  création  <!<'  l'ouvrage,  et  avec,  de  nouveaux  airs 
intercalés  empruntés  au  répertoire  de  la  Société  lyrique. 


I'  perceptions  parallèles  des  deux  Sociétés  se  poursuw 
virenl    sans    encombre  jusqu'en    1897,    suivant   le   partage 

avenu,  la  Société  lyrique  percevani  sur  les  œuvres  exé- 
cutées, la  Société  dramatique  sur  les  œuvres  représentées. 
rapports   devinrenl    moins  cordiaux.    Pur 

tpporl  de  M.  Paul  Perrier,  Annuaire  de  la  Société  des  Auteur* 


LA    SOCIETE    ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  133 

simple  tolérance,  la  Société  dramatique  avait  admi>  que  les 
saynètes-opérettes  et  divertissements  de  peu  d'importance 
fussent  déclarés,  au  gré  des  auteurs,  soit  à  son  siège,  soit 
au  siège  de  la  Société  voisine.  Cette  tolérance  encouragea 
bientôt  la  Société  lyrique  à  suivre  une  orientation  nouvelle, 
et  à  proposer  aux  directeurs  de'  cafés-concerts  des  traités 
stipulant  pour  les  opérettes  et  autres  pièces  représentées 
dans  ces  salles  de  spectacles,  une  rétribution  distincte,  plus 
élevée  que  pour  les  simples  exécutions  musicales,  et  qui 
devait  être  versée  .:i  ses  agents. 

La  Société  dramatique  protesta  contre  ces  agissements, 
dès  qu'elle  en  eut  connaissance.  Une  correspondance  —  très 
Académique  —  s'engagea  entre  les  présidents  des  deux 
Sociétés,  M.  Sardou  et  M.  Laurent  de  Rillé.  Mais  on  ne  par- 
vint pas  h  s'entendre. 

A  une  question  ainsi  posée  par  M.  Sardou  au  Syndicat  de 
l;i  Société  lyrique  : 

«  Votre  Société  entend-elle  étendre  aux  pièces  propre- 
ment dites  (comédies,  vaudevilles,  revues,  opérettes,  ballets  . 
représentées  dans  les  cafés-concerts,  la  tolérance  dont  elle  a 
bénéficié  jusqu'à  ce  jour?  » 

La  Société  lyrique  répondait  : 

((  Le  Syndicat  ne  t';iit  aucune  difficulté  de  vous  annoncer, 
ju'avec  la  réglementation  nouvelle  appliquée  désormais  à 
la  répartition  des  droits  afférents  aux  pièces  jouées  dans  les 
établissements  ci-dessus  cafés-concerts,  music-halls,  et  tous 
établissements  autres  que  les  théâtres  ,  il  acceptera  dans 
Bon  répertoire  l<>utc-  les  œuvres  comportant  de  la  musique 
nouvelle  ou  ancienne,  qu'il  conviendra  aux  auteurs  de  lui 
déclarer.  Le  Syndicat  ne  fait  ainsi  qu'user  de  aon  droit,  et 
le  bénéficie,  par  conséquent,  d'aucune   tolérance 

C'était  empiéter  manifestement  sur  le   domaine   de    la 


134  CHAPITRE   II 

S  :iété  dramatique,  et  violer  ouvertemenl  les  conventions 
intervenues,  ainsi  que  la  lettre  des  statuts  respectifs  des 
deux  institutions.  La  Société  dramatique  fil  dresser  procès- 
bal  de  plusieurs  infractions  commises  à  son  préjudice,  dans 
divers  music-halls,  et  l'affaire  fui  portée  devantles  tribunaux. 
M  Doumerc,  qui  présenta  la  défense  de  la  Société 
lyrique,  prétendil  que  les  agissements  incriminés  étaient 
conformes  aussi  bien  aux  statuts  de  la  Société  dramatique, 
qu'aux  traités  conclus  par  elle  avec  la  Société  lyrique  : 
Au\  termes  de  ses  statuts,  la  Société  dramatique  ne  bor- 
nait-elle pas  son  action  «  à  la  défense  des  auteurs  vis-à-vis 
des  administrations  théâtrales  »?  Administration  théâtrale, 
cela  veut  duc  théâtre,  cela  n'a  jamais  voulu  dire  café- 
concert. 

L'art.  I''1  de  la  convention  de  I86G,  que  la  Société  drama- 
tique  invoquait  à    tort,  confirmait  seulement   à  la   Société 
dramatique  la  perception  exclusive  sur  les  œuvres  drama- 
tiques. Sans  doute,  il  ne  distinguait  pas  entre  les  différentes 
salles  de  spectacles.  Mais  il  n'avait  certainement  pour  objet 
que  t\v  maintenir  la  situation  antérieure  :  or,  pendant  toute 
la  première  moitié  du  siècle  dernier,  aucun  agent  de  celle 
iété  n'était  venu  réclamer  quoi  que  ce  lui  dans  les  cafés- 
ticerts.   Dans   l«-    silence  <\<'^  textes,    ne  convenait-il  pas 
lilleurs  de  laisser  les  auteurs,  les  seuls  intéressés  en  fin  de 
1  I    les  véritables   parties   dans   le  procès,  libres  de 
larer  leurs  ouvrages  destinés  à   ces  établissements  à  la 
•   qui  leur  convenait  ?  La  Société  dramatique,  en  effet, 
plus  de  droits  que  les  auteurs  qui  la  coinpo- 
1    Mandataire  de  ces  auteurs,  clients  In  plupart  du  temps 
ndicats,  comment   prétendrait-elle  s'interpose! 
eu*  et    l'agence  de    leur  choix,  leur  défendre  d'aller 
''••  '  "l"-   '    l'autre,   au  gré   de   leurs   intérêts?   N'était-il  pas 


LA    SOCIÉTÉ    ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  135 

contradictoire  de  voir  la  Société  dramatique,  au  uom  de 
ses  clients,  attaquer  les  perceptions  faites  par  nue  société 
voisine,  pour  le  compte  de  ces  mêmes  clients? 

L'argument  était  spécieux,  mais  peu  convaincant. 

Les  deux  Sociétés  n'intervenaient  pas  dans  le  procès  au 
nom  de  leurs  mandataires.  C'était  une  action  propre  qu'elles 
intentaient,  qui  ne  mettait  pas  en  cause  la  personnalité  de 
leurs  membres,  mais  qui  touchait  aux  intérêts  sociaux.  11 
s'agissait  d'interpréter  des  conventions  passées  entre  les 
ilcux  Sociétés  pour  délimiter  leurs  intérêts  et  leurs  droits 
respectifs. 

M1  Poincaré,  qui  plaida  pour  la  Société  dramatique,  lit 
valoir  que  son  intervention  dans  les  music-halls  n'était  pas, 
quoi  qu'on  prétendît,  contraire  à  l'esprit  de  ses  statuts. 
<(  Administration  théâtrale  »,  n'était-ce  pas  un  terme 
d'acception  fort  large,  comprenant  tous  les  établissements 
organisés  en  salles  de  spectacles?  Certes,  Scribe,  en  1829, 
ne  pouvait  penser  qu'aux  théâtres.  El  de  l'ail  pendant 
longtemps,  les  cafés-concerts  ^  soumis  à  nue  réglementation 
restrictive,  ne  s'attaquèrent   pas  au  répertoire  dramatique. 

Du  jour  où  un  régime  plus  libéral  leur  permit  de  repré- 
senter des  œuvres  jusqu'alors  réservées  aux  théâtres,  ils 
devaienl  être  traités  comme  ceux-ci,  et  la  Société  drama- 
tique devait  leur  imposer  sa  perception.  C'esl  justement  pour 
affirmer  ^i-  droits  et  prévenir  toute  confusion  qu'elle  avait 
signé  la  convention  «le  1866. 

Sans  doute,  l'article  I "  de  ce  texte,  qui  affirmait  le  droil  de 
perception  exclusive  de  la  Société  <\r<  Auteurs  sur  la  pro- 
duction dramatique,  ne  comprenait  pas  expressémenl  les 
music-halls  dans  ses  dispositions.  Mais  l'article  2.  qui  recon- 
naissait à  la  Société  lyrique  la  perception  dans  ces  établis 
ments  des  droits  sur  les  œuvres   musicales,  instrumentales 


CHAPITRE  U 

,.|  vocales,  «  même  pour  celles  extraites  d'œuvres  drama- 
tiques .  a'avail  de  mus  que  si,  en  principe,  toute  percep- 
tion sur  une  œuvre  dramatique  était  interdite  à  cette  Société 
dans  ces  établissements. 

Si  les  cafés-concerts  n'étaient  pas  des  théâtres,  à  tout  le 
moins  étaient-ils  des  concerts,  à  moins  qu'on  ne  voulût  les 
traiter  comme  des  débits  de  boissons.  Or  la  convention  de 
1866  Faisail  un  départ  très  net,  entre  les  deux  Sociétés,  des 
perceptions  sur  les  œuvres  musicales  ou  dramatiques 
données  dans  les  concerts. 

M  Poincaré  ne  manqua  pas  d'ailleurs  de  démasquer  le 
jeu  de  ses  adversaires,  lisse  réclamaient  de  la  liberté  ;  la 
S  ciété  lyrique  n'avait  en  vue,  disait-elle,  que  l'intérêt  des 
auteurs,  elle  voulail  seulement  leur  maintenir  un  droit 
d'option  qui-  la  Société  dramatique  leur  refusait  arbitraire- 
ment. Que  les  auteurs  fissent  leur  choix  en  toute  indépen- 
dance :  en  fait,  disait-on,  ils  s'adressaient  de  préférence  à  la 
S  ciété  lyrique;  c'esl  donc  qu'ils  avaient  plus  de  confiance 
en  sa  perception.  Pourquoi  ramènera  la  Société  dramatique 
une  clientèle  qui  se  détournait  d'elle  ? 

Au  contraire,  c'étail  l'oppression  des  auteurs,  et  le  règne 
des  directeurs  de  cafés-concerts,  auquel  la  Société  lyrique 
préparail  les  voies  par  sa  nouvelle  tactique.  Si  les  ailleurs 
elle,  c'esl  qu'ils  y  étaient  forcés,  sous  peine 
de  ii  être  point  joués.  Les  directeurs,  à  qui  la  Société 
lyrique   offrait  des   traités    beaucoup   plus  avantageux  que 

u  qui  les  liaient  i  la  Société  dramatique,  les  obligeaient  à 
déclarer  leurs  œuvres  h  la  Société  lyrique. 

>!  le  tribunal  reconnaissait  aux  auteurs  un  droit  d'option, 

-'  donc  une  concurrence  au  rabais  qui  allait  s'engager  entre 

''•  îété     pour  la  plus  grande  joie  des  directeurs  de 

",,:  Il     Le    tuteurs,  clients  des  deua  Sociétés,  an  nom 


LA    SOCIÉTÉ   ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  137 

desquels  la   Société  lyrique  protestait,  feraienl   les  frais  de 
cette  guerre  de  tarifs. 

Le  tribunal  donna  gain  de  cause  à  la  Société  des  Auteurs. 
Ce  n'était  d'ailleurs  qu'une  solution  temporaire.  La  question 
du  renouvellement  des  statuts  de  la  Société  lyrique  ue  devait 
pas  tardera  se  poser;  à  ce  moment,  il  lui  serait  loisible  de 
laisser  tomber  les  conventions  de  1866  ei  1S1W. 

C'était  alors  la  lutte  ouverte  eu  tic  les  deux  associations. 
Aucune  ne  pouvait  la  souhaiter,  et  il  n'était  pas  bien  diffi- 
cile, la  question  de  principe  étant  tranchée  par  les  tribu- 
naux, de  trouver  un  terrain  d'entente.  La  paix  fut  signée 
en  1898,  et  un  accord  intervint.  Voici  le  texte  de  cette 
convention  qui  abrogeait  celle  de  1866,  sans  toucher  d'ail- 
leurs aux  dispositions  additionnelles  de  1893,  relatives  aux 
airs  intercalés  : 

Article  Ier.  —  La  Société  des  Auteurs  et  Compositeurs 
dramatiques  a  seule  le  droit  de  percevoir,  eu  France  et  à 
l'étranger,  les  droits  d'auteur  pour  la  représentatiou  des 
pièces  de  théâtre,  quel  que  soit  le  lieu  :  théâtres,  cafés- 
concerts,  ou  établissements  quelconques  où  ces  pièces  seront 
représentées. 

Art.  2. —  La  Société  des  Auteurs,  Compositeurs  et  Edi- 
teurs de  musique  a  seule  le  droit  de  percevoir,  eu  France  et 
à  l'étranger,  les  droits  d'auteur  pour  l'exécution  de  toutes 
les  œuvres  Littéraires  ou  musicales  qui  ae  sont  pas  des  pièces 
de  théâtre,  quel  que  suit  le  lieu  :  théâtres,  cafés-concerts, 
ou  établissements  quelconques  <>ù  ces  œuvres  seront  exé 
cutées. 

Art.  '>\.  —  Sont  considérés  comme  pièces  de  théâtre  :  les 
opéras-comiques,  opéras-bouffes,  opérettes,    ballets,   diver 
tissements,  pantomimes,  tragédies,  drames,  comédies,  vau 
devilles,  revue-,  féeries,  "i  eu  généra]  toute  œuvre,  avec  ou 


CHAPITRE   II 

is  musique,  destinée  à  la   représentation,   et  comportant 
une  action  avec  exposition,  développement,  et  dénouement. 

Aisi.    i.  Ne    son!    pas    considérés   comme   pièces   de 

théâtre  :  l«i^  ouvertures,  chœurs,  symphonies,  morceaux 
d'ensemble,  poésies,  romances,  chansons,  chansonnettes, 
les  Fragments  dé  pièces  de  théâtre  exécutés  sans  décors  ni 
costumes,  et  en  général  toute  œuvre  littéraire  ou  musicale 
destinée  à  la  déclamation  ou  à  l'exécution,  et  ne  comprenant 
ni  action  dramatique,  ni  mise  en  scène. 

\  i.  .">.  —  Par  dérogation  aux  principes  et  dispositions 
ci-dessus,  les  auteurs  des  pièces  en  un  acte  ou  un  tableau, 
el  d'une  durée  inférieure  à  quarante-cinq  minutes  de 
spectacle,  qui  scion l  représentées  dans  les  cafés-concerts, 
music-halls  el  établissements  similaires,  auront  la  faculté  de 
déclarer  ces  pièces  au  répertoire  de  l'une  ou  l'autre  Sociélé. 
[te  déclaration  sera  définitive,  el  les  droits  des  pièces  en 
question  seront  perçus  dans  les  cafés-concerts,  music-halls 
ou  établissements  similaires,  el  payés  aux  auteurs  par  la 
i  répertoire  de  laquelle  la  pièce  aura  été  déclarée. 

Lea  bulletins  de  déclaration,  remis  el  signés  par  les 
auteurs,  à  I  une  ou  l'autre  Société,  devront  indiquer  si  la 
pièce  est  d'une  durée  inférieure  ou  supérieure  à  quarante- 
cinq  minutes  de  spectacle. 

\';|  ut  considérés  comme  cafés-concerts,  music- 

balls,  el  établissements  similaires,  Ions  les  établissements 
donl   les   programmes    comprennent  soit   l'exécution  (rime 

tie    unique  composée  de  chants,  orchestre,  exhibitions, 
bâties,  etc...,   soit   l'exécution   dune  partie  «le  concert 
hestre,  etc...,  et  une  partie  dramatique  avec 
ntation  d'une  ou  plusieurs  pièces  de  théâtre. 

me    pièce    créée   dans    un    café-concert, 
music  hall,  ou  établissement  similaire,  et  déclarée  au  réper- 


LA    SOCIÉTÉ    ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  139 

toire  de  la  Sociale  des  Auteurs,  Compositeurs  et  Editeurs  de 
musique,  est  postérieurement  représentée  dans  un  théâtre, 
les  droits  en  seront  perçus  et  réglés  à  L'auteur  par  la  Société 
il»'-  Ailleurs  et  Compositeurs  dramatiques,  dans  les  condi- 
tions fixées  par  Les  traités  des  directeurs  de  théâtres  avec 
cette  Société. 

Art.  8.  —  Sont  considérés  comme  théâtres,  tous  établis- 
sements dont  les  programmes  habituels  ne  comprennent 
aucune  partie  de  concert,  mais  seulement  et  exclusivement 
la  représentation  d'une  ou  plusieurs  pièces  de  théâtre. 

Art.  9.  —  Les  Imités  de  chacune  des  deux  Sociétés  avec 
les  cafés-concerts,  music-halls  ou  établissements  similaires, 
ne  pourront  en  aucun  cas  stipuler,  pour  la  représentation 
des  pièces  en  un  acte,  un  droit  inférieur  à  2  0  o  sur  la 
recette  brute,  pour  chaque  pièce  en  un  acte  représentée    I  . 

La  nouvelle  convention  maintenait  les  principes  suivant 
lesquels  la  perception  des  droits  d'auteur  ;iv;iit  été  jusqu'alors 
répartie  entre  les  deux  associations. 

Cependant  la  Société  des  Auteurs  faisait  ;i  sa  voisine 
quelques  concessions.  Désormais  toute  représentation  de 
fragments  d'oeuvres  dramatiques  es!  soumise  à  la  perception 
de  la  Société  lyrique,  qu'elle  soit  donnée  dans  un  théâtre 
ou  dans  un  music-hall,  pourvu  qu'elle  u 'exige  ni  décors  ni 
costumes.  De  même,  par  dérogation  au  principe  de  la 
convention,  il  es!  admis  que  les  pièces  en  \\\\  acte  et  d  une 
durée  inférieure  à  quarante-cinq  minutes  de  spectacle  seront 
déclarées  ;•  l'une  ou  l'autre  association,  au  gré  des  auteurs. 

Il  n'était  vraiment  |><t»  nécessaire  de  s< lettre  obligatoire 

meut  ;'i  la  perception,  toujours  |»ln^  élevée,  de  la  Société  dra 
matique,   ces    saynètes  sans    importance,  d'un    esprit    fort 


:     \nnuaire  <i<-  In  Société  des   tuteurs 


Chapitre  ii 

douteux,  que  les  music-halls  <>nl  coutume  de  présenter  à  leur 
public,  en  attendant  la  revue  à  grand  spectacle  qui  fera  la 
s  son.  Pourtant,  il  a  paru  indispensable  de  protéger  les 
auteurs,  qui  déclareronl  ces  saynètes  à  Tune  ou  l'autre 
g  iété,  suivanl  les  préférences  dos  directeurs,  en  fixant  en 
tout  cas  un  minimum  de  rétribution. 

I  i  convention  de  1898,  à  l'effet  de  prévenir  toute  chicane, 
a  défini  clairement  ce  qu'il  faut  entendre  par  théâtre  et  par 

-    oncerts,  el   les  œuvres  qui   ressortissent  de  ces  deux 
_   pies  d'établissements. 

II  ne    subsistai!    aucune    incertitude,  aucune   source    de 
conflits.  Aussi  depuis  lors  la  paix  a'a-t-elle  plus  été  troublée 

heuses  rivalités. 


I  idministration  de  la  Société  des  Auteurs  dramatiques 
«•-I  confiée  à  divers  agents  ou  conseils.  Des  assemblées 
îles  réunissent  périodiquement  les  membres  sociétaires  ; 
elles  prennenl  les  décisions  les  plus  importantes  touchant 
aux  intérêts  de  la  corporation.  Une  Commission  joue  le  rôle 
de  conseil  exécutif,  chargé  de  la  suite  à  donner  aux  délibé- 
rons de  l'assemblée,  el  de  la  solution  des  affaires  cou- 
rant* 

is  la  dépendance  de  la  Commission,  e1  sous  la  surveil- 
lance   plus   •'•huile    d'un    contrôleur   général,  le  servie»' de 
perception,  représenté   par  deux  agents  généraux,  assure  la 
droits  d'auteur. 

inisation   très  analogue   à   celle  que  s'est 

iété  de    Auteurs  el  Compositeurs  de  musique. 

ttuU  de  cette  Société  prévoienl  de-  assemblées  géné- 

•  ,"1  l  d  administration,  un  service  de  perception. 

'-,!  itre,  des  commissions  permanentes  ayant  des 


LA    SOCIETE   ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  1'»  1 

attributions  spéciales  :  la  Commission  des  comptes  et  de 
surveillance,  chargée  du  contrôle  des  recettes  el  des  dépenses, 
la  Commission  des  programmes,  qui  surveille  la  composition 
des  spectacles,  la  Commission  des  retraites,  qui  assure  le 
service  des  pension-. 


La  Commission  de  la  Société  des  Auteurs  dramatiques 
comprend  quinze  membres  :  douze  auteurs  el  trois  compo- 
siteurs; ils  ><>nl  obligatoirement  choisis  parmi  les  sociétaires, 
el  sonl  élus  pour  trois  ans  par  rassemblée  générale  :  leur 
renouvellement  a  lieu  par  tiers  tous  les  ans.  Tout  membre 
sortant,  après  trois  années  d'exercice,  ne  peut  être  réélu 
qu'au  bout  d'un  an. 

Certains  membres  de  la  Société  ne  peuvent  p;is  faire 
partie  de  la  Commission.  L'article  H  porte  en  effet; 

Ne  pourront  faire  partie  «le  la  Commission,  ceux  des 
associés  qui  seraient  directeurs  ou  régisseurs  dans  un  théâtre 
de  Paris  :  sont  censés  démissionnaires  ceux  des  membres  de 
la  Commission  <|iii.  dans  le  cours  de  leurs  fonctions,  vien- 
draient ù  se  trouver  dans  un  des  cas  d'exclusion  ci-dessus 

Cette  Incompatibilité  s'explique  aisément.  La  tâche  prin- 
cipale <le  la  Commission  des  auteurs  esl  de  fixer  les  rapports 
de  la  Société  avec  les  directeurs  de  théâtre,  au  mieux  des 
intérêts  des  auteurs,  d'exiger  d'eux  l'observation  d'une  foule 
de  clauses  gênantes,  auxquelles  ils  ae  demanderaient  le  plus 
souvenl  qu'à  se  soustraire.  N'aurait-il  pas  été  étrange,  dans 
ces  conditions,  «le  donner  ii  certains  d'entre  eux  accès  el 
\'»ix  au  sein  <le  la  Commission,  «le  les  placer  dans  cette  alter- 
native cruelle,  de  trahir  leurs  sentiments  'l.-  confraternité 
littéraire,  <>u  de  se  montrer  inflexibles  envers  des  gens  qui 
doh eui  avoir  toutes  leurs  sympathies  ' 


1  12  CHAPITRE    II 

|.,i    même    exclusion   se    retrouve   dans  les  statuts   de  la 
été  des  auteurs  et  Compositeurs  de  musique. 

Le  bureau  de  la  Commission  est  composé  d'un  président, 
d.>  vice-présidents,  de  secrétaires,  d'un  trésorier  et  d'un 
archiviste. 

La  Commission  dépend,  nous  l'avons  vu,  de  l'Assemblée 
_  nérale,  par  l'élection  :  elle  en  dépend  encore  au  cours  de 
stion,  car  elle  peut  être  dissoute  par  délibération  prise 
en  assemblée  générale.  Ce  droit  de  dissolution  était  néces- 
v.  Les  assemblées  générales,  se  réunissant  à  des  inter- 
valles FoH  éloignés,  n'ont,  en  réalité,  qu'une  influence  très 
intermittente  sur  la  marche  de  la  Société.  En  fait  d'ailleurs, 
l.i  Commission  est  libre  de  tirer  des  délibérations  de>  assem- 
blées  les  «■.inclusions  qui  lui  conviennent,  de  suivre  leurs 
Intentions  avec  une  fidélité  plus  ou  moins  scrupuleuse.  11 
était  donc  indispensable,  pour  maintenir  entre  les  mandants 
••t  les  mandataires  un  lien  quelconque,  pour  éviter  tout 
malentendu  dans  une  de  ces  associations  où  les  divisions 
-'•ut  -i  néfastes,  d'affirmer  le  droit  des  sociétaires,  réunis  en 

semblée  de  changer  à  tout  moment  leurs  représentants, 
lorsqu'ils  paraîtraient  agir  contre  le  vœu  delà  majorité. 

En  cas  de  dissolution,  l'Assemblée  générale  devra  d'ailleurs 
pourvoir  immédiatement  à  la  reconstitution  de  la  Commis- 
I  '  i  précautions  sont  prises  pour  qu'il  n'y  ait  pas  d'in- 
terruption dans  ses  travaux,  et  pour  qu'il  soit  pourvu  sans 
retard   au   remplacement   des   membres   qui    viendraient  à 

n  retirer. 

qualité  d<-  membre  de  la  Commission  n'es!  pas  seule- 
ment un  titre  honorifique.  Aux  membres  de  la  Commission 

rat  confiée  de  groa  intérêts,  qui  requièrent  leur  assiduité  et 
leur  vigil  l...  statuts  de  la  Société  des  Auteurs 

iteurs  de sique  ont-ils  soin  de  mentionner  : 


LA    SOCIÉTÉ    ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  1  13 

«  Les  membres  faisant  partie  du  Conseil  d'administration 
s'engagent,  par  l'acceptation  de  leur  mandat,  à  remplir 
avec  zèle  les  devoirs  qui  leur  sont  imposés  ». 

Le  zélé  n'est  pas  exigé  statutairement  de  la  Commission 
des  Auteurs  dramatiques.  On  se  contente  de  l'assiduité. 
«  Seront  considérés  comme  démissionnaires,  dit  l'article  12 
des  statuts,  les  membres  qui  n'auront  pas  assisté  aux 
réunions  de  la  Commission  pendant  plus  de  trois  mois,  sans 
excuses  jugées  valables  par  la  Commission  ». 

La  Commission  règle  par  ses  délibérations  toutes  les  ques- 
tions intéressant  le  fonctionnement  de  la  Société.  Ses  pou- 
voirs sont  des  plus  étendus,  et  s'exercent  aussi  bien  sur 
les  agents  généraux  que  sur  tous  ceux  qui  l'nul  partie  de  la 
Société,  à  un  titre  quelconque.  Elle  a  des  attributions  admi- 
nistratives, et  des  attributions  iinancières.  Elle  est  chargée 
des  intérêts  des  auteurs  vis-à-vis  des  administrations  théâ- 
trales. Elle  passera  des  traités  avec  les  directeurs,  el  en 
assurera  le  renouvellement  périodique,  en  y  insérant  les 
clauses  qui  lui  paraîtront  le  plus  propres  à  protéger  ses 
membres;  elle  fixera  le  droit  des  auteurs  au  taux  qui  lui 
paraîtra  le  plus  convenable.  Elle  prendra  toutes  mesures 
intéressant  le  maintien  el  l'observation  de  ces  traités  :  ses 
décisions  s'imposeront  aux  membres  de  la  Société,  au  même 
titre  que  les  obligations  statutaires. 

Elle  administre  el  représente  La  Société  dans  tous  les 
actes  de  sa  vie  extérieure  ou  Intérieure.  Elle  pronom 
suivani  I»'-  règles  établies,  l'admission  <!<■-  auteurs  nu 
sociétariat.  Elle  intervient  dans  les  conventions,  actes,  ou 
procès  dans  lesquels  la  Société  esl  en  cause.  En  dehors 
même  des  cas  où  l'action  sociale  esl  directemeni  intéressi 
les  auteurs  adhérents  s'engagent  à  lui  donner  connaissance 
des  procès  !»■-  concernant,  <•!  qui  auraient  trail  ô  I  "l»j.-i  de  I.' 


CHAPITRE   II 

La  Commission    es1   ainsi  informée  des  décisions 
prises,  et  peu!  an  besoin  intervenir  dans  L'instance. 

Plus  spécialement,  les  auteurs  associés,  parle  seul  fait  de 
leur  adhésion  ;iu\  statuts,  donnent  à  la  Commission  une  auto- 
risation  générale  d'introduire  ef  de  défendre  en  leur  nom,  mais 
aux  frais  de  la  Société,  vis-à-vis  des  ad  ministations  théâ- 
tral»'-, toul  procès  intéresssanf  la  perception  de  leurs  droits. 
Au  cas  où  la  Commission  ne  croirait  pas  devoir  prendre 
en  mains  la  cause,  l'affaire  ne  lui  paraissant  pas  intéresser 
généralité  de  ses   membres,   les  auteurs  restent  libres  de 

•utenir,  à  leurs  frais  et  risques. 

I  es  contestations  relatives  à  l'acte  social,  ainsi  d'ailleurs 

que  t<uix  |r>  différends  <|iii  s'élèvent,  en  matière  littéraire, 

entre   membres  de  la  Société,  sont,  aux  termes  des  statuts, 

-  par  trois  arbitres  choisis  par  les  parties,  ou,  en  cas 

de  désaccord,  désignés  parle  tribunal  civil. 

-I  un  véritable  pouvoir  disciplinaire  que  la  Société 
exerce  sur  ses  membres,  en  leur  offrant  sa  juridiction  gra- 
Sa  justice  a  des  occasions  fréquentes  d'intervenir. 
I  !  jours  des  problèmes  se  posenl  en  matière  drama- 
tique, questions  délicates,  mais  passionnantes,  car  de  gros 
întéi  ni  en  jeu  derrière  les  principes. 

I  n  littérateur,  qui  a  déposé,  depuis  «1rs  mois  ou  depuis  des 
années,  un  manuscrit  dans  un  théâtre,  voit  annoncer  dans  les 
journaux,  ou  sur  l'affiche,  une  pièce  portant  le  même  titre 
que  la  sienne,  ou  traitant  un  sujet  analogue.  «  Toul  est  dit  » 
;  la  Bruyère.  Cela  esl  particulièrement  vrai  pour  le 
théâln  Ve  t — ml  pas  fréquent  de  voir  jouer  à  la  fois  sur 
deux  des  pi  oulevanl  un  même  problème,  abor- 

dant une  même  thèse  '  Dans  ces  derniers  temps,  ne  repré- 

\?n*     ennemies,  au  Théâtre- Antoine,  en 
me  lemps  que  YOtaye  à  l'Odéon,  el  Son  père  à  ce  même 


LA   SOCIÉTÉ   ACTUELLE.    —    SON   ORGANISATION  145 

théâtre,  en  m  Ame  temps  que  Patachon  au  Vaudeville?  Certaines 
questions  au  théâtre  semhlent  parfois  être  à  l'ordre  du  jour, 
à  tel  point  qu'on  n'est  pas  surpris  de  les  voir  discuter  à  la  lois 
sur  des  scènes  diverses.  Quelques  articles  du  code  ont  excité 
pendant  longtemps  la  verve  des  dramaturges  :  sans  parler  du 
divorce,  qui  est  un  problème  inépuisable,  comme  la  quadra- 
ture du  cercle,  la  recherche  de  la  paternité,  depuis  Dumas, 
ne  fut-elle  pas  un  thème  favori  ? 

Lorsque  des  rencontres  se  produisent  entre  deux  écrivains 
représentés  chacun  d'un  côté,  ils  se  contentent  de  surveiller 
leurs  recettes  respectives  :  lorsqu'elles  ont  lieu  entre  un 
auteur  joué  et  un  auteur  qui  attend  son  tour,  c'est  beaucoup 
plus  grave.  Si  ce  dernier  est  philosophe,  il  se  taira  :  il  reti- 
rera son  manuscrit  pour  le  représenter  en  temps  plus 
opportun,  et  peut-être  se  verra- t-il  louer  un  jour  de  sa  manière 
originale  ;  s'il  est  aigri,  il  criera  au  voleur,  répandra  dcins 
les  journaux  des]  entrelilels  provocants.  Parfois  une  œuvre 
étrangère  sera  en  cause  :  l'amour-propre  national  s'en  mêlera  ; 
des  qualificatifs  sévères  s'échangeront  par-dessus  la  frontière  : 
quelquefois  aussi,  la  contestation  sera  simplement  l'œuvre 
d'un  mauvais  plaisant,  désireux  de  faire  quelque  réclame  à 
propos  dune  œuvre  qui,  sans  cela,  n'aurait  pas  fail  grand 
bruit  dans  le  Landerneau  dramatique. 

La  ressemblance  peut  aller  jusqu'à  autoriser  un»'  plainte 
en  plagiat  :  on  analyse  les  pièces,  on  rapproche  les  textes, 
on  compare  la  conduite  de  l'action,  les  personnages,  I.  accu- 
sation parfois  es!  des  plus  ridicules.  Ne  se  trouva-Ml  pas  un 
littérateur,  résidanl  il  est  vrai  à  Chicago,  pour  soutenir  qu  il 
avail  Inspiré,  <l<i  très  près,  ('///-'//to  de  Bergerac*!  VA  oe  vil-un 
pas  un  tribunal  américain  condamner  par  défaut  M.  Edmond 
Rostand,  <  «  ;  1 1  \ .  i  i  1 1«-  n  de  plagiai?  S'il  faut  ajouter  foi  a  la  ch< 

jugée,  le  Balcon  de  Roxane,  la  Ballade  «lu  Duel,  tout  ce  que 

i 


|  jt.  CHAPITRE    II 

nous  avons  applaudi  ei  admiré,  se  trouvait  dans  le  Marchant 
Prim  e  of  Cornville,  qui  —  étrange  retour  des  choses  d'ici-bas 
—  lut  refusé  sur  toutes  1rs  scènes  de  TUnion. 

I  -  querelles  littéraires  s'enveniment  rapidement,  et 
risquent  de  dégénérer  en  procès.  Car,  plus  que  tous  autres, 
les  auteurs  dramatiques  sont  gens  irritables.  Les  tribunaux 
vont-ils  voir  comparaître  à  chaque  instant  des  littérateurs, 
unis  «'il  apparence  par  une  étroite  solidarité?  Le  grand  public 
sera-t-il  initié  à  (outes  les  rivalités,  à  tous  ces  mystères  de  la 
collaboration,  qu'il  soupçonne  à  peine,  à  travers  les  feux  de 
l,i  rampe?  La  Commission  offre  aux  intéressés  un  tribunal 
il.-  famille  qui,  >;ms  frais  et  sans  scandale,  tranchera  le  diffé- 
rend  au  mieux  des  intérêts  communs.  On  a  souvent  recours 
selle.  Elle  s'en  félicitait  en  1907,  ne  souhaitant  qu'une  chose. 
c'était  «If  puiser  «  dans  ces  règlements  de  comptes  frater- 
nel-, des  joies  d'autant  plus  vives  qu'elles  seraient  un  peu 
plu-  espacées  ». 

Les  parties,  il  esi  vrai,  se  retirent  parfois  mécontentes. 
Elles  s'en  prennenl  ;<  ce  tribunal,  où  siègent  des  confrères, 
qu'elles  accusenl  d'être  plus  tendres  aux  écrivains  influents 
qu'aux  débutants,  ou  de  ménager  certains  théâtres  dans 
lesquels  M-  oui  <!<•-  intérêts.  Sans  doute  celte  justice  est 
humaine  :  <-ll<'  est  faillible;  elle  juge  plus  en  équité  qu'en 
droit  strict.  Mais  n'est-ce  pas  encore  la  meilleure  juridiction, 
b\  la  plu-  expéditive?  Ajoutons  que  !<•>  parties  restent  tou- 
jours libres  «!«•  saisir  les  tribunaux  de  leur  querelle.  Souvent 
même  n mission  !<•-  renverra  d'office  à  la  justice,  ainsi 

M"  '"''  'if-  il  y  a  quelques  années,  lorsque  M.  Lecocq  crut 

nver  dans  l<-  Contrôleur  des  Wagons-Lits  des  ressemblances 

ppantei  avec  un  .1-  e  manuscrits, lesVictimesd' Auguste  (\). 


Tribunal  civil  <l<  janvier  1900,  Le  Droit,  2  février  1000. 


i 


LA    SOCIÉTÉ    ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  147 

La  Commission  est  aussi  chargée  de  veiller  à  l'observa- 
tion des  statuts,  de  poursuivre  les  délinquants,  auteurs  ou 
directeurs;  elle  fait  office  à  la  fois  de  parquet  et  de  tribunal, 
instruisant  et  jugeant  les  délits.  Tantôt  elle  donnera  un 
simple  avertissement,  tantôt  elle  infligera  la  pénitence  prévue 
par  les  statuts. 

Des  questions  de  droit  se  posent  ainsi  fréquemment  à  son 
examen.  Aussi  est-elle  assistée  d'un  conseil  judiciaire,  com- 
prenant des  avoués  et  des  avocats,  dans  lequel  se  sont 
toujours  rencontrés  des  représentants  illustres  du  barreau. 

Au  point  de  vue  financier,  le  rôle  de  la  Commission  n'est 
pas  moins  important.  Elle  contrôle  la  comptabilité  des  droits 
d'auteur  :  elle  autorise  les  dépenses  sociales,  et  distribue  les 
secours  et  les  pensions. 


Pour  tout  ce  qui  touche  au  recouvrement  des  droits 
d'auteur,  la  Commission  n'a  cependant  qu'un  rôle  secon- 
daire. Ici,  la  tache  n'incombe  pas  à  la  Commission,  mais 
aux  agences  générales.  Ces  agences,  nous  l'avons  vu,  ont 
existé  dès  les  origines  de  La  Société  des  Auteurs;  c'est  même 
autour  de  cette  institution,  d'une  utilité  incontestable,  que 
se  sont  formées  les  premières  associations  d'auteurs. 

[1  s'était  fondé  deux  agences  dès  le  début  du  siècle  dernier; 
les  auteurs,  loin  de  chercher  aies  fusionner,  1rs  vaient  main- 
tenues séparées,  voyant  dans  cette  division  une  garantie 
précieuse,  et  un  principe  d'utile  concurrence.  Chaque 
agence,  pour  conserver  ses  clients,  faisait  effort  pour  se 
procurer  des  correspondants  fidèles  et  zélés,  pour  assurer  la 
rentrée  exacte  et  rapide  des  droits  d'auteur.  Leurs  clients 
bénéficiaient  en  outre  d'une  comptabilité  en  partie  double, 
qui  facilitait  singulièrement  leur  contrôle. 


1  £  CHAPITRE   II 

I  es  mêmes  raisons  ne  pourraient  certainement  plus  être 
invoquées  aujourd'hui  pour  le  maintien  de  cette  organisa- 
tion. La  perception  des  droits,  difficile  et  trouble  à  l'origine, 
est  devenue  aisée  el  fort  claire.  Enfin  et  surtout,  les  corres- 
pondants  son!  les  mêmes  pour  les  deux  agences  :  toute 
émulation  de  ce  côté  a  donc  disparu. 

Si  les  doux  agences  ont  continué  leur  perception  paral- 
lèle,  c'est  que  le  nombre  de  leurs  clients  s'est  augmenté  dans 
des  proportions  considérables,  ainsi  que  le  total  des  droits 
|.  rçus  chaque  année  pour  leur  compte.  Les  dramaturges, 
qui  n'étaient  autrefois  qu'une  pléiade,  sont  devenus  légion. 
Quel  «'-t.  aujourd'hui,  l'écrivain  ou  l'homme  simplement 
lettré  qui  puisse  jurer  de  ne  jamais  toucher  au  théâtre?  Et, 

mme  un  acte  suffit  à  vous  rendre  justiciable  de  la  Société, 
qui  peut  se  vanter   de  n'avoir  pas  affaire   un  jour  à  ses 

Les   agents   généraux   sont    agréés    par  la  Commission; 
lorsqu'ils  se  retirent,  il-  ont  le  droit  de  présenter  leur  suc- 
ïseur        sauf  en  cas  d'infidélité  reconnue.  C'est  un  droit 
de  présentation  analogue  à  celui  que  la  loi  reconnaît  encore 
aux  avoués,  aux  huissiers,  aux  notaires.  Les  agences  géné- 
rale* se  transmettent  d'ailleurs  à  prix  onéreux,  comme  des 
charges  ministérielles.  Les  statuts  le  reconnaissent  expres- 
l' ut  :   il-  stipulent   que   lorsque   l'agent  général  qui  se 
retire  n'aura  pu,  dans   un  délai  de  trois  mois,  faire  agréer 
successeur,    la   Commission    pourvoira   d'office   à   son 
remplacement,  mais  contre  !<•  versement  d'une  somme  qui 
cquise  a  l'ancien  titulaire.  Le  prix  sera  fixé  <in  ce  casa 
mme    payée    précédemment    pour    l'acquisition    de 
ransmise,  cette  somme  étant  diminuée  en  propor- 
tion des  ann<  depuis  la  prorogation  de  la  Société. 

encore  par  ce  fait  que,  comme  les  offi- 


1 


LA    SOCIÉTÉ    ACTUELLE.    —    SON   ORGANISATION  149 

ciers  ministériels,  les  agents  généraux  sont  rémunérés  par  un 
prélèvement  sur  les  droits  qu'ils  perçoivent  au  profit  des 
auteurs. 

Leur  gestion  est  garantie  par  un  cautionnement  qu'ils 
sont  tenus  de  fournir  à  leur  entrée  en  charge,  et  qui  a  été 
porté  successivement  à  15,000,  à2o,000,  puisa  60,000  francs, 
aux  termes  des  nouveaux  statuts. 

Les  statuts  de  190i  définissent  ainsi  les  fonctions  des 
agents  généraux  : 

1°  Faire  exécuter  toutes  les  décisions  prises  par  la  Com- 
mission ; 

2°  Percevoir,  à  leurs  frais  et  risques,  et  en  qualité  de 
mandataires  ordinaires,  les  droits  des  auteurs  sur  les 
ouvrages  représentés  à  Paris,  dans  les  départements,  à 
l'étranger,  partout  enfin  où  la  perception  peut  ou  pourra 
s'exercer  légalement,  en  vertu  de  traités  généraux  passés 
avec  la  Société  ; 

3°  Choisir,  sous  leur  responsabilité,  les  agents  correspon- 
dants en  province. 

Les  agents  généraux  exécutent  les  décisions  de  la  Com- 
mission. Ils  ne  perçoivent  de  droits  que  dans  les  théâtres 
qui  ont  traité  avec  elle,  et  conformément  au  tarif  convenu. 
Un  traité  vient-il  à  expiration  sans  être  renouvelé  par  la 
Commission?  Ils  doivent  Interrompre  tous  rapports  avec  le 
théâtre  intéressé. 

Les  agents  généraux  sont  les  représentants  des  auteurs 
qui  leur  ont  remi-  leurs  pouvoirs.  Il-  délivrent  aux  entre- 
preneurs de  spectacles  les  autorisations  don!  il-  doivent 
justifier  avant  de  représenter  l<i-  pièces.  Il-  assurent,  par 
eux-mêmes  ou  par  leurs  correspondants  de  province,  la 
rentrée  régulière  des  droits.  Leur  perception  est  d'ailleurs 
étroitement  liée  au  fonctionnement  de  la  Société,  Elle  n'est 


CHAPITRE    II 

offerte  qu'à  ceui  qui  foui  partie  de  la  Société,  et  qui,  par 
s    on1  adhéré  à   l'association,  et  ont  pris  l'enga- 
menl  d'observer  le  pacte  social.   11  leur  est  interdit  de 
s'entremettre  en  aucun  cas  pour  le  compte  d'auteurs  qui  ne 
lient  pas   membres  de   l'association.    Les  agences  géné- 
ral,.. H,    sont  donc  plus,  comme  à  l'origine,  des  institutions 
Indépendantes,  aux  services  desquelles  tout  auteur  avait  le 
droit  de  faire  appel.  Agences  et  Société  ne  font  qu'un  :  on  ne 
peul   s'adresser   aux  agences,  sans  se  réclamer  en   même 
temps  de  la  Société;  et  comme  un  auteur,  ainsi  que  nous  le 
verrons,  ne  peut  en  fait  toucher  de  droits,  en  France  ou  à 
l'étranger,  que  par  l'entremise  des  agences  générales,  force 
lui  est  «I»'  recourir  à  la  Société,  et  d'accepter  le  pacte  social, 
toutes  les  obligations  qu'il  comporte. 
isi  cette  fusion  d'un  service  de  perception  et  d'un  orga- 
uisme  de  défense  des  Intérêts  communs  qui  fait  actuelle- 
ment la  force  de  la  Société  des  auteurs;  et  ce  fut  le  secret 
de  la  politique  suivie  par  Scribe,  lorsqu'il  fonda  l'association 
sur  de  nouvelles  bases,  que  d'absorber  les  agences  dans  le 
syndical    reconstitué.     A     l'origine,     elles     fonctionnaient 
comme  peut  fonctionner  toute  agence  privée  de  recouvre- 
ment :  sans  doute  «'ll<'-  se  trouvaient  en  relations  avec  une 
ociation   d'auteurs,  puisque   leurs  clients  s'étaient    déjà 
upés  puni-  faire  valoir  leurs  droits  à  F  encontre  des  admi- 
nistrations théâtrales.  Mais  elles  opéraient  librement,  sous 
le    seul   contrôle   d'un   Comité,   chargé    de  surveiller   leur 
mptabilité.   Les  Comités  pouvaient  conclure  des  traités, 
indiquer  &  leurs   membres  une   li,un<'  de  conduite.   L'indé- 
pendancedei  ig<  ncea  ue  s'en  trouvait  pas  diminuée  :  el  s'il 
un  auteur  de  débattre  librement  son  prix  avec 
un  directeur,  contrairement  au  traité  général,  ou  d'enfreindre 

par  ses  confrères,  l'agent  général  n'en 


LA    SOCIETE    ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION 

53 

continuait  pas    moins   à    toucher   ses  droits,   et   à    lui    en 
remettre  le  montant. 

Depuis  1829,  il  n'en  va  plus  ainsi.  Qui   dit  agences  géné- 
rales, dit  Société. 

Lorsqu'un  jeune  écrivain,  qui  goûte  encore  le  plaisir  sans 
mélange  que  donne  la  première  œuvre  reçue,  s'informe  des 
droits  que  sa  pièce  pourra  peut-être  lui  rapporter,  en  outre 
de  la  considération  de  ses  contemporains,  on  l'envoie  à  la 
Société  des  Auteurs.  11  se  présente  à  l'une  des  agences  géné- 
rales :  là,  on  l'avise  qu'avant  de  toucher  quoi  que  ce  soit,  il 
lui  faut  signer  un  papier  :  ce  sont  les  statuts  de  la  Société, 
dont  il  lui  est  loisible  de  prendre  connaissance  :  il  a  le  droit 
de  les  examiner  avec  soin,  d'en  pénétrer  le  sens,  d'en  peser 
le  pour  ou  le  contre.  Le  jeune  auteur,  sans  méfiance,  signe 
le  papier,  sans  même  le  lire.  N'est-ce  pas  le  talisman,  gr 
auquel  il  deviendra  sacré  pour  les  directeurs  de  théâtre? 
Désormais,  un  compte  lui  est  ouvert,  qui  lui  procurera, 
lorsque  sa  pièce  sera  jouée  dans  la  plus  petite  ville  de  France, 
par  un  hasard  quelconque,  des  recettes  plus  ou  moins  inat- 
tendues, et  toujours  bienvenues.  Une  longue  expérience  lui 
fera  connaître  peut-être  les  obligations  auxquelles  il  s'esl 
soumis,  en  un  jour  de  joie,  le  jeu  des  clauses  <jni  constituent 
les  statuts.  Voudrait-il  se  retirer?  La  perception  de  ses  droits 
serait  suspendue,  dans  tous  les  théâtre  de  France...  et  de 
Navarre.  Libre  au  proscrit,  jaloux  de  son  Indépendance,  de 
lire  ses  pièce-  à  ses  amis,  ou  de  Louer  une  salle  pour  les 
représenter. 

Les  statuts  ont  pris  soin  de  Limiter  étroitement  le  rôle  des 
agents  généraux.  II  paraissait  à  craindre,  en  effet,  qu  ils 
n'abusent  des  services  précieux  qu'ils  rendent  aux  auteurs, 

et  de  l'autorité  qu'une   Longi ipérience  peut    leur  valoir 

auprès  des  directeur-  de  théâtre,   pour  intervenir  directe 


CHAPITRE    II 

m. 'lit  dans  les  rapports  que  Leurs  clients  entretiennent  avec 
ceux-ci  au  point  Je  vue  artistique.  Quels  dissentiments, 
quels  conflits  n'eussent  pas  troublé  la  vie  de  la  Société,  s'il 
eûl  dépendu  d'eux,  par  des  conseils  donnés  aux  directeurs 
de  théâtre,  de  les  engager  à  traiter  avec  tel  auteur,  plutôt 
qu'avec  tel  nuire?  Aussi  ne  doit-on  pas  être  surpris  de 
lire  dans  les  statuts  qu'il  leur  est  interdit  de  prendre  l'ini- 
tiative   de   la   réception    d'aucune   pièce,  qu'ils  ne  doivent 

îister  leurs  clients  qu'après  l'acceptation  de  leurs  ouvrages, 
ou  pour  la  rédaction  des  conventions  particulières  qu'ils 
peuvenl   conclure.    Défense    leur   est   faite    de   se  livrer  à 

aucune  opération  contraire  aux  intérêts  généraux  des 
auteurs,  et  à  la  loyale  exécution  du  mandat  qui  leur  est 
confié  ». 

Ici  encore  les  prescriptions  statutaires   n'ont  pas  grande 
importance.  11  faut  beaucoup  moins  compter  sur  cette  prohi- 
bition de  pure  forme,  que  sur  l'impartialité  dont  les  agents 
éraui  onl  tenu  à  faire  preuve,  dans  ces   questions  très 
délicates,  sur  leur  volonté  non  équivoque  de  se   renfermer 

m  leur  pôle  d'agents  de  perception.  Quels  que  soient 
endanl  leurs  scrupules  en  cette  matière,  il  est  inévitable 
que  leur  opinion  influence  parfois,  non  pas  les  directeurs 
qni  mettent  pour  la  première  fois  une  pièce  à  la  scène,  mais 
lea  imprésarios  qui  organisent  des  tournées,  les  représen- 
,,,|N  de  l'étranger  qui  viennent  en  France  pour  acheter 
manuscrits.  Certains  ont  murmuré  que  les  membres 
influents  de  I  été  étaienl  souvent   avantagés  par  eux, 

''"'  détriment  des  jeun,...  des  demi-notoriétés. 

1  ;   ■  "  ••  i  injuste,  car  il  n'y  a  certainement  pas  de 

ru  pris  :  m  m  ment  empêcher  les  agents  d'avoir  pré- 

-'•",-  '  l'esprit  les  succès  de  la  saison,  plutôt  que  les  échecs, 
ne,  plutôt  que  les  talent*  obscurs? 


LA    SOCIÉTÉ   ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  153 

C'est   un?    suggestion   fatale,    involontaire,    inconsciente 

souvent,  qu'aucun  règlement  ne  peut  empêcher. 

A  cette  même  préoccupation  de  mettre  les  auteurs  à  l'abri 
de  toute  manœuvre  de  leurs  fondés  de  pouvoirs,  il  faut  rat- 
tacher cette  autre  défense  qui  est  l'n i te  aux  agents  «  de  se 
rendre  acquéreurs  de  répertoires,  d'être  associés,  comman- 
ditaires, ou  intéressés  à  un  titre  quelconque  dans  aucune 
direction  théâtrale  ». 

On  ne  pouvait  se  montrer  moins  exigeant  pour  les  agents 
que  pour  les  membres  de  la  Commission. 


La  comptabilité  des  droits  d'auteur,  confiée  aux  agents 
généraux,  est  soumise  à  la  double  surveillance  de  la  Com- 
mission, et  d'un  contrôleur  général  spécialement  créé  à  cet 
effet.  Elle  n'a  été  vraiment  organisée  qu'à  deux  reprises, 
et  pour  remédier  à  des  situations  troublées. 

L'article  10  des  statuts  de  1837,  que  les  statuts  de  1871) 
et  de  1904 ne  tirent  que    reproduire,  portail  seulement  : 

«  Tous  les  droits  dus  aux  Auteurs  et  Compositeurs  membres 
de  la  Société...  seront,  sous  la  surveillance  de  la  Commission, 
perçus  par  les  agents  généraux,  seuls  responsables  ». 

Confiée  aux  membres  de  la  Commission,  la  surveillance 
était  forcément  intermittente;  elle  offrait  une  garantie  plus 
nominale  qu'effective. 

Une  première  fois,  en  1867,  on  dut  créer  un  poste  d  ins- 
pecteur-vérificateur; c'était  une  condition  du  traité  de  paii 
intervenu  à  cette  date  cuire  la  Société  el  l<i<  auteurs  dissi- 
dents qui,  dans  un  procès  récent,  avaient  pris  position  contre 
elle.  L'inspecteur-vérificateur,  seul  chargé  désormais  du 
contrôle,  devait,  par  des  visites  faites  le  9  «le  chaque  mois, 
la  veille  du  paiement  aux  auteurs  des  droits  qui  leur  rêve- 


154  CHAPITRE    II 

oaient,  el  aussi  par  des  visites  faites  à  l'improviste,  vérifier 
les  caisses  el  la  comptabilité  des  agences  générales  (\). 

Cela  n'empêcha  pas,  en  1882,  la  déconfiture  de  l'une  des 

aces,  qui  créa   pour  la  caisse  sociale  un  déficit  de  plus 

de  300,000  francs.  Il  y  eul  nombre  d'auteurs  lésés,  qu'il  fallut 

désintéresser.  Ce  désastre  financier  porta  un  coup  sensible  à 

la  fortune,  à  peine  reconstituée,  delà  nouvelle  Société. 

Une  réforme  s'imposait  ;  la  Commission  le  comprit,  et  fit 
ratifier  par  l'Assemblée  générale  un  ensemble  de  mesures 
destinées  à  organiser  pour  l'avenir  une  surveillance  plus 
étroite  el  plus  sérieuse  (2). 

Il  fallait  un  contrôle  double,  celui  d'un  agent  chargé  des 
vérifications  matérielles,  celui  delà  Commission,  s'exerçant 
par  ses  délégués,  pour  assurer  leur  exactitude,  et  prévenir 
toute  erreur.  Par  ses  seuls  moyens,  en  effet,  la  Commission 
n«'  pouvait  prétendre  à  débrouiller  une  comptabilité  aussi 
importante  que  celle  de  la  Société  :  il  fallait,  à  côté  d'elle, 
•  t  sous  son  nutorité,  un  comptable  rompu  aux  chiffres. 
Aussi  remplaça-t-on  l'inspecte  ur-vérificateur  par  un  contrô- 
leur  général,  Qommé  par  In  Commission,  et  rétribué  sur  les 
fonds  de  la  caisse  sociale. 

routes  les  vérifications  furent  faites  désormais  à  l'impro- 
riste.  Chaque  m<>i^.  le  contrôleur,  à  une  date  indéterminée, 

ifie  les   comptes    et    les   eusses    des    agents  généraux, 

I8té  de  deux  membres  de  In  Commission  :  il  s'assure  que 

,|r"lU  perçus  pour  l«-  compte  des  auteurs,  et  qui  ne  leur 

""t  pas  encore  été  n-mjs.  sonl  représentés  dans  les  caisses 

;,-''"N  l';"    de>  sommes   égales  en    auméraire  ou   en 


>mptabilité,dii  !"  mars  1867, Annuaire  1866  8$. 
mai  1882,  Annuaire  188%  1888. 


LA    SOCIÉTÉ    ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  155 

compte  courant  à  la  Banque  de  France  ou  au  Comptoir 
d'Escompte. 

En  dehors  de  ces  visites  mensuelles,  le  contrôleur  inspecte 
les  caisses  chaque  fois  qu'il  le  juge  nécessaire,  avec  ou  sans 
l'assistance  de  délégués  de  la  Commission.  Chaque  vérifi- 
cation donne  lieu  à  un  rapport  écrit  du  contrôleur  qui  est  lu 
à  la  plus  prochaine  réunion  de  la  Commission. 

Les  irrégularités  relevées  en  1882  n'avaient  été  décou- 
vertes que  sur  les  plaintes  d'un  auteur,  qui  ne  pouvait 
obtenir  le  compte  de  ses  droits.  Pour  assurer  à  l'avenir  une 
comptabilité  claire  et  accessible  à  tous,  la  Commission 
voulut  que  chaque  membre  de  la  Société  pût,  à  tout 
instant,  demander  des  éclaircissements  sur  l'état  de  ses 
droits.  L'auteur  qui  a  quelque  doute  sur  l'exactitude  de  sod 
compte  aura  toujours  la  faculté  de  s'adresser  au  contrôleur, 
qui  devra  procéder  de  suite  aux  vérifications  nécessaires. 


Le  contrôleur  général  créé  pour  inspecte!'  les  «tgences  a 
d'autres  attributions  par  lesquelles  il  participe  directemenl 
à  l'administration  linancière  de  la  Société. 

Les  statuts  de  1837  —  ainsi  que  ceux  «le  IS7!>  —  confièrent 
la  gestion  des  liimnees  de  la  Société  aux  agents  généraux, 
seuls  chargés  du  paiemenl  des  dépenses  «-t  'In  recouvre- 
ment des  recettes. 

Ces  attributions,  jointes  à  leurs  Fonctions  de  percepteurs 
des  droits  d'auteurs,  avaient,  entre  autres  inconvénients, 
(fini  de  leur  permettre  «le  mêler  deux  comptabilités  diffé- 
rentes :  la  comptabilité  des  deniers  sociaux,  ■'!  leurs  comptes 
particuliers  avec  leurs  clients,  confusion  qui  préjudiciail 
grandement  ;•  la  clarté  des  opérations,  «-t  qui  rendait  tout 
contrôle  à  peu  près  impossible. 


156  CHAPITRE   II 

Une  première  réforme  hit  faite  en  1867  ;  on  sépara  théo- 
riquemeni  la  caisse  sociale  des  caisses  particulières  des 
inéraux    I). 

Le  règlement    fait   à    cette   date    porte  que  chacun  des 

néraux  assumera  à  son  tour  la  gestion  des  intérêts 

-     Iaui  pendanl  un  exercice,  après  avoir  reconnu  et  certifié 

ici  l'étal  de  la  caisse  qui  lui  est  fourni  préalablement  par 
son  collègue.  En  outre,  l 'inspecteur-vérificateur  a  seul  qualité 
pour  percevoir  les  droits  et  intérêts  qui  sont  dus  à  la  Société. 

De  même,  tous  les  mandats  de  dépense  doivent,  avant 
d'être  p  tyés,  être  visés  par  le  membre  de  la  Commission  qui 
remplit  les  fonctions  de  trésorier. 

Les  sommes  appartenant  à  la  Société  sont  enfermées  dans 
une  caisse  distincte  el  donnent  lieu  à  des  écritures  spéciales. 

La  comptabilité  «le  la  Société  est  d'ailleurs  placée  sous  le 

ntrôle  de  l'inspecteur-vérificateur,  qui  reçoit,  des  agents 
u\.  le  montant  des  prélèvements  effectués  au  profit  de 
la  Société  sur  les  droits  d'auteur,  examine  les  dépenses,  et 
vérifie  séparément  la  <-;ii>sede  la  Société. 

On  alla  plus  loin  dans  cette  voie  en  1904.  On  pensa  que 
lion  de  la  caisse  sociale  et  la  perception  des  droits  des 

auteurs  levaient  pus  rtre  réunies  dans  les  mêmes  mains. 

Le  i  otrôleur  général,  qui  avait  succédé  à  l'inspecteur-véri- 
teur,  devait  déjà,  à  chaque  instant,  intervenir  dans 
l'administration  de  la  Société;  il  étaii  préférable  qu'il  en  fût 
seul  chargé. 

Le  contrôleur  général  es1  aujourd'hui  l'agent  comptable 
de  dont   M  tient  la  caisse  «'l   l«'s  écritures.  11  exé- 

cute I'  iona  de  la  Commission,  pour  toul  ce  <|ui  touche 

el  aui  dépen  ci  aies. 

67  sur  le  fonctionnement  de  la  caUse  de  U 
142, 


LA    SOCIÉTÉ   ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  1»T 

Il  effectue  les  recouvrements  de  toutes  les  sommes  dues 
à  la  Société;  il  perçoit  notamment,  des  agents  généraux,  les 
redevances  tixées,  au  profit  de  la  caisse  sociale  el  de  I;i  caisse 
des  secours  et  des  pensions,  par  les  dispositions  statutaires. 

De  même  il  acquitte  les  mandats  signés  par  le  trésorier. 
11  réalise  aussi,  conformément  à  des  délibérations  spéciales 
prises  par  la  Commission,  les  acquisitions  ou  emplois  de 
fonds  en  titres  nominatifs,  ou  leur  aliénation. 

Enfin  il  a  la  garde  des  archives  et  de  la  bibliothèque  de 
la  Société,  et  il  est  chargé  tous  les  ans  de  la  rédaction  et  de 
la  publication  de  l'Annuaire. 

La  Société  des  Auteurs  s'est  formée  une  assez  riche  biblio- 
thèque, en  achetant,  en  18G2,  les  collections  réunies  par  un 
artiste,  Francisque  jeune.  Ces  collections  renfermaient 
environ  13,000  volumes,  documents  sur  l'histoire  générale 
du  théâtre  et  sur  le  répertoire  dramatique.  Pour  assurer  le 
renouvellement  de  ce  fonds,  de  manière  à  permettre  de 
suivre,  d'année  en  année,  la  production  théâtrale,  les 
membres  de  la  Société  prirent  rengagement  de  déposer  <'n 
double  exemplaire  à  la  bibliothèque,  leurs  ouvrages  impri- 
més. Au  cas  où  l'un  d'eux  manquerait  à  remplir  cette  for- 
malité, la  Commission  était  autorisée  à  acheter  les  volumes 
aux  frais  de  l'auteur  (1). 

En  échange  de  cet  envoi  gracieux,  La  Société  faisait  aux 
membres  de  l'association  une  laveur  de  publicité.  Chaque 
année,  l'Annuaire  devait  mentionner,  dans  la  liste  des  piè< 
représentées,  les  œuvres  dramatiques  dont  les  exemplaires 
avaient  été  adressés  au  siège  social,  avec  indicatios  du 
nom  de  l'éditeur  et  du  prix  du  volume. 

Pourtant  rengagement  pris  par  les  membres  de  la  Société 


l    Voir  Annuaire  de  ta  Société,  1866  69,  | 


158  CHAPITRE    II 

oe  fui  pas  respecté  :  ils  négligèrent  le  plus  souvent  de  faire 
le  dépôt  convenu.   La  Commission  n'osa  pas  appliquer  les 
étions  nécessaires,  c'est-à-dire  acheter  les  volumes  aux 
frais  des  auteurs. 

En  fait,  la  Société  ne  recevait  à  cette  époque  que  les 
■  •m  de    ses    membres  édiles   à   l'Agence  générale  de 

librairie. 

En  1866  en  effet,  les  auteurs  avaient  décidé  de  s'éditer 
eux-mêmes,  afin  de  conserver  la  propriété  de  leurs 
ouvrages  1  .  La  publication  des  œuvres  des  membres  de 
L'association  fut  confiée  à  un  agent  général,  choisi  par  la 
Commission,  qui,  moyennant  un  prélèvement  de  15  0/0  sur 
Le  produit  de  La  vente,  supportait  tous  les  frais  d'édition. 
Les  auteurs  conservaient  d'ailleurs  la  faculté  de  se  faire 
éditer  ailleurs,  tandis  que  la  librairie  dramatique  n'avait  le 
droit  d'éditer  que  les  œuvres  des  membres  de  la  Société.  Les 
oui  parus  par  les  soins  de  l'agent  général  devaient 

porter  Le  titre  :  Bibliothèque  spéciale  de  la  Société  des 
Compositeurs  dramatiques,  ainsi  que  la  devise  de 
:  l  rnw  et  Libres. 

L'inspecteur-vérificateur  était  chargé  de  surveiller  les  opé- 
rations de  L'Agence  de  librairie  dramatique. 

agence  s'installa  10,  rue  de  la  Bourse,  sous  la  direc- 
tion de  M.  Louis  Lacour. 

Malgré  Les  avantages  considérables  qu'elle  présentait  pour 

1  institution  nouvelle  n'eul  pas  grand  succès  auprès  des 

auteur*  :  de   1867  à    1868  elle   n'édita  qu'une  quarantaine 

de  ;  _'     Ussi  en  1869,  devanl  L'indifférence  des  auteurs, 


ion  du    19  mari  1866.  Voir  Anntutire,  1866-69, 
i  ment  d  une  Agem  e  générale  de  librairie  avec  rapport  lu 
P.  Dugué.  Bibliothèque  de  la  Ville,  12,037*». 


LA    SOCIÉTÉ   ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  L5Q 

qui  avaient  pourtant  réclamé  cette  création  avec  une  vive 
insistance,  l'agent  général  se  refusait-il  à  continuer  une 
entreprise  onéreuse  (1). 

Une  nouvelle  tentative  fut  faite  à  cette  date.  On  renonça 
à  Tidée  d'une  agence  éditant  exclusivement  les  membres  de 
l'association.  La  Commission  passa  avec  la  maison  Dentu 
un  traité,  aux  termes  duquel  cette  maison  assurait  aux 
membres  de  la  Société  des  Auteurs  la  propriété  de  leurs 
œuvres  imprimées,  moyennant  un  prélèvement  de  40  0/0 
sur  le  produit  de  la  vente  (2).  Cette  nouvelle  organisation 
n'eut  d'ailleurs  pas  plus  de  succès  que  la  première. 

En  dépit  des  exhortations  de  la  Commission,  les  autours 
ont  toujours  négligé  d'adresser  leurs  ouvrages  à  la  Société. 
Lors  de  l'Assemblée  générale  de  190o,  M.  Mitchell  proposa 
d'imposer  à  nouveau  aux  membres  de  l'association  l'obli- 
gation d'envoyer  à  la  bibliothèque  des  exemplaires  de  leurs 
pièces  imprimées.  Cette  proposition  (Hait  motivée  par  la 
suppression  prochaine  de  la  censure,  qui  par  le  dépôt  obli- 
gatoire des  manuscrits,  avait  formé  jusqu'alors  une  biblio- 
thèque permettant  de  suivre  l'histoire  du  théâtre. 

11  convenait  que  la  Société  des  Auteurs  s'occupât  de 
constituer  cette  bibliothèque  modèb'. 

La  question  n'a  encore  reçu  aucune  solution. 


Commission,  agents  généraux,  »■!  contrôleur  général  -"lit 
soumis  à  l'autorité  de  L'Assemblée  générale.  Mais  cette 
autorité  s'exerce  ;■  des  intervalles  si  éloignés  qu  elle  es! 
presque  Illusoire  :  en  réalité  tous  les  pouvoirs  appartiennent 

à  la  Commission. 


(i)  Assemblée  générale  du  30  mai  1SM.  Annua 

(2  Voir  ce  traité  dans  [Annuaire,  1869-1872,  i" '<   1^-- 


CHAPITRE   II 

Tous  les  ans  les  sociétaires  sont  réunis  en  assemblée 
_   né  raie,  au  jour  fixé  par  la  Commission,  et  à  sa  requête. 

En  outre  de  ces  réunions  périodiques,  des  assemblées 
extraordinaires  peuvent  èlre  tenues  dans  le  courant  de 
l'année,  à  la  demande  de  la  Commission. 

Enfin  la  Commission  doit  convoquer  une  assemblée  géné- 
rale, lorsque  La  demande  lui  en  est  faite  par  vingt  socié- 
kaires  au  moins  :  en  ce  cas  la  délibération  ne  peut  porter 
que  sur  un  objet  spécial,  nettement  déterminé. 

réunions  extraordinaires  auront  lieu,  lorsque  des  évé- 
nements graves  surgiront,  sur  lesquels  la  Commission  ne 
voudra  pas  se  prononcer,  sans  connaître  l'opinion  de  la 
majorité  des  membres  de  la  Société.  Certaines  questions 
(1  ailleurs  —  touchant  surtout  aux  statuts  ou  à  la  vie  finan- 
cière  de  la  Société  —  sont  réservées,  aux  termes  de  l'acte 
I.  l'examen  des  sociétaires;  en  dehors  de  la  nomina- 
tion des  membres  <!«'  la  Commission,  et  de  l'apurement  des 
comptes  annuels,  I  Assemblée  générale  seule  peut  décider  le 
partage  des  bénéfices,  et  voter  des  fonds  extraordinaires, 
lorsqu'il  y  ;i  lien.  Toute  modification  aux  statuts  doit  être 
approuvée  par  elle;  enfin  il  lui  appartient  de  demander,  à 
I  expiration  «lu  temps  prévu  par  les  statuts,  la  mise  en  liqui- 
dation <lf  la  Société. 

Il  n  ;•  jamais  été  fait  abus  des  assemblées  générales  extra- 
ordinaires :  les  faits  qui  se  sonl  passés  récemment  mon- 
ti'-ni  que  des  questions  vitales  pour  la  Société  peuvent  être 
r  la  Commission,  sans  que  l'opinion  des  sociétaires 
wt été  demandée.  Lorsqu'à  la  lin  de  l'année  1903  la  Com- 
mission refusai!  de  traiter  avec  M.  Roy,  qui  l'assignait  devant 

*  tribunaux,  un  procès  s'engageait,  qui  mettait  en  cause 

même  de  la  Société,  \van1  de  prendre  une  déci- 

1  ommission  n'estima  poin!  nécessaire  de  demander 


LA    SOCIÉTÉ    ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  161 

l'avis  des  sociétaires.  Ceux-ci  ne  furent  informés  officielle- 
ment des  événements  qui  s'étaient  passés  que  lors  de  la 
convocation  de  l'Assemblée  générale  annuelle,  le  i  mai  1904. 
Et  leur  action  se  borna  à  voter  un  ordre  du  jour  de  félicita- 
tions aux  membres  de  la  Commission,  pour  leur  énergique 
résistance  en  cette  affaire. 

L'année  suivante,  le  i  mai  190o,  les  sociétaires  réunis  en 
assemblée  générale  étaient  instruits  que  la  Société  des 
Auteurs  avait  gagné  son  procès.  Ils  ne  pouvaient  encore  que 
s'en  féliciter. 

Ils  n'eurent  vraiment  à  donner  leur  avis  qu'en  1907, 
après  trois  ans  de  luttes,  quand  il  s'agit  de  tirer  la  morale 
du  procès,  et  de  procéder  au  règlement  financier  de  l'affaire. 

En  fait,  les  sociétaires  ne  manifestent  guère  leur  contrôle 
dans  la  marche  de  la  Société  que  par  la  réunion  solennelle 
à  laquelle  ils  sont  convoqués  tous  les  ans. 

Au  jour  fixé,  un  membre  de  la  Commission  lit  un  rap- 
port sur  la  gestion  de  l'année  qui  s'est  écoulée.  La  forme  ni 
le  fonds  de  ce  rapport  ne  varient  guère  d'une  année  à  l'autre. 
11  débute  par  des  chiffres,  —  quoi  de  plus  éloquent  que  les 
chiffres!  —  Il  se  félicite  ordinairement  de  pouvoir  apprendre 
à  ses  collègues  que  les  droits  perçus  par  la  Société  ont  aug- 
menté de  quelques  milliers  de  francs.  Et  généralement, 
depuis  un  certain  nombre  d'années,  il  constate  que  les 
droits  perçus  dans  les  théâtres  ont  diminué  ou  sont  restés 
Millionnaires,  tandis  que  ceux  qui  proviennent  des  music- 
halls  ont  progressé  très  sensiblement.  Il  indique  les  sommes 
distribuées  à  titre  de  secours  ou  de  pension-.  Puis  il  souhaite 
la  bienvenue  aux  stagiaires  admis  dans  le  courant  de  1  année 
au  rang  de  sociétaires,  et  prononce  l'oraison  funèbre  des 
auteurs  disparus. 

On  vote  sur  le  rapport,  qui  esi  presque  toujours  adopté  i 


102  CHAPITRE    II 

l'unanimité.  Quelques  sociétaires  présentent  parfois  un  vœu, 
ou  une  motion  tendant  à  une  réforme  dans  l'organisation  de 
L'association,  on  ils  entretiennent  l'assemblée  d'un  projet 
qu'il  y  aurait  lieu  de  mettre  à  l'étude. 

«  » ii  procède  au  remplacement  des  commissaires  dont  les 
pouvoirs  sonl  expirés,  et  on  se  donne  rendez-vous  à  l'année 
Bui  vante. 

La    Commission  doit    avoir   connaissance   de   toutes  les 

questions  qui  pourraient  être  discutées  en  assemblée  géné- 

rale.  Lorsqu'un  sociétaire  veut  soumettre  une  proposition  à 

vote,  il   doit   en  informer  quinze  jours  à   l'avance    la 

émission  qui  l'inscrira  à  l'ordre  du  jour  de  la  séance. 


Comme  on  le  voit,  l'autorité  de  l'assemblée  est  plutôt 
nominale  :  ses  attributions  sont  enfermées  dans  des  limites 
étroites];  la  plupart  du  temps,  ce  qu'on  lui  demande,  c'est  un 
biil  d'indemnité  pour  des  faits  passés,  parfois  oubliés  :  il 
lui  serait  difficile  de  le  refuser. 

Parfois,    cependant,     l'assemblée     s'est     montrée     plus 

m  t.-  :   elle  s'est  trouvée  nettement  en  désaccord  avec 

immission,  <j u i  avail  agi  sans  la  consulter;  il  n'y  avait 

d'autre   moyen  de  sortir  de  cette  situation  qu'une  chute  de 

cabinet,  un  changemenl  de  politique. 

1862    la    Commission    réclamait,    pour   des   raisons 
priv(  i   démission    à   l'un    des  deux  agents  généraux. 

Elle  'iii *  devoir  s  signer  l'autre,  M.  Guyot,  devant  le  tribu- 
nal civil,  pour  s'entendre  condamner  à  communiquer  s<>s 
lai  er  vérifier  sa  comptabilité.  Cette  dernière 
demande  était  motivée  par  certaines  irrégularités,  qu'uni 
'■'"I1  'H  permit  de  relever  à  la  charge  des  agents.  De^ 

■omn  ni  été  touchées  par  eux,  dont  il  n'avait  pas  été 


LA    SOCIÉTÉ    ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  163 

tenu  compte  aux  auteurs  ;  des  avances  avaient  été  faites  à 
des  membres  de  la  Société  sur  les  deniers  sociaux;  enfin 
des  perceptions  avaient  été  effectuées  au  profit  de  personnes 
étrangères  à  Fassociation. 

Ces  mesures  de  rigueur  ne  rencontrèrent  pas  l'approbation 
de  la  majorité  des  membres. 

La  Commission  dut  s'expliquer  publiquement  sur  sa 
conduite  devantrAssemblée  générale.  La  séance  fut  orageuse. 
Une  proposition  de  M.  Dennery,  demandant  la  réintégration 
de  l'agent  démissionnaire,  fut  votée  à  une  forte  majorité. 
On  s'accorda  à  regretter  que  la  Commission  eût  arrêté  un 
ensemble  de  mesures  sans  prendre  l'avis  des  sociétaires. 
M.  Anicet  Bourgeois  rappela  les  paroles  prononcées  par 
Scribe  à  l'Assemblée  générale  de  1856,  desquelles  il  résultai! 
que  les  Assemblées  générales  étaient  souveraines,  et  qu'il 
leur  appartenait  de  décider  en  dernier  ressort.  11  reprocha 
même  aux  membres  de  la  Commission  d'avoir  pris  connais- 
sance, au  cours  de  l'enquête  faite  sur  les  opérations  des 
agences,  des  comptes  particuliers  des  auteurs. 

A  ces  mois,  «  la  Commission,  dit  le  procès-verbal,  se  lève 
par  un  mouvement  énergique,  et  dément  l'allégation  par  le 
cri  unanime  :  c'est  faux  !  c'est  faux!  ». 

La  séance  dut  être  levée.  L'année  suivante,  lu  Commission 
démissionnait.  Plusieurs  de  ses  membres  parlèrent  même 
de  fonder  une  société  rivale  :  ce  geste  de  mauvaise  humeur 
n'eut  pas  de  suites. 

Le  désaccord  entre  [a  majorité  <■!  la  Commission  ae  se 
borna  pas  à  des  discussions  :  les  tribunaux  en  furent  saisis. 
La  Commission  avait  introduil  devant  le  tribunal  civil  une 
action  contre  Guyot  ;  quand  elle  se  présenta  pour  la  bou 
tenir,  on  vit  un  grand  Qombre  de  sociétaires  intervenir  dans 
l'instance,  et  déposer  des  conclusions  contraires  .1  celles  des 


CHAPITRE    It 

iiss  ires.  Représentés  par  M1  Cléry,  ils  soutenaient  que 
la  Commission  n'avait  pas  le  droit  de  révoquer  un  agent; 
[es  agents  étaient  avanl  tout  les  mandataires  des  auteurs  ; 
l'affaire  portée  devant  le  tribunal  devait  être  soumise  à  une 

assemblée  générale. 

Cette  démarche  n'eut  aucun  succès.  Le  tribunal,  à  la 
demande  des  commissaires,  nomma  un  expert  pour  vérifier 
l.i  comptabilité  de  Guyot  :  elle  rejeta  l'acte  d'intervention 
de  la  majorité,  et  la  comdamna  aux  dépens  (1). 

Incontestables  en  théorie,  les  droits  de  l'Assemblée  géné- 
rale  se  réduisent  eD  pratique  à  très  peu  de  chose  :  elle  n'a 
_  ère  d'autre  moyen  de  les  affirmer  que  par  des  discussions 
qui  risquent  de  mal  tourner,  et  par  des  changements  de 
Commission.  On  est  d'accord  pour  lui  reconnaître,  en 
quelque  façon,  nue  souveraineté  de  dernier  ressort;  mais  on 
ne  s'entend  même  pas  sur  les  limites  de  cette  souveraineté  : 

$\  du  moins  ce  qui  parait  résulter  du  débat  qui  s'engagea 
en  1862  sur  la  réintégration  de  l'agent  démissionnaire. 
L'Assemblée  avait-elle  le  droit  de  prendre  des  mesures 
d'exécution  î  Beaucoup  lui  dénièrent  ce  droit,  lui  recon- 
aaissanl  seulemenl  la  faculté  d'émettre  des  vœux  plus  ou 
moins  platoniques,  auxquels  les  commissions  qui  se  suc- 
Miii  donneraient  la  suite  qu'il  leur  semblerait  com- 
porta r. 

Le*  décisions  de  l'Assemblée,  dans  les  cas  où  il  lui  est 
arrivé  d'en  prendre,  ont-elles  même  été  toujours  respectées? 
Il  De  semble  pas. 

En  1890,  une  Vssemblée  générale  décidait  qu'une  prime 
de  3,000  francs  sérail  allouée  tous  les  ans  au*  directeurs  de 
théâtre,  qui,  dans  le  couranl  de  l'exercice,  auraient  mis  à  la 


itninaux,  8,  10,  n,  i]  avril,  h.  \-  mai  1863. 


LA    SOCIÉTÉ   ACTUELLE.    —    SON   ORGANISATION  165 

scène  une  œuvre  d'un  stagiaire.  C'était  un  encouragement 
à  jouer  les  jeunes,  trop  souvent  éconduits.  Trois  ans  plus 
tard,  la  Commission  supprimait  cette  prime,  sans  avoir  pris 
l'avis  des  sociétaires. 

En  1902,  à  la  suite  d'une  campagne  menée  par  les  direc- 
teurs de  théâtre  contre  le  système  des  répétitions  générales, 
M.  Decourcelle,  au  nom  de  la  Commission,  en  proposa  la 
suppression. 

Depuis  longtemps  le  régime  des  répétitions  générales 
soulevait  dans  le  monde  des  théâtres  de  très  violentes  cri- 
tiques. A  l'origine,  les  salles  de  spectacles  ne  s'ouvraient, 
le  jour  des  répétitions,  qu'à  un  puhlic  restreint  :  on  y  voyait 
des  critiques,  mais  en  petit  nombre,  des  amis  de  l'auteur, 
ceux  qui  avaient  collaboré  à  la  mise  en  scène  :  en  tout  une 
centaine  de  personnes,  réunies,  non  par  snobisme,  mais  dans 
l'intention  de  juger  l'œuvre  nouvelle,  et  déconseiller  utile- 
ment l'auteur  sur  les  dernières  retouches  à  faire.  Ce  travail 
en  commun  était  précieux  pour  l'intéressé,  qui,  entre  deux 
soirées,  apportait  souventà  sa  pièee  des  changements  heureux, 
l'allégeant  d'un  acte,  la  débarrassant  d'intrigues  inutiles, 
corrigeant  des  fautes  de  figuration  ou  de  mise  en  scène. 

Cela  ne  pouvait  durer.  Une  foule  bigarrée  envahit  bientol 
la  salle  :  tous  les  critiques  s'y  trouvèrent,  petits  ou  grands, 
tous  les  artistes,  accompagnés  de  leurs  amis,  <il  des  amis  de 
leurs  amis.  Ce  fut,  avant  la  première,  le  rendez-vous  inonda  in 
par  excellence,  pour  des  milieux  d'ailleurs  très  disparates  : 
il  ne  pouvait  plus  être  question  de  travail,  de  corrections; 
et  tout  ce  que  pouvait  raisonnablement  espérer  l'auteur, 
c'était  de  triompher  de  la  mauvaise  foi,  du  parti  pris  de 
dénigrement,  qui  dominent  dans  une  salle  ainsi  compos 
Car  s'il  est  un  public  qui  résiste  d'avance  aui  émotions,  où 
les  appréciations  malveillant.-,  les  échos  les  plus  perfides 


CHAPITRE    II 

soient  colportés  et  complaisammenl  écoutés,  c'est  bien  celui 
qui  se  réunil  ces  jours-là  pour  juger  L'effort  d'un  écrivain. 

Les  critiques  qui  assistent  à  la  répétition  ont  rarement  la 
conscience  de  revenir  à  la  première.  Ils  se  piquent  de  faire 
L'opinion  :  mais  ils  ne  connaîtront  jamais  par  eux-mêmes 
L'opinion  du  vrai  public,  l'effet  produit  sur  des  spectateurs 
de  bonne  foi,  qui  n'ont  aucun  intérêt  à  approuver  ni  à 
blâmer,  ils  n'attendent  pas  toujours  d'ailleurs  que  la  pre- 
mier.' ail  eu  lieu  —  car  nous  vivons  dans  un  temps  où  l'on  est 
pressé.  Si  par  hasard  l'auteur  a  jugé  bon  de  modifier  sa 
pièce  entre  Les  deux  soirées,  ils  n'en  tiendront  nul  compte  : 
tel  critique  s'étendra  complaisamment  sur  les  défauts  d'une 
scène  que  Le  grand  public  ne  verra  jamais. 

Frappé  de  ces  inconvénients,  M.  Decourcelle  proposait 
de  a 'admettre  la  critique  qu'à  la  première.  Gela  gênerait 
peut-être  Les  journaux  :  ils  s'arrangeraient.  Pour  emporter 
le  rote  de  L'assemblée,  il  faisait  valoir  que  le  régime  des 
répétitions  coûtait  320,000  francs  par  an  aux  vingt  théâtres 
de  Paris  —  non  compris  les  théâtres  subventionnés. 

\  une  imposante  majorité,  l'assemblée  vota  la  suppres- 
sion des  répétitions.  L'auteur  et  le  directeur  auraient  seule- 
ment le  droi!  de  distribuer  chacun  douze  cartes  d'entrée  à 
Leurs  amis,  pour  les  jours  de  répétition  :  ceux  qui  en  déli- 
vreraient davantage  seraient  passibles  d'une  amende  de 
3  onii  fran(  -. 

Deui  auteurs  s'inclinèrent;  ils  subirent  La  loi  nouvelle, 
au  risque  de  voir  livrer  Leurs  pièces  en  pâture  à  La  critique 
irritée  :  nnl  un  troisième,  qui  lit  une  répétition  publique. 
D  mtn     !  imitèrenl  :  aucun  ne  versa  3,000  francs. 

incien  système  était  rétabli,  sans  qu'aucune  assemblée 

:    été   m\  délibérer   sur   la    situation.    Il   n'a    pas 

•I  ailleurs  ramené  Le  calme  dans  Le  monde  du  théâtre.  Jamais 


LA    SOCIÉTÉ    ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  167 

les  incidents  entre  la  presse  et  les  administrations  théâtrales 
n'ont  été  plus  fréquents  ;  le  dernier  mérite  d'être  men- 
tionné, car  les  tribunaux  auront  peut-être  à  en  connaître  : 
M.  Sardou  a  assigné  le  Matin  en  ">0,000  francs  de  dom- 
mages-intérêts pour  avoir  rendu  compte  de  r Affaire  des 
Poisons  —  en  termes  d'ailleurs  peu  bienveillants  —  avant  la 
première  représentation  de  sa  pièce.  M.  Picard,  encouragé 
par  cet  exemple,  lui  réclame  100,000  francs  à  l'occasion 
d'une  critique  du  Faux  Pas  publiée  dans  les  mêmes  condi- 
tions. 

La  question  de  principe  est  enfin  posée  :  un  critique 
peut-il  être  traîné  en  justice  pour  avoir  analysé  une  pièce 
qu'on  Ta  prié  de  venir  voir? 

Tout  cela  ne  fut  pas  sans  inquiéter  quelque  peu  les  socié- 
taires sur  l'efficacité  de  leurs  décision».  Aussi  voyons-nous 
s'introduire  dans  les  statuts  de  1904  un  article  qui  n'était 
pas  dans  les  statuts  de  1879  : 

«  Toute  décision  prise  en  Assemblée  générale  ae  pourra 
être  cassée  ou  modifiée  que  par  une  nouvelle  Assemblée 
générale  ». 

On  ne  pouvait  être  moins  exigeant. 


Pour  pourvoir  aux  différents  objet»  qui  lui  sont  assigm 
par  ses  statuts,  la  Société  des  Auteurs  dispose  d'un  ensemble 

de  ressources  qui  constituent  le  l Is   social,  el  <|ni  sont 

énumérées  dans  l'article  6  des  statuts. 
«  Le  fonds  social  se  compose  : 
«  1°  De  l'apport  de  chacun  des  sociétaires  : 
«  2°  Du  un   pour  cenl  prélevé  sur  les  produits  bruts  des 
représentations  de  leurs  œuvres,  tanl  à  Parisque  dans  les 
départements,  à  l'étranger;   partout  enfin  au  la  perception 


CHAPITRE   II 

pourra  B'exercer  Légalement  en  vertu  Je  traités  généraux 
tvec  la  Société  ; 

m  \)°  Du  un  pour  cent  prélevé  sur  la  remise  attribuée  aux 
généraux   pour  la  perception  des  droits  d'auteur  à 
l'étranger,  en  raison  de  tous  traités  particuliers  passés  par 
leur  intermédiaire  ; 

«  i°  Du   produit  des  représentations  et  redevances  quel- 
conques consenties  par  les  divers  théâtres  en  vertu  des  traités  ; 
5°  Des  bénéfices  de  toute  nature  que  la  Société  pourra 
faire,  et  de  tous  avantages  généralement  quelconques  ; 

«  G°  Et  enfin  des  revenus  non  dépensés  provenant  des 
sommes  non  dépensées,  quand  le  partage  n'en  sera  pas 
décidé  ». 

Le  premier  élément  du  fonds  social,  ce  sont  les  apports 
faits  à  la  Société  par  les  sociétaires  nouvellement  admis, 
conformément  aux  dispositions  adoptées  en  1879. 

A  i  »*tte  date,  qui  marque  la  reconstitution  de  l'association, 
les  anciens  sociétaires  furent  reçus  dans  la  nouvelle  Société, 
a  i  nii.lition  de  rapportera  la  caisse  ce  qu'ils  avaient  touché 
comme  pari  dans  la  liquidation  de  l'actif.  Gela  fit  à  la 
S  iété  une  première  mise,  qui  atteignait,  dès  l'exercice 
1879-1880,  256,200  francs,  et  qui  s'a  ugmente  chaque  année 
«If  rapport  de  100  francs  lait  par  les  sociétaires  dont  l'admis- 
sion ••-!  prononcée. 

prélèvements  effectués  <  ouformément  aux  statuts  sur 
lec  droite  d'auteur  on1  suivi  une  ascension  marquée,  duc  à 
la  |  sio ii  constante  des  <lmiis  d'auteur. 

Pendant  l'exercice  1869-70,  le  produit  de  ces  prélèvements 
H  encore  que  9,462  francs.  Il  est  vrai  qu'à  cette 
époque  li  retenue  sur  les  <lr<>ils  d'auteur  était  seulement 
de  1  2  0  •>. 

En  IV)         les  retenues  de  1  0/0  produisaient  £4,978  fr.  ; 


LA    SOCIÉTÉ   ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  169 

En  1890-91  :  32,926  fr.  ; 

En  1901-1902  :  40,988  fr.  ; 

En  1906-1907  :  66,248  fr. 

Aux  prélèvements  de  1  0/0  effectués  sur  les  droits  des 
auteurs  vivants,  ou  morts  depuis  moins  de  cinquante  ans, 
il  faut  joindre  les  droits  exigés  par  la  Société  sur  les  pièces 
du  domaine  public,  et  qui  sont  versés  pour  la  totalité  à  l,i 
caisse  sociale.  C'est  une  source  de  revenus  qui  est  sujette  à 
des  changements  très  sensibles,  car  rien  n'est  plus  variable 
que  les  emprunts  plus  ou  moins  larges  faits  chaque  année 
par  les  théâtres  au  vieux  répertoire. 

En  1869-70,  le  domaine  public  rapportait  3,165  fr.  ; 

En  1879-80  :  54,996  fr.; 

En  1890-91  :  38,140  fr.; 

En  1901-1902  :  63,853  fr.; 

En  1906-1907  :  62,208  fr. 

A  ces  ressources  il  convient  d'ajouter  les  redevances 
diverses  exigées  des  directeurs  par  les  traités  généraux  au 
profit  de  la  Société,  et  qui  fournissaient  en  1906-1907  une 
somme  de  29,827  fr.  ;  une  somme  considérable  provenant 
de  l'intérêt  des  valeurs  appartenant  à  la  Société,  <'l  qui 
formait  pour  l'exercice  1906-1907  un  compte  de  54,021  fr.  ; 
puis  des  recettes  extraordinaires,  moins  importantes  el  très 
variables,  telles  que  les  dons  ei  legs  faits  à  la  Société,  le 
remboursement  de  frais  de  traités  ou  de  frais  judiciaires,  les 
indemnités  versées  par  les  directeurs  en  cas  d'infractions 
aux  traités,  etc.. 

Directement  ou  indirectement,  la    fortune  d<>    la  Société 
des   Auteurs   est  «loue   principalement    constituée  par  des 
prélèvements  opérés  sur  les  recettes  des  tli<;àin--.  De  ce  fait, 
elle   Be  trouve  soumise  à  des  hausses  ou  des  baisses  fi 
queutes.  Indépendamment  des  faits  particuliers  oui  modi- 


170  CHAPITRE    II 

fient  d'année  en  année  la  situation  des  théâtres  —  tels  que 
faillites,  fermetures  à  la  suite  d'une  mauvaise  saison,  ou  au 
atraire    ouverture    de    scènes    nouvelles,    relèvement  de 
mes  délaissées  —  îles  causes  générales  peuvent  agir  sur 
la   prospérité  tics  théâtres,  d'une  façon  souvent  fort  impré- 
vue.  Les   théâtres  son!  en  effet  une  industrie  de  luxe  qui 
subit,    la    première,    le    contre-coup    de    toutes    les   crises 
financières  ou  politiques,  ei  aussi  de  ce  qu'on  peut  appeler 
de  l'opinion. 
is  parler  de  l'exercice  1870-1871  qui,  par  le  fait  de  la 
irre,  porta  un  coup   sensible  à  la  Société  des  Auteurs, 
l'incendie  de  l'Opéra-Comique,  qui  éloigna  pour  longtemps 
de   toutes   les   -(tues  de  Paris  et  de  la  banlieue  un  public 
effrayé,  entraîna  pour  l'exercice  1887-88  une  baisse  considé- 
rai.1.*  dans  les  recettes  des  théâtres.  En  1894,  la  Commission 
Himaitainsià  I  A  sseï  nblée  les  intluences  ennemies  du  théâtre 
<ui  parlait  déjà  beaucoup  de  la  crise  des  théâtres  : 
Les  exigences  des  artistes,  qui  ne  sont  pas  toujours  en 
-••il  directe  de  leur  valeur  personnelle!  Les  frais  de  toutes 
les  qui  augmentent  journellement,  alors  que  notre  part 
de  droits  demeure  immuablement  la  même  depuis  soixante- 
quatre  ans!    Le  droit   des  pauvres  qui  continue  de  frapper 
1  industrie  des  théâtres  libres,  comme  il  s'exerçait  sous  le 
-mi'*  du  monopole!  Les  circonstances  climatériques,  l'in- 
Quenza,  la  politique,  Panama,  l'anarchie  et  sa  propagande 
parle  fail  :  La  stagnation  des  affaires,  la  timidité  des  bouc- 
le culte  excessif  du  Parisien  pour  1rs  billets  de  faveur! 
Le  développement  des  courses    de   chevaux    avec  le    pari 
mutuel,  el  enfin  l'envahissement  passionné  de  la  bicyclette, 
tutant  di  fâcheuses  ». 

latentes  onl  pour  la  plupart  persisté,  ou  se  sont 


LA    SOCIÉTÉ    ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  171 

Les  artistes,  secondés  par  une  réclame  toujours  plu^ 
complaisante,  ont  des  prétentions  toujours  plus  coûteuses  : 
les  théâtres,  pour  obéir  aux  exigences  d'un  public  qui  aime 
avoir  ses  aises,  sont  obligés  à  de>  frais  [dus  lourds  ;  les 
champs  de  courses  —  malgré  la  suppression  des  bookma- 
kers —  ne  sont  pas  délaissés.  A  la  bicyclette  a  succédé  la 
concurrence  —  combien  plus  déloyale  et  plus  dangereuse 
—  des  automobiles.  Le  culte  des  Parisiens  pour  les  billets 
de  laveur  est  devenu  un  véritable  fléau.  Et  la  politique  n'a 
pas  cessé  d'absorber  les  esprits.  Le  temps  n'est  plus  où  le 
peuple  se  contentait  de  demander  :  panent  ri  circenses.  A 
ce  compte,  la  crise  des  théâtres  est  endémique. 

Par  contre,  des  événements  commerciaux  comme  les 
Expositions  universelles,  viennent  périodiquement  verser 
daus  la  caisse  de  la  Société  l'or  d'un  Pactole  International. 

En  1889-90,  le  rapporteur  constatait  pour  les  droits 
d'auteur  une  augmentation  de  625,000  IV.  sur  l'exercice 
précédent. 

L'Exposition  de  1900  donnait  une  majoration  de  82 1 ,000  IV. 
sur  l'exercice  précédent. 

Ce  sont  là  des  aubaines.  Il  faut  en  profiter,  sans  trop  eu 
espérer  le  retour. 

À  cette  instabilité  dans  les  ressources  sociales  est  due 
sans  doute  la  sage  e1  prudente  gestion  donl  la  Société  des 
Auteurs  ne  s'est  pas  départie.  Les  commissions  qui  se  sont 
succédé  n'ont  cessé  d'insister  sur  la  nécessité  <l«i  mettre  de 
côté  pour  les  mauvais  jours  possibles.  Elles  n'ont  pas  cédé 
aux  tentations  <|ii<*  suscitent  l<^  plus-values  budgétaires.  Et 
c'est  avec  une  lenteur  voulue  qu'elles  ont  développé  pi 
sivemenl  le  service  «I»'-  pensions  de  retraite,  qui  est,  depuis 
une  vingtaine  d'années,  l'objet  des  préoccupations  constantes 
de  la  Société. 


CHAPITRE    II 


+  * 


L'ensemble  dos  ressources  que  nous  venons  d'indiquer 
es!  d'abord  consacré  aux  diverses  dépenses  que  nécessite  le 
fonctionnement  de  L'association.  L'excédent,  c'est-à-dire  le 
solde  en  caisse,  constaté  à  la  fin  de  chaque  exercice,  est  mis 
en  réserve,  et  vient  grossir  d'une  année  à  l'autre  l'actif 
-  ial.  11  est  converti  en  valeurs,  conformément  aux  pres- 
criptions  <lti  l'article  7  des  statuts  qui  porte  : 

Toutes  les  dépenses  acquittées,  l'excédent  des  recettes 
sera  converti  en  rentes  sur  l'Etat,  ou  en  autres  valeurs 
Bolides,  au  profit  de  la  Société  ». 

Les  <  comptes  de  la  Société,  tels  qu'ils  sont  établis  à  la  fin 
de  chaque  exercice,  se  sont  toujours,  sauf  de  rares  excep- 
tions, soldés  par  des  excédents  de  recettes,  souvent  considé- 
rables,  qui  constituent  aujourd'hui  à  la  Société  une  réserve 
for!  importante. 

Cette  fortune  était  ainsi  composée  pour  l'exercice  1906- 
1907  : 

1  Valeur  des  litres  au  prix  d'achat.   .     1,585,091  fr. 

2  Mobilier  et  bibliothèque 55,551 

Solde  "ii  caisse 102,218 

Total 1,742,860  fr. 

I'  I  est  le  chiffre  <l<'  l'actif  social  qui   devrait  être  mis  en 

i  la  liquidation  <l<i  la  Société  était  demandée  par 

les  deux  tiers  des  sociétaires  ayanl  droit  de  vote,  au  terme 

par  les  statuts. 

Jusqu  en  1904,  seuls  les  sociétaires  pouvaienl  être  appelés, 

'••  cas  échéant,  au    partage  de   l'actif  social.  Les  statuts  de 

af   admis  indistinctement    tous  [es  membres  çlç 

iation. 


LA    SOCIÉTÉ   ACTUELLE.    —    SON   ORGANISATION  173 

L'article  26  des  statuts  règle  ainsi  la  procédure  :  «  A 
l'expiration  de  la  Société,  la  liquidation  sera  opérée  par 
la  Commission  alors  en  fonctions,  assistée  des  agents 
généraux  et  du  contrôleur  général,  suivant  le  mode  qui  sera 
réglé  par  l'Assemblée  générale  ». 

Depuis  1829  la  question  s'est  posée  une  seule  fois,  en  1879. 
Le  partage  se  fit  alors,  non  pas  proportionnellement  aux 
prélèvements  effectués  sur  les  droits  de  chaque  sociétaire, 
c'est-à-dire  proportionnellement  à  ce  que  chacun  avait 
apporté  à  la  Société,  mais  par  parts  égales  :  répartition  évi- 
demment plus  démocratique. 

Les  statuts  prévoient  également  la  constitution  d'un  fonds 
de  bénéfices  partageables,  qui  comprend,  aux  termes  de 
l'article  8,  les  revenus  non  dépensés  des  sommes  placées 
au  profit  de  la  Société.  Ce  fonds  de  bénéfices  apparaît 
chaque  année  dans  le  solde  en  caisse  constaté  à  la  fin  de 
l'exercice. 

Les  statuts  de  190 i  —  confirmant  sur  ce  point  les  statuts 
de  1879  —  admettent  au  partage  des  bénéfices  les  diffé- 
rentes catégories  d'associés. 

Le  partage  a  lieu  sur  la  proposition  qui  en  est  faite  à 
l'Assemblée  générale  par  la  Commission,  lorsqu'elle  juge 
convenable  d'y  procéder.  La  décision  doit  être  votée  par  les 
deux  tiers  des  sociétaires,  ou  recueillir  postérieurement  leur 
adhésion. 

La  procédure  n'est  pas  laissée  au  choix  de  l'Assemblée 
général»1.  Les  statuts  prescrivent  que  la  répartition  ait  lieu  au 
marc  le  franc,  et  au  prorata  des  versements  faits  par  les 
associés,  en  raison  du  1  0/0  prélevé  sur  l<i>  droits  d'auteur. 

Ces  disposition^  des  statuts  sont  dues  visiblement  à  la 
préoccupation  d'affirmer,  par  la  constitution  d'un  fonds  «le 
bénéfices,  et  la  réglementation  du  partage,  le   caractère  de 


17 -i  CHAPITRE    II 

S  iété  civile  que  l'association  des  auteurs  a  tenu  à  se 
donner.  En  Fait,  depuis  La  fondation  de  la  Société,  aucun 
partage  de  bénéfices  n'a  eu  lieu,  à  moins  qu'on  ne  dise 
tjii'il  y  ;i  eu  répartition  des  gains,  lorsqu'on  1879,  on  procéda 
à  la  liquidation  de  l'ancienne  Société. 


Aux  termes  de  l'article  7  des  statuts,  les  charges  sociales 
se  composent  : 

I  Des  frais  généraux  de  recouvrement,  et  des  frais 
imprévus,  après  approbation  de  la  Commission  ; 

_  Des  frais  judiciaires  ou  autres  nécessités  pour  la  rédac- 
tion et  I<1  maintien  des  traités,  la  défense  des  droits  de  la 
caisse  el  de  ceux  des  associés  contre  les  théâtres,  et  tous 
autres  ayant  des  intérêts  avec  les  auteurs  et  compositeurs. 

Le  chiffre  des  dépenses  de  la  Société  s'élevait  à  18i,195  fr. 
en  1906-1907,  alors  que  les  recettes  étaient  de  235,762  fr. 

La  pluparl  «les  articles  de  dépenses  n'ont  donné  lieu, 
depuis  la  fondation  de  l'association,  qu'à  une  augmentation 
fort  légère  des  crédits.  Ainsi  les  frais  de  loyer,  de  personnel, 
d'abandon  de  droits  perçus,  et  œuvres  de  bienfaisance,  les 
frais  de  traités,  les  frais  judiciaires,  etc.. 

Deux  articles  onl  uécessité  des  crédits  plus  variables,  le 

service  d<  »urs,  et  surtoul   le  service  des  pensions   qui 

lit,  pour  l'exercice  1906-1907,  à  98,700  francs,  absor- 

•  beaucoup  plus  de  la  moitié  du  budget  de  l'association. 

ituts  de  1837  prévoyaienl  déjà  une  caisse  de  secours 

tous  les  associés,  à  quelque  titre  qu'ils 

enf   partie  de   la  Société,   avaient  d'ailleurs  droit  à  en 

néficîer.  La  répartition  en  était  confiée  à  la  Commission. 

En  ition  de  cette  caisse  a  été  ainsi  arrêtée  : 

1  '"•    domine    <!*•     10!). 000   francs    environ,    provenant 


LA   SOCIÉTÉ   ACTUELLE.    —    SON   ORGANISATION  L75 

d'un  versement  de  300  francs  prélevé  sur  l'apport  social 
fait  par  les  366  sociétaires  ayant,  à  cette  date,  signé  les 
nouveaux  statuts  ; 

2°  La  moitié  du  prélèvement  statutaire  de  1  0/0  sur  les 
droits  d'auteur  ; 

3°  La  moitié  des  redevances  imposées  par  les  traités,  au 
profit  de  la  Caisse  des  pensions,  aux  directeurs  des  théâtres 
de  Paris  ; 

4°  La  totalité  des  redevances  payées  par  les  théâtres  de 
province  et  de  l'étranger. 

Ces  ressources  ont  permis  à  la  Société  d'encourager  dis- 
crètement dans  une  carrière  difficile,  de  jeunes  littérateurs 
sans  fortune,  que  l'encombrement  des  théâtres  condamne 
souvent,  après  des  essais  infructueux,  au  chômage  et  à  la 
misère. 

Le  chiffre  des  secours  distribués,  qui  s'éleva  d'abord  d'une 
façon  constante,  s'est  trouvé  réduit  depuis  une  dizaine 
dnnnées,  à  cause  des  charges  toujours  plus  lourde-  que  le 
service  des  pensions  a  fait  peser  sur  le  budget  social. 

En  1879,  la  Commission  décida  qu'il  serait  servi  dix  pen- 
sions de  600  francs  aux  membres  les  plus  le  droit  à  la 
retraite  n'était  ouvert  qu'aux  seuls  sociétaires  comptant 
soixante  ans  d'âge  et  vingt-cinq  années  de  sociétariat.  La 
Commission  était  chargée  de  pourvoir  aux  vacances  en  dési- 
gnant les  nouveaux  titulaires. 

La  pension  est  un  droit,  non  nue  laveur  :  aussi  ne  peut- 
elle  être  refusée  :  toutefois,  si  Le  paiement  vient  à  en  être 
suspendu,  pour  insuffisance  de  ressources,  le  titulaire  n  a 
pas  d'action  contre  La  Société. 

Le  nombre  des  pensions  fui  augmenté  sans  relâche  depuis 
1880.  Dès  qu'il  semblait   possible  de  l'accroître,  sans  coin 
promettre  l'équilibre  budgétaire,   La  Commission  m   bâtait 


17n  CHAPITRE    II 

de  donner  satisfaction  à  de  nouveaux  candidats.  Elle  était 
d'ailleurs  poussée  dans  cette  voie  par  les  sociétaires,  qui,  dès 
I.'  début,  n'oni  cessé  il»1  réclamer  une  admission  plus  large 
et  plus  aisée  à  la  retraite.  Chaque  année,  un  membre  de 
l'assemblée,  se  faisant  l'interprète  du  sentiment  général, 
proposait  qu'on  créât  des  pensions  nouvelles.  Une  année 
même,  un  sociétaire,  estimant  sans  doute  que  la  prose  était 
insuffisante  à  traduire  les  vœux  de  l'assemblée,  exprimait 
son  désir  dans  mie  allocution  en  vers  (1). 

Tandis  que  les  pensions  augmentaient,  les  secours  dimi- 
nuaient. Conséquence  toute  naturelle  d'ailleurs.  Il  serait 
injuste,  en  effet,  d'y  voir  une  tendance  de  la  Société  à  res- 
treindre le  budget  de  ses  générosités,  et  à  réserver  pour  les 
pensions,  dont  bénéficient  les  seuls  sociétaires,  des  fonds 
jusqu'alors  destinés  à  secourirla  détresse  des  autres  membres 
de  I  i  Société,  et  en  particulier  des  stagiaires.  Une  part  des 
ni-  8  toujours  été,  dès  l'origine,  réservée  à  certains 
iétaires  -  .  retirés  du  théâtre  sans  y  avoir  fait  fortune, 
—  les  carrières  dramatiques  ont  parfois  une  triste  fin.  Les 
Fonds  qui  étaient  alloués  à  ces  professionnels  malheureux 
«»nt  été  simplement  rattachés  à  un  autre  chapitre;  ce  qui 
leur  'lui  accordé  d'une  façon  intermittente,  et  à  titre  de 
ours,  leur  est  aujourd'hui  servi  d'une  façon  régulière,  à 
titre  de  retraite.  Cela  n'a  pas  diminué  la  part  des  autres. 

En    1903,   la   Commission  décida   d'améliorer   encore  la 

situation  des  pensionnaires.  Le  patrimoine  social  était  appelé 

eu  effet  a  bénéficier  de  ressources  nouvelles.  Le  droit  de  1  0/0 

pen  n  au   profil  de  la  Société  sur  les  droits  d'auteur  avait 

emmenl  étendu  aux  traités  particuliers  conclus  par  les 

I  étranger,  traités  jusqu'alors  exempts  de  tout 


i  A»--  du  '■  mai  1891,  Annuaire  1890-tmn. 


LA   SOCIÉTÉ   ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  177 

prélèvement.  De  plus,  à  l'occasion  de  la  nomination  d'un 
nouveau  titulaire  de  Tune  des  agences,  les  deux  agents 
généraux  avaient  offert  spontanément  d'abaisser  de  lu  0  0 
à  8  0/0  les  frais  de  perception  en  province.  La  Commission 
avait  décidé  d'affecter  la  moitié  de  l'économie  réalisée  à  la 
caisse  des  pensions. 

En  présence  de  ces  ressources  nouvelles  el  presque  inatten- 
dues, on  résolut  de  porter  de  1,000  francs  à  1,200  francs 
le  taux  des  pensions  servies.  L'année  dernière,  nue  nouvelle 
satisfaction  a  été  accordée  aux  sociétaires  :  le  taux  des 
retraites  a  été  élevé  à  1,500  francs. 

Un  membre  de  l'Assemblée  crut  devoir  exprimer  quelques 
craintes  au  sujet  de  cette  augmentation.  Le  service  des  pen- 
sions, aujourd'hui  comme  en  1879,  se  trouve  assuré  par  un 
ensemble  de  ressources  prélevées  sur  le  budget  annuel  de  la 
Société.  Il  n'est  garanti  par  aucun  capital.  S'il  survenait  une 
guerre,  une  épidémie,  disait  M.  Aderer,  pourrait-on  main- 
tenir le  taux  actuel  ? 

Le  président  répondit  assez  justement  que  dans  ce  cas  les 
pensionnaires  ne  toucheraient  ni  1,500,  ni  1,200,  ni  1,000 
francs:  il>  ne  toucheraient  rien  du  tout. 

Cependant,  les  appréhensions  de  .M.  Aderer  avaient  ému 
quelques  sociétaires.  Ils  pensèrenl  que  le  mieux  n'es!  pas 
l'ennemi  du  bien,  qu'une  caisse  <l<-  retraites,  garantie  par  un 
capital  respectable,  est  moins  sujette  à  million  qu'un  service 
de  pensions  alimenté  par  des  revenus  aléatoires. 

On  nomma  une  sous-commission,  qui  étudia  !<■  fonction- 
nement de  diverses  caisses  <!<•  retraites  publiques  <•!  privé» 
Quelques  membres  pensèrenl  même  a  soumettre  la  caisse 
des    pensions  de  la  Société  au  régime  de  la    l<»i  de   18 
;i    baptiser    l'association    du    nom    de   Société    de    secours 

mutuels,    ce  qui  lui  assurerait  enfin   un   Btatul  juridique 

u 


CHAPITRE   II 

défini,  la  mettant  à  l'abri  de  toute  surprise;  mais  coite 
solution  lui  toul  de  suite  écartée.  En  outre  de  la  réglemen- 
tation financière  gênante  à  laquelle  colle  combinaison  aurait 

ujetti  la  Société,  l'association  venait,  au  cours  d'un  procès 

■  ni.  de  voir  reconnaître  par  les  tribunaux  plus  formclle- 
ni. -ni  que  jamais  sa  qualité  de  société  civile,  dont  elle-même 

it  toujours  un  peu  doute  :  ce  n'était  pas  le  moment  de 
changer  -"ii  étiquette  juridique. 

immission  se  contenta  d'un  projet  plus  modeste, 

auquel  la  caisse  sociale  serait  devenue  tributaire  de 

la  Caisse  nationale  dv<  retraites.   Les  pensionnaires  de  la 

-     iété,    transformés   en   mutualistes  convaincus,  auraient 

.•h  chacun  leur  livret. 

A uen u  projet  ne  devait  aboutir.  Le  rapporteur  de  l'exercice 
1906-4907  n'eut  pas  de  peine  à  convaincre  ses  confrères 
que  la  situation  prospère  de  la  Société  était  une  garantie 
suffisante  de  sa  solvabilité  dans  l'avenir.  Il  fit  justement 
remarquer  qu'un  grand   nombre  des  pensionnaires  actuels 

lient  de  beaucoup  dépassé  l'âge  de  soixante  ans,  lorsqu'ils 
furent  admis  à  la  retraite.  Dans  ces  conditions,  il  était  aisé 
de  prévoir  que  le  chiffre  des  pensions  ne  tarderait  pas  à  se 
proportionner  an  nombre,  —  maintenant  stationnaire  — 
des  membres  sociétaires,  et  que  de  7IJ,  —  cbifîre  actuel  —  il 

fixerait  bientôt  à   10.  La  dépense  nécessaire  au  service 

pensions  correspondrait  donc  prochainement  au  revenu 

de  la  i  (m  oe  cesse  de  s'accroître, et  qui  s'est  augmenté 

cemment  des  perceptions  nouvelles  faites  à  l'étranger  sur 
d'auteur.    La  situation    n'avait  rien  d'alarmant  : 
e    lui  d'accord  avec  l<i  rapporteur,  pour 
tenir  au  \tatu  quo    I  . 


lu  *  mai  1907,  Annuaire  1906-1907. 


LA    SOCIÉTÉ    ACTUELLE.    —    SON    ORGANISATION  179 

Les  raisons  données  par  le  rapporteur  Tannée  dernière 
ont  leur  valeur.  Il  n'en  est  cependant  pas  moins  fâcheux, 
pour  une  caisse  de  retraites,  de  n'être  pas  à  l'abri  des  fluc- 
tuations des  recettes.  Cette  incertitude  présente  un  autre 
inconvénient,  moins  direct,  mais  qui  ne  prête  pas  moins  à 
la  critique.  Certains  membres  ont  parfois  laissé  entendre 
que  les  discussions  qui  s'engag-eaient  annuellement,  entre 
tous  les  sociétaires  réunis  en  assemblée,  ne  présentaient  pas 
toutes  les  garanties  d'indépendance  désirables;  la  Commis- 
sion aurait  toujours  une  prépondérance  regrettable  sur  les 
membres  de  l'Assemblée,  assurée  des  voix  de  ceux  qui,  par 
leur  situation  financière,  dépendent  plus  étroitement  de 
l'association,  et  par  conséquent  des  commissaires  qui  la 
représentent.  Il  y  a  peut-être  là  une  légère  ombre  au  tableau, 
que  les  Commissions  auront  sans  doute  à  cœur  d'effacer. 


Les  Cadres  de  la  Société 

Sociétaires  —  Stagiaires  —  Héritiers  et  Cessionnaires 


Les    Cadres   de   la   Société 
Sociétaires  -  Stagiaires  —  Héritiers  et  Cessionnaires 


Les  statuts  de  la  Société  des  Auteurs  distinguenl  quatre 
catégories  d'associés  :  les  sociétaire,  les  stagiaires,  les  héri- 
tiers adhérents,  les  cessionnaires  adhérents. 

Les  associés  des  deux  dernières  catégories  a'onl  ai 
dans  la  Société  qu'à  raison  d'un  titre  ou  d'un  acte  juridique, 
qui  les  appelle  à  recueillir  le  bénéfice  de  droits  perçus  pour 
le  compte  d'un  autre.  Ils  n'ont  dans  la  corporation  qu'un 
intérêt  indirect  et  limité,  et  ne  sont  soumis  en  revanche 
qu'à  l'observation  de  certaines  des  clauses  sociales.  Ce  sont 
des  associés  de  rencontre.  L'élément  stable  de  L'association, 
ce  sont  ceux  qui  travaillent,  c'est-à-dire  les  stagiaires  e1 
les  sociétaires. 

Cette  distribution  en  deux  classes  des  auteurs  el  compo- 
siteurs, est  analogue  à  celle  qui  esl  faite,  dans  la  Société 
des  Gens  de  Litres,  entre  sociétaires  stagiaires  et  sociétaires 
définitifs. 

Si  elle  ne  date  pas  d'aujourd'hui,  si,  de  bonne  heure,  les 
auteurs  associés  songèrenl  à  réserver  à  certains  d'entre  eux 
le  j >I < m  ii  exercice  des  prérogatives  sociales,  ce  n'est  guère  que 
depuis  1866  —  ainsi  que  nous  le  verrons  —  que  cette  resti 
tion  devint  plus  sévère  :  depuis,  elle  a  été  interprétée  de 
façon  de  plus  en  plus  étroite,  jusqu'à  établir  entre  les  deui 
classa  d'auteurs,  inégalemenl  traitées,  une  véritable  sépare 
tion. 


CHAPITRE    III 

Les  statuts  de  la  Société,  lois  qu'ils  furent  élaborés 
en  1829,  et  régularisés  en  1837  par  acte  notarié,  ne  pré- 
paient, d'autre  part,  aucun  versement  préalable,  aucun 
droit  d'entrée  de  la  part  clos  auteurs,  lors  de  leur  adhésion 
au  pacte  social.  Il  n'en  est  plus  ainsi  aujourd'hui.  Lorsqu'on 
1879  la  Société  vint  à  expiration,  il  y  eut  une  liquidation, 
suivie  d'une  reconstitution  presque  immédiate.  Les  socié- 
taires  de  l'ancienne  Société  furent  admis  de  plein  droit  dans 
la  nouvelle,  à  charge  pour  eux  de  reverser  à  la  caisse  sociale 
une  -"in me   de   550  francs  environ,  représentant  ce  qu'ils 

lient  touché  dans  la  liquidation  du  fonds  social. 

Il  lut  d'ailleurs  entendu  que  ceux  qui  ne  consentiraient 
*  ce  versement,  et  emporteraient  leur  part  de  fonds 
lai,  ne  pourraient  plus  avoir  accès  dans  l'association  qu'en 
tnl  un  apport  d'une  valeur  double. 

En  dehors  des  anciens  sociétaires,  nul  n'est  plus  actuelle- 
ment   admis   à    ce   titre  dans  la  Société,  si,    en  outre  des 

nditions  spéciales  exigées,  il  ne  juslitie  d'un  versement 
de  i<)()  francs  à  la  eusse  sociale. 

I  sociétaires  onl  seuls  part  à  l'administration  de  l'asso- 
ciation. Seuls,  il-  assistent  aux  assemblées,  où  sont  discutées 
les  questions  importantes  :  seuls,  ils  peuvent  être  appelés  à 

2^er  dans  la  Commission,  pouvoir  exécutif  du  syndicat. 
Enfin  c'est  pour  eux  exclusivement  qu'a  été  organisé  un 
ice  <b'  retrait* 


Mjourd  luii.  on  ne  devient  guère  sociétaire,  qu'après  avoir 

ire  pendant  un  temps  assez  long.   La  Société  res- 

m  corporations  de  l'Ancien  Régime,  où   l'on  était 

bord  apprenti,  il  fallait  faire  ira  chef-d'cew  re  pour  passer 

malt 


LES   CADRES   DE   LA   SOCIÉTÉ  185 

On  n'exige  pas  des  stagiaires  qu'ils  fassenl  un  chef- 
d'œuvre.  Mais  on  leur  demande  d'avoir  quelques  œuvres  à 
leur  actif.  Le  débutant  qui  a  fail  jouer  une  bluette  <ui  un  acte, 
fut-ce  même,  à  la  Comédie-Françoise,  un  à-propos  eu  vers 
célébrant  le  génie  de  Racine  ou  de  Corneille,  devait-il 
s'asseoir,  sans  autre  forme  de  procès,  à  côté  des  célébrités 
du  jour?  La  Société  ne  l'a  pas  pensé.  Et  cependant,  elle  a 
senti  que  toute  distinction  comporte  des  inégalités,  que  i 
inégalités  peuvent  paraître  choquantes,  en  des  temps  de 
démocratie.  Aussi  a-t-elle  pensé  à  se  couvrir  de  l'autorité  de 
Beaumarchais,  un  révolutionnaire  de  la  première  heure. 

Les  stagiaires  sont  en  réalité  de   création    beaucoup  plus 
récente.  Au  début,  tout  le  monde    avail   dans  la    Société  le 
même  iilre,  ainsi  que  des  droits  égaux.  En  1838,  on  song 
pour  la  première  fois  à  distribuer  les  membres  en  catégories. 

Pour  avoir  Ao>  assemblées  peu  nombreuses,  des  délibéra- 
tions calmes,  on  distingua  le  droit  de  cité,  el  le  droit  d'élec- 
tion. Tue  décision  prise  le  i  lévrier  1838  ouvre  largemenl  à 
tous  les  auteurs  joués,  n'eussent-ils  qu'un  acte  sur  la  cons- 
cience, l'accès  au  syndicat  :  ils  bénéficieront  de  l'entremise 
des  agents,  et  de  la  protection  de  la  Société, 

Pour  avoir  le  droit  d'élection,  c'est-à-dire  le  droit  d'assister 
aux  assemblées  et  de  dé'  signer  des  membres  de  la  Commis- 
sion, il  fallait  avoir  fait  jouer,  sur  un  des  théâtres  royaux, 
sans  collaborateur,  un  ou  deux  ouvrages  composant  au 
moins  deux  actes,  ou,  en  collaboration,  \\\\  ou  plusieurs 
ouvrages  représentant  au  moins  trois  actes  :  3ur  l<  nés 

secondaires,  on  exigeait,    suivant    les  mêmes  distinctions, 
trois  nu  cinq  actes. 

On  m'  se  gêna  pas  d'ailleurs  pour  enfreindre,  plus  d  une 
fois,  ces  dispositions  restrictives.  Aussi  en  1848  ji 
opportun  de  simplifier  la  procédure, 


CHAPITRE   III 

On  décida  qu'il  suffirait,  pour  siéger  et  voter  aux  assem- 
blées,  d'avoir  fait,  au  théâtre  de  la  Nation,  au  théâtre  de 
la  République,  à  l'Opéra-Comique,  ou  à  l'Odéon,  soit  un  acte, 

il,  -"it  deui  actes,  en  collaboration;  un  ou  trois  actes 
étaient  nécessaires  sur  les  autres  scènes. 

A  la    faveur   de   ces  dispositions,  le   nombre  jusqu'alors 

(ivint  des  membres  sociétaires  s'éleva  à  près  de  900. 
libéralisme  ne  dura  guère  :  la  Société  crut  devoir,  en 
1866,    prendre    A(>>    mesures    prohibitives,    que    paraissait 
nécessiter  le  changement  profond  qui  venait  de  se  produire 
dans  le  régime  «les  théâtres. 

Les  décrets  de  1807  n'avaient  autorisé  qu'un  très  petit 
oombre  de  théâtres,  qui  devaient  s'adonner  chacun  à  un 
genre  déterminé.  Ceux  qui  pouvaient  prétendre  à  être  joués 
sur  ces  scènes  formaient  naturellement  un  groupe  très 
restreint.  La  difficulté  d'arriver,  l'encombrement,  étaient 
h  grands,  qu'il  fallait  toute  l'audace  d'une  vocation  irrésis- 
tible pour  assiéger  des  portes  à  peine  entre-bàillées.  On  ne 
•  if  du  théâtre,  que  h  vraiment  on  se  sentait  du  talent, 
••I  si  I  on  espérail  y  faire  une  carrière  honorable. 

Lorsque  I"  décrel  de  1864  eut  rétabli  la  liberté  des  théâtres, 
il  -  oui  rii  de  toutes  parts  dans  Paris  des  salles  de  spectacles: 
les  barrières,  qui  séparaient  les  genres  dramatiques,  cédèrent 
sous  la  poussée  des  entreprises  nouvelles.  Ce  furent  de  tous 
des  créations,  plus  ou  moins  intéressantes,  plus  ou 
moins  viables       car  la  liberté,  dans  !<•  théâtre,  <isl  presque 

ijours  le  signal  de  faillites  nombreuses  —  mais  qui  déter- 
minèrenf  les  vocations  les  plu-  Incertaines  et  les  plus  hési- 
tantes. Désonnai  portes  étaient  grandes  ouvertes  :  tous 
talents  pouvaient  B'employer,  les  plus  divers  et  les  plus 
"",               i  bienque  lei  plus  solides  et  les  plus  reconnus. 
ulement  l<      pécialitét    e  subdivisaient  ;•  l'infini  dans 


LES    CADRES    DE    LA    SOCIÉTÉ  187 

la  confusion  des  genres,  mais  encore  les  tempéraments 
dramatiques  les  plus  douteux  pouvaient  trouver  à  s'essayer, 
quittes  à  se  tourner  ailleurs  en  cas  d'échec.  A  côté  des 
auteurs  dramatiques  de  carrière,  il  y  eul  des  auteurs  de 
rencontre,  à  qui  une  heureuse  idée,  accompagnée  d'un  peu 
de  chance,  pouvait  assurer  une  heure  de  vogue.  Dès  ce  jour, 
le  théâtre  exerça  dans  le  monde  des  lettres  —  d'ailleurs  très 
élargi  —  cette  attirance,  que  n'a  cessé  de  lui  valoir  un  genre 
de  travail  relativement  facile,  la  complaisante  bienveillance 
d'un  puhlic  plus  ou  moins  délicat,  et  les  larges  profits  qu'il 
permet  d'escompter.  Tandis  qu'un  recueil  de  vers  ne  trouve 
pas  d'acheteurs,  qu'un  livre  sérieux  ><■  vend  avec  peine, 
qu'un  roman  agréable  et  qui  plaît  rapporte  un  bénéfice 
modeste,  une  pièce  de  théâtre,  qui  réussit  moyennement, 
assure  à  son  auteur  un  bénétice  sérieux,  en  même  temps 
qu'elle  lui  donne  une  publicité,  plus  ou  moins  durable,  mais 
très  étendue.  Il  y  a  là  de  quoi  tenter  plu^  d'un  amateur. 
Aussi  le  théâtre  est-il  souvent  la  première  espérance  des 
écrivains  qui  cherchent  leur  voie,  et  le  dernier  refuge  des 
littérateur-  maltraités  ailleurs.  La  Société  des  Auteurs,  qui  ne 
comptait,  avant  1864,  que  500  membres  associés,  comptait 
en  1903,  derrière  son  bataillon  de  sociétaires,  une  armée 
de  plus  de  t,000  stagiaires. 

Au  lendemain  du  décret  de  1864,  La  Société,  qui  jus- 
qu'alors avait  présidé  sans  trop  d'agitations  aux  destinées 
du  inonde  du  théâtre,  administré  ses  intérêts  dans  le 
calme  df  ses  séances  académiques,  prit  peur  de  cette  foule 
bigarrée,  qui  semblait  vouloir  forcer  ses  portes  :  «'II»'  la 
laissa  se  morfondre  <lan>  son  antichambre. 

D'où  venaient  ces  jeunes  auteurs  qui  réclamaient  leur 
admission  dans  la  Société,  l<>ui  heureux  'I.-  voisiner  avec  les 
maîtres,  pleins  d'années  et  de  gloire?  Quels  étaient   leurs 


CHAPITRE    III 

titres,  leurs  travaux?  Quelles  idées  apportaient-ils?  Si  la 
S  :iété  les  acceptai!  eu  masse,  n'allaient-ils  pas,  comme 
il-  étaienl  le  nombre,  prétendre  à  examiner  ses  statuts, 
en  discuter  les  clauses,  peut-être  on  bouleverser  la  sage 
et  patiente  économie  ?  Les  aînés  eurent  peur  de  leurs  cadets  ; 
nt  de  les  accueillir,  ils  leur  imposèrent  un  stage,  pen- 
dant lequel  ils  pourraient  mûrir  leur  talent  et  leurs  idées. 
Suivanl  le  mol  du  rapporteur  de  l'exercice  de  18GG,  la 
S  liété  se  forma  en  Conseil  de  révision,  priant  les  jeunes 
auteurs  d'attendre  el  d'espérer. 

-I  ;i  la  Commission  qu'il  appartint,  en  vertu  des  déci- 

sions  qui  furenl  prises  a  celle  époque,  de  prononcer,  suivant 

certaines  règles  fixes,  sur  leur  admission  au  rang  de  socié- 

taires,   qui   les   fais  a  il   participer  à  tous  les  avantages  de 

l'association.   Pendanl  ce  temps  d'épreuve,  ils  n'étaient  pas 

d'ailleurs  rejetés  en  dehors  de  la  Société.  Une  telle  solution 

eûi  été  néfaste  à  l'association  elle-même  :  celle-ci  aurait  pu 

voir  s'élever  «lu  jour  au   lendemain   une  institution  rivale, 

fondée  par  l<i-  jeunes  auteurs,  dont  la  concurrence  eût  créé 

une  division  des  plus  fâcheuses  pour  Ions.  La  Société,  tout  en 

refusant  aux   stagiaires  toute  participation  à  son  adminis- 

tion  intérieure,  leur  ouvrail  largement,  el  à  la  première 

réquisition,   les  bureaux  de   ses  agences    :    moyennant  un 

ni   modique  consenti   sur  leurs  droits,  et  un  vœu 

ince  absolue  au  pacte  social,  ils  étaient  assurés  de 

toucher  d  >ute  la  France,  au  même  Mire,  et  d'après  le 

trif  que  les  sociétaires,  les  droits  qui  leur  étaient 

ir  li  •  ntation  de  leurs  œuvres. 

1  la  Commission  qui  réglai!  le  sort  des  nou- 

meml  lui  prise  I"  1  ï  décembre  1866,  et 

emblée  générale  du  2:;  mai  1867,  Elle 

h  1  motivé 


LES   CADRES   DE   LA   SOCIÉTÉ  189 

«  Considérant  que  les  demandes  d'admission  dans  la 
Société  deviennent  chaque  jour  plus  nombreuses,  et  que  si 
la  Commission,  chargée  de  les  examiner,  doit  rester  fidèle 
aux  pensées  libérales  qui  ont  inspiré  la  réunion  des  auteurs 
et  compositeurs  dramatiques  en  une  véritable  famille,  elle 
ne  doit  point  oublier  qu'elle  a  reçu  le  mandai  de  veiller  aux 
intérêts  légitimes  des  sociétaires  actuels,  el  que  ces  intérêts 
seraient  compromis,  si  des  nouveaux  sociétaires  leur  étaient 
incessamment  adjoint-,  sans  un  contrôle  sérieux  et  préalable  : 

«  Considérant  qu'une  collaboration  plus  ou  moins  effec- 
tive, qu'une  tentative  plus  ou  moin-  sérieuse,  que  même 
quelques  essais,  qui  peuvent  être  bientôt  abandonnés,  ae 
sont  pas  suffisants  pour  assurer  dans  i;i  Société  une  pli 
qui  confère  immédiatement  au  nouveau  venu  un  droit  sur 
une  partie  de  l'actif  commun,  et  une  part  d'influence  sur  I;» 
direction  des  aftaires  sociales  ; 

«  Considérant  toutefois  qu'on  ne  saurait  refuser  d'une. 
manière  absolue  aux  postulants  L'accès  qu'ils  sollicitent  :  que, 
pendant  le  temps  d'épreuve  auquel  \\>  doivent  être  soumis, 
il  est  utile  et  convenable  qu'ils  puissent  se  rattacher,  dans 
une  certaine  mesure,  à  la  Société,  dont  il-  sont  appelé 
devenir  membres  :  que  celle  sorte  de  stage  provisoire  concilie 
tous  les  intérêts  Légitimes. 

«  Décide... 

«  Article  1".  — A  l'avenir,  les  candidats  ne  seronl  p<  int 
admis  de  droit  mm-  La  seule  justification  d'une  ou  de   plu- 
sieurs compositions  dramatiques,  .1  faire  partie  de  La  Soci< 
A  l,i  Commission,  représentant  La  Société  et  agissant  en  son 
nom.   est   réservé    le    droit    d'examen   <•!    d'admission; 
décisions  seront  prises  à  la  majorité  des  voix. 

<<  Art.  _}.  —  Jusqu'à  l'admission  définitive  •  udidats 

comme  sociétaires,  dans  les  termes  de  la  décision   pn 


CHAPITRE   III 

l'Assemblée  .  île  du  25  mai  I8GG,  ces  candidats  seront 

invités  à  remettre  aux  mains  d'un  dos  deux  agents  généraux 
de   la  Société  un  pouvoir   contenant  adhésion  aux  statuts 
aux,  •  ■!  autorisanl  ragent  ehoisi  à  représenter  le  futur 
ié taire  dans  des  conditions  semblables  à  celles  des  socié- 
taires  actuels   •    I  . 

La  décisif  d  du  -'">  mai  1866,  à  laquelle  il  est  fait  allusion 
dans  la  délibération  précédente,  et  qui  fut  prise  en  Assem- 
blé.- générale,  déterminait  les  conditions  d'après  lesquelles 
la  Commission  aurait  à  prononcer  à  l'avenir  l'admission  au 
rang  de  sociétaire,  donnant  droit  d'entrée  et  de  vote  aux 
Assemblées  générales.  Elle  demandait  que  le  candidat 
ju-tiliàl  d'un  certain  nombre  d'actes  joués,  nombre  variable 
suivant  l'importance  de  la  scène  sur  laquelle  ils  avaient  été 
représentés. 

Pour  prononcer  le  dignus  est  intrare,  la  Société  exigeait 
un  acte  sans  <  ollaboration,  ou  deux  actes  en  collaboration 
joués  ;i  l'Opéra,  à  la  Comédie-Française,  à  l'Odéon,  à  l'Opéra- 
ûque,  -ni  Théâtre-Lyrique  ou  au  Théâtre-Italien.  11  fallait 
trois  actes  sans  collaboration,  ou  six  actes  en  collaboration, 
au  Gymnase,  «ni  Vaudeville,  aux  Variétés,  ou  au  Palais-Royal; 
cinq  actes  ou  dix  actes  — suivant  la  même  distinction  — à 
la  Porte-Saint-Martin,  au  Châtelet,  à  la  Gaîté,  ou  à  l'Ambigu. 
I  i  prêtaient  les  classifications.  Est-ce  à  dire  que  les  autres 
théâtres  non  classés,  théâtres  déjà  nombreux,  ne  pussent,  en 
aucun  iciliter  aux  auteurs  l'accès  au  sociétariat?  t^ela 

Fort  inji  car  il  arrive  souvent  que  des  œuvres 

i  intéressantes  voient  !<•  jour  dans  des  théâtres  secon- 
daires, pour  être  reprises  plus  lard  sur  des  scènes  plus 
importantes.    M  omme   toute  distinction   eût  été   tort 


me  !".  pagei  117  et  suiv. 


LES   CADRES    DE   LA    SOCIÉTÉ  I9i 

arbitraire  pour  ces  scènes  de  second  ou  de  troisième  ordre, 
pour  lesquelles  le  succès  ou  le  mérite  de  l'œuvre  son!  de 
plus  surs  guides,  la  Commission  se  réservail  le  soin  d'appré- 
cier en  toute  liberté  s'il  y  avail  lieu  d'admettre  au  socié- 
tariat un  auteur  joué  dans  l'un  de  ces  théâtres. 

Sans  doute,  celle  liberté  d'appréciation  n'était  pas  sans 
inconvénient;  il  est  toujours  fâcheux  de  donner  à  quelques 
auteurs  le  droit  de  juger  les  œuvres  de  leurs  confrères. 
Mais  elle  ne  s'appliquait  évidemment  qu'à  des  cas  excep- 
tionnels, où  le  succès  d'une  œuvre  aurait  en  quelque  sorte, 
par  la  volonté  souveraine  du  public,  forcé  la  main  ;i  la 
Commission  :  c'était  une  porte  ouverte  pour  des  situations 
autrement  >;ms  issue,  et  qui  rachetait  un  peu  ce  que  toute 
réglementation,  fondée  sur  une  comptabilité  matérielle,  qui 
ne  lient  nul  compte  de  la  valeur  littéraire,  ni  même  du 
goût  du  public,  a  forcément  de  rigide  et  d'aveugle. 


Lorsque  la  Société  se  reconstitua,  en  1879,  la  distinction 
«uitre  sociétaires  el  stagiaires  prit  place  dans  les  statuts. 

Les  stagiaires,  qui  jusqu'alors  étaient  de  simples  donneurs 
de  pouvoirs,  n'entrant  en  relation,  pour  ainsi  dire,  qu'avec 
les  agences,  devinrent  d'ailleurs,  «le-  ce  jour,  des  associés, 
;ni  même  lilre  que  les  sociétaires. 

En  même  temps,  des  conditions  plus  dures  furent  mises 
ii  l'accession  au  sociétariat. 

Aux  tenu.'-,  des  statuts,  le  candidat  devait  justifier  : 

I"  D'un  minimum  de  cinq  actes  représentés  sans  colla- 
borateur, ou  de  lit  valeur  de  dix  actes  représentés  poui 

part  personnelle  de  collaboration,  sauf  | r  l'Opéra  et   le 

Théâtre-Français,  où  ce  minimum  ne  sera  pas  rigoureuse- 
ment obligatoire. 


CIIAPITIIE   III 

La  Commission  dressera  le  tableau  des  théâtres  qui  comp- 
teront ou  ae  compteront  pas  pour  L'admission. 

D'un  apport  de  quatre  cents  francs  eu  espèces. 

Cet  apport  sera  effectué  par  voie  de  retenue  sur  les  droits 
d'auteur  : 

I  11  sera  tenu  compte  à  l'auteur  du  un  pour  cent  prélevé, 
aux  termes  des  présents  statuts,  depuis  le  jour  où  la  percep- 
tion a  commencé  pour  lui  ; 

Il  sera  fait,  à  partir  du  jour  de  son  admission,  un 
prélèvement  supplémentaire  et  temporaire  de  cinq  pour  cent 
sur  tous  ses  droits  d'auteur. 

Lorsque  ces  deux  prélèvements  réunis  auront  atteint  le 
chiffre  de  quatre  cents  francs,  le  nouveau  sociétaire  pourra 
prendre  part  aux  Assemblées  générales,  et  ses  droits  n'au- 
ront plus  à  supporter  que  la  retenue  de  un  pour  cent. 

Toutefois,  le  paiement  des  quatre  cents  francs  ci-dessus 
stipulé  pourra  être  immédiatement  complété  en  espèces, 
lorsque  l'admission  aura  été  prononcée. 

II  semble  au  premier  abord  que  celle  exigence  d'un  apport 
de  quatre  cents  francs  fût  une  difficulté  de  plus  pour  l'admis- 

;i  au  sociétariat,  et  constituât  \\\\  véritable  cens.  11  n'en  est 
rien.  Cet  apport,  les  statuts  de  1879  l'exigeaient  ('gaiement, 
nous  l'avons  vu,  d<">  sociétaires  de  Pancienne  Société  qui 
demandaient  à  faire  partie  de  l'Association  reconstituée.  Il 
n'était  que  juste,  dès  lors,  d'imposer  aux  stagiaires  admis 
aux  mêmes  avantages,  aux  mêmes  prérogatives,  une  cotisa- 
tion égale. 

En  permettant  d'ailleurs  au  candidat  de  compléter  immé- 
diatement, par  un  versement  de   fonds,  l'apport  exigible,  la 
liait  de  met tre  une  <'nl pave  quelconque  à  son 
i.  de  toute  né<  i     ité,  l'auteur  eût  dû  constituer 
de  prélèvement  sur  ses  droits,  il  est  cer- 


LES    CADRES    DE    LA    SOCIÉTÉ  LÔ3 

tain  que  la  mesure  prise  en  1879  eût  fait  dépendre  L'admis- 
sion du  succès  plus  ou  moins  grand  de  ses  œuvres,  puisque 
les  prélèvements  sont  proportionnels  aux  recette-.  Mais 
c'était  une  simple  faculté  pour  le  candidat  :  au  lieu  d'attendre 
que  le  versement  normal  de  un  pour  cent,  combiné  avec  le 
versement  extraordinaire  de  cinq  pour  cent,  ait  rapport 
la  Société  une  somme  de  quatre  cents  francs,  il  lui  était 
loisible  de  désintéresser  de  suite  la  caisse  sociale.  D'autre 
part,  dès  le  jour  où  il  a  fait  jouer  le  nombre  d'actes  régle- 
mentaire, il  est  sociétaire  —  les  statuts  le  disent  expressé- 
ment —  quitte  à  ne  voir  régulariser  sa  situation,  et  a  ne 
jouir  effectivement  des  avantages  du  sociétariat,  que  lorsque 
la  question  d'argent  aura  été  résolue. 

Mais  il  est  à  peine  besoin  de  faire  remarquer  combien  les 
conditions   nouvelles   étaient,   quant  au  reste,    plus   rigou- 
reuses que  les  anciennes.  Au  lieu  de  deux  ou   trois  actes, 
c'est  cinq  actes  dont  il  faudra  justifiera  l'avenir.  En  outre, 
les  théâtres  qui  comptent  pour  L'admission  ne   sont   plus 
nommément  désignés  dans  une  décision  prise  par  l'Assem- 
blée générale.  C'est  à  la  Commission  qu'est  laissé  le  soin  de 
dresser  —  sans  appel —  le  tableau  de  ces  théâtres,  et  de   le 
remanier,  lorsqu'elle  le  jugera  bon.  Sans  doute  cette  insta- 
bilité est  plus  en  harmonie  avec  La  fortune  changeante  des 
théâtres,  qu'une  mauvaise  chance  peut  conduire  à  la  ruine 
ou  qu'un  succès  durable  peut  consacrer  définitivement.  La 
Commission  tient  leur  étal  civil  :  elle  enregistre  les  nais- 
sances et  le>  décès,  ei  modifie  sa  liste  au  gré  du  goûl  du 
publie.  Mais,   d'autre  part,  il   dépend   d'elle,   par  ces   révi 
sions,  de  diminuer  arbitrairemenl  le  nombre  des  >tagiau 
admis  au  sociétariat,  Lorsque  les  demandes  affluent. 

Hors  du    tableau,  d'ailleurs,  point   de   salut.  Les    i  ta  tu  ta 
n'admettenl  pas  «elle  heureuse  correction  de  toute  classifi* 

13 


CHAPITRE   III 

catioD  etmito,  que  les  décisions  de  1866  prévoyaient  : 
quelquesoii  le  mérite  d'une  œuvre,  ou  le  succès  qu'elle  a 
obtenu,  elle  n'entre  point  en  ligne  de  compte,  si  la  scène 
but  laquelle  elle  a  été  jouée  n'est  pas  dans  l'enceinte  consa- 
cre' par  la  Commission. 

Cette  politique  de  protectionnisme  devait  irriter  les  sta- 
_  tires,  qui,  depuis  1864,  ont  toujours  formé  la  grande 
majorité  du  monde  des  auteurs  dramatiques  ;  ils  s'impatien- 
n  t  d'être  soumis  pendant  de  longues  années  à  un  appren- 
tissage un  peu  humiliant,  qui  les  admettait  à  être  membres 
d'une  Société,  dont  ils  ne  faisaient  pas  véritablement  partie. 

Leurs  plaintes  se  firent  particulièrement  vives  vers  1887, 
et  finirent  par  attirer  l'attention  jusqu'alors  un  peu  indiffé- 
rente  des  sociétaires. 

Il-  protestaient  alors  contre  l'exclusivisme  avec  lequel  la 

admission  avait  dressé  le  tableau  des  théâtres  qui  comp- 

ent  pour  L'admission.  De  parti  pris,  disaient-ils,  on  écar- 
tait les  scènes  d'avant-garde,  celles  qui  s'ouvrent  plus 
facilement  aux  essais  des  jeunes.  Chaque  jour,  d'ailleurs,  le 
public   se   chargeait  de  «tonner  un  éclatant  démenti  à  ces 

trictions    Injustifiées.    Un    stagiaire,    M.    Gandillot,    ne 
venait-il  pas  justement  d'obtenir  un  gros  succès  avec  les 
ollantes,  qui  avaient  déjà  deux  cents  représenta- 
tions au  théâtre  Déjazet,  an  théâtre  qui  ne  comptait  pas. 

I ••■■  réunirent  eu  un  syndical  de  protestation. 

Il-  organisèrent  nu  petit  parlement  —  il>  étaient  tout  juste 

cinquante  armèrent   des  bureaux,  votèrent  des  projets 

itre  projets.  Enfin,  après  des  discussions  confuses 

[uelque  peu  orageuses,  qui  faisaient  déjà  redouter  dans  !«• 

public  un  mu  avec  la  Société,  \\>  décidèrent  —  un  peu 

•  peut-être  —  d  en  référer  à  leurs  confrères  sociétaire 
et  d<  uter  leurs  doléai  la  Commission. 


LES    CADRES    DE    LA    SOCIETE  195 

Ils  avaient  condensé  leurs  revendications,  réduites  à  un 
minimum,  qui  semblait  acceptable,  en  un  texte  dont  il-  récla- 
maient l'insertion  dans  les  statuts,  et  qui  fut  soumis  à  une 
assemblée  générale. 

«  Serait  sociétaire,  portait  ce  projet,  l'auteur  ou  composi- 
teur qui  aurait  ou  aurait  eu  dans  les  théâtres  ou  cafés-concerts 
existants,  ou  dans  les  établissements  similaires  disparus,  un 
nombre  d'actes  joués  correspondant  l\  vingt-cinq  parts. 

Tous  les  établissements  de  France  et  de  l'étranger^  ayant  un 
traité  avec  la  Société  des  Auteurs  et  Compositeurs  drama- 
tiques, devraient  être  classés  dans  un  des  cinq  ordres  du 
tableau  suivant  : 

1er  ordre  :  Valeur  d'un  acte 5  parts. 

2°      —  —  4     — 

3e      —  —  3     — 

4e      —  —  2     — 

5e       —  —  1     — 

Au  lieu  de  dix  actes,  comme  part  personnelle  de  colla- 
boration, ou  de  cinq  actes,  sans  collaboration,  on  exigerait 
donc  au  moins  50  ou  2o  parts;  mais,  tandis  qu'un  petit 
nombre  de  théâtres  seulement  étaient  classés  par  la  Commis- 
sion parmi  ceux  qui  comptent  pour  l'admission,  tous  les 
théâtres  auraient  compté  désormais,  suivant  une  propor- 
tion variant  avec  leur  importance. 

11  faut  avouer  que  La  rédaction  proposée  a'étail  pas  heu- 
reuse. S'il  étail  désirable  d'augmenter  dans  la  plu-  large 
mesure  la  liste  des  scènes  classées,  il  était  peu  raison- 
nable d'y  comprendre,  suivant  une  graduation  d  ;»il- 
leurs  compliquée,  <•!  qui  sérail  devenue  forcément  des 
l»lu-  arbitraires,  (<>u>  les  théâtres  de  Paris,  de  France  et  <!«' 
l'étranger.  Mieux  valait  abolir  toute  distinction  entre 
taires  et  stagiaires,  que  d'admettre  au  rang  d 


CHAPITRE    III 

dr  préférence  à  toul  autre,  un  auteur  qui  aurait  eu  l'heu- 
reuse Fortune  de  faire  jouer  le  nombre  de  pièces  réglemen- 
taire sur  n'importe  quels  tréteaux  de  la  banlieue  ou  delà 
provint 

Le  rapporteur  à  l'Assemblée  générale,  M.  Paul  Ferrier, 
protesta  également  contre  l'assimilation  dangereuse  que  le 
projel  établissait  entre  les  théâtres  et  les  cafés-concerts. 
Admettre  les  cafés-concerts  dans  le  tableau  des  scènes  qui 
comptent,  n'était-ce  pas  une  révolution,  en  môme  temps 
qu'une  hérésie  ?  La  Société  des  Auteurs  s'était  fondée 
pour  l<4  théâtre  :  les  cafés-concerts  relevaient,  en  prin- 
cipe, d'une  autre  Société  ;  si,  pour  défendre  l'intérêt  de 
quelques-uns  de  ses  membres,  la  Société  dramatique  avait 
jugé  nécessaire  de  prélever  des  droits  —  le  plus  souvent 
d'ailleurs  par  voie  d'abonnement  —  dans  certains  de  ces 
établissements,  «  où  le  culte  de  Thalie  se  mêle  au  culte  de 
Gambrinus  »,  il  n'avait  jamais  été  dans  l'esprit  de  ses 
statuts  de  faire  une  place  égale,  au  sein  de  la  Société,  aux 
auteurs  joués  dans  les  théâtres,  et  aux  fournisseurs  attitrés 
des  music-halls. 

Le  langage  un  peu  dédaigneux  du  rapporteur  s'explique 
en  1887,  où  les  cafés-concerts  ne  rapportaient  à  la  Société 
qu'une  somme  minime,  <in  regard  des  droits  perçus  dans 
les  théâtres;  la  Société  ne  parlerait  peut-être  plus  aujour- 
•  I  lnii  avec  la  même  légèreté  d'établissements  sur  Lesquels 
elle  lève  un  magnifique  tribut. 

Il   ii '-n  '--I   pas  moins  vrai  que  l'assimilation   proposée 
était  contraire,  aussi  l>i<'n  aux  statuts  de  La  Société,  qu'aux 
upations  que  !<•  souci  de  l'ari  dramatique  doit  lui  ins- 
pirer.  Là  encore  Les  pétitionnaires  n'avaient  pas  été  bien 

Si   elle  repoussai!    le  pronunciamento  des   stagiaires,  la 


I 


LES   CADRES   DE   LA    SOCIÉTÉ  107 

Commission  n'en  était  pas  moins  pour  leur  accorder  cer- 
taines satisfactions.  A  côté  des  théâtres  qui  comptaient  pour 
l'admission,  et  pour  lesquels  il  n'y  avait,  à  son  avis,  qu'à 
maintenir  les  règles  en  vigueur,  ne  convenait-il  pas  de 
faire  une  place  à  part  à  un  certain  nombre  de  théâtres,  qui 
auraient  donné  des  droits  pour  l'admission,  quitte  à 
imposer,  pour  ces  scènes,  des  conditions  plus  sévères,  soit 
quant  au  nombre  d'actes  joués,  soit  quant  au  total  (\^>  droits 
perçus,  ou  au  nombre  de  représentations  obtenue-  .' 

La  Commission  proposait  d'étudier  cette  question,  qui 
n'entraînait  d'ailleurs  aucune  modification  aux  statuts,  el 
l'Assemblée  lui  donna  son  approbation. 

En  conséquence,  la  Commission  décida  que  tous  les 
théâtres  de  Paris  compteraient  à  l'avenir  pour  l'admission 
au  sociétariat,  mais  qu'ils  formeraient  deux  groupes.  L>' 
premier  comprendrait  les  théâtres  déjà  classés  sous  le 
régime  ancien,  et  pour  lesquels  il  n'était  rien  changé  ;  le 
second  comprendrait  les  autres  scènes  de  Paris,  pour 
lesquelles  on  exigeait,  en  outre  des  cinq  actes  représentés, 
que  le  prélèvement  de  1  0/0  sur  les  droits  du  stagiaire  eût 
rapporté  à  la  Société  la  somme  de  200  francs. 

Le  chilfre  était  fort  élevé.  La  mansuétude  dont  la  Commis- 
sion disait  avoir  fait  preuve  n'avait  rien  de  révolutionnaire. 
Aussi  la  réglementation  nouvelle  ne  lit-elle  qu'entr 'ouvrir 
aux  stagiaires  les  portes  de  l;i  Société.  E1  la  disproportion 
entre  la  pléiade  des  sociétaires  et  la  masse  des  stagiaires 
ne  cessa  de  s'accuser,  devant  le  Ilot  montant  de-  auteurs 
dramatiques. 

Dans  les  année-  qui  suivent,  le-  statistiques  montrent  que 
le  nombre  di><,  stagiaires  admis  ne  suffit  pas  à  combler  les 
vides  qui  se  produisent  dans  le-  rangs  des  sociétaires,  donl 
le   groupe  décroit  d'une  façon  continue.   Ln   1887  eu  effet, 


CHAPITRE    III 

alors  que  l'ancienne  réglementation  est  encore  en  vigueur, 
on  compte  800  stagiaires  pour  393  sociétaires.  En  1903, 
alors  tjiit'  les  stagiaires  forment  une  niasse  compacte  de 
:i.:ill  littérateurs,  il  n'y  a  plus  que  300  sociétaires,  chiffre 
qui  tend  à  se  maintenir. 

Le  libéralisme  de  la  Société  pouvait  être  à  bon  droit  taxé 
de  modérantisme. 

«..pendant,  nulle  plainte  ne  parvint  officiellement  à  la 
S  ciété.  Les  stagiaires  se  résignaient-ils  à  leur  sort?  ou 
plutôt  le  succès  douteux  de  leur  première  pétition  les 
détournait-il  de  toute  démarche  nouvelle?  Quoi  qu'il  en  soit, 
en  dehors  de  toute  intervention  de  leur  part,  les  conditions 
d'admission  au  sociétariat  furent  complètement  modifiées  en 
1904,  lors  de  la  révision  des  statuts. 

La  nouvelle  rédaction  des  statuts  porte  en  effet,  article  29  : 

\  l'avenir,  tout  auteur  ou  compositeur  qui  voudra  faire 
partie  de  la  Société,  à  titre  de  sociétaire,  devra  se  faire 
présenter  par  deux  parrains  sociétaires,  et  adresser  une 
demande  écrite  à  In  Commission,  qui  aura  pleins  pouvoirs 
pour  prononcer  sur  cette  demande  au  nom  de  la  Société. 

Le  candidat  devra  d'abord  justifier  d'un   minimum  de 

cinq  actes,   représentés  s;m*  collaborateur,  ou  pour  sa  part 

personnelle   et   proportionnelle  de  collaboration,  ou  d'une 

somme  de  droits  d'auteur  qui  sera  tixée  annuellement  par 

ommission. 

Esl  également   obligatoire    un    apporl  de  quatre  cents 
francs  en  espèces 

v.-nl  des  dispositions   analogues   à  celles  qui   avaient 
déjà  établies,  pour  la  constitution  de  <-<4  apport]. 

Ainsi,  plu-  de  théâtres  qui  comptenl  ou  qui  ne  comptent 
Le  rapporteur,  chargé  de  soumettre  à  l'Assemblée  géné- 

- -b*  texte  ituts  proposés  par  la  Commission,  décla- 


LES   CADRES    DE    LA    SOCIÉTÉ  199 

rait  ne  vouloir  pas  «  laisser  persister  des  castes  dans  une 
Société,  qui  est  la  plus  belle  expression  de  La  démocratie 
Un  double  cens  était  établi  pour  le  sociétariat,  un  cens  en 
tant  qu'argent,  un  cens  en  tant  que  production  :  l'un  des 
deux  suffit  à  autoriser  une  demande  d'admission  :  |><>ur  être 
reçu  sociétaire,  il  faudra  justifier,  soit  de  cinq  actes  joués 
sur  une  scène  quelconque  —  ce  minimum  n'est  d'ailleurs 
pas  obligatoire  pour  le  Tbéàtre-Français  et  l'Opéra,  en 
faveur  desquels  on  a  toujours  admis  des  dérogations  —  soH 
d'une  somme  de  droits  d'auteur  annuellement  fixée  par  la 
Commission. 

Ces  dispositions  sont  des  plus  simples  :  elles  auraient  été 
très  libérales  —  peut-être  trop  —  si  les  statuts  n'y  eussent 
mis  un  correctif  très  énergique. 

Les  statuts  de  1879  disaient  que  la  Commission  prononce- 
rait sur  les  demandes  d'admission  d'après  les  conditions  fixées. 

Prononcer  sur  une  demande,  d'après  des  condition-  déter- 
minées, c'est  être  dans  l'obligation  de  l'accueillir  dès 
qu'elle  remplit  ces  conditions.  Quand  un  stagiaire  se 
présentait,  avec  le  bagage  dramatique  que  la  Société  lui 
imposait,  la  Commission  était  donc  tenue  de  lui  ouvrir 
toutes  grandes  les  portes  de  l'association.  De  fait,  avant 
1904,  on  ne  r ncontre  pas  d'exemple  d'un  refus  opposé  par 
la  Commission  à  une  candidature  es  étal  d'examen. 

Ce  système  avait  évidemmenl  un  inconvénient,  celui 
qu'offre  toute  réglementation  fondée  mu-  La  matérialité  des 
œuvres,  et  non  sur  leur  valeur.  M  ne  faisait  aucune  diffé- 
rence entre  l'écrivain  de  talent,  et  le  faiseur,  entre  le  véri- 
table auteur  dramatique,  et  l'écrivain  «le  rencontre  que  le 
hasard  .1  servi. 

C'esi  ce  danger  que  !«■  rapporteur  se  flattait  d'éi  it< 
la  nouvelle  rédaction  : 


CHAPITRE    III 

La   Commission  aura   pleins  pouvoirs  pour  prononcer 
sur  cette  demande,  au  nom  de  la  Société  ». 

Pleins  pouvoirs,  cola  veul  dire  que  la  Commission  admet- 
trai!  ou  non   les  candidatures  régulières  «  en  son  aine  et 
ascience    .  Gela  permettait  d'écarter  du  sociétariat  «  ceux 
qui  De  seronl  pas  des  auteurs  dramatiques,   qui    ne    seront 
pas  des  professionnels,  ceux  qui  bâclent  des  cinq  actes...  à 
la  vapeur,  ceux  qui  ne  s'élèvent  pas  au-dessus  du  lever  de 
rideau 
Cette    solution    était   d'ailleurs   commandée,  en    quelque 
te,  par  les  conditions   beaucoup  plus   faciles  auxquelles 
les  candidatures    se   trouvaient   désormais   soumises.  Cinq 
actes  représentés,  ou  une  somme  de  droits  d'auteur  perçus 
dans  n'importe  quel  théâtre,  ce  n'était  évidemment  pas  une 
preuve  suffisante  d'un  réel  talent  dramatique. 
Mais  était-ce  une  solution  bien  sage,  que  d'encourager, 
ime  le   faisaient  les  nouvelles  dispositions,  un  nombre 
considérable  de  candidatures,    pour   les    soumettre  ensuite 
B     une    condition,    bénigne    à    première    vue,    mais    qui 
sous  -un  apparente   bonhomie  »  pouvait  être  fort  rigou- 
reuse  :   le  choix  <àt  le  hou  plaisir  de  la  Commission  ?  D'abord, 
quelle  que  <lùl  être  l'impartialité  des  membres  de  la  Gom- 
mission,  il  es!  toujours  fâcheux   de  faire  des   auteurs  juges 
de   la   valeur  d'autres   auteurs.    En   dehors  des  choix  que 
des  préférences  personnelles  peuvent  inspirer,   pins  qu'un 
souci  d'équité,   les   préoccupations  d'art  les  plus  légitimes 
peuvent,  en  pareille  occurrence,  faire  écarter  des  demandes 
M    pourra   se  faire  que  des  auteurs,  d'un  talent 
consacré,    refusent    I  du     ociétarial    à    un   de   leurs 

qui  comptera  des   succès  dans   un  genre  qu'ils 
",  inférieur,  mais  qui,  par  les  sommes  élevées  qu'il 
plus   qu'un  antre,   droit  de    cité   dan- 


LES    CADRES    DE    LA    SOCIÉTÉ  201 

une  société  constituée  pour  la  défense  des  intérêts  matériels 
des  auteurs.  Il  y  a,  semble-t-il,  un  danger  égal,  à  ne 
retenir  que  les  indications  grossières  que  peut  donner  le 
succès  d'une  œuvre,  sans  tenir  compte  du  talent  qu'elle 
révèle,  ou  à  poser  en  règle  que  seul  le  mérite  Littéraire 
donne  entrée  à  la  Société.  Quelle  est  la  Commission, 
savamment  mélangée  d'auteurs  seulement  habiles,  et  d'écri- 
vains remarquables,  qui  pourra  se  llatter  d'éviter  à  la  fois 
ces  deux  écueils  ? 

Il  semble  donc  que  les  plus  mauvaises  classifications  vail- 
lent mieux  que  ce  dangereux  bon  plaisir.  En  cela  l'ancienne 
réglementation,  fondée  sur  une  distinction  un  peu  arbitraire 
entre  les  théâtres  qui  comptent  tout  à  fait,  les  théâtres  qui 
ne  comptent  qu'à  moitié,  et  les  théâtres  qui  ne  comptent 
pas  du  tout,  était  encore  préférable  à  la  nouvelle,  et  donna  il. 
à  défaut  d'une  garantie  de  rigoureuse  équité,  impossible  à 
obtenir,  une  sécurité  plus  grande  aux  stagiaires. 

Les  pleins  pouvoirs  donnés  à  la  Commission  pour  se  pro- 
noncer sur  des  candidatures  forcément  plu-  nombreuses, 
n'étaient  pas  d'ailleurs  pour  accuser  dans  la  Société  des  ten- 
dances plus  libérales  à  l'égard  des  stagiaires  :  le  rappor- 
teur avouait  que  la  rédaction  soumise  à  L'Assemblée  géné- 
rale était  surtout  due  à  la  préoccupation  de  restreindre  les 
admissions  au  sociétariat,  <-i  d'arrêter  l'invasion  toujours  plus 
menaçante  (?)  des  stagiaires.  Le-  statistiques  témoignent 
d'ailleurs  de  l'esprit  dans  Lequel  la  réforme  <!•■  1904  a  été 
conçue  : 

En  1904,  on  comptait  302  sociétaires  pour  3,668  stagiaires  : 
en  1907,  .'loi  sociétaires  pour  1,058  stagiaires.  C'est,  plus 
encore  qu'auparavant,  la  progression  constante  du  u<»iiil>r«' 
(les  stagiaires,  et  le  steitu  quo  pour  les  sociétaires 


CHAPITRE   III 


Telle  est   l'éloquence  des  chiffres,  que,  par  leur  nombre 
seul,  les  stagiaires  auraient  droit  à  toute  notre  sympathie. 
Mais  ce  n'es!  pas  seulement  notre  sympathie  qu'ils  doivent 
iter,  au  dire  de  certains,  c'est  surtout  notre  pitié. 
i  » 1 1  a  souvent  —  surtout  dans  ces  derniers  temps  —  repré- 
senté   les   stagiaires   comme  de    véritables  parias   dans   la 
iété   des    Auteurs  :    si  l'on  en  croit  leurs    plus   chauds 
défenseurs,    ils    n'y  auraient   aucun    droit  ;  leurs    intérêts 
seraient  délibérément  sacrifiés  à   ceux  des  sociétaires,  qui 
profiteraient  indûment  des  fruits  de  leur  travail  ;  la  Société 
des  Auteurs,  qui,  par  la  voix  d'un  de  ses  rapporteurs,  se  flat- 
ta.il  d'être  l'image   fidèle  de  la  démocatie,  ne  serait  donc 
qu'une  oligarchie  étroite,  imbue  des  préjugés  de  caste,  où 
la    masse    des    travailleurs    se  dévouerait   au   bonheur   de 
quelques  privilégiés. 

Il  est  uécessaire  de  rétablir  la  vérité,  et  pour  cela  d'exa- 
miner quelles  sonl  les  conditions  mises  à  l'admission  des 
auteurs  au  titre  de  stagiaires,  quelle  est  la  situation  qui 
leur  es!  faite. 

I  es  statuts  de  1879  réglaienl  ainsi  la  procédure  d'admis- 
sion, dans  leur  article  2<S  : 

l"'il  auteur  ou  compositeur  nouveau,  qui  ne  sera  pas 
encore  dans  les  conditions  du  sociétariat,  pourra  être  admis 
ûre  partie  de  la  Société  comme  stagiaire. 

Il  devra  présenter  sa  demande  par  écrit  à  la  Commis- 
n.  qui  prononcera  sur  cette  demande  ». 

emblail  dire  que  la  Société  était  dans  l'obligation 
leillir  dans  son  sein  tout  candidal  ayant  fait  œuvre 
mpositeur  ou  d'auteur,  c'est-à-dire  ayant  un  ouvrage 


LES    CADRES    DE   LA    SOCIÉTÉ  203 

reçu   dans  un  théâtre,  sans  pouvoir,  en  aucun  cas,  discuter 
ses  titres,  et  lui  opposer  un  refus. 

Cette  disposition  parut-elle  à  La  Commission  offrir  des 
dangers,  que  l'on  a  peine  à  entrevoir?  Quoi  qu'il  en  -««il. 
en  1904,  la  rédaction  ancienne  taisait  place  à  une  autre 
insérée  dans  les  nouveaux  statuts  : 

«  Il  devra  présenter  sa  demande  par  écrit  à  la  Commis- 
sion, qui  aura  pleins  pouvoirs  pour  prononcer  sur  cette 
demande  ». 

Pleins  pouvoirs,  cela  veut  dire  que  la  Commission  pourra, 
au  besoin,  refuser  à  certains  auteurs  L'accès  de  La  Société. 
Le  cas  ne  s'est  jamais  présenté,  et  cette  faculté'  est  une 
arme  bien  inutile  mise  aux  mains  de  la  Commission. 

Les  portes  de  la  Société  sont  donc  grandes  ouvertes,  j'en- 
tends les  portes  qui  donnent  accès  dans  L'antichambre,  où 
séjournent  fort  Longtemps  Les  nouveau-venus.  Rien  de  plus 
Libéral,  à  cet  égard,  que  les  statuts  de  La  Société  dramatique, 
sinon  peut-être  ceux  de  la  Société  des  Compositeurs  ei  Edi- 
teurs de  musique,  qui  sont  d'ailleurs  copiés  sur  les  premiers. 
Point  de  droit  d'entrée,  point  de  cotisation  annuelle,  point 
de  justifications  à  fournir  sur  son  mérite,  ou  sur  son  œuvre 
littéraire.  Dès  qu'un  auteur  a  fait  représenter,  sur  une  seène 
quelconque,  une  œuvre,  si  méchante  soit-elle,  il  ;»  droii  à  1;» 
protection  du  Syndical.  Laquelle  lui  es!  largement  accordi 
à  première  réquisition,  <■!  sur  le  vu  d'une  simple  demande 
d'admission  ainsi  conçue  (1)  : 

«  A  Monsieur  le  Président, 
A  Messieurs  les  Membres  «I»'  I;»  Commission  des  Auteurs 
et  <  Sompositeurs  dramatiques, 


(1)  Séance  de  la  Commission  da  i\  décembre  '     0     I 
année  1881. 


204  CHAPITRE  III 

«  Messieurs, 

Auteur  tl *u  11  en  ...  acte,  Intitulé qui  a  été  repré- 

senté   le...  sur   le  théâtre   de ,  j'ai   l'honneur  de  vous 

demander  mon  admission   dans  la  Société  des  Auteurs  et 
Compositeurs  dramatiques,  à  (ilre  de  Membre  stagiaire. 

«  L'Agent  général  de  la  Société,  auquel  j'ai  remis  mes 
pouvoirs,  m'a  donné  connaissance  de  l'acte  social,  et  je 
prends,  dès  à  présent,  rengagement  d'en  exécuter  fidèle- 
ment les  prescriptions...   » 

On  a  souvent  opposé,  comme  un  modèle  de  libéralisme, 
les  statuts  de  la  Société  des  Gens  de  Lettres  —  qui  a,  dit-on, 
l'avantage  d'être  reconnue  d'utilité  publique,  —  à  ceux  de  la 
Société  des  Auteurs  dramatiques. 

Cependant  l'entrée  dans  la  Société  des  Gens  de  Lettres  est 
beaucoup  plus  difficile;  elle  est  subordonnée  à  des  formalités 
plus  gênantes,  que  le  premier  venu  ne  remplit  pas. 

«  Tout  homme  de  lettres,  est-il  dit  dans  le  règlement  inté- 
rieur de  celte  Société',  qui  désire  faire  partie  de  la  Société 
des  Gens  de  Lettres,  doit  fournir  : 

1    Son  acte  de  naissance; 

_    La  nomenclature  de  ses  œuvres  ; 

l  n  exemplaire  d'oeuvres  imprimées,  représentant  au 
moins  la  matière  de  quatre  volumes,  dont  il  est  l'auteur,  ou 
qu  il  a  écrites  en  collaboration  avec  un  sociétaire;  sur  ces 
volumes,  deux  au  moins  doivent  avoir  été  publiés  en 
librairie  : 

I  Son  adhésion  aux  statuts  et  au  règlement. 

II  dépose,  en  outre,  entre  les  mains  du  Délégué,  une 
tomme  de  quatre-^ ingts  francs...  ». 

n  est  pas   toul  encore.   Les  noms  du  candidat  et  de 
parrains  sont  inscrits  dans  la  Chronique^  l'organe  de  la 

tcjétaires  sont  invités  à  donner  sur  le 


LES    CADRES    DE   LA.    SOCIÉTÉ  205 

candidat  les  renseignements  qu'ils  possèdent.  Une  enquête 
a  lien,  qui  dure  un  mois,  puis  un  rapport.  Et  le  Comité 
décide,  an  scrutin  secret,  s'il  admettra,  s'il  refusera,  ou  s'il 
ajournera  simplement  la  candidature. 

La  différence  est  la  même,  si  l'on  examine  la  situation 
des  stagiaires  dans  les  deux  associations. 

L'adhésion  au  pacte  social,  exigée  préalablement  à  toute 
admission  dans  la  Société  des  Auteurs  dramatiques,  soumet 
les  stagiaires  aux  mêmes  obligations  que  les  sociétaires. 

Par  contre  ils  sont  assurés  d'une  protection  égale.  Louis 
droits  se  calculent  au  même  taux,  et  bénéticient  des  mêmes 
garanties  que  ceux  des  sociétaires.  On  ne  peut  nier  le 
libéralisme  de  ces  dispositions,  qui  réservent  un  traite- 
ment égal  à  tel  membre  illustre  de  la  Société,  à  t<d  auteur 
en  vogue,  et  au  jeune  écrivain,  sans  passé,  el  peut-être 
sans  avenir,  qui  vient  s'inscrire  à  la  Société.  Comme 
pour  les  sociétaires,  leurs  droits  sont  perçus,  en  France  ou 
à  l'étranger,  par  l'entremise  des  agents  généraux  <>u  des 
correspondants  de  la  Société,  moyennant  le  même  prélè- 
vement, très  modique  d'ailleurs. 


Mais  Là  ne  se  bornent  pas  les  droits  <l<i-  stagiaires.  Il> 
sont  appelés  au  partage  des  bénéfices  réalisés  par  la  Soci< 
On  l'a  nié,  notamment  au  cours  du  procès  intenté  a  la 
Société,  en  1904,  par  MM.  Roy  et  Riche mond.  Les  adver 
saires,  pour  les  intérêts  d<»  leur  cause,  ont  essayé  de  sou- 
tenir qui'  les  stagiaires  u'avaient  pas  droit  au  partage  des 
bénéfices.  Il  suffisait,  disaient-ils,  de  se  reporter  à  l'article 
20  des  statuts  : 

«   Le  stagiaire,  \   est-il  dit,   jouira   des  avantages   de   la 


CHAPITRE    III 

perception,  de  la  protection  de  la  Société,  et  il  sera  soumis 
aux  mêmes  obligations  que  les  sociétaires  ». 

11  n'est  pas  question  dans  cet  article  du  partage  des  béné- 
fices :  doue  les  stagiaires  en  sont  exclus. 

Mais  l'article  2(>  des  statuts  n'énumère  pas  limitativement 
les  droits  des  stagiaires  ;  il  donne  plutôt  une  indication  géné- 
ral»4. Kl  l'on  pourrait  soutenir,  sans  forcer  les  mots,  que  le 
parlai:»'  des  bénéfices  est  compris  dans  les  termes  vagues  de 

perception  »  ou  de  «  protection  ». 

Il  y  a  plus.  L'article  8  des  statuts  porte  en  effet  que  les 
bénéfices  seront  répartis  au  marc  le  franc,  et  au  prorata 
des  versements  faits  par  les  copartageants,  en  raison  du  1  0/0 
prélevé  sur  les  droits  «Fauteur  aux  termes  de  l'article  10. 

Et  l'article  10,  qui  éclaire  l'article  8,  dit  que  le  prélève- 
ment de  1  0/0  sera  effectué  sur  les  droits  d'auteur,  sans 
aucune  distinction. 

Ainsi  les  stagiaires  subissent  la  retenue  de  1  0/0,  au  môme 
titre  que  les  sociétaires,  les  héritiers,  et  les  cessionnaires 
adhérents  —  personne  d'ailleurs  ne  le  conteste.  Donc  ils 
-'•ut    appelés   éventuellement,    et   dans   la  proportion    des 

urnes  prélevées  sur  leurs  droits  parla  Société,  au  partage 
des  bénéfices.  Sans  doute,  il  ne  leur  appartient  pas  de 
décider  le  partage,  puisqu'ils  n'ont  pas  voix  délibérative 
dans  la  Société.  Mais  cela  ne  porte  aucune  atteint"  à  leur 
droil  d  \  participer,  le  cas  échéant. 

I  e    stagiaires  ont  égalemenl  pari  à  la  liquidation  <'u  tonds 

ial,   en    cas   de    liquidation    définitive,  mais  seulement 
depuis  1904.  Les  statuts  de   1879  n'admettaient  pas  les  sta 
au    partage  de    l'actif.    Il  avait   paru    équitable   de 
l      oi  iétaires  le   fonds  social,  qui  est  cons- 
titua ulemenl  par  le  prélèvement  de  1  0/0  sur  les 
tuteur,   mai    au  si  par  un  apport  de    fcOO    francs, 


LES    CADRES    DE   LA    SOCIÉTÉ  20? 

que  font  les  sociétaires,  et  que  ne  font  pas  les  stagiaires. 
Les  statuts  de  1879  portaient,  article  28  : 

«  Les  sociétaires  ont  seuls  le  droit  de  vote,  et  pari  à  La 
liquidation  du  fonds  social  ». 

Cette  réserve  a  disparu  des  statuts  votés  en  1 90 i.  Tous 
sont  désormais  considérés  comme  associés,  et,  à  ce  titre, 
ont  droit  au  partage  des  bénéfices  et  du  fonds  social.  Aussi, 
quand,  en  1904,  les  auteurs  dissidents  attaquèrent  dans  les 
conclusions  qu'ils  déposaient  devant  le  tribunal,  la  validité 
de  la  Société,  comme  ne  donnant  pas  aux  différentes  caté- 
gories d'associés,  des  droits  égaux  sur  l'actif  social,  La 
Commission  protesta  par  la  résolution  suivante  qui  fut  prise 
à  l'unanimité  : 

«  La  Commission,  en  présence  des  conclusions  prises  par 
MM.  Chancel  et  Forest,  proteste  à  l'unanimité  cou  Ire  L'inter- 
prétation donnée  aux  statuts  par  ces  messieurs.  11  résulte  en 
effet  des  statuts  votés  en  1879  et  en  L904,  que  les  stagiaires, 
étant  déclarés  associés,  ont  droit,  comme  tels,  au  partage  des 
bénéfices  et  du  fonds  social,  dans  la  proportion  de  leurs 
versements  ». 

Le  doute  n'est  donc  plus  permis.  11  ne  faudrait  pas 
d'ailleurs  voir  dans  ces  concessions  faites  aux  stagiaires, 
sans  nulle  intervention  de  Leur  part,  une  amélioration  spon- 
tanée de  leur  situation.  Les  décisions  prises  à  ce!  égard  par 
la  Société  <»u(  été  inspirées  visiblemenl  parle  désir  d'affir- 
mer le  caractère  civil  de  la  Société,  qui  était  un  peu  estompé, 
et  qu'il  a  para  opportun  de  remettre  en  lumière,  surtout 
lorsqu'en  1904  ses  adversaires  ont  soumis  les  moindres 
clauses  «lu  pacte  social  ;i  une  analyse  juridique  minutieuse. 
Le  partage  des  bénéfices  et  du  fonds  social,  ce  sonl  Là 
d'ailleurs  des  concessions  de  pure  forme  :  depuis  1829,  date 
de  la  fondation  de  La  Société  par  Scribe,  I  bypothèse  qu'elles 


g     B  CHAPITRE    III 

prévoient  - 'es1   réalisée  une  seule  fois,   en  1879,  lors  de  la 
Liquidation  de  la  première  association. 

Une  disposition  —  plus  libérale  —  admet  les  stagiaires  à 
la  distribution  du  fonds  de  secours.  Nulle  différence  n'est 
faite  a  cet  égard  entre  les  stagiaires  et  les  sociétaires.  Et 
même,  comme  les  stagiaires  sont  le  nombre,  et  que  la 
misère  atteint  plus  souvent  les  jeunes  auteurs,  qui  attendent 
pendant  des  années  de  voir  s'ouvrir  à  leurs  essais  les  portes 
d'un  théâtre,  que  les  écrivains  arrivés,  assurés  presque  tou- 
jours  de  ne  pas  manquer  de  débouchés,  il  n'y  a  rien  de 
surprenant  à  ce  que  les  secours  distribués  aux  stagiaires 
absorbent  la  plus  large  part  du  fonds  de  distribution.  En  1905, 
;ni  cours  du  procès  de  la  Société  des  Auteurs,  Me  Poincaré 
pouvait  «lire,  sans  craindre  d'être  démenti,  que  les  stagiaires 
coûtaient  plus  à  la  Société,  par  les  secours  qu'ils  lui  deman- 
daient,  qu'ils  ne  lui  rapportaient,  par  le  prélèvement 
de  1  0  0  -ni'  leurs  droits.  Sur  les  600,000  de  droits  touchés 
en  1903-1904  par  les  stagiaires,  la  Société  prélevait  une 
somme  de  0,000  francs.  Or,  chaque  année,  des  secours  leur 
sont  distribués  pour  une  somme  supérieure. 

L'avocat  de  La  Société  profitait  de  cette  constatation  pour 

faire   hoi ur  ;<    L'association   de   son  caractère   vraiment 

démocratique.  Assurément  cela  prouve  l'impartialité  de  La 
été,  en  matière  d'assistance.  Il  ne  faut  pas  toutefois 
•  i  -nu  mérite.  Du  moment  que  les  statuts  prévoient 
un  fonds  de  secours,  il  »'ùt  été  à  tout  le  moins  étrange, 
sinon  impossible,  d'exclure  de  La  répartition  les  jeunes 
auteurs,  dont  Les  appels  sont  forcément  plus  fréquents  et 
plu  inl 

<im   différencie  aujourd'hui   Les  stagiaires  des  socié- 
taire eulemeni  qu'ils  n'ont  pas  droit  à  pension,  et 


LES   CADRES    DE   LA   SOCIÉTÉ  209 

qu'ils  n'ont  aucune  part  à  l'administration  «l<i  la  Société;  ils 
n'assistent  pas  aux  Assemblées  générales,  et  ne  peuvent  être 
nommés  membres  de  la  Commission. 

La  situation  faite  aux  stagiaires  dans  la  Société  des  <<«'iis 
de  Lettres  est  certainement  beaucoup  moins  favorable.  I 
adbérents,  aux  termes  de  l'article  8  du  règlemenl  de  cette 
Société,  ne  sont  aptes,  ni  à  voter,  ni  à  assister  aui  Assem- 
blées générales,  ni  à  prendre  une  pari  quelconque  à  l'admi- 
nistration de  la  Société;  ils  ne  peuvent  participer  ni  au 
crédit  littéraire,  ni  aux  secours,  ni  à  la  caisse  des  retraites 

Cependant  ils  ne  se  sont  jamais  plaints  de  leur  sort. 

Pourquoi  cette  anomalie?  Pourquoi  les  stagiaires  de  la 
cité  Rougemont  se  désintéressent-ils  de  l'administration  de 
leurs  intérêts,  alors  que  leurs  camarades  de  la  rue  Hippo- 
lyte-Lebas  protestent  si  violemment  contre  leur  exclusion  des 
Comités  et  des  Assemblées  délibérantes?  Gela  lient  au  rôle  très 
différent  que  se  sont  donné  ces  deux  corporations  littéraires. 

Dans  la  Société  des  Gens  de  Lettres,  ce  que  les  écri- 
vains niellent  en  commun,  c'est  le  droit  d'autoriser  la 
reproduction  de  leurs  ouvrages,  à  un  taux  qui  esl  le  môme 
pour  tous.  Encore  les  journaux  et  les  périodiques  <|ui  ><>nt 
abonnés  à  l'association  u'ont-ils  pas  abdiqué  par  là  même 
le  droit  de  reproduire  les  œuvres  des  littérateurs  non  affiliés 
au  syndicat.  Mais  la  Société  n'a  jamais  pensé  à  se  substi- 
tuer à  ses  membres,  lorsqu'ils  discutent  avec  lr^  éditeurs, 
les  directeurs  de  journaux  ou  de  revues,  le  prix  de  l>" 
ligne,  ou  le  pourcentage  sur  les  exemplaires  mis  en  vente, 

Elle  n'a  jamais  émis  la  prétention  de  - lettre  à    un  tarif 

commun  l'ensemble  de  la  production  littéraire,  de  dire 
que  le  romancier  à  la  mode  toucherait  autan!  que  le  plus 
obscur    des  noircisseurs   de    papier.    El   cette    proposition 

paraîtrait  absurde,  à  l'énoncer  seulement. 

i. 


CHAPITRE    111 

s1   pourtant  ce   que    fait   la  Société  des  Auteurs  dra- 
matiques, pour  la  représentation  des  pièces  de  théâtre.  Gela 
semble  toul  naturel,  et  ce  fut  le  but  poursuivi  par  la  Société, 
-  premières  ébauches  d'organisation. 

Lorsque,  sous  la  Révolution,  les  auteurs  dramatiques, 
affranchis  du  bon  plaisir  des  directeurs  de  théâtre,  songèrent 
,i  s'assurer  un  profit  honorable,  leur  première  pensée  ne 
fut-elle  pas  d'imposer  à  toutes  les  scènes  de  Paris,  pour  tous 
les  auteurs,  un  prélèvement  identique  sur  la  recette  ?  Cepen- 
dant il  peut  paraître  étrange  qu'un  directeur  soit  forcé 
d'abandonner  la  même  part  de  ses  bénéfices,  qu'il  s'adresse 
à  un  auteur  coutumier  du  succès,  ou  à  un  inconnu  qui  tente 
un  coup  d'essai  :  car  tous  les  coups  d'essai  ne  sont  pas  des 
coups  de  mai  de.  Une  bonne  logique  commerciale  ne  veut- 
elle  ne  les  profits  se  mesurent  aux  risques?  Les  comé- 

diens,  a  l'origine,  en  usaient  autrement,  lorsqu'ils  offraient 
deux  cents  louis  à  l'écrivain  en  renom,  et  la  gloire  d'être 
joué  par  eux,  au  débutant. 

Certes,  les  ailleurs  ont  été  conduits  à  cet  illogisme,  au 
moins  apparent,  par  la  nécessité  d'assurer  leur  sort,  et  par 
l'impossibilité  constatée  <l«i  se  défendre  contre  l'arbitraire 
aucune  règle  fixe  et  certaine.  D'aucuns  —  qui  disent 
soutenir  les  intérêts  des  jeunes  auteurs  —  voudraient  que 
I  «ni  revint  à  la  libre  concurrence,  au  jeu  normal  de  l'offre 
••I  de  1^  demande,  qu'on  renversai  ainsi  l'équilibre  savant 
obtenu  par  les  patients  efforts  de  la  Société  des  Auteurs? 

Non-  verrons  plu-  tard  si  ce  retour  en  arrière  est  dési- 
rable, pour  ceux  là  mêmes  qui  l'appellent  de  leurs  vœux, 
si  le  leçons  «lu  pai  <'•  ne  suffisenl  pas  à  détruire  ce  rêve  «lu 
directeur  juste  el  généreux,  semblable  au  bon  despote,  qui 

"'••rail  ..  chacun  ce  qui  lui  est  <lù  équitablement. 

Poui  le  moment,  il  non  3  suffi!  de  constater  que  cette  règle 


LES    CADRES    DE    LA    SOCIETE  21  i 

qui  oblige  les  directeurs  de  théâtre  à  abandonner  aux  au- 
teurs, quels  qu'ils  soient,  la  munie  part  de  la  recette,  règle 
qui  est  le  fondement  même  de  l'association,  peut  paraître 
apriori préjudiciable,  dans  une  certaine  mesure, aux  intéi 
des  jeunes.  Quelle  sera  en  effet  l'attitude  du  directeur,  tenu 
de  payer  le  même  prix  au  débutant, età  l'écrivain  vieilli  dans 
la  carrière?  Il  fera  ce  que  ferait  à  sa  place  tout  commerçant, 
tout  industriel  raisonnable  :  entre  les  diverses  <in\  res  qui  lui 
seront  offertes,  il  choisira,  je  ne  dis  pas  la  meilleure  —  car 
nous  aurions  une  littérature  dramatique  incomparable  — 
mais  celle  qui  lui  paraîtra  présenteriez  plus  grandes  char 
de  succès.  A  quel  signe  se  fiera-t-il?  Lira-t-il  les  pièces?  Il  le 
devrait  sans  doute  ;  mais  l'expérience  prouve  que  bien  peu 
de  directeurs  ont  le  courage  de  se  condamner  à  la  lecture 
indigeste  des  centaines  de  manuscrits  qui  viennent,  au  jour 
le  jour,  et  par  ordre  d'arrivée,  prendre  place  dans  les  archives 
de  son  théâtre. 

Quand  bien  même  il  aurait  la  conscience  et  le  temps 
de  lire  tout  ce  qu'il  reçoit,  il  risquerait  encore  de  com- 
mettre les  erreurs  les  plus  graves.  Il  est  rare  que  la 
direction  d'une  scène  soit  confiée  à  un  homme  de  lettr 
ou  tout  au  moins  à  un  amateur  d'un  jug  imenl  exercé,  et 
d'un  goût  sur.  L<-  plus  souvent,  la  confiance  des  commandi- 
taires iraà  un  homme  d'affaires  heureux,  <»u —  ce  qui  est 
assez  dans  nos  mœurs  —  à  un  artiste,  qui,  pour  connaître 
fort  bien  son  métier,  est  sujei  toul  autant,  et  parfois  plus 
qu'un  autre,  aux  préjugés,  à  la  routine,  «»u  aui  innovations 
malencontreuses. 

Le    directeur    lul-il    (railleurs    un    connaisseur   éclairé, 
quoi    de   plus  difficile  et  de    plus   trompeur  <|u«'  de  ch< 
cher  à  prévoir,  entre   diverses  œuvres,  celle  qui  rencon 
trera  la  faveur  du  public,  celle  qui  connaîtra  les  centièm 


CHAPITRE    III 

représentations?  On  peut,  sans  risquer  de  commettre  des 
erreurs  trop  grossières,  prédire  la  vogue  d'un  ouvrage 
ilt»  science  ou  de  critique,  voire  même  d'un  roman  ou 
d'un  volume  de  vers.  Mais  rechercher  et  doser  les  élé- 
ments de  succès  d'une  pièce,  c'est  presque  aussi  com- 
pliqua que  de  trouver  la  quadrature  du  cercle.  Le  succès, 
au  théâtre,  esi  autant  une  affaire  de  hasard  que  d'habileté. 
Combien  d'œuvres  qui,  acceptées  d'enthousiasme,  connurent 
le  four  noir,  ou  le  froid  succès  d'estime?  Combien,  reçues 
avec  défiance,  excitèrent  l'engouement  du  public?  Le  spec- 
tateur se  charge  de  mettre  en  défaut  les  critiques  les  plus 
habiles.  L'auteur  lui-même  doit  s'abstenir  de  toute  prévi- 
sion. Souvent  les  passages  les  plus  travaillés,  les  effets  les 
plus  escomptés,  passeront  inaperçus,  alors  que  d'un  mot 
<jui  n'était  pas  cherché,  d'une  scène  qui  n'était  pas  amenée, 
jaillira  le  rire  ou  l'émotion. 

Cruel  embarras  pour  le  directeur,  qui,  s'il  était  irrésolu 
par  aature,  pourrait,  comme  le  héros  de  Buridan,  mourir 
de  faim,  dans  l'abondance  des  manuscrits. 

Heureusement  pour  lui,  il  a  un  critérium  qui  le  dispense 
de  réfléchir  :  c'esi  le  nom  de  l'auteur. 

Il  se  dira  qu'il  \  a  de  grandes  chances  pour  que  l'écrivain 
••H  vogue  n'apporte  pas  une  mauvaise  pièce,  ei  qu'en  toul 
lut  elle  mauvaise,  sod  nom,  à  lui  seul,  sera  une  réclame 
suffisante  pour  qu'elle  obtienne  un  nombre  honorable  <l<i 
représentations.  Enthousiaste,  ou  simplement  curieux,  avide 
•I  applaudir,  ou  <!<•  discuter,  ou  de  critiquer,  le  public  vien- 
dra. El  la  grande  affaire  esi  qu'il  vienne.  Après,  qu'il  dise 
du  mal  «I.-  l'auteur, 

*  ■  •   '  un  droit  qu'à  la  porte  on  achète  en  entrant  ». 
L'insuccès   d  t-il   les    prévisions  que   l'on    pouvait 


LES   CADRES    DE   LA   SOCIÉTÉ  213 

raisonnablement  faire?  le  directeur  aura  l'excuse  du  public, 
et  le  pardon  de  ses  actionnaires.  Il  aura  l'air  d'un  honnête 
homme,  victime  d'un  mauvais  procédé,  d'un  commerçant 
trompé  sur  la  marchandise.  Et  tout  le  monde  sera  avec  lui. 

Mais  quelle  ne  sera  pas  la  responsabilité  du  directeur 
envers  l'opinion,  envers  ses  commanditaires,  s'il  s'avise  de 
jouer  un  jeune,  un  inconnu?  Il  faudra  lutter  pour  se  faire 
écouter,  forcer  une  attention  distraite  pour  provoquer  les 
applaudissements,  désarmer  une  critique  méfiante,  si  elle 
n'est  pas  hostile  a  priori.  Le  talent,  ou  simplement  la  chance 
fait-elle  défaut?  Ce  ne  sera  plus  le  succès  d'estime,  ce  sera 
l'échec  lamentable,  et  sans  appel,  au  milieu  d'une  foule 
indifférente.  Et  le  directeur  sera  sans  excuse. 

C'est  une  grosse  partie  à  jouer  :  on  conçoit  qu'il  hésite. 

Et,  pour  vaincre  sa  répugnanca  très  naturelle,  l'auteur  ne 
sera  en  mesure  de  le  tenter  par  aucune  concession  :  la 
Société  ne  lui  permet,  ni  de  renoncer  par  avance  à  ses  droits, 
en  cas  d'échec,  ni  de  garantir,  à  ses  risques  et  périls,  un 
nombre  de  représentations  limitant  le  déficit  éventuel,  ni 
même  d'accepter,  pour  se  faire  bienvenir,  nue  réduction 
de  ses  droits.  Comment,  à  prix  égal,  l'auteur  en  renom  ne 
l'emporterait-il  pas  sur  le  premier  venu? 

Le  malaise,  dont  se  plaignent  les  jeunes,  s'aggrave  des 
embarras  financiers  dans  lesquels  se  débattent  aujourd'hui 
la  plupart  de  nos  scènes.  Les  exigences  du  public,  les  pré- 
tentions des  artistes,  les  nécessités  de  la  concurrence  ont 
élevé  considérablement  dans  la  plupart  «le-  théâtres  la 
moyenne  des  frais  généraux.  Un  directeur  n'espère  plus 
guère  s'enrichir  :  tout  ce  qu'il  demande,  la  plupart  du  temps, 
c'est  de  ne  pas  être  au-dessous  de  ses  affaires,  ou  de  ne  | 
l'être  trop.  Dans  des  conditions  aussi  précain  est  moins 
le  désir  de  gagner  qui  l'anime,  que  la  peur  de  perdre.  La 


•J[  |  CHAPITRE    III 

crainte  d'un  échec  l'arrêtera,  bien  plus  que  ne  l'incitera 
l'es»  ir  d'un  gros  succès.  S'assurer  un  minimum  de  repré- 
sentations couvranl  les  frais  généraux,  permettanl  de  payer 
les  artistes,  les  décors,  et  la  figuration,  voilà  souvent  toute 
l'ambition  de  ce  personnage  très  peu  ambitieux.  Et  cela  sert 
encore  admirablement  les  intérêts  des  auteurs  arrivés,  qui 
peuvenl  à  peu  près  sûrement  répondre  de  ce  minimum. 
L'œuvre  signée  d'un  nom  connu,  même  si  l'on  n'a  qu'une 
confiance  médiocre  dans  sa  valeur,  tentera  le  directeur,  car 
elle  couvrira  sans  doute  ses  frais.  Aussi  la  préférera-t-il  à 
l'œuvre  plus  solide  peut-être,  mais  signée  d'un  nom  sans 
éclat,  qui  risque  d'avoir  une  carrière  plus  brillante,  mais 
donl  l'échec  bouleverserait  irrémédiablement  un  équilibre 
financier  toujours  instable. 

calcul  étroit,  dira-t-on,  ou  plutôt  ce  goût  pour  Yaurea 
mediocritas,  qui  est  bien  le  vice  de  beaucoup  de  nos 
ndes  scènes,  a'esl  pas  le  fait  de  tous  les  entrepreneurs  de 
spectacles.  \  •  voit-on  pas,  à  chaque  instant,  des  directeurs 
qui  arrivent  avec  la  ferme  volonté  de  l'aire  quelque  chose, 
•  I"  réaliser  leurs  rêves  d'artistes?  N'adressent-ils  pas  à  la 
jeune  littérature  des  appels  pressants,  indifférents  au  passé 
des  auteurs,  pourvu  qu'ils  apportent  une  œuvre  intéressante, 
plus  attirés  même  par  un  nom  inconnu,  que  par  un  nom 
célèbre,  '•!  qui  leur  semble  déjà  démonétisé? 

doute  —  H  cela   est    (ces   heureux  —  de  L'ombre 
troubl  igitent  tous  les  artistes  eu  quête  d'une  comman- 

dite, il  surgi!  fréquemment  des  novateurs.  Mais  ces  uova- 
teui  I  aussi  des  désespérés.  Il  leur  faut  frapper  un  grand 

ne  de  disparaître.    Us    jouenl    leur   chance, 
as    tenir  compte  d<->  difficultés  avec   lesquelles 
b"11  i  un.  ni     .,ni  .111  x  prises.  Si  la  fortune  leur  <i-i  con- 

ih  feronl  faillite,  il    sombreront...  pour  un  temps. 


LES    CADRES    DE    LA    SOCIÉTÉ  215 

S'ils  réussissent,  que  le  public  vienne,  e1  que  la  caisse 
s'emplisse,  ils  se  rangeront.  Leur  -cru,.,  désormais  class 
subira  la  loi  générale,  et  sera  soumise  aux  mêmes  conditions 
d'existence  que  les  autres.  Devenus  conservateurs,  ils  raison- 
neront en  bommes  d'affaires  ;  et,  fatigués  de  découvrir  les 
talents,  ils  laisseront  à  d'autres  le  soin  de  ces  révélations 
périlleuses. 

Il  n'est  pas  de  règle  qui  n'ait  ses  exceptions.   L'exemple 
de  M.  Antoine  est  là  pour  le  prouver.   Lorsque  le  Thé   ' 
Libre   se  fonda,  son  programme   ne  fut-il   pas   de  convier 
Paris  à  entendre,  pendant  une  soirée,    puis   pendant   trois, 
des  œuvres  qui  se  renouvelaient  sans  .   de  révéler  au 

public  des  écrivains,  qui  apportaienl  au  théâtre  autre  chose 
que  la  centième  édition  d'une  situation  trop  exploitée,  qu'une 
certaine  habileté  à  copier  leurs  devanciers?  Pourtant  cette 
initiative  généreuse  obtint  le  plus  vif  succès.  M.  Antoine  e  l 
toujours  resté  fidèle  aux  traditions  qu'il  avail  inaugurées  : 
le  théâtre  modem»-  lui  doil  plus  d'un  aom,  plus  d'une  œuvre 
vigoureuse  dont  il  s'est  enrichi.  Non  seulement  la  faillite 
n'a  pas  ruiné  son  entreprise,  mais  il  s  réussi  à  recruter,  au 
boulevard  de  Strasbourg,  une  clientèle  fidèle,  qui.  lorsqu'il 
est  parti,  n'a  pas  désappris  le  chemin  du  Théâtre- Antoine. 

C'estvrai...  mais  c'était  M.  Antoine.  De  telles  initiatives 
encouragenl  el  fonl  naître  les  talents  :  elles  exercent,  sur 
les  lettres  et  sur  le  public,  la  plus  salutaire  influence.  Mais 
elle^  son!  éphémères,  <il  la  contagion  n'est  pas  à  craindre. 
Œuvres  d'un  homme  el  d'un  moment,  elles  marquent  dans 
les  annales  dramatiques. 

Les  jeunes  sont  donc  maltraités  au  théâtre  :  le  règne  de 

la  Société,  loin  de  leur  créer  des  dél ihés,  semble  plutôt 

an  obstacle  de  plus  à  leur  carrière.  Faut-il  pour  cela  boule 
verser  la  sage  économie  des  statuts  de  I  as  ociation,  revenir 


CHAPITRE   III 

aux  prix  librement  débattus  entre  auteurs  et  directeurs,  sui- 
vant la  formule  inscrite  dans  les  lois  révolutionnaires? 
Convient-il,  au  contraire,  tout  en  gardant  intangible  le  prin- 
cipe sur  Lequel  s'est  fondée  l'association,  de  chercher  des 
palliatifs,  de  donner,  d'une  autre  façon,  des  facilités  aux 
débutants  qui  veulent  s'aventurer  dans  le  domaine  du  théâ- 
tre? Autant  de  questions  qui  sont  à  examiner.  En  tout  cas, 
il  est  hors  de  doute  que  les  stagiaires  peuvent  avoir  des  inté- 
rêts distincts  de  ceux  de  leurs  confrères  vieillis  dans  le 
métier,  que  leur  avis  est  nécessaire,  lorsque  la  Commission 
fixe  dans   des   traités   ses   relations  avec  les   théâtres.    Un 

mple  prouvera  combien   leur  présence  dans  les  assem- 
blées eût  été  utile,  dans  certains  cas. 

En  1890,  li  Commission  eut  l'idée  d'affecter  une  partie  de 
l'accroissement  des  revenus  sociaux  à  des  encouragements 
anx  jeunes  auteurs. 

Sur    sa    proposition,    l'Assemblée   générale   approuva   la 

clause   suivante,   destinée  à  prendre  place  dans  les  traités 

passés    avec    les    Polies-Dramatiques,  les  Nouveautés,    les 

Bouffes-Parisiens,    le    Gymnase,    le   Vaudeville,  le    Palais- 

l1  el  l'Ambigu  : 

Le  directeur  s'engage  à  représenter  sur  son  théâtre, 
pendanl  la  durée  des  présentes  conventions,  et  dans  le  cou- 
ranl  de  >ns  théâtrales,  ^oit  du  1er  septembre  au  30  avril, 

une  pièce  en  trois,  quatre  on  cinq  actes,  donl  l'auteur  n'aura 
encore  été  représenté  sur  son  théâtre,  <it  qui  n'aura  pas 
fait  partie,  comme  sociétaires  de  l'ancienne  Société. 

Si,  trois  mois  avanl  l'expiration  des  présentes  conven- 
tions, !••  directeur  n'a  pas  exécuté  l'engagemenl  qui  précède, 
il  versera  dans  l  edea  secours  de  la  Société  des  Auteurs 

1    mpositeurs  dramatiques,  une  somme  de  1,500  francs, 
à  litre  d'indemni 


LES   CADRES    DE   LA    SOCIÉTÉ  217 

«  Si  au  contraire  le  directeur  s'est  conformé  à  cet  enga- 
gement, il  recevra  de  la  Société  des  Auteurs  et  Composi- 
teurs dramatiques,  trois  mois  avant  l'expiration  des  présentes 
conventions,  une  prime  de  3,000  francs. 

«  Il  est  bien  entendu  que  cette  prime  est  unique,  el  ne 
saurait  être  augmentée  ou  répétée,  si  le  directeur  avait  fait 
représenter,  pendant  la  durée  des  présentes  conventions, 
plusieurs  ouvrages  d'auteurs  se  trouvant  dans  les  conditions 
ci-dessus  indiquées. 

«  La  prime  serait  réduite  à  2,000  francs,  si,  la  pièce  étant 
l'œuvre  de  plusieurs  collaborateurs,  l'un  d'eux  avait  fait 
partie,  comme  sociétaire,  de  l'ancienne  Société  ». 

C'était  une  clause  pénale  à  double  portée,  qui  pouvait 
donner  les  meilleurs  résultats.  La  Société  prenait  en  main 
les  intérêts  des  jeunes,  comme  le  font  l'Etat  ou  les  villes,  en 
introduisant,  dans  le  cabier  des  cbarges  des  théâtres  subven- 
tionnés, des  clauses  obligeant  les  directeurs  à  représenter 
cbaque  année  un  certain  nombre  d'auteurs  nouveaux. 

11  est  à  remarquer  que  cette  clause  —  et  cela  était  fort 
raisonnable  —  n'était  applicable,  ni  aux  théâtres  Becondaires, 
qui  semblent  tout  naturellement  voués  ;m\  essais  des  jeunes, 
ni  à  ceux  que  «  l'ampleur  du  cadre,  et  les  frais  «!«'  mise 
en  scène  ferment  plus  Irrémédiablement  aux  nouveau- 
venus  »  (1). 

Cette  tentative  l'ut  éphémère  :  trois  ans  plus  la  ni.  la  clause 
disparaissait  des  traités.  Absorbée  par  d'autres  dépenses' 
notamment  par  le  service  des  pensions,  la  Commission  déch- 
n.iil  cette  nouvelle  charge. 

En  debors  de-  droits  d'auteur  proprement  dits,  la  Société 
impose    aux    administrations    thé&trales    des    rétributions 


1    Assemblée  générale  du  7  mai  (890,  Annuaire  de  k 


218  CHAPITRE   III 

:  redevances  en  faveur  de  la  caisse  de  retraites, 
billets  donnés  aux  ailleurs;  ces  nouveaux  impôts,  dont  le 
principe  es!  fort  discutable,  pèsent  d'un  poids  toujours  plus 
lourd  sur  les  théâtres  :  en  augmentant  encore  la  moyenne 
des  frais  généraux,  ils  arrêtent  les  directeurs  dans  leurs 
velléités  d'initiative,  les  ramenant  dans  les  grands  chemins 
trop  battus. 

El  pourtant  quels  sont  ceux  qui  président  aux  destinées 
de  la  Société,  et  par  là  même  des  théâtres  ?  La  Commission 
ne  comprend  que  des  auteurs  illustres,  sans  doute,  et  qu'un 
talent  re i n a  rq  uable,  second é  pa  rfois  par  une  chance  heureuse, 
.1  mi-  eu  lumière,  mais  qui  trop  souvent  méconnaissent  les 
obstacles  auxquels  se  heurtent  d'autres  littérateurs  moins 
favorisés. 

Quant  aux  Assemblées  générales,  elles  se  tiennent  à 
Intervalles  trop  éloignés  pour  être  suivies  avec  beaucoup 
d'ardeur.  Il  faudrait  qu'ils  eussent  vraiment  un  rôle  à  rem- 
plir, donl  il-  sentissent  toute  l'importance,  pour  que  les 
membres  de  l'association  y  fussent  assidus.  Les  gens  de 
lettres  sont  naturellement  peu  enclins  aux  réunions  inutiles, 
aux  discussions  stériles  :  les  chiffres,  ni  les  aiïaires  ne  les 
attirent,  lorsqu'ils  n'\  sont  point  personnellement  intéressés  : 
beaucoup  s'abstiennent,  comme  faisait  Diderot,  lorsqu'il 
négligeait  les  appels  pressants  de  Beaumarchais;  d'aucuns, 
estimant  sans  doute  qu'ils  ont  assez  d'occasions  de  se 
plaindre,  dans  l'intimité,  des  directeurs  de  théâtre,  disent, 
comme  Collé  : 

!><•  tous  ces  ^eris-Ià 
J'en  ai  jusque-là. 

mêmes  qui  votent  chaque  année  :  parmi  ces 
membres  zélé  e  rencontrent  beaucoup  d'auteurs  retirés  des 
aftairi        i  l'on  peut  «lire,  el  qui  sont  au  tenue  d'une  car- 


LES    CADRES    DE    LA    SOCIÉTÉ  219 

rière  laborieuse;  un  grand  nombre,  pensionnés  par  la 
Société,  ont  une  tendance  bien  naturelle  à  trouver  que  toul 
va  bien,  et  l'un  ne  peut  vraiment  compter  trop  sur  leur 
cou.  «mu--,  s'il  est  nécessaire  de   faire  des  changements  dans 

la  maison. 


Est-ce  à  dire  qu'il  soit  possible,  par  une  réforme  vraiment 
démocratique  et  égalitaire,  d'admettre  tous  les  stagiaires 
aux  mêmes  avantages  dont  jouissent  les  sociétaires?  (>n  n'y 
saurait  sérieusement  songer. 

Peut-on  reconnaître,  dans  la  Société,  les  mêmes  droits  aux 
maîtres  les  plus  illustres,  et  à  l'étudiant  qui  aura  fail  jouer, 
sur  quelque  scène  de  dixième  ordre,  une  bluetle  enfouie 
longtemps  dans  ses  cartons,  au  pensionnaire  qui,  rêvanl  la 
gloire,  aura  fait  représenter  un  à-propos  en  ver-,  prémices 
d'une  carrière  dramatique  qui  n'ira  pas  [dus  loin,  au  fonc- 
tionnaire en  retraite  qui  consacre  ses  loisirs  à  d'innocentes 
pochades,  qui  lui  assurent  un  renom  de  !><'l  esprit,  dans  un 
cercle  restreint  d'admirateurs  provinciaux  ? 

Clients  d'un  jour,  ils  s'inscriront  aux  agences  de  la 
Société  des  Auteurs,  ils  toucheront  peut-être  quelques  francs  : 
et,  comme  la  Société  ne  révise  pas  ses  listes,  qu'on  ne  paie 
pas  de  cotisation,  et  qu'on  n'esl  pas  tenu  d'écrire  tin  <>u\  i 
tons  les  cinq  ou  dix  ans,  ils  resteront  à  jamais  membres  de 
la  Société  :  titre  de  gloire  souvent  ridicule,  parfois  touchant. 

Mais,  à  côté  de  ces  stagiaires  d'occasion,  il  j  1  ceui  qui 
travaillent,  ceux  qui  ont  du  talent,  ceux  qui  luttent,  et  qui, 
quoi  qu'on  en  dise,  ne  son!  pas  du  tout  assurés  d'arriver  au 
sociétariat  avant  un  âge  avancé.  Car  doua  avons  remarqué 
la  tendance  constante  des  commissions  qui  se  sont  succédé 
;ni   pouvoir,  ;•  réduire  le  aombre  des  sociétaires,  en  même 


220  CHAPITRE    III 

temps  qu'on  élevait  le  chiffre  de  la  pension  à  laquelle  ils 
pouvaient  prétendre,  après  de  bons  et  loyaux  services. 
Ouverte  à  tous  autrefois,  l'Association  des  Auteurs  est 
devenue  une  corporation  fermée. 

I  es  littérateurs,  qui  font  du  théâtre  leur  métier,  n'ont-ils 
pas  cependant  leur  place  toute  marquée  aux  assemblées, 
aussi  bien  que  leurs  confrères  plus  illustres?  Il  convient  de 
poser  la  question;  car  souvent  ceux  qui  estiment  que  tout  va 
pour  le  mieux  se  font  trop  aisément  un  bouclier  de  la  noto- 
riété de  certains  des  membres  de  l'association,  pour  repousser 
dédaigneusement  les  revendications  de  la  masse.  Il  semble 
que  la  gloire  de  quelques  confrères  favorisés  doive  suffire  au 
contentement  des  autres.  Quelle  n'est  pas  leur  impertinence, 
de  réclamer  les  mêmes  droits  qui  sont  reconnus  à  tel  maître 
incontesté,  à  tel  auteur  en  vogue? 

Que    dirait-on    pourtant   d'un   syndicat   qui    prétendrait 
_ir  le  sort  (Tune  industrie,  et  qui   n'admettrait  dans  son 
sein  que  les  ouvriers  touchant,  dans  la  corporation,  le  salaire 
le  plus  élevé  ? 


Les  stagiaires  qui  travaillent  sont-ils  donc  si  rares,  parmi 
li  foule  des  désœuvrés,  des  dilettantes,  et  des  amateurs,  qui 
encombrent  la  carrière  dramatique? 

Lorsqu'au  cours  du  procès  de  1905,  réminent  avocat  de 
la  Société,  M'  Poincaré,  s'eflbrçai1  de  montrer  que  les 
stagiaires  s'agitaient  un  peu  trop,  pour  biplace  très  petite 
qu  il-  occupaient  dans  l«'s  lettres  et  dans  les  affaires  de  la 
S  iété,  M  rappelai!  que,  pendant  l'exercice  1903-1904,  les 
droits  d'auteur  perçus  par  \<><  sociétaires  s'étaient  élevés  à 
francs,  alors  que  les  stagiaires  n'avaient  touché 
cjue  660,121  h -'ir 


LES   CADRES    DE    LA    SOCIÉTÉ  221 

Encore  ce  total  ne  devait-il  pas  Faire  illusion.  Car,  sur  les 
3,479  stagiaires  que  comptait  alors  la  Société,  22-">  seulemenl 
avaient  touché  clans  leur  année  plus  de  500  francs  de  droits 
d'auteur,  somme  évidemment  insuffisante  pour  les  faire  vivre. 

Mais  22.')  auteurs,  qui  bon  an  mal  an  encaissent  quelque 
argent,  et  qui  parviennent  à  quelque  réputation,  malgré  de 
multiples  difficultés,  c'est  déjà  quelque  chose.  Or  ce  sont 
ceux-là  qui  réclament,  qui  se  disent  insuffisamment  pro- 
tégés, qui  veulent  vivre  de  leur  plume,  et  qui  revendiquent 
au  moins  le  droit  de  présenter  leur  défense. 

Ces  stagiaires  d'avenir,  qui  souvent  ont  déjà  un  passé 
derrière  eux,  est-il  donc  si  malaisé  de  les  distinguer  des 
clients  de  passage,  qu'il  serait  en  ell'et  imprudent,  autant 
qu'inutile,  d'admettre  à  la  discussion  des  intérêts  communs? 
Que  l'on  exige  un  petit  nombre  d'actes,  joués  sur  des  scènes 
déterminées,  ou  un  minimum  accessible  de  droits  d'auteur 
perçus,  et  l'on  aura  de  suite  un  bataillon  de  quelques 
centaines  d'auteurs  de  talent,  qui  contrebalanceront,  dans 
les  assemblées,  l'influence  de  ceux  qu'on  appelle  l'état-major 
de  la  Société.  Et  surtout  qu'eu  écarte  l'arbitraire,  qu'on  ne 
fasse  pas  la  Commission  juge  des  admissions,  car  le  cercle 
des  privilégiés  se  restreindra  toujours  de  plus  en  plus. 

Assurément  il  est  des  auteur-  dont  il  n'y  a  pas  li»iu  de 
s'inquiéter,  el  qu'on  recevra  toujours,  à  la  première  somma- 
tion. M"  Poincaré,  désireux  <le  prouver  que  la  Société 
ouvrait  toute-  grandes  ses  portes  aux  écrivains  «I»'  mérite, 
rappelait  que  M.  Anatole  France,  après  Thaïs,  que  M.  Ri- 
chepin,  après  la  Glu,  furent  admis  d'emblée  au  sociétariat. 

Avouons  qu'il  était  difficile  de  leur  faire  taire  antichambi 
Ce  qui  serait  plus  louable,  c'esi  que  tous  ceux  qui  ont  eu  le 
même    nombre   d'actes  joués    sur  des    théâtres  de    même 
importance  eussent  été  accueillis  avec  la  même  faveur. 


222  CHAPITRE    III 

Au  nom  de  quel  principe  admettre  les  uns,  et  repousser 
les  autres  ?  ('.«'H»'  différence  d'attitude  ne  s'explique  vraiment 
que  par  une  raison  très  facile  à  comprendre  :  c'est  qu'on 
m-  se  gêne  pas  avec  la  masse  des  littérateurs,  tandis  qu'on 
s'incline  devant  quelques-uns,  par  crainte  de  l'opinion. 

En  agissant  ainsi,  la  Société  oublie  son  rôle  :  elle  n'est  pas 
une  Académie,  où  seules  les  gloires  du  théâtre  ou  de  la  litté- 
rature ont  leur  pince  marquée  :  c'est  une  société  commer- 
ciale  en  fait,  sinon  en  droit  —  et  elle  s'en  vante.  Lorsque 
des  hommes  de  lettres  réclament  son  concours  dans  une 
question  littéraire  —  comme  fit  M.  Guinon,  lorsqu'il  la  solli- 
cita  de  protester  cou  Ire  la  censure  dont  Décadence  avait 
été  1  "Iijt'l  —  elle  leur  répond  qu'elle  ne  s'occupe  que  des 
recettes  de  théâtre.  Elle  a  raison  :  elle  s'est  fondée  pour 
Faire  rendre  justice  aux  écrivains,  pour  combattre  l'omnipo- 
tence  des  directeurs.  Mais  alors  qu'elle  ne  se  drape  pas 
dans  sa  dignité,  lorsqu'un  littérateur,  plusieurs  fois  repré- 
senté, lui  demande  d'être  ;i<lmis  à  discuter  des  affaires  qui 
l'intéressent  au  premier  chef  ;  qu'elle  ne  l'invite  pas  à 
repasser,  parce  que  ses  titres  sont  insuffisants,  et  que  son 
Qom  sera  «  »  1 1  ï  *  I  i  « '•  dans  cinquante  ans. 

Qu'on  donne  accès  dans  la  Société  à  tous  ceux  qui  pro- 
duisent,  ei  qui  oui  dans  le  théâtre  des  intérêts  dont  l'impor- 
tance ae  saurait  sérieusement  être  contestée,  H  <lu  coupon 
dissipera  toute  méfiance,  on  calmera  des  plaintes  légitimes. 

Mais,  dira-t-on,  ces  nouveau- venus,  pleins  d'inexpérience 
(,t  '1  illusions,  peut-être  armés  pour  <le>  vengeances  ignorées, 
ii  entreprendront-ils  pas,  par  leur  vole,  de  bouleverser  les 
statuts,  de  détruire  les  règles  qui  en  soûl  le  fondement,  de 
compromettre  une  organisation  que  des  années  de  tâtonne- 
ments, d'études,  i  I  de  pratique  ont  permis  d'établir  ? 

P    irquoi  ces  craintes,  que  rien  ne  justifie?  Ceui  qu'on 


LES    CADRES    DE    LA    SOCIÉTÉ  223 

appelle  les  jeunes,  et  qui  sont  souvent  d'un  âge  fort  respec- 
table—  tels  les  vieux  acteurs  qui  jouent  encore  les  jeunes 
premiers  —  ont  une  conscience  aussi  nette,  aussi  exacte,  de 
leurs  droits  et  des  intérêts  de  l'art  dramatique,  que  Les 
maîtres  chevronnés  qui  composent  seuls  aujourd'hui  le 
Conseil  de  la  Société.  Si  d'aventure  ils  demandent  quelque 
réforme,  s'ils  exigent  une  justice  plus  grande,  c'esl  donc 
qu'il  souffrent  dans  l'état  présent  de  quelque  inégalité. 
Quel  intérêt  assez  puissant,  assez  sacré',  s'opposerait  à  ce 
qu'ils  obtinssent  satisfaction?  La  Société,  par  ses  origines, 
par  son  principe  même,  repose  sur  l'union  des  auteurs,  et 
non  sur  leur  division.  Si  les  jeunes  peuvent  se  plaindre, 
actuellement,  non  sans  quelque  vraisemblance,  que  Leurs 
intérêts  soient  parfois  négligés  et  relégués  à  L'arrière-plan, 
pourquoi  ne  prendraient-ils  pas  en  main  leur  défens 
Pourquoi  refuserait-on  de  les  entendre?  Si  Le  respect  de 
leurs  droits  n'exige  pas  la  disparition  de  La  Société  —  ils  le 
soutiennent,  et  il  y  a  toutes  chances  pour  qu'il  en  soit 
ainsi  —  elle  ne  peut  que  gagner  à  leur  appui,  à  leur  colla- 
boration. Et  s'il  apparaissait,  par  hasard,  que  La  Socié 
telle  qu'elle  est  établie,  repose  sur  un  principe  faux,  sur  un 
malentendu,  sur  une  inégalité  choquante,  qui  donc  pourrait 
demander  le  maintien  d'une  telle  situation? 

Mais,  dit-on  aussi,  ce  u'esl  pas  seulement  Le  droit  de  vote 
que  confère  le  sociétariat,  c'esl  aussi  Le  droil  à  La  retraite. 
Nous  avons  vu  que  le  souci  constant  de  la  Société,  depuis 
une  vingtaine  d'années,  a  été  de  constituer  un  service 
Lier  de  pensions,  d'ouvrir  toujours  pins  Largement  L'admission 
;i  l,i  retraite,  ainsi  que  d'améliorer  le  sort  des  pensionnaire 
Ce  service,  développé  d'année  en  année,  aba  rbe  une  par! 
ootable  <\r^  revenus  de  l'association,  et  l'équilibre  financier, 
grâce  auquel  il  est  assuré,  n'es!   pas   jans  donner  quelques 


CHAPITRE    ltl 

inquiétudes,  au  point  de  vue  de  sa  stabilité.  Dès  lors,  on  ne 
peul  songer  à  admettre  d'un  seul  coup  au  bénéfice  de  la 
retraite  an  nombre  considérable  d'associés.  Aussi,  chaque 
fois  que  l'on  a  pensé  à  faciliter  l'accès  au  sociétariat,  les 
membres  de  la  Société  ont-ils  été  arrêtés  par  cette  préoccu- 
pation très  légitime. 

Mais  pourquoi  ne  donnerait-on  pas  satisfaction  aux  sta- 
giaires,  quant  au  droit  de  vote,  qu'ils  ont  instamment 
réclamé,  en  leur  refusant  le  droit  à  la  pension,  qu'ils  ne 
songent  pas  à  demander?  Ce  n'est  pas  le  souci  de  leurs 
vieux  jours  qui  les  préoccupe,  mais  bien  la  défense  de  leurs 
intérêts  présents.  Rien  ne  semble  donc  plus  aisé  que  de 
concilier  les  difficultés  financières,  auxquelles  on  parait  se 
heurter,  avec  les  revendications  des  stagiaires.  Des  stagiaires 
nouvellement  promus,  grâce  à  des  conditions  d'accès  fort 
larges,  on  constituerait  une  classe  intermédiaire,  ayant  part 
à  l'administration  de  la  Société,  sans  pouvoir  prétendre 
aux  pensions  réservées  aux  seuls  sociétaires;  quitte  à  ne 
les  admettre  que  plus  tard  au  bénéfice  de  la  retraite,  sur  la 
production  de  titres  plus  sérieux  et  plus  rares. 

En  résumé,  quel  que  soit  l'expédient  employé,  la  formule  à 
trouver,  il  n'en  reste  pas  moins  qu'il  y  a  quelque  chose  à 
faire  :   il  faul  donner  une  constitution  plus  libérale  à  une 

sociation,  qui,  constituée  par  la  généralité  des  auteurs,  est 

d<\.  i surtout  l'organe  de  quelques  privilégiés,  en  restant, 

en  apparence,  ouverte  à  tous.  La  Société  des  Auteurs  ne 
peul  que  gagner  à  un  recrutement  plus  large  et  plus  démo- 
cratique. Les  jeunes  qu'elle  admettra  dans  ses  assemblées  et 
dan  conseils,  n'auront  plus  l'occasion  de  dénigrer  un 

;  aemenl  qu'ils  auront  choisi,  de  critiquer  des  décisions 
qu'ils  auront  sanctionnées  de  I < •  1 1 1-  vote.  Et  le  syndicat,  au 
lieu  de  traîner  a    ■•  remorque  la  ma>se  des  associés,  indilfé- 


LES   CADRES    DE    LA   SOCIÉTÉ  2^b 

rente,  et  peut-être  même  hostile,  retrouvera,  dans  une  org 

nisalion  plus  libérale,  une  vie  nouvelle  et  plus  féconde. 


La  loi  du  il  juillet  180()  fixe  à  une  période  de  cinquante 
ans,  après   la  mort  des  auteurs,   la  durée  des  droits  qui, 
leur  décès,  sont  reconnus  à  leurs  héritiers  ou  ayants  cause. 

Les  droits  de  ces  derniers  n'eussent  été  le  plus  souvent 
que  nominaux,  si  la  Société  ne  les  avait  admis  à  bénéficier, 
comme  les  auteurs  eux-mêmes,  de  la  protection  de  l'associa- 
tion et  de  la  perception  commune.  Aussi  a-t-elle  accepté 
d'être  leur  fondée  de  pouvoirs,  dans  l'exercice  de  Leurs  droits, 
en  échange  d'un  acte,  par  lequel  ils  déclarent  adhérer  aux 
statuts. 

Lorsqu'un  auteur  dramatique,  sociétaire  ou  stagiaire, 
vient  à  mourir,  son  héritier  ou  son  ayant  cause  doit  solliciter, 
par  une  demande  écrite,  son  admission,  qui  ne  peut 
d'ailleurs  lui  être  refusée. 

S'il  y  a  plusieurs  héritiers  ou  ayants  cause,  il-  doivent 
désigner  un  mandataire  unique,  qui  s'engagera,  eu  leur  nom 
à  tous,  à  observer  les  statuts,  autorisera  la  représentation 
des  œuvres  de  l'auteur  défunt,  touchera  les  droits  des  mains 
de  l'agent  général. 

Les  héritiers  adhérents  jouissenl  «le  Imi^  les  avantages 
reconnus  aux  stagiaires  :  cela  esl  dit  expressément  dans 
l'article  2l.)  des  statuts. 

Il-  ont  droit  aux  secours  —  en   fait   il-  n'\    participent 
presque  jamais—  ils  ont  droit  au  partage  des   bénéfice 
puisque  l'acte  de  société  y  admel  tous  le  'I111  BUI 

portent  le  prélèvement  de  I  0  0  sur  leurs  droits,  et  que  cette 
retenue  e>t  l;uie  mit  les  sommes  perçues  à  leur  profit.  Il 
faut    penser  également  qu'ils   ont   droit,   depuis  1904,  au 

I  i 


CHAPITRE    III 

même  titre  que  les   stagiaires,   à    la  liquidation   de  l'actif 
social. 

Une  seule  différence  les  distingue  des  stagiaires  :  ils  ne 
peuvenl  pas  devenir  sociétaires.  Rien  de  plus  naturel.  Ilsn'ont, 
en  leur  qualité  d'héritiers,  aucun  intérêt,  dans  la  Société, 
qui  leur  s<>il  personnel  :  on  comprendrait  malaisément  qu'ils 
fussent  admis  dans  les  assemblées  des  auteurs.  Heureux  de 
percevoir,  en  toute  sécurité,  une  rente  sur  les  ouvrages  des 
écrivains  disparus,  ils  ne  demandent  pas  à  discuter  des 
questions,  qui  leur  sont,  la  plupart  du  temps,  totalement 
étrangères. 


* 


Un  auteur  cède,  à  titre  gratuit,  ou  moyennant  finances, 
l'entière  disposition  d'une  ou  de  plusieurs  de  ses  œuvres.  La 
convention  est  parfaitement  licite.  La  Société,  désireuse  de 
i  ses  membres  tous  les  modes  d'exploitation  de  leur 
propriété  littéraire,  olfre  à  leurs  cessionnaires  le  bénéfice 
de  sa  protection,  et  l'entremise  de  ses  agences;  en  échange 
de  leur  adhésion  an  pacte  social,  elle  les  reçoit  comme 
membres  de  l'association,  en  leur  accordant  tous  les  droits 
reconnus  aux  héritiers  adhérents. 

Il   importait  en  effet  que,  par  un  acte  de  cession  plus  ou 
moins  réel,  les  auteurs  ne  pussenl  se  loustraire  aux  obliga- 
tions   auxquelles    il-    sonl    tenus,    qu'ils    ne   pussent,    par 
m  pie,   faire  jouer  leurs  œuvres  sur  des  scènes  <jui  n'ont 
traité  avec  la  Société,  ou  à  des  conditions  inférieures 
;"i  tarif  général,    \ussi    la    Commission   ;i-t-ellc,  dans  sa 
ace  du  I  man  1881,  arrêté  les  termes  d'une  formule,  qui 
dei  ra  être  employée  pour  tous  les  actes  de  cession  (1).  Cette 


tU  in  Sociétét  innée  1881,  page  171. 


LES   CADRES    DE    LA    SOCIÉTÉ  227 

formule  mentionne  que  le  cessionnaire  a  pris  connaissance 
des  obligations  imposées  aux  membres  de  L'association,  des 
pénalités  prévues  en  cas  d'infraction  aux  statuts,  el  qu'il 
s'engage  à  s'y  soumettre. 

Mais  des  cessions,  parfaite  m  enl  régulières  en  la  forme, 
peuvent  couvrir  des  agissements  frauduleux,  contraires  aux 
principes  consacrés  par  l'association.  Ainsi  des  littérateurs, 
pressés  d'être  joués  et  n'osant  accepter,  par  traité,  de  resti- 
tuer au  théâtre  une  partie  des  droits  perçus  en  leur  nom, 
céderont  leurs  pièces  en  toute  propriété,  pour  un  morceau  de 
pain.  Le  directeur,  ne  voulant  pas  paraître  en  nom  dans  la 
combinaison,  aura  recours  aux  bons  offices  d'un  intermé- 
diaire, moitié  homme  de  lettres,  moitié  agent  d'affaires, 
qui  achètera  les  pièces,  et  les  revendra  à  la  direction  du 
théâtre,  moyennant  commission.  Parfoiscet  honnête  courtier 
opérera  en  grand,  achetant  de-ci  de-là,  pour  le  compte 
de  certaines  scènes.  Tous  les  jeunes,  désireux  de  se  pro- 
duire dans  ces  établissements,  devront  passer  par  ses 
mains. 

En  1893,  l'attention  de  la  Commission  lut  attirée  sur  un 
manège  de  ce  genre,  qui  se  pratiquai  couramment  pour  les 
levers  de  rideau  donnés  dan-  plusieurs  théâtres.  La  combi- 
uaison  était  d'ailleurs  connue  depuis  longtemps  par  l<i-  gens 
du  métier.  La  Commission  n'attendait  qu'une  occasion  pour 
sévir.  Mais  comment  prendre  un  directeur  en  flagrant  délit? 
Allait-on  provoquer  un  scandai.',  sans  avoir  des  preuves 
certaines?  Or  la  preuve,  en  pareil  cas,  ce  ne  peut  être  que 
l'aveu  d'un  des  auteurs,  qui  ont  les  meilleures  raisons  ^\\i 
monde  de  ne  pas  avouer,  puisqu'ils  sont  en  marge  des 
Btatuts. 

Un  hasard  providentiel  permit  d'agir.  En  1893,  un 
membre  de  la  Société  se  plaignait  qu'un  acte  d<  mposi 


228  CHAPITRE  ili 

tion,  Institué  Scrupules,  fût  joué  dans  un  théâtre,  sans  son 
autorisation,  sous  le  titre  de  le  Scrupule.  À  cette  différence 
près,  la  pièce  représentée  était  identiquement  la  même  que 
celle  qu'il  avait  écrite  :  cependant  on  ne  lui  avait  pas 
demandé  sa  permission,  et  on  ne  lui  allouait  aucuns  droits. 

Que  s'était-il  passé?  Un  littérateur  besogneux  avait  cédé, 
par  l'intermédiaire  d'un  courtier,  un  lever  de  rideau  intitulé 
Ir  Scrupule  ;  le  directeur,  qui  n'avait  qu'une  confiance 
médiocre  dans  cette  œuvre,  ne  s'était  fait  aucun  «  scrupule  » 
di'  profiter  d'une  similitude  de  litres,  pour  lui  substituer  les 
S  upules,  dont  une  copie  lui  était  venue  entre  les  mains. 
qu'il  \  avait  d'étrange  dans  l'affaire  —  s'il  faut  encore 
s'étonner  de  quelque  chose  au  théâtre  —  c'est  que  l'auteur 
du  Scrupule  se  lut  désintéressé  à  ce  point  de  la  suite  donnée 
.ni  contrat,  et  n'eut  pas  songé  à  se  formaliser  de  ce  tour  de 
passe-passe. 

La  Commission  manda  à  sa  barre  l'auteur  de  Scrupule  au 
singulier,  l'auteur  de  Scrupules  au  pluriel,  le  directeur  de 
théâtre,  et  le  cessionnaire.  On  ne  discutait  pas  seulement 
-ni-  un  principe.  Les  Scrupules  avaient  produit  une  somme  de 
10,000  francs.  L'ingénieux  directeur  avait  eu  la  main  heu- 
reuse  :  mais,  pris  au  piège;  il  dul  verser  des  droits  à  l'auteur 

ritable  H,  par-dessus  le  marché,  promettre  de  ne  plus 
•mmencer. 

Quelques  mois  après,  nouvelle  affaire.  Cette  lois,  c'était  un 
auteur  en  rupture  des  statuts  qui  se  démasquait.  Etait-ce  le 
entir,  ou  simplemenl  l«'  dépit  d'avoir  traité  au  rabais? 
Quoi  qu'il  en  soit,  il  entrait  dans  La  voie  pénible  des  aveux. 
I  Commission,  armée  pour  la  lutte,  songeait  ;i  plaider.  Le 
directeur,  désireui  d'échapper  ;«  une  publicité  compro- 
mettante, préféra  verser  une  indemnité,  et  faire  amende 
honorable. 


LES    CADRES    DE   LA   SOCIÉTÉ  22Q 

Pour  couper  court  à  tous  ces  traiics,  la  Commission  prit 
une  mesure  radicale  :  elle  réduisil  les  droits  d'auteur  perçus 
pour  les  levers  de  rideau  à  un  pour  cent,  avec  maximum  de 
dix  francs.  «  Dix  francs  par  jour  de  maximum,  disaii  I»' 
rapporteur  à  l'Assemblée  générale,  s'ils  sonl  la  rémunéra- 
tion suffisante  d'un  acte  écrit  pour  rire  représenté  devant 
les  petits  bancs,  qui  seuls  peuvent  se  trouver  au  théâtre 
avant  neuf  heures  du  soir,  sont  au  contraire  un  trop  mini  m»' 
appât  pour  les  chefs  de  claque  banquiers,  ei  les  marchands 
de  billets  prêteurs  ».  Et  il  ajoutait,  se  félicitant  de^  résultats 
de  la  r*é forme  : 

«  Les  noms  des  auteurs  des  levers  de  rideau  ont  changé 
comme  par  enchantement  ;  c'est  que  la  porte  est  ouverte  à 
lous  maintenant  ». 

11  est  seulement  permis  de  se  demander  si  le  système  de 
la  porte  ouverte,  qu'on  préconise,  <i-l  le  meilleur,  tant  pour 
les  auteurs,  que  pour  le  public. 

Les  auteurs,  ce  sont,  ou  plutôt  c'étaient  les  débutants,  les 
jeunes,  ceux  qui,  écartés  des  grandes  scènes,  lorsqu'ils 
apportaient  une  tragédie  en  cinq  actes,  en  vers,  se  voyaient 
bien  reçus,  parfois,  lorsqu'ils  arrivaient  avec  un  lever  de 
rideau.  Ce  bon  accueil  encourageait  les  timides,  raffermis- 
sait les  vocations  hésitantes,  acheminait  les  auteurs,  par  un 
apprentissage  utile,  vers  des  œu\  res  d'un  efforl  plus  soutenu, 
dune  action  plus  compliquée. 

Sans  doute  il  y  avait  les  fraudeurs,  qui  n'étaient  pas  inté- 
ressants, et  qui  abusaient  de  la  situation  :  qu'importe  !  Leur 
fraude  ne  leur  procurait  que  des  bénéfices  bien  limités,  si 
nous  nous  en  référons  aui   paroles  < •  »  1 1 . 1 1 , | » . •  ( •  -  an  rapp 
teur  : 

«  Ce  ne  sont  pas  les  auteurs,  disait-il,  qui  avaient  cou- 
tume de  céder  leurs  droits,  qui  se  plaindront  de  cette  mesure, 


230  CHAPITRE    III 

puisque  le  prix  qu'ils  recevaient  flottait  entre  deux  et  trois 
cents  francs,  quand  il  n'était  pas  fictif  ». 

Mais  ce  n'est  pas  pour  leur  assurer  un  bénétice  plus 
important,  que  la  Commission  a  édicté  des  règles  nouvelles. 
Ne  serait-ce  pas  plutôt  que  les  auteurs  de  la  pièce  de  résis- 
tance voyaient  avec  peine  une  partie  de  la  recette  leur 
échapper?  N'auraient-ils  pas  saisi  avec  empressement  cette 
occasion  d'étouffer  un  genre  qui  menaçait  leurs  revenus? 

Les  résultats  de  cette  politique  ne  se  sont  pas  fait  attendre. 
L<mu  d'affranchir  le  genre,  on  l'a  déconsidéré.  Œuvre  d'ap- 
prentissage  autrefois,  il  est  devenu  la  proie  des  faiseurs. 
Lorsqu'il  n'est  pas  accaparé  par  l'auteur  de  la  pièce  princi- 
pale, soucieux  de  ne  rien  perdre  de  la  recette,  le  lever  de 
rideau  est  abandonné  à  des  travailleurs  en  gros,  qui  en 
donnent  au  public  pour  l'argent  qu'ils  touchent.  C'est  encore 
un  domaine  d'où  les  jeunes  sont  exclus,  au  profit  d'habitués 
peu  intéressants. 

Le  public  n'a  pas  été  moins  sacrifié  dans  l'affaire.  On  se 
plaignail  de  son  indifférence,  on  l'accusait  de  ne  vouloir  pas 
entendre  les  levers  de  rideau.  La  Commission  avait  le  choix 
entre  deux  solutions  :  supprimer  complètement  les  levers  de 
rideau,  ou  les  encourager,  favoriser  les  débutants  qui  s'y 
adonnaient,  l«>ul  en  poursuivant  les  combinaisons  de  mau- 

-  idoi.  EHe  a  préféré  l<->  rabaisser,  pour  en  dégoûter  plus 
sûrement  ceui  qui  y  prenaient  encore  quelque  intérêt. 

Pourquoi  cet  arrêt  de   mort  inutile?  N'aurait-il  pas  été 

plu-  intéressant  d'essayer   de  relever  le  genre?  Les  petits 

bancs,  pour  lesquels  le  rapporteur  a  l'Assemblée  générale 

montrait   -i   dédaigneux,  auraient  peut-être  entraîné  les 

roda  :  les  vides  du  théâtre  se  seraient  comblés.  Grâce  à  la 

mmission,  le  publie,  qui  découvrait  parfois  encore,  dans 
petit  écrivains  d'avenir,  n'aplusque  des 


LES    CADRES    DE   LA    SOCIÉTÉ  231 

ébauches  informes,  dues  à  des  fournisseurs  de  rencontre  : 
heureux  si  le  signataire  de  la  pièce  principale  De  saisit  pas 

l'occasion  d'écouler  une  bluette  fabriquée  en  hâte. 

Dans  cette  question,  où  leur  sort  était  en  jeu,  les  jeunes, 
les  stagiaires  n'ont  pas  eu  à  donner  leur  avis. 


Le  Statut  légal  de  la  Société 


Le  Statut  légal  de  la  Société 


Dès  son  apparition,  dès  les  premières  manifestations  de 
son  activité,  la  Société  des  Auteurs  s'est  trouvée  exposée 
aux  attaques  les  plus  vives  et  les  plus  passionnées.  N'inter- 
venait-elle pas  ouvertement  pour  réprimer  des  abus,  pour 
soustraire  les  écrivains  à  la  tyrannie  des  directeurs  de 
théâtre,  pour  leur  faire  une  juste  part  dans  la  recette  des 
spectacles  ?  C'était  déranger  des  habitudes  séculaires,  heurter 
de  front  des  financiers,  qui  pensaient,  comme  autrefois  les 
sociétaires  du  Théâtre-Français,  qu'ils  faisaient  aux  auteurs, 
en  les  jouant,  beaucoup  d'honneur,  et  ne  pouvaienl  se  faire 
à  l'idée  de  compter  équitablement  avec  eux. 

Surpris  par  la  Révolution,  ils  n'avaient  pas  eu  de  beau 
geste  :  ils  n'avaient  pas,  dans  une  nuit  du  \  août,  abjuré  les 
erreurs  du  temps  passé,  <'t  promis  un  régime  de  justice  <il  de 
loyauté.  Sans  doute  ils  semblaient  accepter  <\y>±  lois  qu'ils 
ne  pouvaienl  officiellement  combattre  :  mais  ils  tachaient 
d'en  éluder  sournoisement  les  prescriptions,  <'l  d'en  prévenir 
les  conséquences  fâcheuses  pour  leurs  privilèges.  Surtout 
i I s  redoutaient  l'entente  des  littérateurs,  se  faisan!  fort 
d'imposer  leur  volonté  aux  faibles,  aux  Isolés. 

Us  opposèrent  un»'  force  d'inertie  aux  premières  tentatives 

<|in'  firent  les  auteurs  pour  tirer  parti  des  libertés ivelles 

qui  leur  étaient  reconnues.   Lorsqu'en  is:i7.  la  Société  des 
Auteurs,   dégageant   ses  principes,  <■!    formulant    son    i"" 
gramme,   resserra,  en  se   réclamant  du  Code  civil,  le  lien 
trop  lâche  de  ses  statuts,  il-  sentirent  rivement  Iç  coup  qui 


CHAPITRE   IV 

leur  était  porté,  et  combattirenl  de  front  l'association  nais- 
sante. 

La  lutte,  qui,  jusqu'alors,  n'avait  guère  dépassé  l'enceinte 
des  coulisses,  et  s'était  manifestée  surtout  paroles  querelles 
particulières,  s'engagea  désormais  sur  le  terrain  juridique, 

ec  tout  l'appareil  judiciaire.  Los  directeurs  de  théâtre  ne 
se  contentèrent  pas  de  traiter  la  nouvelle  société  de  corpo- 
ration illicite  ;  l'arme  fui  bientôt  émoussée,  et  le  reproche 
passé  de  mode  :  il  a  fallu  que  le  mot  de  «  trust  »  nous  vînt 
d'Amérique,  chargé  de  mystère  et  de  ruines,  pour  rendre,  en 
ces  derniers  temps,  à  cette  accusation  démonétisée,  quelque 
valeur,  et  quelque  actualité.  Ils  lui  dénièrent  même  la  qualité 
de  société  civile  dont  elle  se  parait,  sans  doute  pour  abuser 
l'opinion  publique,  et  ils  entreprirent  de  démontrer  l'in- 
certitude de  son  statut  légal,  qui  reposait  sur  des  principes 
méconnus,  et  sur  des  textes  dénaturés. 

Kii  la  dépouillant  de  la  qualification  qu'elle  empruntait 
au  Code  civil,  les  adversaires  de  la  Société  s'efforçaient  de 
découvrir  la  fragilité  d'une  association,  qui,  ne  rentrant 
dans  aucune  des  catégories  prévues  par  la  loi,  ne  pouvait 
prétendre,  ni  à  faire  valoir  en  justice  les  droits  que  ses 
traités  lui  donnaienl  à  rencontre  des  directeurs  de  théâtre, 
ni  &  retenir,  malgré  eux,  des  auteurs  désireux  de  s'évader  de 
statuts.  De  la  sorte  il  lui  deviendrait  impossible,  et  de 
faire  constater  officiellement  son  existence,  lorsqu'elle  sérail 
mise  '-H  cause,  el  de  plier  ses  membres  à  cette  discipline, 
qui  peut  paraître  rigoureuse  a  certaines  heures,  mais  sans 
laquelle  son  action  serait  illusoire. 

Il  est  &  noter  toutefois  que  cette  question  touchant  à  la 
nature  juridique  de  la  Société  des  Auteurs,  n'a  jamais  eu 

'•■  la  portée,  ni  toute  l'étendue,  que  ses  adversaires  <mt 

a  voulu  lui  donner 


LE  STATUT  LÉGAL  DE  LA  SOCIETE  237 

Le  droit  qu'ils  lui  ont  àprement  contesté,  avant  tout  autre, 
celui  de  défendre  ses  intérêts  en  justice,  e1  de  poursuivre 
devant  les  tribunaux  l'exécution  des  conventions  qu'elle 
concluait,  sans  qu'il  fût  besoin  de  faire  figurer  dans  l'ins- 
tance tous  les  auteurs  membres  de  L'association  —  forma- 
lité impossible  à  remplir  —  ce  droit  lui  a  toujours  été 
reconnu  sans  difficulté.  Les  statuts  donnenl  en  effet  à  La 
Commission  le  mandat  de  représenter  La  communauté  dans 
tous  les  procès  qui  l'intéresseront,  aussi  bien  <|n<i  d'intenter 
ou  de  soutenir,  au  nom  de  chacun  de  ses  membres,  chaque 
fois  qu'elle  le  jugera  à  propos,  tout  procès  intéressant  la 
perception  des  droits  d'auteur.  Ce  mandat  est  parfaitement 
valable,  et  doit  avoir  son  plein  effet,  <[u«i  La  Société  des 
Auteurs  soit  d'ailleurs  une  société  civile,  ou  un  simple 
groupement  de  fait. 

La  question  a  été  résolue  en  L867,  pour  La  Société  des 
Editeurs  et  Compositeurs  de  musique,  il  <i>(  vrai.  Mais 
nous  savons  que  Les  deux  associations  sonl  organisées  «I»' 
la  même  façon,  et  que  ce  qui  est  vrai  «le  L'une  l'es!  égale- 
ment de  l'autre. 

La  Société  lyrique  o voit  tout  d'abord  intenté  une  action 
contre  de  Besselièvre,  directeur  des  concerts  des  Champs- 
Elysées,  en  son  nom  propre,  et  sur  Les  poursuites  et  dili- 
gences de  M.  Rôllot,  son  agent  général  .  Il  s'agissait  de 
difficultés  survenues  dans  L'exécution  du  traité  qui  liait 
directeur  à  La  Société.  La  procédure  employée  par  La  Société 
était  audacieuse.  Elle  impliquait  pour  elle  le  droil  d'agir 
au  nom  de  ses  intérêts  propres,  el  par  conséquent  le  fait 
de  constituer  un  être  moral.  C'était  beaucoup  demander, 
■i  une  époque  <>îi  la  personnalité  des  sociétés  civiles  a  était 

pas  encore  reconnue.  K<'  tribunal  de  co lerce  de  La  Seine 

admit  pourtant  La   validité  de  L'assignation  ainsi  rédigée,  et 


s  CHAPITRE    IV 

condamna  de  Besselièvre  à  payer  les  droits  qui  lui  étaient 
lamés.  Mais,  sur  l'appel  de  la  partie,  la  Cour  de  Paris 
annula  la  procédure,  estimant  que  la  Société,  n'ayant  pas  la 
personnalité  civile,  n'avait  pas  qualité  pour  agir  en  son  seul 
Dom,  même  lorsqu'elle  réclamait  l'exécution  d'un  traité 
conclu  par  elle. 

Une  nouvelle  assignation  fut  alors  présentée,  au  nom  des 
membres  composant  le  syndicat  de  la  Société  lyrique.  Le 
tribunal  de  commerce  et  la  Cour  de  Paris  furent  cette  fois-ci 
raccord  pour  écarter  l'exception  de  nullité  opposée  par  le 
léfendeur,  en  se  fondant  sur  le  mandat  que  les  membres 
lu  syndicat  ont  reçu  de  leurs  confrères,  à  l'effet  d'agir  en 
leur  nom. 

Attendu  que  de  Besselièvre,  énonce  le  jugement  du  tri- 
bunal, est  assigné  nominativement  par  chacun  des  membres 
composant  le  syndicat  de  la  Société  des  Auteurs,  Composi- 
teurs <l  Editeurs  de  musique;  que  les  membres  du  syndicat, 
intéressés  au  môme  titre  que  tous  les  autres  sociétaires, 
tiennent  de  l'article  13  des  statuts  communiqués  à  de  Besse- 
lièvre, les  pouvoirs  nécessaires  pour  contracter  au  nom  de 
la  Société  :  que  cette  capacité  a  été  reconnue  implicitement 
par  de  Besselièvre,  en  traitant  avec  leur  mandataire  Bollot, 
dûmenl  autorisé  à  cel  effet;  que  de  Besselièvre  si  trouve 
donc  aujourd'hui  en  Face  des  parties  contractants  elles- 
mêmes,  qui,  par  le  fait,  se  portaient  for!  pour  la  Société,  et 
I  ont  fait  jouir  de-  avantages  stipulés  à  son  profit  par  le 
traité  donf  l'interprétation  fait  l'objef  du  litige;  qu'il  ne 
saurait  à  bon  droit  se  refusera  plaider  avec  elles  sur  l'exé- 
cution des  conventions  consenties  eu  pleine  connaissance 
Rejette  l'exception  ••    I  . 

1    As  i  la  propriété  industrielle,  nnnées  180'..  page  146,  ison.page  106, 


LE  STATUT  LÉGAL  DE  LA  SOCIÉTÉ 

Le  jugement  relevait  que  de  Besselièvre  avait  contracte 
en  toute  connaissance  de  cause  avec  la  Société  lyrique,  qui 
avait  exécuté  toutes  les  obligations  portées  au  traité,  el  qu'il 
se  dérobait  seulement,  lorsqu'il  s'agissait  de  tenir  ses  enga- 
gements. C'est,  en  effet,  la  particularité  de  ces  procès  dans 
lesquels  les  parties,  à  bout  d'arguments,  invoquent  la  nul- 
lité de  la  Société  :  ils  ont  contracté  avec  elle,  ils  ont  vécu 
pendant  des  années  sur  la  foi  des  traités;  il-  s'aperçoivent 
tardivement,  et  fort  à  propos,  qu'ils  sont  en  face  d'une 
entité,  d'un  fantôme  juridique.  Gela  rend  leur  cause  évidem- 
ment peu  intéressante,  autant  qu'insoutenable  en  droit. 

La  solution  donnée  par  le  tribunal  de  commerce  de  la 
Seine  était  conforme,  d'ailleurs,  à  une  jurisprudence  très 
ferme  de  la  Gourde  cassation  qui  reconnaissait,  non  seule- 
ment aux  sociétés  civiles,  mais  au>-i  n  de  simples  groupe- 
ments de  fait,  comme  les  cercles,  les  >i>eit;lé>  de  bienfai- 
sance, la  faculté  d'agir  en  justice,  par  l'entremise  d'un  repré- 
sentant accrédité. 

Les  tribunaux  eurent  l'occasion  de  faire  application  du 
principe  ainsi  posé  à  la  Société  des  Auteurs  dramatiques 
elle-même  (1). 

En  1894,  Paulus,  devenu  directeur  de  Ba-ta-Cian,  avaii 
donné  sur  cette  scène  une  revue  de  lin  d'année,  tes  Paulus- 
sonneries  de  Tannée,  par  MM.  Nu  m»-»  .-i  Garnier.  Cette  œuvre 
lui  créa  <  1  <-  difficultés  avec  la  Société.  Elle  se  composait  de 
deui  tableaux,  séparés  par  un  baisser  de  rideau  ••!  un  Inter- 
mède. Malgré cel  Intermède,  l<i-  deui  tableaui  étaient  réelle- 
ment séparés:  aussi  la  Société  des  \uteurs  prétendait  elle 
percevoir  les  droits  d'une  pièce  en  deui  actes  :  Paulus  sou 
tenaif  que  sa  revue  était  eu  un  -Kit'.  La  Société  ih  saisir  les 


(1)  Gazette  de*  Tribunaux,  26  27  di 
d'auteur,  1895,  pagt  '.'G;  Annale*  dé  la  propriété  industrielle,  I8tl,  pagi  88. 


240  CHAPITRE    IV 

recettes  :  Paulus  réclama.  Lorsque  l'affaire  vint  devant  la 
première  Chambre  du  tribunal  civil  de  la  Seine,  il  contesta 
à  la  Société,  représentée  par  sa  Commission,  le  droit  de 
prendre  eu  mains  la  cause  de  ses  membres,  et  de  plaider  en 
leur  nom,  alléguant  la  règle  d'ordre  public  :  «  Nul  ne  plaide 
par  procureur,  hormis  le  roi  ».  L'instance,  disait-il,  aurait 
dû  être  engagée,  non  par  MM.  Alexandre  Dumas,  lïalévy, 
Victorien  Sardou,  etc.,  membres  de  la  Commission,  mais 
par  les  auteurs  eux-mêmes,  MM.  N urnes,  Garnier  et  Gall  ; 
L'action  de  la  Société  n'était  pas  plus  recevable,  que  ne  le 
serai!  celle  d'un  agent  d'affaires,  qui,  chargé  d'effectuer  un 
recouvrement,  pour  le  compte  d'un  client,  poursuivrait  le 
débiteur  en  justice. 

M.  le  substitut  Cabat  s'éleva  d'abord  contre  les  contradic- 
tions de  la  partie,  qui,  ayant  traité  avec  la  Société  et  reconnu 
par  là  même  sa  pleine  capacité,  prétendait  la  nier,  pour  se 
soustraire  à  -«-obligations.  Il  rappela  certains  arrêts  de  la 
Cour  de  cassation,  qui  reconnaissaient  à  toute  société,  civile 
ou  non.  Le  droit  de  se  faire  représenter  en  justice  par  des 
mandataires  dûment  autorisés.  Le  tribunal,  se  rendant  à  ces 
raisons,  valida  La  saisie. 

attendu,  porte  Le  jugement  du  15  janvier  1895...,  que 
i  ette  Société,  créée  surtout  dans  un  but  de  défense  et  d'assis- 
tance mutuelles,  ae  saurait,  à  aucun  titre,  être  considérée 
comme  une  agence  d'affaires;  que,  pour  atteindre  le  but 
éminemment  utile  qu'elle  se  propose,  elle  peut,  conformé- 
ment -i  ses  statuts,  qui  n'ont  rien  de  contraire  aux  lois  et  à 
L'ordre  public,  passer  avec  des  tiers  des  traités  parfaitement 
valables,  par  l'intermédiaire  des  membres  <l<'  l<<  Commission, 
"u  de  Leurs  mandataires  munis  de  pouvoirs  réguliers  (1)  ». 

i    Voir  dan*  le  mém<     en*,  pour  la  Société  dea   Lrtistei  français,  tribunal 

1890  Droit  d'auteur,  1891,  page  9).  —  Voirwrla 


LE  STATUT  LÉGAL  DE  LA  SOCIÉTÉ  Cil 

Ainsi,  que  la  Société  des  Auteurs  soit  ou  non  une  société 
civile,  elle  n'en  a  pas  moins  le  droit  d'intervenir  en  justii 
conformément  à  une  jurisprudence  constante,  sans  que  ses 
membres  intéressés  soient  obligés  de  paraître  personnelle- 
ment dans  l'instance.  Cette  solution  garantil  à  L'association 
un  privilège  des  plus  appréciables,  celui-là  même  qui  lui 
fut  tout  de  suite  contesté  par  ses  adversaires. 


Cela  ne  veut  pas  dire  que  l'association  des  auteurs  n'ait 
pas  un  intérêt  pressant  à  cire  reconnue  comme  une  société 
civile  :  la  meilleure  preuve  en  sérail,  d'ailleurs,  L'obstination 
qu'elle  a  montrée  à  en  présenter  loul  au  moins  Les  appa- 
rences, et  à  mettre  en  évidence  les  clauses  du  pacte  social 
qui  accusaient  ce  caractère.  En  1837,  lorsqu'elle  se  donnait 
par-devant  notaire  une  constitution  plus  forte,  que  Les  cir- 
constances commandaient  impérieusement,  elle  revendiquait 
hautement  ce  titre  :  elle  rédigea  ses  statuts,  avec  La  préoc- 
cupation visible  de  réunir  —  et  parfois  d'une  façon  fort 
artificielle  —  toute-  Les  particularités  qu'offre  une  socii 
civile  ;  beaucoup  plus  tard,  en  1905,  Lorsque  ses  statuts 
étaient  soumis  à  une  critique  sévère  et  plutôt  malveillante, 
elle  se  hâta,  par  des  décisions  prises  évidemmenl  pour  les 
besoins  de  la  cause,  d'éclaircir  les  point-  douteux  de  L'acte 
social,  de  trancher  les  questions  qui  pouvaient  prêter 
contestation. 

Les  sociétés  civiles  sont  en  effet  des  personnes  morales, 
ayant  une  existence  juridique  propre  :  cette  qualité,  qui  ne 
leur  était  p.'i-  reconnue  d'une  manière  expresse  par  le  Code 


jurisprudence  en  Belgique,  à  propa    de 
l>,>,  i  ctautew  .  I 


CHAPITRE    IV 

civil,  leur  a  été  longtemps  déniée;  elle  n'a  pas  été  admise 
du  premier  coup  par  les  tribunaux,  et  il  y  a  eu  à  cet  égard 
une  évolution  curieuse  de  la  jurisprudence  dont  il  suffira 
de  rappeler  les  étapes. 

A  diverses  reprises,  les  tribunaux  avaient  jugé  que  les 
assignations  données  dans  l'intérêt  des  sociétés  civiles  pou- 
vaient être  introduites  au  nom  du  gérant  ou  du  liquida- 
teur I  .  Cette  l'acuité  impliquait  évidemment  reconnais- 
sance  de  la  personnalité  morale.  On  en  peut  dire  autant 
d'une  décision  judiciaire  attribuant  aux  créanciers  d'une 
société  civile  un  droit  de  préférence  sur  les  fonds  sociaux, 
par  rapport  aux  créanciers  personnels  des  associés  (2). 

Puis,  eu  présence  de  la  tendance  des  sociétés  civiles  à 
profiter  d'une  législation  plus  libérale  qui  s'appliquait  aux 
iétés  de  commerce,  pour  prendre  la  forme  commerciale, 
et  mettre  ainsi  à  l'abri  de  toute  contestation  leur  existence 
juridique,  il  y  eut  un  recul  de  la  jurisprudence;  il  fut  jugé 
notamment,  et  contrairement  aux  décisions  précédentes,  que 
les  sociétés  civiles  ne  pouvaient  être  valablement  repré- 
sentées en  justice  par  l'entremise  d'un  directeur  ou 
•  ni  3).  Il  est  d'ailleurs  à  remarquer  que  dans  le  temps 
même  où  il-  refusaient  cette  licence  aux  sociétés  civiles, 
les  tribunaux  reconnaissaient  aux  administrateurs  de 
diverses  sociétés,  notamment  de  la  Société  des  Compo- 
siteurs de  musique,  le  droil  d'agir  en  justice  nu  nom  de 
leurs  associés,  sans  qu'il  y  eût  lieu  de  rechercher  si  le  grou- 
pement présentait  effectivement  le  caractère  d'une  société 

!    Voir  Cour  de  Pari»,  6  mars   1849   Sirey,  19,  i.  127;  Dalloz,  19,  2,  180  ; 
on,   il  février  1859   Dalloz,  59,  L,   113),  el  s  décembre  1862 
(DaU 

ï  Voir  Orléa  ■  •  :  i  I    Sire      10,  2,  113;  Dalloz,  69,  2,  185  :  dans  le 

1  décembre  1861   Dalloz,  68,  2,  I  i 

72    2,    197;    Dalloz,   73,   2,   103).   Kn   sens 
Dalloz,  1878,  2,  2 


LE  STATUT  LEGAL  DE  LA  SOCIÉTÉ 

civile.  Il  est  vrai  que,  dans  [affaire  intéressai  La  Société 
des  Compositeurs,  la  Cour  de  Douai,  aussi  bien  que  La  Cour 
de  cassation,  semblait  exiger,  pour  que  L'assignation  lui 
favorable,  qu'elle  mentionnât  les  nom-  des  auteurs  l'- 
en même  temps  que  ceux  des  administrateurs  intervenant 
en  qualité  de  simples  mandataires    I  . 

«  Les  membres  du  syndicat  de  cette  Société,  disaii  Le 
rapporteur  à  la  Cour  de  cassation,  M.  de  Larouverade,  ne 
peuvent  donc  agir  seuls  en  justice,  pour  La  défense  des 
intérêts  des  auteurs  ou  compositeurs,  par  exemple  Lorsqu'il 
s'agit  du  recouvrement  des  droits  dus...  Ils  ne  sont,  à  vrai 
dire,  en  pareil  cas,  que  des  mandataires  <i<1  /tr//o//<r.  char§ 
de  procéder  au  mieux  des  intérêts  des  membres  de  L'asi 
ciation  ;  c'est  pourquoi,  à  côté  de  leurs  noms,  figurent 
comme  requérants,  dans  les  exploits  de  citation,  Les  auteurs 
ou  compositeurs  »  (2). 

M.  Labbé,  qui  refusait  d'ailleurs  à  la  Société  des  Compo- 
siteurs de  musique  le  caractère  de  société  civile,  se  pronon- 
çait dans  le  môme  sens,  dan-  le  commentaire  qu'il  donnait 
de  l'arrêt  de  la  Cour  de  Douai. 

«  Les  membres  du  syndicat,  écrivait-il,  -<>nt  des  manda- 
taires désignés  à  l'avance,  par  suite  d'un  accord  <*l  <1  une 
élection,  chargés  de  recouvrer  des  créances  qui  appar- 
tiennent individuellement  aux  sociétaires.  M-  ae  peuvent 
agir  et  instrumenter  en  justice  que  comme  des  mandatai] 
II-  doivent  faire  figurer  dans  ton-  Les  actes  <l<-  La  procédure 
leurs  mandants,  Les  véritables  intéressés,  les  auteurs  dont 
Les  œuvres  ont  été  exécutées,  el  les  droits  méc us    3  . 


1  Douai,  I!  juillet  1882,  Société  det    Uiteurs,  Editew 
musique   Sin  >;  Dali../,  s:;.  2,  L53    el  Cassation    - 
Dalloz,  85,  I. 

2  Annales  <i<-  in  propriété  industrielle^  \^s 

Note  sous  l'arrêt  de  Douai  précité  'lu  11  juillet  [t 


CHAPITRE   IV 

Ainsi,  les  administrateurs  de  la  Société  lyrique  n'étalent 
que  de  simples  mandataires,  des  personnages  d'arrière- 
plan  :    il   étaii    essentiel  que  l'instance  fût  introduite  par 

les  auteurs  lésés  (I).  Celle  décision  était  beaucoup  plus 
timide  que  celle  qui  avait  été  rendue  en  1866  à  rencontre 
de  Besselièvre,  dans  une  affaire  où  les  auteurs,  intéressés  au 
même  titre,  n'avaient  pas  paru  dans  la  procédure. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  thèse  de  la  personnalité  morale 
des  sociétés  civiles  semblait  abandonnée  par  les  tribunaux 
eux-mêmes,  qui  en  avaient  pris  l'initiative,  lorsque,  par  deux 
arrêts  successifs,  la  Cour  de  cassation  la  consacra  expressé- 
ment 2  ;  si  elle  est  encore  discutée  en  doctrine,  cette  thèse 
s'appuie  aujourd'hui  sur  une  jurisprudence  très  ferme  (3). 


I»'-  la  personnalité  morale,  reconnue  aujourd'hui  aux 
sociétés  civiles,  découlent  de  nombreuses  et  d'importantes 
conséquences. 

Le  droit  d'intervenir  en  justice  par  l'entremise  d'un  repré- 
sentant,  directeur,  gérant,  ou  conseil  d'administration,  ne 
saurait  leur  être  refusé.  Ce  représentant  agira  pour  la  com- 
munauté, qoe  point  en  simple  mandataire,  mais  en  défen- 
seur des  intérêts  collectifs. 

D'autre  part,  l'actif  social  n'est  pas  indivis  entre  les  asso- 
ciés :  il  forme  un  patrimoine  distinct,  qui  constitue  l'avoir 
de  la  communauté,  et  qui  échappe  à  Ions  les  contre-coups 


h-  le  an  me  sens,  roir,  pour  les  cercles,  Cour  de  cassation,  1  décembre 
1,244   et 3 décembre  L889  (Sirey,91, 1,525; Dalloz, 90, 1, 105). 
ier  isîii    Sire;  el  Pandectes,  92,  1,  ''■'•  :  2  mari 
PandecU  .  W7;  Dalloz,  91,  I,  3 

Lion,  2  janvier   1894    Sirey,  94,  L,  129;  Dalloz,  94,  1,  si  ; 
Dalloz,  99,  i,  593);  Lyon,  3  juillet    1900   (Journal   l.<>   LoU 


LE   STATUT   LÉGAL    DE   LA    SOCIÉTÉ  245 

que  pourrait  avoir  sur  elle  la  situation  propre  de  chacun 
des  membres.  Ce  patrimoine  forme  le  gage  des  créanciers  de 
la  Société,  à  l'exclusion  <l<is  créanciers  personnels  des  asso- 
ciés. Aucune  compensation  n'est  possible  entre  les  sommes 
dues  à  la  Société  par  un  tiers,  cl  ce  qui  esl  dû  à  ce  tiers  par 
un  des  associés.  Celle  conséquence  esl  particule  rement  pré- 
cieuse pour  la  Société  des  Auteurs  :  car  il  arrive  fréquem- 
ment que  des  directeurs  de  théâtre  refusent  de  payer  les 
droits  convenus,  alléguant  des  créances  particulières  qu'ils 
ont  à  faire  valoir  contre  l'auteur.  Celle  excuse,  si  elle  étail 
admise,  risquerait  de  troubler  gravement  la  régularité  des 
versements  que  les  directeurs  font  à  la  Société,  et  le  bon 
fonctionnement  de^  agences  générales  :  elle  sérail  égale- 
ment funeste  pour  les  écrivains  qui.  sous  couleur  de  compen- 
sations plus  ou  moins  justifiées,  se  verraient  souvenl  priver 
des  droits  qui  leur  sont  dus,  ou  engager,  à  leur  corps  défen- 
dant, dans  de  longues  procédures. 

La  Société  interviendra  heureusement,  faisant  valoir,  non 
la  créance  personnelle  de  ses  membres,  pour  le  compte 
desquels  elle  opère,  mais  le  droit  qui  lui  appartient  en  propre 
de  poursuivre  l'exécution  des  traités  qu'elle  a  conclu-,  et 
notamment  le  versement  des  sommes  que  les  entrepreneurs 
se  sont  engagés  à  lui  remettre,  à  l'occasion  des  spectacles 
qu'ils  donnent. 

Enfin  la   personnalité  civile  permettra  ô   la   Société  des 
Auteurs  de  recevoir  les  libéralités  qui  peuvent  lui  être  faites 
—  celle  éventualité  se  présente  fréquemment  :  les  legs,  les 
donations  qui  lui  sont  parvenus  constituent  une  part  appré 
ciable  de  sa  fortune. 

Antérieurement  à  la  loi  de  1901  sur  le  contrat  d'à 
lion,   la   reconnaissance   d'un   groupement   comme  société 
civile  était  (railleur-   aécessaire,   en   principe,   pour   I 


2i0  CHAPITRE    IV 

mettre  à  L'existence  juridique,  s'il  ne  justifiait  pas,  d'autre 
part,  d'une  autorisation  administrative.  Depuis  1901,  les  asso- 
ciations peuvenl  se  former  librement,  el  administrer  leurs 
intérêts.  Mais,  à  moins  d'avoir  été  déclarées,  elles  n'ont  pas  la 
personnalité.  Si  la  Société  des  Auteurs  ne  constituait  pas 
une  société  civile,  elle  serait  donc,  aujourd'hui  encore,  dans 
la  nécessité,  pour  avoir  une  existence  et  une  action  indé- 
pendantes de  la  situation  personnelle  de  ses  membres,  de  se 
soumettre  à  la  formalité  de  la  déclaration,  ou  de  solliciter,  à 
l'instar  de  la  Société  des  Gens  de  Lettres  et  de  la  Société  des 
Artistes  dramatiques,  une  reconnaissance  d'utilité  publique. 


11  importe  de  remarquer  que  si  la  Société  des  Auteurs  se 
vovail  dénier  le  caractère  de  société  civile,  elle  ne 
pourrait,  malgré  la  diversité  des  clauses  de  ses  statuts, 
se  réclamer  d'aucune  autre  forme  d'association  lui  conférant 
la  personnalité  morale. 

Mu  a  souvent  comparé  la  défense  des  droits  intellectuels  à 
la  défense  des  intérêts  agricoles  ou  industriels;  on  a  dit 
que  !'■  groupement  des  auteurs,  formé  sons  les  auspices  de  la 
Révolution,  était  l<-  premier  de-  syndicats,  (l'est  là  une  image 
qui  peul  être  séduisante,  lorsqu'on  désire  mettre  en  lumière 
le  car  ctère  démocratique  de  l'association.    Il   n'y   faudrait 

voir  un  argument  juridique.  La  Société  des  Ailleurs 
pourrait  •■II-',  le  cas  échéant,  se  réclamer  de  la  loi  de  1884, 
invoquant  le  droil  syndical?  Elle  n'y  doit  évidemmenl  pas 
songi  Créés  dans  l'intérêt  des  patrons  el  «les  ouvriers  — 
aux  termes  de  l'article  i  de  la  loi  —  If-  syndicats  m'  sont 

ouverte  aui   prof — ions  libérales:  ils  ne  peuvenl  être, 
dam  I  'lit  actuel  de  l;i  législation,  un  instrument  de  défense 
1 1  production  littéraire  ou  artistique. 


LE  STATUT  LÉGAL  DE  LA  SOCIÉTÉ  Ji7 

La  Société  des  Ailleurs,  dira-t-on  aussi,  distribue  des 
secours  et  des  pensions.  Elle  subvienl  aux  détresses  des  écri- 
vains  à  qui  la  fortune  n'a  pas  souri,  elle  entretien!  les  litté- 
rateurs vieillis  dans  le  métier;  elle  a  ses  vieillards  el  ses 
infirmes.  Ne  doit-on  pas  voir  en  elle  une  société  de  secours 
mutuels,  et  lui  accorder,  à  ce  titre,  les  franchises  que  la  loi 
du  1er  avril  1898  concède  aux  groupements  de  ce  genre  .' 
Sans  méconnaître  la  pensée  de  générosité  bien  entendue  qui 
inspire  à  la  Société  des  Auteurs  les  larges  sacrifices  qu'elle 
fait  à  l'œuvre  de  mutualité  littéraire,  on  ne  saurait  plier  ses 
statuts  à  la  législation  spéciale  des  sociétés  de  secours 
mutuels.  La  loi  de  1898  notamment,  dans  sou  article  2, 
dénie  le  bénéfice  de  ses  dispositions  aux  associations  qui 
font  à  telle  ou  telle  catégorie  de  leurs  membres,  au  détriment 
des  autres,  des  avantages  particuliers.  Or  nous  avons  vu  que 
les  statuts  de  la  Société  des  Auteurs  distinguent  différentes 
classes  d'associés,  qui,  surtout,  au  point  de  vue  des  retraites, 
n'ont  pas  des  droits  égaux.  La  Société  des  Auteurs  ne  satis- 
ferait donc  pas  aux  conditions  exigées  par  la  loi,  qui  d'ail- 
leurs prescrit  certaines  formalités  obligatoires,  auxquelles  la 
Société  n'a  jamais  songé  à  se  soumettre. 

La  Société  des  Auteurs  ne  serait-elle  pas  une  Société  com- 
merciale? La  l'épouse  ne  saurait  être  douteuse.  Pour  cons- 
tituer une  société  co  m  merci  tle,  il  faudrait  qu'elle  lit  acte 
de  commerce.  Faire  acte  de  commerce,  c'esl  acheter  pour 
revendre.  En  admettanl  qu'on  puisse  assimiler  les  produc- 
tions littéraires  à  un  produit  industriel  ce  qui  sérail  auda- 
cieux, ;i  tout  le  moins  —  il  semble  difficile  de  dire  que  1 1 
Société  des  A  ut. mu--  achète  individuellement  aux  auteurs  des 
manuscrits,  pour  l<i-  revendre  collectivement  plus  cher 
aux  directeurs,  an  bénéfice  des  auteurs  bien  qu'au  fond 
les  choses  se  passent  un  peu  de  cette  façon. 


CHAPITRE   IV 

Quoi  qu'il  en  soit,  et  si  étrange  que  paraisse  la  question 
ainsi  posée,   elle   a    été   soumise  aux  tribunaux,   qui  l'ont 

résolue  par  une  décision  motivée.  Cette  décision  relève 
qu'un  écrivain  ou  artiste  ne  fait  pas  un  acte  de  commerce, 
(ii  louant  ou  en  vendant  sa  propriété  littéraire  ou  artis- 
tique ;  que  dès  lors  la  Société  dont  il  s'agit  a  un  caractère 
éminemment  civil,  qui  ne  la  rend  pas  justiciable  des  tribu- 
naux de  commerce  »  (1). 


* 


Cette  hypothèse  «Hait  encore  envisagée,  et  naturellement 
rtée,  par  M.  Labbé,  qui,  dans  une  consultation  qu'il  consa- 
«iii il  ;i  In  Société  des  Auteurs  et  Compositeurs  de  musique, 
déniait  ;i  ce  groupement  le  titre  de  société,  soit  civile,  soit 
commerciale.  Il  raisonnait  d'une  façon  fort  simple,  sédui- 
sante a  priori^  et  <'ii  apparence  irréfutable.  Passant  en 
revue  les  différentes  sortes  de  sociétés  prévues  parla  légis- 
lation en  vigueur,  il  constatait  avec  raison  qu'il  était  impos- 
sible de  trouver,  dans  Les  différentes  catégories  légales,  une 
place  «>ù  cette  association  pût  rire  à  son  aise  :  aussi  n'hésitait- 
il  pas  a  lui  refuser  catégoriquement  la  qualité  de  société 
civile  qu'elle  revendiquait  : 

Ce  genre  d'association,  écrit  M.  Labbé,  ne  rentre  dans 
aucune  des  catégories    de  sociétés  auxquelles  le  Code  de 

mmerce  reconnaît   le  caractère  de  personne  morale.    Ce 
n  est  ni  une  société  <'ii  nom  collectif  «'Ile  se  révélerail  par 

Une  raison  sociale  composée  de  noms  de  personnes),  ni  une 

iété  en  commandite   point  de  distinction  en  deux  classes 
•I  associés  .  ni  une  société  anonyme,  Laquelle,  quoiqu'elle  ne 


i   Tribunal  de  commerce  de  Marseille,  9  février  1880  Journal  dejurispru- 

■     si  Mme  ile  \\n,  ,  ,u,.   ■  \Q    i.  n  < 


LE  STATUT  LÉGAL  DE  LA  SOCIÉTÉ 

porte  aucun  nom  de  personne,  repose,  comme  Les  précé- 
dentes, sur  un  contrai  entre  des  personnes  indéterminées  ; 
la  faculté  de  céder  ses  actions  n'empêche  pas  que  le  nombre 
des  sociétaires  ne  soit  déterminé,  ainsi  que  le  capital  :  les 
nouveaux  venus  sont  au  droit  des  contractants  primitifs. 
Dans  notre  association,  aucun  lien  contractuel  durable 
n'existe.  C'est  une  confrérie  ouverte,  don!  1»'  personnel  es! 
incessamment  variable  ;  c'est  un  cadre,  qui  reçoit  des  sujets 
destinés  à  se  diversiiier  et  à  se  multipliera  l'infini. 

«  On  pourrait  avoir  la  pensée  d'y  trouver  une  société  à 
capital  variable.  Cela  ne  nous  parait  pas  exact.  La  société  à 
capital  et  à  personnel  variables  doit,  avant  tout,  être  une 
société,  avoir  un  fonds  commun  exploité  au  profil  commun 
des  associés  ». 

N'étant  ni  une  société  en  nom  collectif,  ni  une  société  en 
commandite  ou  par  actions,  ni  une  société  à  capital  variable, 
il  semble  que  l'association  des  compositeurs  —  ei  la  Société 
df-  Auteurs  dramatiques  du  même  coup  —  soient  des  moins 
fondées  à  réclamer  le  titre  de  société. 

.Mais,  pour  que  la  démonstration  fût  complète  et  probante, 
il  eût  fallu  égalemenl  que  le  savant  jurisconsulte  prouvât, 
qu'à  moins  de  s'adapter  à  l'une  ou  l'autre  de  ces  formules, 
ces  groupements  littéraires  ne  pouvaient  prétendre  à  l'exis- 
tence. 

Hors  de  là,  point  <le  salut,  semble-t-il.  Posons  la  question 
d'une  autre  façon,  et  non»  verrons  qu'il  n'eu  est  plus  de 
même.  Au  lieu  de  forcer  le>  statuts  de  l'association  des 
auteurs  dramatiques  a  s'harmoniser  avec  les  catégories 
définies  par  la  législation,  demandons-nous  si,  en  dehors 
des  combinaisons  ainsi  classi fiées,   ce  groupement  remplit 

les  conditions  exigées,  uécessaires  et  suffisantes  i tn 

pour  lui  conférer  I"  qualité  de  wx  pant  h  personnalité 


250  CHAPITRE    IV 

morale  :  car  toutes  les  sociétés,  quelle  que  soit  leur  forme 
ou  leur  objet,  présentent  certains  caractères  communs  que 
l'on  peu!  dégager  sans  effort  du  Code  civil.  Dès  que  ces  carac- 
tères se  rencontreronl  dans  un  groupement,  nous  en  conclu- 
ion  >  que  nous  sommes  en  présence  d'une  société  civile, 
don!  la  personnalité  morale  ne  saurait  être  mise  en  doute. 

Aux  termes  de  l'article  1832  du  Gode  civil,  «  la  société  est 
un  contrai  dans  lequel  deux  ou  plusieurs  personnes  mettent 
quelque  chose  en  commun,  dans  la  vue  de  partager  le 
bénéfice  qui  pourra  en  résulter  ». 

11  y  a  donc  trois  choses  que  les  statuts  d'une  société 
civile  doivent  obligatoirement  prévoir  ;  c'est  : 

1°  Un  apport  fait  à  la  communauté  par  chaque  associé  ; 

2    La  réalisation  de  bénéfices  ; 

3°  Le  partage  de  ces  bénéfices. 

La  Société  des  Auteurs  possède  d'abord  un  fonds  commun 
en  argent,  alimenté  par  ses  membres,  qui  lui  permet  de 
vivre.  Nous  ayons  vu  que  les  sociétaires  versent  en  entrant 
une  -oui  me  de  i-00  francs,  et  que  tous  les  associés,  à  quelque 
titre  qu'ils  appartiennent  à  La  communauté,  subissent,  sur 
les  droits  d'auteur  qui  leur  reviennent,  un  prélèvement  fixé 
par  les  statuts. 

Lexist  ace  de  ce  fonds  commun,  mis  en  évidence  par  les 

statuts,  avec  la  louable  préoccupation  d'accuser  le  caractère 

de  société  civile,  auquel  prétend   L'association  des  auteurs, 

n'a   pas  paru  à  tous  les  jurisconsultes  satisfaire  aux  exi- 

ices  du  Code  ch  il. 

Il  existe  un  fonds  commun,  écril  M.  Huard,  formé  de 

rtains  versements  el  de  certaines  retenues;  mais  chaque 
auteur  garde  la  propriété  de  ses  oeuvres.  Dans  ces  conditions, 
on  n<-  saurail   admettre  que  La  Société,   quoi  qu'en  disent 

le*  statuts,   M>i1  une  société  civile.  Il   n'y  a  p.'is  d'apport  réci- 


LE    STATUT    LEGAL    DE    LA    SOCIÉTÉ  VI 

proque,  on  vue  départager  le  bénéfice  qui  pourra  en  résulter. 
Ce  fonds  commun  a  pour  objet  d'assurer  le  fonctionnement 
de  la  Société  el  La  distribution  des  secours  :  ce  qu'on  se 
propose  d'exploiter,  ce  n'est  pas  le  fonds  commun,  mais  la 
propriété  des  œuvres  dramatiques,  et  cette  propriété  u'esl 
pas  dans  l'indivision.  La  Société  des  Auteurs  el  Compo- 
siteurs dramatiques  est  donc  une  simple  association, 
laquelle  les  dispositions  du  Code  civil  ne  son!  pas  applicables  : 
elle  n'est  pas  personne  morale  »   (1). 

L'auteur  insiste  avec  raison  sur  cette  idée,  que  l'apport  de 
capitaux  fait  par  les  membres  de  la  Si  ciété  n'est  pas  de 
nature,  à  lui  seul,  à  lui  donner  le  caractère  de  société  civile. 
Mais  cet  apport  en  argent,  constitué  par  les  versements  des 
sociétaires,  et  par  les  retenues  opérées  sur  les  droits  d'auteur, 
a  seulement  pour  objet  de  subvenir  aux  charges  de  l'Asso- 
ciation, au  loyer,  aux  frais  judiciaires,  etc...  Il  faut  aussi 
se  demander  quel  est  le  but  véritable  de  l'association,  si, 
pour  atteindre  ce  but,  ses  membres  ne  mettent  pas  effecti- 
vement en  commun  quelque  chose  d'autre,  qui  permette  <!<■ 
les  considérer  comme  des  associés  engageant  une  partie, 
une  lutte,  dont  l'heureuse  issue  leur  assurera  des  gains  plus 
considérables. 

Orcelan'e>l  pas  douteux,  m  l'on  veut  bien  y  regarder  de  près. 
Visiblement  influencé  par  l'organisation  de  la  Société  des 
Gens  de  Lettres,  donl  les  membres  mettent  dans  l'indivision, 
sauf  réserve  expresse  de  leur  part,  l<'  droit  de  reproduction 
de  leurs  œuvres,  avec  faculté  de  le  faire  valoir,  et  d  en  retirer 
les  bénéfices,  l'auteur  de  1;»  citation  a  considéré  qu'il  n  existe 
aucune  disposition  analogue  dans  la  Société  des  tuteurs  : 
les  membres  ne  font  pas  abdication,  au  profit  delà  commu- 


l    Huard,  Traité  de  In  propriété  industt  ell*  .  ton*    i 


CHAPITRE    IV 

nauté,  du  droit  de  la  représentation  de  leurs  œuvres,  puisque, 
même  lui  dehors  de  toute  réserve,  ils  conservent  toujours 
la  Faculté  d'en  interdire  l'interprétation.  Mais,  si  les  auteurs 
n'en  on!  pas  disposé  d'une  façon  absolue,  s'ils  ne  se  sont  pas 
entièrement  dépouillés  au  profit  du  corps  social  — ce  qui 
eût  été  imprudenl  de  leur  part,  et  contraire  à  leur  indépen- 
dant' —  iN  se  sont  du  moins  Hé  les  mains,  quant  aux 
conditions  d'exploitation  de  ce  droit. 

En  prenant  l'engagement  de  ne  pas  porter  leurs  pièces  à 
des  théâtres  sur  lesquels  la  Société  n'aurait  pas  encore  étendu 
['empire  de  ses  lois,  de  ne  pas  accepter  une  rémunération 
Inférieure  au  taux  qu'elle  impose  dans  ses  traités,  les  asso- 
ciés  ont  véritablement  fait  abandon  à  la  cause  commune  du 
meilleur  et  du  plus  précieux  de  leurs  droits,  de  ce  qui  en 
fait  la  valeur,  l'étendue  et  la  portée.  Ils  se  sont  effacés 
devant  la  communauté,  lui  laissant  le  soin  de  contracter  à 
leur  place,  de  faire  valoir  leur  propriété  avec  plus  de  fermeté, 
de  réunir,  en  un  faisceau  plus  solide  et  plus  compact,  des 
intérêts  qu'ils  n'avaient  plus  In  force  de  défendre.  Comment 
dire  qu'ils  n'onl  pas  disposé,  dans  un»'  très  large  mesure,  de 
leur  droit  de  représentation,  déclaré  cessible,  en  tout  ou  en 
partie,  par  la  loi  de  1793 ?  Gomment  dire  qu'ils  n'ont  pas 
mis  quelque  chose  en  commun,  et  qu'ils  n'onl  pas  dès  lors 
satisfait  ."■  la  définition  que  donne  le  Code  civil  de  la  Société 
particulièi 

icle  1841.  —  La   société  particulière  <i>l  celle  qui  ne 
Rapplique   qu'à    certaines    choses    déterminées,  ou  à    leur 
■  M  aux  fruits  à  percevoir. 

Artk  i  i    I8i2.       1  ,e  contrai  par  lequel  plusieurs  personnes 
ient,      >i1    pour  une  entreprise   désignée,   soif   pour 
I  •■  de  quelque  métier  ou  profession,    est  aussi  une 

particulière 


LE  STATUT  LÉGAL  DE  LA  S0C1EIK 

On  voudrait  en  vain  comprendre,  dans  une  même  forme, 
plus  de  combinaisons  diverses  et  multiples  que  ces  •  i  *  - 1  i  1 1  i  i  i  <  as 
ne  semblent  en  admettre.  Au  nom  de  quels  princii 
refuserait-on  donc  un  statut  légal  à  une  société  dont  les 
membres  mettent  en  commun  les  droits  les  plus  sacrés  et  les 
plus  intangibles  qu'ils  détiennent,  ou  tout  au  moins  la  mise 
eu  valeur  de  ces  droits,  sans  laquelle  ceux-ci  demeureraient 
incertains  et  diminué-?  N'est-ce  pas  là  par  excellence  une 
association  destinée  à  favoriser  une  entreprise,  à  seconder 
nue  profession,  des  plus  nobles  assurément,  mais  qui 
risquerait,  sans  cet  appui,  d'être  des  plus  misérables  et  des 
plus  amoindries? 

Il  reste  à  se  demander  si  cette  union  esl  féconde,  -i.  de 
cette  entente  et  de  ces  sacrifices  communs,  résulte,  qoe  seu- 
lement un  appui  moral,  mais  un  profit  appréciable  en 
argent. 

Les  bénéfices?  mais  ils  sont  nombreux  et  considérables. 
Il  v  a  d'abord  ceux  qui  résultent  de  l'action  commune 
substituée  aux  contrats  particuliers.  Il  n'esl  pas  besoin  de 
démontrer,  que  si  chaque  auteur  agissait  pour  -<»u  propre 
compte,  il  n'obtiendrait,  la  plupart  du  temps,  qu'une  rétribu- 
tion dérisoire,  par  rapport  au  traitement  qui  lui  est  fait, 
grâce  ii  l'intervention  de  la  Société. 

Il  suffit  de  rappeler  que,  du  temps  de  Corneille,  où  chacun 
faisait  ses  affaires  par  lui-même,  une  pièce  de  théâtre 
s'achetait  pour  quelques  écus.  C'était  l'âge  d'airain  :  nous 
en  sommes  loin.  Et  quels  bénéfices  son!  plus  exactement 
répartis  que  ceux-là,  puisque  chaque  auteur  retire  tout 
qu'a  produit  son  œuvre  littéraire,  sauf  les  prélèvement* 
opérés  par  la  Société?  Le  gain  de  chaque  membre,  dana 
l'association  qui  nous  occupe,  esl  bien  réellemenl  projx 
tionnel  à  la  valeur  de  son  apport, 


254  CHAPITRE    IV 

La  Société  elle-même  profite  de  cet  état  de  choses.  Car  sa 
prospérité  est  intimement  liée  à  celle  de  ses  membres.  Si 
chaque  associé  tire  parti  de  l'organisation  commune,  elle  y 
trouve  également  dos  profits  appréciables,  qui  lui  permettent 
de  distribuer  des  secours  et  des  pensions,  de  créer  et  de 
développer  des  services  d'une  utilité  générale.  Il  y  a  plus  ; 
une  partie  de  ces  ressources  est  mise  en  réserve,  toutes 
dépenses  payées,  et  constitue  pour  la  Société  un  fonds  de 
bénéfices  partageables. 

Le  partage  des  bénéfices  est-il  prévu  dans  l'acte  social? 
L'article  8  des  statuts  dit  expressément  qu'ils  seront  répartis 
au  nuire  le  franc,  et  au  prorata  des  versements  faits  par  les 
copartageants,  en  raison  du  prélèvement  effectué  sur  les 
droits  d'auteur.  Ici  encore  chaque  membre  retirera,  dans  la 
mesure  où  il  a  apporté.  Plus  il  a  produit,  plus  il  touche. 

En  1879,  un  partage  eut  lieu,  lors  de  la  liquidation  de 
l'ancienne  Société  :  à  cette  époque,  les  bénéfices  mis  en 
réserve  furenl  répartis  entre  les  associés,  en  même  temps 
que  les  autres  éléments  du  fonds  social. 

Ponds  postiche  »  s'écriait  un  des  adversaires  de  la 
iété,  lors  du  procès  de  190.*),  en  parlant  de  ce  fonds  de 
bénéfices  partageables.  Ce  n'était,  remarquait-il,  qu'une 
feinte  habile,  à  la  portée  d'ailleurs  de  toutes  les  associations 
désireuses  «I  échapper  à  la  législation  particulière  qui  leur 
était  imposée,  pour  revendiquer  b'  statul  de  société  civile. 
Lu  fait,  la  Société  ne  procédait  jamais  au  partage,  sinon 
par  acte  testamentaire,  !«•  jour  où  *'ll<'  cessail  d'exister. 

Emue  par  avance  des  attaques  dont  elle  allai!  être  l'objet, 

au  cours  de  ce  procès,  la  Société  avait  d'ailleurs  modifié  le 

tatuts.  L'ancienne  formule,  relative  au  partage 

des    bénéfices    était,   suivant   l'expression  du   rapporteur  à 

1  Assemblé*  raie  de  1904,  -  hérissée  de  négations  ». 


LE  STATUT  LEGAL  DE  LA  SOCIETE  255 

«  Ce  partage,  disait  l'ancien  article  8,  ue  pourra  avoir  lieu 
que  sur  la  proposition  qui  sera  faite  à  l'Assemblée  générale 
par  la  Commission,  lorsqu'elle  le  ju_  mvenable,  el  autant 

que  l'adoption  en  sera  votée  par  Les  deux  tiers  des  socié- 
taires, ou  consentie  par  eux  par  adhésioD  postérieure 

Cette  répartition,  entravée  par  tl»s  formalités  imposantes, 
et  annoncée  sous  une  forme  négative,  semblait  vraiment 
ne  figurer  dans  l'acte  social  que  pour  donner  à  l'association 
une  apparence  de  légalité  —  et  de  fail  ce  dut  être  la  pensée 
intime  des  rédacteurs  des  statuts.  Quoi  qu'il  en  soit,  sur  les 
conseils  de  son  éminent  avocat,  Me  Poincaré,  la  Société, 
pressentant  les  orages  prochains,  changea  la  formule.  Ou 
peut  lire  aujourd'hui  dans  l'article  8  des  statuts  : 

«  Ce  partage  aura  lieu  sur  la  proposition  qui  sera  faite  à 
l'Assemblée  générale  par  la  Commission,  lorsqu'elle  le 
jugera  convenable,  et  à  la  condition  que  l'adoption  en  sera 
votéo  parles  deux  tiers  des  sociétaires  en  possession  du 
droit  de  vote,  ou  consentie  par  eux  par  adhésion  posté- 
rieure ». 

Le  texte  est  certainement  moins  rébarbatif;  il  semble 
bien  laisser  quelque  espoir  à  ceux  qui  seraient  animés  du 
désir  de  partager.  En  fait,  cela  n'a  pas  changé  grand'chose. 
Il  n'y  aura  pas  plus  de  partages  qu'autrefois  :  l«i-  membres 
de  l'association  ne  toucheront  toujours  les  bénéfices  mis  en 
réserve  qu'an  cas  où  la  Société  viendrait  à  être  liquidée  à 
nouveau. 

Cela  a-t-il  beaucoup  amélioré  la  situation  juridique  delà 
Société?  Nous  avons  peine  à  le  croire.  Il  serait  vraiment 
singulier  que  le  sort  d'un  groupement  fût  fixé  par  quelques 
mots  <'ii  plus  ou  en  moins.  Lin  changement  d'étiquetle  ae 
saurait  suffire  à  rendre  légal  ce  qui  ne  I  était  pas. 

Mais,  en  réalité,  tout  cela  u'a  pas  beaucoup  d'importan 


CHAPITRE   IV 

Peu  importe  que  la  répartition  des  bénéfices  ait  lieu  tous 
les  ans,  ou  à  des  intervalles  très  éloignés,  du  moment  qu'elle 
est  prévue  par  l'acte  social,  et  que  les  dispositions  statu- 
taires sont  aménagées  de  telle  sorte  qu'un  fonds  de  bénéfices 
puisse  être  constitué. 

Et  quand  ce  fonds  commun  serait  illusoire,  et  purement 
Dominai,  la  Société  n'en  satisferait  pas  moins  aux  règles 
posées  par  le  (iode  civil.  Car  à  côté  de  ces  bénéfices,  fort  peu 
considérables,  et  qui  évidemment  ne  tiennent  pas  à  l'exis- 
tence  même  de  l'association,  il  y  a  les  gains  que  chaque 
membre  retire  de  l'action  commune,  de  l'intervention  de 
l,i  Société  dans  le  règlement  de  ses  droits.  Ces  gains, 
m  mi-  l'avons  vu,  sont  certains,  et  très  appréciables;  les  cons- 
tituer, les  accroître,  les  multiplier,  tel  a  été  le  but  des  efforts 
cl  <l.'  l'activité  de  la  Société  depuis  sa  fondation;  ils  ne  sont 

jurés  aux  auteurs  que  par  l'entremise  de  l'association  ; 
cela  es!  tellement  vrai  que  les  directeurs  versent  les  rede- 
vances convenues,  non  pas  aux  auteurs,  mais  à  la  Société, 
qui  -••  charge  dr  les  faire  parvenir  aux  intéressés. 

Il  y  «i  donc  là  une  répartition  de  bénéfices,  qui  a  lieu 
tous  les  jours,  H  qui  n'esl  jamais  interrompue.  Cela  suffit, 
semble-t-il,  à  faire  de  la  Société  «les  Auteurs  une  société 
civile,  constituée  en  vue  de  La  réalisation  cl  du  partage  de 
profits  provenant  de  l'action  sociale  ;  et  cela  distingue 
suffisamment  <•<■  groupement,  de-  associations  régies  parla 
Loi  de  1901,  qui  poursuivent  un  but  purement  idéal  et  théo- 
rique   I  . 

S'il  \  b  chance  de  gains  pour  les  associés,  il  y  a  aussi 
chance  de  pertes.  L'actif  -ceint  d'abord  peut  cire  absorbé 
par  les  charges,  au   lieu  de  permettre  La  constitution  d'un 

1    Voir  dam    le  même   .-<  d -.  un  article  de  M.  Edouard  Mack,  Revue  des 
271. 


LE  STATUT  LÉGAL  DE  LA  SOCIÉTÉ 

fonds  de  bénéfices  pouvant  cire  réparti  entre  les  membres. 
Nous  savons  d'ailleurs  que  les  risques  de  pertes  son!  Limités 
à  la  valeur  des  apports,  qu'en  aucun  cas  La  Société  ne  peul 
se  trouver  au-dessous  de  ses  affaires. 

Mais  ce  n'est  pas  tout.  Rien  n'est  plus  variable,  ei  soumis 
à  des  fluctuations  plus  diverses,  que  les  recettes  Faites  parles 
théâtres.  La  Société  peut  être,  à  chaque  instant,  obligée  de 
baisser  ses  tarifs  d'un  côté,  tandis  qu'elle  Les  relève  d'un 
autre,  tenant  compte  de  la  situation  difficile  ou  prospère 
dans  laquelle  telle  ou  telle  scène  peut  se  trouver.  Dans  La 
lutte  qu'elle  est  amenée  parfois  à  entreprendre  contre  les 
directeurs  récalcitrants,  elle  doit  passer  de  La  menace  ;m\ 
mesures  de  rigueur,  édicter  des  défenses,  prononcer  «l'- 
interdits. Les  premiers  atteints  sonl  Les  auteurs  qui  on!  des 
manuscrits  en]  souffrance  dans  les  théâtres  proscrits,  ou 
ceux  qui  se  préparaient  à  frapper  à  Leurs  portes.  A  chaque 
instant  les  auteurs  qui  font  partie  de  L'association  courent 
des  chances  de  perle,  aussi  bien  au  point  de  vue  de  L'actif 
social,  que  dans  leurs  intérêts  propres. 

Ce  sonl  là  des  vérités  que  ue  sauraient  obscurcir  certain 
clauses  des  statuts  de  la  Société,  celles  notamment  qui  trai- 
tent des  secours  et  des  pensions  distribués  par  ses  soins, 
ou  qui  stipulent  à  -<>n  profil   un   mandat  général  «I  agir  au 

nom  de  ses  membres.  Par  les  retraites  •  '!  les  sec "s  qu  elle 

répartit,  l'association  se  comporte  incontestablement  a  la 
façon  d'une  société  de  secours  mutuels  :  lorsqu  elle  pi-fini 
en  mains,  devant  l<i-  tribunaux,  aussi  bien  qu<'  vis-à-vis  des 
directeurs  de  théâtre,  la  cause  de  ses  membres,  elle  agil  à 
la  façon  d'un  syndicat,  vrillant  aux  intérêts  professionnel* 
d'une  catégorie  de  travailleurs.  !>'•  même,  en  encaissant,  au 
nom  des  intéressés,  l<i-  droits  qui  sont  dus  aui  auteurs,  elle 
fait  office  d'agence  de  recouvrement.  Cela  n'empêche  pas  La 

17 


268  CHAPITRE    IV 

S  [été  de  satisfaire  aux  conditions  que  doit  réunir  toute 
ivile,  de  suivre,  par  conséquent,  toutes  les  règles 
applicables  aux  sociétés  civiles.  Cette  situation  n'a  rien 
d'ailleurs  d'exceptionnel  ;  les  contrats  innomés  sont  les 
plus  fréquents  dans  notre  droit,  et,  pour  ainsi  dire,  il  n'est 

ère  de  contrat,  dans  une  civilisation  avancée,  qui  n'em- 
prunte ses  règles  à  plusieurs  des  types  définis  par  les  lois. 
On  peut  dire,  écrivait  un  jurisconsulte,  que  dans  toute 

iété,  on  trouve  le  contrat  du  mandat,  qu'il  s'agisse  d'exer- 
iiii  mandat  donné  par  les  tiers,  ou  de  gérer  les  intérêts 
des  membres  mêmes  de  la  société,  la  partie  plus  ou  moins 
importante  de  leurs  biens  dont  ils  ont  mis  en  société,  sui- 
\jiit  les  prévisions  de  la  loi,  soit  la  propriété,  soit  la  simple 
jouissance  »  (1). 

Si  L'assimilation  de  la  Société  des  Auteurs  à  une  société 
civile  est  encore  contestée  en  doctrine,  les  tribunaux  l'ont 
admise  de  bonne  heure;  elle  est  aujourd'hui  définitive- 
ment établie  (2). 


I  lès  1838,  H  peine  la  Société  des  Auteurs  venait-elle  de  for- 
muler aettement  La  définition  juridique  qui  se  dégageait  de 
L'espril  des  statuts,  que  ses  titres  étaient  contestés  incidem- 
ment, au  cours  d'un  procès  «m'elle  avait  dû  faire  à  MM.  Deles- 
tre-Poirson  el  Cerfbeer,  directeurs  du  Gymnase.  Les  parties 
invoqua  if  ni,    pour  »u>lraire   aux    obligations    qu'elles 


■  le  précité  de  M.  Edouard  llack. 
I   Parmi  Lei  auteun  qui  refusenl  à  la  Société  des  Auteurs  le  caractère  de 
oir  Labbéi  note  précitée;  Pataille,  Annales  de  la  propriété 

D  Droit  (fauteur,  n°  224. 

ut  Droit  d  auteur )  1895,  page  95.  En   eue  contraire,  iroir  Annales 
Irielle,  1001,  page88i  et  la  note  de  M.  Vaunois;  Constant, 
l'ouillct,  n0i  7o2    et   753;  Le   Senne,  Code  des 
6,  1807,  page  3i. 


LE  STATUT  LÉGAL  DE  LA  SOCIÉTÉ 

avaient  contractées,  le  défaut  de  qualité  des  demandeurs, 
c'est-à-dire  de  la  Commission  des  auteur-  dramatiques, 
représentée  par  MM.  Rougemont,  Dupaty,  Scribe,  Méles- 
ville,  Adam,  Alboize  Anicet,  Fonlan,  Halévy,  Dupeuty,  Pic- 
cini,  Viennet  et  Brazier,  agissant,  tant  en  leur  aom  person- 
nel, que  comme  commissaires  des  auteurs. 

Me  Yatel,  agréé  des  directeurs,  soutenait  qu'ils  n'avaient 
pas  qualité  pour  réclamer  devant  les  tribunaux  L'exécution 
des  traités  intervenus  avec  l'association. 

«  Les  contrats,  disait-il,  n'existent  qu'autant  qu'ils  ont 
été  consentis  par  les  parties;  or,  le  traité  de  1832  (qu'il 
s'agissait  d'interpréter)  n'est  pas  un  acte  passé  entre  le  Gym- 
nase, et  ceux  au  nom  desquels  on  demande  les  représenta- 
tions; il  est  revêtu  de  la  signature  d'auteurs  se  qualifiant 
de  commissaires,  dont  la  plupart  n'existent  plus,  et  venant, 
contre  les  dispositions  de  la  loi,  stipuler  au  nom  de  tiers 
qui  ne  leur  avaient  donné  aucun  pouvoir...  »  (1). 

Le  tribunal  de  commerce  de  la  Seine  repoussa  l'excep- 
tion, «  considérant  que  l'Association  des  Auteurs  drama- 
tiques n'a  rien  d'illicite;  que  les  directeurs  l'ont  reconnu,  en 
traitant  avec  elle,  et  depuis,  par  le>  offres  qu'ils  lui  ont 
signifiées;  que  c'est  à  tort  qu'aujourd'hui  il-  prétendraient 
se  soustraire  à  leurs  engagements  ». 

A  vrai  dire,  ce  jugement  n'est  pas  très  concluant.  Il  se 
borne  à  constater  que  l'adversaire  est  de  mauvaise  foi,  el 
s'est  mis  en  contradiction  avec  lui-même  :  il  évite  de  se  pro- 
noncer sur  le  point  intéressant,  de  dire  si  l'association  est 
une  société  civile,  ou  une  simple  agence  d'affain 

La   question  est  au  contraire  très    nettement    po 
résolue  en  1857.  La  Société  des  Auteurs,  représentée  par  sa 


(1)  Gazette  des  tribunaux,  29  mai      S  et  3  »vril  1838. 


CHAPITRE    IV 

nmission,  avait,  en  son  nom  propre,  engagé  une  ins- 
tance  devant  le  tribunal  de  commerce  contre  M.  Billion, 
directeur  du  Théâtre  impérial  du  Cirque;  elle  lui  réclamait 
une  somme  de  cent  quinze  francs,  pour  les  droits  dus  à  rai- 
son d'une  représentation  de  la  Tour  Saint- Jacques-la- Bou- 
cherie^ d'Alexandre  Dumas  père. 

Le  directeur  alléguait  que  le  tribunal  civil  était  déjà  saisi 
dune  demande  formée  par  lui  contre  Alexandre  Dumas,  en 
remboursement  d'une  somme  de  1,708  francs,  qu'il  avait 
avancée  à  l'auteur  :  au  fond,  il  opposait  la  compensation, 
prétextant  que  la  Société,  mandataire  des  auteurs,  ne  pou- 
vait avoir  plus  de  droits  qu'eux-mêmes,  et  se  trouvait  sou- 
mi  se  aux  mêmes  exceptions. 

Le  tribunal  lui  donna  tort  sur  tous  les  points.  A  son  avis, 
il  il  y  avail  pas  lieu  à  surseoir  :  car  l'instance  introduite 
devant  le  tribunal  de  commerce  ne  concernait  pas  les  par- 
ti»- en  cause  devant  le  tribunal  civil  ;  tandis  que,  devant  la 
li  juridiction  commerciale,  Dumas  était  nommément  assigné 
par  Billion,  c'était  la  Société,  et  non  l'auteur  qui  se  présen 
tait  contre  Billion  devant  la  juridiction  civile. 

Au  fond,  il  repoussait  la  compensation,  estimant  que  la 
S  iété  des  Auteurs  •  représentait,  à  l'égard  de  Billion,  une 
collection  d'intérêts,  et  un  être  moral,  auquel  ne  pouvait 
fctre  opposée  La  situation  personnelle  de  chacun  de  ses 
membres       I  . 

Le  tribunal  n'hésitait  pas  à  reconnaître  le  titre  juridique 

que  revendiquai  La  Société  :  dire  <in  effet  qu'elle  constituait 

"h  être  moral,  dont  L'existence  ne  pouvait  être  affectée  par 

ituation  personnelle  de  ses  membres,  c'était  dire  qu'elle 

étail   bien    une  société  civile   Pourtant,    quelques   années 

Tribunal  de  commerce  de  le  Si  ine,  I  -  avril  1857,  Annales  de  la  propriété 

/<  dt    tribunaux,  18  avril  L 


LE  STATUT  LÉGAL  DE  LA  SOCIÉTÉ  2G\ 

après — et  si  audacieuse  que  pût  paraître  cette  opinion  inter- 
médiaire—  une  décision  judiciaire  lui  déniait  cette  qualité, 
sans  lui  contester  toutefois  des  droits  à  une  existence  juri- 
dique distincte. 

Dans  les  conclusions  présenter-,  en  1865,  devant  le  tribunal 
civil  de  la  Seine,  par  MM.  Emile  Augier,  Legouvé,  Labiche, 
Ln va  et  Maquet,  à  la  suite  du  désaccord  survenu  entre  eux 
et  la  Commission,  les  demandeurs  concluaient  en  premier 
lieu  à  la  nullité  delà  Société  des  Auteurs. 

Pour  soutenir  ce  chef  de  la  demande,  l'avocat  des  auteurs 
en  révolte  contre  les  statuts  alléguait  que  L'association  était, 
non  pas  une  société  civile,  mais  une  simple  société  <l<' 
mandat,  que  telle  avait  été  la  pensée  des  fondateurs  de  la 
Société  en  1829,  aussi  bien  qu'en  1837.  En  1829,  cela  est 
certain;  mais  il  est  non  moins  contestable  qu'en  18371a 
volonté  des  auteurs  était  bien  de  s'organiser  en  société 
civile  :  sur  ce  point,  l'affirmation  de  l'avocat  d<i-  dissidents 
était  des  plus  risquées.  11  analysait  ensuite  l'esprit  des  clauses 
des  statuts.  Le  fonds  social?  Pouvait-on  appeler  ainsi  un  fonds 
inerte,  ne  servant  qu'aux  dépenses  d'administration  de  l'asso- 
ciation? Dans  le  contrat  qui  liait  les  membres  decegroupe- 
ment,  il  n'y  avait,  «m  réalité,  qu'un  double  mandat,  donné 
par  eux,  a  la  Commission,  d'une  part,  aux  agents  généraux, 
de  l'autre.  Tout  au  plus,  la  Société  pouvait-elle  prétendre 
au  titre  de  société  de  secours  mutuels. 

L'avocat  de  la  Commission,  rapprochant  des  statuts  de 
l'association  les  articles  du  Code  relatifs  au  contrat  de 
société,  soutint,  an  contraire,  qu'ils  étaient  en  parfaite 
harmonie  avec  I*'-  formules  légales.  La  société,  n  était 
pas,  en  définitive,  la  mise  en  commun  de  certains  intérêts 
et  des  moyens  de  les  servir  ? 

L'avocat  impérial,  a  son  tour,  développa  des  conclusions, 


CHAPITRE   IV 

dans  lesquelles  il  empruntai  à  la  fois  à  l'argumentation 
des  deux  parties  en  cause,  essayant  «le  concilier  tant  bien 
que  mal  des  opinions  radicalement  opposées.  L'examen  des 
statuts  d«'  la  Société  n'était  pas  sans  lui  inspirer  quelques 
doutes  sur  le  statut  légal  qu'elle  revendiquait. 

L'article  1832  du  Gode  civil,  disait-il,  suppose  la  mise  en 
commun  d'une  chose  productive,  et  l'intention  de  partager 
les  produits  de  cette  chose.  Or,  dans  la  Société  des  Auteurs, 
la  chose  mise  en  commun  n'est  pas  celle  qui  produit  des 
bénéfices,  et  celle  qui  produit  les  bénéfices,  c'est-à-dire  le 
talent  littéraire,  n'est  pas  mise  en  commun. 

Y  avait-il  un  simple  contrat  de  mandat?  Le  ministère 
public  n'allait  pas  jusque-là;  considérant  les  obligations 
que  la  Société  impose  à  ses  membres  —  et  qui  lui  donnent 
mi  caractère  de  coalition  —  les  secours  et  les  pensions  qu'elle 
distribue,  la  défense  commune  qu'elle  organise,  il  estimait 
que  le  contrat,  >aus  être  un  contrat  de  société  civile,  s'en 
rapprochait,  <■!  qu'il  u'y  avait  aucune  raison  de  lui  refuser 
l'application  des  règles  delà  société  civile,  sous  la  protection 
desquelles  il  lui  avait  plu  de  se  placer. 

I.''  raisonnement  était  quelque  peu  singulier.  Il  semblait 
admettre  qu'il  suffit  d'une  étiquette  pour  fabriquer  un  état 
civil,  <-i  qu'on  peut  accorder  à  un  acte  juridique  le  bénéfice 
d'un  statut  I  ms  qu'il  satisfasse  aux  conditions  exigées 

pa  r  I  i  loi  pour  ce  statut. 

lopter  tout  .1  fait  celle  manière  de  voir,  le  tribunal 

rendit  un  jugement,  par  lequel  il  repoussait  la  demande  en 

nullité  des   auteurs  dissidents;   mais  les  considérants  qui 

tivaient  sa  décision  portaient  la  trace  des  discussions  un 

peu  confuses  qu'elle  clôturait  : 

Attendu  que  la  nature  des  contrats  se  détermine,  non 
par  le  titre  qui  lui  a  été  donné,  mais  par  son  objet  principal, 


LE  STATUT  LÉGAL  DE  LA  SOCIÉTÉ 

par  l'ensemble  de  ses  clauses  constitutives,  par  les  stipula- 
tions et  engagements  réciproques  qui  résultent  de  ses  terra 
et  de  son  esprit  ; 

«  Attendu  que,  si  l'acte  passé  le  17  novembre  1837,  entre 
les  auteurs  et  compositeurs  dramatiques,  <it  qualifié  acte  <!•' 
société,  peut  être  considéré  comme  réunissanl  certains 
caractères  de  la  société  civile,  tels  que  la  mise  en  commun 
de  diverses  sommes  constituant  un  fonds  social,  la  partici- 
pation collective  aux  charges  et  aux  moyens  d'exécution  du 
contrat,  la  répartition  entre  les  sociétaires  de  certaines  éven- 
tualités au  prorata  des  versements  do  chacun,  les  autres  élé- 
ments essentiels  de  la  société  définie  par  La  loi,  tels  que  la 
communauté  de  travail,  l'application  du  fonds  social  à  cette 
communauté,  les  bénéfices  résultant  directement  de  cette 
application,  ne  se  rencontrent  pas  dans  cet  acte  : 

«  Attendu  que,  si  l'on  peut  voir,  dans  cet  acte,  quelques 
apparences  d'un  mandat  collectif,  résultant  de  ce  que,  parmi 
les  objetsde  l'association  énumérés  dans  l'article  •'">  des  statuts, 
se  trouvent  la  défense  mutuelle  dt>>  droits  des  associés  vis-à- 
vis  des  administrations  théâtrales,  et  la  perception  à  moindres 
frais  des  droits  des  auteurs,  on  ne  peut  donner  exclusive- 
ment à  ce  même  acte  le  titre  de  mandat,  d'abord,  parce  que 
le  mandat  n'y  figure  que  comme  l'un  des  objets  de  la 
convention,  ensuite,  parce  qu'étant  «le  nature  essentielle 
ment  révocable,  il  ne  peut,  dans  l'espèce,  être  révoqué  que 
dans  certaines  conditions  déterminées  : 

<(  Attendu  que,  n'étant  ni  une  société  véritable,  ni  un 
mandat  caractérisé,  mais  participant  de  l'un  ••!  de  (autre 
de  ces  contrats,  tout  en  empruntant  une  partie  de  leurs 
éléments  essentiels,  l'acte  de  1837  est  une  convention  d'une 
nature  spéciale,  trouvant  sa  force  dans  le  consentement  libre 
de  ceux  qui  \  ont  successivement  adhéré,  réunissant  tout 


CHAPITRE    IV 

I.'-  conditions  requises  pour  la  validité  des  contrats,  et,  à  ce 
titre,  ne  pouvanl  être  résolue  ou  modifiée  que" d'un  consen- 
tement unanime,  ou  dans  les  termes  prévus  par  ces  statuts 
ou  par  la  l»>i    I  . 

Le  jugement    du    tribunal    observait  avec    raison   qu'un 

ih'.it  de  mandat  ne  pouvait  par  lui-même  suffire  à  fonder 
une  société.  M.  Labbé  concluait  dans  le  même  sens,  lorsqu'il 
examinait  les  statuts  de  l'association  (2).  Mais,  comme  il 
paraissait  au  tribunal  qu'il  était  hors  de  propos  de  contester 
;i  ce  groupement  la  qualité  de  personne  morale  et  d'être 
juridique  distinct,  il  n'hésitait  pas  à  en  faire  une  commu- 
nauté  dune  nature  hybride,  intermédiaire  entre  le  contrat  de 
mandat  et  la  Société,  empruntant  à  chacun  de  ces  types 
légaux,  suivant  les  besi  >ins  de  lacause,telou tel  caractère.  Pour 
que  cette  solution  pût  être  admise,  il  eûl  fallu  définir —  ce 
qui  eût  été  dédient  —  les  termes  de  celte  nouvelle  catégorie 
juridique,  dégager  les  traits  communs  de  ce  nouveau  genre 
d'association. 

contrat,  disait-on,  reposait   sur  le   consentement  libre 
des  '  Il  m'  pouvait  être  modifié  que  par  la  loi  ou  la 

volonté  des  contractants?  (Test  le  sort  général  des  contrats; 
encore  fallait-il  démontrer  qu'il  autorisait  la  Société  à 
prendre  le  titre  qu'il  lui  avait  plu  de  se  donner. 

Pendant  quelques  années,  dans  la  suite,  les  tribunaux  se 
montrèrent  moins  accommodants;  c'était  le  contre-coup  de 
la  jurisprudence  restrictive  qui  s'affirmait  à   ce  moment  à 

-  ard  de  toutes  les  sociétés.  Ainsi  la  Cour  de  Douai,  en  1882, 
semblait  bien   dénier  h   la  Société  lyrique  le  caractère  de 

iété  civile.  Et,  si  elle  admettait  que  les  membres  de  la 


iril  de  la  Seine,  28  juillet,  '..  Lie!  18  aoûl  1865;   Gazette  de* 

■     ■   ûi 

1 


LE  STATUT  LÉGAL  DE  LA  SOCIÉTÉ  266 

Commission  pussent  agir  dans  l'instance,  à  côté  d'ailleurs 
des  auteurs  paraissant  en  nom  dans  l'assignation,  c'était 
seulement  pour  «  éviter  des  formalités  impraticables  pour 
les  sociétés  ayant  un  nombre  considérable  de  sociétaires 

Cela  ne  dura  pas.  Si  loi^  des  difficultés  survenues,  en  1 v 
entre  la  Société  des  Auteurs  et  Paulus-Habans,  le  tribunal 
évitait  de  trancher  la  question,  en  1898  il  n'hésita  pas  a  se 
prononcer  en  sa  faveur. 

Lorsqu'à  cette  époque,  la  Société  des  Auteurs  se  vit  obligée 
de  rappeler  la  Société  lyrique  au  respect  des  conventions 
conclues,  celle-ci  prétendit  que  l'association  des  auteurs 
n'avait  pas  qualité  pour  engager  en  son  nom  propre  une 
action  contre  des  tiers  étrangers  à  sa  clientèle.  Elle  se  trou- 
vait, prétendait-elle,  en  face  d'une  simple  société  de  mandat, 
à  laquelle  ses  statuts  de  1837  et  de  1 S7**  n'ouvraient 
d'action  judiciaire: 

1°  Qu'aux  mandants  contre  leurs  mandataires  ; 

2°  Qu'aux  mandataires  contre  leur-  mandants; 

i°  Qu'aux  mandants  associés  les  uns  contre  l«i-  autres. 

Il  était  vraiment  singulier  de  voir  la  Société  lyrique 
contester  à  son  aînée,  pour  les  besoins  «lu  moment,  un  litre 
juridique  qu'elle  avaii  elle-même  toujours  revendiqué.  Et  il 
n'étail  pas  moins  étrange  de  lui  voir  Invoquer  si  tardive 
ment  le  défaut  de  capacité  d'une  association  avec  laquelle 
elle  avait  jusqu'alors  entretenu  des  rapports  étroits  el  fré 
quenls. 

Aussi  l'avocat  de  la  Société  lyrique  s'abstint-il   «I»'  d< 
lopper  cette   partie  de  ses  conclusions.  Le  défenseur  de   la 
Société  des  Auteurs,  au  contraire,  s'attacha  a  démontrer  que 
les  clauses  des  statuts  de  l'association  ne  heurtaient  au< 
nement  les  principes  posés  par  le  Code  civil,  el  le  tribunal 
de  la  Seine  lui  donna  raison.  Il  estima  que  la  S 


CHAPITRE    IV 

Auteurs,  ainsi  d'ailleurs  que  la  Société  lyrique,  avait  été 
constituée  en  conformité  avec  les  dispositions  des  art.  1832 
et  suivants  du  (Iode  civil  :  qu'elle  n'était  pas  une  simple 
agence  de  mandat,  mais  qu'elle  avait  une  existence 
propre,  et  des  Intérêts  communs  distincts  de  ceux  de  ses 
membres. 

La  jurisprudence  est  aujourd'hui  très  fermement  établie 
m  ce  sens.  Elle  s'est  encore  affirmée,  en  1902  (l),dansunjuge- 
menl  du  tribunal  civil  de  la  Seine,  déclarant  «  que  le  carac- 
tère de  société  civile  ne  saurait  être  sérieusement  contesté  à 
la  Société  des  Auteurs  et  Compositeurs  dramatiques  »,  ainsi 
que  dans  un  arrêt  de  la  Cour  d'appel  de  Paris,  en  1903,  con- 
tinuant un  jugement  rendu,  au  profit  de  la  Société,  contre 
un  directeur  de  tournées.  Cet  arrêt  relève  que  la  Société  «  a 
un  droit  propre,  distinct  de  celui  des  auteurs,  dont  elle  est  le 
mandataire  »  (2). 

Les  adversaires  de  la  Société,  devant  l'obstination  des  tri- 
bunaux à  reconnaître  son  existence  juridique,  ont  parfois 
tenté  des  diversions  habiles,  et  cherché  le  point  faible  dans 
telle  ou  telle  clause  de  ses  statuts.  Déjà,  en  1865,  lors  de 
leurs  attaques  contre  l'association  des  auteurs,  MM.  Emile 
\ugier,  Legouvé,  Labiche  etLaya  alléguèrent  que  la  Société 
des  \uteurs,  en  admettant  même  qu'elle  fût  une  société' 
civile,  violerai!  les  prescriptions  du  Code  civil,  parce  que  sa 
dui  i    illimitée,    H    qu'elle    astreint    les    auteurs    — 

atrairemenl  aui  principes  de  notre  droit  —  à  des  vœui 
perpétuels. 

m  doute,  les  statuts  prévoient  l'éventualité  d'une  liqui- 
datioD  au  boni  dune  période  de  vingt-cinq  mis.  (l'est  là  une 


i    'i  Seine,  29  juiUel  L902,  le  Droit,  18  leptembre. 

;   P  >incaré,  dam  m  plaidoirie  pour  la  Société  dei  Au- 
pograpbie  Morris,  page  I  v.\. 


LE  STATUT  LÉGAL  DE  LA  SOCIÉTÉ 

garantie  illusoire.  Pour  que  la  Société  cesse  d'exister,  il 
faut,  aux  termes  des  statuls,  que  deux  tiers  des  sociétaires 
manifestent  leur  volonté  d'y  mettre  fin.  Or  cette  manifesta- 
tion est  matériellement  impossible  :  car,  sur  900  sociétaires 
que  comptait  alors  la  Société,  l'expérience  montrai!  qu'on 
ne  pouvait  en  réunir  plus  de  200.  Dira-t-on  qu'il  suffit  d'ap- 
porter l'adhésion  des  absents?  Mais  il  faut  L'obtenir  dans 
le  mois  qui  suit  l'assemblée  général»'  :  c'est  là  une  nouvelle 
impossibilité'.  En  fait  la  Société  est  perpétuelle. 

Le  tribunal  repoussa  cette  manière  de  voir.  Il  estima  que 
la  Société  n'était  pas,  au  sens  légal  du  mot,  illimitée,  «lu 
moment  que  ses  statuts  lui  assignaient  un  terme.  Peu  im- 
portait que  son  existence  pût  être  prolongée,  puisque,  tbéo- 
riquement  tout  au  moins,  il  dépendait  de  la  volonté'  de  ses 
membres  d'en  arrêter  le  cours.  L'article  1869  du  Code 
civil  ne  pouvait  donc  être  invoqué  pour  les  besoins  de 
la  cause,  et  les  auteurs  n'étaient  pas  fondés  h  réclamer  de 
ce  fait  leur  mise  en  liberté  (1). 

Ce  raisonnement  était  parfaitemenl  juridique.  Peu  im- 
portent les  difficultés  matérielles  qui  peuvenl  entraver  la 
dissolution  delà  Société,  par  le  fait  de  la  négligence  ou  de 
l'indifférence  de  ses  membres,  du  moment  que  la  volonté 
des  associés  peut  s'exprimer  librement. 

Au  cours  du  procès  de  1905,  les  demandeurs  invoquèrent, 
à  l'encontre  de  la  Société,  les  dispositions  de  l'article  lv 
du  Code  civil,  qui  prononce  la  nullité  des  sociétés  où  tous 
les  associés  m>  sont  pas  admis  à  participer  aux  bénéfices. 
Toute  nue  classe,  disait-on.  la  plus  Dombreuse  ei  la  plus 
intéressante,  des  membres  de  la  Société,  sonl  exclus  du  par 
tagedes  bénéfices,  puisqu'aucune  clause  des  b!  ituts  ne  recon 


l    Gatette  des  tribunaux,  29  juillet,  15,  i-'   e(  19  aoûl 


CHAPITRE   IV 

naît  ce  droit  aux  stagiaires.  Donc  l'association  des  auteurs 
est  entachée  de  nullité. 

Cette  nouvelle  objection  ne  portail  pas  plus  que  la  précé- 
dent»1. Nous  avons  vu  que  les  stagiaires,  qui  constituent 
depuis  1879  une  classe  d'associés  véritables,  dans  la  Sociélé 
des  Ailleurs,  ont  réellement  part  aux  bénéfices.  Cette  solu- 
tion résulte,  non  pas,  il  est  vrai,  d'une  clause  expresse, 
mais  de  L'esprit  et  de  l'économie  des  statuts;  il  faut  même 
dire  que,  depuis  la  révision  des  statuts  en  1904,  ils  ont  égale- 
ment part  à  la  liquidation  du  fonds  social.  En  présence  des 
affirmations  de  ses  adversaires,  la  Commission  approuva  les 
termes  d'une  protestation,  qui  ne  laissait  aucun  doute  à  cet 
rd. 

Sans  doute  la  situation  des  stagiaires  n'est  pas  identique 
;i  celle  des  sociétaires,  puisqu'ils  ne  votent  pas,  et  qu'ils 
h  ont  pas  de  retraites.  Mais  cette  différence  de  traitement 
n'emporte  pour  la  Société  aucune  cause  de  nullité.  L'ar- 
ticle 1856  du  Code  civil  autorise  en  effet  la  délégation  à 
certains  membres  d'une  société'  du  droit  de  prendre  toutes 
les  décisions  touchant  à  l'action  et  à  la  vie  commune.  Les 
pensions,  dont  quelques-uns  seulement  sont  appelés  à  pro- 
fiter,  -uni,  il  <■-!  vnii,  payées  sur  les  bénéfices  généraux  de 
l'association.  Mais  l'article  1853  du  Codé  ne  fait  aucun 
obstacle  a  ce  que  le-  profits,  dans  une  société  civile,  soient 
répartis  d'une  façon  inégale  eut  ce  les  différentes  catégo- 
ries d'associés. 

I  situation  de-  stagiaires,  pas  plus  d'ailleurs  que  celle 
def  «nnaires  ou  héritiers  adhérents,   n'est  donc  pas  de 

nature  ;i  porter  atteinte  au  caractère  de  société  civile  reven- 
diqué ;i  juste  titre  par  la  Société  des  Auteurs. 

ictère  n'emporte  pas  seulement,  pour  la  Société,  le 
droit  de  traiter  avec  les  directeurs  de  théâtre,  sans  courir  le 


LE  STATUT  LÉGAL  DE  LA  SOCIÉTÉ 

risque  de  se  voir  objecter  son  défaut  de  qualité,  el  de 
poursuivre  l'exécution  de  ces  traités,  fût-ce  contre  le  gré  des 
auteurs  dont  les  droits  lésés  ont  motivé  sod  intervention. 
Sa  justice  aussi  est  plus  prompte,  et  ne  s'embarrasse  d'au- 
cune entrave.  La  situation  personnelle  de  ses  membres  ne 
peut  lui  être  opposée  lorsqu'elle  réclame  le  paiement  des 
droits  qui  sont  dus  parles  administrations  théâtrales  :  c'est 
ce  qui  ressort  clairement  de  l'arrêt  déjà  ancien,  puisqu'il 
date  de  18o7,  rendu  dans  l'affaire  Billion,  à  propos  des 
droits  d'auteur  d'Alexandre  Dumas. 

Un  arrêt  récent  a  admis  que  la  Société  de-  Auteurs  pou- 
vait, en  tant  que  société  civile,  bénéficier  d'une  libéralité. 
dette  décision  tranchait  une  question  longtemps  douteuse, 
en  admettant,  qu'au  rebours  de-  associations  qod  lucratives, 
les  sociétés  civiles  pouvaient  recevoir  des  dons  et  1<'l-.  sans 
justifier  d'une  autorisation  administrative    I  . 


1   Tribunal  civil  de  la   Seine,   2'.)  juillet   1902,    Bévue   des   Sociélt 
page  61. 

Voir,  en  faveur  de  cette  décision,  un  article  de  M.  Pascaud,  Revue  de  S 
190:>.  page  138;  une  note  de  M.  Mack,  ibid.  1904,  page  '.»'».  Dana  le  même  sens, 
Cour  de   cassation    [Chambre  des    Requêtes  ,    s*   octobre  1894,   «•!    nota    <lr 
M.  Taller  (Dalloz  et  Pandectes,  1896,  1.  146  . 


Le  Monopole  de  la  Société 


Le  Monopole  de  la  Société 


La  Société  des  Auteurs  a  groupé  la  plu  pari  des  écrivains 
dramatiques,  les  plus  connus  et  les  plus  estimés.  Puis,  elle 
a  dit  aux  directeurs  de  théâtre  :  acceptez  ma  loi,  repoussez 
tous  les  ailleurs  étrangers  à  [association,  ou  renoncez  au 
répertoire  de  mes  associés.  Les  directeurs  de  théâtre  ><»nl 
venus  à  elle.  Elle  s'est  alors  retournée  vois  les  écrivains; 
elle  leur  a  dit  :  engagez-vous  à  ne  donner  vos  manuscrits 
qu'aux  directeurs  justifiant  d'un  traité  avec  l<i  syndicat,  ou 
vous  serez  exclus  de  la  communauté,  el  les  établissements 
avec  lesquels  j'ai  passé  des  traités  se  fermeront  devanl  vous. 
Les  auteurs  ont  accepté  cette  loi. 

A  l'heure  actuelle,  il  n'est  pas  d'auteur  qui  ne  ><>il  affilié 
au  syndicat,  parce  que,  >'\\  n'en  faisait  pas  partie,  il  ne 
trouverait  pas  un  directeur  [mur  le  jouer.  Il  n'est  pas  un 
directeur  qui  échappe  à  L'action  de  la  Société,  parce  que, 
s'il  restait  en  dehors,  il  ne  trouverait  pas  un  écrivain  un 
peu  connu  qui  consentît  à  lui  donner  une  pièce. 

Ainsi  tous  les  auteurs  font,  bon  gré  mal  gré,  partie  de 
l'association,  parce  que  tous  les  directeurs  onl  des  traités 
avec  elle,  et  tous  les  directeurs  sonl  li«;-  ù  l'association, 
parce  que  tous  les  auteurs  3  sont  affiliés.  C'esl  là  un  cercle 
vicieux,  cercle  qui  s'est  refermé  peu  à  peu,  jusqu  à  com- 
prendre l'ensemble  de  la  production  dramatique  el  desexpl 
tations  théâtrales  dans  un  même  réseau  d'obligations  étroit 

Aujourd'hui,  la  Société  règne  en  maîtresse  sur  le  man  hé 

dramatique,  réglant  les  cours,  -1  l'on  peut  dire,  édictant,  non 

ia 


CHAPITRE    V 

la  loi  du  maximum,  mais  la  loi  du  minimum;  les  directeurs 
n'en  sonl  plus  à  discuter  ses  ordres.  Les  choses  ont  changé 
depuis  Beaumarchais  :  les  dramaturges,  las  d'être  dé- 
pouillés, ont  tonné  un  hloc,  contre  lequel  tout  assaut  semble 
devoir  être  inutile  ;  mais  eux-mêmes  ont  abdiqué  leur 
Liberté  au  profil  d'un  syndicat,  qui  traite,  qui  décide,  qui 
_  .1  en  leurs  lieu  et  place,  et  ils  se  sont  plies  à  une  disci- 
pline rigoureuse. 

Il  s'agit  là,  à  n'en  point  douter,  d'un  véritable  monopole 
de  fait.  Par  quelles  clauses  se  traduit-il  dans  les  statuts? 
I\ir  le  jeu  combiné  de  l'article  17,  et  d'une  mention  qui 
es!  insérée  obligatoirement  dans  les  traités  généraux  accor- 
dés aux  directeurs  de  théâtre. 

L'article  17  des  statuts  défend  aux  auteurs  affiliés  de  l'aire 
représenter  aucun  ouvrage,  ancien  ou  nouveau,  sur  un 
théâtre,  ou  par  une  troupe  en  tournée,  qui  n'auraient  pas 
de  traité  avec  la  Société.  Quelle  serait  la  conséquence 
d'une  infraction  à  cette  règle?  Une  amende,  qui  ne  peut 
être  inférieure  à  six  mille  francs;  en  outre,  l'auteur  délin- 
quant pourrait  être  exclu  de  l'association,  le  produit  de  ses 
retenues  el  sa  part  du  fonds  social  restant  acquis  à  la 
iété.  C'est,  tout  simplement,  pour  l'auteur,  avec  un  dom- 
mage pécuniaire  Immédiat,  la  perte  de  ses  droits  drama- 
tiques, l'impossibilité  absolue,  par  le  fait  de  son  exclusion 
du  syndicat,  de  continuera  travailler  pour  le  théâtre,  ou, 
du  moins,  de  tirer  de  ses  ouvrages  le  moindre  profit. 

Théoriquement,  en  effet,  les  directeurs  de  théâtre  sont 
libres  de  jouer  qui  bon  leur  semble;  ils  peuvent  représenter 
les  œuvres  d'auteurs  étrangers  a  l'association,  aussi  bien 
qu<-  l«-  répertoire  des  auteurs  affiliés.  La  Société  n'a  pas 
voulu  prononcer  dans  ses  statuts  un  ostracisme  formel,  el 
irer  ainsi   un   trop  évidenl  monopole,  qui  eût  semblé 


LE   MONOPOLE    DE    LA    SOCIÉTÉ 

contraire  à    la    liberté    industrielle.    Ces!    par    des    voies 
détournées  qu'elle  est  arrivée  au  même  but. 

Pour  se  défendre  contre  les  velléités  d'indépendance 
d'auteurs  non  embrigadés  par  «'II»'.  el  contre  leur  concur- 
rence possible,  la  Société  exige  des  directeurs,  par  une 
clause  qui  figure  dans  tous  les  traités  généraux  qu'elle 
accorde,  que  le  tant  pour  cent,  porté  au  contrat,  soif  versé 
par  eux  pour  chaque  représentation,  quand  l»i<iu  môme  la 
pièce  jouée  q 'appartiendrait  pas  au  répertoire  syndical.  Une 
seule  exception  à  cette  règle  <i-l  faite  en  faveur  de  la  pro- 
vince, lorsque  le  spectacle  esl  exclusivement  comp 
d'oeuvres  d'auteurs  étrangers  à  la  Société. 

Ainsi  les  directeurs  restent  libres  —  aucune  l<>i,  aucune 
convention  ne  les  en  empêche  —  d'ouvrir  leurs  portes  aux 
auteurs  indépendants  :  seulement  ils  paieront  encore  à  la 
Société  les  droits  d'auteur,  tels  qu'ils  sont  stipulés  dans  l«' 
traité.  Comme  la  Société  a  pris  soin  de  porter  ces  droits 
peu  près  au  maximum  de  et-  qu'elle  peut  raisonnablement 
prélever,  sans  nuire  à  la  bonne  gestion  du  théâtre,  et  sans 
soulever  de  trop  vives  protestations,  il  u'y  a  plus  place  évi- 
demment pour  la  rétribution  qu'il  serait  juste  «I  allouer  a 
l'auteur  de  la  pièce. 

Pour  qu'un  écrivain  jaloux  de  son  indépendance,  ou 
exclu  de  l'association,  eût  chance  d'être  joué,  il  faudrait 
donc,  ou  qu'il  renonçai  à  tout  profil  matériel,  D'espérant, 
(  mine  les  dramaturges  d'autrefois,  que  la  couronne  de 
laurier  —  tandis  que  la  Société  percevrait  I»1  fruit  de  son 
travail  —  ou  qu'il  rencontrât  un  directeur  généreux,  disp 
à  payer  double  droit  :  la  première  alternative  est  pénible, 
la  seconde  invraisemblable. 

On  peut  se  demander  jusqu'à  quel  point  une  semblable 
clause  est  juridiquement  défendable.  x- 


276  CHAPITRE    V 

aux  kermès  mêmes  îles  statuts,  ont  seulement  mission  de 
percevoir  les  droits  revenant  aux  auteurs  associés.  A  quel 
tihv  peuvent-ils  toucher  aussi  des  sommes  qui,  de  toute 
évidence,  devraienl  appartenir  à  des  écrivains  étrangers  au 
syndicat?  11  y  a  bien  là,  semble-t-il,  pour  la  Société,  un 
enrichissemenl  sans  cause,  provenant  de  droits  indûment 
détenus.  Sans  doute,  la  question  se  posera  rarement  devant 
les  tribunaux  ;  car  bien  peu  de  directeurs  se  mettront  dans 
le  cas  de  verser  des  deux  entés  à  la  fois  ;  ils  préféreront 

irter  l'auteur  qui  ne  fera  pas  partie  de  la  Société.  C'est 
bien  ainsi  que  l'entend  cette  dernière,  qui  fortifie,  par  ce 
moyen,  sa  situation  vis-à-vis  des  directeurs,  comme  vis-à- 
vis  des  auteurs. 

A  quelles  pénalités,  en  effet,  s'exposerait  un  directeur  qui 
refuserai!  «le  se  soumettre,  et  qui,  jouant  un  auteur  indé- 
pendant,  suspendrait  ses  versements  à  la  caisse  sociale?  Ce 
seronl  les  pénalités  prescrites  pour  toute  contravention  aux 
obligations  résultant  des  traités  conclus.  11  sera  mis  en 
interdit,  c'est-à-dire  que  le  répertoire  des  auteurs  affiliés  lui 
sera  retiré  d'un  seul  coup.  Ce  sera  la  ruine  pour  lui,  et,  pour 
»  ii  théâtre,  une  agonie  pinson  moins  lente. 


Il  va  sans  dire  que  la  Société  s'est  gardée  <lc  mettre  eu 
évidence  les  obligations  dans  lesquelles  «'Ile  enfermait  à  la 
fois  les  auteurs  et  les  directeurs  de  théâtre;  aussi,  lorsqu'il 
fui  au  grand  publie,  cel  étal  <lc  choses  ne  laissa-t-il 

pas  'I  exciter  quelque  surprise,  H  «le  soulever  <lc  aombreuses 
critiqu 

D  ibord,  il  peul  paraître  que,  pour  les  auteurs,  ce  soit  la 

le    forcée.    \   diverses  reprises,  des  littérateurs  se  sonl 

plaints,   alléguanl    la    violence  qui  leur  était   faite,  disanl 


LE   MONOPOLE   DE   LA   SOCIÉTÉ  2Ti 

qu'ils  entraient  dans  L'association,  non  pas,  comme  au* 
premiers  jours,  pour  s'unir  contre  la  mauvaise  volonté"  des 
directeurs,  mois  contraints  de  donner  hur  adhésion  : 
s'ils  avaient  voulu  conserver,  malgré  tout,  leur  liberté 
pleine  et  entière,  partout  où  ils  se  seraient  présentés,  ne 
fussent-ils  pas  heurtés  au  même  «  non  posmmus?  »  El  si, 
d'aventure,  ils  eussent  pu  gagner  un  directeur  à  leur  cause, 
n'auraient-ils  pas  dû,  pour  sauvegarder  leur  propriété  et 
leurs  intérêts,  «recourir  aux  agence-?  Or  on  ne  peut 
s'adresser  aux  agences,  sans  frapper,  en  même  temps,  aux 
portes  de  la  Société.  Force  leur  étail  <l<>ne  de  composer  avec 
une  Société  qui  avait  accaparé  le  marché  théâtral. 

Répondant  à  cette  objection,  au  cours  du  procès  de  1905, 
Me  Poincaré  se  contentait  de  faire  ressortir  que  rien  n'obli- 
geait les  auteurs  à  se  faire  représenter.  Il  leur  eûl  dil 
volontiers  : 

«  Quel  démon  vous  oblige  à  vous  faire  jouer?  » 
Assurément  personne  ne  prétend  que  la  Société  aille 
jusqu'à  décider  des  vocations  hésitantes,  à  pousser  vers  les 
théâtres,  de  plus  en  plus  encombrés,  des  écrivains  qui  s'en 
détournaient,  à  leur  arracher,  par  surprise,  un  acte  «  I  ; ■  *  1 1 1 « '* — 
sion.  Quelques  auteurs  se  son!  plaints  seulement,  lorsqu'ils 
oui  nue  œuvre  à  faire  représenter,  de  trouver  un  syndical 
en  travers  de  leur  chemin,  de  m*  pouvoir  régler  leurs 
affaires,  sans  prendre  le  mol  d'ordre  du  groupement.  N  est- 
il  pas  étrange,  disenl  les  récalcitrants,  qu'on  -"il  oblif 
pour  se  faire  jouer,  d'adhérer  b  une  société  priv<  '  I  I  si  on 
ajoute  que.  dans  celle  société,  on  conquierl  ses  grades  sui 
v.-inl  une  hiérarchie  déterminée,  nous  aurons,  au  w  siècle, 
le  spectacle  —  peu  banal  —  de  littérateurs  réunis  en  une 
corporation  puissante  el  despotique,  comportant  des  puis- 
sants et  des  faibles,  des  chefs  et  d Idafc    Or  n'ert  ce  | 


7%  CHAPITRE    V 

un  peu  contre  Les  corporations  que  s'esl  faite  la  Révolution 
—  à  laquelle  les  auteurs  doivenl  tant? 

11  ne  Paul  pas  avoir  peur  des  mots.  Il  est  hors  de  doute 
que  la  Société  jouit  à  l'égard  des  auteurs  d'un  véritable 
monopole.  Certes,  elle  ne  leur  fait  pas  violence,  ainsi  que 
Tout  prétendu  certains  :  elle  n'exerce  pas  sur  eux  une  con- 
trainte  réelle.  Mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'un  auteur 
oe  peu!  se  faire  jouer  sans  l'intermédiaire  de  l'association. 

Qu'on  ue  dise  pas,  qu'en  dehors  des  scènes  classées,  il 
existe  à  Paris,  aussi  hien  qu'en  province,  des  salles  qui  se 
louenl  au  mois  ou  à  l'année,  qui  n'ont  pas  de  traité  avec  la 
S<  ciété  des  Auteurs,  où  l'on  peut  se  produire  sans  justifier 
de  son  identité.  Cela  ne  sauverait  pas  l'association  du 
reproche  qu'on  lui  adresse.  Si  elle  n'est  pas  en  droit  d'im- 
poser  aux  auteurs  l'adhésion  à  ses  statuts,  elle  ne  saurait 
l'être  davantage  de  les  condamner,  s'ils  tiennent  à  rester 
indépendants,  aux  essais  misérahles,  et  aux  recettes  déri- 
soires. 

L'atteinte  portée  à  la  liberté  des  auteurs  peut  semhler 
d'autant  plu-  grave,  qu'ils  ue  peuvent  se  dégager  de  l'asso- 
ciation, Lorsqu'ils  \  -ont  une  fois  entrés.  La  question  a  été 
les  tribunaux  ont  jugé  quVn  l'absence  d'une  clause 
des  statuts  leur  accordant  cette  faculté,  les  membres  de  la 
été  ii«'  pouvaient  prendre  leur  retraite,  ou  donner  leur 
démission,  avanl  le  terme  li\é  pour  la  durée  de  l'association. 

•  ne  première  loi-,  en  1843,  la  question  fut  soulevée,  de- 
vant l«'  tribunal  de  la  Seine  :  mais  il  ne  fut  pas  statué  au  fond. 

M.  Pournier,  littérateur,  avait  signé  un  traité  avec  les 
directeurs  du  Gymnase,  MM.  Delestre-Poirson  et  Cerfbeer, 
aux  termes  duquel  il  acceptait  les  fonctions  de  directeur  de 

■  ■.  '  ••ii«-  clause  u'avait  rien  de  contraire 
aux  statuts  de  la  Société,  qui  édictenl  seulement  l'incompa- 


LE   MONOPOLE   DE   LA    SOCIÉTÉ 

tibilité  des  fonctions  de  directeur  ou  de  régisseur  dans  un 
théâtre  avec  celles  de  membres  de  la  Commission. 

Le  contrat  conclu  entre  Fourni. t  et  !<■  <  rymnase  étail  <l \-i il- 
leurs des  plus  singuliers  :  entre  autres  avantages,  l'auteur  en 
retirait  celui  de  devenir  le  fournisseur  attitré  e1  régulier  de 
cette  scène.  En  lisant  l'acte  qui  le  liait  à  la  fortune  du 
théâtre,  on  croirait  lire  un  traité  de  commerce,  plutôt  qu'un 
traité  littéraire.  «  La  direction,  portait  ce  texte,  ne  pourra 
se  dispenser  déjouer,  au  plus  tard  à  leur  tour  de  réception, 
au  moins  cinq  ouvrages  nouveaux  de  la  composition  de 
M.  Fournier,  par  chaque  année,  et  ;i  leur  donner  loyalemenl 
le  nombre  de  représentations  qu'estimeraient  suffisant  les 
arbitres  nommés  au  besoin  par  les  parties  ». 

Fournier  sentit  le  besoin  de  rassurer  la  Société  mit  la 
portée  de  ce  contrat,  et  sur  l'impartialité  qu'il  conserverait, 
dans  ses  délicates  fonctions,  pour  ceux  de  ses  confrères 
qui  chercheraient  fortune  au  Gymnase.  Il  écrivit  ;i  !;•  <'<>m- 
mission  qu'il  saurait  concilier  ses  devoirs  de  membres  de 
l'association  avec  ses  attributions  directorial 

Les   événements    ne   devaient    pas    tarder  ;i    donner  un 
démenti    à   ses   bonnes   dispositions.    En    1842,   ;•  la    suite 
d'incidents   survenus   entre   le  Gymnase  <•!    la   Société,  le 
théâtre  était  mi-  en  Interdit.  Fournier  se  trouva  pris  entre 
-.-  deux  fonctions.  II  n'hésita  pas  longtemps.  Il  songea  sans 
doute,  qu'en  outre  d'un  poste  agréable,  leGymnase  lui  don- 
1 1 .  «  i  t  toute  sécurité  pour  sa  production  dramatique:   comme 
il  ne  pouvait  être  ;i  la  fois  avec  ceux  qui  mettaient  I  interdit, 
ri  avec  ceux  quile  subissaient,  il  pensa   s'en  tirer  en  d< 
nant  sa  démission  «le  la  Société.   Mais  celle-ci  la  refusa  : 
«•Ile  m-  lâche  pas  ses  protégés.  Elle  rappela  au  transfug 
obligations,  lui  réclamant  «le-  dommages  intérêts,  «-t  I  m 
tant,  puisqu'il  \  avait  contestation  entre  lui  et  la  - 


CHAPITRE    V 

s'en  remettre,  conformément  à  l'article  28  des  statuts,  à  la 
décision  de  trois  arbitres  amiables  compositeurs. 

Pournier  s'obstina  ;  il  assigna  la  Société  devant  le  tribunal 
civil.  Pour  prouver  son  droit  à  se  séparer  de  la  commu- 
nauté, il  invoquai!  —  argument  désespéré  —  la  nullité  de 
l'association,  comme  étant  contraire  à  Tordre  public  : 
subsidiairement,  et  pour  le  cas  très  probable  où  le  tribunal 
n'entrerait  pas  dans  cette  voie,  il  demandait  sa  retraite,  soit 
que  la  Société  fut  illimitée,  en  vertu  de  l'article  1869  du 
Code  civil,  soit  qu'elle  fût  à  terme,  en  vertu  de  l'article  1871, 
ainsi  conçu  : 

«  La  dissolution  des  sociétés  à  terme  ne  peut  être 
demandée  par  l'un  des  associés,  avant  le  terme  convenu, 
qu'autant  qu'il  y  en  a  de  justes  motifs,  comme  lorsqu'un 
autre  associé  manque  à  ses  engagements,  ou  qu'une  infir- 
mité habituelle  le  rend  inhabile  aux  affaires  de  la  société,  ou 
autres  cas  semblables,  dont  la  légitimité  et  la  gravité  sont 
laissées  à  l'arbitrage  dos  juges  ». 

I.'-  tribunal  se  contenta  de  déclarer  la  Société  valable, 
ainsi  d'ailleurs  que  la  clause  de  l'article  28  des  statuts,  et  il 
condamna  Fournier  ;>  se  soumettre  à  l'arbitrage.  L'argumen- 
tation de  l'auteur  était  des  moins  admissibles.  L'article  1869 
ne  pouvait  être  invoqué  en  la  cause;  car  la  Société  d<is  Au- 
teurs, ainsi  que  nous  l'avons  vu,  ne  saurait  être  assimilée, 
••il  dépit  des  apparences,  ;<  une  société  illimitée.  Quant  à 
l'article  1871,  il  n'était  certainement  pas  applicable  en 
I  espèce.    Pournier  n'avait   aucun   grief  sérieux   ;i   alléguer 

ntre  la  Société,  h  l'exception  du  tort  qu'il  subissait,  du  l'ait 
de  l'interdit  prononcé  contre  !«'  Gymnase.  Or  cet  interdit 
ît  une  conséquence  du  fonctionnement  normal  de  l'asso- 
ciation; il  ne  pouvait  être  considéré  comme  une  mesure 
personnelle  prise  6  ['encontre  des  intérêts  de  Pournier, 


LE   MONOPOLE    DE   LA    SOCII '.  I  l  88j 

Fne  tentative  de  scission  beaucoup  plus  sérieuse  lut  faite, 
en  1865,  par  plusieurs  auteurs  qui  pensaient  avoir  a  se 
plaindre  de  l'organisation  de  la  Société.  A  la  suite  d'un 
désaccord  —  dont  nous  avons  parlé  plus  haut  —  survenu 
en  1862  entre  la  Commission  et  l'assemblée,  la  Commission 
avait  cru  devoir  démissionner.  MM.  Emile  Augier,  Legouvé, 
Labiche,  Lava  et  Maquet,  commissaires  démissionnaires, 
intentèrent  une  action  contre  ceux  qui  le-  avaient  rem- 
placés au  pouvoir.  Ils  concluaient  en  première  ligne  — 
grief  toujours  invoqué  —  à  la  nullité  de  L'association,  qui 
prétendait  à  tort  à  la  qualité  de  société  civile  :  ils  allé- 
guaient, d'autre  part,  le  droit  qui  leur  aurait  appartenu,  en 
tout  cas,  de  se  retirer  de  la  communauté. 

Pour  soutenir  leurs  revendications,  les  dissidents,  il  faul 
l'avouer,  mettaient  en  avant  plutôt  des  questions  de  per- 
sonnes et  d'amour-propre,  ({ne  des  raisons  d'ordre  général. 
Ils  se  disaient  victimes  d'une  véritable  révolution,  qui  avait 
porté  au  pouvoir  un  comité  insurrectionnel.  Ce  comité,  pré- 
tendait-il, avait  négligé  les  indications  données  par  le  tri- 
bunal, lors  de  l'affaire  Guyot  :  il  n'avait  pas  adopté,  pour  la 
comptabilité  des  droits  d'auteur,  comme  l«i  proposait  I  expert 
commis  par  l<is  juges,  la  tenue  d'un  registre  par  doit  •'( 
avoir,  contrôlé  par  l'émargement  des  intéressés.  Les  com 
quences  de  cette  incurie  n'avaient  pas  tardé  ■'<  se  t. oie 
sentir:  un  déficit  considérable  venait  de  se  produire  dans 
l'une  df-  agences. 

Portant  le  débal  plu-  haut,  les  séparatistes  disaienl  avoir 
découvert  dans  la  Société  des  vices  d'organisation,  auxquels 
il  fallait  remédier  sans  retard.  Il-  protestaient  surtout  contre 
la  prépondérance  des  agents  généraux  :   il-    projetaient  de 

fonder,  sur  des  principes  différents,  nouvelle  '"ll 

d'auteur-,  dont  il-  avaient  déjà  dépose*  les  statuts  chei  an 


282  CHAPITRE    V 

Dotaire.  Leur  projet  —  1res  libéral  —  comportait  notamment 
la    suppression   des    agents,    remplacés   par   des  employés 

llemenl  responsables  envers  la  Société;  de  plus,  nulle 
contrainte  pour  les  auteurs,  libres  à  tout  moment  de  se 
retirer  de  la  communauté. 

C'était  donc  à  une  véritable  scission  dans  le  monde  dra- 
matique, que  les  plaignants  voulaient  préparer  les  voies  : 
leur  plan  de  campagne  était  arrêté. 

Ils  appuyaient  principalement  leur  demande  de  retraite  sur 
l'article  IS71  du  (Iode  civil,  prétextant  les  torts  graves  de  la 
Commission  envers  les  auteurs  :  c'était  son  imprévoyance 
qui  avait  amené  le  délicit,  préjudiciable  à  tous  ;  c'était  aussi 
les  décisions  prises  en  1848,  qui  avaient  accru  notablement 
le  nom  lue  des  affiliés  de  la  Société,  et  qui  avaient  occa- 
sionné les  avances  considérables  faites  indûment  aux 
auteurs  par  les  agents. 

M  Nicolet,  avocat  de  la  Commission,  s'efforça  de  démon- 
trerque  ces  torts  étaient  imaginaires,  et  produits  pour  les 
besoins  de  la  cause.  Les  griefs  invoqués  contre  les  agences 
n'étaienl  pas  nouveaux,  car,  dès  1834,  certains  auteurs 
estimaienl  qu'elles  absorbaient  une  part  trop  forte  des  béné- 
fices. En  réalité,  ces  critiques  étaient  des  moins  justifiées  : 
car  les  droits  d'auteur  n'avaient  pas  cessé  d'augmenter,  tandis 
que  les  prélèvements  opérés  par  les  agents  diminuaient. 

La  nouvelle  Commission  ae  s'étail  nullement  désintéressée 
de  la  comptabilité  des  agences  ;  elle  ae  pouvait  être  rendue 
responsable  du  déficit  récemment  constaté;  elle  avait  tout 
fail  «I  ailleurs  pour  le  réparer. 

Dans  tout  cela  qu'y  avait-il?  In  geste  de  mauvaise 
bumeur,  résultanl  d'un  changement  de  cabinet. 

I  ivocal  impérial  appuya  la  défense  de  la  Commision.  Il 
estimait  également  que  l'article  1871   ne  pouvait  être  ;i   bon 


LE   MONOPOLE    DE   LA    SOCIÉTÉ 

droit  invoqué  pour  les  besoins  de  La  cause,  car  cet  article  oe 
prévoit  évidemment  que  des  faits  qui  empêchent  la  conti- 
nuation d'une  société.  Or  les  irrégularités  de  comptabilité 
signalées  ne  constituaient  pas  une  charge  suffisante,  l'asso- 
ciation étant  armée  contre  les  agents,  et  pouvant  prends 
leur  endroit  telles  mesures  qu'il  appartiendrait.  Quant  à  la 
suspicion  dans  laquelle  les  demandeurs  prétendaient  tenir 
la  nouvelle  Commission,  elle  n'était  aucunement  fondée. 
C'est  en  ce  sens  que  se  prononça  le  tribunal  civil. 

Il  jugea  que  les  irrégularités  relevées  n'avaient  pas  la 
gravité  suffisante  pour  provoquer  une  poursuite  <>u  une 
révocation  immédiate,  qui,  d'ailleurs,  aux  termes  des  statuts, 
ne  peut  avoir  lieu  que  dans  le  cas  d'infidélité  prouvée. 
D'autre  part,  «  si  les  statuts  peuvent  exposer  les  sociétaires, 
aux  inconvénients  signalés,  les  uns  ont  arrêté  les  clauses 
du  pacte  social,  et  les  autres  se  les  sont  Librement  <il  sponta- 
nément appropriées  par  Leur  adhésion     . 

Le  jugement  observait  enfin  que,  même  au  cas  où  les 
sociétaires  eussent  eu,  en  dehors  des  cas  prévus  par  la  l<>i 
ou  par  le  contrat,  La  faculté  de  se  retirer  volontairement, 
cette  retraite,  devait,  aux  termes  des  statuts,  être  consentie 
par  L'assemblée  générale  »  (1). 

Cette  décision  est  ^^>  plus  nettes.   Elle  reconnaît,  qu'en 
dehors  des  cas  —  très  rares  —  où  certains  membres  auraient 
à  faire  valoir  contre  La  Société  des  griefs  graves  ''t  person 
nels,  il  ne  peut  être  fait  état  d'aucun  article  du  Code,  pour 
motiver  une  retraite  volontaire.  Les  auteurs  sont  donc  Lié 
L'association  pour  une   période  de  vingt-cinq   ans,  qui,  en 
fait,  se  trouve  automatiquement  prorogée  On  peut  dire 
exagérer,  qu'ils  sont  lié-  a  \  ie. 


I    Gatette  de»  tribunau  < ,  1 1  &oûl 


CHAPITRE    V 


Le  monopole  *  I  *  *  la  Société  est  donc,  en  fait,  absolu  m  en 
établi.  Comme  les  directeurs  sont  astreints  à  traiter  avec 
elle,  les  auteurs  sont,  à  leur  tour,  obligés  de  s'affilier  à 
l'association,  sans  pouvoir  désormais  reprendre  leur  liberté. 
11  est  juste  de  rechercher  si  ce  n'est  pas  par  une  inéluctable 
nécessité  que  la  Société  a  été  ainsi  amenée  à  grouper, 
même  de  force,  tous  les  dramaturges  autour  de  son  dra- 
peau. 

Certes,  il  serait  plus  beau,  plus  conforme  à  la  liberté, 
que  La  Société  n'eût  qu'à  faire  valoir  les  avantages  que  les 
littérateurs  retirent  de  sa  protection,  pour  qu'elle  fût  assurée 
de  les  voir  tous  s'inscrire  à  ses  bureaux.  Mais  l'expérience 
prouve  que,  même  aux  temps  où  l'entente  était  le  plus  dési- 
rable  ri  le  plus  nécessaire  pour  les  auteurs,  ceux  qui  ont 
prêché  l'union,  sans  pouvoir  la  faire  respecter,  ont  connu  les 
mécomptes  <'t  les  défections.  Lorsque  Beaumarchais  forçait 
l'inertie  et  l'indifférence  des  littérateurs  pour  les  entraîner 
au  combat,  n<i  rencontrait-il  pas  bien  des  hésitants,  et 
m  1 1 1 < •  «I»'-  confrères  dévoués  à  l'ennemi  ?  Les  auteurs  surent- 
ils  se  mettre  d'accord,  quand  il  leur  fallut  soumettre  leurs 
desiderata  aux  assemblées  révolutionnaires?  Lorsque,  après 
avoir  <-u  gain  de  cause,  ils  pensèrent  à  fonder  une  asso- 
ciation plus  stable,  une  des  manifestations  de  leur  activité 
il*-  fut-elle  pas  cette  réunion  de  comités,  dans  laquelle  ils 
interdirent  !<•-  ventes  particulières  et  les  traités  an  rabais? 
et  si,  en  1837,  ils  durent  rédiger  à  nouveau  leurs  statuts, 
qu'ils  ;i\;ii<'nl  omis  <'n  1829  d'astreindre  les 
membres  de  l'association  h  des  obligations  précises?  Cette 
faiblesse  les  mettait,  dans  la  lutte  où  ils  étaient  alors  enga- 
Ifl  merci  de  quelques  dissidents,  qui  tenaient  dans 


LE   MONOPOLE    DE    LA    SOCII  I  I 

leurs  mains,  faute  d'une  réglementation  suffisamment 
stricte,  le  sort  des  ailleurs  dramatiques,  et  1»'  maintien  de 
leurs  franchises. 

C'est  en  effet,  pour  la  Société,  une  question  vitale,  el  ces! 
ce  qui  infirme  la  comparaison  qu'on  a  faite  entre  elle  el  la 
Société  des  Gens  de  Lettres. 

On  a  souvent  opposé  le  règlemenl  libéral  de  cette  associa- 
tion aux  slahils  tyranniques  de  la  Société  des  Auteurs.  La 
Société  des  Gens  de  Lettres  a  obtenu  <l<">  pouvoirs  publics 
une  reconnaissance  officielle,  à  Laquelle,  dit-on,  sa  voisine 
n'a  jamais  osé  prétendre,  de  crainte  d'un  refus  blessant. 

Il  est  fort  probable  que  cette  reconnaissance,  que  la  Société 
(1rs  Auteurs  n'a  jamais   sollicitée,  lui   eû1   été    accordée 
première  réquisition  —  cela  ne  prouverai!    pas   d'ailleurs 
que  ses  statuts  fussent  impeccables. 

Sans  nous  arrêter  à  cette  considération  —  qui  es!  plutôt 
une  question  de  sentiment  —  il  convient  de  remarquer  les 
conditions  très  diverses  dans  lesquelles  ces  deux  groupe- 
ment se  présentent,  pour  défendre  les  intérêts  de  leurs  pro- 
tégés. Leur  zone  d'influence,  leur  champ  d'action  respectif, 
sont  trop  différents  pour  rire  utilement  comparés. 

La  Société  des  Gens  de  Lettres  gouverne  l<»ul  un  inonde 
varié,  mouvant,  et  bigaré  :  elle  régit  l«i  producteur  de 
romans-feuilletons,  I»'  romancier,  le  poète,  L'érudit,  l'ana 

leur. 

Gomment  trouverait-elle  pour  des  productions  si  variées, 
et  d'un  succès  si  Inégal,  une  commune  mesure  lui  permet- 
tant de  stipuler  pour  ses  membres  la  même  rétribution  .' 
Même  au  sein  d'un  genre  littéraire,  comprendrait-on  que 
l'association  imposât  aux  éditeurs  un  traité  identique,  <|"  ■' 
s'agit  d'un  auteur  célèbre  ou  d'un  débutant  .'  Les  vari  ^\<>w^ 
de  prix  sont  ici  «l<i-  plus  raisonnables,  et  des  plus  naturelle 


CHAPITRE    V 

Tandis  que  personne  ne  peut  prédire  le  nombre  de  repré- 
sentations auquel  atteindra  une  pièce  de  théâtre,  l'éditeur 
peu!  prévoir,  la  plupart  du  temps,  sans  commettre  une 
erreur  trop  grossière,  le  nombre  d'exemplaires  d'un  ouvrage 
qu'il  peu!  jeter  sur  le  marché,  sans  courir  de  trop  grands 
risques.  L'obligera  payer,  en  tout  état  de  cause,  un  mini- 
mum de  droits  à  l'auteur,  ne  serait-ce  pas  le  condamner 
souvent  à  laisser  de  côté  des  œuvres  démérite,  mais  d'un 
succès  douteux?  Ne  serait-ce  pas  agir,  à  la  fois,  à  rencontre 
des  intérêts  des  membres  de  l'association,  et  des  lettres? 

Ajoutons  que  cette  Société  ne  se  heurte  pas  aux  mômes 
difficultés,  ii  la  même  résistance  que  rencontre  la  Société  des 
Auteurs  dramatiques.  Pour  peu  qu'un  écrivain,  aujourd'hui — 
quels  que  soient  sou  genre  et  sa  manière  —  apporte  à  un 
éditeur,  à  un  directeur  de  revue  ou  de  journal,  une  œuvre 

illemeni  nouvelle  ou  intéressante,  il  a  chance  d'en  obtenir 
des  avantages  raisonnables. 

Aussi  la  Société  des  Gens  de  Lettres  s'est-elle  donné  la 
constitution  la  plus  libérale  du  monde.  Elle  ne  force  pas  les 
littérateurs  a  franchir  son  seuil,  à  se  présenter  à  ses  gui- 
chets :  de  fait,  beaucoup  d'écrivains  ne  sont  pas  inscrits  à 
ses  bureaux.  Elle  n'a  pas  songé  à  imposer  aux  éditeurs  i\\^ 
tarif  uniforme  pour  la  publication  d'un  volume.  Le  roman- 
cier  présentera  son  œuvre  à  un  journal  ou  à  un  périodique, 
el  en  demandera  un  prix  variable  :  premier  bénéfice  impor- 
tant, l'ui-  il  la  portera  chez  un  éditeur,  qui  lui  fera,  pour  la 
publication  en  volume,  les  conditions  que  le  nom  «le  l'au- 
teur,  I  mi-  i  i  nu  l'actualité  «le  l'ouvrage,  lui  paraîtront  com- 
mander :  second  bénéfice  considérable. 

Jusqu  ici  la  Société  des  Gens  de  Lettre-  n'a  p;is  paru  dans 

l'affaire  :  elle  a'intervienl  <ju<'  dans  les  reproductions  qui 

'•  aloi  s  que  l'œuvre,  déjà  connue  de  tous,  ne  peut  plus 


LE   MONOPOLE    DE   LA    SOCIÉTÉ  287 

rapporter  que  des  prolits  intermittents,  incertains,  et,  le  plus 
souvent,  modestes.  En  cette  matière,  la  Société  rend  d'ailleurs 
les  plus  grands  services  aux  écrivains,  qui,  sans  elle,  risque- 
raient d'être  pillés  par  tous. 

Elle  assure  à  ses  membres  le  bénéfice  des  prii  portés  aux 
traités  qui  la  lient  avec  toutes  les  publications  périodique 
elle  encaisse  mécaniquement,  au  jour  le  jour,  les  sommes 
qui  leur  reviennent.  Agence  de  renseignements,  agence  de 
perception,  elle  évite  aux  littérateurs  le  soin  <lr  débattre  des 
conditions,  qui  sont  invariables  par  aature,  puisqu'il  s'agii 
de  reproduire,  pour  les  besoins  de  la  consommation,  des 
œuvres  dont  le  succès  de  curiosité  est  épuisé;  elle  leur  évite 
surtout  la  peine  de  se  renseigner,  de  réclamer,  de  ci  de  là.  des 
droits  parfois  minimes.  Encore  n'oblige-t-elle  personne  :  les 
littérateurs  afliliés  sont  libres  de  se  réserver  la  Faculté  de 
traiter  eux-mêmes. 

Il  n'en  va  pas  du  tout  de  même  pour  le  théâtre,  où  les 
écrivains,  s'ils  n'étaient  soutenus  par  une  association  puis- 
sante, ne  pourraient  pas  discuter  avec  un  directeur,  avec 
quelques  chances  d'être  écouté>.  Sans  doute  !«•  monopole 
théâtral  n'existe  plus  :  la  loi  ^\i'  1866  a  rendu  les  théâtres 
la  liberté  industrielle.  Mais  celle  liberté  sera  toujours  res- 
treinte, et  plus  uominale  qu'effective.  Drames,  comédies, 
vaudevilles,  ne  pourront  jamais  être  représentés  avec  avan- 
tage que  mu'  un  petit  nombre  de  scènes  :  l'encombrement, 
sur  ce-  scènes,  est  tel,  l'offre  si  considérable,  que  I  écrivain, 
pressé  d'être  joué,  serait  forcément  amené  ;i  réduire  ses  exi- 
gences, h.  par  son  adhésion  à  la  Société,  il  ae  -  étail  I"-  les 
mains  par  avance. 

Si  abondante,  m*  variée  que  -«'il  d'ailleurs  la  production 
dramatique,  qu'elle  recherche  l'émotion,  le  rire,  -"i  le  wul 
plaisir  des   yeux,  elle  •<■  soumet  aisément  6  une  commune 


CHAPITRE   Y 

mesure,  que  des  calculs  très  simples  permettent  de  déter- 
miner. 

L'éditeur  est  beaucoup  plus  libre  que  le  directeur  de 
théâtre  :  ses  Frais  ne  sont  pas  invariables;  il  peut  limiter  à 
son  gré  le  tirage,  la  publicité,  suivant  le  succès  qu'il  prévoit 
pour  L'ouvrage  qu'il  lance.  Quels  que  soient  au  contraire  le 
genre  et  le  mérite  d'une  pièce  de  théâtre,  elle  nécessitera 
ii ii i jours,  pour  celui  qui  la  montera,  un  ensemble  de  frais 
considérables,  représentant  le  loyer  delà  salle,  l'interpréta- 
tion, la  figuration,  les  décors,  l'éclairage.  En  dehors  des 
cas  particuliers  —  engagements  onéreux,  luxe  de  mise  en 
scène,  pour  lesquels  il  n'est  pas  rare  d'ailleurs  de  voir 
L'auteur  consentir  des  sacrifices  plus  ou  inoins  avoués  au 
public  — ees  frais  généraux  tendent  toujours,  pour  chaque 
salle,  vers  une  moyenne  de  dépenses  fort  peu  réductible. 
Parmi  Les  œuvres  qui  lui  seront  offertes,  un  directeur  de 
théâtre  Limitera  donc  son  choix  entre  quelques-unes,  qui  lui 
paraîtront  assurer  un  certain  nombre  de  représentations,  et 
L'amortissement  des  frais  généraux  pour  un  temps  donné. 
Quoi  de  plus  simple,  dès  lors,  que  de  rechercher  le  chiffre 
moyen  des  dépenses,  dans  chaque  théâtre,  de  déterminer 
un  prélèvement  invariable  sur  les  recettes  au  profit  des 
auteurs,  en  laissanl  au  directeur  une  marge  «le  bénéfices, 
plus  ou  moins  Large,  suivant  la  situation  financière,  de 
L'établissement   qu'il  dirige.   Ce  sont  ces  calculs  que  fait  la 

ri  mission  des  auteurs,  lorsque,  dans  ses  traités  généraux, 
elle  fixe  La  redevance  qu'elle  prélèvera  danschaque  théâtre. 

I  _  ni  des  directeurs  une  pari  uniforme  dans  La  recette, 
l.i   Société  des  Auteurs  pourrait-elle,  sans  danger.  Laisser, 

h  m.  la  Société  des  Gens  de  Lettres,  les  littérateurs  Libres 
d 'adhère i  à  ses  statuts,  et  de  profiler  de  son  organisation, 
«  h   se  fiant   pour  les  attirer  à  elle  aux  avantages  certains 


Le  monopole  de  la  société 

qu'elle  leur  procure?  En  dehors  de  la  rétribution  qui  leuï 
est  garantie,  et  qu'ils  ne  parviendraient  pas  à  obtenir  par 
leur  propre  effort,  ne  bénéficient-ils  d'une  perception  déjà 
très  étendue?  Xe  trouvent-ils  pas,  dans  les  traités  conclus 
par  la  Commission,  une  foule  de  clauses  qui  améliorent  leur 
situation,  et  leur  assurent  les  égards  qui  leur  sont  dus? 
A  quoi  bon  la  contrainte,  dira-t-on,  si  les  avantages  sont 
certains?  Pourquoi  le  monopole,  si  l'ona  rien  a  perdre  à  la 
liberté  ? 

C'est  que  la  Société  a  tout  à  perdreà  la  liberté.  Les  béné- 
fices sont  liés  au  monopole.  Du  jour  où  elle  cesserait  d'as- 
treindre, par  le  jeu  de  ses  clauses,  les  auteurs  à  venir  a 
elle,  ils  n'y  viendraient  plus,  et  ne  pourraient  plus  y  venir. 
L'association  ne  comprendrait  plus  qu'un  petit  groupe  d'au- 
teurs, les  plus  illustres  <il  les  plus  en  vogue,  ceui  qui,  à 
l'heure  actuelle,  profitent  le  moins  de  l'organisation  com- 
mune, assurés  qu'ils  sont,  en  tout  état  de  cause,  d'obtenir  le 
traitement  de  l'écrivain  l<i  plus  Favorisé. 

Ceux  qui  perdraient  dans  l'affaire,  ce  sont  les  lill<;- 
rateurs  m<>in-  connus,  ceux  qui  travaillent  ;<  se  faire  un 
nom  et  une  situation,  ceux  pour  qui  l'association  s'esl 
fondée.  Les  directeurs  de  théâtre  auraient  bientôt  Fait  de  les 
obliger  à  renoncer  à  la  tutelle  non  obligatoire  de  la  Société, 
préférant,  selon  le  mol  de  Beaumarchais,  les  prendre  en 
baguette  qu'en  faisceaux. 

Lorsque  la  Société  lyrique,  empiétant  sur  l«i  domaine 
réservé  ;<  la  Société  des  Auteurs,  recevail  les  déclarations 
de  pièces  destinées  aux  music-halls  <■!  cafés-concerts,  les 
directeurs  de  ce-  établissements  ne  manquaient  pas  de 
contraindre    les   auteurs   à   déclarer   leurs   ouvra§  la 

Société   lyrique,   qui  leur  demandait  des  droits   moindre 
Les  écrivains  s'estimaient-ils  plu-  libres?  Appréciaientrils 

19 


CHAPITRE    V 

leur  Indépendance,  leur  droit  de  choisir  la  Société  qui  aurait 
leur  confiance?  Aucunement;  car  ils  étaient  poussés  fatale- 
ment vers  celle  qui  leur  offrait  le  moins  d'avantages.  C'était 
une  concurrence  au  rabais  qui  s'établissait  à  leur  détriment  ; 
.1  L'avocat  de  la  Société  lyrique  —  dans  le  procès  qui  suivit 
—  tâchait  en  vain  de  les  convaincre  de  leur  bonheur. 

Qu'adviendrait-il  le  jour  où  les  auteurs  dramatiques  ne 
seraient  plus  obligés  d'entrer  dans  l'association?  Les  direc- 
teur- ne  manqueraient  pas  d'exiger  d'eux,  avant  de  les 
mettre  en  représentation,  une  déclaration  qu'ils  ne  font  pas 
partie  de  la  Société  :  leurs  droits  seraient  calculés  suivant 
le  l)on  plaisir  des  actionnaires  ;  il  y  a  des  chances  pour 
qu'ils  fussent  notablement  diminués.  Au  lieu  d'être  comptés, 
('•m  me  aujourd'hui,  au  maximum  de  ce  qui  peut  être  donné 
sans  que  l<i  théâtre  soit  obligé  de  fermer  ses  portes,  ils 
seraient  estimés  au  minimum  de  ce  qui  peut  être  donné  pour 
qu'il  y  ait  encore  des  littérateurs  travaillant  pour  le  théâtre. 
Il  est  probable  que  ce  minimum  n'aurait  rien  d'exagéré. 

Cette  baisse  n'atteindrait  pas  seulement  les  débutants;  il 
ii  y  aurait  en  ce  cas  que  demi-mal.  Car  ils  se  plaignent  sou- 
vi 'lit  que  le  taux  trop  élevé  imposé  aux  directeurs  par  la 
iété  leur  porte  préjudice.  Elle  s'étendrait  peu  à  peu  aux 
auteurs  déjà  connus  el  appréciés,  qui  seraient  obligés,  eux 
i  de  céder  aux  ton-cils  impérieux  des  directeurs,  sous 
peine  de  se  voir  interdire  l'accès  des  théâtres.  L'association, 
déf  ne  comprendrait  plus  qu'un  noyau,  sans  cesse 

amoindri,  d'auteurs  en  vogue,  ceux  justement  pour  qui  l'ac- 
tion commune  es!  inutile,  parce  que,  au  besoin,  ils  feraient 
eus  mêmes  la  loi  sur  le  marché.  Ce  serait  la  faillite  (\^^ 
patienta  efforts  faits  par  la  Société  pour  assurer  aux  littéra- 
teurs une  vie  honorable  et  indépendante. 

Il  tau»  surtout  éviter  d'être  dupe  des  mots  :  il  faut  prendre 


LE   MONOPOLE    DE    LA    SOCIKTÉ  201 

garde  qu'un  faux  principe  de  liberté,  comme  il  arrive  trop 
souvent,  serve  à  couvrir  les  pires  abus.  Sans  doute,  c'est  à 
une  contrainte  plus  ou  moins  déguisée  que  la  Société  des 
Auteurs  doit  la  parfaite  cohésion  qui  règne  parmi 
membres — contrainte  purement  morale,  bien  entendu,  «'l 
qui  ne  saurait  ouvrir  un  recours  juridique  —  Qu'importe, 
puisque  la  liberté  serait  ici  la  liberté  dans  la  misère? 


La  question  change  d'aspect,  lorsque,  <l<^  auteurs,  od  passe 
aux  directeurs,  et  qu'on  envisage  la  situation  qui  leur  est 
faite  par  l'accaparement  que  la  Société  a  su  constituer,  >ous 
le  couvert  de  la  loi.  Certes,  l'association  n'entend  pas  servir 
l'intérêt  bien  entendu  des  administrations  théâtrales,  puis- 
qu'elle s'est  fondée  pour  leur  arracher  une  pari  «I»1  bénéfi< 
obstinément  refusée.  Le  monopole  que  la  Société  détient  est, 
à  n'en  pas  douter,  dirigé  contre  elles  :  aussi  sont-ils  natu- 
rellement portés  à  traiter  l'association  de  coalition  illicite, 
de  corporation  illégale,  comme  faisaient  les  directeurs  de 
théâtres  après  1789,  lorsqu'ils  refusaient  d'obéir  aui  lois 
nouvelles.  Ces  accusations  se  sont  reproduites  longtemps 
après,  chaque  fois  qu'un  directeur  récalcitrant  donnait  le 
signal  de  la  rébellion  :  il  y  a  trois  ans,  elles  étaient  reprises 
par  MM.  Koy  et  Richemond,  qui  soutenaient,  avec  quelque 
apparence  de  raison,  que  la  Société  n'avait  pas  le  droit  de 
leur  refuser  un  traité. 

Les  partisans  de    l'association    des  auteurs  ont  senti   le 

danger  :  ils  ont  t'ait  de  louables,  mais  inutiles  efforts,  | r 

démontrer  que  la  Société  ne  prétendait  aucun* -m. -ut  forcer 

la  main  aux  directeurs  de  théâtres,  et  q œux-ci  ne  seraient 

nullement  obligés  de  fermer  leurs  portes,  quand  bien  même 
l'association  leur  retirerait  son  répertoire. 


292  CHAPITRE    V 

Quelle  sera  donc  La  ressource  dos  administrations  théâ- 
trales, privées  d'un  seul  cou])  de  toute  la  production  drama- 
tique, n<ui  seulement  des  sociétaires,  des  auteurs  connus  et 
appréciés,  mais  aussi  des  stagiaires,  des  débutants  peu 
connus,  travailleurs  plus  ou  moins  intermittents?  Aban- 
donnés par  leurs  compatriotes,  les  directeurs  feront-ils  appel 
à  L'étranger?  Mais  les  auteurs  étrangers,  qu'ils  viennent  des 
pays  voisins,  du  Japon,  ou  de  l'Amérique,  n'ont  rien  de  plus 
pressé,  lorsqu'ils  ont  un  ouvrage  représenté  à  Paris,  que  de 
s'inscrire  aux  bureaux  de  la  Société  des  Auteurs.  C'est-à- 
dire,  qu'à  peine  débarqués,  ils  sont  embrigadés  de  gré  ou  de 
force  dans  la  corporation.  Otojiro  Kawakami  ne  dut-il  pas 
-inscrire  aux  bureaux  de  la  Société,  pour  toucher,  en  France, 
les  droits  d'une  adaptation  japonaise  de  la  Dame  aux  Camé- 
liasï 

Si.  d'aventure,  un  directeur  trouvait  un  auteur  étranger 
qui  n'eût  point  encore  traité  avec  la  Société,  il  lui  faudrait 
aussi  s'assurer  d'un  écrivain  français  pour  traduire  et  adap- 
ker  ses  pièces.  C'esl  un  travail  patient  et  délicat,  presque 
toujours  réservé  à  un  petit  nombre  d'écrivains,  spécialisés 
dan-  ce  genre  :  ces  littérateurs  patentés  font  toujours 
partie  de  l'association.  Sortis  du  domaine  de  la  Société,  nous 
voilà  forcés  d'y  rentrer. 

Délaissé  par  les  vivants,  noire  directeur  puisera-t-il  dans 
le  répertoire  des  auteurs  morts?  11  y  a  là,  dira-t-on,  des 
richesses  Inestimables.  En  dehors  des  ouvrages  consacrés 
comme  classiques,  el  trop  souvenl  délaissés,  n'y  a-t-il  pas, 
dans  I  œuvre,  parfois  peu  explorée,  des  ailleurs  les  plus  illus- 
tres, des  ouvrages  qu'il  y  aurai!  intérêt  à  tirer  de  l'oubli 
injuste  dans  lequel  il-  sont  tombés  .' 

is   remonter  plus  baul  que  le  dix-huitième  siècle,  qui 
non-  touche  de  près,  et  qu'on  connaît  encore  si  mal  à  tous 


LE   MONOPOLE   DE   LA   SOCIÉTÉ  293 

les  points  de  vue,  croit-on  que,  parmi  1rs  ouvges  de  Mari- 
vaux, de  Regnard,  de  Lesage,  ou  de  Collé,  de  Favart,  de 
Dancourt,  et  de  tant  d'autres  dont  l<i  public  sait  seulement 
les  noms,  il  n'y  ait  pas  <!<•>  pire.'-  pleines  de  grâce  et  do 
finesse,  agrémentées  du  meilleur  esprii  français  ' 

Les  œuvres  des  auteurs  disparus  qous  onl  été  transmises 
par  la  génération  qui  les  a  immédiatement  suivis.  Celle-ci 
subissait  encore  l'influence  des  contemporains,  si  légers 
parfois  dans  leurs  jugements,  ou  elle  obéissait,  au  contraire, 
à  un  mouvement  de  réaction  aveugle,  qui  lui  faisait  rejeter, 
en  bloc,  les  legs  du  passé.  Parfois  un  écrivain,  un  critique 
élève  la  voix  pour  protester  contre  un  ostracisme  injustifié  : 
on  instruit  le  procès,  à  l'aide  de  documents  et  de  pièces  :  le 
public  s'émeut,  il  réhabilite  officiellement  une  œuvre  que  le 
temps  avait  comme  patinée,  sans  en  défraîchir  le  coloris 
inaltérable.  Que  de  sentences  à  réformer,  que  de  révisions 
à  faire,  que  d'auteurs  qui  n'ont  pas  encore  fait  appel  d'une 
injuste  condamnation,  faute  d'avoir  trouvé  leur  avocat] 

Ce  domaine,  ouvert  à  tous,  mais  où  si  peu  songent  à 
glaner,  s'accroît  tous  les  jours.  Si  loin  que  la  Société  ait 
étendu  son  empire,  les  auteurs  lui  échappent,  lorsqu'ils  sont 
morts  depuis  cinquante  ans.  LTn  demi-siècle,  c'est  un  inter- 
valle suffisant  pour  laisser  aux  haines  le  temps  de  désar- 
mer, à  l'opinion  le  temps  de  -<i  ressaisir.  Mais  cela  ne 
suffit  pas  pour  oblitérer  les  œuvres  d'une  beauté  véri- 
table,  assez  proches  encore  de  nous  pour  exciter  I  intérêt  el 
la  curiosité.  Y\  a-t-il  pas,  dans  la  foule  de  ces  ouvi 
un  champ  assez  vaste,  où  puisse  s'exercer  l'activité  d  un 
directeur  intelligent  et  lettré?  En  dehors  des  p  m 

modées  au  u<>ùl  du  jour  et  à  l'actualité,  qui,  trop  souvent, 
semblent  dues  au  bon  faiseur,  plutôt  qu'à  l'écrivain  de 
talent,  est-il  si  difficile  de  faire  un  choix,  parmi  cellw  qui 


CHAPITRE    V 

révèlent  des  qualités  plus  durables  el  plus  Tories,  qui  feront 
encore  bonne  figure,  lorsque  les  autres  seront  passées  de 
mode  ? 

Ainsi  raisonnent  ceux  qui  défendent  la  Société  des 
Auteurs  contre  tout  reproche  de  despotisme  et  d'accapare- 
ment. Ne  pouvant  offrir  aux  directeurs  indépendants  les 
auteurs  vivants,  ils  leur  abandonnent,  sans  marchander,  les 
œuvres  du  temps  passé. 

Certes,  c'est  une  tache  noble  et  généreuse  que  celle  de 
réhabiliter  les  écrivains  incompris,  de  ressusciter  les  auteurs 
délaissés  ;  plus  d'un  financier  s'acquerrait  un  renom  de  bel 
esprit,  el  des  titres  sérieux  à  la  reconnaissance  publique,  par 
ces  pieuses  exhumations  auxquelles  on  veut  bien  le 
convier.  Le  conseil  serait  très  charitable,  s'il  n'était  empreint 
d'une  ironie  amère.  Un  tel  effort  n'exige  pas  seulement  un 
l  sûr  ei  délicat,  mais  un  véritable  amour  des  lettres,  et 
un  désintéressement  absolu  :  de  telles  qualités  sont  rares,  et 
ae  suffiraient  pas  à  valoir  à  un  directeur  la  confiance  de  ses 
c<  immanditaires. 

Il  se  trouverait,  je  le  crains,  peu  de  directeurs  en  mesure 
de  profiter  de  l'autorisation,  qu'on  leur  accorde  généreuse- 
ment. Si  même  ils  avaient  celte  audace  peu  commune, 
seraient-ils  suivis?  Ces!  fort  douteux. 

Une  l<'lle  entreprise  exige  une  clientèle  formée  depuis 
longtemps  au  goût  des  spectacles  purement  littéraires,  en 
me  temps  qu'une  troupe  ô  !;•  fois  disciplinée  et  brillante, 
••i  comme  imprégnée  des  chefs-d'œuvre  d'un  autre  âge. 

I. 'finit  ,i  paru  si  nécessaire,  mais  si  périlleux  <in  même 

temps,  que  l'Etal  I  ;i  <le  toul  temps  encouragé  sur  certaines 

nés,  auxquelles  il  <'i  prêté  son  appui  moral  el  matériel.  La 

aédie  l      i    tise,  par  exemple,  est  tenue  de  représenter  le 

pertoin  ique,  eu  l'enrichissanl  des  œuvres  contempo- 


LE   MONOPOLE    DE    LA    SOCIETE  296 

raines  les  plus  dignes  d'y  prendre  place.  La  subvention  qu'elle 
reçoit  la  met  à  l'abri  de  tous  risques.  Elle  dispose  d'un  public 
éclairé,  d'artistes  remarquables,  ei  pool  donner  a  ses  spec- 
tacles un  éclat  particulier.  Pourtant  certains  iki  laissent  pas 
de  lui  reprocher  encore  de  s'évader  parfois  de  cette  noble 
obligation,  de  préférer  trop  souvent,  aux  œuvres  du  pas 
des  nouveautés  d'un  mérite  contestable,  mais  portant  la 
marque  d'un  esprit  qui  passe  pour  être  l'esprit  du  jour. 
C'est  que  les  sociétaires  ont  le  souci  légitime  de  oe  pas 
laisser  décroître  la  prospérité  de  la  maison.  Or  le  classique, 
en  général,  rapporte  peu.  11  n'en  va  pas  de  même  qu'à 
l'Opéra,  où  Faust  fait  encore  les  plus  belle-  recettes  de  la 
saison. 

Gomment  une  autre  scène,  avec  ses  seuls  moyens,  pour- 
rait-elle entreprendre  de  rivaliser  avec  la  Comédie-Fran- 
çaise, ou  avec  l'Odéon  ?  Le  cadre  des  théâtres  du  boulevard, 
le  public  qu'ils  ont  à  satisfaire,  la  troupe  dont  ils  disposent, 
autant  d'obstacles  qui  risqueraient  de  faire  échouer  une 
telle  tentative.  Le  cadeau  que  l'avocal  de  la  Société  des 
Auteurs  prétendait  faire,  en  1905,  à  MM.  Roj  et  Richemond, 
lorsqu'il  leur  offrait  d'exploiter  le  domaine  public,  <;tait 
donc,  je  le  crains,  d'une  feinte  générosité,  surtout  si  1  on 
songe  que  la  Société,  ainsi  que  nous  le  verrons,  a  tout  fait 
pour  empêcher  les  théâtres  de  puiser  trop  Largement  au  vieux 
répertoire. 

Mais,  disent  ('gaiement  lc>  défenseurs  de  I  association, 
en  dehors  de  la  Société,  q'j  a-t-il  pas  une  foule  de  jeunes 
auteurs  qui  travaillent  pour  1»'  théâtre,  <ii  qui  u'ont  pu 
encore  placer  l'un  quelconque  des  nombreux  manuscrits  <|»m 
encombrent  leurs  cartons  ?  N'est  ce  pas  ceui  le  pré<  isément 
qui  protestent  contre  l<'  despotisme  du  syndicat,  se  plaignant 
que  ses  exigences  détournent  les  directeurs  de  faire  appel  ï 


CHAPITRE    V 

leur  talent  incompris  ?  Que  les  directeurs  mécontents  de  la 
Société  tendent  la  main» aux  ailleurs  méconnus,  qui  ne  font 
pas  encore  — et  pour  cause  —  partie  île  l'association  :  et, 
par-dessus  les  règlements  de  la  Société,  se  conclura  entre 
directeurs  et  littérateurs  un  pacte  libre  et  fécond,  qui  tirera 
les  ans  d'embarras,  et  fera  connaître  les  autres. 

Ce  pacte  ne  serait-il  pas  heureux  même  pour  l'art  drama- 
tique, qu'il  défendrait  contre  la  routine  et  contre  la  mode, 
en  le  rajeunissant  par  des  spectacles  d'avant-garde  ?  Assuré- 
ment, un  accord  de  ce  genre  paraîtrait  éminemment  souhai- 
table :  aussi  serait-il  signé  depuis  longtemps,  s'il  satisfaisait 
_  dément  les  diverses  parties  en  présence. 

Sans  doute,  les  jeunes  littérateurs  y  gagneraient  beaucoup, 
car  ils  y  hou  viraient  enfin  l'occasion,  ardemment  cherchée, 
de  se  produire  devant  le  public.  Cette  épreuve  aurait  pour 
eux  les  meilleurs  résultats:  ceux  qui  en  sortiraient  vain- 
queurs,  en  retireraient  un  précieux  encouragement,  qui  les 
soutiendrait,  dans  nue  carrière  où  le  manque  de  confiance 
est  aussi  bien  une  cause  d'impuissance  que  le  défaut  de 
talent  :  ceux  qui  échoueraient  sentiraient  sans  doute  la 
faiblesse  d'une  vocation  à  Laquelle  ils  avaient  eu  le  tort 
d'ajouter  foi  :  et  non-  aurions  chance  d'être  délivrés,  par  la 
même  occasion,  de  ces  faiseurs...  à  tout  faire,  qui  encombrent 
les  abords  des  théâtres,  et  dont  les  efforts  obstinés  et  les 
intrigues  savantes  nuisent  trop  souvent  aux  véritables  écri- 
vains. 

Si  le  bénéfice  est  certain  pour  les  auteurs,  il  est  malheu- 
reusement plus  que  douteux  pour  les  directeurs.  Quels  seront 
littérateurs  mécontents,  sur  L'appui  desquels  ils  peuvent 
compter?  \  défaut  des  célébrités  du  jour,  des  habitués  du 
un  iront-ils  au  moins  ceux  qui   travaillent  à  se  faire 

un  nom,  et  qui  redisent   volontiers  saçrjftés  ô  ces  maîtres 


LE    MONOPOLE    DE    LA    SOCIÉTÉ 

dont  le  nom  seul  est  une  réclame  pour  la  scène  qui  les 
joue? 

Mais  ceux-là  mêmes  ont  déjà  au  théâtre  une  situation  qu'il 
leur  faut  conserver  ;  sociétaires  ou  stagiaires,  Ils  fonl  partie 
de  la  Société  des  Auteurs,  car  ils  uni  déjà  un  certain 
nombre  d'actes  sur  la  conscience. 

11  est  rare  aujourd'hui  que  la  gloire  dramatique  couronne 
les  jeunes  espérances  :  aussi,  comme  un  ne  peut  rajeunir 
les  hommes,  on  rajeunit  leurs  œuvres  :  car  la  précocité  esl 
pour  le  public  un  des  éléments  du  succès.  Tel  passe  pour 
débutant,  qui,  vers  l'âge  de  quarante  ans,  vienl  enfin  de 
forcer  les  applaudissements,  aprè-  avoir  donne  plusieurs 
pièces  qui  n'ont  pas  réussi,  et  dont  le  souvenir  s'est  perdu. 
Ces  débutants  un  peu  marqués,  et  qui  onl  déjà  une  œuvre 
derrière  eux,  la  Société  les  a  soumis  depuis  longtemps  a  sa 
loi;  elle  leur  interdit  toute  Infraction  a  ses  statuts.  Pour 
Irai  Ici'  avec  des  auteurs  qui  n'aient  encore  un  li«'ii  avec 
l'association,  il  faudra  donc  qu'un  directeur  s'adresse  aui 
inconnus,  à  ceux  dont  le  nom  n'a  jamais  été  proclamé  dans 
un  théâtre  :  quelle  confiance  pourrait-il  avoir  dans  ces 
dramaturges  d'occasion  ? 

Sans  doute  il  y  u  des  exreplinns  hrillantes  et  qu'on  cite 
volontiers,  d'écrivain-  parvenus  de  suite  ;<■  la  célébrité.  Des 
talents  se  découvrent  parfois  brusquement,  à  l'horizon, 

oui  pour  leurs  coups  d'essai  veulent  des  coups  de  maître. 

Dans  les  manuscrits  signés  «le  uoms  inconnus,  et  qu  il  ne 
prend  même  pas  In  peine  de   feuilleter,  un  directeur  cons 
ciencieui  u'aurait-il   pas  chance  de  trouver  l'œuvre 
n.ile.  solide,  ou  seulement  agréable,  qui  lui  assurerait  une 
belle  Bérie  «le  représentations?  Parmi  les  passants  qui 
présentent  à  sa  porte,  et  qu'il  écunduit  d'un  geste  di-tr.ut  et 


CHAPITRE    V 

fatigué,  De  rencontrerait-il  pas  le  génie  naissant,  ou  du 
moins  l'écrivain  bien  doué,  qui  doit  avoir  son  heure  de 
célébrité  ou  de  mode  ?  Car,  à  défaut  de  véritables  illustra- 
tions, la  vie  parisienne  fait  une  grande  consommation  de 
gloires  éphémères,  qui  apportent  une  note  nouvelle,  ou 
une  manière  qui  plaît. 

Mi» i<.  pour  un  ouvrage  de  valeur,  que  de  platitudes  et  de 
banalités.  Notre  directeur  serait  le  dernier  refuge  des  poètes 
désespérés  <'t  incompris,  l'espoir  des  rhétoriciens  en  veine 
d'écrire,  L'asile  des  petits  employés  qui  ont  rêvé,  eux  aussi, 
de  faire  du  théâtre.  En  admettant  qu'il  eût  un  goût  très  sûr, 
et  une  perspicacité  peu  ordinaire,  comment  distinguerait-il, 
entre  tant  d'ouvrages  insignifiants,  celui  qui  révèle  un 
véritable  tempérament  dramatique?  Car  rien  ne  ressemble 
tant  n  une  pièce  de  théâtre,  qu'une  autre  pièce  de  théâtre  : 
I  lire  trop  de  manuscrits,  le  meilleur  critique  est  bientôt 
désorienté,  incapable  de  juger  sainement.  Le  théâtre  a  ses 
lois,  qu'il  faut  connaître,  et  avoir  étudiées  :  dans  ce  genre, 
plu^  que  dans  tout  autre,  la  première  œuvre  risque  d'être 
gauche,  maladroite,  sans  intérêt.  Notre  directeur  serait  à 
la  merci  «les  débutants  les  plus  inexpérimentés  :  par  ses 
essais  aventureux,  il  aurait  grande  chance  de  perdre  ses 
abonnés,  «-t  d'être  bientôt  obligé-  à  la  fermeture.  Au  lieu  de 
mourir  d'inanition,  il  mourrait  de  pléthore;  mais  il  mourrait 
aussi  sûrement. 

L'expérience  a  d'ailleurs  été  tentée  —  si  étrange  que  cela 
puisse  paraître  :  les  annales  du  théâtre  nous  montrent  un 
directeur  aui  prises  .ivre  la  pire  adversité,  qui  est  d'être  mal 
iété  des  \uteurs,  el  se  raccrochanl  vainement, 
dans  son  naufrage,  au  domaine  public,  puis  aux  littérateurs 
•  n  berbe. 

I  d  1842,  MM    Delestre  Poirson  etCerfbeer,  directeurs  «lu 


LE   MONOPOLE    DE    LA    SOCIÉTÉ 

Gymnase,  voulurent  s'affranchir  de  la  Société,  dont  ils  trou- 
vaient la  tutelle  trop  pesante  :  ils  prétendirent  traiter  avec  les 
auteurs  en  toute  liberté  :  la  Société  répondit  à  ces  velléités 
d'indépendance  en  mettant  le  théâtre  en  interdit,  c'est-à- 
dire  en  lui  retirant  la  faculté  de  représenter  les  œuvres  di- 
ses membres. 

Le  Gymnase  résista.  Privé  des  contemporains,  il  pensa 
d'abord  reprendre  les  anciens.  11  exhuma  Désaugiers, 
Hadé,  Joseph  Pain,  Dieulafoy,  etc..  les  recettes  bais- 
saient de  plus  en  plus.  A  un  théâtre  de  dou  veau  tés,  il  fallait 
des  pièces  nouvelle-. 

Alors  MM.  Poirson  et  Cerfbeer  eurent  un  geste  désespéré  : 
abandonnés  des  dieux  et  des  hommes,  ils  Lancèrent  un  appel 
retentissant  à  tous  les  jeunes  auteurs  dont  la  Muse,  écon- 
duite  de  partout,  gémissait  dans  l'oubli.  Par  une  circulaire, 
de  forme  administrative,  ils  conviaient  ces  talents  mécon- 
nus à  s'adresser  au  Gymnase,  où  la  plus  haute  impartialité 
—  ce  qui  est  beaucoup  —  et  la  courtoisie  la  plus  cordiale  — 
ce  qui  davantage  —  leur  étaient  assurées. 

A  l'instant  même,  dit  MeChaix  d'Est  Ange,  avocat  du 
Gymnase,  tout  ce  qu'il  y  a  eu  France  d'écoliers  ayant  fait 
un  vaudeville  a  répondu  à  l'appel;  les  pièces  refusées  par- 
tout, et  qui  languissaient  dans  les  cartons  les  plus  poudreux, 
ont  été  apportées  au  Gymnase,  à  tel  point  qu'où  n'y  pouvait 
suffire.  11  fallait  lire  plus  de  quinze  pièces  par  jour 

Excédés  de  cette  lecture  fastidieuse,  et  menacés  d  une 
invasion,  les  directeurs  du  Gymnase  essaient  «I  arrêter  le  Ilot 
moulant  de  ces  productions  hétérogènes,  <|u  il-  n  osenl  plus 
espérer  mettre  à  la  scène.  Us  s'excusenl  -  toujours  très 
poliment —  auprès  de  leurs  correspondants;  une  nouvelle 
circulaire  se  répand  dans  le  monde  i\<'-  littérateurs  en 
détresse  :  c'esl  la  mine  d'ambitions  •  peine  éclo 


300  CHAPITRE   Y 

Gymnase-Dramatique 

«  Le  nombre  dos  ouvrages  reçus  on  ce  moment  excédant 
celui  qui  pourra,  selon  toute  probabilité,  être  représenté 
pendant    l'exercice    1843,    l'administration   se  voit  dans  la 

nécessité  de  prier  Monsieur de  vouloir  bien  destiner  à 

une  autre  seène  la  pièce  qu'il  a  eu  la  bonté  d'adresser  au 
Gymnase-Dramatique,  et  de  recevoir  les  remerciements 
empressés,  ei  tous  les  regrets  de  l'administration  ». 

Cette  feinte  abondance  masquait  la  pénurie.  Si  les  archives 
du  théâtre  regorgaienl  d'ouvrages  sans  intérêt,  le  Gymnase 
n'avail  pas    une   bonne    pièce    à  donner  à  son  public. 

Les  conséquences  d'une  telle  situation  ne  se  firent  pas 
attendre.  Les  meilleurs  artistes  delà  troupe  abandonnèrent 
le  Gymnase.  Bouffé  «  qui  fait  oublier  Facteur  inimitable 
pour  le  personnage  qu'il  représente  »  s'en  va  chercher 
fortune  ailleurs. 

MM  Poirson  et  Gefbeer,  en  désespoir  de  cause,  s'adres- 
sèrenl  à  la  justice  :  ils  intentèrent  à  la  Société  un  procès, 
qu'ils  perdirent,  naturellement. 

Deui  théâtres  se  sont,  il  es!  vrai,  plus  heureusement 
passés  de  la  Société  dans  ces  derniers  temps  :  mais  leur 
résistance  était  préméditée;  les  intelligences  qu'ils  avaient, 
dans  l'association  même,  les  garantissaient  contre  la  faillite 
possible.  Encore  peut-on  se  demander  si,  tout  espoir  d'entente 
ftyanl  été  rejeté,  ils  n'auraient  pas  connu,  en  lin  de  compte, 
les  affres  de  l'inanition. 

La  portée  de  la  mise  en  interdit  parla  Société  des  Auteurs 
irait  donc  être  sérieusement  discutée;  c'esl  la  décom- 
ition  plus  on  moins  lente  d'un  théâtre,  von»'  aux  essais 
fl«  jeun        >u  aui  reprises  infructueuse 


LE   MONOPOLE   DE   LA    SOCIÉTÉ 

Aussi  les  directeurs  se  sont-ils  plaints,  avec  plus  de  vrai- 
semblance que  les  auteurs,  de  n'avoir  traité  avec  l'associa- 
tion que  comme  contraints  <il  forc<  -  Cette  assertion  a  plus 
d'une  fois  été  produite  devant  les  tribunaux,  avec  pièces  à 
l'appui  :  il  n'est  même  pas  besoin  de  preuves,  à  vrai  dire.  11 
va  presque  de  soi  que  les  directeurs  n'acceptent  Le  joug  de  I 
sociation  qu'à  leur  corps  défendant,  qu'ils  ue  demanderaient 
pas  mieux  que  de  s'entendre  directement  -ivre  les  auteurs, 
comme  ils  le  faisaient  auparavant.  De  là  à  traiter  la  Société 
de  coalition  illicite,  de  trust,  il  n'y  a  qu'un  pas  :  on  com- 
prend qu'il  ;iil  été  franchi  ;  et  l'on  ne  sera  pas  surpris  qu'à 
maintes  reprises  les  directeurs  de  théâtre,  au  cours  du 
siècle  dernier,  aient  ramassé  les  armes  que  les  directeurs 
de  province,  sous  lo  Révolution,  dirigeaient  contre  l'associa- 
tion, qu'ils  accusaient  être  La  dernière  des  jurandes,  un 
succédané  des  institutions  de  l'Ancien  Régime. 

11   ne  faut  pourtant    pas  s'émouvoir  outre  mesure  de 
reproches.  Toutes  les  organisations  défensives,  tous  les  grou- 
pements d'intérêts  ont  rencontré  à  l'origine  les  mêmes  résis- 
tances, et  soulevé  les  mêmes  protestations. 

11  suffit  de  considérer  L'évolution  des  sj  adicats  —  La  Société 
des  Auteurs  présente,  à  n'en  pas  douter,  l'aspect  d'un  syndi- 
cat de  dramaturges  —  pour  constater  combien  les  limites  de 
qui  esi  défendu  et  dece  qui  est  permis,  varient  et  se  déplacent, 
en  raison  des  nécessités  sociales.  Proscrits  et  réprimés  au 
début,  les  syndicats  ouvriers  durent  l«i  droit  à  la  vie  au 
second  Empire.  Mais,  longtemps  encore,  les  tribunaui  leur 
interdirent  Les  mises  à  l'index  des  établissements  patronaux, 
les  amendes  infligées  à  leurs  membres,  comme  autant 
d'atteintes  à  La  liberté  individuelle.  La  loi  dut  intervenir 
pour  les  Légitimer,  dans  certains  cas  tout  au  moins;  une 
jurisprudence  plus  Libérale  distingue  aujourd'hui   Le  droit 


CHAPITRE   V 

de  l'abus  du  droit,  et   trace  à  l'action  collective  des  fron- 
tières,  imprécises  d'ailleurs,  qu'elle  ne  peut  dépasser. 

Nous  aurons  à  nous  demander  si  l'association  des  auteurs 
n'a  pas  dépassé  les  frontières  vis-à-vis  des  patrons-directeurs, 
-i  nous  avons  affaire  à  un  syndicat  de  défense,  ou  à  une 
coalition  oppressive.  Mais  avant  d'instruire  le  procès  de  la 
Société,  il  sera  nécessaire  de  connaître  l'usage  qu'elle  a  fait 
de  ces  deux  principes  d'action  que  nous  avons  rappelés,  et 
qui  l'ont  faite  véritablement  maîtresse  du  marché  drama- 
tique. 


Le  Service  de  Perception 


Le  Service  de  Perception 


Tout  membre  de  la  Société,  dès  qu'il  a  signé  un  acte  d  adhé- 
sion aux  statuts  de  l'association,  remet  ses  pouvoirs  à  l'un 
des  deux  agents  généraux. 

Cet  agent  le  représente  désormais  obligatoirement,  dans 
l'administration  de  se>  Intérêts,  e1  dans  la  perception  de  ses 
droits,  aussi  bien  à  Paris  qu'en  province,  et  dans  les  pays 
où  l'action  de  la  Société  peu!  s'exercer  légalement  :  ces  pays 
sont,  à  l'heure  actuelle,  ceux  où  l'on  parle  la  langue  française  : 
l'Alsace-Lorraine,  la  Belgique,  la  Suisse,  le  duché  de 
Luxembourg,  <'l  la  principauté  de  .Momie. ». 

L'agent  général  intervient,  lorsqu'il  s'agit  de  donner  aui 
directeurs  de  théâtre  l'autorisation   requise  par  la  l<>i.  | >< h i r 
jouer  It^   œuvres  de  son  client.   Cela  évite  à    l'auteur  des 
formalités  longues  el  ennuyeuses.  Il  n'a  |><i-  besoin  d'engaç 
une  correspondance  avec  les  directeurs  de  province,  d< 
reux  d'interpréter  l'un  ou  l'autre  de  ses  ouvrages,  «le  vérifier 
si  les  directeurs,  avec  lesquels  il  entre  en  relation,  onl  traité 
avec  la  Société,  el  si   leur  contrai   n'est   pas  expin         stà 
l'agent  également  de  l'informer  des  offres  <|ni  lui  sont  faites 
par  les  Impresarii,  «le  conclure  les  accords  relatifs  à  la  rej 
sentation  de   ses  œuvres,   de  veiller  ù    leur  stricte  exécu- 
tion. 

Les  agences    rendenl   à    leur-  clients   un   autre   sen 
celui  de  recouvrer  leurs  droits,  partoul  où  leurs  pi  onl 

jouées.  Sans  leur  concours,  les  auteurs  perdraient  leur  temps 

H 


CHAPITRE    VI 

,i  s'informer  des  représentations  qu'on  a  pu  donner  de  leurs 
ouvrages,  à  réclamer,  souvent  en  vain,  les  droits  qui  leur 
sonl  dus.  Ils  devraient  faire  deux  parts  de  leur  vie  :  Tune, 
consacrée  à  la  littérature,  l'autre,  à  la  poursuite  de  débiteurs 
plus  ou  moins  récalcitrants. 

Informées  —  au  moins  en  principe  —  de  toutes  les  repré- 
sentations  qui  sont  données  sur  un  point  quelconque,  en 
France,  ou  dans  les  pays  de  langue  française,  les  agences 
sont  chargées  d'encaisser  régulièrement  la  part  des  recettes 
qui  reviennent,  ou  qui  sont  censées  revenir  à  leurs  clients. 

Ainsi  l'auteur,  débarrassé  de  l'administration  môme  de 
ses  intérêts,  n'a  plus  que  la  peine  d'écrire  ses  pièces,  et 
celle,  souvent  plus  considérable,  de  les  faire  accepter.  Cet 
effort  fourni,  il  attendra  que  le  succès  et  la  fortune  récom- 
pensent ses  efforts. 


LE    SERVICE    .JE    PERCEPTION 

Perception  à  Paris  et  dans  la  banlieue 

Dans  les  théâtres  el  cafés-concerts  de  Paris  el  de  la  ban- 
lieue, s'il  s'agit  dune  pièce  déjà  jouée,  l  autorisation  requise 
par  la  loi  est  signée  par  l'auteur  lui-même.  Mais  elle  doit 
être,  au  préalable,  visée  par  l'agenl  général,  qui  certifie  que 
l'administration  à  laquelle  elle  esl  accordée  esl  bien  en 
règle  avec  la  Société. 

Pour  être  valable,  cette  autorisation  doil  être  d'ailleurs 
établie  d'après  une  formule  arrêtée  par  la  Commission,  qui 
diffère,  suivant  qu'elle  esi  destinée  à  un  théâtre  ou  à  un 
music-hall. 

Dans  ce  dernier  cas,  elle  réserve  expressément  h  l'auteur 
le  droit  de  laisser  représenter  son  œuvre,  en  même  temps, 
dans  une  autre  salle  de  spectacles.  Mais,  qu'il  s'agisse  d'un 
théâtre  ou  d'un  music-hall,  il  esl  entendu  que  l'acte  n'es! 
valable  que  pour  la  durée  du  traité  général  passé  entre  la 
Commission  et  l'établissemenl  intéressé,  qu'il  cessera  d'avoir 
son  effet,  lorsque  ce  traité  sera  suspendu  ou  rompu,  pour 
quelque  cause  que  ce  soit. 

Pour  la   représentation  Initiale   d'une  œuvre  inédite,   les 
directeurs  n'ont  pas  à  justifier  d'un  acte  d'autorisation  -, 
cial.  Un  contrai  intervient,  en  ce  cas,  entre  l'auteur  el  I  él 
blissemenl  intéressé  :  il  doil  être   porté,  par  la  direction, 
la  connaissance  de  la  Société. 

Des  obligations  minutieuses,  inscrites  dans  les  traités 
accordés  par  la  Commission,  sonl  imposées  aui  salles  de 
Bpectacles,  <l<i  façon  à  faciliter,  dans  la  plus  large  mesure 
possible,  leur  contrôle  sur  les  recettes;  toute  infraction 
l'une  des  règles  de  ce  régime  de  surveillance  exposerail  la 
direction  en    faute  à   des  poursuites,  el  à  une  amende 


308  CHAPITRE    VI 

profil  de  la  caisse  de  secours,  amende  uniformément  fixée  h 
La  somme  de  1,000  francs. 

Les  directeurs  des  salles  de  spectacles  sont  tenus,  aux 
termes  île  leur  traité,  de  remettre,  chaque  soir,  aux  agents 
généraux,  ou  à  leur  représentant,  un  bordereau  signé,  qui 
contient  le  détail  de  la  recette  brute,  par  catégorie  déplaces, 
avec  l'indication  des  abonnés  entrés  dans  la  soirée,  et  le 
relevé  des  billets  de  faveur. 

De  la  sorte,  les  agents  généraux,  qui  ont  le  droit  d'entrer 
dans  les  salles,  peuvent,  à  tout  moment,  vérifier  les  men- 
tions inscrites  sur  les  bordereaux  de  recettes,  constater,  en 
même  temps  que  la  nature  et  retendue  des  spectacles,  si 
l'encaisse  déclarée  est  bien  conforme  au  nombre  des  places 
occupées. 

La  Société  a  même,  si  elle  le  juge  nécessaire,  un  employé, 
choisi  el  payé  par  elle,  qui  a  le  droit  de  se  tenir  dans  l'inté- 
rieur du  théâtre,  pour  vérifier  et  contrôler  tous  les  billets 
présentés  à  la  porte. 

Tous  les  renseignements  nécessaires  doivent,  d'ailleurs, 
être  fournis  aux  agents  généraux,  qui  peuvent  se  faire  pré- 
senter les  bordereaux  el  registres  de  la  porte,  des  locations, 
des  abonnements,  el  de  !;•  petite  recette. 

Le  contrôle  personnel  de  la  Société  est  pourtanl  presque 
Dominai  à  Paris.  Les  agents  généraux  bénéficient  de  la  sur- 
veillance très  étroite  exercée  par  l'Assistance  publique,  pour 
la  perception  du  droit  des  pauvres.  Cette  administration  est 
représentée,  dans  les  différentes  salles  de  spectacles,  par  «les 
employés,  qui  se  tiennent  chaque  soir  auprès  des  bureaux 
de  contrôle  de  la  direction  :  ils  suivent  el  vérifient  leurs 
opérations.  Les  bordereaux  de  recettes  remis  aux  agents 
éraux  se  trouvenl  donc  corroborés  p;n-  les  états  four- 
ni- •  •    I  \ssistance    publique  :    la  Société  des    Auteurs  peut 


LE   SERVICE    DE    PERCEPTION 

être  assurée  de  leur  absolue  sincérité,  à  moins  de  fraudes, 
qui  ne  tarderaient  pas  à  être  déjouées 

Les  traités  généraux  déterminent  exactement  la  compo- 
sition des  recettes  ;  car  tout,  aujourd'hui,  entre  en  compte 
pour  l'auteur,  qu'il  s'agisse  des  places  prises  au  bureau  ou 
en  location,  ou  des  abonnements  :  1rs  auteurs  ne  se  conten- 
tent plus  des  aperçus  qu'on  leur  Fournissait  du  temps  de 
Beaumarchais. 

Aux  termes  des  traités,  la  recette  imposable  comprend  : 

1°  Le  prix  des  places  achetées  à  la  porte,  à  l'ouverture  des 
bureaux. 

2°  Le  prix  des  places  louées  à  L'avance,  à  L'année,  au 
mois,  et  au  jour. 

3°  Les  sommes  entrées  en  caisse  au  cours  de  La  représen- 
tation précédente,  comme  petite  recette  faite  après  Les 
comptes  arrêtés.  Les  comptes  sont,  eu  effet,  établis, 
chaque  soir,  pour  plus  de  commodité  dans  La  tenue  des 
écritures,  à  l'heure  où  la  représentation  commence  :  Les 
sommes  encaissées,  une  lois  Le  rideau  levé,  sont  comprises 
dans  le>  feuilles  «lu  lendemain. 

i"  Le  prix  de  toute  entrée  à  titre  d'abonnement. 

."i"  Le  prix  de  tout. -s  places  aliénées,  pour  quelque  cause 
que  <■(•  soit,  aux  actionnaires,  aux  propriétaires,  aux  four- 
nisseurs du  théâtre,  ou  à  toute  autre  personne. 

6°  Toute  somme  prélevée  par  L'administration  du  théâtre 
sur  les  l>illei<  dits  billets  de  faveur,  soit  au  théâtre,  soit  par 
tout  ailleurs  ou  ce  prélèvement  est  opéré. 

Les  directions  distribuent  souvent,  soitaux  artistes  de  la 
troupe,  ^oit  à  des  personnes  étrangères  au  ili  lâtre,  des  billets 
dits  de  service,  sur  Lesquels  une  rétribution  modique  esl 
toutefois  prélevée,  à  titre  de  contribution  aux  frais  généraux. 
Pe  même  les  billets  d'auteur  sont  revendus,  par  les  wini 


310  CHAPITRE    VI 

d'intermédiaires, au  tiers  ou  au  quart  de  leur  prix  nominal; 

s  différentes  sortes  (rentrées,  donnant  lieu  à  un  paiement, 
doivent  être  mentionnées  sur  les  états  de  recette,  pour  le 
prix  auquel  elles  onl  été  remises  à  leurs  titulaires  défi- 
nitifs. 

7  Les  indemnitées  allouées  à  l'occasion  des  représenta- 
tions offertes  au  public,  soit  pour  les  fêtes  nationales,  soit 
pour  toutes  autres  eirconstances. 

Les  traités  prévoient  le  cas  où  des  indemnités  seraient 
accordées  au  théâtre,  soit  par  l'Etat,  à  l'occasion  des  fêtes 
Dation  aies,  des  réceptions  de  souverains,  soit  par  des  sociétés 
particulières,  pour  des  œuvres  de  bienfaisance. 

8°  Enfin,  au  choix  de  la  Commission  des  auteurs,  la 
recette  réalisée,  ou  l'indemnité  allouée,  ou  encore  une  recette 
moyenne  calculée  sur  les  dix  dernières  représentations, 
dans  le  cas  où  le  directeur  louerait  sa  salle  à  une  tierce 
personne,  pour  une  ou  plusieurs  représentations  données  en 
dehors  «lu  fonctionnement  normal  du  théâtre. 

Notons,  eu  passant,  cette  disposition,  qui  est  de  nature  à 
étendre  encore  l<i  monopole  dont  la  Société  jouit,  en  fait,  sur 
les  salles  de  spectacles.  Si,  d'aventure,  des  représentations 
étaient  organisées  par  un  particulier,  ou  par  une  association 
indépendante  de  la  Société,  pour  i\('s  pièces  étrangères  au 
répertoire  social,  il  faudrait  néanmoins,  pour  que  ces  repré- 
sentât! chappenl  à  la  perception  des  agences,  qu'elles 
1 1 1 — .-fil  données  -m-  une  scène  dont  le  directeur  n'ail  pas 
traité  avec  le  syndical  :  sinon  elles  seraient  encore  soumises 
s  un  prélèvement  indirect  au  profit  de  la  Société,  le  prix  de 
ttion  de  la  -.dl<*  étanl  établi  «mi  conséquence  de  l'obliga- 
tion imposée  parla  Société  à  l'administration  du  théâtre. 


LE  SERVICE  DE  PERCEPTION  A[[ 


Di verses  fraudes  ont  été  depuis  longtemps  imaginées  par 
les  directeurs,  pour  soustraire  une  pari  des  recettes  au  pr< 
vement  opéré  dans  l'intérêt  des  auteurs.  La  Société  a  fait 
tout  ce  qu'elle  a  pu,  non  seulement  pour  substituer,  à  la 
confusion  des  comptes,  Tordre  et  la  clarté,  mais  aussi  pour 
prévenir  tout  abus  de  nature  à  porter  préjudice  à  ses  as* 
ciés. 

D'abord  le  traité  général  accordé  à  chaque  établissement 
de  Paris  ou  de  la  banlieue  indique  le  nombre  la  nature,  et 
le  prix  des  places.  C'est  d'après  le  tarif  annexé  à  la  conven- 
tion, que  le  droit  d'auteur  est  calculé,  quand  bien  même  le 
directeur  viendrait  à  abaisser  ses  prix. 

Au  cas  où  le  directeur  voudrait  faire  supporter  aux  auteurs 
le  contre-coup  de  cette  réduction,  il  devrait,  au  préalable, 
obtenir  le  consentement  de  la  Commission.  Si,  au  contraire, 
il  venait  à  les  élever,  les  auteurs  bénéficieraient  en  tout  cas 
de  cette  augmentation. 

Les  abonnements  donnent  lieu  naturellement  a  une  per- 
ception moindre  que  celle  qui  esl  indiquée  au  tarif,  pour  les 
places  correspondantes.  Mais  la  Société  n'a  pas  étendu  cette 
laveur  aux  abonnements  non  personnels,  c'est-à-dire  aux 
concessions  de  billets  faites  par  !<'<  administrations  à  des 
agences  théâtrales. 

Il  arrive  assez  fréquemment  qu'un  directeur,  gêné  dans 
ses  affaires,  ait  besoin   de  sommes  immédiatement   dis] 
nibles.  Il  s'adressera,  l«i  plus  souvent,  a  une  agence  théâtrale, 
à  laquelle,  en   retour  du  prêt  consenti,  il  aband ra  un 

certain  nombre  de  places  par  représentation. 

Les  places  seront  cédées  à  un  prix  très  inférieur  a  leur 
prix  m  location,  qui  constituera  le  bénéfice  du  prêteur 


312  CHAPITRE   VI 

Pour  10(1,000  francs  en  argent,  le  directeur  cédera  i  ou 
500,000  francs  en  billets. 

La  Société  dos  Auteurs  n'avait  aucune  raison  d'encou- 
concessions,  aussi  contraires  h  la  bonne  gestion 
d'un  établissement,  qu'elles  auraient  pu  rire  préjudiciables 
aux  intérêts  des  auteurs.  Aussi  a-t-elle  pris  soin  de  stipuler 
que  toute  place  dont  nue  direction  aurait  disposé  par  avance, 
au  moyen  d'un  traité  de  ce  genre,  serait  toujours  comptée 
dans  le  bordereau  de  recette  au  prix  de  location  (1). 

Sans  cette  précaution,  la  Société  aurait  d'ailleurs  été  à  la 
merci  îles  directeurs  et  des  agences,  qui  eussent  pu  s'en- 
tendre pour  lui  déclarer  un  prix  de  cession  fantaisiste. 

Ain  un  arrangement  de  ce  genre  ne  doit  intervenir,  sans 
que  la  Société  en  ait  connaissance.  Aussi  les  agents  géné- 
raux ont-ils  le  droit  de  se  faire  communiquer  et  délivrer 
une  copie  certifiée  exacte  de  tous  les  traités  particuliers  rela- 
tif- ;i  des  concessions,  abandons  de  places,  ou  ventes  consen- 
ties par  l'établissement.  Le  directeur  s'engage,  en  outre,  à 
déclarer  d'office  ces  traités,  au  fur  et  à  mesure  de  leur 
conclusion.  S'il  manquait  a  celle  prescription,  il  s'expose- 
rail  ;i  une  amende.  Pour  que  la  responsabilité  de  la  direc- 
tion ne  puisse  être  mise  en  doute,  la  Société  exige,  d'autre 
part,  que  tout  billel  délivré  porte  le  visa  des  bureaux  de  l'éta- 
blissement. 

La  Société  devait  aussi  se  méfier  des  billets  de  faveur,  qui 
peuvent  servir  &  couvrir  bien  des  fraudes,  de  la  pari  des 
administrateurs  théâtrales.  Tantôt  ils  seront  délivrés  vérita- 
blement .i  titre  gracieux,  soil  gratuitement,  soit  à  prix 
réduit  :  tantôt  il-  seront  remis  eu  échange  de  services 
rendus  au  théâtre,  en  fournitures,  <>u  en  publicité  :  <>u,  plus 


i,  Annuaire  f8C9,  page  290. 


LE    SERVICE   DE    PERCEPTION  313 

simplement,  ils    permettront   d'organiser  une  comptabilité 
occulte,  ignorée  tics  agents  généraux. 

Pour  déjouer  ces  combinaisons,  fréquemment  employi 
la  Société  a  stipulé,  dans  ses  traités  généraux,  que  le  droit 
proportionnel  serait  exigible  sur  le  prix  maximum  de  toutes 
les  places  occupées,  soit  à  titre  gratuit,  soit  à  titre  payant, 
sauf  à  la  Société  à  fenir  compte  à  la  direction  des  billets 
délivrés  à  titre  gracieux,  s'il  esl  établi  qu'ils  oui  été  i  •  •  «  *  1 1  •  •  - 
ment  cédés  sans  aucune  utilité  pour  le  théâtre. 

Les  tribunaux  n'ont  pas  hésité  à  faire  application  de  cette 
clause,  lia  été  jugé,  notamment  que,  sous  la  réserve  men- 
tionnée plus  haut,  les  billets  <le  faveur,  ■  qui  sont,  le  plus 
souvent  la  représentation  des  services  rendu-  an  théâtre,  el 
en  constituent  le  paiement  en  nature,  doivenl  figurer  sur  la 
recette,  non  pas  seulemenl  pour  le  prix  réduit,  s'ils  sont 
payants,  non  pas  pour  zéro,  s'ils  sont  gratuits,  mais  pour  le 
prix  normal  de  la  place  -    I  . 

L'abus  s'était  développé,  particulièrement  dans  ces  der- 
nières années,  en  matière  de  publicité  ;  sous  prétexte  de  rétri- 
buer des  réclames  spéciales,  les  directions  distribuaient  des 
Itillets  dits  d'affiche,  <jui  échappaient  au  prélèvement  de  la 
Société.  Les  auteurs  subissaient  de  ce  fait  un  préjudice 
sérieux.  Aussi,  en  1906,  la  Commission  a-t-elle  spécialement 
exigé  que  les  billets  d'affiche  fussent  soumis  au  droit  pro- 
portionnel. 

Pour  éviter,  en  outre,  toute  comptabilité  occulte  échap- 
pant  .1   sa    surveillance,  la   Société  défend  aux  administi 
tions  théâtrales  de  faire  aucune  perception  aux  bureaux  du 
contrôle.  Les  paiements  doivent  toujours  être  effectués  aux 
guichets  des  salles  de  spectacles,  et  figurer  sqr  les  écritures 


1    Tribunal  civil  de  la  Seine.  M  P*l  l*9i>  JWWl  **  """'  d  • 


IU4  CHAPITRE    VI 

de  la  caisse.  Les  directions  sont  d'ailleurs  tenues  de  désigner 
par  un  signe  connu  des  agents  généraux  les  billets,  dits  de 
laveur,  donnant  lieu  à  une  rétribution,  si  minime  soit-elle. 

Od  fail  encore  aujourd'hui,  dans  presque  toutes  les  salles 
de  spectacles,  un  service  de  claque,  auquel  on  consacre,  sui- 
vant L'importance  qu'on  attache  à  ce  mode  d'enthousiasme 
factice,  un  nombre  de  places  plus  ou  moins  considérable. 
Les  billets  délivrés  n'étant  pas  nominatifs,  la  Société,  pour 
prévenir  toute  fraude,  les  assimile  aux  ventes  et  concessions 
de  billets  non  personnels;  ils  entrent  en  compte,  dans  les 
situations  de  recettes,  pour  leur  prix  en  location. 

Les  représentants  des  agents  généraux  auprès  des  diffé- 
rentes -cènes  mentionnent  régulièrement,  sur  leurs  carnets 
de  perception,  les  sommes  dues  à  titre  de  droits  d'auteur. 
Les  directeurs  sont  tenus  de  faire  contresigner  ces  carnets 
par  le  contrôleur  en  chef  de  leur  établissement. 

Ils  doivent  compte  de  ces  sommes  aux  agences,  jusqu'au 
moment  où  il  leur  en  est  donné  quittance.  La  part  des 
auteurs  ne  saurait  en  effet  être  détournée,  pour  quelque 
cause  que  ce  soit,  de  sa  destination  :  le  directeur  en  est  seu- 
lemenl  dépositaire,  el  ses  créanciers  ue  peuvent,  aux  termes 
de  l'article  2  de  la  loi  du  19  juillet  1791,  exercer  sur  elle 
aucune  saisie-arrêt. 

Rappelons  que  le  directeur  Lui-même  ne  pourrait  —  ainsi 
•  pi  il  b  été  jugé  dans  une  affaire  intéressant  Alexandre 
hiini.i-  père  —  retenir  une  partie  des  droits,  sous  prétexte 
que  I  auteur  b  contracté  des  dettes  envers  lui.  Cela  est  beu- 
,,,lx  la  tentation  sérail  trop  forte  pour  L'administration, 
de  i    un  titre  de  <p'mii<<>  quelconque,  lui  permettant 

de  garder  par  devers  elle  une  partie  <lu  gain  de  L'auteur. 


LE    SERVICE    DE    PERCEPTION 


Perception  en  province 


Nous  avons  vu  les  résistances  auxquelles  les  auteurs  se 
heurtèrent,  au  lendemain  de  la  Révolution,  lorsqu'ils  vou- 
lurent faire  valoir,  à  rencontre  d<is  entrepreneurs  des 
départements,  les  droits  nouveaux  qui  leur  étaient  reconnus. 

Ces  résistances  furent  longues  à  céder.  Car  en  1844,  <mi 
1850,  «mi  1853,  des  circulaires  officielles  interviennent  h 
nouveau  pour  rappeler  les  directeurs  à  un  respecl  plus  scru- 
puleux de  la  propriété  dramatique. 

Le  décrei  de  1864,  qui  rendait  les  théâtres  à  un  régime  de 
liberté,  fut  le  signal  d'une  reprise  des  hostilités.  On  est 
souvent  porté  à  confondre  la  cause  de  la  liberté  avec  celle  de 
l'anarchie,  à  voir,  dans  son  triomphe,  I«i  triomphe  de 
intérêts  particuliers.  Les  directeurs  de  province  furent 
tt'iit»'^  de  croire  que  le  pouvoir  se  désintéressail  désormais 
de  l'administration  d^*  salles  de  spectacles,  <d  du  sort  des 
auteurs.  Ils  pensèrent  que  sans  I»1-  abandonner  ouverte- 
ment, il  relâchait  la  protection  que  la  législation  leur  avait 
accordée  jusqu'alors.  h<"  fait,  dans  l'incertitude  et  la  confu- 
sion qu'entraîne  naturellement  le  changement  ^\>^  habi- 
tudes administratives,  les  municipalités  se  montrèrent  sou- 
vent peu  disposées  à  favoriser  les  auteurs,  et  à  !<i-  défendre 
contre   l<i>   empiétements    des    directeurs.    Le    ministre  de 

l'intérieur  dut  mettre  les  choses  au  point  par  nouvelle 

circulaire  adressée  aux  préfets,  qui  ne  diffère  guère  des 
documents  rédigés  jadis  par  François  de  NeufchAteau  el  par 
Montalivet. 

Les   auteurs  réunis  en  dit   le   ministn  sont 

plaints  que  les  municipalités,  par  suite  d'une  Fausse  inl 
prétation  du  décret  de  1864,  n'assurent  pas  une  protection 


316  CHAPITRE    VI 

suffisante  aux  intérêts  des  auteurs  dramatiques.  Ce  décret, 
portant  que  les  pièces  de  Ions  genres  pourront  être  rcpré- 
sentées  sur  toutes  les  scènes,  n'a  pourtant  diminué  en 
aucune  façon  les  droits  des  ailleurs.  Les  écrivains  restent 
libres,  comme  par  le  passé,  de  déterminer,  par  des  conven- 
tion-» mutuelles,  la  rétribution  qui  leur  est  due  :  les  fonction- 
naires doivent  prêter  leur  concours  à  l'exécution  de  ces  conven- 
tion-, sans  pouvoir  modifier  le  taux  des  droits  d'auteur. 

Les  entrepreneurs  doivent  respecter  les  titres  des  pièces, 
qu'ils  oe  se  gênent  pas  pour  modifier  à  l'occasion. 

Enfin  le  ministre  rappelle  que  les  ouvrages  qui  ne  font  pas 
partie  du  domaine  public  ne  peuvent  être  représentés  sans 
le  consentement  de  leurs  auteurs. 

A  ce  propos  l'existence  de  la  Société  des  Auteurs  est 
officiellement  reconnue  ;  car  la  circulaire  fait  observer  que 
l'autorisation  requise  est  valablement  donnée  par  le  corres- 
pondant  de  l'association,  qui,  dans  les  différentes  localités,  a 
qualité  pour  permettre  ou  interdire  les  représentations. 

Les  directions  de  province  feignirent,  sans  doute,  de  ne 
pas  comprendre  le  langage  de  l'administration.  Car  nous 
voyons,  en  1889,  l«i  ministre  de  l'instruction  publique  revenir 
.1  la  charge,  et  rappeler  les  entrepreneurs  de  spectacles,  dans 
des  termes  anologues,  à  une  plus  juste  observation  d(^  lois 
lutionnaires. 


I      S  eiété  des  Auteurs  <'^|   représentée   en    province  par 
correspondants,  qui   dirigent  l<i  service  de    perception, 
dans  la  plupart  des  \ill"-  pourvues  d'une  scène.  Les  corres- 
pondante de  la  Société  sont  choisis  et  nommés  par  l<is  agents 
léraux,  qui  sont  personnellement  responsables  de  leur  ges- 
i.  Il-  doivent  surveiller  les  localités  voisines  de  leur  cir- 


LE    SERVICE    DE    PERCEPTION 

conscription,  dans  lesquelles  la  Société  n'a  pas  de  représen- 
tants, et  désigner,  an  besoin,  des  correspondants  spéciaux, 
an  cas  où  des  spectacles  y  seraient  donni 

Lorsque  des  pièces  inédites  sont  représentées  pour  la 
première  ibis  sur  une  scène  de  province,  il  se  forme  entre 
l'auteur  et  l'établissement  intéressé  un  contrai  de  représen- 
tation, dont  la  Société  doit  être  avisée. 

.Mais  la  plupart  dr>  pièces  jouées  eu  province  sont  des 
exportations  de  la  capitale.  En  ce  cas,  ce  n'est  plus  l'auteur 
lui-même  qui  autorise,  comme  cela  a  lieu  à  Paris  pour  les 
pièces  déjà  représentées;  les  directeurs  n'ont  même  pas 
besoin  de  justifier  chaque  fois  d'une  autorisation  spéciale. 
Les  auteurs,  n'ayant  plus  à  craindre,  comme  sous  l'Ancien 
Régime,  de  voir  leurs  ouvrages  colportés  en  province,  sans 
qu'ils  soient  appelés,  au  moins  <in  théorie,  à  en  tirer  un 
profil  matériel,  ne  peuvent  que  souhaiter  de  les  voir  jouer 
dans  toute  la  France.  Il  étail  inutile  de  leur  demander  une 
permission,  qui  esl  accordée  d'avance. 

Toutefois,  et  pour  sauvegarder  leur  droit  «le  propriété,  ils 
<>nl  la  faculté  de  se  réserver,  par  une  note  mise  au  bas  de 
leurs  ouvrages  imprimés,  le  droit  d'autoriser  ou  de  défendre 
eux-mêmes  la  représentation  <l«i  leurs  œuvres. 

En  dehors  de  ce  cas,  et  en  vertu  d'une  tolérance  consacrée 
par  l'usage,  les  directeurs,  désireux  d'exploiter  !•'  répertoire 
de  la  Société  des  Auteurs,  n'ont  qu'à  solliciter  <l  elle  une 
autorisation  générale,  qui  leur  est  accordée  en  échange  «I  un 
acte  d'engagement  conforme  aux  conditions  arrêtées  par  la 
Commission  :  cet  engagement  est  signé  en  trois  expédition 

dont  IN reste  entre  les  mains  du  correspondant,  les  auti 

étant  adressées  aux  agents  généraux. 

Celte  autorisation  permanente  leur  permet  de  jou 
autre  formalité,  tout  le  répertoire   social.  Mais   I  auteur  ne 


CHAPITRE    VI 

si  pas  dépouillé  de  ses  droits.  L'autorisation  générale  a  la 
valeur  d'une  simple  présomption  :  elle  ne  peut  plus  être 
invoquée,  du  moment  où  l'auteur  exprime  une  volonté 
contraire.  Il  peut,  en  effet,  interdire  les  représentations,  les 
interrompre  à  (oui  moment,  en  signifiante  l'établissement  in- 
téressé une  défense,  à  laquelle  il  ne  saurait  être  passé  outre  (1). 

En  tout  étal  de  cause,  l'auteur  conserve  aussi  le  droit, 
lorsqu'il  y  a  plusieurs  théâtres  clans  une  même  localité, 
d'en  désigner  un,  auquel  il  entend  réserver  son  répertoire. 

Il  arrive  souvent,  dans  les  grandes  villes,  qu'à  côté  d'un 
théâtre  sérieux,  disposant  d'artistes  de  carrière,  il  existe  des 

[les  de  second  ordre,  exploitées  par  des  troupes  de 
rencontre. 

L'auteur  a  naturellement  intérêt  à  être  joué  avec  toutes 
les  chances  de  succès;  il  est  seul  juge  de  la  question. 
Il  pourra  concéder,  à  l'un  des  établissements,  un  véritable 
privilège,  pour  la  représentation  de  ses  œuvres.  Tout  autre 
établissement,  qui  monterait  l'un  de  ses  ouvrages,  s'expose- 
rail  <i  des  poursuites.  Le  cas  s'est  présenté  :  les  tribunaux 
non!  pas  hésité  à  admettre  que,  malgré  L'autorisation  géné- 
rale  donnée  par  La  Société,  cette  restriction,  due  à  la  volonté 
de  L'auteur,  était  parfaitement  valable. 

En  1865,  MM.  Lambert  et  Thibousl  avaient  accordé  à 
L'administration  du  Théâtre-Français,  à  Rouen,  une  autori- 
sation exclusive  de  représenter  Leurs  pièces,  valable  pour 
deui  ans.  Le  directeur  du  théâtre  des  Arts  se  crut  point, ml 
autorisé  a  monter,  malgré  La  défense  <jui  Lui  <ui  fut  faite, 
une  pièce  de  ces  auteurs,  Une  corneille  qui  abat  des  noir.  Son 
collègue  du  Théâtre  Français  fil  saisir  La  récette,  H  L'assigna 
devant   Le   tribunal   correctionnel   de    Rouen.    L<is  auteurs 


i    Tribunal  correctionnel  et  Cour  de  Rouen,  0  mari  1866  ;  Annales  de  la 
dustriêlli 


LE    SERVICE    DE    PERCEPTION  .!10 

intervinrent  pour  soutenir  les  droits  de  leur  cessionnaire. 

Le  contrevenant  invoquait,  pour  sa  défense,  l'autorisation 
permanente  qu'il  tenait  de  la  Société  des  Auteurs  :  Thibousl 
et  Lambert,  disait-il,  n'étaient  pas  recevables  dans  L'in- 
action, omme  avant  abandonné  à  la  Société,  dont  ils  fai- 
saient partie,  l'exercice  de  leurs  droit-. 

Le  tribunal  repoussa  cette  prétention,  jugeant  : 

«  ...  Que  si,  par  une  tolérance  reconnue  par  l'usage,  les 
théâtres  de  province  font  journellement  représenter,  sans 
autorisation  formelle,  les  pièces  jouées  sur  les  théâtres  de 
Paris,  et  émanées  des  membres  de  la  Société  des  Auteurs 
dramatiques,  à  la  condition  de  solder,  à  cette  Société,  les 
droits  d'auteur  fixés  par  les  traités,  cette  tolérance  ne  peu! 
résulter  que  du  consentement  tacite  des  auteurs,  qui  ne  peul 
être  admis  en  présence  d'une  défense  signifiée  par  eux,  ou 
par  leurs  cessionnaires  ». 

Le  jugement  remarque  en  outre  que  l'autorisation  donnée 
par  la  Société  aux  directeurs  de  province  ae  faii  pas  obstacle 
—  cela  est  dit  expressément  dan-  les  actes  d'engagement  — 
aux  droits  que  les  auteurs  tiennent  des  lois  de  I7!M  et  de 
1793,  qu'ils  conservent  notamment  le  droit  de  faire  avec  les 
administrations  théâtrales  des  conventions  particulières.  Il 
fait  observer  plus  spécialement  :  «...  qu'aucune  disposition  de 
l'acte  de  société  ne  prive  les  auteurs  dramatiques  de  la 
faculté  d'accorder  aux  directeurs  de  théâtre  le  droit  exclusif 
de  représenter  leurs  œuvres  ;  qu'il  faudrait,  pour  les  décla- 
rer déchus  de  ce  droit,  une  convention  expresse  et  formelle, 
puisqu'ils  seraient  ainsi  exposés  à  voir  leurs  ow 

à  des  artistes  sans  talent,  qui  | rraient    en  dénaturer  la 

(orme  et  la  portée  »  (I  . 


1    Jugement  prérite  du  9  m 


CHAPITRE    VI 

Cela  esl  parfaitement  raisonné.  Si  la  Société  dos  Auteurs 
a  pour  objet  la  mise  en  commun  d'une  partie  des  droits  des 
écrivains,  elle  ne  porte  pas  atteinte  à  leur  propriété.  Ils 
_  rdenl  le  droit  de  permettre  et  défendre  la  représentation 
de  leurs  ouvrages,  et  par  là  même  d'accorder  un  privilège, 
pour  l'exploitation  de  leurs  pièces,  à  une  administration 
théâtrale.  Quand  bien  même  aucune  réserve  ne  serait  faite,  à 
cet  égard,  dans  les  actes  d'engagement  signés  des  directeurs, 
les  auteurs  n'en  conserveraient  pas  moins  cette  prérogative, 
qui  est  une  manifestation  de  leur  droit  de  propriété.  Ce 
droit  reste  entierentre  leurs  mains,  tant  qu'ils  l'exercent  dans 
la  limite  des  engagements  qu'ils  ont  contractés  envers  la 
S  ciété.  En  résumé,  quand  la  Société  autorise,  elle  autorise 
au  nom  des  auteurs  :  si  les  auteurs  manifestent  une  volonté 
contraire,  l'autorisation  cesse  d'être  valable.  Si,  sans  expri- 
mer une  volonté  contraire,  les  auteurs,  comme  dans  le  cas 
dont  il  s'agit,  restreignent  la  portée  de  l'autorisation  accor- 
dée,  cette  restriction  s'impose  aux  administrations  théâ- 
trales. 

Lorsqu  il     s'agil    d'une    troupe    sédentaire,    n'exploitant 
qu'une  seule  ville,  l<*  traité  accordé  au  directeur  est  signé  par 
1"  correspondant,  aprèâ    avis  préalable  donné  aux    agents 
éraux. 

Quand  il  s'agit  d'une  troupe  <'n  tournée,  ou  de  théâtres 
Forains,  il  esl  signé  par  l'un  des  agents  généraux  :  l<4s  cor- 
respondants des  diverses  localités  intéressées  sontavertis, 
par  un  avis  d  autoriser,  que  les  représentations  peuvent  avoir 
lieu,  lout entrepreneur  de  province  esl  d'ailleurs  responsable 
■ —  «'m  moins  théoriquement  des  représentations  données 
dans  -"H  établissemenl  par  des  artistes  de  passage. 

An  i  il  parviendrait  à  la  connaissance  d'un  corres- 

pondant   qu  une    représentation    est   annoncée,    sans    que 


Le  service  de  Perception 

le  directeur  justifiât  .l'un  traité  consenti  par  la  Société,  il 
devrait  signifier  de  suite  une  défense  de  jouer,  réclamer,  le 
cas  échéant,  le  concours  des  autorités  locales,  pour  interdire 
les  représentations,  et  pratiquer,  au  besoin,  la  saisie  des 
recettes.  Enfin,  au  cas  où  la  Commission  jugerait  a  propos 
de  poursuivre  en  justice  le  contrevenant,  il  devrait,  sur  son 
ordre,  l'assigner  devant  le  tribunal  correctionnel. 


Le  droit  d'auteur  en  province  es!  tantôt  fixe,  tantôt  pro- 
portionnel à  la  recette  A  l'origine,  il  était  toujours  fixe, 
arrêté,  pour  chaque  ville,  d'après  le  chiffre  de  la  population, 
et  les  ressources  financières  des  établissements.  Cette  taxa- 
tion avait  le  double  inconvénient  d'être  peu  fructueuse  pour 
les  auteurs,  et  de  donner  lieu  à  des  contestations  sans  fin, 
chaque  ville  se  trouvant  trop  fortement  imposée,  relati 
ment  à  une  localité  voisine 

La  Société  a  changé  le  principe  de  sa  perception.  Aujour- 
d'hui, toutes  les  villes  de  province  sont  assujetties  au  droit 
proportionnel,  à  l'exception  des  villes  d'eaux  et  de  bains, 
soumises  à  un  droit  fixe,  qui  \;i  de  60  à  120  francs,  et  <|ui 
est  établi  d'après  le  taux  du  droit  d'entrée  perçu  dans 
l'établissement. 

La  perception  dans  les  \ille>  d'eaux  est  donc  assez  faible. 
Mais  il  faut  tenir  compte  de  ce  fait  <|iei  les  casinos,  même 
1('n  plus  luxueux,  sont  moins  des  salles  de  rapport,  que  des 
instruments  de  réclame  pour  l«i-  plages  ou  les  stations 
thermales  à  la  prospérité  desquelles  ils  sont  liés;  les  dirt 

teur s  aimeront  souvent  mieux  doi r  des  places  aux  hôf 

de  marque,  que  de  l«i-  vendre  aux  premiers  venus, 

La  Société  des  Auteurs  ne  pouvait,  sans  soulever  des 
protestations,  se   montrer  trop  exigeante  envers  des  entre- 


322  CHAPITRE    VI 

prises  théâtrales  qui  restent  généralement  au-dessous  de 
leurs  affaires. 

Le  il r«>i t  d'auteur  doit  être  perçu,  pour  chaque  représenta- 
tion, d'après  un  bordereau  de  recolle  signé  par  les  entrepre- 
neurs, el  conforme  à  un  modèle  établi  par  la  Commission. 

S'il  contient  des  déclarations  fausses,  la  direction  est 
passible  d'une  amende  de  200  francs,  an  profit  de  la  caisse 
de  secours. 

Tons  les  éléments  de  la  recette  sont  énumérés  dans  les 
engagements  signés  par  les  directeurs  de  province,  ainsi 
que  dans  les  traités  conclus  avec  les  scènes  parisiennes.  Les 
billets  de  faveur  ne  doivent  être  également  admis  en  compte 
par  le  correspondant  que  sous  bénéfice  d'inventaire. 

Des  moyens  de  contrôle,  analogues  à  ceux  qui  sont 
employés  à  Paris,  sont  reconnus  aux  représentants  de  la 
S  eiété,  qui  peuvent  vérifier  les  livres  de  la  comptabilité  des 
administrations,  et  déléguer,  au  besoin,  pour  inspecter  les 
salles,  mi  contrôleur,  qui  sera  rémunéré  par  les  établisse- 
ments intéressés. 

I  h  article  des  actes  d'engagement  Interdit  spécialement 
l'usage  —  fort  en  honneur  —  de  la  cassette,  c'est-à-dire  les 
paiements  de  places  faits  directement  aux  bureaux  de 
contrôle,  et,  le  plus  souvent,  ;t  l'insu  des  agents  de  la  Sociél<;. 

Toute  contravention  à  cette  défense  expose  la  direction  à 
une  amende  de  100  francs. 

I  •  -  correspondants  adressent  à  Paris,  à  des  intervalles 
uliers,  leurs  états  de  perception,  sur  des  tableaux  qui  leur 
-"ut  remis  a  ce!  effet  par  la  Société,  et  les  sommes  qu'ils 
'•ni  touchées  pour  le  compte  des  auteurs. 

Le    localités  soumises  à  l'action  delà  Société  se  divisent, 

■  point  de  vue,  en  trois  classes  :  les  villes  mensuelles,  les 
villes  trimestrielles,  el  les  villes  d'eaux. 


LE    SERVICE    DE    PERCEPTION 

Dans  les  villes  mensuelles,  les  correspondants  établissent 
en  double,  du  Ier  au  5  de  chaque  mois,  un  étal  de  percep- 
tion qu'ils  envoient   a    chacun   des  agents   généraux.    Les 
fonds  sont  remis  intégralement,  pour  La  moitié  des  local  il 
à  Tune  des  agences,  pour  l'autre  moitié,  à  l'autre  agen 

Dans  le  cas  où  aucune  représentation  n'aurait  été  donne  e 
dans  le  courant  du  mois,  le  correspondant  établira  un  certi- 
ficat négatif. 

Les  correspondants  des  villes  d'eaux  et  «le  bains  de  mer 
sont  astreints  aux  mêmes  formalités,  mais  seulement  pen- 
dant la  durée  de  la  saison  balnéaire. 

Dans  les  villes  dites  trimestrielles,  les  correspondants 
n'établissent  leurs  étals,  et  n'adressent  leurs  fonds,  que  tous 
les  trois  mois. 

Les  correspondants  doivent  inscrire,  sur  un  registre  spé- 
cial, au  Pureté  mesure  des  représentations:  la  composition 
des  spectacle>.  1»'  chiffre  de  la  recette  brute,  le  montant  des 
droits  d'auteur  perçus.  Il-  mentionnent  également  Le  chiffre 
des  droits  supplémentaires  prélevés,  par  >nile  de  conventions 
particulières  avec  L'auteur.  Ce  registre,  conservé  par  les  cor- 
respondants, est  une  pièce  comptable,  qui  permet  aux  agents 

téraux  de  vérifier,  à  tout  moment,  la  conformité  de 
document  avec  les  indications  qui  leur  oui  été  fournies. 

Les  mêmes  règles  de  perception,  édictées  pour  la  proi  ince, 
sont  appliquées  en  Algérie,  <in  Tunisie,  et  dans  les  colon 
françaises.  Parmi   Les  théâtres  soumis  aux  prélèvements  de 
];|  Société,   se    trouvent    les  scènes    d'Hanoï,    de    S  fgon, 
d'Haïphong,  de  Tananarive,  de  Tamatave. 


324  CHAPITRE    VI 

Perception  à  l'étranger 

La  Société  des  Autours  n'a  cessé  de  se  préoccuper  de  la 
situation  faite  à  ses  membres  dans  les  pays  étrangers.  Elle 
s'esl  ass<  ciée  aux  lentatiyes  laites  par  les  pouvoirs  publics 
pour  conclure,  avec  les  nations  voisines,  des  conventions 
assurant,  aux  auteurs  français,  des  droits  identiques  à  ceux 
qui  sont  reconnus  aux  écrivains  nationaux  ;  parfois  elle  a 
inspiré  elle-même  ces  démarches.  Elle  n'est  pas  non  plus 
rotée  indifférente  à  l'œuvre  poursuivie  pour  fixer,  en 
l'absence  de  traités  particuliers  plus  avantageux  conclus 
avec  certaines  puissances,  les  conditions  générales  de  pro- 
tection  de  la  propriété  littéraire. 

La  Convention  de  Berne,  modiiiée  en  1896,  et  qui  a 
groupé  onze  Etats  européens,  porte  dans  son  article  5  : 

«  Les  auteurs  jouissent  du  droit  exclusif  de  faire  ou  d'au- 
toriser la  traduction  de  leurs  a3uvres,  pendant  toute  la  durée 
du  droit  sur  l'œuvre  originale.  Toutefois,  le  droit  exclusif 
de  traducteur  cessera  d'exister,  lorsque  l'auteur  n'en  aura 
pas  fait  usage  dans  un  délai  de  dix  ans,  à  partir  de  la  pre- 
mière publication  de  l'œuvre  originale,  en  publiant  ou  en 
faisant  publier,  dans  un  des  pays  de  l'Union,  une  traduction 
dans  la  langue  pour  laquelle  la  protection  sera  réclamée  ». 

Certains  [>.•>-  -oui  toutefois  restés  en  dehors  de  cet  acte 
international  :  il  eu  est  ainsi  aotamment  de  l'Autriche- 
Hongrie,  «lu  Portugal,  de  la  Hollande,  de  la  llussie,  cl 
Burtoul  <!<•  l'Amérique,  qui  fait  de  Larges  emprunts  au  réper- 
toire  français,  mais  où  l'auteur,  pour  bénéficier  d'une  pro- 
tion,  d'ailleurs  restreinte,  doit  se  soumettre  à  des  for- 
malités gênantes.  Il  doit,  au  plu-  tard  le  jour  de  la  première 
publication  de   a  pièce  à  L'étranger,  déposera  la  bibliothèque 


LE   SERVICE   DE   PERCEPTION 

du  Congrès,  le  titre  imprimé  <l«i  sa  pièce,  ainsi  que  deux 
exemplaires;  tous  les  ouvrages  imprimés  doivent  en  outre 
porter  réserve  de  ses  droits. 

Des  règles  différentes  ont  été  établies  par  la  Société,  pour 
la  perception  des  droits  d'auteur  dans  les  p.-i\  -  dits  de  langue 
française,  que  nous  avons  énumérés  plus  haut,  «■!  qu'on 
englobe  sous  le  nom  d'étranger  ordinaire,  el  dans  lesautres 
pays,  qu'on  comprend  dans  le  terme  d'étranger  extraordi- 
naire. 

Dans  les  premiers,  la  Société  entretient  des  correspondants 
attitrés,  et  organise  une  perception  régulière  comme  a  1  in- 
térieur  de  la  France.  Les  auteurs  sont  donc  soumis  aui 
mêmes  obligations  qui  leur  sonl  imposées  en  deçà  des 
frontières;  ils  sont  tenus  d'avoir  recours  à  l'intermédiaire 
des  agents  généraux  ;  ils  ne  peuvenl  faire  d'accords  contraires 
aux  conditions  arrêtées  par  la  Commission.  Les  sommes 
encaissées  pour  leur  compte  subissent  I»'  prélèvement  sta- 
tutaire de  1  0/0  pour  les  charges  sociales. 

Dans  les  autres  pays  étrangers,  où  la  Société  o'a  pas  de 
représentants,  les  auteurs  sont  libres,  au  contraire,  d'autoriser 
la  représentation  de  leurs  œuvres  aux  conditions  qu  il  leur 
plaît  d'imposer  :  ils  peuvent  vendre  leurs  pi<  forfait,  ou 

stipuler  un  tant  pour  cent  variable  sur  les  recettes  eflfectu< 
ils  peuvent  confier  aux  agents  généraux  l'administration  de 

leurs  intérêts,  on  traiter  directe ni.  ou  par  des  intermé 

diaires  qu'ils  choisissent  :  ils  peuvenl  aussi  recourir,  pour  les 
œuvres  musicales,  àl'entremise  de  la  Société  des  Editeurs 
et  Compositeurs  «l«à  musique. 

Cette  liberté  a   paru  excessive  a  certains,  et  contraire 
principe    même   dont    la    Société    se    réclame.    Dèa    ls 
M.    Gandillot  demandait   que   les  auteurs  fussent  obli 
d'avoir    recours    aux    agentfi    -  4U  ll    I''ur    lul 


CHAPITRE    VI 

interdit  de  conclure  des  traités  particuliers,  on  dehors  de 
leur  intervention. 

Le  Président  de  la  Commission  fit  écarter  cette  proposi- 
tion :  il  observa  qu'on  ne  pouvait  priver  les  auteurs  du 
droit  de  traiter  directement,  dans  les  pays  avec  lesquels  la 
S  ciété  n'entretenait  pas  de  relations  officielles.  11  constatait 
d'ailleurs  que,  malgré  la  liberté  qui  leur  était  laissée  à  cet 

n'd,  les  auteurs  s'adressaient  presque  toujours  aux  agents 
généraux,  qui  avaient  leur  confiance. 

Une  autre  conséquence  résultait  de  l'indépendance 
reconnue  en  celte  matière  aux  membres  de  l'association. 

Dans  les  pays  étrangers  autres  que  les  pays  de  langue 
française,  les  droits  d'auteur,  étant  remis,  non  à  la  Société, 
mais  directement  aux  intéressés,  ne  se  trouvaient  pas  sou- 
mi-  h  l.i  retenue  statutaire  de  1  0/0. 

i  >tte  conséquence  était  une  anomalie.  En  1900,  M.  Decour- 
celle,  préoccupé  d'accroître  les  ressources  de  la  Société,  de 
façon  a  permettre  le  développement  du  service  des  pensions, 
proposa  d'effectuer  le  prélèvement  de  1  0/0  sur  les  droits 
d'auteur  perçus  dans  ces  conditions. 

Rien  n'était  plus  juste  :  la  question  soulevait  toutefois 
certaines  objections.  La  réforme  proposée  a'allait-elle  pas 
donner   un   caractère    officiel    à    l'intervention   des   agents 

aéraux,  qui  se  présentaient  jusqu'alors,  dans  les  pays  en 
question,  comme  simples  mandataires  des  auteurs,  et  non 
comme  représentants  de  La  Société?  La  validité  de  la 
S  ciété,  très  discutée  déjà  à  L'intérieur  de  la  France,  n'allait- 
elle  pas  être  contestée  sans  cesse  <'n  dehors  des  frontières  — 
qui  mettrait  le  principe  de  sa  perception  à  La  merci  d'un 
jugement  défavorable?  Enfin,  le  prélèvement  nouveau  opéré 
au  profit  de  la  Société  semblait  comporter  L'obligation,  pour 
membres,  de  recourir  aux  bon-  offices  des  agents  gêné- 


LE    SERVICE    DE    PERCEPTION 

raux  :  on  les  priverait  ainsi    d'une  Liberté  qui  leur  a  va  il 
toujours  appartenu. 

La  question  ne  pouvait  être  résolue  en  tout  cas  que  par 
une  modification  des  statuts.  Une  assemblée  lui  spéciale- 
ment convoquée  à  cet  effet. 

Il  s'agissait  avant  tout  d'éviter  que  la  Société  lût  en  cause 
dans  les  traités  passés  à  l'étranger;  soi!  directement,  s'il 
était  stipulé  que  les  agents  généraux  agiraienl  désormais  en 
qualité  de  représenta n ls  de  L'association,  soil  indirectement, 
si  la  Société  imposait  un  prélèvement,  à  son  profit,  et  appa- 
raissait ainsi  comme  intéressée  à  L'exécution  des  conventions. 
Dans  les  deux  cas  elle  risquait  de  compromettre,  par  son 
intervention,  la  situation  des  auteurs. 

La  Commission  crut  trouver  la  solution  de  ces  difficultés 
dans  une  combinaison,  qui,  (ont  en  laissant  Les  auteurs  Libres 
de  choisir  leurs  intermédiaire-.  Leur  imposait,  par  un»' 
clause  qu'ils  devaient  insérer  eux-mêmes  dans  tous  les 
contrats  qu'ils  signaient  par  l«'-  soins  des  agents  généraux, 
un  prélèvement  de  l  0/0  au  profil  de  la  Société. 

Ainsi  If-  agents  généraux  restaient  simples  mandataires 
des  auteurs  :  la  Société  m1  paraissait  pas  en  nom  «Lui-  les 
conventions  intervenues  :  la  retenue  de  I  <>  0  était  un 
sacrifice  volontaire,  au  moins  en  apparence,  consenti  par 
le-  intéressés. 

L'assemblée  adopta  le  texte  proposé.  Depuis  1901,  lous 
le-  traités  conclu-  à  l'étranger  par  les  -"in-  «I.--  agents 
portent  la  mention  suivante  : 

«  Sur  toutes  les  sommes  versées  en  exécution  «lu  présent 
contrat,  L'auteur  déclare  abandonner  volontairemenl  I  0  0 
au  profit  de  la  caisse  de  secours  de  la  Société  des  Auteurs  et 
I  Sompositeurs  dramatiques 

11  n'\  avait  qu'une  chose  ï  craindre,  c'est  que  I-  auteurs, 


328  CHAPITRE    VI 

plutôt  que  do  se  soumettre  à  ce  prélèvement,  ne  fissent 
Leurs  traités  avec  l'étranger,  en  dehors  des  agences.  L'expé- 
rience a  prouvé  que  cette  crainte  n'était  pas  justifiée  :  les 
agents  n'ont  pas  perdu  leur  clientèle  ;  et  l'association  a 
trouvé,  dans  cette  redevance  nouvelle,  une  source  de  revenus 
considérables,  qui  ne  peuvent  que  s'accroître. 


LE   SERVICE    DE   PERCEPTION 

Retenues  sur  les  droits  d'auteur 

Le  total  des  droits  perçus  par  la  Société,  pour  le  compte 
des  auteurs,  n'a  cessé  d'augmenter  d'année  en  anm 

En  1879-80,  il  s'élevait  à  2,596,061  francs;  en  1889-90, 
à    3,681,039    fr.  ;    en    1906-1907.    à     1,610,825    fr.,    dont 

1,141,083    fr.    pour    la    province,   et    112,899   IV.    18   | r 

l'étranger. 

Une  retenue  variable  est  opérée  sur  ces  sommes,  sur 
laquelle  1  0/0  est  attribué  à  la  caisse  sociale,  à  titre  de  parti- 
cipation aux  frais  généraux,  le  surplus  revenant  aux  agents, 
à  titre  de  frais  de  perception  et  de  correspondance. 

La  retenue  est  fixée  à  3  0/0  pour  les  théâtres  de  Paris. 

Jusqu'à  ces  derniers  temps,  1»'-  agents  prélevaient  in  Q  0 
sur  les  droits  perçus  en  province.  En  1903,  ils  offrirent, 
d'eux-mêmes,  d'abaisser  b1  taux  de  la  retenue  à  8  o  o. 

La  Commission  s'empressa  d'accepter  l'abandon  consenti 
par  les  agents,  mais  décida  d'affecter  l'économie  ainsi 
réalisée  à  la  caisse  des  pensions.  Actuellement  encore,  la 
retenue  est  de  10  0/0  ;  mais  S  0  o  seulement  demeurent 
•  ■litre  les  mains  des  agents;  I.--  2  DO  iv^l.ml  sont  versés 
dans  la  caisse  sociale.  Le  taux  est  b'  même  dans  I"-  petites 
villes  que  dans  les  grandes. 

L'Algérie,  la  Tunisie,  !<•-  colonies  subissent  le  même  sort 
que  la  province. 

La  retenue  sur  la  perception  à  l'étranger  tant  ordi- 
naire qu'extraordinaire  —  est  également  fixée  en  principe 
à  in  0/0. 

Mais  cette  règle  apparente  souffre,  au  point  «b'  vu.-  des 
auteurs,  <il  surtout  des  agents,  des  dérogations  fréquentes 
qu'on  s'explique  parfois  malaisément 


330  CHAPITRE    VI 

Les  agents  généraux  —  en  l'absence  d'un  contrôle  sérieux 

ganis  à  l'étranger  —  on1  été  amenés  à  s'entendre  avec 
les  représentants  d'agences  étrangères,  qni  achètent  les 
manuscrits  français,  eJ  se  chargent  de  faire  rentrer,  moyen- 
nant commission,  les  droits  stipulés  au  profit  des  auteurs. 

En  Allemagne,  par  exemple,  les  agents  généraux,  il  y  a 
quelque  temps  encore,  avaient  un  traité  avec  la  maison  Ahn; 
les  auteurs  qui  traitaient  par  leur  intermédiaire  vendaient, 
en  définitive,  leurs  pièces  à  cette  maison  ;  ils  supportaient 
seulement,  sur  les  droits  qui t leur  revenaient,  un  prélève- 
ment de  H)  0  0,  sur  lesquels  1  0/0  était  versé  dans  la  caisse 
iale,  à  titre  de  «  don  volontaire  »  ;  4  1/2  0/0  étaient 
abandonnés  à  M.  Ahn  ;  4  12  0/0  aux  agents. 

Les  auteurs  subissaient  donc  unprélèvement  de  10  0/0;  mais 
-    aces  ne  touchaient,  en  fin  de  compte,  que  4  1/2  0/0. 

Ajoutons  que,  dans  le  même  temps,  tes  agents  perdaient, 
de  ce  côté,  une  partie  de  leur  clientèle.  Car  M.  Hiwinski, 
qui  faisait  concurrence  à  la  maison  Ahn,  pour  Tachai  des 
pièces  françaises,  se  refusait  à  traiter  avec  les  auteurs,  par 
l'entremise  des  agences,  el  ^'entendait  directement  avec  eux. 

I'ii  Italie,  au  contraire,  les  auteurs  sont  souvent  mal  parta- 
Depuis  quelques  années,  les  agents  ont  chargé  M.  Praga, 
directeur  de  la  Société  des  Auteurs  italiens,  de  percevoir  les 
droits  à  leur  place.  M.  Praga  relient  10  0/0  des  sommes 
recouvrées,  à  titre  de  frais  de  perception;  un  prélèvement 
lest  opéré  par  les  agents,  sur  les  fonds  qui  leur  son!  remis. 
Ainsi  les  auteurs  paient  20  0/0;  ce  qui  peut  paraître  excessif, 
I  Italie  el  la  France  se  touchant. 


comptabilité  des  droits  d'auteur  a  été  réglementée  de 
h  ■<  prévenir  le  retour  de  certains  abus,  qui,  à  diverses 


LE   SERVICE    DE    PERCEPTION 

reprises,   et  surtout   en    1881,    avaienl    porté   une  atteinte 
grave  au  bon  fonctionnement  des  agences. 

Des  mesures  ont  été  prises,  notamment,  pour  éviter  dans 
les  caisses  toute  accumulation  d'arriéré. 

Chaque   année,    eu    lin    d'exercice,    les    agents    doivent 
adresser  à  leurs   clients   respectifs,  dans  la  quinzaine  qui 
précède  rassemblée  générale,  un  état  de  leur  situation.  I 
intéressés    sont  donc,   en   tout   état    de    cause,    avisés    des 
sommes  qu'ils    négligent  de   loucher,  et   qui  sont    tenu< 
leur  disposition. 

La  répartition  des  droits  entre  les  auteurs  a  lieu  tous  les 
mois,  h  date  fixe.  Il  arrive  fréquemment  qu'un  écrivain, 
<[iii  a  une  pièce  en  cours  de  représentation,  a  besoin  des 
sommes  <|ui  lui  sont  dues,  avant  l'époque  fixée  pour  le  paie- 
ment. Il  était  nécessaire  de  permettre  aux  agents  généraux 
de  mettre  à  sa  disposition  tout  ou  partie  des  fonds  qui  lui 
appartiennent,  sans  toutefois  que  ces  versements  anticipés 
pussent  embrouiller  la  comptabilité.  Aussi  la  S  iciété  a-t-elle 
autorisé  les  agents  à  désintéresser  les  auteurs  par  voie 
d'acomptes.  Mais  les  acomptes  ne  doivent  |>;i^  être  supé 
rieurs  au  montant  des  droits  déjà  perçus  en  leur  nom,  et  ne 
peuvent  être  prélevés,  en  aucun  cas,  sur  I  ensemble  des 
recouvrements  effectués. 

Des   désordres    financiers   s'étaient    en    effet    produits 
diverses  reprises,  dans  les  agences,  à  la  suite  «I  avances  faites 
à  certains  clients,  aux  dépens  des  autres,  sur  la   masse  des 
droits  perçus. 

Les  agents    restent    d'ailleurs   libres   de    consentir 
avances  en  leur  nom  propre,  et  sur  leur-  deniers  personnels. 


CHAPITRE    VI 


Les  réformes  nécessaires 


Telle  est,  dans  ses  grandes  lignes,  la  théorie  de  la  percep- 
tion effectuée  par  la  Société  au  profit  des  auteurs. 

Le  lecteur  es!  sans  doute  frappé  par  l'heureuse  économie, 
•  •l  par  l'apparente  rigueur  de  cette  comptabilité  :  il  semble 
que  toutes  les  précautions  aient  été  prises,  pour  qu'aucune 
partie  des  recettes,  en  France  ou  à  l'étranger,  n'échappe  à 
la  vigilance  des  agents,  et  que  les  auteurs  soient  assurés  de 
retrouver,  jusqu'au  dernier  centime,  l'argent  produit  par 
l'exploitation  de  leurs  œuvres. 

Les  Illusions  se  dissipent,  lorsqu'on  sort  du  domaine  des 
statuts,  pour  pénétrer  dans  la  réalité.  Sans  doute,  à  Paris,  le 
service  fonctionne  sans  trop  d'accrocs  :  mais  il  n'est  que 
juste  d'observer  que  la  tàebe  des  agences  est  singulière- 
menl  facilitée  par  le  contrôle  administratif  de  l'Assistance 
publique.  L«'s  surprises  les  plus  désagréables  seraient,  par 
contre,  réservées  à  l'écrivain  qui  ferait  son  tour  de  France, 
b  la  suite  de  son  répertoire  :  si,  d'aventure,  il  se  risquait  en 
dehors  des  frontières,  il  verrait  ses  œuvres  abandonnées* au 

plus    commode,    mais    an    pins    dangereux    des   guides    :    la 

loyauté  de  ceux  qui  les  exploitent. 

Une  inspection  fui  ordonnée  récemmenl  par  la  Commis- 
sion des  auteurs,  sur  le  service  de  perception  en  province  : 
t  la  première  <|ni  ail  été  prescrite,  de  mémoire  d'homme, 
par  le  pouvoir  exécutif  de  la  Société  —  le   l'ait  vaut  d'être 
retenu. 

I  épreuve  ne  fui  pas  douteuse  :  >\\i'  soixante  théâtres  mis 
«mi  observation  par  l'inspecteur     -dont  le  zèle  el  le  courage 
sont  dignes   d'éloges    —  quelques-uns  seujenjeut    se  trou- 
ent en  l .  Société, 


LE    SERVICE    DE   PERCEPTION 

D'où  provient  une  pareille  anomalie?  La  Société  serait-elle 
insuffisamment  armée,  pour  se  Paire  respecter  des  entrepre- 
neurs de  province?  non  pas  :  aucun  élément  de  la  recette 
ne  lui  échappe,  en  principe  :  en  principe  également,  ses 
correspondants  ont  Le  droit  cl  le  devoir  de  vérifier  La  vente 
et  la  location  de  toutes  les  places.  En  pratique,  Le  directeur 
arrête  le  total  de  la  recette  déclarée,  nu  chiffre  qui  lui  con- 
vient,  chiffre  naturellement  très  inférieure  La  recette  réelle. 
Le  taux  ne  varie  guère  d'ailleurs  d'un  jour  ;i  L'autre  :  si 
bien  qu'on  revient  —  par  un  détour  imprévu  au  péta 
blissement  d'un  droit  fixe,  mais  fantaisiste,  el  très  préjudi- 
ciable aux  intéres>és. 

Le  représentant  de  la  Société  enregistre  les  déclarations, 
sans  li^  contrôler.  Puis  les  rouages  fonctionnent  très  nor- 
malement :  le  correspondanl  envoie,  le  jour  voulu,  ses 
feuilles  de  situation  aux  agences,  qui  s'empressent  de 
remettre  à  leurs  clients  les  sommes  portées  à  leur  compte. 

L'exactitude  des  correspondants,  La  bonne  tenue  des 
agences  sont  également  Louées  des  sociétaires  assemblés. 
N'empêche  que  les  auteurs  onl  été  consciencieusement  frus- 
trés, et  qu'ils  auraient  aussi  bien  fait  de  confier  h  un  homme 
d'affaires  La  gestion  de  leurs  intérêts. 

Quelles  garanties  les  auteurs  trouvent-ils,  dès  lors,  dans 
Les  obligations  minutieuses  que  le^  actes  «I  engagement 
imposent  aux  directeurs  de  province?  Qu'importe  que  le 
correspondant  ;>il  entre  les  mains  un  plan  de  la  salle,  «pi  il 
reçoive,  tous  les  matins,  les  affiches  des  représentations  <lu 
jour,  que  les  Livres  de  comptes  de  l'établissement  lui  soient 
ouverts,  à  première  réquisition,  que  les  bordereaux  de 
recettes  soient  établis  avant  dix  beures  «lu  soir  ' 

Il  y  a,  la  plupart  «lu  temps,  entre  les  représentants  de  la 
Société  «'I  les  entrepreneurs  de  province,  une  i  onniven<  e 


CHAPITRE   VI 

moins  tacite,  doni  les  clients  font  les  frais  :  point  n'est 
besoin  d'un  marché  formel,  que  les  statuts  de  la  Société,  et 
les  lois  de  la  morale  réprouveraient  également.  Il  suffit  que 
le  représentai  de  la  Société  ferme  les  yeux.  Le  directeur 
aura,  d'ailleurs,  à  cœur  d'opérer  avec  toute  la  discrétion 
possible  :  à  côté  des  guichets  officiels,  qui  peuvent  être,  au 
besoin,  vérifiés,  s'ouvriront  des  guichets  officieux,  mais  non 
moins  payants  :  à  côté  de  la  grande  porte  du  théâtre,  com- 
màndée  par  un  contrôle  d'apparat,  d'autres  portes  donne- 
ront accès,  sans  contrôle,  à  un  Ilot  de  spectateurs  :  tout  cela, 
cl  bien  d'autres  procédés,  expliquent  que  la  salle  se  trouve 
plus  remplie  que  la  feuille  de  location. 

Les  directeurs  sauront  reconnaître  les  ménagements  dont 
on  use  à  leur  égard  :  en  outre  des  billets  auxquels  ils  ont 
droit,  par  trnité,  les  correspondants  seront  autorisés  à 
délivrer  des  coupons  supplémentaires  —  qui  augmenteront 
d'autant  le  bénéfice  qu'ils  retirent  de  leurs  fonctions. 

\.r  représentant  de  la  Société  serait-il  entièrement  désin- 
téressé ei  plein  de  zèle,  qu'il  se  trouverait  néanmoins  fort 
embarrassé,  s'il  voulait  déjouer  des  combinaisons  déjà 
anciennes,  réformer  des  abus  consacrés  par  la  tradition  cl 
par  ses  prédécesseurs.  La  Société  a,  en  effet,  négligé  de  lui 
h  cer  -'»n  devoir,  de  définir  ses  fonctions;  sans  doute  elle 
lui  envoie  <!<■-  Instructions  —  de  loin  en  loin.  Mais  ces  ins- 
tructions, qui  contiennent  un  abrégé  de  la  législation  sur  la 
propriété  dramatique,  qui  énumèrenl  soigneusement  (<>us 
I'  éléments  de  la  recette  Imposable,  sont  muettes  sur  les 
précautions  a  prendre  pour  contrôler  les  déclarations  des 
entrepreneurs,  sur  les  fraudes  employées  <le  tout  temps  pour 
dérober  auj  auteurs  une  partie  des  recettes.  Les  agents,  qui 
i  en  résidence  à  Paris,  qui  se  tiennenl  en  relations  cons- 
eil le  monde  des  directeurs  ef  des  impresarii,  sont 


LE   SERVICE   DE   PERCEPTION 

au  courant  de  toutes  les  combinaisons  en  usage.  Mais  com- 
ment veut-on  qu'un  commerçant  de  Lyon  ou  de  Marseille, 
promu,  un  beau  jour,  correspondant  de  la  Société,  sans 
connaître  ni  l'association  qu'il  représente,  ni  ceui  avec  qui 
elle  traite,  puisse  lutter  à  armes  égales  avec  un  entrepreneur 
expérimenté?  Demandera-t-il  des  instructions  spécial 
entretiendra-t-il  une  correspondance  suivie  avec  la  Société  ' 
11  passera  pour  incapable,  et  se  verra  peut-être  retirer  son 
mandat. 

Résolu,  malgré  tout,  à  se  renseigner,  •■!  à  Faire  œuvre  utile, 
notre  réformateur  se  heurterait  encore  a  des  difficultés 
matérielles  très  sérieuses.  Le  poste  de  correspondant  de  la 
Société,  dans  les  grandes  villes,  n'est  pas  seulement  un 
poste  honorifique,  une  place  agréable  qui  facilite  les  rela- 
tions avec  l'administration  du  théâtre,  avec  la  troupe  :  c'est 
surtout  une  belle  retraite,  pour  un  homme  qui  se  retire  des 
affaires  :  les  quatre  billets  d'auteur,  que  l<i  correspondant 
vend  de  droit,  chaque  soir,  pour  tous  les  spectacles  de  la 
localité  —  et  qui  donnent  accès  aux  meilleures  places  de  la 
salle —  ces  billets,  ajoutés  souvent  à  ceux  qui  sont  mis 
gracieusement  à  sa  disposition,  cela  fait  un  traitement,  déri 
soire  dans  les  bourgades,  mais  qui,  dans  les  grands  centi 
va  jusqu'à  20,000  ou  30, (MU)  francs.  On  comprend  que  les 
postes  soient  ardemment  convoités. 

La  Société,  pense-t-on,  se  montrera  des  plus  difficiles  -iu- 
le choix  de  ses  correspondants;  elle  exigera  des  garanties 
exceptionnelles  de  compétence  et  d'honorabilité,  Il  n'en  ira 
pas  ainsi.  La  Société  connaît  rarement  ceux  qu  elle  nomme; 
elle  choisit  généralement  celui  qui  lui  est  présenté  par  le 
correspondant  qui  cesse  ses  fonctions.  Cette  présentât 
n'est  pas  toujours  accordée  an  candidat,  ;<  titre  bui    m 

tablit  ainsi,  a  l'insu  de  l'association,  de  véritable!  *  barj 


CHAPITRE   Vl 


;ultes  :  ayant  coûté,  l'agence  doit  rapporter.  On  comprend 
sans  peine  que  le  nouveau  titulaire  ne  puisse,  sans  impru- 
dence, sacrifier,  sur  l'autel  de  la  justice,  un  des  éléments  de 
bénéfices  qui  entrent  en  compte  dans  la  valeur  de  son  office. 


Lésé  par  le  service  sédentaire,  raulcur  peut-il  se  fier  au 
service  ambulant?  <>n  sait  le  développement  qu'ont  pris  les 
tournées,  depuis  quelque  temps.  A  chaque  instant,  des 
t loupes,  composées  à  la  hâte  d'éléments  disparates,  armées 
d'un  répertoire  étendu,  partent  de  Paris  à  la  conquête  de  la 
province,  quand  ce  n'est  pas  de  l'Amérique  du  Sud.  Elles 
vont  de  ville  en  ville,  glanant  les  meilleures  recettes  de  la 
saison,  Laissant  les  établissements  locaux  vivre,  le  reste  de 
['-année,  d'une  vie  ralentie;  les  directeurs  de  province  ont 
même  cm  devoir  protester  contre  ces  exodes  trop  fréquents; 
ils  n'ont  parlé  de  rien  moins  que  de  se  syndiquer  —  eux 
aussi  —  et  de  boycotter  les  artistes  de  la  capitale.  Il  semhle, 
•  n  tout  et-,  que  les  auteurs  aient  dû  les  premiers  ressentir 
Les  heureux  effets  de  cette  décentralisation  artistique.  L'ex- 
périence a  malheureusement  prouvé  qu'ils  ne  retiraient  pas, 
de  ce  colportage  de  leurs  œuvres,  tout  le  profit  qu'ils  pou- 
vaient raisonnablement  en  espérer. 

Lorsqu'un  organisateur  de  tournée,  artiste  ou  imprésario, 
i  arrêté  son  itinéraire,  il  s<>  présente  aux  bureaux  d<>  la  rue 
Hippolyte-Lebas.  Là,  il  est  invité  à  consigner  une  somme 
variable  entre  les  mains  des  agents  :  cautionnement  destiné 

garantir  L'exactitude  de  sa  gestion.  Une  entente  s'établit 
-m  les  taux  des  droits  à  percevoir,  conformément  aux  exi- 
gences formulées  à  cet  égard  par  les  auteurs. 

Le  directeur  de  La  tournée  part  :  dans  chaque  Localité,  il 
rencontre  le  représentant  de   La  Société,  qui,   prévenu  de 


LE   SERVICE   DE    PERŒPTI 

son  arrivée,  reçoit  ses  déclarations,  el  touche  la  pari  des 
auteurs.  Si  le  chef  de  la  tournée  est  consciencieux  —  ce  qui 
n'est  pas  rare,  il  faut  le  dire  à  la  louange  des  artistes,  ou 
d'impresarii  qui  t'ont  leurs  premières  armes  —  il  déclare 
intégralement  ses  recettes  :  mais  qui  sait  s'il  résistera  long- 
temps à  la  tentation?  Toui  directeur  d'entreprise  est  natu- 
rellement porté  ;i  s'exagérer  les  risques  qu'il  court,  les 
déboires  qu'il  éprouve,  les  frais  <jui  lui  sonl  imposés;  il 
peut,  sans  péril,  prélever  sur  la  pari  des  auteurs,  de  quoi 
parer  aux  insuffisances  de  recettes  :  un  jour  ou  l'autre, 
scrupules  s'évanouiront.  Ajoutons,  à  sa  décharge,  que  les 
droits  (rauleur  —  après  un  siècle  de  luttes  —  son!  restés 
encore,  dans  l'opinion  de  certains,  en  vertu  de  préjugés  plus 
loris  que  tout,  comme  un  bien  vacant  el  sans  maître,  chau- 
dement disputé,  mais  dont  on  peu!  s'emparer  sans  bonté. 

Les  irrégularités  sont-elles  >i  évidentes  que  la  S  >ciété 
croie  devoir  intervenir?  Le  délinquant  répondra,  comme  tel 
de  ses  confrères  :  «  Pourquoi  voulez-vous  que  je  renonce 
aux  quelques  petites  économies  que  je  puis  faire,  alors  que 
X...  ou  Y...  vous  en  dérobe  trois  Fois  autant  .' 

Si  le  chef  de  tournée  est  rompu  à  son  métier,  il  aura  pré- 
sente  à  l'esprit,  la  cari»'  de  la  France,  au  poinl  de  vue  de  la 
perception  :  il  saura  que,  dans  telle  ou  telle  localité,  on  se 
montre  accommodant  :  il  combinera  son  itinéraire  de  façon 
à  n'avoir  à  faire  qu'à  des  percepteurs  de  relations  facil< 
il  évitera  les  Cerbères;  il  bénéficiera,  tacitement,  des  arran- 
gements tacites  conclus  avec  les  administrations  théâtrales 
sédentaires. 


On  a  voulu  évaluer  les  pertes  que  la  Société  subissail  en 
province  :  on  a  parlé  du  tiers,  de  la  moitié  des  droits  pei 


CHAPITRE   VI 

un  journal  a  Lancé  le  chiffre  d'un  million.  Toutes  ces  osti- 
mations  sonl  arbitraires;  que  vaudraient  les  évaluations 
cadastrales,  si  on  les  étendait  dune  région  à  une  antre? 
Que  vaut  l'opinion  d'un  homme  renseigné  sur  la  perception 
de  la  Société,  s'il  applique  à  toutes  les  localités  les  observa- 
tions personnelles  qu'il  a  pu  recueillir,  sur  certains  points? 
Mais.  >i  l'on  songe  que  le  total  des  droits  perçus  dans  les  dépar- 
tements s'élevait,  pour  l'exercice  1906-1907, à  1,141,083  francs, 
on  se  persuade  que  la  fraude  porte  sur  une  masse  respec- 
table. 

11  esl  probable  que  la  verve  d'un  Beaumarchais  trouverait 
encore  à  s'exercer,  aux  dépens  des  combinaisons  employées 
pour  frustrer  les  auteurs  :  elle  se  tournerait,  vraisemblable- 
ment, non  contre  les  entrepreneurs,  qui,  en  volant  les 
auteurs,  ne  font  qu'obéir  à  un  sentiment  bien  compréhen- 
sible, qui  se  fortifie  au  souvenir  d'une  longue  tradition,  mais 
contre  les  auteurs  —  qui  laissent  se  rouiller  les  armes  dont 
il-  disposent,  et  que  maniait  d'une  main  plus  sûre  le  fonda- 
teur de  leur  Société.  Cependant  les  temps  troublés  de  la 
Révolution  sont  loin  :  la  cause  i\a.<  auteurs  est  gagnée 
devant  l'opinion  ;  elle  triomphe  devant  les  tribunaux,  chaque 
fois  qu'elle  leur  es!  soumise.  Ed  1902,  le  rapporteur  de  l'As- 
semblée générale  de  la  Société  se  plaisait  à  reconnaître  que 
les  directeurs  avaienl  renoncé  à  nier  ouvertement  la  pro- 
priété des  auteurs,  «  grâce  à  «les  procès  justement  et  bril- 
lamment j,  qui  consolident  pin-tout  l'influence  de  la 
ii  '• 

D'autre  part,  la  Société  ne  se  gêne  pas  pour  imposer  aux 

administrations  théâtrales  tous  les  procédés  «le  contrôle  qu'il 

lui  plaît  d'établir  :  mais  est  il  besoin  d'ailleurs  <!<•  mesures 

extraordinaires  ?  Et  ne  suffirait-il  pas,  pour  déjouer  tous  les 

d'un  agent  pénétrant  dans  les  salles,  et  faisant, 


LE   SERVICE    DE    PERCEPTION 

les    Touilles   tic   recette    à    la  main,    le   compte  des   places 
occupées  ? 


Si  l'on  franchit  la  frontière,  les  droits  des  dramatu 
paraissent  encore  moins  assurés.  On  a  vu.  au  mépris  <!•• 
tou>  les  règlements  édictés,  des  pièces  se  promener  pendant 
des  années  à  l'étranger,  sans  que  l'auteur  en  retirai  le 
moindre  bénéfice.  Loin  de  tout  contrôle,  les  directeurs,  les 
chefs  de  tournée  réduisenl  arbitrairement  l<i-  recettes 
l'usage  des  agences  :  une  recette  de  32,000  francs,  faite 
dans  une  ville  étrangère  fui  comptée  à  l'auteur  - î . liou  francs 
—  un  zéro  s'était  perdu  on  route. 

La  notion  de  la  propriété  dramatique  gagne  toujours  du 
terrain,  à  l'intérieur  de  la  France  :  au  dehors,  plus  on 
s'éloigne,  plus  <dl<à  va  s'atténuant,  jusqu'à  D'être  |>lu^  qu'une 
ombre  indécise  et  lointaine. 

L'Amérique  est  aujourd'hui  la  terre  promise  peur  !»•- 
artistes  audacieux  :  il  n'y  a  pas  longtemps  que  la  Soci 
s'est  avisée  de  soumettre  à  sa  perception  l<i  répertoire  qu'on 
\  exporte.  Sans  aller  si  loin,  un  directeur  de  Paris  De  put-il 
pas,  sans  la  moindre  difficulté,  jouer,  pendant  tout  son 
-•■jour  en  Angleterre,  un  acte  d'un  littérateur  français,  Bans 
lui  faire  parvenir  la  moindre  allocation  ?  Le  hasard  voulu! 
que  l'auteur,  en  lisant  s<  n  journal,  apprit  les  représenta- 
tions qu'on  donnait  de  sa  pièce.  Rentré  à  Paris,  l'ingénieui 
directeur  se  vil  condamner  à  une  restitution  nu  peu  lai 

Remarquons,  en  passant,  que  la  l-i  ne  protège  peut 
pas  suffisamment    l»'s  écrivains   contre  les  entreprises  des 
directeurs.   Elle  se  contente  de  I.--  désintéresser,  en  cas  de 
fraude,    tout    comme    s'il    s1  s       il    d'un    simple   oubli 
réparer.  11  est  probable  que  des  péoalit  ni 


îUO  CHAPITRE   VI 

plus  efficaces,  et  persuaderaient  davantage  les  administra- 
leurs  que  la  propriété  dramatique  est  aussi  respectable 
qu'une  autre,  el  qu'on  ne  vole  pas  plus  impunément  un  ma- 
nuscrit,  qu'on  ne  détrousse  un  passant  sur  la  grande  route. 

Nous  nous  abstenons  ici  de  citer  des  faits  personnels  : 
mais  si  chaque  auteur,  membre  de  la  Société,  racontait  les 
aventures  dont  il  fut  la  victime,  le  confident,  ou  seulement 
le  témoin,  il  en  résulterait,  à  la  charge  des  hommes  d'affaires, 
un  réquisitoire  accablant. 

i.t  pendant  la  protection  des  œuvres  dramatiques  à 
l'étranger  fait  l'objet  de  pétitions,  de  congrès,  d'accords 
internationaux  ;  les  pouvoirs  publics  ne  cessent  de  se 
préoccuper  d'étendre  à  de  nouveaux  pays  le  champ  d'appli- 
cation des  garanties  légales.  La  Société  des  Auteurs,  par 
L'entremise  de  ses  agents,  soumet  à  sa  perception  des  scènes 
nouvelles  ;  depuis  Beaumarchais,  les  chemins  de  fer,  le 
télégraphe,  le  téléphone,  semblent  mettre  les  agents  de  la 
Société  à  même  de  constater  sans  retard  les  infractions 
commises,  et  de  t  ra  du  ire  les  coupables  devant  les  tribunaux  ; 
néanmoins,  ai  les  intéressés,  ai  leurs  fondés  de  pouvoir  ae 
sont  informés  à  temps  de  ce  qui  se  passe  ;  et  lorsque,  par 
hasard,  ils  s'indignent  <il  réclament,  leur  protestation 
rétrospective  n'émeut  personne. 


Pendant  des  années,  cette  situation  anormale  a  pu 
subsister,  sans  provoquer  d<-  trop  vives  récriminations;  ce 
qui  prouve  que  les  dramaturges  ae  sont  pas  gens  <mssi 
ini*  qu'on  vi-iii  bjen  Le  dire  Les  commissions  ne  pou- 

vaient ignorer  absolument  les  fraudes  dont  leurs  administrés 

ienl  victimes  un  faible  écho  des  plaintes  murmurées 
parvenait  jusqu'à  elles —  mais  elles  semblaient   <àn  avoir 


LE   SERVICE   DE   PERCEPTION  tl 

pris  leur  parti.  Et  connu.',  malgré  tout,  Les  recettes  générales 
de  la  Société  allaient  en  s'accroissant,  les  sociétaires,  indivi- 
duellement frustrés,    étaient    portés,  collectivement,    à 
féliciter  des  résultats  obtenus. 

Parfois,  cependant,  une  protestation  se  faisait  entendre, 
troublant  la  quiétude  générale.  Dès  1886,  l«i  rapporteur  à 
l'Assemblée  générale  avouai!  tout  uniment  que,  si  les  droits 
des  auteurs  étaient  reconnus  en  province,  ils  étaienl  parfois 
réduits  au  minimum. 

La  Commission  s'empressa  de  rappeler  aux  directeurs  que 
le  droit  d'auteur  devait  être  prélevé  sur  La  recette  brute, 
dont  elle  définissait  les  éléments.  Il  esl  vraisemblable  que 
les  entrepreneurs  ne  péchaient  pas  par  Ignorance. 

En  189G,  un  membre  de  la  Société.  M.  Gandillot,  cru! 
devoir,  à  son  tour,  formuler  quelques  critiques  sur  le  sen  ice 
de  perception;  la  Commission  lit  valoir  Les  procès-verbaui 
dressés,  à  maintes  reprises,  contre  Les  délinquants,  déclarant 
qu'elle  n'hésitait  pas  à  poursuivre  La  fraude. 

Dix  ans  s'écoulent;  la  question  ue  semble  pas  avoir  fail 
un  pas;  car,  en  mai  1906,  M.  de  Fiers  demande  qu'on 
étudie  sérieusement  l'organisation  de  La  perception  <'ii  pro- 
vince, et  qu'on  remanie,  au  besoin,  le  cadre  des  correspon- 
dants. M.  Grenet-Dancourt,  s'associanl  à  ces  observations, 
émet  le  vœu  qu'on  ('tende  La  perception  à  des  Localités 
oubliées  (1). 

Il  était  clair  que  les  choses  pouvaienl  durer  ainsi  éternel- 
lement. Mais  la  Société  avait  compté  sans  L'opposition. 
Tandis  qu'elle  uégligeail  de  réformer  ses  services,  d'auto 

en  surveillaient  le  fonctioi ment,  en  dénonçaient  les  abus. 

L'Association    internationale   des   auteurs    et    compoi 


i    assemblée  générale  du  89  mai  ! ,  A  i  m    ■  f9$e, 


342  CHAPITRE    VI 

qui  contrôle  l'exploitation  ilu  répertoire  de  ses  membres,  put 
établir,  sans  être  démentie,  que  l'Aiglon^  le  Flibustier,  les 
(  )ches  de  Corneville,  tout  le  théâtre  de  Gourteline,  avaient 
été  joués  pendant  des  semaines,  en  France  et  en  Allemagne, 

sans  qui1  les  Intéressés  en  eussent  retiré  le  moindre  béné- 
fice I  .  Elle  remit  à  la  Société  un  dossier,  où  nombre  de 
faits  analogues  étaienl  mentionnés. 

D'autre  pari,  un  syndicat  d'auteurs  venait  de  se  fonder, 
avec  l'intention  nettement  déclarée  de  remédier  aux  abus 
qui  risquaient  «le  compromettre,  auprès  des  auteurs  et  de 
l'opinion  publique,  la  cause  de  la  Société. 

La  Commission  crut  devoir  faire  quelque  cbose  :  elle 
nomma  un  inspecteur  :  celui-ci  ne  parvint  pas  sans  peine  à 
se  procurer  tons  les  renseignements  nécessaires  :  il  revint 
pointant  de  sa  tournée  avec  un  bagage  de  rapports  édifiants. 
Une  sous-commission  s'était  cependant  formée  en  conseil 
de  guerre  :  la  séance,  tenue  à  la  suite  des  révélations  de 
l'inspecteur,  fut,  paraît-il,  des  plus  mouvementées.  Le  bruit 
en  transpira  dans  la  presse;  et  bientôt  le  «  scandale  des 
droits  d'auteur  »,  suivant  l'expression  d'un  journal,  ne  fut 
plus  un  mystère  pour  personne  (2). 

Quand  l'orage  sera  passé,  à  quelles  décisions  s'arrêtera 
•de  l'association?  Il  sérail  prématuré  de  le  pré- 
voir. Mais  certainement,  pour  faire  œuvre  utile,  la  Commis- 
sion sera  amenée  ;•  des  ch  ingements  profonds,  dans  l'orga- 

DÎsation  actuelle  du  service. 

* 

I  première  réforme  qui  s'imposera  sans  doute  sera  celle 
du  personne]  employé  dans  les   départements. 

i    /■  VAri  dramatique,  n"  du  20  septembre  1907. 

i    Voir  i  omœdia,  n  ,i  décembre  1907,  el  dea  r   el  18  janvier  1908; 

•  lu  ::i  décembre  1907, 


LE    SERVICE    DE    PERCEPTI 

Beaucoup  de  correspondants  ne  semblent  voir,  dans  leurs 
fonctions,  qu'un  poste  de  toul  reposa  une  seule  obligation 
leur  incombe  forcément  :  c'est  de  certifier  les  déclarations 
de  recette,  et  de  toucher  les  fonds  destinés  aux  auteurs; 
encore  se  déchargent-ils  souvenl  de  cette  peine  sur  un  inter- 
médiaire, qui  passe,  tous  les  soirs,  aux  bureaux  des  diffé- 
rents théâtres.  Cet  intermédiaire,  rétribué  seulement  pour 
recevoir  les  bordereaux,  et  toucher  le>  fonds,  se  garde  bien 
d'approfondir  la  question. 

Les  auteurs  ont  besoin,  pour  défendre  leurs  intéi 
d'agents  actifs,  intelligents,  compétents  dans  la  matière.  Il 
leur  faut  des  correspondants  capables  de  voir  clair  dans  des 
opérations  naturellement  embrouillées,  connaissant  a  fond 
le  Code  usuel  de  procédure  dramatique,  qui  leur  permettra 
d'agir  en  justice,  décidés  à  saisir  les  tribunaux,  à  la  moindre 
résistance. 

Les  commissions  de  la  Société  onl  une  tendance  & 
féliciter  de  la  rareté  des  procès  intentés  aux  directeurs  de 
province.  C'est  justement  cette  pénurie  qui  es1  alarmante. 
Les  auteurs  ne  seraienl  sans  doute  pas  fâchés  d'apprendre, 
de  temps  à  autre,  que,  sur  tel  ou  tel  point,  <>u  a  éventé  des 
fraudes,  traduit  les  coupables  devant  les  tribunaux.  I  d  bon 
correspondant  doit  être  d'humeur  processive  :  il  se  reposera, 
lorsqu'il  aura  derrière  lui  un  dossier  suffisamment  chaq 
de  procès- verbaux, 

Si  l'on  attend  beaucoup  «l<i  son  zèle  et  de  son  activité,  il 
sera  juste  et  de  bonne  politique  de  proportionner  son  trait 
mentaux  sommes  qu'il   parviendra  a  faire  rentrer  pour  le 
compte    des   auteurs.   A    l'origine,    les    représentants    des 
auteurs,  délégués  par  les  agence  raies  de  Sauvan  et  de 

Framery,  touchaient  une  commission  de  3  0  0  ou  de  5 
sur  les  droits  qu'ils  recouvraient.  Les  recettes  augmentèrent 


34  l  CHAPITRE    VI 

rapidement,  malgré  des  obstacles  de  toute  nature.  Il  semble 
que  la  Société  ait  loul  avantage  à  revenir  à  un  mode  de 
rémunération  analogue.  La  Société  dos  Compositeurs  et 
Editeurs  de  musique  a  adopté  ce  système,  et  elle  s'en  est 
toujours  bien  trouvée. 

Sans  doute  il  peut  paraître  plus  économique,  à  première 
vue,  de  rétribuer  les  correspondants  au  moyen  de  billets 
d'auteur.  L'expérience  a  prouvé  que  le  système  avait  ses 
inconvénients. 

11  est  évident  que  le  premier  soin  de  la  Société  devra  être 
d'exiger  de  ceux  qui  voudront  la  représenter  des  garanties 
toutes  particulières.  Sous  le  Premier  Empire,  les  auteurs, 
un  peu  embarrassés  de  choisir  leurs  correspondants,  avaient 
eu  l'idée  de  s'adresser  de  préférence  à  des  fonctionnaires. 
La  France  est  un  pays  de  fonctionnaires,  a-t-on  dit  ;  il  est 
juste  que  les  sociétés  de  perception  en  profitent.  D'une  façon 
érale,  La  Société  aura  intérêt  à  recourir  à  des  personnes 
que  leurs  obligations  professionnelles  astreignent  à  une 
honorabilité  parfaite.  Elle  ne  saurait,  en  tout  cas,  se 
montrer  trop  difficile  sur  le  choix  de  ses  correspondants  : 
trop  souvent,  les  seuls  éléments  d'appréciation  dont  elle  dis- 
pose  sont  des  renseignements  locaux,  donc  suspects.  Les 
intérêts  qui  sonl  <-n  jeu  justifient  un  examen  approfondi. 

La  Société  des  Auteurs  aura  sans  doute  intérêl  à  instituer, 
au-dessus  des  correspondants,  un  certain  nombre  de  contrô- 
leurs, chargés  de  l'inspection  de  leurs  circonscriptions,  <àt 
de  la  surveillance  de  Leurs  opérations.  In  sml  contrôleur, 
désigné  par  la  Commission,  a,  m  quelques  mois,  fait 
davantage  que  Les  rouages  actuels,  en  un  grand  nombre 
d années.  La  Commission  aura  loul  ;•  gagner,  àavoiràson 
des  inspecteurs,  plus  expérimentés  que  Les  correspon- 
dant! des  filles,  indépendants  surtout  de  toute  attache  locale. 


LE   SERVICE   DE   PERCEPTION 

Faut-il  aller  plus  loin?  Convient-il  de  touchera  l'organi- 
tion  actuelle  des  agences  générales?  assurément  la  gestion 
de  leurs  titulaires,  leur  dévouement  aux  intérêts  des  auteurs 
ne  sauraient  être  suspectés.  Mais  on  peut  se  demander  si 
les  lourdes  et  multiples  fonctions  qui  leur  <»nt  été  dévolues 
n'excèdent  pas  leurs  forces,  si  le  fonctionnement  normal 
du  service  ne  les  absorbe  pas  au  point  de  I»'-  empêcher  de 
songer  à  rétendre  et  à  l'améliorer. 

La  perception  de  l'association  ne  portait  a  l'origine  que 
sur  quelques  centaines  de  mille  francs  :  les  agents  stimu- 
laient le  zèle  de  leurs  employés,  pour  augmenter  les  rentrées. 
Aujourd'hui,  ce  sont  des  millions  qui  affluenl  dans  la  caisse 
sociale.  Assurés  de  recouvrements  considérables,  l<  &ts, 

entre  les  nombreuses  affaires  qui  sollicitent  leur  attention, 
sont  naturellement  tentés  de  s'occuper,  de  préférence,  des 
questions  qui  engagent  d<'  gros  Intérêts.  Sans  doute  la 
Société,  eux-mêmes  par  conséquent,  sont  frustrés,  tous  les 
jours,  en  province  :  mais  le  bénéfice  qu'on  pourrait  faire  de 
ce  côté  est  aléatoire,  et  les  ennuis  sont  certains,  route 
entreprise  commerciale  a  des  risques  dont  elle  fail  abstr 
tion  :  c'est  le  vol  à  l'étalage,  dont  on  ne  lient  pas  compte. 
Malheureusement,  à  la  Société  des  Auteurs,  si  l'étalag 
représente  une  part  minime  de  l'avoir  des  grands  produc- 
teurs, il  est  parfois  toute  la  fortune  des  petits. 

En  définitive,  les  premiers  intéressés  en  la  matière  sont  et 
resteront  les  auteurs  :  il  semble  qu'ils  aient  avants^ 

cuper  eux-mêmes  de  leurs  affaires  :  au    m -  sauront-ils 

à  qui  s'en  prendre,  quand  elles  ae  marcheront  pas,  Dès  le 
Premier  Empire,  alors  que  les  revenus  desauteurs  étaient 
encore  minimes,  ilsavaienl  senti  la  nécessité  de  prendre  en 
mains  la  gestion  de  leurs  intérêts,   ^u-dessus  de 
générales,  ils  avaient  organisé  an  contrôle  plus  étroit  dei 


CHAPITRE    VI 

comités  de  direction.  La  fusion  n'a  jamais  été  complète  : 
les  agences  son!  restées  des  charges,  el  n'ont  pas  été  absor- 
-  par  l'association.  Il  reste  peut-être  encore  un  pas  à 
faire  :  le  jour  où  les  agents  seront  des  Fonctionnaires  de  la 
S     iété,  celle-ci  aura  l'entière  responsabilité  du  service. 


Les  (loin missions,  en  dépit  de  leur  bonne  volonté,  n'ont 
pas  toujours  paru  comprendre  pleinement  toute  l'étendue 
des  charges  qui  leur  incombent,  toutes  les  responsabilités 
qu'elles  assument.  Le  poste  de  commissaire  des  auteurs,  qui 
l'ut  pour  Beaumarchais  un  poste  de  combat,  semble  avoir 
été  surtout,  pour  ses  successeurs,  un  titre  honorifique.  Et 
cependant  les  adversaires  contre  lesquels  il  luttait  n'ont 
pas  encore  désarmé. 

I  n  article  des  statuts  paraît  ouvrir  aux  Commissions  une 
action  Illimitée  :  les  adhérents  sVngagenlà  donner  connais- 
sance a  la  Commission  des  procès  qu'ils  se  proposent  de 
soutenir  :  celle-ci  décide  si  L'affaire  sera  suivie  par  la  Société. 
Il  résulte  de  ce!  article,  non  seulement  une  obligation  pour 
les  membres  de  L'association,  mais  un  devoir  moral  pour  la 
iété  :  «••lui  de  prendre   en   mains  la  cause  des  ailleurs,  de 

oe  Laisser  péricliter  aucun  de  leurs  droits,  aucune  de  Leurs 
prétentions.  Cependant,  en  cette  matière,  les  Commissions 
onl  paru  agir  avec  une  discrétion  excessive  :  elles  ont  pris 
au  nom  el  à  la  charge  de  La  Société  Les  grands  procès,  ceux 
qui  mettaient  en  question,  soit  les  principes  de  L'association, 
-•-il  la  légitimité  de  ses  actes  :  elles  se  sont  détournées  des 
affaires  peu  conséquentes,  en  théorie,  mais  primordiales 
ir  ceux  qu'elles  intéressent. 
Aussi  ne  faut  il  pas  s'étonner  outre  mesure  du  satisfecit 


LE   SERVICE   DE   PERCEPTION 

que,  chaque  année,  les  I  !om missions  qui  se  sonl  sui  ni 

cru  devoir  décerner  au  service  de  perception. 

Tous  les  auteurs  ne  souffrent  pas  au  même  titre  des  pertes 
que  subit  l'association  :  pour  les  plus  connus,  I"-  recettes 
de  province  sont  un  simple  appoint,  dont  la  perte  oe  déroute 
pas  la  comptabilité  générale. 

Remarquons  d'ailleurs  que  la  province  s'alimente  surtout 
d 'œuvres  un  peu  grosses,  vaudevilles  ou  mélodrames  com- 
posés à  son  intention;  joués  à  Paris  sur  une  scène  de  troi- 
sième ordre,  ces  ouvrages  d'exportation  partent  aussitôt 
pour  les  départements.  On  comprend  que  la  question  de 
leur  rendemenl  ne  passionne  pas  également  tous  les  esprits. 

Qu'importe  aux   auteurs  célèbres  que    les   œuvres   Fran- 
çaises soient  jouées  librement  en  dehors  des  frontières  ?  IN 
ne  traitent  qu'avec  les  grosses  maisons  d'achat  de  l'étranf 
—  il  n'y  en  a  pas  plus  de  tr<>i<  ou  quatre  dans  chaque  pays. 
Sans  doute,  ces  agences,  qui  garantissent  à  leurs  clients  un 
tant  pour  cent  sur  les  représentations,  déclarent  les  recettes 
qu'elles  veulent,  car  elles  ne  rencontrent  aucun  contrôle,  pas 
même  de  simulacre  de  contrôle.   Mais   l'étendue  même  de 
leurs  opérations,  la   notoriété  <le  leurs  clients,  le  personnel 
nombreux  qu'elles  emploient,  l<i>  obligent  à  une  exactitude 
relative.  Il  est  vrai  qu'elles  trouvent  quelques  compensations 
dans  l'interprétation  des  traités  conclus  :  c'est  une  matii 
délicate,     fertile    en    surprises,    <>ù    l'acheteur   est 
d'avoir  le  dernier  mot,  car  il  fait  la  l<>i  sur  le  marché. 

Parfois  l'auteur  vendra  du  même  coup  un  lot  entier  de 
pièces;  les  mauvaises  passer  n!  h  la  faveur  des  bonnes  : 
traite  souvent  ainsi   pour  les  vaudevilles,            I  Ulei 
on   l'Italie.    La    plupart  du  temps,  cependant,    les   m 
achèteront  à  la  pièce;  c'est  ce  qui  se  pratique  en   VngleU 
et  aux  Etats-Unis,  quand  les  hommes  d'affaires  ne  - nù 


CHAPITRE    VI 

U'iil  pas  de  démarquer  simplement   les  œuvres  françaises. 

En  Italie,  les  auteurs  Français  de  quelque  notoriété  ont 
choix  entre  deux  systèmes  :  la  vente  en  propriété,  ou  une 
simple  procura  lion. 

Lorsqu'ils  s'entendent  avec  M.  Praga,  directeur  de  la 
S  eiété  des  Ailleurs  Italiens  —  qui  a  un  traité  avec  les  agonis 
généraux  —  il  lui  donnent  simplement;  mandat  d'autoriser 
les  représentations  de  leurs  pièces,  et  de  percevoir  leurs 
droits,  moyennant  commission.  La  combinaison  peut  paraître 
avantageuse;  de  fait,  elle  rapporta  à  M.  Sardou  70,000  francs 
pour  Madame  Sans-Gêne. 

Mais  de  lois  bénéfices  sont  rares  :  et  M.  Riccardi,  en 
achetant  les  pièces  en  toute  propriété,  offre  aux  auteurs  cer- 
taines compensations  :  s'il  ne  leur  promet  guère  que  50  0/0, 
sur  le  produit  des  représentations,  il  leur  remet  d'avance 

une  son fixe  à  valoir,  ce  qui  tente  plus  d'un  auteur,  heu- 

reuxde  toucher  comptant  quelque  chose,  en  attendant  les  rede- 
vances  incertaines  de  Paris  et  de  la  province.  Si  la  pièce  ne 
réussit  pas  à  l'étranger  —  ce  qui  est  assez  fréquent  —  la  prime 
reste  acquise  à  l'auteur  :  c'est  une  perte  sèche  pour  la  maison. 

Ajoutons  que  celle-ci,  propriétaire  de  son  répertoire,  fait 
effort  pour  l'exploiter,  taudis  que  la  Société  (\^>  Auteurs 
Italiens  se  contente  de  percevoir  automatiquement  sur  les 
représentations  données    I  . 

Le  vaudeville  s'exporte  généralement  dans  de  bonnes 
conditions  :  c'est  surtout  la  pièce  purement  littéraire  —  à 
part  quelques  œuvres  signées  de  noms  Illustres  —  <jui  est 
exj  lux  plus  étranges  mésaventures.  Ici  l'auteur  trou- 

vera rarement  a  traiter  avec  les  agences  d'un  crédit  solide  : 
il  sera  a  la  merci  des  petits  acheteurs,  ou  <\^>  particuliers  : 


I)  Vol    '       /-//'/.  u  )  et 22  janvier  1908, 


LE   SERVICE   DE   PERCEPTION 

ceux-ci  lui  promettront  muni-  et  merveilles,  mais  De  le 
feront  pas  jouer,  ou  le  jouer.. ni  en  catimini  —  on  ae  peut 
être  abonné  à  tous  les  journaux  étrangers  —  ou  garderont 
pour  eux  les  recettes,  au  mépris  de  la  foi  jurée.  L'auteur  esl 
désarmé  :  mettra-t-il  en  mouvement  la  lourde  machine 
judiciaire,  lorsque  ces  Faits  viendront  à  sa  connaissai 
parfois  au  bout  de  plusieurs  années?  L'homme  de  lettres 
e>t  naturellement  peu  processif  :  il  préférera  souffrir  en 
silence,  et  faire  une  nouvelle  pièce,  qu'il  vendra  à  un  aul 
à  moins  que  ce  n<k  ><>it  au  même. 

11  est  juste  d'observer  que  les  Commissions  qui  président 
aux  destinées  de  la  Société,  sont  fort  peu  secondées,  en  «•••il»' 
matière,  au  point  de  vue  juridique  —  car  ce  sont,  en  défini- 
tive, des  questions  de  droit  qui  leur  sont  soumises  à  chaque 
instant.  Sans  doute  elles   sont   appuyées  d'un  conseil  judi- 
ciaire  imposant,    réunissant    des  compétences  de   premier 
ordre;  mais  ce  conseil,  excellent  pour  les  grosses  affain 
ne  suffit  pas  pour  les  petites.  Or,  ce  son!  les  petites  qui  font 
vivre  La  masse  des  auteurs.  Supposons  un  cas  très  fréquent  : 
un  auteur  réclame  à  un   directeur,   à   un   imprésario,   200, 
500,  800  francs,  dont  il  fut  injustement  frustré  :  ce  sonl  des 
réclamations  courantes  à   La  Société,   menus  incidents  de  la 
vie  de  tous  les  jours.  Les  frais  (l'un  procès  serait  élevés,  le 
bénéfice  minime.  On  hésitera,  pour  de  telles  sommes,  a  faire 
appel  aux  lumières,  au  talent  d'un  avocat  célèbre.  La  Soci< 
laissera  tomber  l'affaire.  Libre  à  l'auteur  de  la  suivre 
frais  et  risques.  La  charge,  minime  pour  la  masse,  est  oné 
reuse  pour  l'individu  :  l'auteur  classera  sa  plainte.  Or,  cette 
plainte,  s'ajoutant  à  une  centaine  d'autres,  aurait  peut-être 
fait  reculer  Les  fraudeurs,  et  consacré  plus  fermement  le  prin- 
cipe de  l.t  propriété  dramatique. 

En   résumé,   les  auteurs  <>nl   besoin  d'avoir  h   leur  t 


CHAPITRE   VI 

moins  des  hommes  de  talent,  que  des  hommes  d'action, 
moins  des  illustrations  du  théâtre,  que  des  confrères  décidés 
faire  valoir  Leurs  droits,  et  surtout  leurs  intérêts.  Les 
porte-paroles  de  La  Société  ne  cessent  de  répéter  que  leur 
association  est  une  société  commerciale,  qu'elle  ne  doit  pas 
sortir  de  ce  rôle.  La  comparaison  est  juste,  si  le  terme  ne 
l'est  pas.  Le  premier  soin  d'une  société  —  civile  ou  com- 
merciale  —  doit  être  de  réaliser  les  bénéfices.  En  faisant 
leur  bilan,  les  auteurs  apprécieront  l'activité  de  leurs  chefs. 

* 

Une  association  littéraire  s'est  fondée,  Tannée  dernière, 
en  face  de  La  Société  des  Auteurs,  sous  le  nom  de  Syndicat 
professionnel  des  auteurs  et  compositeurs  dramatiques.  Ce 
n'est  pas,  quoi  qu'en  aient  dit  ses  adversaires,  une  arme  de 
combal  contre  la  Société  actuelle  :  il  serait  plus  juste  d'y 
voir  n n  instrument  de  réformes.  Créée  par  un  groupe  de 
Littérateurs,  qui  pensenl  que  la  discussion  n'est  pas  suffisam- 
ment libre  aux  assemblées  de  La  rue  Hippolyte-Lebas,  elle  se 
propose,  non  pas  de  battre  en  brèche  une  institution  cente- 
naire, mais  de  La  fortifier,  en  remédiant  à  d<is  vices  d'orga- 
nisation, que  le  temps  a  permis  d'y  découvrir,  et  qui 
risqueraient,  si  L'on  n'y  prenait  garde,  d'amener  sa  mine. 

I  fondateurs  de  ce  syndicat  dramatique  ont  estimé  que 
l'importance  de  certaines  questions  avait  échappé  à  plu- 
sieurs des  membres  dirigeants  de  La  Société,  naturellement 
portés  •'  croire  que  tout  est  pour  le  mieux,  dans  le  meilleur 
des  mondes  dramatiques,  mal  placés  peut-être  pour 
connaître  les  maux  dont  elle  souffre.  Ils  ont  voulu  faire  un 
nt,  mais  non  revenir  6  une  division  entre  les 
in»,  qui  serait  funeste  a  tous;  il>  étaient  si  loin  de 
vouloir  provoquer  un  schisme  déplorable  dans  les  milieux 


LE  SERVICE  DE  PERCEPTION  351 

du  théâtre,  qu'ils  onl  recruté  la  plus  grande  partie  de  leur 
clientèle  parmi  les  sociétaires  de  la  Société  des  \uteurs, 
dont  une  cinquantaine  onl  déjà  adhéré  à  l'association  nou- 
velle. 

Cependant,  la  Société,  qui  es!  trop  âgée  pour  aimer 
les  innovations,  crut  devoir  d'abord  traiter  en  ennemie 
le  syndicat,  à  peine  éclos.  Deux  membres  de  la  Com- 
mission qui,  sans  penser  à  mal,  s'étaient  Inscrits  dans 
le  Comité  directeur  du  syndicat,  n'obtinrent  l'aman  de 
leurs  collègues,  que  lorsqu'ils  eurent  abandonné  leurs 
fonctions  compromettantes.  Aujourd'hui  —  les  somb 
jours  du  trust  étant  loin  déjà  dans  le  passé  —  le  calme 
paraît  renaître:  le  pouvoir  exécutif  de  la  Société  semble 
avoir  renoncé  à  combattre  ses  voisins,  s'il  surveille  encore 
avec  défiance  leurs  faits  et  gestes. 

Pourtant,  si  l'on  parcourt  les  statuts  de  ce  groupement, 
mi  ne  relève  nulle  trace  d'animosité  contre  la  Sociét 
comités,  commissions,  assemblées,  paraissent  poursuivre  un 
-«ut  but,  celui  d'assurer  aux  dramaturges  toutes  I  g  in- 
ties  nécessaires  à  la  protection  de  leurs  intérêts,  au  recou- 
vrement Intégral  des  droits  qui  leur  sont  dus. 

Signalons,  à  cet  égard,  une  création  des  plus  utiles,  celle 
d'un  comité  du  contentieux,  formé  de  membres  de  l'ass 

tion,  et  secondé  par  un  conseil  judiciaire  :  le  comité  a  | r 

mission  de  fournir  aux  auteurs  tous  les  renseignements  leur 
permettant  de  traiter,  en  connaissance  de  cause,  avec  les 
directeurs  ou  impresarii;  au  cas  <»ù  un  membre  du  syndi- 
cat aurait   un   procès  a  soutenir,    l'assistance  pécuniaire  de 

l'association  lui  est  offerte.  Nul  doute  que  cette  c bin 

-..h  ne  rende  l<i-  plus  grands  services  aux  dramat  en 

détresse. 

Notons  d'ailleurs  qu'une  telle  i  n  ation  n  i  de  oai 


352  fcHÀPITRE   Vt 

à  porter  ombrage  à  la  Société  des  Auteurs,  car  elle  n'empiète 
nullement  mu*  ses  attributions.  Les  membres  de  la  Société 
n'en  resteront  pas  moins  tenus  de  donner  connaissance  à  la 
Commission  des  affaires  qu'ils  se  proposent  de  poursuivre 
devant  les  tribunaux  :  celle-ci  est  toujours  libre  de  prendre 
fait  el  cause  pour  eux.  Le  syndicat  leur  offre  un  appui  de 
-•.onde  ligne,  et,  en  tout  cas,  des  conseils  sur  l'étendue  de 
leurs  droits. 

Ouvrir  des  discussions,  permettre  à  tous  de  formuler  une 
opinion,  de  faire  entendre  leurs  plaintes,  sans  se  croire 
tenus  à  une  réserve  inutile,  tel  est,  en  définitive,  le  rôle  du 
-\  ndicat.  La  Société  —  si  on  considère  la  masse  des  auteurs, 
sans  se  préoccuper  des  questions  de  personnes  —  ne  peut 
que  gagner  à  son  développement. 


Les  Traités  généraux 


2i 


Les  Traités  généraux 


Les  traités  généraux,  à  Paris,  les  actes  d'engagement,  en 
province,  par  lesquels  la  Société  des  Auteurs  concède  aux 
administrations  théâtrales  la  faculté  de  puiser  à  son  réper- 
toire,, n'ont  pas  la  valeur  d'un  consentement  donné  à  la 
représentation  de  tel  ou  tel  ouvrage  de  l'un  de  ses  membi 
Lue  semblable  permission  excéderait  le  pouvoir  du  syndi- 
cat, et  porterait  atteinte  au  droit,  qui  appartient  en  propn 
l'auteur,  de  disposer  à  son  gré  de  ><»n  œuvre.  Cette  première 
formalité  remplie,  les  directeurs  devronl  encore,  en  principe, 
pour  chaque  cas  particulier,  justifier  d'une  autorisation 
expresse,  délivrée  par  l'auteur,  <>u  par  l'agent  de  la  Société 
agissant  en  son  nom. 

Le  consentement  de  l'auteur  sera,  le  plus  souvent,  de  pure 
forme,   lorsqu'il   s'agira  de   pièces    déjà    représentées.    S'il 
s'agil  d'une  œuvre  Inédite,  il  pourra  formuler  des  exigen 
spéciales  pour  la  figuration,  la  mise  en  scène,  ou  I  interp 
In  lion. 

Cependant,  la  plupart  (\\\  temps,  il  s'en  tiendra  aux  avan- 
tages stipulés,  à  son  profit,  par  la  Socii 

Les  traité^  généraux,  qui  lient  l'association  aui  scènes 
parisiennes,  sont  en  effet  de  véritables  codes  annexes  de  la 
législation  des  théâtres,   où   la  Société,  vusea 

relatives   au    taui   e1  à    la    perception  des   droits  d  auteur, 
Insère  une   foule  de  mentions,  modifiant,  dans  I  lnté><  i  di 
membres,  les  règles  ordinaires  du  contrat  de  i  n 

talion.  Ces  clauses  ne  varient  d'un  tbéâtreà  l'autre 


:r>r>  chapitre  vti 

les  différences  ne  portent  que  sur  la  question  de  tarif.  C'est, 
en  regard  delà  loi  et  de  la  jurisprudence,  comme  une  régle- 
mentation secondaire,  un  droit  coutumier,  que  la  Société 
des  Auteurs  consacre  dans  ces  chartes   de  franchises. 

I  -  stipulations  pour  autrui  sont  parfaitement  valables,  du 
moment  que  l'existence  juridique  de  l'association  n'est  plus 
mise  en  doute.  Mais  parfois  la  Société  a  paru  aller  un  peu 
loin  dans  cette  voie.  Certaines  des  clauses  qu'elle  a  insérées 
dans  ses  traités  ont  semblé  contraires,  soit  aux  termes 
m  nies  de  la  loi,  soit  au  vœu  du  législateur,  et  la  question 
s'est  posée  de  savoir  si  elles  s'imposaient,  au  même  titre 
que  les  autres,  au  respect  des  tribunaux. 

Quelle  est  la  valeur  des  traités  généraux  à  l'égard  des 
auteurs?  Ceux-ci  peuvent-ils  signer  des  conventions  parti- 
culières avec  les  administrations  théâtrales?  Au  cas  où  ces 
conventions  seraient  en  opposition  avec  les  traités,  lequel 
sérail  applicable,  du  contrat  général  passé  par  la  Société, 
nu  du  contrat  particulier  passé  par  l'auteur? 

II  es!  certain,  tout  d'abord,  que  les  traités  généraux  passés 
par  la  Société  n'empêchent  pas  les  auteurs  de  conclure  avec 
les  directeurs  des  arrangements  particuliers,  pourvu  qu'ils 
ne  soient  pas  contraires  à  l'esprit  des  traités  généraux.  Ces 
actes  oui  pour  objet  d'imposer  aux  administrations  théâ- 
trales certaines  obligations,  au  profil  des  littérateurs  ;  ceux-ci 
ne  peuvent  y  renoncer  ou  eu  diminuer  la  portée.  Mais  ils 
peuvent,  par  des  arrangements  particuliers,  se  réserver  des 
avantages  spéciaux  :  choix  d'artistes,  luxe  de  mise  «mi  scène, 
indemnités  plus  fortes  en  cas  de  violation  du  contrat,  etc... 
Cela  est  admis,  et  prévu  môme,  dans  les  traités  passés  par  La 

iété.  En  d'autres  termes,  l'auteur  ne  peu!  pas  alléger  les 
chs  [ui  pèsent  sur  les  directions,  il  peut  seulement  les 

o  ' 


LES   TRAITÉS   GÉNÉRAUX 

Qu'arriverait-il,  si,  contrairement  aux  statuts,  un  auteur 
signait  un  accord  en  opposition  avec  les  traités  généraux, 
si.  par  ignorance  de  ses  droits,  ou  pour  se  faire  bienvenir 
d'un  directeur,  il  se  dépouillait  des  avantages  stipulés  en 
faveur?  Nul  doute;  le  traité  général  primerait  [accord 
particulier;  le  directeur  serait  mal  fondé  à  réclamer  l'exécu- 
tion de  la  convention.  Cela  a  été  maintes  fois  reconnu,  ei 
même  alors  que  le  traité  généra]  Intervenu  entre  la  Société 
et  la  scène  intéressée  était  postérieur  à  l'arrangement 
consenti  par  l'auteur. 

En  1903,  M.  P.-L.  Fiers  s'engageait  h  fournir  le  Moulin- 
Rouge  de  revues  et  d'opérettes,  moyennant  une  part  de  •">  0  0 
sur  les  recettes.  Or,  un  traité  Intervenu,  en  1904,  entre  la 
Société  <d  le  Moulin-Rouge,  augmenta  les  droits  d'auteur  dans 
cet  établissement,  et  les  porta  à  7,50  0  <>.  La  direction  «lui 
l'aire  ses  versements  à  la  Société  d'après  l<i  nouveau  tarif  en 
vigueur.  Mais  elle  prétendit  recouvrer  sur  l'auteur,  lié  par 
un  conlrnt  antérieur,  cette  majoration  «le  droits,  dont  il  avait, 
à  son  avis,  indûment  bénéficié.  Le  tribunal  n'hésita  pas  i 
repousser  cette  prétention  :  il  décida  qu'il  ne  dépendait  pas 
de  la  direction  de  l'aire  supporter  à  un  auteur  les  char§ 
nouvelles  qu'elle  avail  acceptées  vis-à-vis  d'un  tiers,  en 
dehors  de  l'intervention  personnelle  de  l'intéressé    I 

Si    toutefois    l'auteur    et    le   directeur  étaienl    d'accord, 
jusqu'au  boni,  pour  exécuter  un  accord  contraire  aux  Irait 
il  es!  bien  certain  que   leur   volonté   serait  souveraine,  I 
pouvoir  de  la  Société  a  des  limites  :  il  ne  saurai!  atteindre 
le  droit  de  propriété  littéraire  de  l'auteur,  qui  peul  disposer 
de  son  œuvre  comme  bon  lui  semble.  Celui-ci  sérail 
ment  responsable  de  son  infraction  aux  statuts,  vi  de 


1    Tribunal  civil  de  Pontolte,  2  août  1904,  L«  Drotf,  t 


K 


CHAPITRE    VII 

la  Société,  qui  pourrait  le  frapper  d'une  amende,  ou  l'exclure 
de  l'association  :  le  directeur  aurai!  également  à  répondit' 
devant  elle  de  son  manquement  au  traité;  il  encourrait,  de 
ce  Fait,  les  pénalités  prévues  en  cas  d'infraction.  L'action  de 
la  Société  va,  nous  le  savons,  jusqu'à  condamner  les 
théâtres  à  fermer  leurs  portes,  les  auteurs  à  renoncer  h  la 
littérature.  Ce  sont  là  des  menaces  suffisantes  pour  qu'on 
puisse  dire  que,  même  en  ce  cas,  elle  aurait  vraisemblable- 
ment le  dernier  mot. 

Les  traités  généraux  n'obligent  que  les  membres  de  la 
S  iiété.  Au  cas  où  ceux-ci  collaboreraient  avec  un  écrivain 
étranger  à  la  Société,  ils  n'en  resteraient  pas  moins  soumis, 
en  ce  qui  les  concerne,  aux  clauses  qui  y  sont  inscrites  ;  ils 
auraient  également  le  droit  d'en  réclamer  le  bénéfice  pour 
l'œm  re  commune  (1).  Mais,  s'ils  cédaient  à  leur  collaborateur 
l'intégralité  de  leurs  droits  sur  cette  œuvre,  celle-ci  serait 
soustraite,  par  là  même,  à  l'inlluence  des  traités  (2). 

Jusqu'en  1<SÎ)0,  les  traités  généraux  accordés  par  la  Société 
des  Auteurs  se  composaient  de  65  articles  :  ils  présentaient 
beaucoup  d'imperfections,  entre  autres,  celle  d'être  beaucoup 
lr<»p  Ion.».  En  outre,  une  seule  pénalité  était  prévue  contre 
les  directeurs  qui  avaienl  contrevenu  à  Tune  quelconque  des 
prescriptions  de  ces  traités:  le  retraitdu  répertoire.  Menace 
insuffisante,  parce  qu'on  répugnail  à  l'appliquer.  «  Ima- 
ginez un  code  pénal,  disail  un  auteur,  <>îi  une  seule  peine 
serait  écrite  :  la  peine  de  mort  ». 

En  1890,  on  rédigea  de  nouveaux  modèles.  Les  traités 
furent  réduits  ■<  quelques  feuillets.  Ils  sont  pourtant  encore 

rribunal    <ivil   de  la   Seine,    L8    février    1891,  Gazette   des    tribunaux, 
-   Tribunal  civil  de  la  Seine,  1"  mai  1861,  Annales  de  la  propriété  indus 


LES   TRAITES   GÉNÉRAUX 

assez  étendus;  car  tout  y  est  prévu,  jusqu'aux  moindres 
détails  (l'interprétation.  On  réglementa  avec  plus  de  préci 
sion  et  de  rigueur  les  obligations  des  directions,  quanl  au 
contrat  de  représentation,  el  à  la  composition  de  la  recette. 
Enfin  on  se  préoccupa  de  prévoir,  pour  chaque  infraction 
aux  règles  établies,  une  pénalité  proportionnée  :  amendes 
au  profit  de  la  caisse  sociale,  pour  le-  fautes  d'ordre  général, 
indemnités  versées  à  Fauteur,  pour  les  fautes  d'ordre  par- 
ticulier; amendes  et  indemnités  toujours  acquises  de  plein 
droit,  sans  mise  en  demeure,  afin  d'éviter  l'intervention 
des  tribunaux.  Les  directeurs  de  théâtre  obtenaient-ils  une 
compensation  quelconque  a  ces  charges  nouvelles?  Aucune. 
Cependant  ils  acceptèrent  sans  murmurer.  A  quoi  bon  se 
plaindre?  Ils  n'avaient  qu'à  -incliner,  ou  à  changerde  métier. 

Les  traités  généraux  n'ont  pas  une  durée  uniforme  :  ils 
sont  conclus,  tantôt  pour  un  an,  tantôt  pour  deux,  trois  ou 
cinq  ans.  La  tendance  actuelle  de  la  Société  est  plutôt  de 
réduire  cette  durée,  atin  de  ne  pas  s'engager  pour  un  temps 
trop  long,  et  de  permettre  de  réaliser,  sans  trop  attendre, 
les  modifications  qui  pourraient  paraître  opportunes. 

Parmi  les  scènes  de  la  capitale,  une  seule  échappe  encore 
à  l'action  de  la  Société,  la  première  de  nos  scènes,  il  est 
vrai  :  la  Comédie-Française.  N'ai-  avons  vu,  sous  l'Ancien 
Régime,  l'autorité  intervenir,  par  voie  réglementaire,  dans 
1rs  rapports  du  Théâtre-Français  <il  <l<1  l'Opéra  avec  les 
auteurs,  aussi  bien  que  dans  leur  administration  intérieui 
Le  théâtre  de  l'Opéra  n'est  plus  assujetti  aujourd'hui  qu'aui 
obligation-  spéciales  auxquelles  sont  soumis  les  théâtres  sun 
mentionnés,  el  qui  sont  inscrites  dans  les  cahiers  des  i  b 

Seule,  la  Comédie-Française  n'a  d'être  pardi  - 

actes  de  l'autorité,  et  reste  indépendante  de  la  S 
Auteurs.  Il  importe  d'ailleurs  de  s'entendre  wr  !••  - 


360  CHAPITRE   Vil 

la  portée  de  celle  indépendance.  Si  la  Société  n'est  pas  liée 
au  Théâtre-Français  par  les  termes  d'un  traité  général, 
c'est  qu'il  était  parfaitement  inutile  de  sa  part  de  prendre 
do-  précautions  contre  celle  scène.  Les  règlements  qui  régis- 
sent ce  théâtre  protègent  suffisamment  les  auteurs  ;  ils  leur 
Font  même,  au  point  de  vue  des  droits  qui  leur  sont  attri- 
bués, une  situation  privilégiée.  Aussi,  à  l'heure  actuelle, 
l'intervention  de  la  Société  des  Auteurs  dans  les  affaires  de 
la  Comédie-Française  se  borne-t-ellc  à  percevoir,  par  l'entre- 
mise des  agents  généraux,  les  droits  revenant  à  ses  mem- 
bres, qui  ne  peuvent,  aux  termes  des  statuts,  être  remis 
directement  aux  intéressés. 

Mais  si,  d'aventure,  la  part  des  auteurs  venait  à  être  dimi- 
Duée  arbitrairement,  ou  si  quelque  règlement  édictait  des 
prescriptions  contraires  à  leurs  intérêts,  la  Société  aurait 
évidemment  le  droit  et  le  devoir  d'agir.  A  qui  s'en  pren- 
dra it-»«llp?  Non  pas  au  théâtre,  qui  est  sous  la  dépendance 
étroite  du  gouvernement,  mais  aux  auteurs  qui  doivent 
obéissance  au  pacte  social.  Forte  de  leur  adhésion,  elle  sau- 
rait certainement  se  faire  rendre  justice. 

Les  relations  des  autres  scènes  subventionnées  avec  la 
été  sont  fixées  par  des  traités  généraux  ;  mais  ces 
théâtres  Boni  également  liés  vis-à-vis  de  l'autorité  par  le 
cahier  des  charges  qui  leur  esl  imposé.  Ils  n<i  contractent 
donc  pas  en  pleine  indépendance,  e1  ne  pourraient  se  sous- 
traire aux  obligations  qui  leur  incombent  de  ce  fait.  Si  une 
clause  du  traité  général,  accepté  par  leurs  directeurs,  se 
trouvait  être  en  contradiction  avec  les  prescriptions  du  cahier 
des  <li  il  y  aurait  lieu  de  rapprocher  les  stipulations  de 

deui  contrats,  et  de  cherchera  les  concilier  (1). 

iy  Voir  Tribunal  civil  d  [ne,  27  juin  1896,  Omette  des  iri/nmauz, 

2S  ju 


LES   TRAITÉS   GÉNÉRAUX 


La  lui  est  à  peu  près  mu. 'IL'  sur  le  contrai  qui  se  forme 
entre  auteurs  et  directeurs  pour  La  représentation  d'une 
œuvre  dramatique.  Elle  se  contente  de  dire  que  les  conven- 
tions sont  librement  débattues  entre  eux.  Cependant  des 
contestations  surgissent  fréquemment,  soi!  a  L'occasion  du 
refus  d'une  pièce,  soit  au  cours  des  répétitions. 

Les  tribunaux  ont  eu  à  solutionner  ces  conflits;  il-  onl 
cherché  à  constituer,  de  toutes  pièces,  une  jurisprudence 
théâtrale,  qui  conciliât  autanl  que  possible  l«i-  divers  inté- 
rêts en  présence  :  d'un  côté,  le  respecl  dû  a  La  propriété 
littéraire;  de  l'autre,  I<i-  exigences  du  théâtre,  <il  les  conci 
sions  que  la  nécessité  impose,  ou  que  L'usage  et  La  tradition 
justifient.  Cette  jurisprudence  est  restée  un  peu  vague,  par 
la  force  des  choses  :  il  était  à  craindre,  dans  L'imprécision 
de  décisions  judiciaires,  parfois  contradictoires,  que  Les 
auteurs,  peu  enclins  déjà,  par  métier,  à  soutenir  jusqu'au 
bout  leurs  revendications,  ne  subissent  aveuglément  Les 
fantaisies  directoriales,  i\iu\<  L'incertitude  <>ù  il-  eussent  été 
d'obtenir  gain  de  cause.  Aussi  la  Société  des  \uteurs  s'< 
elle  efforcée  de  resserrer  les  liens,  souvent  flottants,  qui 
attachaient  les  directeurs  <l<i  théâtre  a  La  fortune  des 
auteurs  :  à  côté  des  obligations  reconnues  sans  conteste,  par 
la  jurisprudence,  à  La  charge  des  administrations  théâtral 
elle  a  édicté  des  prescriptions  plus  sévères,  s'étudianl  ■<  ne 
laisser  dans  l'ombre  aucun  détail  :  c'est  là  un  surcroît  de 
garanties,  des  plus  précieuses  pour  les  auteurs,  et  qui  -  un 
posent  au  respect  des  tribunaux,  comme  les  termes  <l  un 
contrat  Librement  conclu  entre  La  Société  el  Les  directeurs 
adhérents, 

Les  traités  généraux  réglementent  |ea  obi 


882  CHAPITRE   VII 

auxquelles  les  directeurs  son!  assujettis,  avant,  pendant,  et 
après  la  représentation  d'une  pièce  ;  il  est  indispensable  de 
connaître,  au  moins  dans  leurs  lignes  principales,  les  modi- 
fications introduites,  en  celte  matière,  par  la  Société. 

Les  formalités  préalables  diffèrent  naturellement,  suivant 
qu'il  s'agit  d'une  œuvre  qui  est  donnée  pour  la  première 
Fois,  ou  d'une  pièce  déjà  jouée 

Lorsqu'il  s'agit  d'une  pièce  inédite,  les  pourparlers  entre 
auteur  et  directeur  s'engageront  après  la  remise  de  la  pièce. 
La  Commission  de  la  Société  a  jugé  nécessaire,  en  1890,  de 
réglementer  d'une  façon  plus  précise  le  dépôt  et  le  retrait 
des  manuscrits.  Il  importe  en  effet  qu'ils  ne  soient  pas 
égarés,  qu'ils  ne  restent  pas  trop  longtemps  enfouis  dans  les 
archives  du  théâtre,  immobilisant  le  talent  et  l'avenir  d'un 
auteur,  enfin  <jue  celui-ci  ne  coure  pas  le  risque,  en  cas  de 
concurrence  possible  avec  un  confrère,  traitant  un  sujet 
analogue,  d'être  dépouillé  de  son  droit  de  priorité. 

Aux  termes  des  traités,  toute  remise  de  manuscrit  doit 
être  constatée  par  un  récépissé,  destiné  à  servir  de  preuve  en 
justice,  si  le  manuscrit  vient  à  être  égaré.  A  défaut  de  ce 
document,  ou  de  tel  autre  ayant  même  valeur,  l'auteur  ne 
pourrait,  le  cas  échéant,  obtenir  plus  de  150  francs  de  dom- 
mages-intérêts, puisque,  au-dessus  (le  ce  chiffre,  la  demande 
doit  être  appuyée  d'une  preuve  écrite  1).  Tout*1  perte  de 
manuscrit  est  d'ailleurs  punie  d'une  forte  amende.  Le  direc- 
teur doit  également  délivrer  à  l'auteur  un  numéro  d'ordre, 
qui  établit  sa  priorité.  Enfin  il  doit  faire  connaître  sa  réponse 
dans  un  délai  de  quarante  jouis. 

.  en  dépit  de  leur  apparente  rigueur,   ne  sont 
appliquées  •  ■  la  lettre;  l<i  plus  souvent,  aucun  récépissé 

]    Tribunal  de  i  e  de  Nii  ivril   1905,  Gazette  dei  tribunaux s 

1U  juin    ! 


LES   TRAITES    GÉNÉRAUX 

ne  sera  remis  à  Fauteur,  qui  déposera  d'ailleurs  une  simple 
copie  de  son  ouvrage  :  les  quarante  jours  de  grâce  accordés 
au  directeur  deviendront  facilement  des  mois,  ou  même 
des  années  :  l'auteur  patientera,  trop  heureux,  si  une  réponse 
favorable  vient  le  dédommager  (rime  longue  attente. 

La  pièce  lue,  le  directeur  es!  toujours  libre  de  la  refuser  : 
cette  liberté,  qui  paraitsi  naturelle,  a  pourtant  été  contestée 
un  jour  par  un  membre  de  la  Société.  En  1870,  un  auteur, 
refusé  à  l'Odéon,  ne  se  résignait  pas  à  sa  défaite;  il  en 
appelait  à  l'opinion,  et  à  ses  confrères  de  la  Société.  Refusé 
au  Vaudeville  ou  au  Gymnase,  <li>>;iil  ce  littérateur  obstiné, 
je   n'aurais  rien  11    dire:    mais   à  l'Odéon!  a   L'Odéon   était 

tenu,  de  par  son  cahier  des  charges,  de  j< r  les  jeunes,  au 

nombre  desquels  se  trouvait  le  réclamant  :  il  se  considérait 
comme  personnellement  lésé  par  ce  refus.  La  Société  devait 
protester.  Chose  plus  surprenante,  sa  plainte  lut  examin 
le  plus  sérieusement  du  moud»';  toutefois,  le  rapporteur   • 
l'assemblée  générale  dut  conclure  qu'aucune  clause  des  sta 
tuts  ou  du  traité  général  n'autorisait  encore  l'association 
prendre  en  mains  la  cause  d'un  sociétaire,  et  à  imposer  s 
pièces,  même  à  l'Odéon  (1).  En  cas  de  refus,  le  directeur  n  a 
envers   l'auteur  d'autre  obligation  <|m'   de  lui   rendre    son 
manuscrit  sans  retard. 

Si  la  pire.'  est  reçue,  elle  doit  être,  aux  termes  des  trail 
inscrite  sur  un  registre  spécial,  avec  mention  du  titre,  du 
nombre  d'actes,  du  nom  de  l'auteur,  et  d'un  numéro  d  ordre 
établissant  la  date  de  la  réception.  Cette  inscription  fixe  le 
point  de  dépari  des  délais  impartis  à  la  direction  du  théâtre 
pour  monter  l'ouvrage  accept 

Le  directeur  doit  aussi,  sous  peine  d'une  indemnil 


1   Assemblée  du  :;  mai  1870,    I 


CHAPITRE   VII 

élevée,  à  versera  la  caisse  de  la  Société,  adresser,  chaque  mois, 
au  secrétaire  de  la  Commission,  un  relevé  détaillé  de  ce  regis- 
tiv.  contresigné  par  les  auteurs  Intéressés.  Cette  communica- 
tion esl  des  plus  importantes  :  en  dehors  de  (oui  avis  émanant 
de  l'auteur,  elle  met  la  Commission  à  même  de  vérifier  si  le 
théâtre  intéressé  est  bien  en  règle  avec  elle,  et  de  faire 
toucher,  le  moment  venu,  les  droits  sur  les  représentations 
données.  Elle  a  encore  une  autre  utilité  :  c'est  de  constituer 
à  Fauteur  une  preuve  formelle  de  la  réception  de  sa  pièce,  la 
seule  même  qui  lasse  foi  auprès  de  la  Commission.  A  tous 
ces  points  de  vue,  il  a  donc  le  plus  grand  intérêt  à  s'assurer 
que  la  notification  prescrite  a  eu  lieu. 

Cela  ne  veul  pas  dire  cependant  que  les  formalités  qui 
précèdent  soient  nécessaires  pour  sauvegarder  les  droits  de 
l'auteur  en  justice.  Il  restera  libre  de  prouver  la  réception  de 
8a  pièce  par  tout  document  écrit,  lettre,  télégramme.  Maintes 
décisions  <>n(  été  rendues  en  ce  sens  (1). 

Lorsqu'il  s'agit  simplement  d'une  reprise,  les  formalités 

qui  précèdent    n'ont  plus   de    raison   d'être   :   il  suffit   que 

l'auteur  consente  h  la    représentation  de  sa  pièce.  Pour  les 

nés  de  Paris  ou  de  l'étranger,  l'autorisation  requise  sera 


l    Voir  notamment,  Tribunal  civil  de  la  Seine,  27  novembre  1903,  Le  Droit, 

invier  1904. 

\  ii  suite  «l'un  entrefilet  paru  dans  un  journal,  el  annonçant  une  nouvelle 

oeuvre  d'Ibsen,  Quand  nous  nous  réveillerons  d'entre  les  morts,  le  théâtre  du 

■  •  demanda  au  comte  Prosor  le  privilège  d'une  traduction  française 

de  cette  pièce.  Il  y  eut   échange  <!«•  télégrammes,  formanl  contrat.  La  pièce 

lue,  ii  nouvelle  oeuvre  d'Ibsen  ne  rencontra  qu'un  maigre  enthousiasme  chez 

directeui  e,  qui  s<   refusèrenl  â  la  jouer,  alléguanl  qu'ils  ne 

rormellemeul  acceptée. 

Le  tribunal,   -  ûsi  «l«-  l'affaire,  jugea  que   l'article  des  traités  généraux,  qui 

plus   fréquent,  celui  où  un   auteur  apporte  son  manuscrit, 

d'autres   modes    de   réception;  <il|r  l'article  relatif  à  l'envoi  «lu 

bull<  une  obligation  au  directeur,  non  <i  L'auteur; 

■  l'auteur  Bur  le  bulletin  es1  prescrit,  c'esl  dans  l'in- 
I   «lu  directeur,  non  de  I  auteur.   Le   contrat  avuit  donc  pu  se  l'uriner 
YttlûMeuieut,  en  «Jei.  ii.      Otublies  par  la  Société. 


LES    TRAITÉS    GÉNÉRAUX 

donnée  par  l'auteur  lui-même,  suivant  un  modèle  arrêté  par 
la  Commission;  elle  sera  visée  par  l'agent  général.  L'auto- 
risation ne  serait  pas  valable  si  elle  était  donnée  par  un 
éditeur  ou  mandataire  quelconque,  auquel  l'auteur  aurait 
cédé  >ii>  droits.  11  résulte,  en  effet,  d'un.'  décision  prise  par 
la  Commission,  en  1880,  que  les  nul. mu--  ne  peuvent 
«  donner  à  des  intermédiaires  les  droits  qu'ils  <uit  aban- 
donnés à  la  Commission,  et  confiés  aux  agents  généraux,  et 
qui  sont  la  raison  même  de  l'ass<  ciation        I  . 

Les  scènes  de  province,  non-  le  savons,  n'ont  |»;<-  à  justifier 
du  consentement  exprès  de  l'auteur;  elles  sont  tacitement 
autorisées  à  représenter  les  œuvres  des  membres  de  la  Société, 
en  acquittant  les  droits  stipulés  dans  les  actes  d'engagement. 

Il  y  a  deux  catégories  d'oeuvres  qui  peuvent  être  repré- 
sentées librement  dans  tous  les  théâtres  :  les  pièces  du 
répertoire,  et  les  pièces  tombées  dans  l<4  domaine  public. 

Lorsqu'une  pièce  a  été'  représentée,  une  première  fois,  dans 
un  théâtre,  il  était  naturel  d'admettre  qu'elle  pûl  \  être 
donnée  à  nouveau,  quand  il  plairait  au  directeur,  et  même 
que  l'auteur  ue  j»ùl  la  faire  représenter  ailleurs,  sans  susciter 
en  quelque  sorte  une  concurrence  déloyale.  Mais  il  importail 
que  l;i  Société  des  Auteurs  limitât  étroitement  ce  privilèj 
et  que  les  directeurs  ne  conservassenl  pas  inutilement,  et  pour 
un  temps  fort  long  peut-être,  la  jouissance  exclusive  d  ou- 
vrages, dont  il-  s'abstiendraient  de  tirer  parti. 

Lor>  de  la  rédaction    des   nouveaux    traités,  en    1890,  l< 
Commission  a  établi  que,  pour  qu'une  pièce  fût  considt  : 
comme  étant    encore  au    répertoire  d'un    établissement,  il 
fallait  qu'elle  eût  été  donnée  dix  soirs  de  suite,  dans  I  i 
de  365  jours.  Sinon,  l'auteur  en  reprend  la  libre  disp<  ûtion 


1    Annuaire  188% 


CHAPITRE   VII 

La  loi  de  1866  a  limité  la  durée  du  droit  de  propriété 
littéraire  à  cinquante  ans  après  la  mort  de  l'auteur.  A 
l'expiration  de  ce  délai,  tout  directeur  de  spectacles  peut 
donc  représenter  les  enivres  tombées  dans  le  domaine 
public,  sans  avoir  d'autorisation  à  demander,  soit  aux 
héritiers  de  l'auteur,  soit  aux  agents  généraux  de  la  Société. 


Lorsqu'un  directeur  accepte  une  œuvre  inédite,  il  se 
forme,  entre  lui  et  l'auteur,  un  contrat  de  représentation 
comportant  des  obligations  réciproques,  que  la  Société  s'est 
efforcée  de  définir  et  de  préciser  dans  ses  traités. 

L'auteur  n'a  d'autre  obligation,  vis-à-vis  du  théâtre  où  il 
es!  joué,  que  de  fournir  des  copies  des  rôles,  et  de  garantir  la 
paisible  jouissance  de  son  œuvre.  Ainsi,  il  ne  pourrait  laisser 
représenter  sa  pièce  sur  une  autre  scène  de  la  même  ville. 
Il  n  <ii  es1  pas  de  même  pour  la  banlieue,  à  Paris.  Les  traités 
généraux  contiennent  à  cet  égard  la  réserve  suivante  : 

Les  ouvrages  appartenant  à  un  théâtre  de  Paris  pour- 
ront,  sans  avoir  cessé  de  taire  partie  de  son  répertoire,  être 
représentés  sur  les  théâtres  placés,  avant  et  depuis  l'an- 
,"'xl"n-  dans  le  rayoD  de  l'ancienne  banlieue,  sauf  aux 
directeurs  à  se  conformer  aux  délais  d'usage  et  à  obtenir  le 
consentement  des  auteurs  »  (1). 

'•"  théâtre,   au  contraire,   a,    vis-à-vis  de   l'auteur  qu'il 

représente,  de  nombreuses  obligations  :   la  première,  qui 

prime  toutes  les  autres,  c'est  de  le  jouer,  et,  si  possible,  sans 

trop  le  faire  attendre. 

'  '  jurisprudence  théâtrale  admettait  qu'une  pièce  devait 

emblée  générale  du  28  mai  1868,  Annuaire  ihcs- 

■ 


LES    TRAITÉS    GÉNÉRAI  \ 

obligatoirement,  et  sauf  certaines  dérogations  «lu  tre 

représentée  à  son  tour,  suivant  La  date  de  sa  réception. 

Mais  aucun  délai  n'était  fixé.  Il  <iu  résultait  que  lesdi 
teurs  restaient  libres  décommander  etde  recevoir  un  grand 
nombre  de  pièces,  sans  èlre  engagés  à   autre  chose  qu'à  ne 
pas  intervertir  leurs  ran^-. 

La  Société  des  Auteurs  est  allée  plus  loin.  Elle  8  établi,  en 
principe,  que  toute  pièce  reçue  doit  être  jouée  dans  un  délai 
variant  de  quinze  mois  à  deux  ans,  après  sa  réception.  vi 
elle  n'est  pas  représentée  en  temps  voulu,  le  contrai  est 
rompu  de  plein  droit,  et  sans  mise  en  demeure  :  une  indem- 
nité, qui  varie  suivant  retendue  de  L'ouvrage,  es!  acquis* 
rauteur,  sans  autres  formalités.  La  stipulation  est  parfaite- 
ment valable  ;  les  tribunaux  ne  se  sont  jamais  refus* 
L'appliquer  rigoureusement  (1).  Une  offre  tardive,  faite  en 
cours  d'instance,  ne  saurait  arrêter  L'effel  de  cette  clause 
pénale  (2). 

Mais  le  dédit  convenu  dispense  l<v  directeur  de  toute  autre 
obligation  :  il  ne  saurait  être  tenu  de  jouer  h  pièce 
contre  son  gré  (3).  L'auteur  est  d'ailleurs  libre,  bien  que 
ce  droit  lui  ait  été  contesté,  de  stipuler,  par  convention 
particulière,  un  délai  plus  court,  qui  s'imposera  de  m  ime  au 
directeur  (4).  Il  peut  également  convenir  d'un  dédit  plus 
élevé  que  celui  qui  est   porté  au   traité  général. 

Toutes  ces  précautions  <>nt  pour  objet  de  prévenir  I  encom- 

1    Cour  de  Paris,  26  août  1858,  Annuaire  de  la  propriiU  induttriei 
393  :  Tribunal   de  commerce  de   la   Seine,  23   juin    '  - 
page  192;  L3  juin  1888,  Gazette  <!>><  tribunaux,  30  juin  18*8;  rribunal  • 
l.i  Seine,  L6  février  1903,  Le  Droity  17  avril  i 

i   Cour  de  Paris,  i'~  août  L861,  Annalex   de  ta  /><  y 
page  269. 

(3,  Tribunal  civil   de   1      -  décemb 

9  décembre. 

I    Cour  de  Paris,  i'  avril  1870,  Annales  de  la  \ 
page  13  :  Tnbuu.il  civil  de  ta  &  ine,  %  jan 


CHAPITRE   Vit 

bremeni  des  manuscrits,  que  les  directeurs  acceptent  souvent 
à  la  Légère,  sans  trop  se  soucier  des  responsabilités  qu'ils 
assument.  Il  faut  d'ailleurs  avouer  qu'elles  constituent  pour 
les  auteurs,  au  moins  en  ce  qui  concerne  les  grandes  scènes, 
une  menace  utile,  plutôt  qu'une  arme  de  combat.  Beaucoup 
hésiteront  à  user  des  rigueurs  du  code  théâtral,  au  risque 
de  s'aliéner  définitivement  les  sympathies  d'un  artiste  ou 
d'un  directeur  influent. 

C'est  ainsi  qu'on  voit  sortir,  au  bout  de  trois  ou  quatre 
ans,  souvent  bien  davantage,  des  œuvres  notoirement  accep- 
tes depuis  un  temps  fort  long.  Les  auteurs  ont  rempli 
toutes  les  formalités  :  ils  ont  parfois  entre  les  mains  des 
traités  stipulant,  en  cas  de  retard,  des  indemnités  énormes, 
auxquelles  ils  n'ajoutent  pas  plus  foi  que  les  directeurs  qui 
les  ont  promises.  Ils  préfèrent  patienter,  sachant  que  le 
théâtre  est  à  ceux  qui  savent  attendre. 

Quelquefois  des  motifs  plausibles  excuserontecs  atermoie- 
ments  :  nécessités  de  mise  en  scène,  difficultés  d'interpré- 
tation. Plus  souvent,  la  mauvaise  volonté  d'un  directeur, 
guidé  par  son  caprice,  ou  par  l'opinion  du  moment,  sera 
la  cause  du  retard. 

Ce  mauvais  vouloir  est  plus  abusif  encore,  et  plus  préju- 
diciable a  l'auteur,  lorsqu'il  se  manifeste  au  cours  des 
répétitions.  Le  travail  préparatoire  de  la  représentation  «>l 
commencé  :  brusquement,  le  directeur  renonce  à  risquer 
la  partie.  Lorsqu'il  y  a  sans  raison  valable,  interruption  d^< 
répétitions  pendant  plus  de  trois  mois,  1rs  traités  généraux 
stipulent,  au  profil  de  l'auteur,  une  Indemnité  double  de 
'••Ile  qui  est  prévue  pour  !<■  cas  précédent. 

En  1901,  M.   Kistemaekers  se  prévalait   de  cette   disposi- 
tion. Il  portail  plainte  contre  M""  Sarab  Bernhardl  qui  avait 
il  motif  plausible,  les  répétitions  de  sa  pièce  Marthe. 


LES   TRAITÉS   GÉNÉRAUX 

En  vain  la  grande  artiste  prétendit-elle  voir,  dans  les 
hommages  don (  l'auteur l'avait  entourée,  à  son  dépari  pour 
l'Italie,  dans  un  bouquet  de  (leurs  qui!  lui  avait  adressé,  un 
consentement  tacite  à  cette  interruption  :  elle  lui  condamnée 
à  lui  payer  6,000  francs  de  dommages-intérêts    I 

Mêmeconfliten  190i,  entre  M.  Jean  Aicard  el  M.  Franck, 
directeur  du  Gymnase,  ;i  propos  d'une  pièce  en  quatre  aci 
Benjamine,  dont  M""'  Le  Bargy  devait  être  la  principale 
interprète.  L'artiste  se  refusa,  pour  de-  considérations 
d'ordre  personnel,  à  jouer  dans  la  pièce.  Le  directeur 
allégua  inutilement  qu'il  ne  pouvait  être  responsable  «le 
celte  défaillance,  que  l'auteur  se  trouvait  en  présence  d'un 
cas  de  force  majeure.  11  dut  verser  un  dédit  de  10,000  francs, 
stipulé  par  convention  particulière    2  . 

Qu'advient-il  des  pièce-  reçues  dans  un  théâtre,  quand 
l'établissement  change  de  direction  ?  Les  manuscrits  -<>n t-i N 
rendus  aux  intéressés,  <>n  le  nouvel  occupant  est-il  tenu  de 
monter  les  pièces  eu  souffrance,  quelles  que  soienl  ses 
convenances  particulières?  La  question  était  discutée:  la 
jurisprudence  inclinait  cependant  à  décider,  qu'en  l'absence 
d'une  clause  insérée  dan-  l'acte  de  cession,  eu  faveur  des 
auteurs  intéressés,  le  nouveau  directeur  n'étail  pas  obi 
de  les  jouer.  De  fait,  quand  on  achète  une  maison,  un  terrain, 
on  n'a  pas  l'habitude  de  prendre  ;i  -«ni  compte  le-  dettes 
personnelles  de  son  vendeur. 

La  Société  s'est  •mue  de  cette  situation.  L'auteur,  en  plu- 
dé  -,i  pièce.  ;i  dû    faire  souvent  de  longues  el   laborieux 
démarches  pour  la  faire  accepter  :  peut-être  a-t-il  escomj 
les  recettes  à  venir  ;  va-t-il  échouer,  au  moment  d'entrer  au 


l    Cour  de  Paris,  31  octobre  1901,  Gazette  des  '■ 
■i   Tribunal   <l-    commerce   de    la    &  ioe,    9   n..\.  m 
13  décembre  1901. 


370  CHAPITRE   VII 

pori  ?  La  Société  a  préféré  imposer  au  nouveau  directeur  les 
choix  de  l'ancien.  Sans  doute,  elle  n'a  pas  dit  que  les 
manuscrits  devaient  être  assimilés  à  des  immeubles  par  des- 
tination, qu'en  achetant  le  local,  on  achetait  aussi  les  car- 
tons.  Mais,  par  une  clause  de  ses  traités,  elle  a  imposé  aux 
directeurs  l'obligation  d'exécuter  les  engagements  pris  par 
leur»  prédécesseurs.  Pour  se  soustraire  à  cette  clause,  ils  ne 
pourraient  objecter  leur  ignorance,  ou  des  conventions 
contraires  (1). 

Cette  solution  est  légale,  avantageuse  aux  auteurs  :  elle 
peut  paraître  moins  agréable  aux  directeurs,  qui  recueille- 
ront ainsi  des  successions  obérées,  et  seront  parfois  obligés 
de  monter  des  pièces  qui  choquent  leur  goût,  leurs  préfé- 
rences artistiques. 

La  règle  souffre  d'ailleurs  des  exceptions.  Il  y  a  quelques 
années,  M.  Guitry,  succédant  à  M.  dernier,  au  théâtre  de  la 
Renaissance,  rendait  aux  auteurs,  par  autorisation  spéciale 
de  la   Commission,  toutes  les  pièces  reçues  par  son  prédé- 

>seur. 

Peu  de  temps  après,  M.  Antoine,  qui  venait  au  théâtre  de 
l'Odéon,  avec  un  programme  tout  nouveau,  se  voyait 
condamnera  faire  honneur  à  la  signature  de  M.  (linisty. 


Lorsqu'un  directeur  a  accepté  de  monter  une  pièce,  il 
devienl  l'associé  naturel  de  l'auteur;  tous  deux  collaborent 
6  une  œuvre  commune,  égalemenl  préoccupés  de  mettre 
l'ouvrage  «-n  valeur,  ei  d'en  assurer  le  succès.  Normalement, 
il  n<-  s'élèvera  pas  de  difficultés,  entre  l'administration  du 
théâtre  el  l'auteur  :  cependant  il  se  pourra  que  le  directeur 


87,  Dalloz,  Pandectes,  89,  2,  109. 


LES   TRAITÉS   GENERAUX 

ne  joue  une  pièce  qu'à  contre-cœur,  désireux  seulement  de 
s'acquitter  d'une    obligation,   sans   risquer   une   mise  ti 
importante,  ou  qu'il  veuille  imposer  aveuglément  ses  volon 
à  l'auteur.  La  Société  s'esl  efforcée  de  définir  !••-  devoirs  du 
directeur,  de  telle  sorte  que  L'auteur  ail  toujours  1<-  dernier 
mot,  dans  la  direction  artistique  de  L'entrepri 

Parfois,  la  pièce  nécessitera  des  frais  spéciaux  de  mise  en 
scène,  ou  le  concours  de  certains  artistes  paraîtra  néces- 
saire :  il  faudra  faire  des  engagements,  en  dehors  de  la 
troupe  ordinaire  du  théâtre  :  que  d'oeuvres,  aujourd'hui,  son! 
mises  à  la  -crue,  sous  condition  expresse  que  l«'l  artiste  j 
figurera,  quand  elles  ne  sont  pas  faites  exclusivement  pour 
lui.  Ces  cas  particuliers  nécessiteront  des  conventions 
spéciales  entre  les  parties  en  cause  :  les  traités  généraux  ne 
pouvaient  obliger  les  administrations  théâtrales  à  subii 
cet  égard,  les  exigences  de  l'auteur,  quelque  justifn 
qu'elles  pussent  paraître. 

Les  traités  généraux  réservent  aux  auteurs  La  distribution 
des  rôles,  en  premier  et  en  double.  Si  cette  distribution  pi 
sente  quelque  difficulté  pour  l'administration  «lu  théâtre,  ils 
s'entendront  avec  elle  à  L'amiable;  si  L'entente  est  imp< 
sible,  il-  nommeront   des  arbitres.  Lorsqu'il  est  nécessaire, 
par  l,i  suite,  de  faire  nue  autre  distribution,  L'administration 
doit  se  concerter  avec  les  auteurs.   Au  cas  où  elle  conti 
viendrait  à  l'une  quelconque  des  obligations  qui  Lui  sont 
imposées  à  cet  égard,  l'auteur,  aux  termes  des  traités,  pour 
rail  retirer  sa  pièce,  et  recevrait  en  outre  une  indemnité. 

L'auteur  a  Le  droit  d'assister  aux  répétitions  de  m  pi 
pour  surveiller  Le  lravi.il  des  artistes  :  c'est  môme  p  ".  Lui 
un  devoir,  sinon  une  obligation.  Nul  autre  ne  peut  .1  ailleurs 
\  être  admis,  sans  Le  double  consentement  de  I  auteur  et 
l'administration.    Cette    dernière   claua  miroàu 


372  CHAPITRE   VII 

en  1890,  à  la  suite  d'un  conflil  survenu  entre  la  Société  et  le 
directeur  de  l'Ambigu,  qui  avait  imaginé  de  distribuer  dans 
le  public  des  cartes  permanentes,  donnant  droit  d'entrée  à 
toutes  les  répétitions.  Cette  combinaison  ingénieuse,  dont 
on  use  couramment  dans  certains  music-halls,  parut  préju- 
diciable au  travail  de  mise  au  point  qui  s'accomplit  pendant 
les  répétitions.  La  Société  crut  devoir  l'interdire  en  principe. 
L'auteur  a  de  môme  le  droit  d'assister,  sur  la  scène,  à 
toutes  les  représentations  qui  sont  données  de  sa  pièce. 
Jusqu'à  la  fin,  il  doil  être  maître  de  la  direction  artistique 
de  l'interprétation. 


La  principale  obligation  qui  s'impose  au  directeur  est  de 
rémunérer  l'auteur.  La  rétribution  allouée  comprend  ce 
qu'on  appelle  communément,  au  sens  restreint  du  mot,  les 
droits  d'auteur,  c'est-à-dire  un  prélèvement  effectué  chaque 
soir  sur  la  recette  ;  elle  comprend  aussi  un  certain  nombre 
de  billets,  délivrés  à  l'auteur,  pour  chaque  représentation 
de  sa  pièce. 

I  h  auteur  joué  dans  un  théâtre  a  droit,  en  outre,  à  une 
ou  plusieurs  entrées  dans  cet  établissement,  valables  pour 
une  certaine  durée.  Le  nombre  el  la  durée  de  validité  de  ces 
entrées,  qui  varient,  suivant  le  nombre  ei  l'étendue  des 
œuvres  du  même  auteur  représentées  sur  la  même  scène, 
son!   déterminés  par   les   traités  généraux.   Bien  qu'on    le 

mprenne  parfois  dans  les  droits  d'auteur,  cet  avantage, 
rl"i  étail  déjà  prévu  dans  les  plus  anciens  règlements  buis 
pour  li  Comédie  Française  ou  l'Opéra,  doit  être  considéré 
plutôt  comme  un  acte  de  simple  courtoisie 

'  ■  bal  de  manuscrits,  qui  étail  de  règle  du  temps  de 
'    rneille,  est  aujourd'hui  défendu  par  la  Société.  Ce  mode 


LES  TRAITES   GKNRH  \\  \ 

de  paiement  était  en  effet  un  procédé  trop  facile  d'exploita- 
tion des  auteurs.  Le  directeur  qui  achèterait,  ou  ferai! 
acheter  par  un  intermédiaire,  une  œuvre  ancienne  ou 
moderne,  serait  passible  d'une  amende    1  . 

Les  droits  en  argent  perçus  par  la  Société  consistent  tou- 
jours en  une  part  prélevée  chaque  soir  sur  la  recette  brute, 
et  portant  sur  tous  les  éléments  de  recette  assujettis  au  droit 
des  pauvres.  Dans  le  cas  où  cet  impôt  serait  supprimé,  ou 
exerce  dans  des  bureaux  séparés,  la  part  des  auteurs  serait 
augmentée  d'un  dixième. 

Les  droits  d'auteur  sont  parfois  li\«i-.  mais  généralement 
proportionnels  à  la  recette. 

Les  théâtres  de  Paris  sont  (mis  aujourd'hui  soumis  au 
droit  proportionnel. 

Jusqu'en  1870,  l'Opéra  faisait  exception.  Lu  décret  «lu 
H)  décembre  1860  iixail  les  droits  d'auteur  o  ''»<><)  francs  par 
soirée.  Lorsque  ce  théâtre  cessa  d'être  soumis,  dans  sou 
administration  intérieure,  aux  décisions  de  l'autorité,  la 
Société  s'empressa,  dans  le  traité  qu'elle  imposa  a  cet  i 
blissement,  de  stipuler  un  tant  pour  cent  sur  les  recettes. 

Théoriquement,  tout  au  moins,   les    prélèvements   de    la 
Société  dans  les  différents  théâtres  sont  très  variables.  Pour 
les  établir,   celle-ci   doit   eu  effet  tenir  compte  d'un   grand 
nombre   de    données    :    situation,    importance   du  th 
charges  financières,  affluence  du  public  pria  des  plac<      I 
pratique,   les  variations  ne  sont  pas  aussi  sensibles  <|n 
pourrait   le  supposer,   car  la   Société  s   une  tendance   I 
naturelle   à  établir  certaines   moyennes,  asseï   él  de 

façon  à  exiger  tout  ce  qu'elle  peut  raisonnablemenl  lir 


(1)  Tribunal  civil  .!• 

1869, 


CHAPITRE    Vil 

Dans  les  théâtres  de  Paris,  le  taux  de  la  perception  oscille 
entré  8e1  18  0  0. 

Les  auteurs  sont  particulièrement  favorises  au  Théâtre- 
Français,  le  M'iil  qui  leur  paie  15  0/0,  en  vertu  du  règlement 
du  18  novembre  1859,  qui  régit  cette  scène.  Mais  il  faut 
remarquer  que  la  Comédie-Française,  dont  la  situation  est 
d'ailleurs  spécialement  prospère,  ne  verse,  à  la  différence 
de  tous  les  autres  théâtres  —  sauf  l'Odéon —  aucune  rede- 
vance  sur  le  domaine  public,  qu'elle  est  chargée  de  faire 
valoir.  C'est  là  un  privilège  important. 

La  plupart  des  grandes  scènes  de  Paris  versent  12  0/0  à  la 
Société  iU>>  Auteurs;  il  en  est  ainsi  de  l'Odéon,  du  Vaude- 
ville, (\u  Gymnase,  des  Variétés,  des  Nouveautés,  du  Théâtre- 
Antoine. 

Les  théâtres   à  spectacle,  tels  que  la  Porte-Saint-Marlin, 
la  Gaîté,  ne  paient  que  10  0/0  :  les  scènes  à  grand  spectacle 
Châtelet,  Opéra),  8  0/0. 

Malgré  les  fortes  recettes  que  réalise  l'Opéra  (en  moyenne 
de  1">  à  22,000  francs),  il  a  grand' peine,  même  avec  l'ap- 
point de  la  subvention  dont  il  bénéficie,  à  couvrir  ses  Irais, 
qui  soni  énormes.  Cela  n'empêche  pas  d'ailleurs  l'auteur 
,l'\  réaliser  —  avec  le  8  0/0  —  des  bénéfices  plus  considé- 
rables que  partout  ailleurs. 

Les  théâtres  des  boulevards  extérieurs  ne  versent  égale- 
ment que  8  0  0  à  la  Société. 

lu  province,  ainsi  que  dans  les  pays  <h'  langue  française 
ef  dans  les  colonies,  les  droits  d'auteur  varient  entre  3  et 
6  0  0.  Il-  -on!  généralement  établis  à  5  ou  0  0/0.  Les  pièces 
de  création  récente  soni  exceptées  «le  la  loi  commune:  les 
nouveautés  de  la  capitale  fie  s'obtiennent  qu'à  un  prix  beau- 
coup plus  fort,  sans  compter  la  prime  exigée  souvent  au 
profit  du  directeur  qui  la  détient  dans  son  répertoire, 


LES   TRAITÉS   GÉNÉRAUX 

A  L'origine,  les  music-halls  et  cafés-concerts  de  Paria 
payaient  seulement,  par  abonnement  mensuel,  un  droit  fixe, 
d'ailleurs  Tort  minime.  En  1869,  l'Eldorado  versai!  dix 
francs  par  soirée  à  la  Société,  l'Alcazar  vingt.  Encore  ver- 
saient-ils de  fort  mauvaise  grâce.  Ils  ne  tardèrent  pasà  perdre 
ce  privilège,  que  rien  ne  justifiait,  et  furent  soumis  pr  - 
sivement  au  droit  proportionnel.  Mais  La  Société  des  Auteurs 
devait  se  garder  d'établir  un  tarif  trop  élevé,  si  elle  ne  vou- 
lait pas  contrarier  les  perceptions  faites,  d'autre  part,  dans 
ces  établissements,  par  In  Société  des  Compositeurs  de  mu- 
sique, pour  les  chansonnettes  et  saynètes.  Aussi  lut-il  sti- 
pulé que  le  droit  perçu  serait  réduit  à  2  I  2  0  0,  quand  le 
programme  ne  comprendrait  qu'un  ;id<i  ou  deux  tableaux 
du  répertoire  de  la  Société  dramatique,  à  •">  <>  0,  pour  deux 
actes  ou  quatre  tableaux,  à  7  I  2  o  0,  pour  trois  actes  ou  six 
tableaux  :  il  serait  de  10  0  0,  pour  quatre  actes  el  au-dessus. 

Les  directeurs  de  cafés-concerts  s'efforcèrent  d'échapper 
à  l'application  de  ces  règles,  en  affichant,  comme  pièces  en 
deux  tableaux,  des  piècesqui  avaient  au  moins  la  valeur  <!■• 
deux  actes. 

Aussi    fallut-il   spécifier   que    les    tableaux    qui    seraient 
séparés  par  le  baisser  du  rideau,  ou  pour  lesquels  le  décor 
aurait  été  changé,  ceux  enfin  dont  la  durée  excéderait  qu 
rante  minutes  de  spectacle,  seraient  comptés  comme  deux 
actes  séparés  il). 

On  a  reproché  à  la  Société  des  auteurs  son  attitude  vi 
vis  des  cafés-concerts,  l'accusant  dune  indulgence  coupable 
à  leur  endroit. 

Que  l'Odéon  fasse  précéder  une  pièce  d'une  causera 
paye  un  conférencier  célèbre,  écrit  M.  Forest,  laS       '•  des 


:    Usemblé  le  du  3  mai  MZ,  A 


CHAPITRE    VII 

Auteurs  applique  son  tarif  maximum.  Que  la  Scala  lasse 
précéder  la  Hérite  à  Poivre,  el  surtout  hgros  sel,  de  quelques 
gargouillades  pornographiques,  la  Société  des  Auteurs,  saisie 
de  respect,  réduit  le  taux  de  sa  perception  »  (1). 

L'auteur  de  l'article  néglige  de  dire  que  ces  gargouillades 
sont  imposées  par  la  maison  d'en  face,  parla  Société  des 
Compositeurs  de  musique.  La  Société  des  Auteurs  ne  pou- 
vait faire  peser,  sur  les  cafés-concerts,  des  charges  plus 
lourdes,  sans  risquer  de  susciter,  entre  les  deux  associations 
un  nouveau  conflit  plus  violent,  et  de  pousser  les  directeurs 
de  ces  établissements  à  s'affranchir  de  l'un  de  ces  deux  jougs, 
peut-être  des  deux. 

Cela  est  si  vrai,  que,  loin  de  pouvoir  imposer  davantage 
les  music-halls,  la  Société  des  Auteurs  a  dû  songer,  dans  ces 
derniers  temps,  h  restreindre  ses  prélèvements. 

Elle  s'est  inquiétée  du  taux  exagéré  auquel  étaient  sou- 
mi-  ces  établissements,  qui,  par  suite  de  leur  double  traité 
avec  la  Société  dramatique  et  la  Société  lyrique,  arrivaient 
parfois  à  paver  1(»0  o  par  soirée,  prix  évidemmenl  excessif. 
Une  sous-commission,  nommée  en  1905,  a  travaillé  à  établir 
une  unification  telle,  que  l<v>  droits  versés  par  ces  établisse- 
ments aux  auteurs  ne  dépassent  pas  12  0/0  par  soirée. 

La  prospérité  <\<>>  music-halls  dont  M.  Forest  semblait 
rendre  la  Société  des  Auteurs  responsable,  tient,  an  reste,  5 
des  causes  générales,  qui  échappent  à  l'influence  d<>  l'associa- 
tion. Cette  Influence  fût-elle  possible,  qu'il  ne  lui  appartien- 
drait pas  de  témoigner,  dan-  ses  traités,  sa  sympathie  pour 
genres  de  spectables,  son  antipathie  pour  d'autres, 
le  n'est   pas  de  favoriser  certaines  scènes,  <m  désar- 


/•   Monopole  de    Autew     et  l'avenir  de  m, in-  art  (Irnmaiifjur,  page  :îo, 
juin  et  1"  juillet  1904 


LES   TRAITÉS   GÉNÉRAI  \ 

mant  les   autres  par  des  tarifs  prohibitifs,   mais  seulemenl 
de  prélever,  dans  tous,  la  pari  équitable  des  auteurs. 

Lorsqu'un  spectacle  comprend  la  représentation  de  plu- 
sieurs œuvres,  les  traités  généraux  arrêtent  la  répartition 
des  droits  entre  les  auteurs  intéressés,  suivant  l'étendue  des 
diverses  œuvres.  Rappelons  qu'en  vertu  d'une  décision  prise 
en  1894  par  la  Commission,  el  qui  est  loin  d'être  a  l'abri 
de  toute  critique,  les  levers  de  rideau,  dans  les  théâtres  de 
boulevard,  ne  rapportent  qu'un  droil  de  I  <>  0,  avec  maxi- 
mum de  10  francs  par  soirée. 

Au  cas  où  un  spectacle  comporte  la  représentation  de 
plus  de  quatre  pièces,  il  esi  perçu  pour  chaque  pièce  en  plus, 
un  droil  égal  au  quart  des  droits  portés  au  traité. 

Les  droits  d'auteur  sont  dus  pour  toute  représentation,  de 
quelque  nature  qu'elle  soit,  qu'il  s'agisse  de  représentations 
extraordinaires,  de  spectacles  de  bienfaisance,  ou  à  béné- 
fice, ou  de  soirées  de  gala,  que  les  prix  habituels  du  Ile 
tre  soienl  réduits  ou  augmentés.  Cela  veut  dire  seulemenl 
que  la  Société  des  Auteurs  entend  faire  la  charité  parelle- 
même  ;  car,  dans  bien  des  cas,  les  auteurs  renonceront 
spontanément  à  tout  <>u  partie  des  droits  qui  leur  revien- 
nent. 

Mais  ils  veulent  rester  maîtres  de  leurs  générosités  :  cette 
précaution  esi  particulièremenl  nécessaire,  en  un  temps  où 
l'on  fait  le  plus  étrange  abus  des  représentations  a  bénéft 
i  l'est    une   politesse  qu'on    prodigue    ô  la    légère,    -  ma 
préoccuper,   ni  de  la  fatigue  des  artistes,  auxquels  on  I 
appel,  ni  des  intérêts  des  auteurs,  dont  on  réquisitionm  - 
tuitement  les  œuy  res    I  ■ 


i    Citons  cette  plaisanta  circulaire  due  a  I 

tics  djynk-  auxquellei  po  l'obligeait  ■ 


CHAPITRE    VII 


Le  nombre  et  la  qualité  (1rs  billets  qui  sont  dus  à 
l'auteur,  pour  chaque  représentation  de  sa  pièce,  sont  déter- 
minés dans  un  tableau  annexé  aux  traités  généraux.  Dans  les 
principaux  théâtres  de  Paris,  il  en  est  délivré,  tous  les  soirs, 
à  Tailleur,  pour  une  valeur  d'environ  100  francs.  Le  nombre 
'•n  es1  triplé  pour  les  deux  premières  représentations.  Les 
porteurs  de  ces  billets  doivent  être  placés  dans  les  mômes 
conditions  que  les  porteurs  de  places  achetées  aux  guichets. 

Dans  les  théâtres  de  quartier,  à  Paris,  on  ne  délivre  pas 
de  billets  d'auteur;  mais  la  Commission  exige,  par  contre, 
un  minimum  de  droits  pour  l'auteur,  quelles  que  soient  les 
recettes  de  la  soirée. 

Quatre  billets  d'auteur  sont  obligatoirement  délivrés,  tous 
les  soirs,  dans  toutes  les  scènes  de  province  ;  mais  ils  sont 
vendus  au  profit  des  correspondants  delà  Société,  dont  ils 
constituent  la  rémunération. 

Le  principe  de  ce  supplément  de  rétribution  alloué  à 
I  auteur   est   malaisément  justifiable.   Sans  doute,  on  com- 


Cabikei  de  If.  COI  RTEL1NE  Paris,  le  4  novembre  1902. 

Abandons 
de  droits  Monsieur, 

En  réponse  à  La  Lettre  par  Laquelle  fous  voulez  bien 
m»-  demander  l'abandon  <l<'s  droits  me  revenant  sur 
La  représentation  du  Client  sérieux  donnée  Le  ±  couranl 
â  li  Balle  Wagram,  j'ai  L'honneur  <l<-  vous  informer 
qu'il  m  esl  impossible,  â  mon  grand  regret,  de  donner 
suite  .1  \ otre  requête. 

Veuillez  agréer,  Monsieur,  mes  salutations  empressées. 

Pour  M.  Courteline, 
l.r  Directeur  <iu  service  des  abandons  de  droits, 
Griaooi  . 

dedroil      m  entis  par  M.  Courteline  au  1"  janvier  19Q1  : 


LES   TRAITÉS   GÉNÉRAUX 

prendrait  sans  peine  que  l'auteur  pût  donner  accès 
amis,  aux  représentations  de  sa  pièce,  qu'il  eût  le  droil  de 
disposer  à  cet  effet  d'un  certain  nombre  d'entrées.  Mais  le 
nombre  des  billets  qui  lui  sont  remis  es1  hors  de  proportioa 
avec  ce  désir  fort  légitime  :  les  place-  ainsi  délivrées  seront 
donc  vendues,  et  constitueront,  pour  l'intéressé,  un  bénéfice 
complémentaire.  Ne  serait-il  pas  plus  simple,  plus  digne  de 
la  part  des  écrivains,  d'augmenter  franchement  l«i-  droits 
en  argent,  si  vraiment  ils  les  trouvent  insuffisants,  plutôt  que 
de  les  accroître,  par  un  moyen  détourné? 

La  combinaison  se  justifie  encore  moins,  si,  du  principe, 
on  passe  à  la  pratique.  L'auteur  reçoit,  pour  chaque  soin 
un  certain  nombre  de  places.  Mais  il  faut  qu'il  s'en  dé 
qu'il  trouve  acquéreur.  A  qui  les  vendre?  Le  voilà  bien 
embarrassé.  La  Société  le  fut  également,  ei  les  décisions 
successives  prises  par  les  commissions  mais  montrent  leurs 
incertitudes. 

Le  premier  geste  de  l'auteur  fut  de  les  rendre  au  directeur 
(jui  les  lui  offrait  —  moyennant  finances,  l>i''n  entendu. 
Ainsi  le  chèque,  tiré  par  l'auteur  sur  son  directeur,  ue  lai 
sait  pas  un  long  voyage  :  il  revenait  de  suite  6  celui  qui 
l'avait  émis.  Spectacle  assurément  comique  :  peu  édifiant 
d'ailleurs,  car  l'administration  rachetait,  pour  un  morceau  de 
pain,  ce  qui  avait  une  valeur  assez  considérable. 

La  Société  crut  devoir  se  défendre  contre    ces  vente* 
rabais,  d'abord  en  fixanl  un  prix  minimum  pourcetle  réti 
cession,  puis  en  interdisant,  d'une  façon  absolue,  !«•  rachat 
par  le>  directeurs  ou   leurs  employés    I  ,    \  qui  céder  les 
billets    d'auteur?   Un    intermédiaire   s'offrit  :   un< 
située  à  quelques  pas  des  locaux  de  la  Société,  et  qui,  si  ell 


(1)  Voir  les  Béancea  de  la  Commission  du  11  juin    I88Q.  du  ' 

Annuaire.   f$8$i   1 


CHAPITRE    Vil 

n'en  e>t  pas  une  annexe,  comme  on  la  dit,  est  du  moins 
une  maison  voisine,  qui  sollicite  fauteur  en  peine. 

Cette  maison  esi  actuellement  en  relation  avec  tous  les 
auteurs  de  la  capitale  :  son  monopole,  <il  n'est  pas,  comme 
celui  de  la  Société,  défendu  par  des  clauses  sévères,  n'en  est 
pas  moins  établi.  Tout  dramaturge,  dès  sa  première  pièce 
jouée,  se  présente  à  la  Société  :  en  sortant,  il  se  rend  à 
l'agence  qui  prendra  ses  billets  —  s'il  n'y  est  pas  allé  aupa- 
ravant. 

L'agence  achètera  les  100  francs  de  billets  contre  DO  francs, 
qu'elle  remettra  à  l'auteur.  Los  places  seront  vendues  direc- 
tement an  public,  en  dehors,  et  en  face  menu»  des  bureaux 
officiels  du  théâtre,  par  la  horde  des  marchands,  qui  assail- 
lent le  passant,  au  cri  traditionnel  :  «  Moins  cher  qu'au 
bureau!  :  cela,  s<>u>>  les  yeux  de  l'administration  théâtrale, 
impuissante  à  prolester  la  signature  qu'elle-même  a  apposée 
sur  les  coupons. 

Situation  anormale  et  choquante,  dont  tout  le  monde 
souffre  :  le  théâtre,  qui  est  amené  à  installer  à  ses  portes 
une  concurrence  officieuse  et  dangereuse;  les  auteurs,  qui 
entretiennent  inutilement  ces  intermédiaires,  et  dont 
l'œuvre  esi  parfois  dépréciée  par  le  prix  dérisoire  auquel 
tombenl  ces  billets  — -  car  le-  écarts  du  prix  de  vente  sont 
comme  une  mercuriale  du  succès  de  la  pièce —  le  public 
enfin,  qui  s'irrite  sourdement  des  rabais  qu'il  entend  offrir 

autour  de   lui.    el    qui.    parfois,   en   cas   de   grand   succès,   est 

livré  sans  défense  à  de-  intermédiaires,  qui  lui  font  payer 
cher  la  chance  d'avoir  un  fauteuil.  Les  administrations 
théâti  paiement  lésées  parées  trafics:  mais  elles 

-ont   impuis*  intes  6   le-  entraver,  In  jour,  le  directeur  de 

I  Opéra  Comique  prit  sur  lui  de  refuser  au  contrôle  de-  per- 

munies  de  lullei-  achetas  chez  un   intermédiaire, 


LES    TRAITES    GÉNÉRAUX 

assigné  en  justice  de  paix,  il  Invoqua  le  préjudice  que  de 
telles  combinaisons  lui  faisaient  subir,  ainsi  que  les  ordon- 
nances de  police  interdisant  le  commerce  des  billets  de 
théâtre.  Il  ne  laissa  pas  d'être  condamné  à  restitution    I 

Sans  doute,  les  marchands  ne  vendent   pas  seulement  les 
billets  d'auteur  :  d'autres  pla  onl  souvent  mises  en  i  ir- 

culation  parle  théâtre  lui-môme,  <jni.  dans  les  moments  de 
gêne,  concède  à  des  prêteurs  un  certain  nombre  *  I  «  *  coupons, 
pour  chaque  représentation.  G'esl  l'administration  qui  esl 
en  faute  ici,  et  non  plus  la  Société.  Mais  la  situation  n'es! 
pas  la  même  dans  les  deux  cas  :  une  administration,  qui 
traverse  une  .crise  financière,  est  excusable  de  recourir, 
momentanément,  à  un  procédé,  <jui  esl  injustifiable,  lors- 
qu'il devient,  pour  les  auteurs,  un  subterfuge  parfaitement 
inutile.  Que  la  Société  des  Auteurs  donne  l'exemple,  et  sup- 
prime, en  ce  qui  la  concerne,  un  abus  Fâcheux;  elle  aura 
beau  jeu,  après  cela,  ;•  démontrer  que  le  mal  vient  surtout 
du  théâtre  lui-même,  et,  au  besoin,  elle  pourra  y  remédier 
par  une  clause  insérée  dans  ses  traités.  S  m  pouvoir  n  est-il 
pas,  de  ce  côté,  presque  illimité  ? 

Miiis  elle   montre,   au    contraire,    en   cette    matière   une 
obstination,  que  ne  sauraient  légitimer  les  services  indivi 
duelsj  cl  d'un  ordre  plus  intime,  que  l'agence  en  question  a 
rendus,  et  rend  encore  à  beaucoup  d'écrivains.  S  i-t-elle  j 
été  jusqu'à  repousser  l'offre  qui  lui  fui  faite  récemment  j 
un  théâtre,  de  payer  directement  aux  auteurs  l,|n  fnun  5,  au 
lieu  des  50  qu'ils  obtiennent,  et  de  débarrasser  les  abords 
de  la  salle  des  trafiquants  importuns?  Il  esl  vrai  que  cette 
administration,  représentée  par  M      S  B    q hardi,  prit 

Bur  elle,  un  jour,  de   s'affranchir  de  ce   tribut   humili 


i    Gaiette  de*  tribunaux,  13  Qovembr» 


CHAPITRE    VII 

elle  traita  directement   avec  un  auteur,  et  lui  racheta   ses 
billets  :  la  Société  s'inclina  devant  le  fait  accompli. 

Ajoutons  que  le  conseil  municipal  de  Paris  s'est  ému  der- 
nièrement de  cette  situation  ;  il  recherche  actuellement  les 
moyens  de  couper  court  au  trafic  des  billets. 

La  Société  des  Auteurs  a  été  beaucoup  plus  loin,  en  une 
matière  où  elle  semble  avoir  pris  ouvertement  parti  contre 
la  loi.  Dans  le  régime  auquel  est  soumis  actuellement  le 
droit  d'auteur,  et  qui  date  de  1866,  l'écrivain  jouit,  jus- 
qu'à sa  mort,  du  revenu  de  ses  œuvres  ;  après  lui,  ses  héri- 
tiers  "ii  ayants  droit  en  jouissent  pendant  cinquante  ans.  Cette 
station  parait  des  plus  libérales,  quand  on  la  rapproche 
du  privilège  reconnu  aux  inventeurs,  dans  le  domaine  indus- 
triel. <t  qui  n'a  jamais  effet  au  delà  de  quinze  ans. 

La  Société  i\<>>  Auteurs  a  jugé  pourtant  cette  survivance  in- 
suffisante  :  de  par  sa  volonté,  les  droits  des  héritiers  directs 
m  se  prescrivent  pas  :  lorsque  la  descendance  directe  s'est 
éteinte, elle  se  présente  à  sa  place  pour  recueillir  la  succession. 

Les  membres  de  la  Société  profitèrent  d'abord  individu el- 
lement  de  cette  vocation  successorale  de  l'association.  Dans 
le  traité  conclu,  en  1838,  avec  le  Gymnase,  il  était  porté,  en 
premier  lieu,  que  les  droits  des  héritiers  ne  se  prescriraient 
plus;  d'autre  part,  que,  lorsqu'un  spectacle  réunirait  des 
œuvres  modernes,  et  des  œuvres  tombées  dans  le  domaine 
public,  les  auteurs  auraient,  «mi  plus  de  leur  pari  ordinaire, 
un  quaii  de  la  recette. 

Bientôt,  la  Société  se  substitue  à  ses  membres.  En  1840, 
dans  -"ii  traité  avec  M.  Crosnier,  directeur  de  l'Opéra- 
Comique,  la  Commission  stipule,  pour  les  pièces  du  domaine 
public,  l«'  versement  &  la  caisse  sociale  d'un  quart  des 
droits  dus  aux  auteurs  vivant-. 


LES    TRAITÉS    GÉNÉRAI  \ 

En  1856,  elle  est  plus  exigeante.  Elle  demande  a  M.  I 
valho,  directeur  du  Théâtre-Lyrique,  de  renoncer  entière- 
ment à  la  gratuite  sur  le  domaine  public  :  M.  Carvalho, 
«  convaincu,  dit  le  texte  officiel  de  la  convention,  «I»'  l'équité 
et  de  la  convenance  de  cette  demande  »,  signe  l'accord  sui- 
vant : 

«  Toutes  les  fois  que,  dans  la  composition  du  spectacle,  il 
entrera  un  ou  plusieurs  ouvrages,  dits  du  domaine  public, 
les  agents  généraux  de  MM.  1»>>  Auteurs  percevront,  sur  la 
recelte,  une  somme  égale  au  droit  qui  serai!  alloué  sut 
ouvrages,  s'ils  appartenaient  à  des  auteurs  vivants. 

Ces  droits  seront  remis  aux  héritiers  en  ligne  directe,  -il 
•  •H  existe;  à  défaut,  ils  seront  versés  à  la  caisse  de  secours 
des  auteurs  »  (1). 

L'obligation    imposée    au    Théâtre-Lyrique    lui    bientôt 
étendue    aux  autres   scènes;   I»1  24  juillet   ISTi.   la  Socii 
décréta   que   les   agents   généraux   prélèveraient,  pour   les 
œuvres  du  domaine  public,  le  même  aombre  de  billets  <|U'' 
pour  les  pièces  modernes. 

Tous  les  traités  concernant  les  théâtres  de  Paris  portenl 
aujourd'hui  la  clause  suivante  : 

«  La  part  proportionnelle  des  auteurs  esl  fixée  a  ...  0/0 
-m'  la  recette  brute,  quelle  que  soi!  la  composition  du 
spectacle...  Il  esl  expressément  convenu  que  la  pari  prop< 
tionnelle  ci-dessus  fixée  y  esl  stipulée  à  forfait,  el  app 
tiendra  exclusivement  et  intégralement  aux  membres  de  la 
Société  des  Auteurs,  quelle  que  soit  la  ci  mposition  du 
spectacle,  et  quand  bien  même  ce  spectacle  se  composerait, 
en  tout  ou  <iu  partie,  d'œuvres  dites  du  domaine  public...  M 
en  sera  de  même  en  ce  qui  concerne  le  droit  des  billets 


1    Annuaire  I8C9,  p.  339,  en  note. 


s  .  CHAPITRE    VII 

Dans  la  convention  intervenue  avec  M.  Carvalho,  la  Com- 
missioD  se  justifiait  de  celle  innovation,  déclarant  s'être 
abstenue  jusqu'alors  d'élever  le  taux  de  sa  perception  au 
Théâtre-Lyrique,  en  considération  de  la  réforme  qu'elle 
comptait  réaliser  au  sujet  du  domaine  public.  Explication  peu 
probante.  Si  La  Commission  avait  négligé  jusque-là  d'aug- 
menter les  droits  d'auteur,  soit  au  Théâtre-Lyrique,  soit  ail- 
leurs, c'est  sans  doute  qu'elle  n'avait  pas  cru  pouvoir  le 
faire,  sans  se  heurter  à  des  protestations  trop  vives.  Aurait- 
elle  attendu  sans  cela  si  longtemps,  pour  réformer  une  légis- 
lation insuffisamment  favorable  aux  écrivains,  alors  que  les 
lois  antérieures  à  la  loi  de  I8"ii  limitaient  plus  étroitement 
encore  le  droit  de  propriété  littéraire?  Non  ;  mais,  alors,  la 
S  ciété,  surveillée  par  ses  adversaires,  malmenée  parfois 
devant  bi>  tribunaux,  n'avait  pas  voulu  revendiquer  des 
successions  aussi  douteuses.  Elle  n'avait  dévoilé  ses  préten- 
tions, que  du  jour  où  elle  s'était  crue  assez  forte  pour  vaincre 
toute  résistance. 

Cependant  la  décision  prise  |>ar  la  Commission  était  em- 
preinte d'une  apparente  générosité  :  prolonger  les  droits  (\r^ 
héritiers,  et,  Lorsque  ceux-ci  ont  disparu,  leur  substituer  une 

sse  de  secours,  ouverte  aux  écrivains  «  qui  n'ont  laissé  à 
1  « •  1 1 1-  famille  qu'un  nom  dont  le  public  ^<i  souvient,  et  nue 
misère  qui  l'indigne  .  a'était-ce  pas,  malgré  tout,  un  beau 
'  \  sûrement,  el  Ton  serait  presque  tenté  de  penser 
que  les  directeurs  auraient  du  le  faire  d'eux-mêmes  :  en 
faisant        [    rte  .>  leur  place,  la  Commission,  à  l'entendre, 

om plissait  un  devoir,  un  devoir  de  conscience,  sinon  Je 
simple  équité  : 

Il  es!  <ln  devoir  rigoureux  delà  Commission,  disait-on, 
d'assurer,  par  tous  les  moyens  possibles,  la  perpétuité  de  la 
propriété  littéraire,  aui  héritiers  des  auteurs  dramatiques, 


LES   TRAITÉS   GÉNÉRAUX 

et  de  ne  pas  souffrir  que  leurs  œuvres  soient,  même  à  défaut 
d'héritiers,  une  proie  abandonnée,  à  titre  gratuit,  au  premier 

occupant  »  (1). 

Les  premiers  occupants,  c'étaient  les  directeurs,  exploitant  .1 
leur  profit  le  domaine  public  Littéraire,  sans  justifier  d'une 
concession  df  la  Société.  C'est  tout  au  plus  si  on  [l'assimilait 
pas  cet  enrichissement  à  un  vol,  et  si  ou  n'exerçait  pas  -Mi- 
eux des  reprises,  au  nom  des  littérateurs  morts  à  l'hôpital. 

De    quel    droit    pourtant     La    Société     réglementait-elle 
l'aptitude  de  certains  héritiers  —  les   héritiers  directs 
encaisser,  au  delà  du   terme   Légal,  I»1-  droits  des  écrivains 
décédés?  De  quel  droit  percevait-elle,  au  profit  di  isse  de 

secours,  une  redevance  sur  des  œuvres  qui,  théoriquement, 
n'étaient  plus  productives  ?  C'est  non  seulement  pour  La 
Société,  lorsque  les  fonds  sont  vers  caisse  de  secours, 

un  enrichissement  sans  cause,  puisque  rien  ne  permet  de 
présumer  que  les  auteurs  décédés  aient  voulu  qu'elle  leur 
succédât  :  mais  c'est  en  tout  cas,  et  quelle  que  soit  la  desti- 
nation de  cet  argent,  une  violation,  ou  du  moins  une  atteinte 
grave  portée  à  une  loi  d'ordre  public.  Aussi  Les  protestations 
ne  tardèrent-elles  pas  à  se  faire  entendre. 

La  Société  des  Auteurs  a  tenu,  à  l'origine,  à  remplir  dig 
ment  La  mission,  qu'elle  se  donnait,  de  faire  revivre  les 
droit-  reconnus  aux  héritiers  directs.  Elle  ne  Lit  pas  de 
différence,  ace  point  de  vue,  entre  les  écrivains,  qu'ils  fussent 
affiliés  ou  non  à  l'association,  qu'ils  fussent  Français  ou 
étrangers. 

Aussi    un  de  ses   premiers  actes   fut  il  de   fain  »" 

aux    héritiers   de    Weber    et    de    Mozart    les    droits 


!    Annuaire  1869,  \  âge  340,  en  note. 


CHAPITRE    VII 

levés  sur  les  représentations  des  œuvres  des  deux  compo- 
siteurs. Deux  membres  de  la  Société,  MM.  Gholeret  Siraudin, 
protestèrent  contre  cette  décision,  approuvée  par  un  vote  de 
l'Assemblée  générale  ;  ils  alléguaient,  non  pas  qu'une  sem- 
blable décision  fût  contraire  à  Tordre  public,  mais  seule- 
raeni  qu'elle  fui  en  opposition  avec  l'acte  social;  prenant 
texte  de  l'article  20  des  statuts,  d'après  lequel  les  agents 
généraux  ne  peuvent  percevoir  que  pour  le  compte  des 
membres  associés,  ils  prétendaient  contraindre  la  Commis- 
sion à  faire  état,  dans  l'actif  de  la  Société,  des  sommes 
versées  à  des  personnes  étrangères  au  syndicat. 

Ainsi  trois  parties  se  rencontraient  pour  se  disputer  les 
droits  eu  litige  :  M.  Carvalho,  tout  prêt  à  déchirer  son  traité, 
ei  à  se  déclarer  héritier  de  Weber  et  Mozart;  Gholcr  et 
Siraudin,  comme  membres  de  la  Société;  et  la  Société  elle- 
même,  au  nom  de  sa  caisse  de  secours  (1). 

On  peut  se  demander  à  laquelle  de  ces  parties  les  compo- 
siteurs  disparus  auraient  entendu  léguer  leurs  droits. 

Les  protestataires  n'obtinrent  pas  gain  de  cause  devant  le 
tribunal  de  la  Seine.  II  fut  jugé  —  fort  judicieusement 
d'ailleurs —  que  si,  en  principe,  la  perception  effectuée  par 
les  agents  généraux  avait  été  limitée  aux  seuls  écrivains 
affiliés  à  l'association,  nue  dérogation  à  cette  règle,  consentie 
par  tous,  avaii  été  faite  <iu  faveur  <l<is  héritiers  des  auteurs 
morts  :  qu'en  toul  cas,  el  <iu  admettant  môme  qu'une  telle 
extension  fui  contraire  aux  statuts,  elle  ne  saurait  ouvrir 
aux  iés  aucun   droit  de  répétition  sur  des  sommes  qui 

aurai. -ni  été  indûment  perçues,  <d  qui  ne  pouvaient  compter 
lors  dans  l'actif  jocial   2). 

ppori  de  M.  \lélesvillet  pré  ideni  de  la  Commission^  à  fassent* 
traie  du  bre  1858,  Bibliothèque  de  la  Ville,  12,6:17'. 

ibunaJ  civil  de  la  Seine,  Gazette  des  tribunaux %  et  /><  Droits  6  février 


LES   TRAITES   GÉNÉRAUX 

La  question  fut  plus  franchement  posée,  quelque  temps 
après.  Le  réclamant  était  encore  un  sociétaire,  [<  se  dans 
Intérêts  particuliers  par  la  règle  nouvelle. 

La  Commission  avait  dû  prévoir  le  cas  fréquent  où  une 
d'iivre  ancienne  repar.nl -m-  l'affiche,  plus  011   moins  rem 
niée  par  un  auteur  moderne. 

«  Considéranl  que  toul  auteur,  qui  va  spontané  m  enl 
demander  à  l'ancien  répertoire  une  pièce  acceptée  depuis 
longtemps,  un  titre  consacré,  les  chances  plus  assurées  d'un 
succès,  no  peu!  évaluer  le  secours  qui  lui  est  ainsi  apporté 
au-dessous  de  la  part  d'un  collaborateur  •  I  .  elle  avail 
établi  que  le>  droits  prélevés  seraient,  en  eés  par 

moitié  entre  les  héritiers  de  l'auteur  primitif  ou  la  caisse  de 
secours,  et  l'auteur  moderne. 

Décision  fort  équitable,  «lu  moment  où  L'on  admel  le 
principe  d'une  perception  -m-  les  œuvres  tombées  dans  le 
domaine  public.  Cm-  elle  était  de  nature  ,:i  refroidir  l'ardeur 
des  écrivains  peu  scrupuleux  qui,  souvent,  dans  l'espérai!  e 
d'un  gain  sérieux,  se  contentent  de  démarquer  l«i-  oeuvres 
anciennes. 

Conformément  à  cette  règle,  MM.  Jules  Barbier  et  Michel 
Carré,  auteurs  d'un  opéra,  les  Noces  de  Figaro,  imité  de 
Beaumarchais,  n'eurent  chacun  que  -ï  (|  0  des  droits  perçus, 
le  surplus  demeurant  dans  In  caisse  de  la  Société,  héri 
tière,  en  l'occurrence,  de  Beaumarchais.  I  S  îété  b< 
tant  de  Beaumarchais,  c'était  un  résulta!  qu'il  n'aurait  pu 
prévoir. 

M.  Michel  Carré  -e  tint  pour  satisfait.  M.  Jules  Barbier 
réclama,  s'irritant  d'être  réduit  ■•  la  porti îongroe. 

M     Chaudey  plaida    sa   cause  en  justice,   invoquant  ta 


1     Annuaire  l&UO,  ibùL 


388  CHAPITRE    VII 

considérations  d'ordre  public  qui  avaient  déterminé  le  légis- 
lateur à  limiter  la  durée  du  droit  d'auteur. 

M.  Pinard,  dans  les  conclusions  qu'il  déposa  au  nom  du 
ministère  public,  soutint  au  contraire  les  prétentions  de  la 
Commission. 

Sans  doute,  il  accordail  que  la  loi  qui  réduisail  à  un  cer- 
tain nombre  d'années  le  privilège  accordé  à  l'écrivain  sur 
son  œuvre,  fût  une  loi  d'ordre  public,  qu'aucun  contrat  par- 
ticulier ne  pouvait  enfreindre.  Aussi  le  littérateur  qui  don- 
nerait son  livre  à  un  éditeur,  le  dramaturge  qui  livrerait  sa 
pièce  a  un  directeur,  à  la  condition  qu'il  lui  fût  versé  des 
droits  au  delà  du  terme  légal,  feraient-ils  une  convention 
nulle,  parce  que,  ce  délai  écoulé,  ils  disposeraient  d'une 
chose  inaliénable. 

Mais  la  Société  <\<'>  Auteurs,  d'après  le  représentant  du 
ministère  public  ne  vend  jamais  qu'une  chose  parfaitement 
aliénable,  le  répertoire  des  auteurs  vivants.  Le  seul  élément 
du  contrat  qui  varie  c'est  le  prix  exigé,  et  la  Société  est 
libre   de   le    fixer  à   son   gré.   Elle  pourrait   demander  aux 

théâtres  redevance  de  2\  0/0  sur  tontes  les  recettes; 

elle  pourrait  aussi  exiger  18  0/0,  quand  le  spectacle  com- 
portera des  pièces  nouvelles,  et  <»  o  0,  dans  le  cas  contraire. 
Le  contrai  n'est-il  pas  valable,  que  les  0  0/0  soient  prélevés 
sur  la  recette  fournie  par  les  pièces  nouvelles,  ou  par  les 
pièces  du  domaine  public  ?  Rien  n'est  changé,  ni  dans  l'objet 
de  la  vente,  ni  dans  la  capacité  des  contractants.  Il  en  sera 
de  même,  lorsque  la  Société,  comme  elle  8  coutume  de  le 
Faire,  fixe  indifféremment  à  12  0/0  les  droits  exigibles,  quelle 
que  soit  la  composition  du  spectacle. 

Le  domaine  public  n'est  pas  en  effet  l'objet  de  la  vente. 

Le  directeur  l«-  fait  jouer  sans  subir  I;»  loi  i\^k  personne,  à 
quand  il  le  veut,  connue  il  le  veut,  sans  payer,  aux 


LES   TRAITÉS    m'  m.i;ai  \ 

héritiers  des  auteur-,  aujourd'hui  dépossédés,  une  rétribution 
qu'il  ne  doit  pas,  et  sans  leur  demander  un.'  autorisation 
dont  il  n'a  pas  besoin.  Seulement,  sur  !••  profil  qu'il  retire 
de  la  représentation  de  ce  domaine  public,  il  fait  un  prélè- 
vement, pour  payer  à  la  Société  des  \uteurs  ces  pièces  nou- 
velles, que  nul  ne  l'oblige  ;i  prendre,  mais  au  succès  des- 
quelles il  croit  liée  la  fortune  de  son  théâtre.  N'est-il  pas 
libre  do  disposer  comme  il  L'entend  de  toutes  !<•-  recettes 
que  lui  donnent  toutes  ces  représentations?  Ne  peut-il  pas 
acheter  une  œuvre  nouvelle,  avec  I»'  produit  d'une  œuvre 
ancienne  ?  » 

Théorie  ingénieuse,  peut-être  trop.  Elle  devin!  la  réj se 

ordinaire  de  la  Société  aux  critiques  qu'on  lui  lit  au  suje!  du 
domaine  public.  11  n'es!  pas  besoin  d'un  long  examen,  pour 
découvrir  la  fragilité  de  celle  argumentation.  La  Société  des 
Auteurs,  prétend-on,  pourrai!  demander  aux  directeurs  de 
théâtre  21  0/0,  lorsqu'on  joue  des  pièces  nouvelles.  Elle 
préfère  leur  demander  12  on  en  toul  cas.  C'esl  son  droit. 
Elle  traite  par  abonnement,  au  lieu  «le  traiter  par  représen- 
tation. Les  directeurs,  loin  de  se  plaindre,  s'en  devraienl 
féliciter. 

Non,  la  Société  ne  pourrai!  pas  demander  24  0  0  sur  les 
pièces  nouvelles.  Car  peut-être  les  théâtres  lui  fermeraient- 
ils  plutô!  leurs  portes.  Elle  traite,  dit-on,  par  al nemenl  : 

-«•s  prix  s,, ni   modérés,   pour  les  œuvres   modernes,    pai 
qu'elle    se    rattrape   sur  les  œuvres   anciennes.  Singulii 
mansuétude,   grâce   à    laquelle    les    vivants    se   défendenl 
contre  les  morts,  el   touchen!  h  leur  place. 

Etrange  abonnemenl  !   Pourquoi   la  Société,  qui 
munit  contre  le  domaine  public,  ne  s'assure  t-elle  \ 
lement  contre  le  chômage  '  Il  ne  tien!  qu'à  elle  d< 
cjue  si  ses  tarifs  sont  »j  modestes,  t  Wl  4" ",I-  ^ITll4u,'nl 


CHAPITRE    VU 

aussi  aux  jours  de  relâche,  à  la  morte-saison  des  mois  d'été. 
Les  directeurs  accepteront  celle  clause,  comme  ils  ont 
accepté  toutes  celles  qu'on  a  voulu  leur  imposer. 

11  v  a  plus  :  un  tel  abonnement  est  contraire,  aussi  bien 
à  L'esprit  des  statuts  de  la  Société,  qu'aux  termes  de  ses 
traités.  Les  agents  généraux,  d'après  l'acte  social,  n'opèrent 
de  prélèvement  sur  les  recettes  qu'au  nom  des  auteurs. 
L'article  même  des  traités  qui  règle  la  perception  sur  le 
domaine  public  porte  : 

«  La  part  proportionnelle  des  auteurs  est  fixée  à  ...  0/0 
de  la  recette  brute,  quelle  que  soit  la  composition  du 
spectacle  ». 

Il  n'y  a  donc  rétribution  que  sur  un  spectacle  déterminé, 
et  cette  rétribution  représente  la  part  de  l'auteur.  De  quel 
droil  la  Société  vient-elle  réclamer  cette  part,  soit  pour  des 
héritiers,  -oit  pour  elle-même,  alors  que  personne  n'a 
qualité  pour  se  l'approprier?  Car,  on  a  beau  torturer,  pour 
Les  besoins  de  la  cause,  les  principes  du  droit  et  de  l'équité, 
"ii  H'*  vuil  pas  pourquoi  Molière  lui  appartient  plus  qu'au 
premier  venu. 

El  quand  bien  même  les  statuts  de  La  Société,  les  traités 
<|n  ''Ib-  conclut,  seraient  modifiés  de  façon  à  l'aire  apparaître, 

'"H une  allocation  forfaitaire,  ce  qui  est  en  réalité  une 

rétribution  journalière  et  proportionnelle,  croit-on  qu'il 
suffirait  d  un  subterfuge  aussi  simple,  pour  Légitimer  une 
perception  ;ui>>i  aventureuse?  Il  sérail  vraimenl  trop  facile 
•  I  éluder  une  Législation. 

Si  critiquable  que  lui  la  thèse  de  la  Société,  le  tribunal 

1  accepta,  ''I    rejeta    la  demande  de   lia  rbier.   Il  estima   que  les 

de  I  association  n'avaient  rien.  «  quand  on  en 
pénètre  Les  causes,  qui  soi!  une  dérogation  à  la  Loi  et  à 
lordre  public,  el  que  La  répartition  des  droits  des  auteurs 


LES   TRAITÉS    GÉNÉRAUX  :',«.M 

vivants  sur  tous  les  ouvrages  anciens  el  modernes  corai 
sanl  le  spectacle  n'a  rien  que  de  licite 

Barbier  s'éleva  contre  cette  décision,   mais  il  ne  Fui  pas 
plus  heureux  en  appel    1). 


La  question  s'esl  posée  à  nouveau,  eu   1904,  d'une  l. 
incidente,  non  pour  la    Société  des  Auteurs  dramatiqm 
mais  pour  sa.  voisine,  la  Société  lyrique.  Parmi  divers  griefs 
dont  M.  Wiernsberger,  membre  de  cette  association,  avail 
cru  devoir  saisir  les  tribunaux,  il  s'étail  attaqué  à  une  claus 
Introduite  depuis  peu   dans   1»'-   traités  généraux,  au  sujet 
des  œuvres  du  domaine  public.  La  S  *  m  *  i  ♦  *  t  « ;  lyrique  ae  ren- 
contra pas,  auprès  de  ses  juges,  la  même  indulgence  don! 
avait   bénéficié  son  aînée;    <'llr   fui   condamnée  a    répartir 
entre  ses  membres   les  prélèvements  illégaux  qu'elle  avaii 
opérés  de  ce  chef. 

La  décision  du  tribunal  s'inspirait,  il  esi  vrai,  de  motifs 
d'un  ordre  toul  particulier.  D'abord,  la  délibération  prise 
cet  égard,  par  la  Société  ae  datait  que  de  1902  :  c'était  un 
geste  un  peu  tardif,  ei  qui,  par  là  môme,  ne  semblait  |  a  -  être 
de  très  bon  aloi.  Kll<i  constituait  d'autre  part,  è  D'en  | 
douter,  une  innovation  «Lui-  la  \i<i  de  la  Société;  car  elle 
iiK.dili.iil  sensiblement  la  composition  «lu  fonds  social,  •'!  la 
répartition  <l«i-  <ln>ils  d'auteur,  telles  qu'elles  se  trouvaient 
ivulées  par  les  statuts.  Or  cette  modification  importante 
résultait  d'un  simple  vole  du  syndicat  directeur  de  l'a 

lion,  qui  a'avait  pas  été  sanctionné,  <«»min<'  la  ilécis pri» 

parla  Société  dramatique,  par  l'approbati le  rassembla 

térale.  Il  était  donc  sans  valeur,  pour  le* 


1    Gazette  <i><  tribunaux,  .'t   /     D 

il  et  la  novembre  isou. 


CHAPITRE    VII 

Plus  heureux  que  MM.  Choler  et  Siraudin,  M.  Wierns- 
berger  obtint  que  les  sommes  perçues  sur  le  domaine  public 
par  L'association  seraient  réparties  entre  ses  membres. 

débat,  institué  entre  un  syndicat  et  ses  membres,  sur 
des  sommes  qui  n'appartenaient  pas  plus  à  l'un  qu'aux 
autres,  ne  manquait  certes  pas  d'originalité. 

Sur  la  Légitimité  théorique  de  la  perception  sur  le  domaine 
public,  le  jugement  se  cou  (entait  de  dire  que  «  les  préten- 
tions de  l;i  Société  peuvent  a  priori  paraître  séduisantes,  bien 
qu'elle  ne  soit  pas  l'béritière  perpétuelle  des  compositeurs 
morts  »  (1). 

Blâme  déguisé,  qui  semble  bien  indiquer  un  revirement 
de  la  jurisprudence.  Si  la  perception  établie  sur  le  domaine 
public  par  la  Société  dramatique  faisait  l'objet  d'un  débat 
nouveau,  les  tribunaux  se  montreraient  peut-être  moins 
conciliants. 

En  cette  matière,  d'ailleurs,  les  difficultés  sont  multi- 
ples. 

La  Société  des  Auteurs  Institue  des  héritiers  :  c'est  un  jeu 
dangereux  :  car  il  lui  faut  établir  des  règles  de  succession. 
Par  un  juste  retour  des  choses,  ayant  tourné  la  loi,  elle  est 
obligée  de  la  refaire.  Tâche  ingrate;  d'autant  qu'elle  a  sin- 
gulièrement restreint  l<i  champ  qui  s'ouvrait  à  ses  Largesses. 

Le  législateur  de  L  866  s'est  appliqué  à  faire  un  traitement 

l   ;i   tous   les  successeurs  possibles  :   La  Société  ne  s'est 

inclinée   que   devant    les   héritiers  directs.   Encore  a-t-elle 

qu'ils  remplissent  certaines  conditions.  D'où  récrimi- 

oations  de  la  part  des  successeurs  oubliés,  <|ui  n'acceptèrent 


i    Tribunal  civil  <k-  |q  -  ,i  :  ■  [904,  le  tlrqit  <t<n,t,Hl.  r,  iv- 


LES   TRAITES   GÉNÉRAUX 

pas,  de  gaieté  de  cœur,  le  code  civil  que  la  Société  rédigea  il  à 
son  usage. 

Nous  avons  vu,  au  début,  l'association  s'empresser  de  faire 
hommage,  aux  héritiers  de  Weberet  de  Mozart,  de  sommes 
perçues  en  France. 

Ce  beau  zèle  oe  se  soutint  pas.  La  Commission,  s'arrogeanl 
le  droit  d'exercer  des  représailles  internationales,  décida  que 
les  descendants  des  écrivains  étrangers  ne  bénéficieraient 
d'une  faveur  semblable,  que  lorsque  la  perception  sérail 
régulièrement  organisée,  dans  leur  paj  s,  au  profil  des  auteurs 
français  —  exception  faite,  bien  entendu,  pour  les  littéi 
leurs  étrangers  affiliés  à  la  Société,  qui  étaient  assurés,  en 
loul  cas,  de  retrouver  leurs  droits. 

Ainsi,  par  une  transition  insensible,  après  avoir  acca] 
le  domaine  public  dramatique,  la  Société  était  amenée 
toucher  au  domaine  privé.  Par  le  seul  jeu  des  clauses  de 
statuts,  interprétés  avec  un  certain  exclusivisme,  elle  allait 
dépouiller  les  auteurs,  avant  le  terme  fixé  par  la  l«>i. 

Cette  l'ois,  le  public  devait  s'émouvoir,  bien  que  la  réclama- 
tion vint  d'au  delà  (\r>  frontières.  Les  représentants  de  Doni- 
zetti,  qui  fut  une  des  premières  victimes  de  cet  ostracisme, 
frustrés  indûment  de  leurs  droit-,  oe  pouvaient-ils  | 
retourner,  contre  la  Société,  cette  parole  de  son  Fondateur, 
Beaumarchais,  lorsqu'il  protestait,  auprès  des  comédiens 
français,  contre  la  chute  des  pièces  dans  les  règles  : 

«  Quelle  manie  avez-vous  donc  leur  disait-il,  d  hériter 
de  -eus  qui  ne  -mil  pas  morts  ?  ». 

La  Société  cul  d'abord  affaire  b    M    '  ottrau,  éditeui 
Naples,  cessionnaire  de  Bellini,  ci  de  plusieurs  oui  de 

Donizetti.  M.  Cottrau  s'avisa  un  jour,  en  1873  de  demi 
compte  ;m  Théâtre-Italien  des  représentations  doni 
théâtre  des  œuvres  'I"  ces  deu*  maîtres    I  ■  ■  l  I 


'A9'l  CHAPITRE   VII 

['adressa  à  la  Société  «les  Auteurs,  qui  avait  perçu  sou  taut 
pour  (vn l  sur  les  recettes  effectuées.  Celle-ci  se  refusa 
—  e1  pour  cause  —  à  fournir,  à  ce  sujet,  la  moindre  explica- 
tion :  M.  (loti rau  dut  l'assigner,  «levant  le  tribunal  civil,  en 
restitution  «les  sommes  indûment  perçues. 

La  Société  des  Auteurs,  expliquait-il  dans  sa  demande, 
repoussai!  sa  réclamation,  en  se  fondant  sur  ce  que  les  droits 
de  Bellini,  mori  eu  1835,  et  de  Donizetti,  mort  en  1848, 
seraient  tombés  dans  le  domaine  public,  en  vertu  des  lois 

rissant,  à  celte  époque,  la  propriété  dramatique.  Mais  le 
plaignant  n'était  pas  seulement  cessionnaire  des  deux  com- 
positeurs; il  représentait  également  plusieurs  de  leurs  colla- 
borateurs,  dont  les  droits  n'avaient  pas  subi  la  même 
déchéance  ;  l'un  d'eux,  sénateur  en  Italie,  vivait  même 
encore.  Or,  après  quelques  hésitations,  la  jurisprudence 
s'est  fixée  eu  ce  sens,  qu'un  opéra  est  une  œuvre  indivisible, 
que  l'auteur  du  livret  est  le  collaborateur  du  compositeur,  et 
que  l'un  et  l'autre  ont  un  droit  collectif  sur  l'œuvre  inté- 
grale. Le  demandeur  ne  se  trouvait  donc  pas  dépouillé  delà 
propriété  qui  lui  était  échue  sur  les  opéras  de  Donizetti  el  de 
Bellini. 

\  cette  argumentation,  la  Société  des  Auteurs  se  contenta 
de  répondre  que,  parmi  les  auteurs  dont  le  nom  se  trouvait 
invoqué,  Donizetti  seul  avait  fait  partie  de  l'association.  Elle 
avait  régulièrement  désintéressé  ses  héritiers,  jusqu'en  1858, 
date  .i  laquelle  les  œuvres  du  maître  étaienl  tombées  dans  le 
domaine  public,  prétendait-elle,  conformément  aux  lois  en 
ueur.  Aucun  des  collaborateurs  de  Bellini  ou  de  Donizetti 
ai  adhéré  à  L'association,  celle-ci  n'avait  pus  à  compter 
avec  eus  les  conventions  intervenues,  entre  elle  et  le 
ihéâtre  Italien,  étaient  inexistantes  à  leur  égard  :  ils  ne  pou- 
vaient en  réclamer  le  bénéfice. 


LES    TRAITÉS    GÉNÉRAUX 

On  sait  en  effet  que  la  Société  des  Auteurs,  par  une  clause 
insérée  dans  tous  ses  traités,  stipule  que  l<-  tant  pour  cent, 
exigé  pour  chaque  représentation,  sera  versé,  en  tout  étal  de 
cause,  entre  les  mains  d<  ats  généraux,  quand  bien 

même  un  jouerait  des  œuvres  étrangères  au  répertoire  social. 
La  Société,  d'autre  pari,  ne  connaissanl  que  ses  membi 
se  dispense  de  faire  parvenir  La  moindre  allocation  à  ceux 
qui  n'ont  pas  adhéré  à  ses  statuts. 

L'association  avait  donc  en  L'occurrence,  faii  une  juste 
application  de  ce  principe  aux  auteurs  Italiens  dont  le  plai- 
gnant se  réclamait. 

Le  tribunal  civil,  adoptant  cette  manière  de  voir,  rejeta  la 
demande  dont  il  était  saisi    1  . 

S;ms  doute,  en  sa  seule  qualité  de  cessionnaire  des  droits 
de  Donizetti  et  de  Bellini,  il  semble  bien  que  Cottrau  n'aurai! 
pas  été  fondé'  à  obtenir  restitution  des  sommes  perçues  en 
leur  Hum.  Car,  d'après  une  jurisprudence  constante,  Les  héri- 
tiers des  auteurs  soni  seuls  fondés  à  bénéficier  des  Lois  ayant, 
postérieurement  à  L'acte  de  cession,  étendu  la  durée  «lu 
droit  de  propriété  Littéraire.  Un  tiers  cessionnaire  o 
qualité  pour  s'en  prévaloir  2  . 

Mais  La  situation  était  toute  autre,  lorsque  le  demandeur 
invoquait  les  droits  de  ceux  des  collaborateurs  de  Bellini  et 
de  Donizetti  auxquels  il  se  trouvait  également  substitué. 

La  prétention  émise  par  La  Société  des  Auteurs  de  n  avoir 
à  connaître  ni  Bellini,  ni  les  collaborateurs  des  deux 
compositeurs,  était  Inacceptable. 

L'association  s'est  arrogé  Le  droit  de  contraindre  les  auteui  - 


1    Tribunal  civil  de  la  Seine,  2  juin  I 
6  juin  1875. 

i    Voir  Qotammenl   un  arrêl  récenl  de   la 
décembre  1905,  Gazette  >><    Tribunaux,  B  mai 


CHAPITRE   Vil 

français  à  s'inscrire  à  ses  bureaux,  s'ils  veulent  tirer  quelque 
profil  de  leurs  œuvres.  II  en  résulte  pour  les  intéressés,  non 
une  spoliation,  mais  une  simple  atteinte  à  leur  liberté  natu- 
relle. Ils  savent  qu'ils  ne  toucheronl  de  droits  sur  leurs 
œuvres,  qu'autant  qu'ils  auront  signé  les  registres  de  la  rue 
Hippolyte-Lebas.  On  se  contente  de  leur  imposer  une  adhé- 
sion —  c'est  déjà  quelque  chose. 

Il  n'en  va  pas  de  môme,  lorsqu'on  applique  les  mêmes 
règles  aux  auteurs  étrangers,  et  qu'on  se  sert  de  celte  arme 
pour  repousser  les  demandes  de  leurs  héritiers. 

Protégés  par  des  accords  internationaux,  par  des  décisions 
de  jurisprudence,  ceux-ci  peuvent-ils  savoir  que  tous  ces 
textes,  doni  ils  invoquent  le  bénéfice,  ne  sont  que  des  forma- 
lités préalables,  qu'il  leur  faut  encore,  et  surtout,  s'ils  veulent 
être  payés,  passeï*  par  l'intermédiaire  d'une  société  de  per- 
ception?  Lorsque  M.  Kavakami  vint  en  France,  avec  l'inten- 
tion liit'ii  arrêtée  de  toucher  des  droits  sur  des  œuvres  de  sa 
composition,  il  fut  légèrement  étonné  de  devoir  d'abord 
jurer  obéissance  à  la  Société  des  Auteurs  :  il  se  plia  d'ail- 
leurs, de  bonne  grâce,  à  cette  formalité  supplémentaire. 

Cette  exigence,  qui  n'est  pas  formulée  dans  des  textes  offi- 
ciels, qui  '■-!  seulement  Inscrite  dans  des  accords  quasi- 
confidentiels  Intervenus  avec  les  théâtres  de  Paris,  n'est 
certainement  pas  encore  connue  de  tous  les  intéressés,  en 
Italie  :  elle  étail  ignorée  de  tous  vers  1862,  époque  à  Laquelle 
les  collaborateurs  de  Bellini  et  de  Donizetti  pouvaienl  encore 
faire  valoir  utilement  leur  propriété  en  France.  N'y  a-t-il 
pag  là  un  véritable  abus  dedroit,  une  confiscation  arbitraire, 
dont  les  victimes  sont  autorisées  à  se  plaindre  en  justice  ? 

Il  \   a   plu-  :  de-  loi-  protègent  l'exercice  de  la  propriété 

dramatique,  en   France,  aussi  Im-n  au  profit  des  auteurs 

auc  d  'iv.'Hii-  nationaux.  1  ne  agence  privée 


LES   TRAITES    GÊNER  \i  \ 

peut-elle,  par  le  jeu  de  conventions  particulières,  porter 
atteinte  aux  droits  des  écrivains  étrangers,  tels  qu'ils  sonl 
fixés  par  la  législation  eu  vigueur?  Non,  car  cette  législa- 
tion est  d'ordre  public  :  elle  ne  peut  être  méconnue,  ni 
directement,  ni  indirectement. 

On  ne  peu!  admettre,  qu'en  dehors  des  conditions  arrê- 
tées par  les  lois,  pour  la  jouissance  des  droits  qui  leur  son! 
accordés,  les  auteurs  étrangers  aienl  encore  a  composer 
avec  une  association  privée,  à  observer  des  statuts  qu'ils 
n'ont  pas  à  connaître  :  et,  si  cette  association  touche,  à  leur 
place,  <les  sommes  perçues  sur  leurs  œuvres,  il-  son!  fondés 
à  en  poursuivre  la  restitution. 


Il  était  dii  que  le  nom  de  Donizetti  ne  laisserail  pas  en 
repos  La  Société  des  Auteurs.  Il  y  a  deux  ans,  des  plaintes 
s'élevaient  à  nouveau  sur  la  séquestration  de  ses  droits. 
Cette  fois-ci,  c'était  les  héritiers  mêmes  du  compositeur, 
MM.  Giuseppe  et  Gaëtano  Donizetti,  qui  troublaienl  la  qu 
tnde  de  la  Société. 

Ils  avaient  tenté  ;•  diverses  reprises,  mais  sans  succès,  de 
faire  reconnaître  leur  propriété  par  l'association.  On  conçoit 
leur  surprise  «lu  traitemenl  inégal  qui  leur  était  fail  en 
France,  où,  «les  deux  sociétés  qui  se  partageaient  les  p< 
ceptions  dramatiques,  lune  la  Société  lyrique  leur 
remettait  fidèlement  leurs  comptes,  l'autre  |  retendait  ignorer 
jusqu'à  leur  existence.  Celle-ci,  d'ailleurs,  ne  semblait  | 
très  sûre  de  son  bon  droit.   En  1897,  lors  des  fêtes  du  a 

tenaire  de  Donizetti,  nue  représentation  spéciale  futd 

a   l'Opéra-Comique.  Giuseppe    Donizetti,  qui   assistait   è   la 
soirée,  ayant  manifesté   l'intention  d'abandonm  droita 

d'auteur  ;«   l'association   des  artistes   musiciens,  l     S 


CHAPITRE    VII 

s'empressa  il o  déférer  à  ce  désir.  Si  une  prescription  quel- 
conque  eût  pu  être  invoquée  à  ['encontre  des  héritiers,  cet 
acte  l'aurai!  certainement  interrompue  (I). 

Ne  voyant  toujours  rien  venir,  les  héritiers  de  Donizetti 
lancèrenl  un  jour  quatre  assignations  :  l'une  visait  la  Société 
•  le-  Auteurs,  à  qui  L'on  demandait  compte  des  droits  perçus, 
depuis  trente  ans,  sur  le  répertoire  du  maître,  et  notamment 
mi r  Lucie  de  Lammermoor ,  sur  la  Favorite^  la  Fille  du  Réc/i- 
///■  nt .  ei  Don  Pasquale. 

L'agence  Prudhommeaux  était  mise  en  cause,  pour  avoir, 
suivant  la  tradition,  vendu,  sans  relâche,  des  billets  au  nom 
de  Donizetti. 

Enfin,  les  héritiers  se  retournaient  contre  l'Opéra  et  l'Opéra- 
Comique  :  le  budget  public,  qui  subventionne  ces  théâtres, 
allait-il  ressentir  le  contre-coup  de  cette  réclamation,  qui 
portail  sur  un  arriéré  inquiétant? 

\  is-à-vis  de  l'agence  Prudhommeaux  et  des  théâtres 
Intéressés,  les  demandeurs  invoquaient  le  profit  que  ces 
établissements  avaient  retiré,  sans  droit,  de  l'œuvre  de 
Donizetti;  Ils  déclaraient  —  non  sans  vraisemblance  — 
qu  il-  n  avaient  pas  à  tenir  compte  des  conventions  inter- 
venues entre  ceux-ci  et  la  Société  des  Auteurs  :  ces  traités 
qui  négociaient,  en  l'espèce,  le  bien  d 'autrui,  étaient  dépour- 
\  u-  de  toute  valeur  à  leur  égard. 

Le  procès  s'engagea  devant  le  tribunal  de  commerce.  Cette 
circonstance  permit  à  la  Société  des  Ailleurs  de  ne  pass'ex- 
pliquer  sur  le  fond,  en  se  bornant  à  décliner  —  comme  «die 
;i  toujours  fait  -  la  compétence  de  la  juridiction  consulaire. 
Elle  invoquait,  une  fois  de  plus,  ses  statuts,  qui  faisaient 


Voir,  ••"  m  •  tte  affaire,  quatre  article!  de  M1  Aiberl  Menu,  parus 

journal  in   Turquie,   numéros  des  29,  30,  3i  janvier  1906,  et  i  fé- 
D        _    novembre  1906. 


LES   TRAITES    GÉNÉRAUX 

d'elle    une    société   civile,    et    non    une    société    commer- 
ciale. 

Le  tribunal  de  commerce  rejeta  cette  exception  :  il  se 
déclara  compétent,  estimant  que,  >i  «  le  profil  provenant 
d'une  (fiivre  littéraire  n'affecte  aucun  caractère  commercial 
au  regard  de  son  auteur...,  il  n'en  est  pas  de  même  du  gain 
tiré  d'une  œuvre  étrangère  à  celui  qui  l'exploite,  la  spécula- 
tion qui  en  esl  le  mobile  constituant,  en  pareil  cas,  un 
de  commerce  ». 

Le  tribunal  n'allait  pas  jusqu'à  dire  que  la  Société  des 
Auteurs  était  une  société  commerciale.  Il  prétendait  seule- 
ment qu'en  accaparant  les  droits  de  Donketti,  elle  avait  fait 
acte  de  commerce,  et  devenait,  <lc  ce  fait,  justiciable  des 
tribunaux  consulaires.  Sa  thèse  n'en  était  pas  moins  auda- 
cieuse. Quelque  opinion  qu'on  ait  hit  la  perception  effectuée 
parla  Société,  sur  les  œuvres  <l<k  Donizetti,  on  ne  peut  la 
considérer  comme  un  acte  de  spéculation  :  on  ne  voit  pas 
quel  profit  la  Société  pouvait  réaliser,  au  moyen  des  sommes 
indûment  perçues,  si  ce  n'esl  <bi  I<i>  verser  dans  sa  caisse  de 
retraites—  institution  dont  l«i  caractère  philanthropique  ue 
peut  d'ailleurs  "Mit  nié. 

La  Société  des  Auteurs  s'empressa  d'interjeter  appel  du 
jugement  rendu,  qui  renvoyait  les  parties  devant  un  arbiti 
rapporteur. 

Il  semble  difficile  qu'elle  puisse  voir  triomphe!  lusc 

en  appel. 

Sa  défense  est   en  effet  des  plus  mauvaises    I  lie  obj< 
qu'elle  n'est  que  l'agent  d'affaires  de  ses  membres    Rest* 
savoir  si  cette  qualité   l'autorise  .1  s'approprier  le  bien  de 
ceux  qui  lui  sont  étrangers. 

Elle   oppose  également  qu'elle  n'exploite  pas  le  domaine 
public,   que  la   rétribution  quelle   exige   sur   les   œuvrw 


CHAPITRE    Vïl 

anciennes  a*esi   qu'un  supplément  du  prix  de  location   de 
son  répertoire. 

La  question  n'est  pas  là.  Le  domaine  public  n'est  pas  en 
cause  en  l'espèce,  mais  bien  la  propriété  privée  d'héritiers 
encore  en  pleine  possession  de  leurs  droits. 

Si  Donizetti  esl  mort  en  1848,  plusieurs  de  ses  collabora- 
teurs lui  ont  survécu,  et  notamment  Alphonse  Royer,  qui 
n'est  mort  qu'en  187").  Les  droits  de  Donizetti  se  sont  pro- 
longés, tant  que  subsistaient  ceux  de  ses  collaborateurs  et 
de  ses  héritiers  :  du  fait  d'Alphonse  Royer,  ils  ne  se  seraient 
éteints  ([n'en  192.'),  date  jusqu'à  laquelle  les  demandeurs  pré- 
tendent toucher  au  nom  de  l'illustre  compositeur. 

La  Société  a,  il  esl  vrai,  objecté,  qu'à  dater  de  1875,  per- 
sonne ne  se  serait  présenté  pour  recueillir  la  succession 
d'Alphonse  Royer.  11  y  a  là  une  question  de  fait  qu'il  importe 
d'élucider. 

Mais,  quand  bien  même  les  droits  de  cet  auteur  se 
seraient  éteints,  ceux  de  Donizetti  auraient  survécu,  pour 
d'autres  opéras,  dont  les  librettistes  ont  laissé  des  descen- 
dants.  Scribe  notamment,  mort  en  1861,  qui  écrivit  le 
livre!  de  la  Favorite,  a  encore  des  héritiers,  aptes  à  béné- 
ficier de  ses  droits  jusqu'en  1911.  De  ce  fait  donc,  la  pro- 
priété  du  compositeur  n'a  pas  subi  tic  déchéance. 

Il   est,  <'ii  effet,   reconnu    aujourd'hui,   qu'un  opéra,  — 

paroles  «•!  musique       ainsi  d'ailleurs  que  toute  œuvre  écrite 

en  collaboration,  esl  un  ouvrage  indivisible,  el  que  lès  droits 

de  chacun  des  auteurs  sur  l'œuvre  commune   ne  s'éteignenl 

tant  que  l'un  des  collaborateurs,  par  lui-même  ou  par 

bé  ri  tiers,  en  conserve  la  propriété. 

e  conséquence  n'a    pas  été   admise  du  premier  coup 
par  la  jurisprudence. 

posa,  en   1858,  ;<   propos  de   Calas,  et  de 


LES   TRAITES   GENERAUX  i<»l 

Trente  ans  ou  la  Vie  dun  joueur,  deux   pièces  de  Dinaux 
et  Victor-Ducange.   A   cette  date,   la   Société   continuait 
remettre  à  Dinaux  la  moitié  du  produit  des  représentations 
de  ces   ouvrages  :   elle  versait  le  surplus  dans  sa    caie 
considérant  que    Victor-Ducange    était,    en   vertu   des   lois 
existantes,  tombé  dans  le  domaine  public. 

Celle    part,    qu'elle    s'appropriait,    sans   autre   forme   de 
procès,  excita    des  convoitises   diverses    :   les   héritiers  de 
Victor-Ducange  la  revendiquaient,  tandis  que  Dinaux  | 
tendait  se  l'adjuger. 

Le  tribunal  de  la  Seine  et  la  Cour  de  Paris  s'accordèrent 
à  repousser  ces  demandes.  Sans  contester  qu'une  œuvre 
écrite  en  collaboration  i'ùl  une  propriété  Indivise  entre 
ailleurs,  ils  n'admettaient  pas  que  l'indivision  Invoquée 
s'étendît  aux  bénéfices  pécuniaires  qu'elle  procure  :  raisonner 
autrement,  ue  serait-ce  pas  créer  une  véritable  prime  h  la 
collaboration,  prime  <liml  le  principe  se  justifierait  malai 
m  ent  ?  (  1 ) . 

La  Cour  de  Paris  se  montra  moins  timide,  dans  une  autre 
affaire.  Un  libraire  parisien,  M.  Choudens,  avait  édité,  sur 
un  poème  de  Jules  Barbier,  une  partition  tirée  d'un     , 
comique  de  Nicolaï  et  Mosenthal,  Ijes  Joyeuses  Comnn 
Windsor.    Ni  col  aï    était     mort,    Mosenthal    vivait    enco 
M.  Choudens  se  dispensa  <l<i  faire  parvenir  aucune  redevan 
aux  cessionnaires  des  auteurs,  qui  l'assignèrent  en  jus  tu 

La  Cour  <l<i  Paris,  réformant  le  jugement   rendu  par  le 

tribunal,  estima  q le  poème  et  la  musique  d'un  i 

formaient  une  seule  propriété,  indivisible  dan 
lion-  légales  d'existence  et  de  dun  I  que,  h" 

quent,    il    suffisait   que    l'un  des    auteurs  eût   •    nseï 


i    Cour  de  Paris,  12,  19  el  21  juin  : 


102  CHAPITRE    VII 

propriété,  pour  maintenir  l'œuvre  entière  dans  le  domaine 
privé    1  . 

Cette  opinion  se  trouve  affirmée  à  nouveau,  de  la  façon  la 
plus  nette,  dans  un  arrêi  récent  de  la  Cour  de  Paris  (2). 

Il  s'agissail  de  la  Dame  Blanche,  duc  à  la  collaboration  de 
Scribe  et  de  Boïeldieu.  Les  ayants  cause  de  Boïeldieu,  mort 
en  1834,  pouvaient-ils  prétendre  à  des  droits  sur  la  pièce, 
parce  que  Scribe  ne  devait  être  frappé  de  déchéance  qu'en 
1011?  Le   tribunal  civil  ne   Lavait  pas  pensé.  L'indivision 

•  lune  œuvre  ne  se  comprenait,  à  son  avis,  que  pour  les 
droits  qui  ne  peuvent  être  exercés  partiellement;  il  en  est 
ainsi  des  intérêts  purement  littéraires  des  auteurs  ;  elle  ne 
pouvail  s'appliquer  aussi  aux  profits  matériels,  qui  sont 
essentiellement  divisibles. 

La  (^)iir  de  Laris  n'admit  pas  cette  distinction,  qui  ne 
reposail  sur  aucun  fondement  (3).  Une  œuvre  ne  peut  être 
i  la  fois  dans  le  domaine  public  et  dans  le  domaine  privé  : 
ou  oc  vuil  guère  comment  le  partage  des  droits  pourrait 
s'effectuer  dans  ces  conditions  —  il  est  vrai  que  la  Société 
des   Auteurs  supprime  la  difficulté,  eu  s'appropriant  l'objet 

•  lu  litige. 

Si  Ton  s'en  réfère  -i  la  jurisprudence  établie,  les  droits  de 
Donizetti  n'onf  donc  pas  subi  In  déchéance  rapide  à  laquelle 
l.i  législation  existante  semblait  les  condamner  :  ils  se  sont 
prolongés,  du  chef  «le  ses  collaborateurs  et  (\^  leurs  héri- 
tiers, bénéficiant  des  lois  qui,  dans  l'intervalle,  oui  étendu 
la  durée  de  la  propriété  littéraire. 


l    Cour  d    P  13  cl  81  juin  1868,  Gazette  de»  tribunaux <  2  H  .'!  juillet 

ourde  I'  décembre  1905)  Gazette  de»  tribunaux,  ±\  février  1906; 

le  D 

I    Dani  le  même  sens,  tribunal  civil  'J-    La  Seine,   19  juillet  1906,  />"  i-<><< 

■  •  :  I 


LES   TRAITÉS   GÉNÉRAUX 

Libre  à  la  Société  de  s'en  emparer,  lorsque  Le  terme 
fatal  sera  venu,  et  d'écarter  ceux  qui  prétendent  encore 
à  une  succession  périmée.  Od  peul  seulemenl  se  demander 
si  cette  prise  de  possession  est  bien  digne  «l'un.  ia- 

tion  qui  se  fait  gloire,  et  à  juste  titre,  d'avoir  secouru 
les  petites-nièces  de  Corneille  et  l'arrière-petite-fille  de 
Racine,  d'avoir  versé  des  droits  aux  héritiers  de  Weber 
et  de  Mozart,  en  dépit  des  convoitises  de  quelques-uns  de 
ses  membres  :  s'il  ne  serait  pas  plus  généreux,  et  l'In- 
habile de  sa  part,  de  se  donner  au  moins,  en  cette 
délicate  matière  du  domaine  public  payant,  Le  rôle  de 
redresseur  de  torts,  réformant  1rs  lois  dans  l'intérêt  des 
familles  d'écrivains. 

Aucune  solution  n'est  encore  intervenue  dans  le  différend 
actuel. 

Cependant  l'affaire  a  déjà  eu  des  conséquences  fâcheuses 
pour  la  Société  des  Auteurs  :  soulevée  a  un  moment  où  la 
lutte  de  la  Société  contre  deux  directeurs  rebelles  passion- 
nait l'opinion,  elle  a  fait  couler  beaucoup  d'encre.  L'étran- 
geté  de  l'incident,  <jui  causa  dans  le  publie  une  vive  but- 
prise,  l'importance  désintérêts  engagés  derrière  les  principe 
tout  concourut  à  lui  donner  une  publicité  compromettante  : 
beaucoup  en  profitèrent  pour  poser  .1  la  S  té  une  foule 
de  question-  indiscrètes. 

L'écho  en  parvint  jusqu'à   la  Chambre.    En  févrie 
M.  Buyat,  se  faisant  l'interprète  des  mécontents,  posait  au 
sous-secrétaire  d'Etat  des  Beaux-Arts  une  question,  sur  les 

mesures  qu'il  comptait  prendre  p '  rappeler  l'association 

an  respect  de   In  loi  .!«•   1866.  La  question  de  légalité  sein 
blait    d'ailleurs    le  préoccuper   moins,  que   Vm  u{ 

réalisé  par  l'association   des  auteurs  :  il  inclinait  ven 
solution  qui  instituerait   la  Caisse  des  dépôts  1 


CÉAP1TRE   Vil 


lions  gardienne  des  droits  perçus  sur  le  domaine  public,  et 
affecterait  ces  ressources  à  la  création  des  théâtres  populaires 
réclamés  par  l'opinion    I  . 


Le  tribut  levé  par  la  Société  «les  Auteurs  sur  le  domaine 
public  n'est  pas  moins  sujet  à  critique  dans  ses  conséquences, 
que  dans  son  principe.  Sans  doute,  elle  emploie  du  mieux 
qu'elle  peut  les  sommes  qu'elle  recouvre  ainsi  ;  grâce  à  elle, 
les  héritiers  voient  tomber  les  barrières  élevées  par  la  loi, 
et  recueillent  une  manne  inespérée.  Les  fonds  qui  restent 
dans  la  caisse  sociale  servent  à  soulager  des  infortunes 
dignes  de  pitié,  à  donner  quelque  lustre  aux  vieillesses  misé- 
rables,  mais  glorieuses.  11  n'est  pas  douteux  cependant  que 
cette  obligation  nouvelle  pèse  lourdement  sur  les  adminis- 
trations  théâtrales. 

La  Société  l'a   si   bien  senti,    qu'elle   n'a  pas  appliqué  ce 

.lin»'  dans  toute  sa  rigueur,  et  dans  toute  son  étendue. 
I  ne  large  exception  esl  laite  en  faveur  de  la  province.  Le 
coup  eû1  été  hop  rude  pour  les  scènes  régionales,  qui  on! 
déjà  tant  de  peine,  même  avec  l'appoint  des  subventions 
locales,  .1  équilibrer  leur  budget.  Aussi  les  traités  conclus 
dans  les  départements  ue  réservent-ils  à  l'association  aucune 
pari  d<-  la  recette,  quand  le  spectacle  esl  entièrement  composé 
d*œu>  res  du  domaine  public. 

I     S  »ciété  ;i  reconnu  aussi,  à  cel   égard,  les   plus  larges 

franchises  à  la  Comédie-Française.  Mlle  se  trouvait  en  face 

d  une  vieille  et  respe<  table  tradition,  qui  institue  ce  théâtre 

lien  du   répertoire  classique  :  le  jeu  eût  été  dangereux. 


la  Chambre  du  i  i  février  1906,  Journal  officiel,  Chambre,  1906, 


LES   TRAITÉS   GÉNÉRAI  \  105 

La  Société  ne  pouvait  qoe  plus,  sans  indisposer  l'opinion, 
s'en  prendre  aux  Trente  ans  de  Théâtre,  qui  promènent 
à  travers  Pari-  Corneille,  Molière,  Victor  lin. 

Mais  pourquoi  le  théâtre  Sarah-Bernhardt,  par  faveur  toute 
spéciale,  ne  paie-t-il  que  3  0  0  sur  le  domaine  public  ?  Parce 
que  la  grande  artiste  s'est  avisée,  il  y  a  deu*  ans,  de  ne 
pas  vouloir  verser  davantage,  quand  elle  jouait  Racine  ou 
Shakespeare  :  la  Société  n'a  pas  insisté. 

Autant  de  dérogations  qui  foui  des  jaloux  :  on  s'étonne 
que  certains  théâtres  subventionnés,  moins  favorisés,  soient 
soumis  à  une  semblable  redevance.  N'est-ce  pas  infirmer, 
en  quelque  sorle,  des  décisions  de  L'autorité,  alourdir  le 
poids  que  la  subvention  fail  peser  sur  le  budget  de  l'Etat? 
Lorsque  M.  Gailhard  versait  à  la  Société  ï<>  à  50,000  francs 
pour  les  représentations d'Armide,  n'était-ce  pas,  en  somme, 
le  contribuable  apportant  son  obole  à  la  Société  des  Auteurs, 
parce  que  l'Opéra  donnait  l'œuvre  d<>  Gluck?  Les  théâtres 
populaires,  dont  la  création  est  promise  par  les  pouvoirs 
publics,  vont-ils  être,  de  ce  fait,  entravés  dans  leurfonctii 
nement  ?  Autant  de  questions  qui  inquiètent  L'opinion. 

Quant  aux  directeurs  non  subventionnés,  il-  ne  regrettent 
qu'une  chose,  c'est  de  ne  pouvoir  pas  parler  assez  fort  pour 
être  écoutés. 

Ils  ont  d'autant  moins  de  chance  d'être  entendus,  que  La 
Société  des  Auteurs  n'agit  pas  par  cupidité,  mais  par  calcul 
politique.  Les  versements  faits  par  les  administrations  th< 
traies    sont  des    primes,    par    lesquelles    l'association    des 
auteurs    vivants   s'assure   contre  les  écrivains   morts     I 
directeurs  avaient  marqué  autrefois,  parait  il,  quelque  | 
dilection  pour  le  domaine  public  qui  ne  leur  coûtait   rien  : 
la  Société  des  Auteurs  s'est  émue  de  "i  <im  menaçait 

ses  revenus  :  elle  s  vendu  les  œuvres  anciennes,  comme  elle 


CHAPITRE    VIT 

vendait  Les  modernes.  A  prix  égal,  les  pièces  du  jour  devaient 
remporter. 

Mais  il  y  a  d'autres  intérêts  que  celui  des  auteurs,  ou 
même  des  directeurs  :  il  y  a  l'intérêt  du  public,  auquel 
personne  ne  songe. 

Le  législateur  de  1866,  ainsi  que  les  législateurs  de  1791, 
de  1844  et  de  1854,  avait  ses  raisons,  pour  borner  le  privi- 

e  reconnu  aux  littérateurs  sur  leurs  œuvres.  Il  pensait 
sans  doute  que  les  idées,  si  elles  prennent,  sous  la  plume 
d'un  écrivit  in,  une  forme  particulière,  appartiennent  pour- 
tant à  une  masse  commune,  où  les  esprits  de  tous  les  temps 
ont  puisé  librement. 

Cette  masse,  c'est  le  génie  de  la  race,  c'est  l'effort  des 
lérations  passées,  qui  doit  être  recueilli  pieusement  par 
les  générations  à  venir;  c'est  l'image  lidèle  des  mœurs,  de 
la  vie.  »!  de  la  pensée  d'un  peuple,  dans  ses  périodes  succes- 
sives. Ce  trésor,  qui  se  renouvelle  sans  cesse,  qui  s'enrichit 
des  meilleures  œuvres  de  nos  écrivains,  n'appartient  à  per- 
sonne  :  nul  n'a  le  droit  de  se  l'approprier,  ou  d'en  battre 
monnaie.  Comme  l'air,  comme  les  routes,  comme  le  sol  — 
domaine  public  matériel  —  il  forme  un  patrimoine 
national,  sur  lequel  il  n'est  pas  permis  d'empiéter.  En  môme 
temps  qu'un  souvenir,  c'est  un  exemple,  propre  à  guider 
les  talents  naissants,  à  éclairer  le  goût  public,  à  le  mettre 
•  •H  garde  contre  les  fausses  séductions,  ou  les  caprices  de  la 

le. 

Dira-t  on  que  les  classiques  feraient  aux  écrivains  une 
concurrence  ruineuse,  qui  I<-s  empêcherait  de  placer  leurs 
manuscriti  '  Cela  n'est  pas  à  craindre. 

-  doute  Racine  et  Molière  auront  toujours  leurs  admi- 
rateurs, que  la  Société  ne  saurait,  heureusement,  leur  enle- 
ver.  M         > m  bien  d'autres    couvres,   pleines   de  charme, 


LES    TRAITÉS    GÉNÉRAI  \ 

restent  inexplorées.  Les  pièces   modernes  auronl    toujours 
l'avantage  d'être  accommodées  au  goût  du  jour;  cet 
sonnement  leur  assure  auprès  du   public   une    suprématie 
incontestable. 

La  Société  des  Auteurs  n'avait  pj  prémunir  contre  des 

exhumations,  que  seuls  peuwnl  entreprendre  —  el  combien 
timidement —  les  théâtres  subventionnés.  Il  était  plutôt  de 
sa  dignité  de  les  encourager.  Elle  a  préféré  les  interdire. 

N'est-il  pas  plaisant  de  songer  qu'aujourd'hui  encore, 
lorsque  Shakespeare,  Corneille,  Molière,  Marivaux,  Beau- 
marchais, Musset,  reparaissent  sur  L'affiche,  il  esl  touché  en 
leur  nom  12  0/0  de  la  recette,  el  délivré  —  donc.-  ironie 
—  100  francs  de  hillels  d'auteur?  Peut-on  rapporter  sans 
sourire  l'aventure  posthume  dont  lui  victime  Bossuet,  quand 
la  Société  des  Compositeurs  de  musique,  rivalisant  de  zèle 
avec  son  aînée,  réclama  des  droits  sur  l«i-  Sermons  de 
Bossuet,  que  Mounet-Sully  récitai  1  en  province? 

Ces  abus  sont-ils  appelés  à  disparaître,  ou  doivent-ils 
s'étendre?  Les  romanciers  commencent  à  se  plaindre,  eux 
aussi,  de  l'héritage  des  morts,  qui  pèse  lourdemenl  -Mi- 
eux. Ils  s'irritent  de  la  concurrence  que  leur  Tout  les  œuvres 
anciennes,  qui  encombrent,  disent-ils,  le  marché  littéraire; 
il-  taxent  d'injustice  une  législation,  qui  permel  aux  libraires 
d'éditer  les  ouvrauc-  du  domaine  public,  sans  avoir  à  payer 
les  droits  d'auteur,  qui  sont  en  moyenne  de  I<>  (|  0,  pour  les 
écrivains  de  quelque  notoriété. 

Les   plaintes  se  sont  faites  plus  violentes,  ces  temps  der- 
niers,   lorsque    Balzac,    Musset,    Eugène  Su.-,  sont   lorab 
dans  Le  domaine    public;   les   littérateurs   ont   soi 

effroi  aux  j "s  prochains  où  Vignj .  hum.'-  père    M 

seraient  la  proie  du  premier  venu. 

La  Société  des  Gens  de  Lettres  elle  même  i'es(   émue, 


CHAPITRE   Vil 

Elle  règne,  non  par  la  contrainte,  mais  par  les  services 
quelle  rend,  lorsqu'on  a  recoins  à  elle.  Elle  ne  pouvait 
menacer  les  éditeurs  d'une  grève  des  littérateurs  ;  aussi 
s'est-elle  retournée  vers  l'Etat. 

Dès  1903,  elle  avait  préparé  un  projet,  dont  l'adoption  lui 
eûl  permis  de  rançonner  le  domaine  public.  Sur  ses  ins- 
tances, une  commission  extraparlementaire  a  été  constituée; 
deux  questions  ><>nt  soumises  a  son  examen  :  convient-il 
d'assurer  la  perpétuité  du  droit  d'auteur?  Ce  point  d'inter- 
action rouvrira  la  question  —  toujours  pendante  —  de  la 
nature  de  la  propriété  littéraire;  faut-il  soumettre  les  édi- 
teurs qui  exploitent  le  domaine  public  à  une  redevance 
envers  l'Etat,  héritier  en  dernier  ressort? 

Un  poinl  semble  en  effet  acquis  :  c'est  que  l'Etat  veut  se 
substituer  aux  sociétés  de  perception;  on  applaudit  par 
avance  à  ce  moyen  d'augmenter  la  richesse  nationale  «  qui 
ne  doit  pas  devenir  la  propriété  d'une  minorité,  ni  servira 
arrondir  les  revenus  des  seuls  écrivains  »  (1).  C'est  en  ce 
sens  que  se  prononçait  déjà  M.  Ajam,  dans  le  projet  de  loi 
qu'il  déposait  à  la  Chambre  des  députés,  le  :\\  mai  11)07.  Il 
proposait  une  taxe  de  10  0/0  au  profit  du  lise. 

Ainsi  la  Société  des  Auteurs  dramatiques  n'aura  fait, 
somme  toute,  que  préparer  les  voies  à  un  autre  héritier, 
plu-  redoutable  peut-être,  et  qui,  plus  qu'elle,  a  des  œuvres 
.i  Fonder,  el  des  misères  à  soulager. 


\"    \\u'    siècle,    lorsque    les    comédiens    ne   donnaient 
presque  rien  aux  écrivains,  il  était  d'usage  qu'ils  joignissent 
,l''  obole  un  cadeau,  en  signe  de  bonne  amitié. 


1    La  Réorganisation  det  droits  d'auteur,  par  M.  Ajam,  Bévue  politique  et 

bre  I'jot. 


LES   TRAITÉS    GÉNÉRAI  \  109 

Les  dramaturges  son!  aujourd'hui  largement  rétribués. 
Cependant  la  Société  il»'>  Auteurs  n'a  pas  voulu  laisser 
tomber  une  tradition  si  excellente,  si  propre  à  maintenir 
L'entente  entre  les  écrivains  et  Les  directeurs  de  théâtre. 
Peut-être  aussi  a-t-elle  craint  de  ne  leur  avoir  pas  demandé 
tout  ce  (jnVlle  pouvait  exiger  d'eux,  on  a-t-elle  voulu  b1 
surer  une  (iche  de  consolation,  dans  les  mauvaises  années. 

Lorsqu'un  directeur  se  présente  aui  bureaux  de  la  Société, 
pour  obtenir  le  droit  au  répertoire,  celle  matière  première 
nécessaire  à  son  industrie,  La  Commission  lui  apprend  qu'il 
doit,  au  préalable,  verser  à  la  caisse  de  la  Société  une 
redevance  déterminée  :  200,  500,  1 ,000  francs.  Une  redevance 
analogue  est  imposée  aux  entrepreneurs  de  provini 
L'emploi  de  ces  somme-  sera  d'ailleurs  des  plus  honorabl< 
elles  iront  aux  Littérateurs  dans  la  misère,  aux  gloiresdra- 
matiques retraitées.  Refuser  serait  presque  gênant,  urine  si 
l'on  pouvait. 

Au  reste,  la  Commission  ne  discute  pas  :  l'intéressé  n  n 
pas  à  produire  ses  registres,  a  dire  combien  il  paie  ses 
artistes  et  ses  décors.  C'est  l'impôt  sur  le  revenu,  arbitraire, 
mais  sans  Inquisition:  lucratif  au  demeurant,  car  la  Société 
des  Auteurs  encaissait,  de  ce  chef,  en  1907,  \  compris  les 
redevances  versées  parla  province  et  l'étranger,  une  tren- 
taine «le  mille  francs. 

Seule.  M""  Sarab  Bernhardt,  qui  b  toutes  les  audace 
toutes  les  fantaisies,  osa  refuser  l'impôt,  en  1906.  Elle  vou- 
lait bien  organiser  des  représentations  au  bénéfice  des 
auteurs,  mais  non  payer  une  somme  fixe.  La  Commission 
lui  ré  pond  il  par  une  assignation  :  mais  l'affaire  n  eut  pas  de 
suites, 


iiU  CHAPITRE    VII 


La  Société  des  Auteurs  a  eu  soin  de  prévoir,  pour  toute 
infraction  aux  traités  généraux,  une  sanction,  suffisamment 
énergique  pour  les  retenir. dans  la  voie  du  mal  :  toute  fraude, 
toute  négligence,  est  punie  d'une  amende  qui  est  versée, 
tantôl  aux  auteurs,  tan  toi  à  La  caisse  sociale,  et  qui  est  rare- 
ment inférieure  à  0, 000  francs. 

Dans  les  cas  particulièrement  graves,  la  Commission  peut 
prononcer  la  mise  en  interdit:  le  théâtre  coupable  est  mis 
à  l'index  ;  il  est  défendu  à  tout  membre  de  la  Société  de 
lui  venir  en  aide,  c'est-à-dire  de  lui  remettre  un  manuscrit; 
l.i  direction  coupable  est  mise  au  ban  du  royaume  des 
lettres.  Si  elle  ne  veut  pas  mourir  d'inanition,  elle  devra 
venir  à  résipiscence. 

Pour  compléter  ce  tableau,  rappelons  les  prohibitions  qui 

pèsent  sur  les  ailleurs,  du  l'ait  qu'ils  font  partie  du  syndicat, 

«•I  t|iii  ont  jour  but,  soit  d'assurer  une  discipline  sévère  dans 

leurs  rangs,  lorsque  des  théâtres  entrent  en  lutte  ouverte 

orpo ration,  soi!  de    les  prémunir  contre   certaines 

m  binai  sons,  donl  ils  pourraient  être  victimes  : 

1"  Interdiction  de  faire  représenter  aucun  ouvrage  ancien 
--M  nouveau,  sur  un  théâtre  ou  par  une  troupe  en  tournée,  qui 
a'aurail  pas  de  traité  avec  la  Société.  L'annulation  du  traité 

riéral  emporte  de  plein  droit  le  retrait  du  répertoire  de 
l'auteur  au  théâtre  mis  en  interdit,  ainsi  que  la  résolution 
conventions  particulières. 

2  Interdiction  de  faire,  avec  Les  administrations  théâtrales, 
des  conventions  portant  des  conditions  inférieures  a  celles 
qui  résultent  du  traité  général  ;  par  conséquent,  de  rétrocéder 

m  directeur  ou  à  un  intermédiaire  quelconque  wwe  partie 
droits  exigibles.  L'auteur  reste  libre  de  faire  des  conven- 


LES   TRÀITKS   GÉNÉRAUX  \[[ 

tions  stipulant  en  sa  faveur  des  conditions  supérieures;  m 
elles  doivent  être  rédigées  sur  des  formules  arrêtées  par  la 
Commission,  et  délivrées   par    Les   agents   généraux.  Cela, 
pour  que  la  Société  n'en  ignore. 

3°  Interdiction  de  faire  représenter  des  ouvrages,  dans  on 
théâtre  où  l'auteur  sera  directeur,  commanditaire,  action- 
naire, ou  employé  à   titre  quelconque,  el  <l\    faire  repi 
senter  des  ouvrages  en  collaboration   avec  les   directeurs, 
commanditaires,  artistes  ou  employés  de  ce  théâtre. 

Toute  infraction  à  Tune  de  ces  règles  rendrait,  aux  termes 
des  statuts,  le  contrevenant  passible  d'une  amende  de  •"»,h 
1,000  francs,  dont  le  chiffre  serait  li\';  par  arbitres.  Le  recou- 
vrement aurait  lieu  par  tous  lc^  moyens  de  droit,  et  notam- 
ment par  voie  de  retenue  sur  les  droits  perçus  pour  son  compte. 

Il  est  un  cas  qui  menace  ta  vie  même  «I»'  l'association  : 
c'est  celui  où  un  auteur  laisserait  représenter  une  pièce  sur 
un  théâtre  qui  n'aurait  pas  de  traité;  cet  acte  te  meten 
rébellion  ouverte  contre  la  Société,  car  il  tend  la  main  au 
directeur,  et  encourage  sa  résistance  :  dans  i  l'amende 

ne  peu!  être  fixée  a  moins  de  6,000  francs. 

En  outre  de  ces  châtiments  pécuniaires,  la  Société  se 
réserve  d'ailleurs  la  faculté,  par  un  vote  émis  en  assemblée 
générale,  de  chasserde  son  sein  le  membre  indigne. 

Le  pouvoir  de  l'association  sur  ses  membres  est-il  absolu- 
ment discrétionnaire?  les  tribunaux  ont-ils,  au  contraire,  un 
droit  de  contrôle,  et,  l<i  cas  échéant,  de  révision  .'  La  juris- 
prudence, qui  a  parfois  écouté  les  réclamations  des  artistes 
contre  1rs  amendes  qui  leur  étaient  infligées  par  les  admi- 
uistrations  théâtrales  I  .  a  semblé  traiter  les  littérateurs 
avec  la  même  mansuétude. 


1    Voir  «mi  ce  sens,  tribunal  civil  de  la  Seine,  n   décewbi 


U2  CHAPITRE    VII 

lui  I90i,  M.  Wiernsberger  faisait  un  procès  à  la  Société 
lyrique,  alléguant,  (Mitre  autres  griefs,  que  l'association  eût 
injustement  retenu  ses  droits  d'auteur,  par  compensation 
avec  des  amendes  qu'il  avait  encourues.  Une  telle  décision 
était,  au  dire  <lu  plaignant,  contraire  aux  statuts,  l'intéressé 
n'ayanl  pas  été  admis,  au  préalable,  à  présenter  sa  défense. 
Le  tribunal  rejeta  la  demande,  jugeant  que  les  statuts 
avaient  été  respectés,  et  que  l'intéressé  avait  été  réellement 
invité  à  fournir  des  explications  sur  son  attitude  (1). 

Ed  examinant  le  bien-fondé  de  la  plainte,  le  tribunal  a 
reconnu,  par  là  même,  que  son  pouvoir  de  contrôle  ne  s'arrê- 
tait pas  devanl  une  juridiction  privée,  fonctionnant  au  nom 
el  au  prolit  de  ceux  qui  l'exercent. 


La  Société  dc>  Auteurs  a  tout  prévu  :  elle  a  tout  réprimé. 
Il  semble  que  la  pratique  ait  dû  se  conformer  rigoureuse- 
ment a  la  théorie,  que  le<  choses  se  passent  dans  les  théâ- 
tres, exactement  comme  elles  sont  ordonnées  dans  les  traités 
éraux.  Il  s'en  faut  cependant  ;  certains  abus  ne  se  pros- 
crivent pas  d'un   Irait  de  plume  : 

Chassez  le  naturel,  il  revient  au  galop. 

Prêtons  plutôt  l'oreille  aux  plaintes  de  quelques-uns  des 
intéressés. 

Il  est  d<-  notoriété  publique,  écril  un  auteur  renseigné, 
que,  contrairement   aux    statuts,  «b's   ailleurs  partagent  en 
bette  leurs  droits  avec  des  directeurs. 
Il  est  de  notoriété  publique  que,  contrairement  ;»  leurs 


contraire,  tribunal  de  commerce  de  Strasbourg, 

/  ■ijinuni.r,  i\)  novembre  1855, 
de  i ■■■  Seine    19  décembre  |9Q4,  —  cr.  Droit  d'auteur^ 


LES   TRAITÉS    GÉNÉR  MX 

engagements,  des  membres  de  la  Société,  el  des  plus  impor- 
tants, commanditent  ou  font  commanditer  des  scènes  à  leur 
usage  exclusif,  et  à  celui  de  leurs  amis  ou  associés. 

11  e>t  <l<i  notoriété  publique,  qu'un  jeune  auteur  ne  -.Mi- 
rait rire  représenté,  sur  beaucoup  de  nos  scènes,  s'il  n'admel 
à  côté,  H  généralemenl  avant  la  sienne,  la  signature  d'un 
littérateur  homme  d'affaires.  Heureux  encore,  si  on  ne  se 
débarrasse  pas  complètement  de  lui. 

Il  est  de  notoriété  publique,  qu'un  groupe  d'auteurs  dra- 
matiques s'est  syndiqué,  pour  la  fourniture  des  petites  pièces 
de  cafés-concerts,  et  que,  monopole  dans  !«'  monopole,  il 
exclut  pratiquement  les  autres  auteurs  de  ces  scènes  mi- 
neures,  mais  rémunératrices,  cl  sans  danger. 

Il  est  de   notoriété   publique...  »,  mais  je  m'arrête   là    I  . 

C'est  suffisant,  en  effet.  Le  doute  et  l'anxiété  s'empareront 
sans  doute  du  lecteur  le  moins  prévenu.  Ainsi,  les  pièces  que 
nous  allons  voir  sont  faites  par  d'autres  que  par  ceux  <l"iit 
uo u  >  acclamons  les  noms  :  des  scènes  sont  achetées  ou  mono- 
polisées par  certains  producteurs  en  gros,  qui,  évidemment, 
ne  livrent  a  I;'  consommation  <|ini  de  la  mauvaise  marchai] 
di-r  ;  les  coulisses  abritenl  tous  les  maquillages,  loutes  les 
combinaisons  aventureuses. 

S'il  en  esi  ainsi,  le  monde  <|ui  gravite  autour  des  théâtres 
est  un  monde  pire  <  j  1 1  «  -  celui  qui  évolue  autour  des  champ* 
de  courses  :  et  les  statuts  de  la  Société,  les  conventions  qui 

la  lient  aux  différents  théâtres,  ne  sont  qu'une  vaste klie, 

(jui  pour  rail  s'appeler  «  la  Précaution  Inutile 

Mais  la  Société  mérite-t-elle  tous  les  reproches  qu'on  lui 
fait,  ou  le  tableau  qu'on  nous  trace,  en  quelques  coups  de 
pinceau,  n'est-il  pas  volontairement  poussé  au  


i    Voir  les  articles  précités  de  M.  For  il  dam  la  « 


il  \  CHAPITRE    VII 

11  esl  de  notoriété,  nous  dit-on,  que  des  littérateurs  par- 

genl  en  cachette  leurs  droits  avec  des  directeurs.  En 
cachette  !  mais  tous  les  initiés  le  savent  ;  tout  le  monde  en 
parle,  peu!  rapporter  des  faits,  citer  des  noms.  Si  c'est  vrai- 
ment un  secret,  c'esi  le  secret  de  Polichinelle. 

Sans  doute  il  est  assez  fréquent,  cl  conforme  aux  usages  de 
certaines  -(«nés  —  plus  ou  moins  classées —  que  les  débu- 
tants se  \.>ienl  imposer  des  arrangements,  par  lesquels  une 
partie  des  droits  fail  retour  à  l'administration  :  mais  il  est 
bien  évident  que  les  intéressés  n'acceptent  de  payer  ce  tribut 
que  le  couteau  sur  La  gorge  ;  s'ils  ne  réclament  pas,  s'ils  n'en 
appellenl  pas  à  la  Société,  c'est  qu'ils  répugnent,  le  contrat 
une  fois  conclu,  à  opposer  l'exception  de  jeu,  à  se  dire  vic- 
times  d'un  dol  dont  ils  furent  les  complices.  Veut-on,  en  les 
poursuivant  sans  répit,  les  empêcher  absolument  de  se  pro- 
duire? Ils  seraient  les  premiers  à  protester  contre  une 
odieuse  tyrannie,  qui  ne  s'arrêterait  même  pas  devant  la 
vie  privée  des  gens  de  Lettres. 

Allons  plus  loin.  Il  est  constant  que,  dans  certains  théâtres, 
qui  jouissent  à  cet  égard  d'une  fâcheuse  réputation,  le  droit 
d  être  joué  esi  un  droit  qui  s'achète  comme  un  autre  :  il 
faut  le  dire  a  L'honneur  des  lettres,  la  combinaison  met  bien 
plus  souvent  en  cause  des  amateurs  amoureux  de  La  gloriole 
que  Le  prestige  du  théâtre  répand  sur  un  nom,  que  des  litté- 
rateurs impatients  de  révéler  leur  talent.  M;iis  n'est-ce  pas 
après  toui  une  innocente  supercherie?  Et  le  désir  d'être 
joué,  pour  un  homme  qui  a  quelques  Lettres,  ei  beaucoup  de 
loisirs,  esMl  plus  blâmable  que  le  goûl  du  sport,  ou  La 
passion  de  l'automobil 

P  rfois,  aussi,  au  momeni  de  monter  une  œuvre  impor- 
tante, et  d  un  succès  très  incertain,  un  directeur  hésite  :  il 

;  qu'il  risque  un  ie  partie  :  or,  il  est  bien  difficile  à 


LES   TRAITÉS   GÉNÉRAUX  il."» 

un  théâtre,  nous  l'avons  vu,  de  boucler  son  budget.  La 
prospérité,  lorsqu'elle  se  rencontre,  «i-t  précaire  :  il  suffit 
d'un  caprice  de  la  fortune,  pour  qu'elle  tourne  au  déficit 
Notre  directeur,  en  qui  L'homme  d'affaires  n'a  pas  tué 
l'artiste,  fait  une  expérience  littéraire  :  il  quitte  les  gran 
routes,  pour  les  sentiers,  à  peine  frayés,  de  l'art  dramatique  : 
pour  une  fois,  laissant  reposer  les  pièces  sûres  et  les  uoms 
aimés  du  public,  il  tend  La  main  à  L'inconnu,  <l<»nl  il  a 
deviné  le  mérite.  Mais  il  faut  engager  de  grosses  dépens* 
si  l'auteur  consent  à  prendre  à  sa  charge  les  décors,  Le 
cachet  d'un  interprète,  on  à  garantir  un  nombre  minimum 
de  représentations,  assumant  ainsi  nne  partie  des  risques 
d'une  œuvre  en  laquelle  il  a  foi,  faut-il  crier  au  scandale, 
agiter  les  foudres  de  la  Société  contre  ce  directeur  exploiteur 
et  cet  écrivain  intrigant?  Cet  effort  partagé  donnera  j » •  * 1 1 1 - 
être  un  succès  de  pins  an  théâtre,  an  nom  de  plus  aui 
Lettres. 

On  rapporte  que,   Lorsque  I»1  théâtre  de   La   Porte  Saint- 
Martin  monta  Cyrano  de  Bergerac^  L'auteur  prit  à  sa  cha 
une  partie1  <l<i>  Irais  nécessités  par  sa  pièce.  La  partie  risquée 
dans  ces  conditions  ne  fait-elle  pas  un   honneur  égal  aui 
deux  Intéressés  ? 

Les  auteurs  l«i-  plus  connus  ne  se  gênent  pas  'I  ailleurs, 
à  l'occasion,  pour  franchir  ce  Rubicon^  qui  sépare  le  domaine 
irréel  des  statuts  de  La  Société,  du  véritable  champ  de 
bataille  dramatique.  Plus  d'une  scène  ne  soutient  les  inté- 
ressants efforts  artistiques  qu'elle  tente,  que  par  L< 
sions  qu'elle  obtient,  en  détail,  des  auteurs  qu'elle  met  è  I ■• 
scène. 

Les  directeurs,  nous  Le  savons,  ne  cessent  de  m  plaindre 
du  joug  de  La  Société.  Mais,  s'ils  sont  I —  par  la  colle* 
vite,  ils  sont  avantagés  parfois  par   les  individus.   Par  un 


CHAPITRE    Vil 

détour  imprévu,  il  leur  revient  un    peu  des  fonds  dont  on 
l«'-  prive. 

Tel  auteur,  dont  le  public  chiffre  avec  envie  les  larges 
profits,  ne  louche  pas  autant  qu'on  croit  —  car  il  lit  des 
sacrifices  pour  sa  pièce.  Souvent,  comme  pour  les  cachets 
des  artistes,  il  faut  réduire  les  gains  annoncés.  Pensée  phi- 
losophique, qui  doit  induire  à  l'indulgence  ceux  qui  accusent 
la  Société  des  Auteurs  de  la  situation  précaire  des  entreprises 
théâtrales. 

Affirmer  les  principes,  réprimer  avec  énergie  les  ahus, 
lorsqu'ils  se  produisent  au  grand  jour,  rendre  justice  à  ceux 
qui  la  saisissent  d'une  réclamation,   tel  doit  être  le  rôle  de 

Société  :  elle  a  su  toujours  s'y  tenir. 

Elle  se  devait  d'agir,  pour  empêcher  que  l'exception  ne 
devînt  l;i  règle,  que  le  mal,  en  se  généralisant,  ne  portât 
un  ré.'l  préjudice  à  la  masse  des  littérateurs.  Les  travaux 
de  ses  commissions  attestent  à  cei  égard  sa  bonne  volonté. 

Dès  l'année  1868,  le  rapporteur  à  l'Assemblée  générale  se 
plaignait  de  la  fréquence  des  conventions  clandestines  entre 
auteurs  el  directeurs  :  l'abus,  disait-il,  s'il  ne  mettait  pas  en 
cause  l'existence  même  de  l'association,  énervait  les  prin- 
cipes de  solidarité  sur  lesquels  elle  était  fondée.  L'Assem- 
blée applaudit  SOE  commissaire,  et,  l'année  suivante,  donna 
1  Commission  h'  mandat  d'instruire  aussi  bien  contre 
les  auteurs,  que  contre  les  directeurs  convaincus  de 
fraude    I  . 

I  il  i-.ii  s'offril  de  suite.  Vers  la  (in  de   1869,  deux 

auteurs    se   dénoncèrent    eux-mêmes,    et    dénoncèrent    le 
directeur  avec  lequel  ils  avaient  conclu  un  arrangement.  La 

tnmission  n'hésita  pas  à  poursuivre  le  directeur  ;  la  pièce 


06  cl  504, 


LES   TRAITÉS   GÉNÉRAUX 

en    cause    avait   eu    vingt-huit     représentations     :    autan! 
d'infractions   au   traité,   passibles    chacune    de    200 
d'amende  :  la  Commission  réclamait  donc  5,600  francs  :  le 
tribunal  les  lui  octroya  sans  difficulté  il). 

La  Société  des  Auteurs  a  agi  <l<i  même,  chaque  fois  qu'une 
convention  de  ce  genre  est  officieusement  parvenue 
connaissance;  les  directeurs  savenl  à  quoi  ils  s'exposent  :  ils 
savent  surtout  qu'il-  ne  sauraient  exiger  trop  de  garanties 
de  leurs  complices,  lorsqu'il-  opèrent  en  marge  «lu  Code  de 
la  Société.  Car,  si  L'association  hésite  toujours  à  Faire  un 
procès  à  l'un  de  ses  membres,  les  directeurs  sont  là  pour 
endosser  toutes  les  responsabilités. 


La  Société  a  fait  aussi  tout  ce  qu'elle  a  pu,  pour  se  pré- 
munir, et  prémunir  ses  membres,  contre  des  combinaisons 
plus  perfides,  et  moins  naturelles. 

Ce  n'est  pas  d'aujourd'hui  que  des  directeurs  «I»1  théâtre 
parcimonieux  se  sont  avisés,  pour  diminuer  leurs  frais, 
d'imposer  au  jeune  auteur,  impatient  de  se  produire,  leur 
collaboration,  ou  celle  d'un  correcteur  attaché  à  La  maison, 
prête-nom  de  l'administration. 

La  Société  ne  s'est  pas  bornée  à  défendre  à   ses  membres 
de  céder  à  ces  exigences  —  interdiction  évidemment   pis 
tonique.   En   1885   et  1890,    elle  a  adopté   les   dispositions 
suivantes  : 

,.  Le  directeur  s'interdit  de  recevoir  et  de  faire  représenter 
aucun  ouvrage  composé  par  un  ou  plusieurs  membres  de 
famille,  sans  avoir  L'autorisation  spéciale  de  la  Commissi 
des  auteurs.  Le  directeur  s'interdit  de  recevoir  et  de  faire 


i   Tribunal  civil  de  1,  Sein.  21  aoûl 

28  aoûl  i 


CHAPITRE    VII 

représenter  aucun  ouvrage  écrit  en  collaboration  par  un  ou 
plusieurs  membres  de  sa  famille,  sans  s'être  assuré,  au  préa- 
lable, que  les  ailleurs  possèdent  une  autorisation  écrite  de  la 

mmission  des  auteurs  permettant  la  collaboration  ». 

La  précaution  n'était  pas  inutile,  ainsi  qu'il  apparut 
notamment  dans  une  affaire  qui  s'est  présentée  dernière- 
ment, dans  des  circonstances  assez  curieuses. 

Eb  n>n:{.  un  auteur  faisait  représenter,  sur  une  scène  de 
province,  une  féerie  intitulée  :  Les  Aventures  de  Robinson 
Crusoé.  Il  toucha  2,000  francs  de  droits;  mais  le  directeur 
lui  en  réclama  1.100,  à  titre  de  droits  d'auteur  dus  à  sa 
femme,  qui  avait  collaboré  à  la  pièce,  disait-il,  ainsi  qu'il 
résultait  d'un  document  écrit. 

L'affaire  ayant  été  portée  devant  le  tribunal,  l'auteur  n'eut 
pas  de  peine  à  démontrer  que  cette  collaboration  était  pure- 
menl  fictive,  et  qu'il  ne  l'avait  acceptée  qu'à  son  corps 
défendant.  Toutes  les  lettres  échangées  au  sujet  de  la  pièce 
avaient  été  adressées  h  l'auteur  seul;  celle-ci,  notamment, 
alors  qu'il  avait  présenté  son  manuscrit  sous  forme  de 
drame  : 

Reprenez-le  entièrement,  écrivait  le  directeur,  et,  en 
travaillant,  arrangez-vous  de  façon  à  ce  qu'il  y  ait  dans  la 
pièce  deux  comiques  très  hilarants.  De  plus,  intercalez-y  un 
lri<»  de  sauvages,  el  deux  ou  trois  chansons,  le  toul  co- 
mique       I  . 

tait  |»lu>  <|n  il    c'en   fallait  pour  prouver  sa   paternité 

A  une  époque  où  la  littérature  a  cessé  d'être  l'apanage  des 
nommes,  quels  déboires  n'aurait  pas  connus  l'auteur  drama- 
tique, livré  sans  défense  aux  directeurs  mariés? 


Tribunal  ciril,  13  noTem]  Galette  de»  tribunaux.  Il)  et  20  février 

LM6. 


LES   TRAITÉS    GÉNÉRA r\ 

Ajoutons  que  la  Société  ne  défend  pas  seulement  les 
pièces  des  parents  de  directeurs;  elle  interdit  également  la 
représentation  d'une  pièce  du  directeur  Lui-même,  sur  le 
théâtre  qu'il  administre.  Elle  s'est  souvent  montrée  intrai- 
table sur  ce  point,  et  même  dans  des  cas  d'extrême  nécessité. 
En  1871,  M.  Jules  Noriac,  directeur  du  Théâtre-Beaumar- 
chais, n'ayant  rien  à  jouer,  sollicitait  la  permission  de  rei 
senter  une  œuvre  de  lui.  La  Commission  ne  se  laissa  pas 
fléchir.  Un  jour.  M"10  Sarah  Bernhardt,  alléguant  une 
pénurie  semblable,  voulut  montera  sou  théâtre  sa  Ductu 
Catherine,  Elle  ne  put  y  arriver.  Ces  temps  derniers,  par 
contre,  elle  représentait,  sans  opposition  de  la  part  de  la 
Société,  son  Aérienne  Lecouvreur. 


Dans  quelques  théâtres  —  ceux  surtout  où  fleurit  le  vau- 
deville, la  comédie  un  peu  grosse  —  il  est  admis,  dit-on, 
que  le  débutant  ne  franchit  le  seuil,  qu'accompagné, 
présenté   par  un   confrère    vieilli   dans    le   métier... 

Nous  entrons  ici  dans  une  matière  fort  délicate,  celle  de  la 
collaboration.  Rien  n'est  plus  trompeur,  plus  impalpable,  plus 
indéfinissable,  que  la  collaboration  en  matière  dramatique. 
Dans  plus  d'un  cas,  voyant  sur  l'affiche  un  nom  d'inconnu, 
précédé  d'un  ou  deux  noms  respectés,  le  spectateur  averti 
pensera  que  les  auteurs  en  vogue  n'ont  apporté  autre  ch< 
à  l'entreprise  commune,  que  1»'  désir  bien  naturel  'b*  toucher 
une  partie  dos  droits  :  cependant  ils  ont  refait  une  scèi 
inventé  un  personnage,  ajusté  un  ressort  dramatique,  donné 
le  tour  de  main,  qui  assurera  à  la  pièce  une  heureuse  et 
fructueuse  carrière. 

A  quoi  peut  tenir  I»'  succès  d'une  pièce  '  l  n  jour  deui 
auteurs  avaient  termine  une  comédie  fort  plaisante,  mais  le 


120  CHAPITRE   VII 

dénouement  clochait.  Ils  s'en  furent  trouver  un  maître  de 
l'art,  el  lui  exposèrent  leur  embarras.  Dans  le  cours  de  la 
pièce,  à  diverses  reprises,  on  entendait  tinter  une  sonnette. 
—  Faites  tinter  voire  sonnette  à  la  lin,  prononça  le  maître. 
Aussitôt  dit,  aussitôt  fait.  La  pièce  eut  un  succès  énorme  (1). 

Alexandre  Dumas  fils  n'a-t-il  pas  écrit  les  lignes  sui- 
vantes : 

Supposez  un  jeune  homme  ayant  eu  l'idée  d'Antony, 
ayant  exécuté  quatre  actes  trois  quarts,  tels  qu'ils  sont  dans 
la  pièce  que  vous  connaissez  ;  mais  il  n'a  pas  le  dénouement. 
Il  apporte  ces  quatre  actes  trois  quarts  à  Alexandre  Dumas 
et  lui  demande  comment  on  peut  terminer  un  pareil  drame. 
Alexandre  Dumas  trouve  :  Elle  me  résistait,  je  l'ai  assas- 
sinée  :  la  pièce  est  de  lui  ». 

<;.■  qui  n'était,  sous  la  plume  d'Alexandre  Dumas  fils, 
qu'une  agréable  boutade,  devient  une  réalité,  lorsqu'il  s'agit 
de  drames,  de  vaudevilles,  de  féeries,  où  le  savoir-faire  est 
souvent  un  guide  plus  sur  que  le  génie  le  plus  fertile. 

Le  théâtre,  en  effet,  lorsqu'on  le  regarde  par  ses  petits 
côtés,  semble  soumis  à  certaines  lois,  qu'il  est  utile  de  con- 
naitre  et  de  posséder.  I.»'  débutant  apporte  l'idée,  une  verve 
originale,  des  combinaisons  imprévues;  le  maître,  vieilli 
dans  la  carrière,  par  le  secret  d'une  cuisine  savante,  sert  au 
public  le  plat  qu'il  sait  flatter  sou  goût. 

I.  auteur  connu  ue  mettrait-il  que  son  uom  dans  l'affaire 
qu  il  donnerait  déjà  beaucoup  :  ce  nom  u 'est-il  pus  In 
an  lie  de  la  curiosité  du  public,  de  l'indulgence  de  la 
critique?  Il  suffit  à  décider  le  directeur  perplexe.  S'il  plaît 
au  débutant  <l<'  I  acheter,  de  quel  droit  l'en  empêcherez- 
VO  est   un   contrat  qui  vaut  par   le   libre   consentement 


de  la  So     U  i  169  .  en  □  ■!<•. 


LES   TRAITÉS    GÉNÉRAUX  \2\ 

des  intéressés  ;  tant  qu'il  ne  devienl  pas  une  cause  de  scan- 
dale, au  nom  de  quel  principe  s  opposerait-on  à  ce  qu'il  fût 
exécuté? 

Marché  immoral,   dira-t-on;  mais  les  artistes  en   \ 
ne    sont-ils    pas   aidés    par    leurs    élèves?    LTn    architecte 
en  renom  fait-il  tous  les  projets  qu'il  signe?  L'ari  drama- 
tique, surtout  lorsqu'on  le  considère  dans  ses  genres  infé- 
rieurs, n'échappe  pas  à  ces  nécessités. 

La  Société  aura-t-elle  sa  police,  pénétrera-t-elle  dans  le 
secret  de  la  production,  traduira-t-elle,  au  moindre  soupçon, 
les  coupables  à  sa  barre  ?  C'esl  alors  que  ceux-là  mêmes,  qui 
lui  reprochent  son  inaction,  ne  manqueraient  pas  de  blâmer 
sen  humeur  combative.  La  Société,  diraient-ils,  accuse  la 
rigueur  de  son  monopole,  par  la  sévérité  de  sa   discipline. 

N'empêche-t-elle  pas  délibérémenl  les  débutants  d'arriver, 
lorsqu'elle  leur  interdit  de  céder  à  des  exigences,  qu'ils 
subissent  en  les  déplorant  ?  El  n'est-ce  pas,  d'ailleurs, 
battre  contre  des  moulins,  partir  en  guerre  contre  des  maux 
qui  ont  existé  de  tout  temps.  La  Société  ruine  son  crédit, 
parce  qu'elle  va  contre  la  oature  des  choses. 

Parfois,  il  est  vrai,  le  collaborateur  [l'aura  pas  la  moindre 
part  dans  la  confection  de  la  pièce  :  auteur,  journaliste,  ou 
simplement  fournisseur  attitré  de  la  scène,  dont  il  -  occupe, 
il  présentera  tour  à  tour  au  directeur  Les  auteurs  désireux 
d'être  joués.  C'est  l'ami  de  la  maison,  don!  on  a  tracé  une 
silhouette  amusante  : 

«  L'ami  de  la  maison  esl  ainsi  appelé,  parce  que  vous  le 
rencontrez  dans  tous  les  coins  el  recoins  du  théâtre,  Voua 
le  heurtez  dans  les  couloirs,  le  retrouve!  dans  la  salle  d 
tente,    dévisageant,  l'un    après   l'autre,  tous  ceux   qui 
trouvent.   Il  est  dan-    le  cabine!   du   directeur,  et  dans  lei 
loges  d'artistes,  sur  la  scène  et  dans  la  salle,  an  cintn 


422  CHAPITRE    VII 

dans  les  dessous,  sans  oublier  la  loge  du  concierge  »  (1). 

Mais  comment  mettre  la  main  sur  cet  ami  insaisissable, 
qui  est  partout  et  nulle  part,  et  qui  doit  être  ailleurs,  en  cas 
de  difficultés. 

Dans  certains  cas,  la  collaboration  s'eifacera  pour  faire 
place  à  une  vente  en  pleine  propriété  :  le  contrat  revêt  alors 
un  caractère  d'immoralité  qui  le  rend  particulièrement 
répréhensible.  On  a  vu  des  dramaturges  malheureux  tra- 
vailler pour  des  oisifs  ;  de  même  des  romans-feuilletons  ont 
enirchi  leurs  signataires,  qui  furent  confectionnés  par  des 
inventeurs  à  la  tâche. 

Mais  de  quel  droit  un  tiers  interviendrait-il  dans 
ces  compromissions  humiliantes  ?  Si  l'auteur  frustré 
lui-même  venait  réclamer  justice,  ne  serait-on  pas  en 
droil  de  lui  répondre,  comme  faisait  M.  Romain  Rolland  : 
Pauvre  diable  sans  pensée,  de  quel  droit  vous  réclamez- 
vous?  Je  ne  vous  connais  pas.  Vous  n'êtes  pas  un  homme, 
vous  n'êtes  plus  qu'une  ombre  (2)  ». 


La  Société,  a-t-on  prétendu,  permet  à  certains  littérateurs 
de  commanditer  des  scènes,  à  leur  usage  exclusif  et  à  celui 
de  leurs  amis. 

t  Là  une  affirmation  quelque  peu  téméraire.  Si,  d'aven- 
ture, an  auteur  prend  une  situation  telle  dans  un  établisse- 
ment, et  s'il  a  d'autre  pari  assez  peu  de  scrupules,  pour  en 
lure  par  tous  les  moyens  — y  compris   les  manœuvres 
financ  ceui  <jni  pourraienl  lui  faire  concurrence,  il 

e»1  peu  probable  qu'il  donne  a  ses  combinaisons  la  moindre 


i    /  i  dramatique %  numéro  du  18  décembre  1903. 

natique,  numéro  du  18  juin  1907. 


LES    TRAITÉS    GÉNÉHALX 

publicité.  Car  il  tomberait  sous  le  coup  des  statuts,  tels 
qu'ils  sont  actuellement  rédigés.  Le  directeur  qui  se  rendrait 
complice  de  ces  agissements,  eu  faisant  appel  au  capitaux 
d'un  auteur,  serait  également  passible  d'une  Forte  pénalité. 

En  1898  en  effet,  la  Société,  qu'on  taxe  d'indifféren< 
émue  de  voir  représenter,  trop  fréquemment,  dans  certains 
théâtres,  les  œuvres  de  littérateurs,  commanditaires  avoués 
de  l'administration.  Elle  a  inséré  dans  ses  traités  un  nouvel 
article  ainsi  conçu  : 

h  Une  indemnité  de  douze  mille  francs  sera  également 
exigible,  dans  le  cas  où  il  pourra  être  établi  que  l'auteur  ou 
le  compositeur  d'une  pièce  représentée  dans  le  théâtre  qui 
fait  l'objet  des  présentes  conventions,  est  actionnaire  ou 
commanditaire  de  ce  théâtre,  ou  a  t'ait  un  apport  d'argent, 
sous  forme  de  commandite  ou  autre  »  .  1  . 

Cet  article,  il  est   vrai,    ne  saurait   s'appliquer  qu'à  des 
situations  avérées,  qui  feraient  scandale.   Cela  n'empêchera 
pas  des  combinaisons  plus  discrètes,  mais  Don  moins  blfi 
niables.  On  a  vu  des  auteurs —  et  non  des  moindr  ne 

faire  agréer  leurs  pièces,  qu'en  s'intéressanl  indirectement 
à  la  question  d'un  théâtre  :  d'autres,  sans  se  mettre  eux- 
mêmes  en  avant,  ne  seront  joués,  que  parce  qu'ils  seront 
umis  ou  parents  d'un  commanditaire. 

Mais  la  Société  va-t-elle  proscrire  les  relations  «I  amitié, 
les  liens  de  la  famille?  Bientôt  aucun  nom  ne  paraîtrait  Bur 
l'affiche,  qu'après  une  enquête  approfondie,  sur  les  raisons 
qui  ont  pu  décider  le  directeur  ;<  l'agréer. 

Les  auteurs,  ennemi-  des  compromissions,  se  tiendront  i 
L'écart  des  intrigues  •■!  des  luit.--.  Us  se  rappelleront  ce  n 
de  Ducis.  un  poète  fourvoyé  dans  le  théâtre  : 


(1)  Annuaire  1898,  \ 


CHAPITRE   VIT 

Quand  on  suit  la  carrière  dramatique,  il  faudrait  avoir 
doux  âmes  :  Tune,  noble  et  grande,  pour  composer  un  bel 
.  .11  \  l'autre,  ignoble  et  basse,  pour  le  faire  représenter  ». 


Ed  debors  même  de  toute  manœuvre  financière,  on  s'est 
plaint  que  certains  auteurs  se  syndiquent,  pour  alimenter  de 
leur  production  certains  établissements,  les  music-halls  de 
préférence  ;  de  fait,  si  Ton  observe  les  affiches  de  quelques- 
uns  de  ces  établissements,  quelques  noms  reviennent  avec 
une  inlassable  obstination. 

«  Si  on  consultait  les  programmes  de  ces  dernières 
années,  a-t-on  dit,  on  constaterait  l'existence  officieuse  d'un 
véritable  syndicat  d'auteurs  haut  cotés,  et  devenus  fournis- 
seurs  attitrés,  exclusifs,  de  certains  théâtres,  où,  en  dehors 
d'eux  el  -ans  eux,  personne  n'est  joué  »  (1). 

Faut-il  s'en  étonner?  N'est-ce  pas,  pour  ainsi  dire,  une 
nécessité,  dans  certains  genres?  Une  revue  aujourd'hui  est 
moins  une  pièce  qu'un  ballet,  une  féerie,  quand  ce  n'est 
pas  une  simple  exhibition  ;  l'esprit,  la  chanson,  l'actualité 
même  s'effacent,  devant  les  splendeurs  monotones  d'une 
figuration  invariable. 

Pourcel  effort,  qui  demande  de  l'habileté,  des  aptitudes 
très  diverses,  ei  surtout  un  détachement  méritoire  de  toute 
préoccupation  littéraire  on  artistique,  un  directeur  préférera 
toujours  un  auteur  donl  il  esl  sûr,  à  un  débutant  qu'il 
faudra  mettre  au  courant.  L'esprit,  la  verve,  les  bous  mois 
peuvent  s'user,  mais  uon  le  talent  d'organiser.  Aussi  les 
entrepreneurs  seront-ils  souvenl  les  mêmes;  ue  pouvant 
raffire  seuls  .1  leur  tache,  ils  embaucheront  des  apprentis, 


'/ue,  numéro  du  20  août  1907. 


LES    TRAITÉS   GÉNÉRAUX 

qui  travaillent  sous  leur  direction,  eu  attendant  de  passer 

maîtres  dans  leur  art. 

De  temps  à  autre,  une  indiscrétion  de  presse,  une  au- 
dience de  tribunal  révèle  nu  public  des  traités,  par  lesquels 
un  auteur  s'engage  à  fournir  un  établissement,  pendant  plu- 
sieurs années,  de  revues,  de  vaudevilles,  ou  d'opérettes.  Od 
ne  s'étonne  pas  outre  mesure;  on  s'accorde  à  trouver  ij n*- 
le  directeur  est  un  homme  prévoyant,  qui  a  peur  de  l'in- 
connu. 

La  Société  va-t-elle  proscrire  ces  marchés  à  long  terme  ' 
Cela  n'empêchera  pas  les  directeurs  de  s'adresser  chaque 
fois  au  môme  fournisseur. 

La  Société  des  Auteurs  a  donc  agi  sagement  en  laissant 
reposer  les  armes  qu'elle  a  en  mains  ;  par  sa  politique  pru- 
dente, elle  a  tempéré  la  rigueur  de  son  monopole. 

Peut-être  quelques-uns  abuseront-ils  de  cette  tolérance, 
pour  se  laisser  aller  à  i\i>>  combinaisons  quelque  peu  ris- 
quées. Mais  ces  entreprises  demeureront  toujours  isolé 
elles  relèvent,  en  tout  cas,  de  la  conscience  et  <l«i  la  dignité 
des  hommes  de  lettres,  plutôt  que  du  tribunal  de  leurs 
confrères. 


La  Résistance  à  la  Société 


La  Résistance  à  la  Société 


L'histoire  de  la  Société  des  Ailleurs,  pendant  le  siècle 
dernier,  nous  montre  sa  vitalité,  et  le  développement 
continu  de  son  influence  :  débile,  bous  La  Révolution,  et 
n'existant  guère  que  sur  le  papier,  elle  prend  corps  en  I  s_''' 
mais  sous  forme  d'association  essentiellement  libérale, 
ouverte  à  tous,  ignorant  la  contrainte.  Cette  charte  incom- 
plète la  vouant  à  une  existence  précaire,  elle  se  donne  une 
constitution  nouvelle,  en  1837.  Assurée  désormais,  par  la 
rigueur  de  ses  statuts,  contre  le>  défaillances  de  -  - 
membres,  favorisée  d'ailleurs  par  une  jurisprudence  plus 
indulgente,  elle  poursuit  plus  énergiquemenl  Bes  revendica- 
tions contre  les  administrations  théâtrales  :  les  obligations, 
toujours  plus  étroites,  auxquelles  <illc  les  astreint  marquent 
l'affermissement  progressif  «I»'  son  pouvoir.  Depuis  mu* 
vingtaine  d'années,  on  peut  dire  <ju';i  cet  égard  elle  est 
arrivée  au  terme  de  son  évolution.  Son  programme  est  très 
chargé  :  on  ne  voit  guère  les  exigences  nouvelles  «pi  elle 
pourrait  formuler. 

La  Société  suivait  d'ailleurs  un  chemin  tout  tracé  :  si  les 
moyens  mis  en  œuvre  ont  varié,  le  but  n'a  pas  chanj 

Aussi  les  directeurs  de  théâtre  ont-ils  compris,  dès  I  abord, 
qu'ils  se  trouvaient  en  face  d'un  adversaire  détermin 
faire  s,-i  pince:  Us  n'ont  laissé  échapper  aucun*  don  de 

protester  contre  son  ingérence.  Sous  la  Révolution,  !    S 
s'était  vu  traiter  de  corporation  :  cela  équivalait  alors  1  un 
reproche  d'incivisme;   plus  tard,  les  directeurs  de  théâtre 
n'ont  pus  manqué  de  reprendre  cette  arme,  accusant  le  ij 


ii>0  CHAPITRE   VIII 

dical  de  constituer  un  monopole  illégal,  contraire  à  la 
liberté  de  La  production  dramatique.  Dans  cette  lutte,  ils  ont 
parfois  rencontré  l'appui  de  membres  de  la  Société,  irrités 
des  règles  prohibitives  qu'elle  édicté,  persuadés  qu'elle  est 
fondée,  non  dans  l'intérêt  de  la  masse  des  littérateurs, 
mais  pour  le  profit  de  quelques  privilégiés. 


Ce  ne  furent  d'abord  que  des  escarmouches,  sans  corps  à 
corps,  simplement  pour  prendre  contact.  Telles  deux  forces 
qui  s'ignorent,  la  Société  des  Auteurs  et  les  directeurs  de 
théâtre  se  cherchaient,  mais  hésitaient  à  s'engager  trop 
avant,  doutant  de  l'issue  du  conllit. 

Certaines  concessions,  que  la  Société  leur  avait  de  suite 
imposées,  leur  parurent  particulièrement  intolérables;  à  vrai 
dire,  ces  concessions  leur  avaient  été  demandées  de  tout 
temps,  même  avant  la  [{évolution. 

Mais  ils  cherchent  noise  à  la  Société;  quel  que  soit  le 
motif  de  Leurs  plaintes,  ils  s'insurgent  moins  contre  telle  ou 
telle  clause  des  statuts,  que  contre  l'existence  même  du 
syndical  :  tout  comme  leurs  devanciers,  qui  signalaient,  à 
débuts,  L'agence  Framery  à  la  vindicte  publique,  ils 
dénoncent  à  l'opinion  l'Association  des  Auteurs  —  heu- 
reux, -  Ils  pouvaient  la  faire  reculer,  ou  la  dépouiller,  le  cas 
échéant,  de  ses  titres  juridiques. 

Lei  billets  d'auteur  devaient  être  Le  prétexte  indiqué  des 
premières  hostilités. 

Dès  1830,  au  Lendemain  même  ou  La  Société  se  ranimait 
pour  des  Luttes  nouvelles,  au  souffle  de  Scribe,  les  direc- 
tion! du  Vaudeville,  des  Nouveautés,  des  Variétés  et  du 
imposants  concentration  —  manifestent  bruyam- 
II1(jFI,    contré    ce    tribut   humiliant,    fclles    avertissent   les 


LA    RÉSISTANCE    A    LA    SOCIhlh  131 

auteurs,  par  une  circulaire,  qu'il  ne  leur  sera  plus  délivré 
l'avenir,  de  billets. 

Le  11  janvier  1830,  la  Commission  des  Auteurs  se  réunit. 
Ne  se  trouvant  pas  suffisamment  armée  par  l'acte  social  — 
ébauche  encore  imparfaite  —  pour  assurer  la  discipline  ef 
la  cohésion  des  membres  de  la  Société,  elle  décide  que  Les 
sociétaires  s'engageront,  par  écrit,  à  ne  pas  laisser  jouer  leurs 
pièces  sur  les  théâtres  qui  violeraient  l'une  des  règles  ins- 
crites dans  les  traités  ;  et  ce,  sous  peine  d'une  Indemnité  de 
6,000  francs,  versée  à  la  caisse  de  secours. 

En  même  temps,  elle  retire  aux  directeurs  réfractaires 
l'usage  de  son  répertoire,  et  leur  intente  un  procès.  Surpris 
sans  doute  par  cette  attitude  résolue,  qui  leur  lit  subir,  pen- 
dant trois  mois,  des  pertes  sérieuses,  les  directeurs  rebelles 
n'insistent  pas. 

Le  2o  novembre  de  la  même  année,  le  directeur  de 
l'Ambigu  montre  des  velléités  d'indépendance  :  il  annonce 
qu'il  n'ouvrira  plus  les  porte-  de  son  théâtre  aux  auteurs 
munis  d'entrées,  et  qu'il  n'acceptera  plus  les  billets  rendus 
par  les  auteurs. 

Geste  de  mauvaise  humeur  qui  n'eut  pas  <bi  suites.  Le 
directeur,  menacé  d'interdit,  s'empressa  de  baisser  pavillon. 

En  1833,  la  Société  entre  en  conflit  avec  plusieurs  scènes  : 
quelques  auteurs   en   profitenl   pour   se    séparer   de    leurs 
confrères  —  car  ou  aura  beau  changer  les  formes  de  gouv* 
nenient,  au  sein  de  l'association,  on  aura  toujours  grand  peine 
a  empêcher  les  dramaturges  d'aller  là  où  leur  intérêt  parti 
culier  semble  les  appeler. 

Le  rapporteur  à  l'Assemblée  générale,  Frédéric  Soulié, 
croit  devoir  blâmer  ces  défections  :  il  a4jtti  confri 

de  rester  unis,  sous  l'égide  du  syndical    I 

i    Sur  ces  premières  difficultés,  l  D&SUlfttf  1(>  Blémoin   . 


CHAPITRE   VIII 

Chose  curieuse,  le  premier  arrêt  rendu  en  1837  à  la 
requête  des  directeurs  de  théâtre  parut  être  un  arrêt  de 
mort  pour  la  Société  naissante. 

Vers  cette  époque,  M.  de  Cès-Caupenne,  directeur  déjà 
de  l'Ambigu,  avait  pris  en  mains  le  théâtre  de  la  Gaîté.  La 
S  ciété  n'y  vit  d'ailleurs  aucun  mal  :  elle  ne  prohibait  pas 
encore  les  trusts  de  théâtres. 

M.  de  Cès-Caupenne  succédait  à  la  Gaîté  à  une  direction 
malheureuse.  Aussi  son  premier  soin  fut-il  de  remédier  aux 
inconvénients  qui,  prétendait-il,  avaient  entraîné  la  ruine 
de  son  prédécesseur,  et,  entre  tous,  à  la  perception  des 
droits  d'auteur  qu'il  trouvait  excessifs.  Il  remplaça  les 
droits  proportionnels  à  la  recette,  prélevés  jusqu'alors  sur 
cette  scène,  par  le  tarif  en  vigueur  à  l'Ambigu,  qui  compor- 
tait un  simple  droit  fixe  par  soirée. 

Emoi  dans  le  camp  des  auteurs.  A  cette  déclaration  de 
rre,  les  dramaturges  confédérés  ripostent  par  un  mani- 
feste :  le  16  août  1837,  ils  tiennent  conseil,  et  signent  un  accord, 
aux  termes  duquel  tout  associé  qui  donnerait  une  pièce  à 
l'Ambigu,  sera  passible  d'un  dédit  de  six  mille  francs;  les 
dissidents  -<i  verront,  en  outre,  retirer  les  bénéfices  de  la 
correspondance  entretenue  par  les  agences. 

M.  de  Cès-Caupenne  ne  s'en  crut  pas  moins  fondé  à  repré- 
senter, sans  autorisation  spéciale,  certaines  œuvres  apparte- 
nant au  répertoire  de  la  Société.  Bientôt  le  tribunal  correc- 
tionnel lut  saisi  de  trois  plaintes  :  de  MM.  Langlé  el  Massé, 
auteurs  dune  opérette,  Titiau  chemin  de  fer,  jouée  à  l'Ambigu 
leur  permission  :  de  M.  Anicei  Bourgeois,  auteur  en  col- 
laboration de  Héloïse  et  Abélard,  représentée  à  La  I  îaîté,  malgré 

défense  :  de  M""  veuve  \  ictor-Ducange,  qui  se  plaignait 

leurs  dramatique»   défendue  par  set  oÂversaireiy  1866, 
membre  de  la  Commission  de  1834  i  1864 


I.A    RESISTANCE   A    LA    SOCIÉTÉ 

que.  Il  y  a  seize  ans,  mélodrame  en  musique,  eûl  été  trans- 
porté à  la  Gaité,  .'ii  dépii  d'une  convention  portant  qu'il 
ne  serait  plus  donné  <|ii';i  l'Ambigu. 

M1  Teste  prit  la  défense  de  l'audacieui  directeur.  Il  n< 
borna  pas  a  Faire  valoir  les  circonstances  de  fait,  qui,  pour 
chacune  <l<'  ces  trois  accusations,  prouvaienl  la  bonne  foi, 
sinon  le  bon  droit  de  son  client,  el  le  garantissaient  contre 
une  condamnation  en  police  correctionnelle.  Il  s'en  pril  «lu 
tement  à  l'association.  Comparanl  la  situation  actuelle  des 
littérateurs  avec  le  sort  qui  leur  était  fait  avant  Beaumar- 
chais, il  s'écriait  déjà,  longtemps  avant  M    Millerand  : 

«  En  cela,  comme  en  tant  d'autres  choses,  le  bien  fut 
dépassé.  Aujourd'hui,  quel  changement!  les  protégés  d'au- 
trefois protègent  à  leur  tour;  de  pauvres  qu'ils  étaient,  les 
auteurs  sont  devenus  riches,  <ii  même  fort  riches,  et  ce  im- 
sont  plus  eux  (|iii  prennent  I»1  chemin  <l<'  I  hôpital 

Il  dénonçait  les  agissements  des  dramaturges,  qui  ont  formé 
une  véritable  ligue,  et  «  fulminé  contre  M.  <l«'  < îès-( laupenne 
une  véritable  sentence  d'excommunication  .  M.  d<  I 
Caupenne,  en  prenant  la  direction  de  la  Gai  té,  s'était  vu 
dans  la  nécessité  de  réduire  les  droits  <l  auteur,  qui,  tout  en 
étant  proportionnels  à  la  recette,  n  étaient  pas  <'ii  proportion 
<•  avec  In  nature  des  représentations   données  sur  les  petits 

théâtres    du    I levard,   où,    il  faut  bien   en   convenir,   les 

accessoires  l'emportent  sur  l<i  fond,  pour  satisfaire  ."i\ 
exigences  d'un  public,  qui,  tout  en  ne  payant  guère,  ^  •  •  •  ■  t 
jouir  beaucoup  des  yeux,  et  exclusivement  des  yeux 

«  M.  de  Cès-Caupenne,  disait  l'avocat,  sans  vouloir  gêner 
l,i  liberté  de  personne,  veut   au  liberté.  '  omi 

directeur  de    l'Ambigu,  il    h  su   poser   les    h  alutaii 

(l'un  traité  qui  le  mel  ô   l'abri  dexigism  es  qu'il  trouv< 
exagérées  :  comme  directeur  de  la  Gaité,  il 


CHAPITRE  VIII 

qu'on  avait  imposé  à  son  prédécesseur.  Et  quel  joug  I  Son 
malheureux  prédécesseur  y  a  succombé!  Loin  de  lui  l'idée 
d'étendre  au  théâtre  de  la  Gaîté  le  traité  qui  régil  L'Ambigu. 
A  La  Gaité  les  transactions  se  passent  de  gré  à  gré  ;  c'est  le 
droii  de  chacun  ». 

Ainsi  ce  m'étaii  même  pas  un  tarif  nouveau  que  Le  nou- 
veau directeur  établissait  à  la  Gaîté  :  il  prétendait  s'entendre 
il;m>  chaque  cas  avec  L'auteur.  Cette  prétention  était  la 
négation  môme  du  principe  sur  lequel  était  fondée  l'asso- 
ciation. 

Le  tribunal,  s'attachant  aux  circonstances  de  fait  invo- 
quées en    laveur  de  la  bonne  foi  du  directeur,  renvoya  de 

5-Caupenne  des  lins  de  la  plainte.  Mais  un  des  considé- 
rants  du  jugement  était  la  condamnation  de  la  Société. 

Attendu  qu'il  importe  de  remarquer  que  ces  trois 
plaintes  se  justifient  mal  par  leur  intérêt  réel;  qu'elles 
paraissent  n'avoir  été  introduites   que  dans  l'intérêt  d'une 

ociation  dont  le  but,  qui  n'a  pas  été  nié  à  l'audience,  est 
de  frapper  d'interdit  Le  théâtre  de  la  Gaîté  ; 

attendu  qu'une  pareille  association  ne  peut  trouver  pro- 
tection devant  les  magistrats,  parce  qu'elle  est  essentielle- 
ment contraire  à  !;•  Liberté  de  L'industrie,  en  même  temps 
qu'elle  est  peu  compatible  avec  L'indépendance  et  La  dignité 
des  Lettres  ». 

Lu  Société  m'  voulut  pas  rester  sous  Le  coup  d'une  appré- 
ciation aussi    sévère;    elle    lil  appel,    et    La    Cour    lui    donna 

s  faction,  en  supprimant  l<i  considérant  blessant  (1). 

tie  première  alerte,  la  Société  pul  constater  qu'elle 

La.il  pas  suivie  par  l'unanimité  de  ses  membres.  Plusieurs, 


ectionnel  de  Paris,  <>■  \i-  17  janvier  1838;  Gazette  des  tribu- 
•  i  Cour  de   Parii,  22  mars   1838;  Gazette  des 

ira. 


LA    RÉSISTANCE    A    LA    SOCJBT1 

en  effet,  refusèrent  de  s'incliner  devant  la  décision  de  la 
Commission,  qui  avait  interdit  aux  auteurs  de  pactise) 
les  rebelles.  C'est  à  la  suite  de  cette  résistance,  que  la 
Société,  se  jugeant  imparfaitement  protégée  par  ses  statuts, 
contre  les  défaillances  de  ses  membres,  résolut  de  se  cons- 
tituer en  société  civile  et  de  remanier  son  acte  social.  Quant 
aux  dissidents,  il-  Furent  peu  à  peu  réintégrés  dans  la 
Société.  Pixérécourt  et  Clairville,  notamment,  rayés  d'abord 
du  syndicat,  par  décision  dn  11  mars  1838,  furenl  amnistii 
sur  leur  demande  expresse,  en  Assemblée  générale  du 
12  avril  1840. 


Pendant  l'année  qui  suivit  son   différend  avec  l'Ambigu, 
la  Société  fui  violemment  prise  a  parti  d'un  autre  côt< 

Le  procès  qu'elle  eut  à  soutenir,  en  1838,  contre  MM.  Poir- 
son  et  Cerfbeer,  directeurs   du   Gymnase,  s'éleva  a   propos 
de  la  clause  du  traité  général  stipulant  que,  chaque  ann 
une  représentation  serait  donnée  à  ce  théâtre,  au   bénéfice 
des  auteurs  — cette  obligation  a  été  transformée  depuis  (,n 
une  redevance  fixe,  versée  à  la  caisse  sociale.  ^  eut-il  négli 
gence,  ou   mauvaise   volonté  de  I;*  part  <l«'  l'administration 
du  Gymnase?  En  1836,  ''II''  était  en  retard  de  six  représen 
tations.  On  ne  put  s'entendre  sur  le  choix  des  spectacles,  ni 
sur  la  fixation  des  dates;  un  projet  <l»'  transaction,  débattu 
entre    les    parties,  ne    put    aboutir;    profitant    «lu    conflit, 
MM.  Poirson  et  Cerfbeer  prirent  l'offensive,  et  annoncèrent 
aux  auteurs,   par  une   circulaire,   que  leursdroits   seraient 
réglés  désormais  conformément  à  un  tarit  ai  rMc  par  I  adini- 
nistration.  C'était  s'affranchir  délibérément  de  la  tutelle  de 
l'association. 

De   son   côté,   la  So<  iété   des    auteurs,   repréaent 


CHAPITRE   VIII 

MM.  Rougemont,  Dupaty,  Scribe,  Mélesville,  Piccini,  llalévy 
et  autres,  assigna  Les  directeurs  (lovant  le  tribunal  de  com- 
merce, demandant  L'exécution  du  traité,  et,  en  particulier, 
Les  représentations  éludées. 

M  Vatel,  qui  plaida  la  cause  du  Gymnase,  prétendit,  tout 
d'abord,  que  Le  procès  avait  été  voulu  par  la  Société,  dési- 
reuse de  faire  proclamer  sa  légalité;  si  l'entente  n'avait  pu 
se  Faire,  c'est  <|in'  celle-ci  tenait  à  un  débat  public.  Peut- 
être  cette  allégation  n'était-elle  pas  absolument  fantaisiste. 
La  Société  devait  avoir  à  cœur  de  se  venger  de  sa  défaite 
judiciaire  initiale.  L'avocat  jugeait  sans  bienveillance  les 
résultats  de  l'union  des  auteurs  : 

...  un  despotisme  affreux  qui  pèse  sur  les  adminislra- 
tions  théâtrales,  qui  a  renversé  L'ancienne  Société  du  théâtre 
de  l'Opéra-Comique,  qui  vient  d'amener  la  faillite  du  théâtre 
du  Gymnase.  Ce  joug,  les  théâtres  ne  sont  pas  les  seuls  à 
Le  subir;  Les  jeunes  auteurs  y  soûl  également  soumis;  sous 
peine  d'être  privés  de  la  possibilité  de  recouvrer  leurs  droits 
d'auteur,  il  Faut  <|ifils  acquiescent  aux  lois  de  la  Commis- 
sion. Cette  coalition  est  monstrueuse  et  illicite  ». 

L'avocat  de  la  Commission  répondit  que  les  auteurs 
avaient,  comme  les  boulangers,  comme  les  marchands  de  bois, 
le  droit  de  confier  à  un  syndical  l'administration  de  Leurs 
intérêts.  Le  tribunal  demeura  d'accord  que  L'association 
h  .i\  ;ni  rien  d'illicite,  et  condamna  le  Gymnase  à  s'acquitter, 
mois  par  mois,  des  représentations  arriérées,  jusqu'à  par- 
Faite  libération    I  . 

I  •  s  directeurs  firent  appel  :  mais,  entre  temps,  une  transac- 
tion intervint  :  Faisant  amende  honorable,  ils  reconnurent  la 
dite  de  l.i  Société.  C'était  La  morale  de  L'histoire. 


bunal  île  ronimerce    de    la   Seine,    i     i  I  29  mars    1838,  Gazette  dei 


LA    RÉSISTANCE    A    LA    50<  Il  II 


Ces!  encore  les  directeurs  du  Gymnase,  que  i -  retrou- 
vons sur  la  brèche,  cinq  ans  plus  lard.  Cette  fois-ci,  ils 
n'avaieni  violé  aucune  des  clauses  de  leur  traité.  C'est  la 
Société  qui,  eu  cours  d'exécution  du  contrat,  s'était  ravig 
et  avait  voulu  leur  imposer  des  charges  nouvelles.  I  i 
directeurs  tenaient  de  la  Société  un  bail  de  trois,  six,  ou 
neuf  années,  au  gré  de  la  Commission  :  profitant  d'une 
échéance,  celle-ci  émit,  en  1842,  la  prétention  de  réviser  le 
traité  :  elle  réclamai!  notamment  le  fonctionnement  d'un 
comité  de  lecture,  certains  avantages,  relativement  aux 
entrées  accordées  aux  auteurs,  et  le  rétablissement  de 
l'ancien  droit  <lo  billets  d'auteur,  qui  avait  été  converti,  du 
consentement  de  la  Commission,  «ui  une  rétribution  li\'-. 

MM.  Poirson  e1  Cerfbeer  refusèrent  toute  concession.  IU 
adresseront    une    pmclnnuiliou    à    MM.    I'1-    auteurs,    leur 
annonçant  que  leurs  droits  seraient  désormais  fixés  d'après 
un  tarif,  arrêté  après    examen    attentif  des   ressources   de 
l'entreprise.   IU  rappelaient  le   premier  jugement  de   18 
condamnant  l'existence  de  la  Société;    ils  dénonçaient  une 
association,  -  qui,  au  lieu  de  se  borner  ;i  veiller  aux  inlér 
cl   aux   droits  généraux  des  auteurs,  avait  cru  pouvoir,  au 
moyen  d'un  système  de  coalition  illicite,  détruire  complète 
ment  la  liberté  de  l'industrie  théâtrale...  ••!  avait  confisqué, 
au  profil  des  seuls  associés  les  deux  agents,  établis  au  nom 
et  par  les  soins  <l<"  l'universalité  des   auteurs,    la    percep 
lion  des  droits  en  province  ». 

La  Société  des  Vuteurs  riposta,  en  mettant  leGymnaseen 
interdit  ;  (liins  un.-  circulaire  adressée  aux  auteurs,  elle 
justifiait   l'association,   qui   s'était   reformée,  en  ls  "'• 

mettre  un  {.unir   aux  combinaisons  auxquelh 


» 


CHAPITRE    VIII 


administrations  théâtrales  —  el  le  Gymnase  en  particulier 
—  frustraienl  trop  souvenl  les  auteurs. 

Théophile  Gautier,  dans  son  feuilleton  dramatique,  com- 
mente ain^i  la  nouvelle  : 

Le  Gymnase  esl  mis  au  ban  de  la  république  des 
lettres;  c'est  un  lieu  maudit,  et  condamné  solennellement. 
Il  es!  défendu  à  loul  auteur,  et  à  nous-méme,  sous  peine  de 
six  mille  francs  d'amende,  de  lui  fournir  la  moindre  bribe 
de  dialogue,  la  pins  légère  pointe  de  couplet  »  (1). 

Le  Gymnase  essaya  de  se  passer  de  la  Société.  On  eut, 
pour  la  première  fois,  le  spectacle  rare  d'un  théâtre  vivant 
•  •il  marge  du  syndicat. 

Dans  cette  lutte,  il  rencontra  tout  d'abord  le  concours  de 
certains  membres  de  la  Société,  entre  autres  de  Léon  Laya, 
<l«Hit  une  pièce  intitulée  L<'  premier  Chapitre  était  en  cours 
de  représentations  au  théâtre,  lorsque  surgit  le  conflit.  Léon 
Laya  autorisa  d'abord  les  directeurs  à  continuer  les  repré- 
sentations. M;ii>  bientôt,  menacé  par  ses  confrères  dune 
amende  de  6,000  francs,  et  d'un  procès,  il  se  rendit  à  la 
Commission,  et  signifia  défense  de  jouer  sa  pièce. 

Les  rebelles  ne  se  découragèrent  pourtant  pas.  Ils  pén- 
sèrenl  h  créer  une  agence,  faisant  concurrence  aux  agences 
de  la  Société  :  ils  trouvèrent,  parait-il,  jusqu'à  quatre  cents 
correspondants  en  province;  mais  la  Société  en  avait  six 
cents  «  sa  disposition,  et  elle  intima  défense  à  ces  intrus  de 
percevoir  les  d  roits  d'auteur. 

De  guerre  lasse,  \l\l.  Poirson  et  Cerfbeer  se  retournèrent 

contre  la  Commission,  représentée  par  Victor  Hugo,  Dupaty, 

nnery,  Halév}  el  autres  :  ils  l'assignèrenl  devant  le  Iri- 

bunaJ  civil,  alléguant   qu'elle  ne   pouvait   leur   refuser   un 

éophile  Gautier,  L'art  dramatique  en   France  depuis  vingt  cinq  ans. 
•■•lit-,  page  261. 


LA    RÉSKTANl  I     a    Là'  SO  il  il' 

traité,  et  lui  réclamant  <l«i  ce  chef  60,000  francs  de  dom- 
mages-intérêts. C'était,  avani  la  lettre,  I"  procès  de  MM    I. 
«'I  Richemond  contre  la  Société. 

M"'  Chaix  d'Esl  Ange,  qui  soutint  devant  le  tribunal  civil 
les  revendications  des  directeurs,  ouvrit  la  discussion  par 
une  déclaration  des  plus  solennelles  : 

k  Nous  venons  soumettre  a  votre  examen,  disait-il  aux 
magistrats,  une  question  <|ni  intéresse  à  la  t<>i^  l'honneur 
des  lettres  et  la  liberté  de  l'industrie.  La  résoudre  contre 
nous.  <•»>  ne  sérail  pas  seulement  prononcer  l'asservi ssemenl 
des  entreprises  théâtrales,  ce  sérail  en  même  t  «  - 1 1 1  j  >-  préparer 
au  commerce  des  entraves,  contre  lesquelles  immI.--i.-hI  les 
principes  de  la  loi,  les  enseignements  de  la  jurispruder 
et  toutes  les  règles  enfin  <l<'  I;»  science  économique 

C'est  toujours  l'accusation  d'atteinte  portée  a  la  liberté  <lu 
travail,  atteinte  qui  devient,  pour  les  besoins  «lu  procès,  la 
cause  d'une  véritable  perturbation  économique. 

Le  célèbre  avocal  rappela  fort  habilement  l'historique  de 
la  Société,  au  <l<;l>ul  •  association  timide,  incertaine,  qui 
faisait  peu  de  bruit  dans  le  monde  .  bientôt  -  Ive,  et 
qui  aurait  pu  prendre  pour  devise  «tl l<*  de  son  fondateur, 
Beaumarchais  :  -  Ma  vie  <i-l  un  combat 

Sou   règne   ne   s'était   établi   que   par  la    force      sur  les 
auteurs,  qui  avaient   signé  a  leur  corps  défendant,  et  pour 
continuer  à  bénéficier  des  agences  accaparées     sur  les  din 
leurs,  qui  n'avaient  accepté  ses  traités  que  le  couteau  sui 
gorge.  L'avocat  produisait,  à  l'appui  de  ses  dires,  une  attes 

tion   de  contrainte   f nie   par  les  directeurs  de  I  U 

Comique,  du   Palais-Royal,  de  la  Porte  Saint  Martin,  de  la 
Gaîté,  de  l'Ambigu,  des  Folies  Dramatiques.  Pléh 
posant  contre  la  confédération  des  auteurs. 

Les  clauses  des  traités  généraux,   pas  plus  que  oelle* 


',  M)  CHAPITRE   VIII 

pacte  social,  n'échappèrent  à  La  critique  hostile  de  M*  Chaix 
d'Est  Ange  :  il  s'en  pril  aux  droits  perçus  sur  le  domaine 
public,  aux  billets  d'auteur,  dont  le  rétablissement  exigé  lui 
cause  de  la  rupture  des  relations  avec  le  Gymnase  :  il  conclut 
en  demandant  la  nullité  de  la  Société,  comme  contraire  aux 
lois  et  ;>  l'ordre  public.  Elle  violail  le  principe  de  libre 
concurrence,  que  Turgot  avait  cherche  à  Paire  prédominer, 
et  que  la  Révolution  avait  proclamé.  Elle  tombait  sous  le 
coup  d'un  arrêt  rendu  en  1826  contre  des  marchands  de 
porcelaine,  qui  s'étaient  concertés  pour  faire  la  loi  sur  le 
marché,  et  dont  l'entente  avait  été  déclarée  illicite. 

Les  auteurs  s'indigneront,  à  la  pensée  d'être  comparés  à 
des  marchands.  Mais  l'avocat  n'en  avait  cure  : 

Que  vous  gardiez  d'abord,  leur  disait-il,  votre  gloire  à 
l'Institut,  et  le  bruit  des  applaudissements  qui  vous  enivrent, 
je  le  conçois  :  mais  vous  voulez  aussi  une  autre  monnaie 
pour  I»'  prix  de  vos  œuvres.  Vous  en  voulez  beaucoup.  Vous 
ne  vous  perdez  pas  dans  les  nuages  de  la  gloire,  et  dans  les 
vapeurs  de  l'imagination.  Vous  descendez  souvent  sur  la 
terre,  et  alors  vous  êtes  ^(^  gens  très  positifs  ». 

Les  œuvres  de  l'esprit  sont  donc  une  marchandise  tout 
comme  le  grain,  le  blé,  on  la  viande  :  le  législateur  n'a  pu 
s'en  désintéresser,  et  il  est  interdit  à  ceux  qui  en  font  com- 
merce, d'en  fausser  arbitrairement  les  cours. 

\|  Dupin,  chargé  de  la  défense  de  la  Société' des  Ailleurs, 
présenta  les  choses  sous  des  couleurs  bien  différentes  :  on 
parlait  de  coalition,  pouvait-on  appeler  «le  ce  nom  la  ligue 
des  petits  contre  les  puissants,  *\*k>  pauvres  contre  les  riches? 
I      S  'était  fondée  pour  faire  rendre  justice  aux  écri- 

as, pour  remédier  à  de  multiples  abus.  Les  directeurs 
n'avaient  il-  pac  auparavant  -  les  billets  donnés,  ou  censés 
donnés,  cju'pq  vend  :  lei  loges  données  &  ta  fa,mil)ç  et  aux 


LA    RÉSISTANCE   A    LA    S  \\\ 

ami-,  el  qu'on  vend,  sans  que    les  actionnaires,    les  hôpi- 
taux, les  auteurs,  y  prélèvenl  rien 

La  Société,  disait-on,   avail   mis  la  main  sur  les  agen 
«  Mais  je  suppose,  disait  Me  Dupin,  une  entreprise  commer- 
ciale ayant   des   commis  voyageurs   dans   les   villes,   ayanl 
annoncé  partoul  que  quiconque  ne  sérail  pas  de  la  soci< 
ne  pourrait  se  servir  de  ses  commis  voyageurs.   Sera-t-on 
admis  à  dire  :  Vous  faites  là  une  coalition  .' 

La  Société  avait,  comme  ressource  suprême,  contre  les 
administrations  théâtrales,  La  mise  à  l'interdit.  M 
qu'était-ce  »|in'  cette  vengeance,  sinon  la  condition  résolu- 
toire prévue  par  L'article  L18I  du  Code  civil?  Les  auteurs 
associés  retirent  leur  répertoire,  tout  comme  pourraienl  le 
faire  d<^  autours  étrangers  à  L'association. 

Quanl  à  assimiler  les  auteurs   dramatiques  à  des   mar- 
chands de  porcelaine,  c'était  déraisonner. 

«  Oui,  sans  doute,  s'écriait  I»1  défenseur  d<i  I  S  iété, 
dans  une  éloquente  péroraison,  on  ne  peut  contester  qu'un 
homme  de  lettres,  qui  consume  sa  vie  dans  les  travaux  litl 
raires,  qui  concourt  à  la  gloire  <il  à  l'illustration  du  pays, 
ne  doive  \  attacher  une  noble  <il  honorable  rétribution. 
Mais  L'homme  de  Lettres,  <|ui  reçoit  une  rétribution  pour  ses 
travaux,  n<i  reçoit  pas  plus  l<i  salaire  d'une  marchand i 
que  vous  m»  recevez  le  salaire  de  vos  paroles  en  venant 
défendre   ses  droits.  Vous   recevez  les    honoraires   de    vos 

soins    ». 

Qu'aurait  dit  L'honorable  avocat,   s'il   avait  entendu, 
temps  derniers,   des  gens  téméraires  assimiler  à  un  salaire 
les  émoluments  du  barreau  ? 

Le  tribunal  u'en  approuva   pas  i is  ses  conclus 

rejeta  La  demande  de  Poirson  et  Cerfbeer,  estimant  que  Le 
syndical  des  auteurs  n'pffrait  aucun  d< 


4  tô  CHAPITRE    VIII 

dition,  el  n'était  qu'une  assurance  mutuelle  entre  les 
signataires,  pour  l'exécution  de  traités  librement  consentis 
avec  les  directeurs,  el  pour  la  perception  des  droits  d'au- 
teur. 

Les  directeurs  condamnés  en  appelèrent,  mais  ils  n'eurent 
pas  plus  ilf  succès  au  second  degré  (1). 

Pendant  que   se  déroulaient  les   péripéties  judiciaires  de 

duel  dramatique,  le  Gymnase  continuait  à  lutter  contre 
la  mauvaise  chance  «j  u  i  le  poursuivait. 

Après  Le  premier  Chapitre,  de  Léon  Laya,  on  avait  vu  sur 
l'affiche  Taima  ru  congé,  de  Biéville  :  ces  deux  pièces, 
remarque  Théophile  Gautier,  représentent  12,000  francs  de 
dédit,  el  ae  les  valenl  pas  (2). 

En   septembre    1812,  Fournier,    autre    transfuge,    donne 

Céline  ou  la  Famille  de  f  absent,  pièce  qui  dut  surtout  d'être 

utée  à  Rose-Chéri. 

Ses  beaux  yeux,  écrit  Théophile  Gautier,  feront  plus  de 

tort    à    l'association    des    auteurs,   que   les   vaudevilles   de 

M.  Pournier      3  . 

Dès  octobre,  Laya  et  Fournier  ayant  abandonné  les  mal- 
heureux directeurs,  ils  ne  jouent  plus  que  des  inconnus  : 
entre  autres,  M.  Jules  <!•■  Prévaray,  celui-là  peut-être,  dit  le 
critique,  qui  demande,  dans  les  Petites  Affiches  <<  un  colla- 
borateur  de  bonne  famille  pour  faire  ensemble  de  jolis 
vaudevilles  .  Il  q 'apporte  au  Gymnase  en  détresse  qu'une 
pièce      traitée  déjà  par  sept  ou  huit  faiseurs»  (i). 

Nous  avons  parlé  de  l'appel  retentissant  que  le  Gymnase, 


i    Tribunal    <i\ii   de  la   Seine,   30  décembre   1842,  Gazette  des  tribunaux, 
ur  de   Paris,   "    novembre    1843,   Gazette  des  tribunaux, 

'  i  mtier,  <hi<i , 

/'    ; 


LA    RÉSI8TANC1     a    LA    - 

aux  abois,  lança  aux  jeunes  auteurs,  appelant  à  son  secours 
les  écrivains  abandonnés  du  ciel  ri  de  la  terre  :  nous  avons 
vu  ce  théâtre  mourant  d'inanition,  dans  l'abondance  des 
manuscrits. 

!)»>-  septembre  1843,  il   ne    trouve  plus  rien  à    jouer,  l 
désespoir  «le  cause,  il  veul  tàter  d'un  vaudeville,  qui  eul  son 
jour  de  gloire  quelque  quarante  ans  auparavant  :  cette  pi< 
in*  parvient  pas  à  dérider  les   spectateurs.    De  guerre  la 
Poirson    céda    le    Gymnase   à    Montign)    :    bientôt   Scribe 
rentra,  en  maître,  sur  la  scène  soumise,  avec  Les  Surpn 

Mais,  avant  d'abdiquer,  M.  Poirson  se  v<    s      de  la  Com- 
mission par  une  lette  curieuse,  <d  dont    les  termes  ne  s 

semblent  nullement  démodés  : 
••   Messieurs, 

«  Puisqu'il  reste  démontré  désormais,  après  tant  d'épreuves 
successives,  «| u«i  l'association  des  Auteurs  dramatiques   n'a 
pas  un  pouvoir  exorbitant,  que  les   théâtres   -<»nl   libres  de 
ne  pas  recevoir  se»  conditions,  quelles  qu'elles  soient  :  «pil- 
les auteurs  ne  sont    pas  contraints  d'en   faire  partie,   sous 
peine    d'être    ruinés;    que    MM.     Fournier,    Paul     Dupont 
auteurs  <jui  protestaient  contre   l'attitude  de  l'association 
et  d'autres  malhonnêtes  gens,  \  sont  entrés  volontairement, 
d  y  demeurent  de  leur  plein  gré  :   qu'elle  ne  confisque  | 
en  dépit  de  la  loi.  le  domaine  public  ;  que  c'est  le  Gymn 
qui,  en  1830,  faisait  vendre    l<'-  billets,  dont  il  poursuivait 
énergiquement   le   trafic;   que  c'est   me'    simple  assurai 
mutuelle,  à  laquelle  on  est  seulement  forcé  de  se  faire  assui 
que  c'est  moi  qui  ai    rompu  !•■  bail  de  trois,    six,  neuf,  que 
j'avais  sollicité;  que  j'avais  voulu,  tout    en   les  aii( 
réellement^  diminuer  les  honoraires  des  gens  de  lettres,  ma 
confrères  :  qu'entre  l«i-  deux  adversaires,  le  plu-  fort,  dei 
nécessairement  être  présumé  opprimé   pai    le  plu-  faibli 


i  (  l  CHAPITRE    VIII 

droit  avant  toul  à  protection;  e1  qu'enfin  la  terre  ne  tourne 
pas  :  il  y  aurait  obstination  à  persister  encore,  après  tant 
d'éloquents  plaidoyers,  et,  quoique  je  n'aie  soulevé,  pendant 
une  administration  de  vingt-trois  .années,  que  cette  seule 
discussion,  je  crains  le  reproche  d'entêtement.  11  m'importe 
dune  qu'on  sache  que  je  me  déclare  bien  édifié,  et  que 
j'accepterais  >ans  doute,  aussi  librement  que  par  le  passé, 
les  traîtres  de  l'Association,  si  d'ici  à  peu  de  jours,  je  ne 
devais  résigner  mes  fonctions,  et  laisser  à  mon  successeur 
I»-  mérite  d'une  soumission  tout  à  fait  spontanée. 
Recevez,  etc..  »  (1). 

Sur  le   différend   entre  le   (iymnase  et  la  Société,  s'était 

Bfé   un    incident   entre   la  Commission    et  M.  Fournier, 

auteur   attaché    à    la    direction,    qui    avait   pris   parti    pour 

celle-ci.  Nous   avons  eu   l'occasion  de   signaler  ce  contlit  ; 

rappelons  que   !<'  tribunal   n'hésita  pas  à  déclarer  l'auteur 

iiétaire  malgré  lui,  et  à  affirmer  qu'il  ne  pouvait  s'affran- 
chir de  [a  protection  de  la  Société. 


En  1859,  des  difficultés  s'élevèrent  entre  la  Société  des 
Auteurs  et  le  directeur  du  théâtre  Beaumarchais,  M.  Bar- 
tholy,  au  sujet  du  renouvellement  de  leurs  conventions. 
M.  Bartholy,  qui  se  trouvait  momentanément  suis  trait»', 
ii  en  prétendit  pas  moins  continuel'  ;i  jouer  Polder,  un  mélo- 
drame de  Pixérécourt  et  Victor-Ducange,  membres  de  l'as- 
îation.  C'était  un*'  prétention  tout  à  fait  injustifiée,  que 
!«•  tribunal  repoussa    il  . 

La  Ci  tnmission  m*  se  borna  pas  à  ce  premier  succès.  Elle 


\lmnauXy  11  décembre  i 

î     1  ].'   ,-\     |'i    jujllet    I    Wt    '"'    '■'/r  fff*    Inhumai  /-. 


LA    RESISTANCE    \    l.\    SOCIÉTÉ 


i  i.i 


poursuivit  en  justice  deux  sociétaires,  qui,  sans  tenir  compte 
de  la  mise  en  interdit  qui  avait  frappe  le  théâtre  Beau  m 
chais,   avaient  laissé  jouer  sur  cette  scène  deui  pièces   de 

leur  composition  :    Gourdon  de   Ge lillac,   auteur   de  la 

Banlieue  de  Paris^  ei  Lapointe,  auteur  de  la  Jeunesse  de 
Franklin.  Ce  dernier  fut  d'ailleurs  mis  hors  de  cause  par  le 
tribunal,  comme  ayanl  cédé  à  un  collaborateur  la  propriété 
de  sa  pièce    I  . 

Quelques  années  plus  tard,  un  procès  plus  retentissant 
donnail  encore  au  public  l«i  spectacle  fâcheux  d'auteurs  en 
lutte  contre   la  Société. 

Nous  avons  raconté  plus  haut  les  incidents  d'adminis- 
tration intérieure,  qui  jetèrenl  le  trouble  dans  l'association, 
et  qui  firent  se  dresser,  en  face  de  la  Commission  statutaire, 
un  comité  insurrectionnel;  ce  comité,  qui  levail  l'étendard 
de  la  révolte,  se  réclamait  de  noms  glorieux  :  M.  Maquet, 
ex-président  de  la  Commission,  <jni  poursuivait,  ''ii  1861, 
au  nom  de  la  Société,  certains  auteurs  réfractaires  :  Legom 
Emile  Augier,  Labiche,  ei  La}  a. 

Ces  sociétaires  mécontents  songeaient  à  fonder  uni 
ciation  rivale  «pii    lût   vraiment   l'image  de  la   liberté  :  ils 
voulaient  la  suppression  des  agences,  trop  puissantes  à  leur 
gré,  le  droit  pour  les  auteurs  de  >«'  retirer,  à  toul  moment,  du 
syndicat.   Le  tribunal  civil  refréna  ces  velléités  d'indép< 
dance,  el  les  rejeta,   malgré  <'m\.  dans  les  rangs  de  la  S 

cirlr      2    . 

Cette   tentative  de  scission    n'en   souleva   pas  moins  une 
vive  émotion    dans    l<i    public;    la    verve   des   journalisl 
s'exerça  aux  dépens  de  la  Société.  Dans  V Opinion  n 


I    Tribunal  civil  de  la  Seine,  I     ni  u 

i   Tribunal  civil  de   la  Seim    28  juilh  I    L  el  II 

bunaux.  5  •■!  I-  août. 


146  CHAPITRE  VIII 

Sarcey  portait,  contre  ses  statuts  et  sa  politique,  un  juge* 
ment  des  plus  sévères  (1). 

Le  principe  même  de  L'association,  l'égalité  dans  la  rétri- 
bution, lui  apparaissait  comme  absurde  : 

In  méchant  tailleur,  disait-il  à  ce  propos,  n'exige  pas, 
(I.'  ses  habits,  le  même  prix  qu'Alfred.  Gallimard  ne  vend 
passes  tableaux  comme  Baudry;  Tartempion  écrit  à  raison 
.1.'  trois  centimes  In  ligne,  qu'on  paie  dix  sous  à  Dumas  ou 

Vbout.  L'égalité  des  salaires...  est  une  monstrueuse  niai- 
serie  ». 

Quand  on  violente  la  nature,  elle  se  retourne  contre  vous. 
\ussi  l,i  Société  a  eu  beau  voter  un  tarif  égal  pour  tous, 
cela  Q'empêche  pas  beaucoup  de  ses  membres  de  renoncer, 
à  L'occasion,  à  tout  ou  partie  de  leurs  droits.  Sarcey  citait 
cel  aveu  plaisant  fait  par  un  jeune  auteur,  impatient  de  voir 
son  nom  sur  L'affiche  : 

Enfin,  monsieur,  dévoré  de  La  rage  d'être  joué,  de  me 
faire  un  nom.  j'en  vins  à  proposer  au  directeur  de  prendre 
ma  pièce  pour  rien.  Il  me  mit  à  la  porte,  en  me  traitant 
de  malhonnête  homme.  Voilà  deux  ans;  j'ai  bien  souvent 
réfléchi  ;<  ma  proposition,  je  ne  suis  pas  encore  parvenu  à 
bout  de  découvrir  <•«'  qu'elle  avait  de  malhonnête  ». 

Mais,  -i    l<--    inconnus   sont   mis   à    In    porte,    les    auteurs 

connus,  que  l'on  écoute,  ne  restent  pas  étrangers  à  <'<'seom- 
binaisons.  De  sorte  que  «  les  puissants  s'affranchissent  des 
lois  dont  M-  s'arment  pour  repousser  les  faibles». 

La  vérité  <•-!  que  La  plupart  «les  directeurs  ont,  avec  Les 
-  arrivés,  ou  avec  les  hommes  d'affaires  de  In  Littérature, 

traités  secrets,  en  désaccord  formel  avec  In  loi  que  les 
>m-  oui  pu»'  <!<■  faire  observer,  que  les  ;iulr<'s  sont  chargés 


►,12    I')  décembre  18G4. 


LA   RÉSISTANCE  A    La    80<  h  i  i 

de  faire  observer,  et  que  les  débutants  vont  incessammenl 
se  briser  la  tête  contre  ces  ligues,  d  autan!  plus  fortes  quelles 
sont  insaisissables,  el  que  tout  le  monde  les  nie 

Sarcey  observaii  que,  depuis  une  vingtaine  dam 5,  les 

jeunes  avaienl  été  systématiquement  écartés  de  la  plu  pari 
des  théâtres,  et  surtout  des  théâtres  de  drame.  Sans  doute 
quelques-uns  avaient-ils  du  talent. 

Eu  réalité,  la  Société  a  fait  son  temps  :  elle  ne  doit 
survivre,  sinon  comme  agence  financière,  à  l'Ancien  Régime, 
qui  a  provoqué  sa  formation. 

«  On  n'en  sent  plus  aujourd'hui  que  l'insupportable 
t\ -mimique  domination.  Les  débutants,  qui  veulent  \  entrer, 
croyant  trouver  une  protection,  sont  écrasés,  anéantis  par 
elle,  deux  qui  se  tiennent  en  dehors  la  rencontrent  partout, 
barrant  le  passage.  Elle  a  desséché  tous  les  théâtres  que 
main  a  touchés.  L'art  étouffe  sous  cette  réglementation, 
aussi  absurde  que  celles  «I»'-  jurandes  au  moyen  âge 

Dans  un  opuscule  intéressant,  publié  sous  forme  de  dia- 
logue entre  un  «  mécontent  »  et  un  satisfait  .  M.  Arthur 
Arnould  arrivait  à  la  même  conclusion.  Il  traçait  de  I  avenir 
de  l'art  dramatique  le  tableau  le  plus  sombre  I  ,  \  son  avis, 
la  liberté  des  théâtres  n'avait  réalisé  aucune  des  espéran 
qu'on  fondait  sur  elle,  dans  le  monde  des  lettres,  pai 
qu'elle   s'était  heurtée  au    monopole  de   la   Sociél  la 

faute  de  cette  association,  il  est  presque   impossible    <    un 
jeune  «le  se  faire  jour.  Le  théâtre  est  accapan    parquelqu 
privilégiés,  toujours  les  mêmes. 

«  Ainsi  il  n'est  pas  rare  de  voir  un  seul  auteu  ou 

sans  collaborateurs  et  ces  collaborateurs  eux-mêmes  sont 
inamovibles  .  donner  I»'  même  soir  deux  drames,  I  un  ■  •  la 


1    l.n  liberté  des    Théâtre*  et  t'A 
Arthur  Arnould.  Paris.  Librairie  du  1 


448  CHAPITRE   VIII 

Porte  Saint-Martin,  l'autre  à  la  Gaité,  trois  ou  quatre  vaude- 
villes, aux  Variétés  et  au  Palais-Royal,  une  comédie  au 
Gymnase,  une  féerie  ou  une  pièce  militaire  au  Ghâtelet, 
enfin  un  libretto  d'opéra-comique  à  la  salle  Favart.  De  telle 
sorte,  qu'après  avoir  pleuré  avec  X...  et  Cie,  c'est  avec  X... 
et  Ci(>  qu'on  va  rire,  puis  encore  avec  X...  et  Gk>  qu'on  va 
applaudir  les  prouesses  de  nos  héroïques  soldats...  ». 

Donc  le  théâtre  ne  se  renouvelle  pas,  alors  que  les  revues 
et  les  journaux  révèlent  chaque  jour  de  nouveaux  noms. 
Pourquoi?  Parce  que  toute  pièce  montée  représente  une  mise 
financière  considérable  :  pour  que  le  directeur  la  retrouve, 
il  lui  faut  cinquante  ou  cent  représentations  assurées.  11  a 
toutes  chances  de  les  avoir,  en  s'adressant  à  Fauteur  en 
vogue,  connaissant  à  fond  les  ressources  du  théâtre  inté- 
ressé, les  goûts  de  sa  clientèle.  Avec  un  débutant,  il  se  jette 
dans  l'inconnu,  peut-être  dans  la  faillite.  Pourquoi  courir  ce 
risque  énorme,  alors  qu'il  doit  payer  autant  Fun  que  l'autre? 
en  faisant  de  cette  obligation  son  principe  d'action,  la  Société 
n'a  donc  fait  qu'accroître,  pour  les  jeunes,  la  difficulté  qu'ils 
rencontrent  déjà,  par  la  force  des  choses,  à  se  faire  jouer. 

Les  jeunes  ne  sont  pas  les  seules  victimes  d'une  situation 
aussi  anormale  :  l'art  dramatique  lui-même  en  souffre, 
accaparé  par  des  faiseurs  qui  servent  au  public  toujours  le 
même  plat.  Un  autre  mal  assure  d'ailleurs,  de  génération 
en  génération,  la  continuité  des  mêmes  procédés  :  c'est  la 
collaboration.  Le  dramaturge  connu  appelle  à  son  aide  le 
débutant,  lui  impose  sa  manière,  et,  moyennant  les  trois 
quarts  ou  l;i  totalité  des  droits  d'auteur,  signe  avec  lui.  11  y 
a  un  ouvrier  de  plus,  mais  c'est  toujours  le  même  atelier 
qui  fonctionne. 

Comme  remède  aux  abus  signalés,  l'auteur  de  l'opuscule 
proposait  une  association  rivale,  ouverte  à  tous  les  débutants, 


LA    RÉSISTANCE    A    LA    SOCIÉTÉ  440 

leur  facilitant  des  débouchés,  en  garantissant  les  directions 
contre  les  chances  d'insuccès.  Plus  de  tarifs  :  chacun  débat- 
trait librement  le  prix  de  son  œuvre.  En  outre,  et  pour  pro- 
téger ses  membres  contre  les  refus  injustifiés,  l'association 
ferait,  au  besoin,  un  appel  à  l'opinion,  en  organisant  des 
lectures  et  des  représentations  publiques. 

De  la  sorte  les  jeunes  verraient  tomber  ton  les  les  barrières 
qui,  jusqu'alors,  leur  ont  fermé  l'accès  de  La  plupart  des 
scènes  :  obstacles  naturels  —  résultant  des  nécessités  finan- 
cières dans  lesquelles  se  débattent  les  théâtres  ;  obstacles 
artificiels  —  élevés  par  la  Société  des  Auteurs. 


Le  projet  était  généreux,  autant  que  chimérique.  La  Société 
des  Auteurs  ne  s'en  montra  pas  moins  émue  des  attaques 
dont  elle  était  l'objet.  Aussi,  quelques  années  plus  lard, 
lorsqu'elle  poursuivit  en  justice  M.  Moreau-Sainti,  directeur 
des  Folies-Dramatiques,  coupable  de  collusion  avec  deux 
écrivains  qui  s'étaient  dépouillés  de  leurs  droits  (railleur, 
elle  saisit  cette  occasion  de  se  disculper  auprès  du  public. 
Me  Chaudey,  chargé  de  la  défense  «le  ses  intérêts,  présenta 
l'association  comme  une  institution  vraiment  démocratique, 
donnant  l'exemple  «  «l'une  résistance  légalement  organisée 
du  travail  contre  La  domination  de  l'argent  ». 

Les  temps  étaient  changés.  La  Société,  qui  se  défendait 
autrefois  de  constituer  une  corporation,  tenait  aujourd'hui 
à  honneur  de  paraître  participer  nu  mouvement  syndicaliste 
naissant.  Et  les  dramaturges,  qui  s'indignaient  jadis,  à  La 
pensée  qu'on  pùl  les  comparer  à  des  marchands  de  porce- 
laine, se  réclamaient  de  leurs  confrères  en  travail,  les  typo- 
graphes, les  menuisiers,  les  tailleurs  de  pierre,  etc...  C'est  à 


CHAPITRE    VIII 

titre  d'ailleurs,  que  la  Société  eul  plus  tard  L'approbation 
du  socialisme. 

Les  auteurs  dramatiques,  inconsciemment  sans  doute, 
dépassent  la  classe  ouvrière,  el  lui  donnent  un  précieux 
exemple  qui  ne  sera  pas  perdu.  Le  trust  des  auteurs  drama- 
tiques a  trouvé  la  formule  du  contrat  collectif  »  (1). 

La  Société  opprime-t-elle   les  faibles?  disait  Me  Chaudey. 

^i  nu  contraire  dans  leur  intérêt  quelle  s'est  fondée,  et 
pour  leur  assurer  des  avantages,  jusqu'alors  réservés  aux 
forts.  Etablit-elle  une  égalité  dans  le  salaire,  qui  serait  contre 
nature,  dans  un  domaine  où  le  talent  fait  tout?  Non  :  elle 
se  contente  de  proportionner  pour  tous,  dans  la  même  me- 
sure, la  rémunération  au  bénéfice  des  directeurs  ;  mais 
l'importance  «le  la  rétribution  variera  naturellement  suivant 
le  succès  obtenu  (2). 

A  partir  de  L870,  la  Société  des  Auteurs,  après  les  agila- 
tions,  I»'-  querelles  qui  avaient  menacé  son  existence,  eut 
une  Longue  période  de  calme  et  de  recueillement.  Ouelques 
incidents  surgirent  :  mais  les  directeurs,  découragés  sans 
doute  par  leurs  tentatives  infructueuses,  ou  résignés  à  leur 
-Mil.  semblaient  renoncer  à  conspirer  contre  ses  jours. 
\ccalmie  trompeuse  :  car  soudain,  sur  L'horizon  tranquille; 
un  orage  s'éleva,  qui  faillit  emporter  la  maison  des  auteurs. 
lui  pour  Les  dramaturges  une  crise  d'autant  plus  grave, 
qu'elle  lui  insidieuse  :  il  ne  s'agissait  plus  d'un  directeur 
menacé  de  charges  nouvelles,  <d  acculé,  par  une  brusque 
rupture  des  relations,  ;•  une  résistance  désespérée.  En  pleine 
paix,]    S  trouvait,  en  face  d'elle,  des  adversaires  puis- 

/  Humanité   numéro  du  '<  mai  1904. 

-     '  iH~n.  pages  no  ci  suivantes  ;  Gazette  des  Tribuiiauj,  29  août 


LA    RÉ8ISTAN4  l     \    L\    SOdÉT! 

sants,  assurés,  dans  le  camp  même  des  auteurs,  de  sympa- 
thies avouées,  el  préparant,  sans  \  Iolence,  la  réalisation  d  un 
programme  mûrement  délibéré. 

A  la  date  du  28  novembre  1901,  une  société  en  corn  m  m 
dite  était  formée,  réunissant,  sous  une  même  administration 
financière,  les  deux  théâtres  des  Polies-Dramatiques  et  de 
l'Athénée,  dirigés  avec  succès  par  M.  Richemond  el  par  M. 
Deval.  Bientôt  les  opérations  de  cette  société  s'étendaient. 
En  son  nom.  M.  Roy,  banquier,  achetai  1  I.-  droit  au  bail  <!«• 
la  scène  des  Bouffes-Parisiens,  se  promettant  de  conjurer  l<i 
sort  qui  semble  vouer  ce  théâtre  à  la  déconfiture. 

Le  13  novembre  1901,  il  se  présentait  à  la  rue  liippolyte- 
Lebas,  demandant  un  traité,  comme  futur  directeur  de  «■'•! 
établissement.  Il  se  disait  d'ailleurs  libre  d'attai  le--  avec  les 
administrations  de  l'Athénée  et  des  Folies-Dramatiqui 

Cependant  la  Commission  avait  quelques  doutes  sur  son 
indépendance  financière.  Aussi  lui  lit-elle  subir  un  véritable 
Interrogatoire  : 

«   11  me  tut  posé  par  tous  les  membres  composant    cette 
Commission,  raconte  M.   Roy,    nu»'  quantité  de  « 1 1 1 «*-i i * > n - . 
parmi  lesquelles  celle-ci  de  M.   le  Président         I   >nnaissea 
vous  MM.  Deval  et  Richemond?         Oui,    beaucoup  répon 
dis-je     .  —  Aussitôt  dix  voix  s'élèvent,  m'imposent   toutes 
sortes  *\r   conditions  pour  obtenir  l<"  traité,  et  entre  auti 
celle-ci  :  «  Nous  m-  prendrez  aucun  artiste  d.-  I  Vthénée  el 
des  Folies-Dramatiques.    Vous  n'emprunterez  aucun  d. 
auxdits  théâtres.  Nous   vous  défendons  d.-  prendre  conseil 
m  de  M.  Richemond,  m  d.-  M.  \)r\;A       Quand  le  calme 
rétablit,  M.  Pierre  Wolff  ajoute  :     Nous  ne  vous  emp 
pas  pourtant  de  dîner  quelquefois  avec  vos  amis 

[i]  U  Temps,  :  a    . 


pas  pou 

1.   Le  T 


|52  CHAPITRE    VIII 

Bientôt  la  Commission  connut,  au  moins  dans  ses  grandes 
lignes,  le  plan  de  campagne  grâce  auquel  une  société  finan- 
cière  se  proposait  d'accaparer  trois  scènes  importantes.  Le 
danger  parul  Imminent.  Elle  refusa  de  traiter  avec  M.  Roy. 

C'était  un  échec  sensible  pour  les  directeurs  associés.  Ils 
voulurenl  être  fixés  de  suite  sur  l'étendue  du  désastre  : 
M.  Richemond,  directeur  des  Folies-Dramatiques,  demanda 
a  la  Commission  si  son  traité,  qui  expirait  le  31  août  1904, 
lui  serait  renouvelé;  ajournant  toute  réponse,  cette  assem- 
blée  lui  lit  savoir  que  la  question  ne  pourrait  être  examinée 
qu'au  cours  de  Tannée  suivante,  par  une  nouvelle  Commis- 
sion. 

Les  adversaires  étaient  lixés.  Ils  prirent  les  devants.  Le 
26  novembre  1(.H):{,  M.  Roy  assignait  la  Commission  en 
paiement  de  cent  mille  francs  de  dommages-intérêts,  pour 
refus  de  traité  aux  Bouffes-Parisiens. 

La  rupture  était  consommée.  La  Société  des  Auteurs 
•  •il  était-elle  responsable?  Ltail-ce  par  caprice,  par  mauvaise 
volonté,  qu'elle  ;ivail  renoncé  de  traiter  avec  M.  Roy,  et 
qu'elle  avait  marqué  son  intention  de  mettre  fin  à  l'union 
de  l'Athénée  et  dés  Folies-Dramatiques?  On  l'a  prétendu. 
La  Société,  a-t-on  dit,  est  partie  <m  guerre  mal  à  propos. 
Elle  s'est  battue  contre  des  moulins;  ellle  a  pris  pour  un 
trust  effrayanl  une  innocente  combinaison  financière,  per- 
mettant a  des  théâtres,  éprouvés  par  l'adversité,  d'équi- 
librer plus  aisémenl  leur  budget. 

i  pour  les  besoins  de  la  cause,  a-t-on  dit  <mssi,  que 
la  Commission  a  in\<'nlé  cette  règle,  qui  n'es!  inscrite  nulle 
pari  dans  les  statuts,  que  deux  établissements  ne  sauraient 
être  i  * •  1 1  ii  i  -  dans  la  même  main. 

En  réalité,  il  \  avait  des  précédents,  de  date  récente.  Il  v 
a  une  dizaine  d'années,   MM.   Porel  <•!   Carré,  directeurs  du 


LA    RÉSISTANCE   A    LA    S 

Vaudeville,  s'emparèrent  du  Gymnase,  donl  M.  Porel  pril  la 
direction.  Il-  se  promettaient  de  supprimer  ainsi  la  rivalité 
qui  a  toujours  existé  entre  ces  deux  scènes  voisines.  Mais  le 
but  fut  dépassé  :  avec  l'émulation,  disparu!  la  concurren 
La  Société,  constatant  les  piètres  résultats  de  l'opération, 
les  inconvénients  que  de  telles  combinaisons  présentaient 
pour  les  auteurs  et  pour  les  artistes,  décida,  en  1898,  de  ne 
plus  traiter  pour  doux  théâtres  avec  un  même  directeur  I 
Elle  eut  l'occasion  de  montrer   ses  intentions  à  cet  égard 

lorsque,  l'année  suivante,  il  s'agil  de  nommer  un  iveau 

directeur  .-i  l'Opéra-Comique.  La  Commission  favorisa  la 
nomination  de  M.  Carré  :  solution  élégante,  qui  brisait  le 
trnsl  à  peint'  éclos. 

Sans  doute,  la  Société  se  montrait  moins  intolérante  ['"iu- 
les music-halls,  <it  il  n'était  \n\>  exceptionnel  de  voir  deui 
ou  trois  de  ces  établissements  placés  sous  la  même  direction. 
On  cite    même  M.    Ruez,  qui    détint    un    moment   avec    la 
Fourmi    et    la    Comédie-Mondaine,    Parisiana,    Printan 
l'Olympia,  et  les  Folies-Bergère.  Mais  la  Société  ne  pouvait 
se  montrer  aussi  exigeante  pour  des  scènes  où  sa  perception 
ne  s'était  pas  établie  sans  difficultés,   et   que  son  intransi 
geance  lui  eût  peut-être   aliénées,   routefois,   lorsque    MM 
Isola,  en  l!>o:{.  s'établirent  à  la  Gaîté,  la  Commission» 
<|imIs  abandonnassent  un  i\*>>  deux  music-halls  «jn  il-  déte 
naient.  Et,  comme  il  n'est  pas  de  faveur,  à  la  Société,  qui 
ne  se  paie,  MM.  Isola  acceptèrent  de  verser  12  0  (|.  pour  les 
pièces  nom  elles,  au  lieu  de  H*  n  (|  2 

En  refusant  un  traité  à  M.  Roy,  affilié  h  l'Athénée  et 
Polies-Dramatiques,  la  Société  n'innovait  donc  pas    elle 
conformait  à  une  jurisprudence  bien  établie 

l    Annuaire  /v/\.  \ 
2)  A 


154  CHAPITRE    VIII 

N'avait-elle  affaire,  comme  on  l'a  prétendu,  qu'à  des  direc- 
teurs soucieux  de  réduire,  par  une  entente  financière,  les 
frais  généraux  de  plusieurs  scènes,  sans  nuire  aux  auteurs 
ou  aux  artistes?  11  esl  permis  d'en  douter:  certaines  dépenses, 
dans  un  théâtre,  semblent  malaisément  réductibles;  ainsi  les 
frais  de  lover,  de  chauffage,  d'éclairage  de  la  salle  ;  d'antres 
sont  au  contraire  infiniment  compressibles:  ce  sont  justement 
les  droits  des  auteurs,  cl  les  cachets  des  artistes.  Aussi 
bien  les  directeurs  associés  cachaient-ils  à  peine  leur  désir 
d'amener  à  composition  les  artistes  trop  exigeants,  et  de 
traiter  les  écrivains  suivant  leur  mérite,  donnant  aux  uns 
jusqu'à  15  0/0,  aux  autres  2  0/0,  et  peut-être  rien.  Théorie 
séduisante,  en  apparence,  mais  que  l'expérience  condamne. 
La  Société  avail  donc  quelque  raison  de  repousser  l'invasion. 
Elle  rencontra  d'ailleurs  l'appui  de  l'association  des  artistes 
dramatiques,  ennemie  par  avance  du  trust. 

Les  directeurs,  écrivait  M.  Gémier,  au  lieu  d'avoir  une 
troupe  complète  pour  chaque  théâtre,  préféreront  avoir  des 
pensionnaires,  <jui.   dans   la    même  soirée,  rayonneront  de 

ne  en  scène,  allant  jouer,  par  exemple,  le  lever  de  rideau 
.i  l'Athénée,  le  deuxième  acte  aux  Folies,  et  le  dernier  aux 
Bouffes 

M.  Gémier  \oyail  déjà,  par  la  pensée,  des  artistes  »  famé- 
liques, tristes,  nerveux,  ne  gagnant  pas  de  quoi  habiller 
leurs  personnages... ni  eux-mêmes  ». 

Le  public  lui-même  en  souffrirait;  carquidil  trust,  dit 
uniformité  de  distribution,  de  mise  <'n  scène;  el  peut-être 
de  genre.  Il  nous déplait,  écrivait  M.  Capus,  examinant  la 
question  des  décors,  que  le  «  salon  »  du  Vaudeville  reparaisse 
au  Gymnase,  el  que  la  ••  forêt  >>  de  l'Ambigu  soil  transportée 
telet. 

I  e  d  inger,  d  ailleurs,  se  précisait,  se  révélail  bientôt,  dans 


LA    RÉSISTANCE    h    LA    SOCIETE 

toute  son  étendue  :  le  bruit  s'accréditait  que  la  trinitë  finan- 
cière dénoncée  allait  accaparer,  après  les  Bouffes-Parisiens 
le  Gymnase,  le  Palais-Royal,  les  Variétés;  el  ce  a 'était, 
sans  doute,  qu'un  début,  pour  se  mettre  en  goût,  éprouver 
ses  forces.  Plus  redoutable  qu'un  roi  de  l'acier  ou  du  euh  re, 
M.  Roy  se  dressait,  devant  les  dramaturges  effray< 

L'émoi  fut  grand  dans  le  camp  des  auteurs.  A  rassemblée 
générale  du  mois  de  mai  1904,  M.  Bernstein  prononça  contre 
le  trust  naissant  un  réquisitoire  fougueux.  Car  c'était  bien 
à  un  trust  que  la  Société  ^«i  heurtait  :  l»'v  audacieui  din 
leurs  voulaient  affamer  1<in  auteurs,  les  réduire  au  sort  de 
leurs  infortunés  confrères  de  Londres  et  de  New-York,  qui, 
;i  part  les  chefs  de  file,  n'obtiennent,  pour  leurs  manuscrits, 
que  doux  mille,  mille  ou  cinq  cents  fran<  - 

L'assemblée  approuva  d'enthousiasme  les    résolutions  de 
la  Commission;    seuls,    ln»i^    membres    votèrent   contre 
MM.   Henri  Kéroul,  Tristan   Bernard  et  Albert   Barré.   Huit 
s'abstinrent:  MM.   Paul  Bilhaud,  Michel  Carré,  Jules! 
Henry  de  Gorsse,  André  Lénéka,  Léon  Nunès,  Fernand  \  an 
dé  rem,  et  Léon  Xanrof. 

Une  scission  allait-elle  se  produire  dans  le  monde  des  dra- 
maturges, comme  au  temps  <>ù  Emile  Vugier  s'insurgeait 
contre  la  Commission?  Partisans  et  ennemis  du  trust 
allaient-ils  s'entre-dévorer?  Les  hostilités  se  bornèrent  .'•  une 
assemblée  de  protestation,  qui  Fut  convoquée  quelques  jours 
après  par  M.  Bilhaud.  Mais  il  )  eut  des  cas  individuels  de 
résistance,  qui  compliquèrent  singulièrement  la  i  kche  d< 
Société. 

La  Commission  nouvellement  nommée  avait  fait  en  i 
connaître  officiellement  .<   M.  Richemond  que  son 
lui  serait   pas  renouvelé,   tant  qu'il  n'aurait   pas  rom| 
attaches  qu'il  avait  avec   l'Athénée    Cette  d  n   poui 


CHAPITRE    VIII 

être  préjudiciable  à  plusieurs  pièces  :  Une  Nuit  de  Noces  de 
M.  Kéroul,  en  coins  de  représentations  aux  Folies-Drama- 
tiques :  ei  deux  pièces  reçues  à  ce  même  théâtre  :  Volcan 
d* Amour  de  M.  Carré,  ei  Madame  VOrdonnance  de  MM.  Chan- 
cel  ei  <  îorsse. 

La  Commission,  dans  un  esprit  de  conciliation,  autorisa 
M.  Richemond  à  poursuivre,  en  tant  que  besoin,  et  même 
après  l'expiration  de  son  traité,  la  carrière  d'Une  Nuit  de 
Noces.  Quanl  aux  autres  manuscrits,  elle  fit  savoir  aux 
auteurs  qu'ils  devaient,  aux  termes  des  statuts,  les  retirer. 
Les  intéressés  refusèrent  de  s'incliner,  à  l'exception  de  M.  de 
Gorsse.  Ce  dernier  était  d'ailleurs  retenu  par  la  nécessité 
dans  l'obéissance  aux  statuts  : 

Je  dois  faire  la  saison  prochaine,  écrivait-il  à  son  colla- 
borateur, la  revue  de  la  Scala,  el  la  revue  des  Ambassadeurs 
<•!  de  l'Alcazar..  Or  ces  commandes  me  seraient  certainement 
retirées,  si  je  me  voyais  rayé  des  cadres  de  la  Société,  car 
ni  le  directeur  des  Ambassadeurs  d'été,  ni  la  direction  de  la 
S  ila  m'  me  maintiendraient,  s'ils  se  trouvaient  toutàcoup 
dans  l'obligation,  en  me  jouant,  de  payer  5  0/0  de  droits  à 
moi,  •'!  5  o  o  de  droits  à  la  Société  »  (1). 

Par  contre  M.  Porest,  bien  qu'il  ne  lïil  pas  personnelle- 
ment lésé  par  les  décisions  de  la  Commission,  ei  qu'il  ne 
pût  se  plaindre,  à  cet  égard,  que  d'un  tort  éventuel  et  problé- 
matique, prit  parti  contre  elle,  et  lit  cause  commune  avec 
les  rebelles.  Dans  un  article  fort  intéressant,  il  taisait  par 
ace  le  procès  de  la  Société,  qu  il  déclarait  oppressive 
pour  ses  membres,  ei  néfaste  pour  l'art  dramatique  (2). 

I  i  Commission  recul  de  nouvelles  assignations,  qui  vinrent 
oindre   •  la   plainte  toujours  pendante  de  M.   Roy  :  elles 

■i    la  plaidoirie  de  M   Millerand. 
I    I     I  rtl<  le  pré(  ité  de  M.  Pore  I 


LA    RÉSISTANCE   A    LA    B0CIBT1 

émanaient  de  M.  Richemond,  demandanl  qu'il  lui  lui  alloué 
50,000  francs  «le  dommages-intérêts,  ci  que  la  Société  tu! 
condamnée  à  traiter  de  force  avec  lui.  sous  peine  d'une 
astreinte  de  1,001)  francs  par  jour  de  retard  :  de  MM.  Porest, 
Ghancel  et  Carré,  demandanl  à  être  déliés  de  leurs  obli 
lion>  envers  la  Société,  ><>it  parce  qu'elle  avail  abusivement 
mis  en  interdit  M.  Richemond,  «»il  parce  qu'elle  tombai I 
sous  le  coup  de  diverses  causes  de  nullité,  qui  viciaient  leurs 
engagements  envers  elle. 

De  ^<>n  côté  la  Commission  déposa  «l---  conclusions  tendant 

à  ee  que  MM.  Roy,  Richemond  et  Fores!  fussent  dél tés  de 

leur  demande.  Elle  concluait  dans  le  même  sens  contre 
M.  Carré,  s'abstenant  de  lui  réclamer  une  indemnité  pour 
infraction  aux  statuts,  puisque  -;•  pièce  Volcan  d'Amour 
[l'était  pas  encore  entrée  en  représentation.  Quant  ;•  M.  Chan- 
cel,  dont  In  pièce  Madame  l 'Ordonnance  paraissait  tous  les 
soirs  sur  la  scène  des  Folies-Dramatiques,  ••!  dont  le  ••nui»' 
était  consommé,  «die  lui  opposait  une  demande  reconven- 
tionnelle de  20,000  francs.  Elle  aurait  pu  aussi  bien  lui 
réclamer  6,000  francs  par  représentation  :  car  il  résulte  des 
termes  de  l'article  21  des  statuts,  <|u<'  toute  représentation 
illicite  constitue  une  infraction  au  règlement.  Elle  se  borna 
;i  demander  20,000  francs  —  pénalité  déjà  respectable  •■< 
ii  solliciter  une  astreinte,  pour  arrêter  les  représentations  de 
sa  pièce. 

Les   lenteurs  de   la    procédure    permirent    à    la    pn 

d'exposer  et  de  plaider  l<-  différend  devant  l'opii i  publiqu 

avant  qu'il  fût  jugé  par  les  tribunaux.  Chacun  dit   son  m 
(huis  l'affaire  :  les  uns,  se  faisant  l'écho  des  auteurs  n 
lents,  ou  des  directeurs  évincés,  soumettaient  •  •  une  •  ritiq 
malveillante   les  statuts  de   la   Société     le  domaine  pul 
payant,  les  billets  d'auteur  excitaient  particule 


458  CHAPITRE    VTII 

rerve  et  leur  ironie.  D'autres,  défenseurs  officieux  delà 
omission,  chargeaient  le  trust,  à  peine  éclos,  des  malédic- 
tions les  plus  implacables  :  dans  la  lude  qui  s'annonçait 
acharnée,  ils  s'honoraient  de  combattre  pour  la  liberté  contre 
le  despotisme,  pour  l'art  contre  l'argent. 


Le  spectateur  impartial  demeurait  cependant  dans  l'incer- 
titude, effrayé  seulement  des  révélations  dont  s'accablaient 
réciproquement  les  deux  parties,  quand,  le  7  février  1905,  les 
débats  s'ouvrireni  devant  le  tribunal  civil  delà  Seine. 

M  Millerand  prit  le  premier  la  parole  au  nom  de  MM.  Roy 
ei  Richemond.  Ce  lui  une  rude  attaque  pour  la  Société,  et 
telle  qu'il  semblait  qu'elle  dût  s'écrouler  sur  ses  bases,  sous 
l'âpre  •!  ardente  éloquence  de  l'éminent  avocat. 

A  l'en  croire,  la  Société  des  Auteurs  n'était  qu'une  caste 
«»ù  quelques  privilégiés  s'entendent  pour  opprimer  les 
faibles.  Mlle  est  aux  mains  dune  Commission,  composée  des 
célébrités  cl  des  puissances  du  monde  dramatique;  quant 
aux  débutants,  ils  encombrent  les  couloirs  :  ce  sont  (\(^ 
personnages  muets,  qu'oïl  ne  consulte  pas;  ils  ne  seront 
jamais  sociétaires. 

Pourquoi  entrent-ils  dans  le  syndicat?  Recherchent-ils 
les  avantages  d'une  perception  régulière;  ces  avantages 
-«•ut  illusoires  :  à  Paris,  rien  de  plus  aisé  que  le  recouvre- 
ment des  droits,  parallèle  h  In  perception  faite  par  L'Assis- 
tance publique,  qui  sert  tout  ;i  la  l'ois  d'indication,  et  de 
moyen  de  contrôle  ;  en  province,  toute  banque  rendrait  les 
Les  auteurs  \  iennent  ;•  la  Société,  parce 
que,  -  ils  restaient  indépendants,  lous  les  débouchés  leur 
tient  fermés  :  <•<•  m>  -ont  pas  des  adhérents;  ils  sont 
nnexés      >  l'association. 


LA    RESISTANCE   A    I  \    SOCIÉTÉ 

11  y  a  donc  monopole,  que  ce  monopole  -"il  d'ailleurs  licite 
ou  non.  Or,  la  jurisprudence  esi  unanime  à  décider  que  le 
détenteur  d'un  monopole  ne  peu!  refuser  de  contracter  avec 
un  tiers,  qui  se  déclare  prêt  à  accepter  ses  conditions  géné- 
rales et  habituelles.  M.  I{<»\  acceptait  toutes  les  clauses  des 
traités  de  la  Société;  on  ne  pouvail  Lui  en  refuser  un. 

Au  demeurant,  la  Commission  avait  agi  par  malveillance, 
par  caprice;  on  se  refusant  ;i  traiter,  elle  avait  commis  un 
véritable  abus  de  droit,  dont  elle  devait  réparation. 

S'élevant  à  des  considérations  plus  hautes,  M  Vfillerand 
n'hésitait  pas  à  accuser  la  Société  d'avoir,  par  sa  politique 
aveugle  et  autoritaire,  anémié  l<is  talents,  énervé  I  .ut  dra- 
matique. 

Il  la  rendait  également   responsable  de  la  prospérité  des 
music-halls,  et  du    marasme  <\<^  théâtres.  Les  statistiques 
prouvent,   disait-il,   qu'en  1893,    les   recettes  des  cinq  pre 
miers  music-halls  de  Paris  étaient  inférieures  <!•'  28  0  0 
celles  de-  cinq  grands  théâtres  de  genre.    En    I1'  Iles 

dépassaient  de  -M  0  0  celles  des  scènes  en  question. 

D'où  vient  ce  changement?  La  cherté  des  places  dans  les 
théâtres  détourne  I»'  public  vers  les  music-halls  :  la   Faute 
Initiale  \  ient  de  la  Société  qui,  par  ses  exigences  pécuniaii 
met    I»'-   directeurs   dans    l'impossibilité   de    réduire    leurs 
tarifs. 

Dr  son  côté,  M1  Signorino,  avocat  des  auteurs,  prétendit 
découvrir,  dans  les  statuts  de  la  Société,  dii  J« 

nullité,  qui  permettaient  à  ses  clients  de  s'affranchir  de  la 

tutelle  de   leur-  confrères;  il  contestait,  i fois  de  plus 

l'association,  le  caractère  de  société  civile  qu'une  juri* 
dence,  déj  i  ancienne,  lui  reconnaissait  :  c'était  ui 
léonine,  l«i-  stagiaires  n'ayant  pas  droit,  au  dire  de 
au  partage  des    bénéfices   H   du    fonds  '  '•' 


iOO  CHAPITRE    VIII 

consentement  donné   par  ses  clients  aux  clauses  du   pacte 
ial    n'était  pas   valable,  comme   entaché   de    contrainte 

initiale. 

M'Signorino  ne  semblait  d'ailleurs  avoir  qu'une  confiance 
médiocre  dans  sa  thèse;  aussi  l'étayait-il  d'une  appréciation 
rigoureuse  de  la  politique  suivie  par  la  Société,  à  l'égard 
des  administrations  théâtrales.  Kl  sa  critique  acerbe  venait 
à  l'appui  du  réquisitoire  sévère  prononcé  par  son  confrère. 

La  Société  des  Ailleurs  apparaissait  devant  le  public  sous 
un  jour  plutôt  fâcheux,  lorsque  M°  Poincaré  prit  la  parole 
pour  la  défendre*:  dans  une  vigoureuse  plaidoirie,  modèle 
d'éloquence  et  de  verve  ironique,  il  repoussa  les  attaques 
des  adversaires,  e1  justifia  l'attitude  de  la  Société,  dans  le 
passé  comme  dans  les  difficultés  présentes.  11  commença  par 
relever  les  contradictions  et  les  fluctuations  des  directeurs 
intéressés,  qui,  dans  leurs  conclusions,  tantôt  plaidaient  la 
nullité  d'une  association  qu'ils  traitaient  de  coalition,  de 
trust  tyrannique,  tantôt  voulaient  l'obliger  à  contracter 
avec  eux,  la  tenant  ainsi  pour  parfaitement  valable. 

Il  rappela  l'histoire  de  la  Société,  les  jugements  qui 
avaient  consacré  sa  légalité  et  sa  validité.  Elle  était  fondée 
aussi  bien,  et  davantage  même  pour  les  faillies,  que  pour  les 
puissants  :  car  ceux-là  surtout  bénéficiaient  du  traitement 
litaire  qu'elle  avait  établi  pour  les  droits  d'auteur.  Les 
giaires  avaient,  dans  l'association,  au  point  de  vue  finan- 
cier, toutes  les  prérogatives  reconnues  aux  sociétaires.  Aussi 
tous  les  auteurs  réclamaient-ils  leur  admission,  non  pas 
contraints,  mais  désireux  de  se  placer  sous  sa  protection. 
Il  releva  les  diverses  critiques  formulées  contre  les  traités 
•  i  hi\  ;  billets  d'auteur,  domaine  public.  Et  si  la  démons- 
tration ne  fut  pas  toujours  convaincante,  «die  fui  du  moins 
d'un'.-  suprême  habileté 


La  rbsisi  w  i:  a  LA  soai  n. 

L'é  minent  avocat  s'attacha  particulièrement  a  deux  sortes 
de  griefs,  qui.  parmi  des  accusations  renouvelées  de  pr< 
déjà   ancien-,  et  presque  démonétisées,  semblaient  être  les 
points   essentiels  de  l'argumentation  des  adversaires  :  l'un 
en  faveur  des  directeurs,  l'autre  en  Faveur  des  auteui 

Me  Millerand  avait  invoqué  un  grand  aombre  d'arrêts, 
desquels  il  semblait  résulter  qu'une  entreprise  <|ui  détient 
un  monopole,  et  qui  offre  ses  sen  ices  au  public  a  des  condi- 
tions uniformes,  ne  peut  refuser  de  traiter  avec  un  tiers  prêt 
n  accepter  ces  conditions.  f  'r  la  Société,  <|ui  accapare  la  pro- 
duction dramatique,  offre,  disait-on,  son  répertoire  aux 
directeurs,  à  des  conditions  invariables  inscrites  dans  des 
traités  généraux  :  elle  ne  peut  donc  le  leur  refuser. 

M'  Poincaré  n'eut  pas  de  peine  a  montrer  que  les  arrêts 
cités  s'appliquaient,  soit  à  des  établissements  jouissant  d'un 
monopole  légal,  soit  à  des  entreprises  commerciales,  comme 
les  services  de  messageries,  <|ui  sollicitent  !<■  public  par  la 
publication  de  tarifs.  I  >r,  une  société  de  perception  oe  saurait 
être  assimilée  à  une  société  commerciale  :  la  Société  des 
Auteur-  ne  va  pas  au-devant  des  directeurs;  elle  ne  leur 
fait  pas  connaître,  par  une  circulaire,  les  conditions 
varie  tu  r  auxquelles  ils  pourront  exploiter  le  répertoire  social. 

Ili.'ii  plus  :  ces  conditions  varient  d'un  théâtre  a  [autre. 
Le   taux  des  droits  d'auteur,   le  nombre  des  billets  exij 
pour  chaque  représentation,  la  durée  du  traité,  les  indera 
nités  exigées  en  cas  d'infraction,  les  délais  stipulés,  autant 
de  clauses  qui  diffèrent  suivant  les  cas,  el  qui  sont  lixé< 
pour  chaque  théâtre,  sur  l'appréciation  de  la  Commission. 

Le  raisonnement  de  M    Millerand,  qui  içoit  pour  une 

compagnie  «le  chemins  de  fer,  pour  un  service  de  i 
geries  maritimes,  est  donc  hors  de  saison,  quand  il 
«rime  association  d'hommes  de  letti 


CHAPITRE    VIII 

Ajoutons  qu'il  est  vraiment  téméraire  de  prétendre, 
comme  od  l'a  Fait,  au  cours  de  tous  les  grands  procès  intentés 
à  la  Société  îles  Auteurs,  qu'une  pièce  de  théâtre  soit  une 
marchandise  comme  une  autre,  qu'elle  soit  soumise  à  des 
mercuriales,  qu'on  puisse  dénoncer  une  coalition  littéraire, 
comme  on  dénonce  un  accaparement  de  blés  ou  de  cuivre. 

II  peut  y  avoir  là  matière  à  des  comparaisons  sédui- 
santes —  si  Ton  veut  prouver  que  quelques  dramaturges  se 
comportent  comme  des  marchands.  Mais  on  ne  saurait  y 
découvrir  uu  argument  juridique. 

Parmi  tous  1rs  jugements  qu'on  pourrait  citer,  à  propos 
de  coalitions  illicites,  et  dont  aucun  ne  peut  être  appliqué 

c  quelque  chance  de  succès  à  une  corporation  d'écri- 
vains,  citons  seulement  une  décision  très  prohante,  car  elle 
es1  intervenue  an  sujet  d'un  groupement  d'éditeurs. 

Il  y  a  quelques  années,  le  syndicat  des  libraires  de  France 

•  •i  l<-  syndical  des  éditeurs,  pour  remédier  à  la  vente  à   bas 
prix  des  livres,  «lie/  certains  détaillants  de  province,  décida 

•  I  interdire    la    vente  au-dessous  d'un  minimum    fixé,   sous 
peine,  pour  le  contrevenant,  de  se  voir  fermer  son  compte. 

I  n  libraire  refusa  de  s'incliner  :  il  lui  mis  à  l'index  par 
I''  syndicat,  qu'il  poursuivit  devanl  le  tribunal  correctionnel, 
I  accusant  d'avoir,  grâce  à  une  entente  entre  les  principaux 
détenteurs  d'une  même  marchandise,  déterminé  une  hausse 
de  prix,  en  dehors  des  lois  de  la  libre  concurrence  :  le 
syndicat,  prétendait-il,  tombait  sous  le  coup  de  l'article  119 

•  lu  Code  pénal. 

!-'•  tribunal  rejeta  la  plainte,  estimant  que,  les  éditeurs 
en  cause  ayant  chacun  leur  spécialité,  les  livres  qu'ils  pu- 
bliaient gardaient  leur  individualité;  qu'il  y  avait  autant  «le 
marchandises  différentes  que  d'éditeurs;  enfin,  que  ces  mar- 

p£    l'objet  de  la  libre  concurrence,  échap- 


LA   RESISTANi  E   A    LA   SOCIETE 

pent  presque  complètement  à  la  loi  de  l'offre  el  de  la 
demande,  et  qu'il  n'existe,  pour  les  livres,  m  marchés,  ni 
cours  (l). 

Cequi  est  vrai  d'un  éditeur,  l'est  également, e<  plus  encore, 
d'un  directeur  de  théâtre. 

Repoussés  de  ce  côté,  les  adversaires,  continuai!  M  Poin- 
caré,  se  tournaient  d'un  nuire. 

Sans  doute,  disaient-ils,  la  Société  s  le  droil  de  s'abstenir 
de  traiter.  Encore  faut-il  que  ce  droil  ><>ii  exercé  sans  inten- 
tion dolosive,  que  cette  abstention  ae  présente  aucun  eau 
1ère  d'imslililé  personnelle.  Or,  si  la  Commission  avail  refusé 
de  pactiser  avec  MM.  Roy  el  Richemont,  c'était,  non  pas  en 
vue  de  sauvegarder  les  intérêts  donl  elle  a  la  charge,  mais 
par  rancune,  par  malveillance.  Il  y  avail  abus  de  droit. 

Argument  désespéré  :  <>n  <iùl  ^;m-  doute  forl   emban 
les  directeurs  «ui  cause,  si  <>n  leur  eûl  demandé  de  prouver 
cette  affirmation.   La  Commission  formule  en  toute  liberté 
les  obligations  qu'elle  croil  devoir  imposer  aux  administi 
ti<»n>  théâtrales  :   le  péril   auquel  elle  avail  voulu  us 

train»  était,  d'ailleurs,  dans  le  cas  présent,  si  peu  chimérique, 
que  ve»  ennemis  n'hésitaienl  |>a^  à  prédire  leur  victoire,  el 
la  ruine  de  l'association. 

En  faveur  des  auteurs  dissidents,  M  Signorino  avail 
essayé  de  tirer  parti  des  articles  Mil  el  1112  du  Code 
civil,  sur  la  violence  morale,  considérée  comme  cause  de 
nullité. 

Ses  clients,  disaient-ils,  n'avaienl  adhéré  a  I    S       lé,  que 
dans  la  crainte  que  leur-  manuscrits  ne  leur  restent  pour 
compte  :  il  y  avail   là  une  menace,  une  pression,  qui  empê 
chait  leur  consentement   d'être   valable   el   définitif. 


[   Tribunal  correctionnel  de  la  8<  lu 


CHAPITRE    Yltt 

ht.,  qui  déjà  s'étail  vu  assimiler,  pour  les  besoins  delà 
cause,  à  un  syndical  d'ouvriers,  abusant  de  sa  force,  se 
voyait  comparer  à  un  remorqueur  qui  stipule  une  rému- 
nération exorbitante,  pour  tirer  de  peine  un  navire  en 
péril. 

M    Poincaré  rappela    que  les   textes   visés  parlaient  d'un 

mal  considérable  ei  présent  ».  Si  c'est  une  déception 
cruelle  que  de  D'être  point  joué,  on  ne  peut  pas  dire  que  ce 
5oi1  un  mal  considérable.  Les  ailleurs  ne  couraient  aucun 
danger  :  leur  navire  n'était  pas  en  détresse  ;  tout  au  plus 
était-il  destiné  à  ne  jamais  naviguer. 

L'article  1115  du  Code  civil  porte  d'ailleurs  que  le  contrat 
entaché  de  contrainte  ne  saurait  plus  être  attaqué,  lorsqu'il 
,i  été  approuvé  expressément  ou  tacitement.  Or  les  deman- 
deurs  n'avaient  cessé  de  confirmer  leur  adhésion,  en  tou- 
chanl  régulièrement,  et  pendant  des  années,  les  droits  perçus 
•  h  leur  ixun.  La  violence  avait  été  particulièrement  douce 
pour  M.  Carré,  qui  avait  eu  surtout  l'occasion  d'encaisser 
,i  |,i  Société,  en  qualité  d'héritier,  des  sommes  fort  respec- 
tables. 

Le  tribunal  civil  donna  gain  de  cause,  sur  toute  la  ligne,  à 
bi  Société  des  \uteurs.  Il  conclut  qu'elle  ne  présentait  aucun 
des  caractères  d'une  coalition  illicite,  que  le  monopole  qu'on 

cusail  <!<•  détenir  ne  saurait  l'obliger  de  traiter  contre 
-«.h  vec  certains  théâtres  ;  en  conséquence,  il  repoussa 

les  prétentions  d<-  \l\l.  Roy  ei  Richemond. 

Le  tribunal  ae  retint  non  plus  aucun  des  griefs  invoqués 
par  les  auteurs  dissidents;  il  décida  que  MM.  Foresi  ei  Carré 
ne  pouvaient  s'affranchir  des  liens  qui  les  unissaient  à  I  as- 

iation  :  quant  à  M.  Chancel,  il  se  vil  condamnera  verser 
.i  i  ociale  nu»'  indemnité  de  six    mille  francs  — 

minimum  de  la  pénalité  statutaire    -    ei  ;>  faire  cesser  les 


LA   RÉSISTANCE   a    LA    B0CUST1 

représentations  de  Madame  l Ordonnance,  sous  peine  dune 

astreinte  de  dix  francs  par  jour  de  retard    I 


Le  débat  judiciaire  était  clos;  maisjes  passions  n'étaient 
pas  apaisées  ;   le  jugement   rendu   en  faveur  de 
ne  faisait  qu'irriter  davantage  ses  adversaires  el  exaspérer 
leur  résistance.  Non  seulement   les  auteurs  rebelles  ne 
naient  pas  à  résipiscence,  mais  des  sympathies  nouvelles, 
des  défaillances  prochaines  étaient  escompté 

I  n  moment  on  put  croire  à  la  paix  :  il  y  eut  un  arraisl 
la  Commission  ayant  accordé  à  M.  Riche  m  on  d  un  traité  pro- 
visoire jusqu'en  novembre  1905.  Ce  ne  fui  qu'une  trêve,  el 
à  cette  date,  la  lutte  reprit  de  plus  belle. 

Les  Polies-Dramatiques  ne  fermèrent  pas  leurs  portes; 
M.  Richemond  ne  mourut  pas  d'inanition  :  plus  heureux 
que  ses  prédécesseurs,  MM.  Delestre-Poirson  <il  Cerfbeer,  il 
n'a  va  il  pas  à  faire  appel  aux  talents  méconnus,  ou  à  ressusciter 
les  succès  du  passé:  après  Madame  t Ordonnance ,  le  Volcan 
(T Amour  surgissait,  menaçant,  sur  la  scène  des  Polies  Dj 
matiques.  Pour  soustraire  M.  Carreau  danger  de  cette  érup- 
tion inopportune,  nn  journal  important,  défenseur  des  « »|»|»n- 
més,  le  couvrait  de  sa  protection  :  il  créait  une  section 
théâtrale,  équipe  anonyme,  comme  toute  sa  collaboration; 
ceU«'  section  devenait  responsable  de  tous  les  vaudevilles 
qu'il  plairait  aux  auteurs  de  do r  sur  les  théâtres  en  rébel- 
lion, et  se  chargeait  d'ailleurs  loyalement  de  faire  parvenir 
aux  intéressés  les  droits  à  percevoir. 

Les  Polies-Dramatiques  n'étaient  plus  seuls,  en  i 
soutenir  la  lutte.    Les   Bouffes  Parisiens  j   élaienl 


1    Tribunal  civil  de  la  Seine,  7,  U,  21,  M   fi  n 
19  avril  1905,  Gazette  de»  tribuna  I6juill< 


CHAPITRE    VIII 

Sans  doute  MM.  Richemond  el  Deval,  titulaires  <ln  bail,  ne 
devaient  prendre  en  mains  ce  théâtre  qu'en  octobre  1906; 
mais,  jusque-là,  MM.  Clôt  et  Dublay,  qui  l'avaient  sous-loué, 
s'étaient  engagés  à  ne  pas  traiter  avec  la  Société  des  Auteurs. 
L'Athénée,  qui,  depuis  le  14  novembre  1905,  se  trouvait 
sans  hait»'1,  levait  résolument  l'étendard  de  la  révolte  :  et 
l'assemblée  des  auteurs,  sur  un  réquisitoire  de  M.  Bernstein, 
mettait  au  ban  du  royaume  des  lettres  MM.  Tristan  Bernard 
et  Godfernaux,  coupables  d'avoir  charmé  le  public  de  ce 
théâtre  avec  les  indécisions  et  les  volte-faces  de  l'irrésolu 
Triplepatte.  En  1910,  enfin,  le  trust  devait  s'emparer,  sans 
coup  férir,  du  Palais-Royal  et  des  Variétés.  Ainsi  l'invasion 
s'étendait  :  le  jour  semblait  proche  où  les  rebelles  seraient 
maîtres  du  boulevard. 

A\iiit'iît-ils  beaucoup  à  craindre  la  grève  des  auteurs  ? 
Non,  car  plusieurs  littérateurs  travaillaient  pour  eux.  La 
Société  ne  cessai!  d'enregistrer  des  défaillances. 

Les  assemblées  extraordinaires  se  succédaient  pour  juger 
les  coupables  traduits  à  leur  barre  :  elles  épuisaient  les  sévé- 
rités des  statuts,  sans  parvenir  à  convaincre  les  déliquants 
qu'elle  agissail  au  mieux  de  leurs  intérêts. 

Seul,  M.  Carré,  touché  par  un  repentir  tardif,  acceptait 
l'arbitrage  offert  par  la  Commission,  et  brûlait  ce  qu'il  avait 
adoré.  Après  MM.  Tristan  Bernard  et  Godfernaux,  c'était 
MM.  Kéroul  et  Barré  <ju'il  fallait  mettre  au  ban  de  l'empire 
de  la  Société,  pour  avoir  donné  Une  veine  de...  aux  Folies- 
matiqui 

Mesure  puisque  les  bannis  ae  devaient  plus  rien 

retirer  de  la  perception  de  leurs  droits  à  travers  la  France; 
me  inefficaces  pourtant  :  car  on  savait,  d'ores  e1  déjà, 


trdinain      d<     30    novembre,  20  décembre    190 
de  la  Socû  té  t$0ê, 


LA   RKSISTANl  E   A    LA    SOC1 

que,  bientôt,  les  membres  exclus  reprendraient  leur  pi 
parmi  leurs  confrères.  Si   la  Société  exige  des  vœux  péri 
tuels,  elle  ne  connaît  pas  les  peines  perpétuelles. 

Frappé  de  l'insuffisance  de  cette  arme,  un  sociétaire  pro- 
posa de  décider  que  les  membres  démissionnes  ne  pourraient 
être  jamais  réintégrés.  Mais  l'assemblée  pouvait-elle  ainsi  se 
lier  les  mains?  (Je  Parlement  allait-il  se  donner  une  consti- 
tution, qu'il  déchirerail  un  jour  ou  l'autre?  L'assemblée 
refusa  de  s'engager  dans  cette  voie. 

Cependant  des  manuscrits,  tenus  en  réserve,  étaient  prêts 
à  sortir  de  l'ombre,  si  cette  guerre  malheureuse  ne  prenait 
pas  fin.  Les  conséquent.'-  se  faisaient  sentir  des  deux  côfc 
Si  les  directeurs,  en  rupture  avec  la  Commission,  luttaient 
avec  des  difficultés,  la  Société  se  voyait  priver  du  tribut  de 
trois  scènes  importantes  :  perte  sèche,  évaluée,  pour  trois  ans 
de  luttes,  à  150,000  francs. 

Que  deviendrait  son  budget,  1«*  jour  où  de  nouveaux  H 
très  passeraient  à  l'ennemi?  La  Commission,  fort  alarm< 
songeait  déjà,   pour  sauvegarder    sa   caisse,  et  ouvrir  aux 

auteurs  fidèles  les  débouchés  nécessaires,  à  créer  de velles 

scènes  dans  Paris  ;  mais  les  risques  étaient  très  grands.  ' 
nouveaux    établissements    auraient-ils    une    clientèle     l 
d'ailleurs,  la  Société  avait-elle  le  droit  d'étendre  le  cercle  de 
ses  opérations,  de  s'improviser  entrepreneur  et  directeur  de 
théâtres  ?  Mieux  valait  traiter  avec  les  rebelles. 

Forte  de   sa   victoire  judiciaire,   la  Commission  pouvait 
faire  les  premiers  pas.  Elle  se  montra  dispos  ua 

intéressés  des  concessions  importantes,  si  le  trust  ml 

consentait  à  un  suicide  honorable. 

Les  pourparlers,   .1    peine   engagi  s,    faillirent    cepeod 
être  rompus  de  suite  :  MM.  Richemond  et  Deval  mettaient 
comme  condition  à  la  paix  projetée  la  réintégration,  dai 


ciiAi'irni:  vin 

S  ciété,  des  auteurs  dissidents.  C'était  une  clause  à  laquelle 
la  CommissioE  oe  voulut  pas  souscrire  :  elle  ne  pouvait 
décemment  engager  sou  droit  de  grâce.  Heureusement,  les 
condamnés  manifestèrenl  le  désir  de  séparer  leur  cause  de 
celle  des  directeurs,  et  s'en  remirent  à  la  générosité  de 
leurs  confrères. 

Il  ne  restai!  plus  qu'à  débattre  le  fond  de  la  question, 
les  concessions  réciproques  à  l'aire,  dans  l'intérêt  de  la 
paix. 

Le  premier  projet  de  transaction  élaboré  par  MM.  De  val  et 
Richemond  était  évidemment  inacceptable  :  sous  une  appa- 
rence plus  modeste,  il  reprenait  leur  idée  de  trust,  en  lui 
donnant  même  une  forme  plus  arrêtée,  et  une  extension 
indéterminée. 

La  société  en  commandite,   qui  subventionnait  alors  les 

aes   'ii    révolte,  se    serait  transformée    en    une  société 
anonyme,   «lite   société-mère.    Le  malheur,  c'est  que  cette 

lété-mère  aurait  eu  beaucoup  d'enfants  :  des  sociétés- 
filles,  jalousement  couvées  par  elle,  auraient  pris  librement 
leuressorà  travers  Paris,  s'abattant,  au  gré  de  leur  fantaisie, 
sur  telle  ou  telle  scène.  Sans  doute  chaque  société  aurait  eu 
i  tête  un  directeur  artistique  indépendant  :  chacune 
aurai!  accepté  —  y  compris  les  droits  el  les  billets  d'auteur 
—  toutes   les  clauses  «I»'-   traités  de   l'association,  dont  la 

îété-mère  se  serai!  engagée,  à  perpétuité,  à  respecter  les 
statuts    I  . 

I     lien  de  parenté,  qui  unissait  les  différents  membres  de 

rande  Famille  du  trust,  n'en  était  pas  moins  inquiétant. 

1      '      l<       ociétéî  sœurs  n'allaient-elles  pus  se  rapprocher 


1     N         \      ml  du    i  !    i  ravier   1906,    Annuaire  de   I" 


LA   RÉSISTANCE   A    LA   BOOM 

un  jour,  condamner  les  artistes  à  des  tribulations  sans  fin, 
les  auteurs  à  des  cachets  modiques 

On  chercha  un   nuire   terrain    d'entente.    Les  directeurs 
renonçaient    à   l'accaparement    brutal    qu'ils    rêvaient;    la 
Société,  «'ii  échange,  leur  offrait  d'importantes  compen 
tions  pécuniaire-. 

Elle  avait  failli  devenir  propriétaire  de  scènes  parisiennes, 
pour  combattre  le  trusl  :  pour  lui  faire  plaisir,  elle  devenait 
simplement  locataire.  Elle  prenait,  m  effet,  ;i  -.1  charge,  les 
baux  des  Variétés  et  du  Palais-Royal  :  elle  consentait  même, 
à  MM.  Deval  et  Richemond,  pendant  quinze  ans,  des  majo- 
rations de  40,000  et  de  20,000  francs  sur  le  |»ii\  de  location 
qu'ils  avaient  accepté. 

Sacrifice  appréciable,  mais  qui  n'entraînait  p;i-  la  Société 
à  des  risques  trop  considérables  :  car  elle  était,  d'ores  «'t 
déjà,  assurée  de  faire  supporter  If  poids  de  cette  prime  aux 
directeurs  ;>  qui  elle  rétrocéderait  ces  entreprises. 

Quant  aux  Bouffes-Parisiens,  il-  se  trouvaient,  par  le  seul 
fait  de  la  reprise  des  relations  entre  MM.  Deval  et  Richemond 
et  l,i  Société,  nantis  d'un  traité  avec  la  Commission.  Celli 
acceptait  d'ailleurs  l'éventualité  qu'à  défaut  de  preneur,  ils 
fissent  retour  ;i  MM.  Deval  et  Richemond    I  . 

Ainsi  l;i  Société  de-  Auteurs,  après  trois  ans  de  luttes, 
semblait  revenir  au  point  de  départ  du  conflit  :  «'II.-  acceptait 
l'hypothèse  de  trois  théâtres  soumis  .'i  une  influence  finan- 
cière et  administrative  commune.  Bravement  '•IN'  faisait  la 
part  du  feu.  Mais  «'IN'  avait  écarté  le  spectre  du  trust.  Elle 
n'avait  plus  ;'i  craindre  de  voir  les  scènes  les  plus  imp 
tantes  de  Paris  tomber  aux  mains  d'une  coalition  louù 
gante.  Or  c'est  avant  tout  ce  péril,  qui  n'avait  rien  d'il 


(1)  Assemblée  extraordinaire  du  5 

1Ê01 


CHAPITRE    VIII 

nuire  —  les  faits  l'ont  démontré  —  qui  l'avait  décidée  à 
i  ter  les  offres  de  M.  Roy,  el  à  rompre  avec  M.  Richemond. 
On  peu!  seulemenl  lui  reprocher  de  n'avoir  pas  distingué 
suffisamment  deux  choses,  qui  se  rencontraient  dans  les  pro- 
jets de  ses  adversaires  :  la  fusion  de  deux  scènes  —  qui  ne 
heurte  aucun  des  principes  sur  lesquels  s'est  fondée  la 
S  il'  —  et  l'accaparement  d'un  nombre  indéterminé  de 
théâtres  —  qui  met  évidemment  l'association  à  la  merci  des 
caprices  directoriaux.  Si  la  Société  n'avait  pas  fait  preuve,  à 
l'égard  de  la  première  de  ces  situations,  d'une  intransigeance 
peu  réfléchie,  il  est  permis  de  penser  que  cette  concession 
opportune  aurait  désarmé  des  directeurs,  soucieux  avant 
tout  des  Intérêts  de  leurs  entreprises. 

Car   le    principe    que    deux  scènes  ne   doivent  pas  être 
réunies  sous  une  même  direction,  n'a  jamais  été  admis  par 
la  Commission  avec  une  intransigeance  absolue  :  c'est  une 
question  d'espèce,  que  dominent  des  circonstances  particu- 
lières  :  importance,  genre,  situation  financière  des  théâtres 
intéressés.  Dernièrement  encore  la  Porte  Saint-Martin  et  la 
té  se  trouvaient  régies  toutes  les  deux  par  MM.  Hertz  et 
[uelin  :  trois  scènes  de  quartier,  les  théâtres  des  Gobe- 
lins,  de  Grenelle  et  de  Montparnasse,  sont  soumises  actuel- 
lement ;i  une  direction  unique.  Et  nous  laissons  de  côté  les 
cafés-concerts,  pour  lesquels  la  concentration  est,  on  peut 
I»'  dire,  endémique. 
Pour  sceller  l'accord   interveuu,  la  Société  se   réconcilia 
•  les  auteurs  qui  avaient  abandonné  son  drapeau  :  elle  vota 
la  ^ration   d<-   MM.  Barré,  Tristan   Bernard  el  Kéroul, 

mais  à  cl  pour  chacun   d'eux,  de  payer  6,000  francs 

imende.   I.  ûons  faites  aux  fondateurs  du  trust 

lient  épui  srves  de  clémence, 


LA    RÉSISTANCE     \    LA    SOGD  M. 


L'idée  de  trust  dramatique  doit-elle  faire  son  chemin 
I.'    monde?   Concentrera-t-elle  des  entreprises,  jusqu'alors 
isolées  fl  rivales,  en  des  organisations  puissantes  <-i   pr 
pères,  jusqu'au  jour,  presque  inévitable,  de  h  catastrophe, 
ou  de  la  dissociation?  Elle  ;i  déjà  franchi  les  frontières,  <•( 
jeté  !<■  trouble  dans  le  royaume  d'Italie. 

Tout  récemment,  MM.  Chiarella  nui.  par  des  traités  suc- 
cessifs, imposé  une  l«»i  commune  à  sept  des  meilleui 
troupes  (|iii  se  partageaient  jusqu'ici,  «Lui-  <•••  pays,  !«•  public 
des  théâtres.  La  Société  des  Auteurs  de  Milan,  au  oom  des 
intérêts  de  l'art,  a  déclaré  La  guerre  an  syndical  nouveau,  ••! 
lui  a  retiré  la  jouissance  »l«i  son  répertoire. 

La  question    préoccupa   un  moment  la  presse    frança 
Certains  virent  dans  la  résistance  «I»1  la  Société  des    Vute 
un»'  réaction  contre  l'influence  française,   favorisée  par  I 
accapareurs,  grands  importateurs  de  nos  pièces    I  . 


Grâce  à  l'arrangement  intervenu  entre  I  el  MM. 

Deval  el  Richemond,  la  paix  étail  faite  dans  le  monde  des 
théâtres.  Elle  mettait  fin  à  une  situation  très  fâcheuse,  qui 
aurait  pu  avoir  les           quences    les  plus  regrettables.  N 
pas  que  le  trust  annoncé  par  les  uns,  redouté  par  les  auto 
eût   de  fortes  chances   <l<i    réussir,  el  surtout  de  duj 
grande  que  soil   chez  qous  l'influence  angl 
théâtres  ue    sont    pas  encor ganisés  -^  le  m 

snes  américaines  :  ils  ont  presque  tous  des  ti  "" 

genre,  une  clientèle  spéciale,  el    l'oi  oil  difficilem< 


1    Voir  '  et  22  J  m 


CHAPITRE    VIII 

une  administration  anonyme  el  uniforme  les  pliant  à  un 
[rime  commun.  Mais,  pour  la  première  fois,  la  Société  avait 
rencontré  des  adversaires  résolus  à  se  passer  de  son  concours, 
et  subsistant  malgré  sa  défense.  Il  s'était  trouvé  des  auteurs 
pour  leur  tendre  la  main,  et  non  pas  seulement  parmi  ceux 
qui  avaient,  dans  les  théâtres  frappés,  des  intérêts  immédiats; 
quelques-uns  avaient  protesté  au  nom  de  l'indépendance 
littéraire,  au  nom  de  l'avenir  de  l'art  dramatique  :  et  si 
beaucoup  des  critiques  qu'ils  adressaient  à  la  Société  pou- 
v.ii.ni  paraître  injustes  et  passionnées,  quelques-unes  avaient 
faii  impression  sur  les  esprits  non  prévenus.  La  lutte  termi- 
née, les  combattants  apaisés,  il  convient  de  rechercher, 
parmi  les  prétentions  qui  se  sont  fait  jour,  si  quelques-unes 
ne  méritent  pas  d'être  retenues,  comme  l'expression  de 
revendications  Légitimes  :  ce  sera,  en  quelque  sorte,  la 
morale  de  celte  affaire,  et  la  conclusion  de  cette  page  trou- 
blée  de  l'histoire  de  la  Société. 


La  coalition  financière  «le  MM.  Roy,  Richemond  et  Deval 
est    aée,    a-t-on   dit,   du    marasme  actuel  des    théâtres.  La 
iété  des  Auteurs,  par  ses  exigences,  a  réduit  les  direc- 
teurs  à    l'existence    la    plus    précaire.   Aussi    les    théâtres 
pètent-ils,  tandis  que  les  music-halls  font  des  a  lia  ires  d'or. 
i  un  axiome  dont  ou  rebal  nos  oreilles,  et  qui  se  prouve 
par  des  chiffn 

En  1894,  les  statistiques  dressées  par  l'administration  de 

I  \ssistance  publique  accusaienl  pour  les  spectacles  de  tous 

re*  un  total  de  recettes  brutes  de  :  28,132,000  francs.  En 

1903,   ce   total    s'élevait   à   38,926,000   francs;   en    1906  à 

14,692,493  fran< 

l'augmentation    b    «'té    beaucoup    plus    forte    et 


LA    RÉSISTANCE    A    \.\    B04  Il  II. 

beaucoup  plus  rapide  dans  les  music-halls,  que  dans  les 
théâtres.  C'est  ce  qui  apparaît  si  on  examine  ment, 

pendant  cet  intervalle  de  quinze  années,  les  résultats  de  la 
-lion  des  théâtres  subventionnés,  des  cinq  grands  théâtres 
de  genre   :    Gymnase,    Vaudeville,    Variétés,    Nouveau!* 
Palais-Royal  ;  et  des  cinq  premiers  music-halls  :   Olympia, 
Folies-Bergère,  Parisiana,  Casino  de  Paris  el  Moulin-Roui 
Les  chiffres  sont  les  suivants  : 

Comédie-Française,  Odéon,  Opéra,  Opéra-  — 

Comique 7.131.1 

Gymnase,  Vaudeville,  Variétés,  Nouveau- 
tés, Palais-Royal 

Olympia,    Folies-Bergère,    Parisiana 

Bino  de  Paris,  Moulin-Rouge 3.065.000 

Remarquons  pourtant,    depuis   1903,  dans  les    théâtres, 
une  tendance  à  la  hausse  :  c'est  un  fait  qui  vienl  contrarier 
de  suite  cette  affirmation,  souvent  répétée  au  cours  du  der 
nier  procès,  que  les  théâtres  étaient  condamnés  à  péricliter. 

On  nous  annonçait  en  même  temps  une  transformation 
dans  l<i  personnel  et  dans  l'âme  des  commanditaires  des 
scènes  parisiennes,  qui  ne  semble  |»;i^  s*ètre  réalisée.  Le 
commanditaire  ancien  modèle,  disait-on,  était  un  amateur 
éclairé,  ou  simplement  un  capitaliste,  ravi  de  jouer  au 
Mécène,  sur  le  boulevard,  au  fermier  général,  dans  les 
coulisses  :  il  sacrifiait  d'un  cœur  léger  des  sommes  imp 
tantes,  pour  les  mille  petits  privilèges  que  cette  situation  de 
protecteur  des  arts  rapporte;  el  il  apprenait,  sans  s'émou- 
voir, ;•  la  liquidation  <l<"  la  société  fondée,  que,  lur  m"" 
action  de  2,000  francs,  il  ne  lui  sérail  remboursé  que 
200  francs. 

Ce  type  de  commanditaire  R<  -   néreui 

serait    raréfié   devant    l'homme    d'affaires   :    I  ■•■  tionntire 
d'aujourd'hui  prétendrait  recouvrer  in  H  im 


i7  t  CHAPITRE    VIII 

voire  même  réaliser  des  bénéfices.  Les  banquiers  n'allaient- 
ils  pas   envahir   nos  scènes   parisiennes,  les  gérer   comme 

.1.'-  maisons  de  rapport,  sans  aucun  souci  des  convenances 
artistiques?  Il  Paul  bien  croire  qu'il  n'en  est  rien,  puisque, 
dans  ces  derniers  temps,  les  directions  des  principaux 
théâtres  de  Paris  oui  pain  se  concentrer  plutôt  entre  les 
mains  d'artistes  que  de  financiers. 

«  Et  quel  temps  fut  jamais  plus  fertile  en  miracles?  » 

alors  que  des  scènes  importantes  se  recommandent  des  noms 
.1.-  MM.  Antoine,  Goquelin,  Guitry,  Gémier,  de  Mmcs  Sarah- 
Bernhardt  et  Réjane.  A  vrai  dire,  il  n'est  guère  d'ar- 
tiste,  ayant  derrière  lui  de  nombreuses  créations,  qui  ne 
rêve  de  régner  sur  ce  petit  royaume  troublé,  mais  féerique, 

(j constitue  une  scène  de  théâtre,  qui  ne  soit  impatient  de 

liser  un  programme,  de  former  une  troupe,  de  commander 
des  littérateurs,  et  de  se  tailler  des  rôles.  Or,  si  un  grand 
artiste,  par  son  nom  seul,  apporte  une  réclame  utile  à  un 
théâtre,  -il  a  chance,  pi  us  qu'un  autre,  d'administrer  habile- 
ment I'--  intérêts  d'un  établissement,  on  ne  peut  pas  dire 
qu'il  soit  détaché  de  tout  idéal,  de  boute  préoccupation 
artistique  :  or  l'art,  an  théâtre,  c'est  le  risque. 


Cependant  il  esl   indéniable  que  les  théâtres  oui  peine  ;i 

vivre,  <-i   qu'ils  a'ont  pas  progressé,  depuis  nue  vingtaine 

nnées,  comme  il-  auraient  dn  faire  aormalement,  suivant 

I'--   pi  de  L'instruction,  du  bien-être,  des  moyens   de 

transport,  auxquels  leur  prospérité  paraît  intimemenl  liée. 

n'esl  |  illeurs  un  fait  particulier,  en  un  moment  où 

de  ton    les  genres  littéraires  semblent  menacés. 

La    rise  ne    é  it  elle  pas  -m-  les  maisons  d'édition?  Les 


LA   RÉSISTANCE   a    LA    BOG 

romans    s»'   vendent-ils,   aujourd'hui,  aussi    bien    qu'il  j 
dix  ans?  Les  journaux,  les   revues  sérieuses  n'ont-elles  i 
souffert  de  la  c  mcurrence  ruineuse  que  leur  font  les  feuilles 
de  pure  information,  les  périodiques  affamés  d'actualité,  qui, 
pour  la  somme  modique  de  cinquante  ou  soixante-quinze 
centimes,  servent  au  public,  avec  illustrations  ppui,  une 

documentation  aussi  superficielle  qu'inutile. 

!)«'  même,  les  exhibitions  les  plus  insignifiantes,  les  piè< 
revues  et  chansons  d'une  écœurante  platitude,  les  attractions 
ei  clowneries  les  moins  originales,  <-l  même   le  cinémato- 
graphe, aux  visions  trépidantes,   <|ui  dispense  la   direction 
d'imagination,  et  le  public  <lc  réflexion,  q 'ont-ils  pas  désap- 
pris à  la  bonne  moitié  du  public  le  chemin    du   théata 
M;»  i >  l'éclat  de  la  mise  en  scène,  la  somptuosité  des  décors, 
L'attrait  des  numéros  de  cirque,  ne  sont  pas  les  seules  caus 
de  la  défection   du  public,  <|iu\  < ) 1 1 < > i  qu'on  en  dise,  n 
perdu  l'amour  des   belles   choses,  qui    sail  encore  rire  <»u 
pleurer,  ei  s'intéressera  une  action  dramatique.  Comment 
expliquer  sans  cela  son  goûl  de  plus  en  plus  vif  pour  les 
concerts  < I < >n t  l»>s  prix  sont  abordables?  Pourquoi  les  théàti 
subventionnés     seraient-ils    pris     d'assaut,     le    jour    du 
14  Juillet?  Pourquoi  le  peuple  s'empresserait-il,  lorsque  des 
artistes  de  La  Comédie-Française,  de  l'Opéra,  promène  ni 
travers  Paris,  l«i  répertoire  des  Trente  kns  de  Théâtre  .' 

Si  le  public  ne  se  presse  pas  aux  guichets  des  U> 
c'est  qu'ils  se  ferment  à  plaisir  aux  petites  boura 
<|u<'  !r>  tarifs  en  vigueur,  accessibles  seulement  i  ceux  qui 
dépensent  sans  compter,  et  à  ceux  qui  entrenl  Nina 
—  classe  nombreuse  ei  avide,        écartent  impitoyablemenl 
ceux  qui,  m-  disposant,   pour   leurs  distractions,  que  «I 
budget  restreint,   veulent   bien  entendre  un  drame  ou  ui 
comédie,  à  condition  de  n'être  pas  condamnés  aux 


i7(3  CHAPITRE   VIII 

l'on  ne  voit  pas,  où  l'on  a  chaud,  où  l'on  est  mal  assis.  S'il 
ne  veut  pas  consentir  à  ce  sacrifice,  contraire  à  loutes  les 
les  de  l'hygiène  et  du  confort  moderne,  le  petit  public 
est  exposé  à  dos  déboires  pécuniaires,  qui  le  dégoûteront 
souvent  de  remettre  les  pieds  dans  un  théâtre.  Un  auteur 
dramatique  dressait  ainsi  le  bilan  d'une  soirée  passée  au 
théâtre  pour  un  ménage  bourgeois  : 

Deux  fauteuils,  20  fr.  ;  ouvreuse,  0  fr.  50  ;  programme, 
ii  Fr.  50  :  rafraîchissement,  1  fr.  ;  la  lorgnette,  0  fr.  50;  le 
souper  bien  modeste  à  ce  prix),  5  fr.  ;  voiture  pour  aller, 
voiture  pour  rentrer,  3  fr.  00;  total  :  31  fr.  10  »  (1). 

Il  va  de  quoi  faire  réfléchir  bien  des  ménages.  Beaucoup 
prendront  tout  naturellement  le  chemin  des  music-halls, 
qui.  pour  un  spectacle  qui  s'adresse  à  tous  les  goûts, 
stimule  toutes  les  curiosités,  offre  des  places  confortables  à 
3  et  i-  francs  :  ajoutons  que  les  attractions  se  succèdent  à 
l.i  vapeur,  pour  ne  pas  dire  à  l'électricité,  et  qu'on  ne 
connaît  pas  les  eutr'actes  interminables,  qui  énervent  les 
plus  fermes  volontés. 

Le  dernier  théâtre  construit  dans  Paris  est  un  modèle  de 
confort  et  d'élégance;  c'est  une  agréable  scène  de  plus,  mais 
ce  n'est  pas  du  tout  le  théâtre  dont  on  a  besoin  actuelle- 
ment, pour  raviver  !<■  goût  du  public,  et  l'arracher  aux 
attractions  de  bas  étage. 

Il  faudrait  des  salles  vastes,  aménagées  sans  luxe  inutile, 
ou  les  tarifs  soient  faits  pour  toutes  les  bourses,  où 
personne  n'entre,  sans  ôtre  assuré  de  ne  pas  expier  sa 
curiosité  par  une  gêne  matérielle  intolérable.  Il  ne  s'agit 
là  évidemment  d'un  plan  d'ensemble.  Les  théâtres 
de    genre    ne    s'adresseront    jamais    qu'à    une    clients 


M    FofWt,  article 


LA   RESISTANCE   A    F. A    SOCIÉTÉ 


<  i 


restreinte;   ils   ne  pourront  jamais   descendre   leurs   tarifa 
au-dessous  d'une  certaine   limite,   parce   qu'ils  ne  peuvent 
vivre  qu'en  faisan!  payer  très  cher   :   le  loyer,  les  frais  de 
mise  en  scène  el  d'interprétation,  nécessiteront  toujours  des 
sacrifices   importants,    auxquels   la    direction    ue   peul 
refuser,   sous  peine   d'être  écrasée    par  la  concurrence  des 
scènes  rivales.  Lorsque  l<i  Gymnase,  dans  une  brillante  syn- 
thèse, réunit,  sur  une  même  affiche,  MM.  Du  mény,  Cal  mette, 
Huguenet    et    Mme  Marthe  Régnier,   lorsque   le   Vaudeville 
soutient  un  pièce  avec  M1    Mégard,  MM.  Dubosc  el  Léran, 
lorsque    les  Variétés    s'adressenl    à   MM.  Brasseur,  Baron, 
Guy,  à  M,lefl  Lavallière  ou   Yvette  Guilbert,  il  est   bien  • 
dent  qu'il   leur  faut   payer   très  cher   les  cachets   de 
artistes  ;  cela  est  d'ailleurs  de  toute  équité,   el  il  faut  B*en 
féliciter. 

Mais,  à  côté  de  ces  théâtres,  <|ui  ue  vivent  que  par  une 
mise  en  scène  el  une  interprétation  brillantes,  ue  conçoit- 
on  pas  des  théâtres  intéressant  leur  public  par  des  piè 
bien  construites,  sans  lui  offrir  des  décors  de  premier  choix, 
ni  des  étoiles  de  première  grandeur?  Comparanl  les  théâtres 
de  France  et  d'Angleterre,  M.  Ge<  rges  Bourdon  s'étonnait, 
avec  raison,  que  Paris  ue  possédât,  dan-  !<•-  extrêmes  limites 
de  >on  enceinte,  que  des  scènes  sans  confort,  sans  mise  en 
scène  sérieuse,  sans  troupe  cohérente,  alors  que  les  th< 
de  quartier  à  Londres  étaient  toujours  en  mesure  d'offrir 
à  leur  public  des  spectacles  fort  bien     -         s  (1). 

M.  Deval,  en  prenant   I'  Uhénée,  M.  Richem I,  en  i 

nanl  les  Folies-Dramatiques,  n'uni  pas  eu  d'autre  program  ni 
cl  ils  \    ont    brillamment   réussi.  Depuis  longtemps,  !  • 
tune  avait  cessé  de    sourire    à    ces  deui  »,   lorsqu  ils 


1    Les  thédli  et  anglai  .  chapitre  \ 


CHAPITRE    VIII 

entreprirent  de  les  remonter  :  des  affiches  sans  vedettes, 
une  mise  en  scène  fort  simple,  des  [tirées  données  pendant 
des  mois,  et  même  [tendant  la  saison  d'été,  des  bénéfices 
moyens,  mais  avec  un  minimum  de  frais  généraux,  tels 
Furent  les  principes  de  leur  administration.  Les  résultats  ne 
se  lin-ni  pas  attendre,  puisque  dès  les  premiers  exercices, 
[es  commanditaires  recevaient  2G  0/0  de  dividende. 

Ces  directeurs  révolutionnaires  sont-ils  allés  jusqu'au 
bout.  Non,  puisque  leurs  tarifs  restent  encore  assez  élevés 
pour  éloigner  de  leurs  scènes  toute  une  clientèle  d'amateurs 
peu  fortunés. 

Sans  doute,  ils  ont  déclaré  qu'ils  ne  demandaient  qu'à  les 
diminuer  davantage,  mais  ils  se  sont  plaints  de  rencontrer 
des  obstacles  infranchissables  :  et  Ton  entendait  bien  qu'ils 
en  avaienl  aux  droits  d'auteur,  tels  qu'ils  sont  perçus  par  la 
iété.  Est-ce  donc  que,  lorsque  la  Société  prélève,  dans  un 
théâtre  de  Paris,  10  ou  12  0/0  de  la  recette,  cette  rémunéra- 
tion, augmentée  même  des  billets  d'auteur,  peut  être  taxée 
d'arbitraire  el  d'injustice?  On  ne  voit  pas  pourquoi  celui 
<pii  ;i  i;iil  la  pièce  qu'on  applaudit  serait  moins  payé  que  le 
peintre,  qui  en  dessine  les  décors,  ou  l'artiste  en  renom  qui 
L'interprète.  Dès  l'Ancien  Régime,  on  discutait  à  laComédie- 
nçaise  si  l'on  devail  donner  aux  auteurs  le  septième  des 
bénéfices,  tous  frais  payés,  ou  le  neuvième  de  la  recette 
brute  :  on  ue  semblait  pas  trouver  mie  telle  concession  exces- 
sive. Les  règlements  actuels  dans  ce  théâtre,  régi  parla  tra- 
dition, accordent  aui  auteurs  !•>  0/0.  La  perception  Faite 
actuellement  par  la  Société  n'a  *\<>\\r  apriori^  et  d'une  Façon 
le,  i ■  i * •  1 1  qui  -<»ii  exagéré. 

I  ne  perception  égalemenl  onéreuse,  mais  dont  le  principe 

q  tes  table,  est  celle  qui   est  effectuée  au  profit  ^^ 

I  Assistance  publique.  En  1906,  cette  administration,  sur  un 


LA   RESISTANCE   a    LA    «X  lu  i. 

total  de  4,221,529  francs  perçus  par  elle  sur  les  spectacles 
ou  attractions  diverses  de  Paris,  prélevai!   3 
dans  les  théâtres  el  music-halls. 

L'impôt  dans  ces  établissements  est  du  dixième  des  recetes 
brutes.    Certes,    le    droit    des  pauvres,    dont   l'origine    esl 
très   ancienne,  permet   d'entretenir  des   hôpitaux,  des  h< 
pices,  el  <l<i  distribuer  de         ours.  Il   nui   esl    pas  moins 
vrai  qu'il  pèse  lourdement  sur  les  administrations  théâtral* 
dans  l'intérêi  même  des  ressources  qu'il  en   tire,  il  semble 
que  l'Etat  devrai!  ménager  davantage    les  salles  de   sp< 
tacles  :  il  ne  faul  pas  tuer  la  poule  aux  œufs  d'or.  V         ut- 
il pas  de  bonne  politique  de  dégrever  les  petites  scènes,  de 
favoriser  les  directions  qui  remontent  des  entrepris*  >u- 

ragées  par  une  malchance  continue,  en  ne  soumettant  au 
plein  tarif  que  les  établissements  <|ni.  par  leur  situation 
acquise,  ou  leur  prospérité,  paraissent  à  l'abri  des  coups  de 
la  fortune? 

Ne  serait-il   pas  au  moins  de  toute  équité,  de  ne  prélever 
l'impôt  que  sur  la  recette  nette,  défalcation   faite  des  frais 
quotidiens?       Car  enfin  <i-l-il  juste,  écrivait  un  directeur, 
que  quand  nous  avons  2. oui)  francs  de  frais,  e!  que  nous  t 
sons  nne  recette  de  1,000  francs  —  ce  qui  nous  arrive  à  tous 

— i-  soyons  obligés  de  donner  aux  pauvres  encore  I ' 

de  notre  recette    misérable.    En    pareil   cas,  les   véritables 
pauvres,  c'est  non-,  et  l'on  pourrai!  avoirpitiéde  notre  pau 
\  reté  •     I  . 

Mais  cette  réforme   dépend   des   pouvoirs  publ  les 

directeurs  ont  peu  de  chance  de  la   voir  aboutir  à   bri 
échéance.  D'autres  dépenses,  dans  un  thé  rablenl  pi 

aisément  réductibles,  et,  pourvu  que  Ie*  directeurs  m 


l    Voir  li   Gaulois  «lu  21  avril  190 


CHAPITRE    Vltl 

taquenl  ni  aux  droits  d'auteur,  ni  aux  cachets  des  artistes,  ni 
aux  salaires  du  personnel,  ils  ne  rencontreront  l'opposition 
d'aucune  association,  d'aucun  syndicat,  qui  les  empoche  de 
s'entendre  pour  pourvoir  en  commun,  et  à  meilleur  compte,  à 
certaines  dépenses,  pour  avoir  deux  ou  trois  magasins  d'ac- 
cessoires,  au  lieu  d'en  avoir  six,  pour  mettre  en  concurrence 
les  (l»r«  .râleurs,  pour  acheter  des  meubles,  au  lieu  de  devoir 
les  louer?  Vis-à-vis  de  la  Société  des  Auteurs  elle-même,  son 
action  peut  s'exercer  utilement.  Car  les  traités  généraux, 
nous  l'avons  vu,  ne  sont  pas  exempts  de  tout  reproche  :  en 
unissant  leurs  efforts,  les  directeurs  pourront  combattre 
heureusement  les  billets  d'auteur,  le  domaine  public  payant, 
les  redevances  arbitraires.  Un  contrat  n'est  d'ailleurs  parfait, 
que  lorsqu'il  résulte  de  deux  volontés  rélléchies  :  jusqu'ici 
les  traités,  rédigés  à  la  Société,  en  dehors  des  intéressés,  ont 
été  acceptés  par  eux,  sans  discussion  et  en  bloc  :  ils  peuvent 
se  plaindre,  non  sans  raison,  de  n'être  pas  entendus,  ou, 
luiii  an  moins,  de  n'être  pas  écoutés.  La  situation  de  chaque 
théâtre  commande,  à  vrai  dire,  un  traitement  particulier; 
I  tous,  la  Société  offre  une  formule  presque  uniforme,  un 
tarif  peu  variable  :  et,  toujours,  c'est  à  prendre  ou  à  laisser. 
L'union  des  directeurs  leur  assurerait  des  prérogatives  pré- 
cieuses, quand  ce  ne  serait  que  celle  de  discuter  des  ques- 
tions, don!  une  seule  des  parties  en  cause  décide  aujourd'hui 
souverainement. 


L(  directeurs  sont-ils  donc  les  ennemis  des  Littérateurs? 
Il  en  b  été  longtemps  ainsi.  Mais,  aujourd'hui,  les  écrivains 
ii'. ut  vraimenl  plus  à  se  plaindre.  Directeurs  el  auteurs  ont 
en  réalité  un  même  intérêl  :  c'est  que  les  affaires  soient 
prospères,  que  les  auteurs  gagnent  largement    leur  vie,  et 


LA    RÉSISfANCB    A    LA    -ni. II. II.  \s[ 

que  les  directeurs  y  trouvent  leur  compte.   Si   cet    int< 
u'apparaîl  pas  toujours  nettement,  ces!  que  des  malentendus 
se  produisent. 

Il  appartiendra  aux  deux  groupements  en  présence  de  les 
dissiper,  dans  un  même  effort  d'entente  cordiale.  Les  auteurs 
seuls  I   affranchis;   mais  L'expérience  prouve  qu'une 

liberté   ne  se  complète  que    par    une   autre.    En 
syndicats  ouvriers,  les  patrons  se  trouvaient  désarmés,  tanl 
qu'ils  n'avaient  |»i-  formé  des  chambres  syndicales.  En  fa 
de  In  Société  omnipotente,  le-  directeurs  seront  faibles,  tant 
qu'ils  n'auront  pas  formé  un  bloc. 

Cette  i<l<;«'  semble  d'ailleurs  s'<  tre  iinp  eux  dans 

temps  derniers.  Dès  IS'.>2.  on  assistait  ;<  La  naissance  d'un 
syndicat  des  directeurs  parisiens.  Les  auteurs,  Loin  de 
prendre  ombrage  'If  ••'itk  puissance  nouvelle,  avaient  <".i  Le 
hou  esprit  de  lui  souhaiter  une  heureuse  existence,  compi 
ii.-inl  L'intérêt  primordial  <'l  commun  qui  les  unissail  tous  : 
la  prospérité  des  scènes  parisiennes    I  . 

Les  souhaits  des  auteurs  ne  furent  pas  exau 
tuts  étaient    à   peine   ébauchés,  <|u<'  l'institution  sombrait. 
Nous   avons  vu,   h    La   lin  .lu  wm'   siècle,  le*  draraaf 
divisés  par  les  questions  d'amour-propre,  <-l  longs  &  prendre 
conscience  de  leurs  devoirs   <l«'  solidarité.   Ce  n  était   rien 
auprès  dn    particularisme  des  directeurs   de   nos  grand 

nés,  préoccupés  surtout  »l<-  B'arracher  Les  manuscrite 
d'auteurs  en  vogue,  H  de  s'enlever,  Les  uns  aui  autres,  Les 
artistes  de  marque. 

Tout   récemment,  un-'  tentative  plus  sérieuse  fui   ' 
elle  aboutit  à   ....   pacte  d'alliance  offensive  el  d< 


I    Annuait     1892 


CHAPITRE   VIII 

Eclos  aux  heures  troubles  où  quelques  opposants  agitaient 
au-dessus  tic  la  Société  le  spectre  du  trust,  le  syndical  des 
directeurs  de  Paris  fui  d'abord  accueilli  par  la  Société  des 
Auteurs  avec  quelque  défiance.  Ne  s'était-il  pas  fonde  dans 
nue  pensée  d'hostilité  contre  l'association,  à  un  moment  où 
son  œuvre  était  l'objet  d'un  examen  sévère?  N'allait-il  pas 
pousser  à  l'accaparement  des  théâtres  de  Paris,  sous  une 
direction  commune,  afin  de  mettre  le  marché  à  la  main  aux 
auteurs?  Cette  méfiance  paraît  s'être  dissipée  aujourd'hui: 
l'année  dernière,  la  Société  assurait  de  sa  sympathie  le 
groupement  nouveau. 

L'union  des  directeurs  n'est  pas  en  effet  une  arme  de 
combat  contre  les  auteurs;  dès  avant  que  deux  théâtres  se 
fussenl  insurgés  contre  la  Société,  Mmc  Sarah  Bernhardt,  qui 
avail  déjà  donné,  à  diverses  reprises,  des  signes  d'indépen- 
dance  vis-à-vis  de  la  Société  des  Auteurs,  avait  eu  l'idée 
d'inviter  les  directeurs  des  scènes  parisiennes  à  se  réunir, 
pour  discuter  leurs  intérêts  communs. 

En  novembre  1904,  un  avant-projet  de  statu ts  fui  rédigé, 
sans  qu'on  se  prononçât  d'une  façon  précise  sur  la  l'orme 
le  à  donner  au  groupement. 

«  Sera-t-il  dieu,  table,  ou  cuvelte  ?  » 

«mi  ue  savait  encore.  Syndicat,  société  civile,  association,  on 
bésitail  sur  la  formule  à  adopter,  sur  l'étiquette  à  prendre, 
parmi  celle  qu'une  législation  variée  met  aujourd'hui  à  la 
disposition  des  intérêts  collectifs. 

En  avril  1905,  la  ligue  naissante  arrêtail  son  statu!  légal. 

q  faux  titre  de  syndicat,  elle  se  déclarail  société  civile  ; 

elle  demandait  des  apport*  à  ses  membres,  el  prévoyaitun 

pai  de    bénéfices.    L'acte    approuvé    par    M"1"    Sarab 

Bernhardt,  par  MM.  Porel,  Kicheraond,  Grisier,  Fontanes, 


LA   RÉSISTANCE   A    LA    - 

et  deux  de  leurs  collègues,  fui  soumis   a    tous    les   din 
teurs  des  grandes  scènes  de  Paris.  Tous,  hormis  les  dii 
teurs  du  Théâtre-Français  el  de  l'Opéra,  onl   aujourd'hui 
adhéré  aux  statuts;  la  Société  Fonctionne  régulièrement 
depuis  peu  —  sous  la  présidence  de  M.  Carré,  directeur  de 
l'Opéra-Comique,   assisté  d'un    bureau,  où    se    rencontrent 
MM.  Porel.  Antoine,  Franck.  Samuel,  Richemond,  el 
s<;;inces  ont  lieu  deux  fois  par  mois. 

Les  statuts  rédigés  par  M    Clunet,  l'un  des  conseils  judi- 
ciaires de  la  Société,  onl  donné  à  ce  groupement  une 
nisation  prudente,  mais  forte  :  L'entreprise  est  viable;  tout 
porte  à  croire  qu'elle  sera  féconde. 

L'objet  de  la  Société  est  la  défense  des  droits  et  intérêts 
collectifs  :  le  programme  est  des  plus  larges.   Il  est  appuyé 
d»1  ressources  financières  assez  considérables.  Tout  membre 
de  la  Société  verse,  en  entrant,  une  somme  de  ;!<>n  fran< 
il    paie  une  cotisation   annuelle    de  250  liane-.   I 
sociale  est  alimentée  en  outre  par  le  produit  de  représen 
tions  à  bénéfices. 

Les  statuts  prévoient  une  caisse  de  retraites,  un  fonds  de 
secours  :  ils  mentionnent  également  une  caisse  de  crédit  — 
institution  des  plus  utiles,  qui   dispensera   les   associés,  en 
cas  de  gêne,  de  recourir  aux  services  onéreui    des  fouro 
seurs  ou  des  marchands  de    billets.  Faut-il  voir  aussi,  da 

cette  caisse,  une  réserve  éventuelle  | r  les  mauvais  joui 

au  cas  où  les  relations  viendraient   à  être   rompu<  la 

Société  des  Auteurs?  Ces  fonds  permettront-ils  d'opposeï  la 
lock-out  des  patrons-directeurs  a  la  grève  des  draina 
ouvriers?  Il  serait  prématuré  de  le  diri 

En  tout  cas,  le  pivot  delà  combinaison  parait  i  Ire  I 
imité  de  L'article  17  des  statuts  de  la  - 
interdit  aux  membres  de  trait  r  avec  tout 


CHAPITRE    VIII 

ou  de  compositeurs  qui  n'aurait  pas  de  traité  général  avec  le 
syndicat.  Ajoutons  qu'une  forte  dédite  est  stipulée,  au  cas  où 
un  des  associés  voudrait  se  retirer. 

Tout  esl  donc  prévu.  Pourtant  le  syndicat  est  très  éloigné 
de  vouloir  déclarer  La  guerre  à  la  Société.  Même  ses  efforts 
ont  jusqu'ici  poil*'  ailleurs.  Avant  de  réformer  les  autres, 
les  directeurs  ont  songé  à  se  réformer  eux-mêmes.  Dans 
l'idée  tlf  réduire  leurs  charges,  ils  ont  étudié  et  l'ail  aboutir 
un  projet  d'affichage  à  irais  commun.  La  question  de  l'impôt 
des  pauvres  semble,  pour  le  moment,  être  à  l'ordre  du  jour 
des  discussions  qui  se  poursuivent. 

Cependant  il  est  inévitable  que  des  rencontres  —  sinon 
des  heurts  —  se  produisent  entre  la  Société  des  Auteurs  et 
le  syndicat  des  directeurs  :  le  domaine  public  payant,  les 
billets  d'auteur  seront  fatalement  inscrits,  un  jour  ou  l'autre, 
au  programme  de  la  nouvelle  société.  Par  la  seule  force  que 
lui  donne  l'union  de  ses  membres,  le  syndicat  a  déjà  obtenu 
une  concession,  vainement  demandée  depuis  des  années  : 
les  redevances  exigées  jusqu'ici  des  théâtres  ont  été  rem- 
placées par  des  représentations  à  bénéfice  qui  seront  données, 
tous  les  ans,  au  profil  de  la  cai  ;se  de  la  Société  i\(^  Auteurs. 
Ou  revientà  l'ancien  système,  dont  les  théâtres  avaient  tou- 
jours sollicité  le  rétablissement. 

A  un  point  de  vue  plus  général,  l'union  i\^>  directeurs  a  «m 
d  autres  conséquences  heureuses.  D'abord,  elle  a  créé  entre 
des  hommes  divisés,  un  esprit  d'étroite  solidarité  :  elle  leur 
a  permis  de  prendre  conscience,  au-dessus  des  rivalités  per- 
sonnelles, des  intérêts  corporatifs  d'une  industrie,  difficile 
entre  tout 

t,  en  outre,  un  utile  et  uécessaire  contrepoids  à  la 
'•  jusqu'ici  prépondérante,  des  auteurs.  Quand  on  est 
tre  de  la  situation,  il  est  bien  malaisé  de  n'en  pas  abuser. 


LA   RÉSISTANCE   a    La   BOCUM 

On  suit  une  pente  insensible,  mais  d     s   reuse.   Les  din 
teurs  se  sont  dits  sacrifiés  :  ils  pourronl  maintenant  | 
traiter  d'égal  à  égal.    Il  «'M  probable  que   tout   le   mond< 
trouvera  son  compte,  et  que  les  conflits,  loin  d'augmenté 
deviendront  <!<•  plu-  en  plus  rares.   Lorsque  deux 
tions  i>iiis>;m!r-  se  rencontrent,  tenani  dans  leurs  mains  des 
intérêts  considérables,   il   y  ;i   de  grandes  chances  que  la 
guerre  -<>it  évitée. 

Le  syndicat  doil  «Mit,  entre  ses  membres  «'I  la  Société  des 
Auteurs,  une  juridiction  de  conciliation  :  un  exemple  récent 
montrera  l'importance  de  ce  rôle.  Dernièrement,  un  conflit 
surgissait  entre  la  Société  des  Auteurs  H  MM.  I 
directeurs  profitèrent  de  la  transformation  de  la  Gatté  en 
Théâtre-Lyrique  populaire,  pour  demander  que  lea  droits 
d'auteur,   li\«'-    à    H)  ()  o.    fussent    abaiî  3   0  0.    Il- 

invoquaient  —  avec  quelque  apparence  de   raison    -  les 
modifications  libérales  qu'ils  avaient  «lu  apporter  à   leurs 
tarifs.  Non  seulement  la  Société  n'accepta  pas  le  s  0  0,  m 
elle  exigea  le  12  «>  0.  .MM.  Isola  s'empressèrent  de  saisir  le 
syndicat  de  la  question    I  . 

N'est-ce  pas lutte  à  éviter,  une  mise  en  interdit  ••  pré 

venir,  un  trust  peut-être  à  arrêter  ' 


H  est  naturel,  el  dans  l'ordre  des  choses,  «in.-  les  directeurs 
se  plaignent  <!<•  donner  trop  d'argent  aui  auteurs  :  "I  : 
sembler  moins  logique  que   les  auteurs  se   i 
trop  avoir.   Ce     doléances  i  taient   pourtant  nu  arti<  le  «lu 

cahier  des  réclamations  qu'ils  rec nand 

au  cours  «lu  dernier  procès,  par  la  voii  aul  M    N''l 


i    iirho  de  P         numéro  du  12  jan 


_•:_._  ï.\  .  •-.;.  Je  -:■-■::•  :  --m  -  ■  ;  ]:  .li-  u  a  ct*ssé  de  se  faire 
BaAendie,  u  cours  du  siècle  dernier. 

:.       ..:.   -"  .      ^..:..ri.:  *        :•    .-  -  A  iteurs   se   I  rg  .• 

—     -  -  -  mrnunau:         s   Ira- 

:..        .   -         -    --:.'.-    »    fait  honni  u    le  traiter  également 

.  — ..:    -   eî   -—   :  ::—-.   le?    i-élebrités.  et  Les  inoomi   s. 

L.  -  -  - 

\--:r:  ■  ....---■  .:■  :.t  :  u:  .  1:  f-i-is  de  j  lii  le  (  -  ta  .- 
"r  :„t:.:  ::.■..-..•  .  -  :.  -  -;.:.•  ..  1-  .:  j:.j].  --  :  .  •  ;  i  :;•;..; 
lanu  •     -  i]  îiir  n.ti'.-L  -se:  -     -  iter. 

-   îent-il —  - 

—      donner  \  a 
-_    :    :  '..  _  k  ncouu$       fil-     —   ieraieut  .'   La 

r- 
:..•:.  r  .-•  -  j  "  "  :  .    :  il-  ue  serunt  j   mais  joués. 

Lii  apparaît  au  premier 
:>.:■'.     .     -       :*        :r  ;  absolument    ■'■  Gant,  î'  nd   les 

qo  éfléchisse 

qu'un  métier  de  dupe?  -fendent  seuleuu 

:~  na:  .:  >  I-  tri    ....  :.   ;-u:>       1  . 

s?     a  rur  beaucoup  de 
jaunes  auteurs,   qui.   dar.-  ption  qu 

- 

Le  problème  est  malheureusement  beaiK 

qu  ;    d'un 

!Ui    qu  "ou    peut 
"aller  de  le  résoud 


LA  RÉSISTANCE   A    LA    BOG 

Si  les  directeurs  vonl  toujours,  de  préférence,  vers  les  noms 
consacrés  par  le  succès,  c'esl  que  les  m 
de  l'entreprise  dans  laquelle  ils  sont  ,,t. 

lorsqu'ils  lancent  une   pièce   nouvelle,   .1  mettre  toutes 
chances  de  leur  côté.  Un  nom  apprécié  du   publi 
toujours  une  certaine  curiosité  dans  la  foule,   un  empres 
ment,  au  moins  momentané,  en  môme  temps  qu'il  assun 
d'ordinaire  la  bienveillance  de  la  critique.  Sans  doute,  les 
directeurs  sont  portés  à  s'exagérer  ces  avantages,   Ni      ,nt- 
ils  pas  dupes  souvent  d'un  mirage,  lorsqu'ils  obéissent 
vilement  aux  caprices  de  La  mo  le,  Lorsqu'ils  jugent  de  L'a 
nir  sur  le  passé,   lorsqu'à  une    pire-  solide  el   sincère,   ils 
préfèrenl  une  œuvre  bâclée  et  sans  intérêl  .'  <  lela  est  -\  ident. 
Beaucoup,  embarrassés   de   faire   un    eboix,  de   distinguer 
l'écrivain  d'élite,  entre  Les  faiseurs  et  les  inutilités,  se  tournent 
vers  Le  littérateur,  auquel  un  Laurier,  obtenu  parfois  par  sur- 
prise, a  donné  sinon  l'éclat,  du  moins  Le  vernis  de  la  célébri 

In  auteur  vient-il  d'avoir  un  gros  succès,  on  Lui  demande 
trois   ou   quatre  actes  :   c'est    une    prière  à  Laquelle  <>\\ 
résiste  pas  Longtemps  ;  L'auteur  cherchera  un  sujet,  1! 
la  pièce  :  mais,  comme  nous  vivons  dans  une  société  pr<  - 
ou  celui-là  môme  < j  1 1  i  ^<i  dépêche  s  L'air  <l  être  en  retard, 
accepte  L'œuvre  future  sur  un  vague  scénario,  sur  un 
émise  au  cours  d'une  conversation.  Il  n'en  faut  pas  plus  :  le 
bruit  se    répand  à  travers  la   presse  que  M     \     .  I  bah 
directeur,  s'est  assuré  une  pièce  de  M.  \ .....  le  ilrani  itui 
bien  connu.  Déjà  on  sait  que  M.  V...  ou  M     Z      tiendra  un 
rôle.  L'artiste  en  vogue  est-elle  en   Vmériqu 
des  propositions  avantageuses  :  elli 
ce  qu'il  faut  pour  qu'il  soit  d  quah  inq  mil 

francs  de  télégrammes,  excellente  n 
L'heure  de  la  Livraison  arrivi      L'auteur,  inqui  ne 


nv  CHAPITRE    VIII 

qu'à  regrel  une  œuvre  éclose,  non  dans  un  moment* d'inspi- 
ration, mais  dans  une  minute  d'exaspération.  Le  rideau  se 
lève  sur  une  pièce  sans  action,  sans  intérêt,  sans  originalité, 
e1  tiui,  dans  l'éclal  de  la  figuration,  dans  le  brio  de  l'inter- 
prétation, paraît  encore  plus  terne  et  plus  insignifiante. 
Conséquence  :  la  pièce  quitte  l'affiche,  avant  d'avoir  rem- 
boursé I»1-  décors  et  les  costumes. 

Le  directeur,  qui  perd  sa  mise,  est  dans  la  situation  d'un 
homme  d'affairés  qui  a  acheté  des  actions  d'une  entreprise 
en  pleine  prospérité,  au  moment  où  les  cours  vont  descendre  : 
il  paiera  la  différence  entre  la  pièce  qui  L'a  décidé  à  faire  sa 
commande,  et  la  pièce  qui  lui  a  été  livrée. 

N'aurait-il  pas  été  mieux  inspiré,  en  s'adressant  à  un 
jeune,  qui,  au  lieu  de  travailler  pour  sauvegarder  sa  situation, 
aurait  tâché  de  se  faire  un  nom?  Sans  doute,  et  tous  les 
directeurs  n'en  sont  pas  réduits  à  suivre  les  caprices  de  la 
mode.  Il  s'en  rencontre  —  surtout  parmi  les  anciens  artistes 
—  qui  son1  plus  soucieux  d'ouvrir  leurs  scènes  aux  œuvres 
>ureuses,  d'où  qu'elles  viennent,  que  de  soutenir  les 
célébrités  chancelantes.  Certains  même  commencent  à' com- 
prendre que,  dans  leur  intérêt  bien  entendu,  en  dehors  de 
toute  préoccupation  artistique,  il  y  a  profit  pour  eux  à 
tendre  les  mains  aux  débutants,  à  juger  avec  plus  d'équité 
les  manuscrits  qui  leur  sonl  présentés.  MM.  Deval  et  Riche- 
mond  oui  été  du  nombre  de  ces  directeurs  intelligents.  On  a 
ne-  été  jusqu'à  dire  que  si  la  Société  leur  avail  déclaré  la 
est,  qu'an  lieu  déjouer  les  sociétaires  influents,  ils 
n«-  s'étaient  guère  adn  qu'à  des  stagiaires.  Le  reproche 

était  injuste  :  mais  il  es!  certain  qu'ils  ri'avaienl  pas,  comme 
beaucoup  de  leurs  confrères,  écarté  de  parti  pris  «les  débu- 
tants ou  lesdemi  notoriétés.  El  il  faut  les  m  féliciter, 


LA    RÉSISTANCE   A    LA    SOCIÉTÉ 

Il  n'en  reste  pas  moins  que  les  inconnus  ont,  au  théâtre, 
plus  qu'ailleurs,  toutes  les  peines  «lu  monde  à  se  i ; ■  î i - •  -  con- 
naître. Presque  partout,  le  directeur  auquel  ilsfont  appel 
leur  demandera  sur  quelle  scène  il-  on!  été  déjà  j  ils 

risquent  de  tourner,  jusqu'à  la  lin  de  leur  vie,  dans  cle 

vicieux.  Mais  la  Société  des  Auteurs  peut-elle,  en  réduisant 
sa  perception,  leur  assurer  un  meilleur  ;  »  <  -«  - 1 1  *  *  î  I  auprès  des 
directeur-  ? 

Lorsqu'on  considère  le  monde  des  littérateurs  ou   ai 
teurs  qui  entretiennent   l<i  public  de   leurs  préoccupations 
littéraires,   on  est  tenté  de  les  répartir  en  tr<  ipes  : 

d'un  côté,   le    groupe    imposant,    mais    forl    restreint,  dei 
auteurs  en  vogue;  il-  fonl  la  loi  sur  le  marché  :      satra] 
inviolables,  a-t-on  dit,  vers  lesquels  les  directeurs  se  pi 
cipitent,  la  (laiterie  à  la  bouche,  l'or  dans  les  mains,  al 
qu'ils  laissent    se   morfondre   dans    leurs  antichambres  le 
vulgum  pecus  des  lettres    .  D'un  autre  coté,  ce  son!  les  écri- 
vains déjà  honora blemenl  connus,  qui  travaillent  h  -  im] 
,.,•!•:   les  uns  ne  parviendront  jamais  &  la  grande  notorii 
les  autres  connaîtront  la  gloire,  ou  du  moins  l'illusion  , 
gère  de  la   gloire  :  mais  tous  fonl  un  effort  qui  mérite  «I  être 
encouragé.  Au-dessous  de  ces  littérateurs  qui  «ml  déjà  t. ut 
leurs  preuves,    évolue   1«'  monde    mouvant  et    big  des 

débutants  :  majorité  par  le  nombre,  minorité  pat  le  talent; 
masse  turbulente  et   susceptible,   qui   se   plaint    h  ip. 

Combien,  parmi  ces  apprentis,  fascinés  souvent  |  m  le  pi 
tige  qu'exerce  le  théâtre,  ;<   moins  qu'ils  ne  so  mple 

ment   séduits  par  le  gain   facile    et  fructueux, 
les  joies  «In  succès  ?  < :< »in hi.n .  dont  I-  œui 
par  un  cercle  d'amis  dévoués,  ou   font 

l •  ,1,-  salons,  pâliront  aui  feuxde  la  rampe  '  nt, 

faute  «le  titres,  trouver  un  directeur  confiant  en  leui 


100  CHAPITRE    VIII 

il^  m4  consolent  en  critiquant  leurs  confrères,  en  dénonçant 
les  coalitions  et  les  combinaisons  qui,  d'après  eux,  faussent 
le  marché  dramatique.  À  les  entendre,  le  mérite  ne  compte 
pas  :  seul,  un  heureux  hasard  décide  d'une  carrière,  crée  le 
talent,  au  besoin  le  génie.  Us  rappellent  des  exemples,  citent 
des  noms. 

Ne  serait-il  pas  plus  juste  de  dire  que  tous  ceux  qui  ont 
un  talent  vraiment  original,  qui  apportent  au  théâtre  une 
idée  nouvelle,  une  note  personnelle,  ont  chance  de  percer 
un  jour,  quelques  épreuves  qu'ils  soient  appelés  à  traverser. 
Nous  ne  sommes  plus  au  temps  où  les  écrivains  se  pensaient 
perdus,  parce  que  la  Comédie-Française  avait  refusé  leur 
manuscrit  :  si  la  porte  d'en  face,  celle  des  Italiens,  ne 
s'ouvrail  pas  devant  leur  génie  incompris,  ils  n'avaient  plus 
qu'à  s'aller  pendre,  ou  à  se  mettre  à  la  solde  des  forains  : 
triste  sort,  lorsqu'on  avait  sur  la  conscience  quelque  tra- 
gédie <'ii  cinq  actes,  en  vers. 

Théâtres  subventionnés,  scènes  de  genre,  petits,  grands 
el  moyens  théâtres,  offrent  aujourd'hui  à  l'auteur,  repoussé» 
d'un  côté,  un  refuge,  un  espoir:  en  dehors  même  du  I  h  «'Aire, 
que  l'auteur  inconnu  réussisse  dans  un  genre  plus  abor- 
dable, qu'il  Be  fasse  nu  nom.  dans  les  lettres,  dans  le  jour- 
nalisme, et  les  directeurs  \  iendronl  un  jour  à  lui.  Que  d'écri- 
vains dramatiques,  qui  n'ont  pu  voir  s'animer  à  la  scène 
les  |'  rson nages  créés  par  leur  verve  et  leur  fantaisie,  que 
lorsqu'ils  avaienl  déjà  passé  l'âge  des  illusions  î  Le  sud 
récompensa  leur  attente  :  d'un  seul  coup  ils  vidèrent  leurs 
i  résor  des  an  nées  de  jeunesse. 

N     i  on  pas  ouvert,  récemment,  une  enquête  sur  le  nombre 
publia  iiiiiul.inl  les  fonctions  de  critique  dramatique 

qualité  de  dramaturge?  Encore  un  excellent  stratagème 
pour  s'acheminer  vers  le  théâtre,  par  un  détour  agréable. 


LA    RÉSISTANCE    A    LA    BOOM 

Méfions-nous,  somme  toute,  des  auteurs  incompris 
grand'peur  qu'ils    n'eussent,    le  plus    souvent,   apporté  au 
théâtre  que   ce  que  nous  donnent  les  plus  ma 
auteurs  connus  auxquels  il-  se  comparent  volontiers,  et  <l<»nt 
ils  aspirenl  à  prendre  la  place. 


Que  se  passerait-il,  le  jour  où  la  Société  renoncerai! 
un  minimum  <lc  perception  pour  les  droits  d'auteur,  le  jour 
où     tous  membres  jouiraient    de    cette    liberté    <|u»' 

certains  appellent   de  leurs  vœux?  Les  écrivains  célèbi 
ceux   qu'un  taxe  de  despotisme,  D'en  souffriraient 
ment  pas  :  ce  n'est   pas  parce  < j 1 1« *  les  directeurs  pourraient 
acheter  les   pièces  au  prix  qu'il  leur  plairait,  que  MM.  Her- 
vieu,    Lavedan,    Maurice    Donnay,   Edmond    Rostand,    j 
exemple,  ne  trouveraient  plus  acquéreur  aux  mêmes  condi- 
tions. 

Mais  si,   par   malheur,    la   Société   disparaissait,  si    I 
dramatique  étail  rendu  h  ce  qu'on  appelle,  par  dérision 
libre  concurrence,  à  ce  qu'il  serait    plus  juste  <l  appeler 
famine,  nous  verrions   des   écrivains,    estimés   «lu    publ 
obligés  de  passer  sous  les  fourches  caudines  des  directeurs 
un    verrait    revenir  les  temps  ou  I  «>m  avait  des  manuscrit* 
pour  quelques  centaines  <l«'  francs. 

Car  la    production   dramatique  est    suffisamment 
dante   pour  que  les  théâtres  n'aient   pa  tindre 

trouver  à  court  de  pièces,  et  de  laisser  chômer  leurs  i 
Les  auteurs  qui,  sans  avoir  atteint   à  la   i  élébriti 
déjà  fait  un  nom,  se  plaignent  aujourd'hui  que  l<  mus- 

crits   sommeillent    trop    longtemps    dans    l  d  "" 

directeur.  Que  serait-ce,  le  jour  où    la 
mit,  non  seulement  entre  les  talents,  mais  entn 


CHAPITRE   VIII 

Ton  n'obtiendrait  an  tour  de  faveur,  qu?en  offrant  sa  mar- 
chandise moins  cher  que  le  voisin?  Ce  serait  le  théâtre  mis 
en  adjudication  publique  :  les  directeurs  le  savent  bien,  qui 
disent  :  plus  de  Société,  [>lus  de  monopole.  L'égalité  pour  Ions  : 
irait  l'égalité  dans  la  misère. 
Les  débutants  profiteraient-ils  an  moins  de  celle  baisse 
des  cours?  Pourraient-ils,  à  la  faveur  de  cette  débâcle, 
convaincre  les  directeurs  qu'ils  ont  intérêt  à  les  jouer?  Rien 
ne  permet  de  le  penser  ;  au  contraire,  leurs  confrères  déjà 
connus  ayanl  du  diminuer  leurs  prétentions  et  venir  à 
composition,  ils  seraient  plus  impitoyablement  écartés  des 
principales  scènes.  Quant  à  ceux  qui,  par  hasard,  viendraient 
a  être  représentés,  leur  sort  serait  plus  dur  qu'aujourd'hui. 
Ceux-là  se  plaignent  actuellement  d'être  souvent  obligés  de 
renoncer  à  leurs  droits,  et  par  une  inconséquence  étrange, 
ils  reprochenl  à  celle  même  Société,  qu'ils  accusent  de 
despotisme,  de  ne  pas  les  défendre  assez  éne iniquement 
contre  eux-mêmes  ;  ce  qui  est  aujourd'hui  l'exception 
deviendrai!  la  règle  demain  ;  les  directeurs  sauraient 
contraindre  les  jeunes  à  abandonner  toute  prétention,  si 
même  il-  ne  leur  demandaient  pas  un  concours  pécuniaire. 


Est  ce  i  dire  que  la  Société  n'ait  pas  des  devoirs  envers  les 
jeunes  auteurs?  Telle  n'est  pas  notre  pensée.  Qu'elle  leur 
ouvre  plus  libéralement  l'accès  à  ses  assemblées,  et  jusque 
dans  ses  conseils  :  qu'elle  les  admette  a    participer  à   son 

ivernement,  a  partager  les  responsabilités  qui  lui 
incombent  :  il  entiront  mieux  les  difficultés  qu'elle  ren- 
contre, el  le    devoirs  de  solidarité  qui  s'imposent  ;<  Ions  les 

doit  faire  plus  :  elle  doit  les  encourager  dans 


LA    RÉSISTANCE   A    LA    SOCIÉTÉ 

leur  carrière.    S, m-  doute,    dans   les   archives   poudreu 
des  secrétariats  de  théâtres,  011  viennenl  sommeiller  chaque 
année  les  Illusions  dramatiques  d'une  g  'aération  nouvelle, 
parmi  !«•-  ébauches   ;        ières,  les  copies  maladroites,  el  les 
fadeurs  >;nis  intérêt,  des  œuvres  se  rencontrenl  qui,  port 
;i  la  scène,  ne  seraient  pas  accueillies  avec  mbii  ;  iveur 

que  celles  qui  son!  signées  des  noms  !>'-  plus  réj  la 

Société  ;i    pour   m:  d'aider  à   les  découvrir.   Loin    de 

supprimer,  comme  elle  I  ;•  fait,  les  primes  qu'elle  o  u\ 

théâtres  qui  jouent  des  œuvres  de  jeunes,  elle  <l<>ii  les  déi 
li  pper,  en  faire   un   de   ses   principes  d'action.   I 
des  Auteurs  italiens  lui  ;i   donné  l'exemple,  .1  cel  égard,  en 
organisant  récemment  un  concours  dramatique  annuel,  el 
en  s'engageant,  par  de  rds  conclus  d< 

ae  .  ;i  faire  représenter  les  œuvres  primé< 
La  Société  peut  aussi  encourager  utilement,  par  son  appui 
moral  »'t  matériel,  ces  groupements  qui  se  forment  de  temps 
;i  autre,  <'l  qui  ont   pour   bul  avoué  de   révéler  des  talents 
ignorés,  en  même  temps  que  de  produire  d<  -  nou- 

velles; il-  s'adressent  ù  une  poignée  de  jeunes  littérateurs, 
désireux  avant  tout  <!«■  faire  !<•  contraire  de 

e  qu'onl  fait  les  au 

Ils  vivent  de  l'originalité,    souvenl  de  l'excenl 
ils  apportent  généralement  une  formule  darl  di 
même  ils  forment  école. 

Quand  !«•  Théâtre-Libre  se  fonda,  m  on  tan  I  des  piè 
l'on  jouait  deux  -.11-.  il  fil  appel  ..un  .m 
génération  a  laquelle  I-  joug  de  l><,  v 

quelques  écrivains,  seconde  la   critiq 

Sarcey,  qui   montait   la   garde  au! '  d( 

Mail  insupportable.  M  était  dailleui 


CHAPITRE   VII! 

eine  du  hul  qui]  poursuivait.  En  1890  encore,  M.  Antoine 
opposai!  seulemenl  sa  tentative  ^<  au  théâtre  oiïrant  aux 
spectateurs  des  pièces  sans  intérêt,  dans  des  salles  déplo- 
rablemenl  agencées,  à  des  prix  exorbitants,  avec  des 
troupes  sans  cohésion...  »  Cette  formule  n'est-elle  pas 
vraie,  dans  fous  les  temps,  et  tons  les  pays?  Ne  pourrait- 
elle  paâ  être  reprise  aujourd'hui  ?  Les  événements  se 
chargèrent  d'entraîner  M.  Antoine  dans  un  mouvement 
littéraire,  dont  on  peut  discuter  la  portée,  mais  qui  eut  son 
influence  réelle,  el  sa  valeur.  D'antres  œuvres  depuis  ont 
apparu,  puis  sombré  dans  la  tourmente.  Citons  seulement 
les  Eschaliers,  association  amicale  de  lettrés  et  d'artistes,  qui 
;i  familiarisé  le  public  avec  des  talents  fort  appréciés  au- 
jourd'hui. 

I  ii  liiil  ,i  noter,  dans  ces  derniers  temps,  c'est  la  tendance 
persistante  à  la  décentralisation  artistique,  le  goût  pour  les 
théâtres  de  plein  air  ;  ce  sont  les  projets  de  théâtres  popu- 
laires, que  l'opinion  réclame  aujourd'hui,  avec  la  même 
ardeur  qu'on  demandait  sous  l'Ancien  Régime  un  second 
Théâtre-Français  :  à  ces  cadres  nouveaux,  il  faut  des  œuvres 
nouvelles,  donl  les  qualités  communes  doivenl  être  une  action 
forte,  des  effets  larges  <il  harmonieux. 

Une   nouvelle  tentative   s'est    faite  tout  récemment:  un 

nouveau  Théâtre  d'Art  s'esl  fondé,  sur  l'initiative  de  quelques 

jeunes  auteurs  :  il  n'a  que  quelques    mois   d'existence:  il 

lit  vain  de  préjuger  de  son  effort  ;  loi  il  ce  qu'on  peut  dire, 

i  qu'il  esf  resté  jusqu'ici  fidèle  à  son  programme,  qui  est 

de  donner  au  public  des  œuvres  personnelles  el  sincères. 

te  tentative  aboutira-t-elle  ?    Une  autre,  qui    se    fera 

jour  demain,  donnera-t-elle  une  nouvelle  orientation  à  noire 

art  dramatique  '  Cet  art  prochain,  quel  serait-il?  Chacun  le 

goûts,  ses  préférences  le  lui  foni  pressentir; 


LA    RESISTANCE    A    I.  \    SOCIÉTÉ 

personne  ne  sait  ce  qu'il  sera  :  mais  on  croil  savoir  ce  qu'il 
ne  sera  pas. 

11  esl  certain  qu'une  certaine  lassitude  se  marque,  depuis 
longtemps,  dans  le  public,  el  dans  l«i  mon. le  même  des  au- 
teurs dramatiques.  Ceux-ci  ne  seraient-ils  pas  effr  ix- 
mêmes  de  la  banalité  des  œuvres  qu'ils  nous  condamnes 
entendre?  1  ne  action  très  ordinaire,  un   peu  de  sentiment, 
une  pointe  d'esprit,  l<i  tout  délayé  dans  un  dialogue    -        de, 
facile,  ei  surtout  rapide,  voilà  toul  ce  qu'il  faut,  semble-t-il, 
pour  avoir  un  succès  durable  :  c'est  l«i  spectacle  qui  distrait, 
sans  agiter,  ei  d'où  il  serai!   malaisé  de  remporter  chei  soi 
quelque  impression.  Tous  les  sujets,  tous  I 
ressemblent:  à   tel  point,   qu'ayant  vu  une  pièce  «lit»'  d\ 
tualité,  il  semble  qu'on  les  ail  vues  toutes  :  jamais  celui  «pu 
Yrul  en  parler  n'a  eu  plus  de  peine  à  ne  pas  confondre  l'une 
avec  l'autre. 

Chacun  croil  découvrir  la  source  du  mal,  el  pouvoir  indi- 
quer l«'  remède.  In  auteur,  par  exemple,  s'en  prend  à 
l'esprif  du  boulevard,  qui  corrompt  toul  : 

Nous  sommes  las,  écrit-il,  des  petites  psychol  -        des 
petits  auteurs,  des  petites  âmes,  des  petites  femmes       I  , 

Ne  peut-on  se  plaindre,  en  effet,  du  snobisme  malsain  qui 
nous  fait  sacrifier  les  œuvres  solides  à  une  littérature 
cielle,  inspirée  du  roman-feuilleton,  quand  ce  n'es!  p 
secrel  -  de  l'alcôve. 

M.  de  Porto-Riche  accuse  les  tendances  mêmes  qui  régnent 
dans  I»1  monde  des  auteurs  dramatiques  :  le  m  dil  il, 

étouffe  l<1  talent. 

Trop  de  préoccupations,  écrit-  il,  el  de 
eères  à   l'art,  empochent  l'auteur  dramatique  de  I 


i    /;.  -  ue  de  r<nt  drameUiqx  e,  \    n  vmb\ 


CHAPITRE    VIII 

efforts  purement  artistiques.  La  littérature  dramatique 
oe  manque  pas  de  bras  :  elle  occupe  trop  de  monde.  A  côté 
de-  écrivains  véritables,  qui  honorent  I.»  grande  famille  litté- 
raire, accourent,  des  quatre  coins  de  L'horizon,  des  monteurs 
de  pièces,  équipe  robuste,  qui  ne  sciasse  pas  de  travailler... 
le  talent  es!  impatient  de  battre  monnaie,  il  s'adonne  à  la 
confection  de  rarticle  courant...  le  culte  de  l'œuvre  lente, 
préméditi  kmtée  avec  amour,  en  dehors  du  souci  d'une 

notoriété  el  d'un  triomphe  éphémères,  celle  religion  n'attire 
plus  que  des  aaïfs  »    !  . 

Ici  In  Société  des  Auteurs  est  directement  en  cause  : 
n'est-ce  pas  elle  qui,  par  ses  perceptions  élevées,  attira  ces 
équipés  de  travailleurs  robustes  el  avides?  Les  services 
qu'elle  a  rendus  l'emportent,  sans  doute,  sur  le  mal  qu'elle 
,-i  pu  Faire.  Mais  l'existetnce  de  ce  mal  est  une  raison  de 
plus  pour  clic  d'encourager  !«•  s  débutants,  daos  une  carrière 

certains  obstacles  semblent  dressés  par  elle-même  ? 

Si  ses  règlements,  ainsi  que  nous  l'avons  vu,  semblent 
parfois   a£  r    les  difficultés   sans   nombre  auxquels   se 

heurtent  tant  de  jeunes  talents,  il  est  de  son  devoir 
d'y  remédier  par  tous  les  moyens.  À  celle  condition  seule- 
ment, la  Société  des  Auteurs  conservera  la  confiance  de  Ions, 
«•l  restera  fidèle  à  la  pensée  de  son  premier  fondateur,  qui 
fut,  mm  pas  une  pensée  d<i  spéculation,  mais  une  pensée 
d'affranchissement  et  de  solidarité. 


ornai  Le  Tempst  18  mai  1904. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Chapitre  premier,  —  Les  Origines  de  la  Société      -  \ 

Compositeurs  dramatiques 

Chapithf.  II.  —  La  Société  actuelle.  —  Son  Organisation.  ...       1 1  "7 

Chapithk  III.  —   Les  Cadres  de  la  Société.        Sociétaires.  — 
Stagiaires.  —  Héritiers  el  Cessionnaires 

Cuapitkk  IV.  —  Le  statut  légal  de  la  Société 

Chapithk  V.  —  Le  Monopole  de  la  Société 

Chapitre  VI.—  Le  Service  de  Perception . 

Perception  a  Paris  et  dans  la  banlieue 

Perception  en  province 

Perception  a  l'éti  •'-'• 

Retenue  sur  les  droits  d'auteur  ....•..-.. 

là  -  réformes  née  

Chapitri   VIL—  Les  Traités  généraux 

Chapithk  VIII.  —  La  Résistance  à  la  S 


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La  Bibliothèque 

Université  d'Ottawa 

Échéance 


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University  of  Ottawa 

Dote  due 


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