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Full text of "Archives historiques et littéraire du Nord de la France, et de Midi de la Belgique"

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ARCHIVES 

HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES. 



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IMPaiBCEUiB DE A. PRIONET. 



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ARCHIVES 

HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES 
ÎJtt tlorî» î>f U Jtanctf 



(?4X« OTCOlb. Uot44i4L/ 4^vo4^, iftjî^â^êécau^^i et Jl»ti^u« (DiiiâC44(\»^ 



Voulc» vo-us du publie mérilcr I<s amcuivs ? 
Sans cessA en 6crivunl varies vos dis* ours. 



BOILEAU. 



TOME III. 



A VALENCÏENNES , 

AU BUREAU DES ARCHIVES^ BUE DES YIVIEAS , N° 9. 

1853. 



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LES ÉDITEURS DES ARCHIVES, 



Unt$ ^^ousaifUnts. 



Jadis, dans les jours pleins de bonhomie de notre 
vieille littérature , nos auteurs ne commençaient ja- 
mais un livre sans adresser quelque naïf discours, en 
forme d'avis , avertissement ou préface, aux lecteurs ; 
c'était le signe de la croix du pèlerin se mettant en 
route , ils les gratifiaient d'obligeantes épithètes , tel- 
les qvCéclairéê^ indulgente y bénévolee^ ils les appe- 
laient amie : petits gâteaux qu'on jette pour se préser- 
ver d'une morsure» 

Ce moyen de captiver la bienveillance n'est plus 
guère en usage , pourtant il nous est agréable d'y 
avoir recours un moment en tète de chacun de nos 
volumes, non ^our demander ffrâce ^ mais par maniè- 
re de conversation avec nos abonnés , nos collabora- 
teurs , par conséquent entre nous ; car c'est ici l'ou- 
vrage de tous ceux qui veulent y prendre part : c'est 
notre Cent-et-un à nous. 



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6 

Dan» noire petite causerie de ce jour, nous vou» 
(lirons que notre commune entreprise se soutient as- 
sez bien; nous ne percions pas, grâce à Dieu, et , 
quand en pareille matière , on parvient ici à faire ses 
frais , c^est , sans vouloir calomnier le pays , mi beau 
succès. Un grand avantage ressort de cette exploita- 
tion sans bénéfices , celui de n^avoir pas de concur- 
rence à craindre et de ne pas exciter la convoitise 
des entrepreneurs de littérature commerciale. 

Nos relations , dans Tétendue de notre ressort , 
sont mieux établies que jamais. MM. les journalistes 
de nos contrées , qui ne vendent pas leurs applaudis- 
sements à tant par ligne (ce n^est pas ici un petit gâ- 
teau, c^est justice), nous donnent fréquenmient des 
témoignages d^intérét dont nous chercherons toujours 
à nous rendre dignes. Nous avons la satisfaction d^an- 
iioncer u nos souscripteurs que la meilleure harmonie 
continue à ligner entre nos correspondants et nous, 
et que nos rapports avec les Belges, nos estimables 
voisins , ont pris un hem:eux accroissement que rien 
ne semble désormais pouvoir alTaiblir. 

Disons à cette occasion que nous croyons avoir à 
nous féliciter de Vidée qui nous a conduits , bien avant 
les ixVolutions de juillet et de s^embre , à unir dans 
notitit ti^vail , par les Hens de Fintelligaice , deux peu- 
ples amis mais sqMunés par la poKtique. Que la diplo- 
matie jette un homme à caKfourdion sur un trône , 
quVlle plante ses bornes, élève des huttes pour la 
douane; Fesprit humain est charge dWe plus haute 
nùssion : aià dépit des trônes, des bornes et des ba- 
raques ^ il peut convier et amener les nations à la 
plus noble des conR^leruités , celle des lumières . 



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Assez long-temps les peuples se sont provoqués^ 
attaqués, mitraillés, lorsquHl serait si doux de s'ai- 
mer , de se protéger , de concourir ensemble à Tenir- 
bellissement de la vie ! Cet immense progrès ne pour- 
rait être le résultat que d'une saine instruction ré- 
pandue dans les masses, et de la propagation des 
lettres qui adoucissent Fhomme en le rendant meil- 
leur. — Utopie , pierre philosophale , diront quelques 
uns. — Non, deux fois non; notre amélioration, à 
défaut de perfectibilité, n'est point une chimère ; et 
une chose , que le simple bon sens montre tous les 
jours du doigt à nos regards affligés , ne peut être 
impossible à trouver. — Les anciens n'y sont pas 
parvenus. — Nous avons ajouté nos études aux leurs, 
et d'ailleurs Guttemberg n'était pas venu , Guttem- 
berg qui a fait plus que s'il eût donné un sixième 
sens à l'homme ; les anciens ignorèrent les prodi- 
gieux effets de la presse, de ce porte-voix formi- 
dable à l'aide duquel on fait retentir en même temps 
tous les échos du monde.. 

Des efforts aussi louables ne dussent-ils pas être 
couronnés d'un plein succès , au moins en retirerait- 
on de précieux avantages , tandis que la haine et la 
guerre n'engendrent que des maux et des crimes. Où 
sont les bienfaits de nos dissei^tions , de nos collisions 
sans cesse renaissantes, des émeutes? Le pain du 
pauvre est-il plus abondant, moins noir? les cris des 
malheureux moins déchirants ? De nos mémorables 
et affreuses batailles qu'avons-nous retenu? Regar- 
dons autour dé nous : depuis Louis XIV, de belli- 
queuse et damhable mémoire , jusqu'à la citadelle 
d'Anvers , que nous reste-t-il de nos victoires , de 



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9 

* 

tant de villes saccagées , dé tant dTiorreurs cont- 
mises? Un peu de gloire dans du sang, un peu de 
fumée sMchappant des ciûietières où dorment des 
milfions de braves massacrés par leurs frères! — 
Mais les populations vont devenir ti*op nombreuses ; 
oh se mangera. — A Faide d^un système sagement 
organisé, au moyen de mesures philan tropiques qui 
coûteraient moins que VefTrayant budget delà guerre, 
on trouverait que la terre produit des fruits pour tous 
ses enfants, et que nous n^avons besoin pour bien 
vivre ni de peste ni de canon. 

Ainsi donc travaillons, répandons Finstruction par 
toutes les voies , charmons nos loisirs par de bonnes 
lectures , par de bienfaisantes Qiéditations , philoso- 
phons enfin, mais gravement, utilement, et nous 
nous aimerons , nous nous tendrons franchement la 
main , sans avoir égard aux différences de pays , de 
langage , de couleur, encore moins d^opinion. 

Tout en nous entretenant familièrement ensemble^ 
amis lecteurs , nous voici bien loin de notre première 
route , sans cependant avoir franchi brusquement de 
fossés; c^est que les idées généreuses s^enchaînent 
d^elles-mémes et entraînent facilement Fimagination y 
puis on fait merveilleusement de chemin j lorsque j 
d^une allure franche, on se promène ainsi en artiste 
dans les vastes domaines de la république des lettres^ 
la meilleure des républiques. 

A. A. 



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%c Wi^vttm, 



« La loi frappe Irop fort sur les pauvres bigames , 
« Ne suiil— ils pus assez punis? 
a Le malheureux qui pr(>nd deux femmes, 
(( Esl à cuup sûr le premier pris. » 



Ij\ terre de Trazegnies, située sur la frontière du Hainaut et 
duBrabant^tireson illustration de l'ancienneté, de la noblesse 
de ses maîtres et de la manière dont ils justifièrent dans tous 
les temps d'augustes confiances. L'un deux fut connétable sous 
Saint-Louis , un autre maréchal de France , un troisième 
ëpousa , par procuration de Charles-Quint , Isabelle de Por- 
tugal ; enfin , le marquis de Trazegnies actuel était Chambel- 
lan du roi des Pays-Bas , membre de là première chambre des. 



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>]0« 



Etats-généraux et il figure actuellement ^ pensons-nous , par- 
mi les sénateurs de la Belgique. Ce n'est là qu'un ëchantilloa 
de la gloire dont brille cette maison; pour la mieux connaître, 
il faudrait visiter les superbes mausolées placés dans l'église 
du lieu , ainsi que le gothique château de Trazegnies ; tel n'est 
pas aujouixl'hui notre dessein y n'ayant à retracer qu'un fait 
historique relatif à un des membres de cette famille (i). 

Gillion , sire de Trazegnies et de Sillj, surnommé le coura- 
geux j était , au commencement du XIP siècle y le seigneur de 
cet antique domaine. On le voyait fréquemment à la cour de 
Baudouin III, comte de Hainaut, et de la comtesse lo- 
lande son épouse. Il donnait de préférence des soins à la jeune 
Marie, fille du comte d'Ostrevant , élevée sous les yeux dlo- 
lande. Ses hommages furent agréés et les liens du mariage 
unirent bientôt Gillion le courageux à la gracieuse Marie. 



(i) L'histoire qu'on Ta lire a teïlemeDt l'air d'uo roman , qn'il ëtait in~ 
dispensable , pour donner créance à la narration , d'indiquer les source» 
oii l'on a puise , et les principaux auteurs qui ont parle de cet ëvéne- 
ment. L'ouvrage , dans lequel sont consignés les détails les plus circons- 
tanciés de cette anecdote historique , et dont un exemplaire nous a été com- 
muniqué avec une extrême obligeance par M. Deliil, de Péruwelz, Hai« 
uaut, porte le titre de Monumens anciens etc. Droits primitif s des ter- 
res et seigneuries du Haynaut etc. recueillis par le comte Joseph de 
St.-GenoiSf Paris, 1782, in-foP (voir tome f*' page 91 et suiv.) Après ce livre 
on peut encore consulter les Annales du Hainaut, par Vinchant ; Guichar- 
dio ; Moréri ; le Grand Théâtre profane du Brabant- Wallon , écrit en latin 
par Jacques Le Roy et traduit en français, Lahaye, Van Lom, 1780 , in-f*, 
page 27 ,* ainsi que l'original de ce Grand théâtre , Amsterdam , 1692 , page 
62 ', Aubert Le Mire , qui cite Jacques de Guise « Opéra diplomatica et his- 
torica, 1. 1**", page 576; Notice descriptive et historique des principaux châ- 
teaux etc. par M. Charléde Tiberchamps, Bruxelles, 1821, in-8*'^ page 8 et 
suivantes.M. le baron de Reiffenberg, h qui la Belgique doit tant de reconnais- 
sance pour ses nombreux et utiles travaux , a aussi parlé, mais brièvement, 
de cette aventure dans le t. 5 de ses Nouvelles Archives des Pays-Bps , page 
5i2 et suiv. Son article a pour titre : Pourquoi les armes de Trazegnies 
portent-elles deux têtes jumelles en cimier? et il établit que ce sont les- 
jumeaux Jean et Gérard, fils de Gillion, qui forment ce cimier. On pourrait 
encore se demander pourquoi les deux enfants qui figurent dans ces arroea 



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Ces noces eui*ent lieu au château d*Ave8ne8le-G)mte^ avec 
la pompe et Tél^lat convenables ; des feux de joie , des danses , 
des fêtes prolongées , en signalèrent la célébration ; mais nos 
époux ne se crurent heureux que lorsqu'ils purent enfin se 
soustraire à ces réjouissances publiques et bruyantes^ pour al- 
ler savourer en paix et sans témoins ^ dans le château deTra- 
zegnies, les charmes du mariage ^ toujours si doux dans leur 
primeur ! 



sont des négrillons? CcUe circonstance n'aorait-elle pâs trait an long 
séjour que leur père ayait fait en Afrique ? 

« Trazeghie, au vieux clos , aux vieillea paliffadet , 
« Rappelant les tournois et le tems des croisades, » 

(LeMayeur) 

a été gravé dans Tun et l'autre Tolume de Jacques Le Roi, cités ci-dessus , 
ainsi que dans les Délices du Brabant, de Cautillion , tome 3 , page 112. 
Le grand Condé logea dans ce château le jour qui précéda la bataille de 
Senef. 

Il est probable , l'intérêt qui s'attache à ce récit nous porte à le penser, 
que dans des temps éloignés , Fhistoire qui fait l'objet de cet article , eut une 
grande popularité ; qu'elle était transmise pendant les longues soirées 
d'hiver , à des auditeurs émerveillés , dans de plaintives romances ou de 
naïves narrations. C'est là une de ces aventures qui méritait d'obtenir la 
vogue d'une Geneviève de Brabant, ou de l'infortunée Gabrielle de Vergy, 
Le temps a effacé les traces de cette popularité; cependant nous savons que 
cet événement a mérité l'attention de quelques anciens narrateurs : a L'iiis- 
» toire de Gillion , dit St. Génois , est rapportée fort au long dans un superbe 
B manuscrit enrichi de très belles peintures sur vélin , qui en représentent les 
» principaux faits et exécuté par l'ordre d'Antoine, bâtard de Bourgogne, en 
2> 1458- Ce mss. ajoute-t-il, est conservé avec soin dans le château de Traze- 
» gnies. — 11 y a une histoire ou fable de ceci (dit Jacques Le Roy, Grand 
» Théâtre, page 27], traduite de l'Italien en François et dédiée è Philippe4e- 
» Bon, duc de Bourgogne , c'est la même qui se trouve mss. en latin , dans la 
» chartreuse de Bruxelles. » Nous avons encore Le roman de trés-noùle 
chevalier Gillion de Trasignies, traduit en français dt après l'origi- 
nal Italien de l'abbaye de l'Olive, mss. in-4"» du XV* siècle , sur pa- 
pier. Cet ouvrage faisait partie des librairies de Bourgogne. Il est cité 
dans la Bibliothèque protypographique , ou librairies des fils du i-oi Jean, 
par M. J. Barrois, Paris, Crapelet, i83o, in-4° n*' 2294. M. de Reif- 
fenberg termine l'article dont nous avons parlé, de la manière suivante : 
« Cette histoire se retrouve dans un livre imprimé , composé par DeFabert 



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Une inquiétude que l'indigence ne connaît pas , vint les 
troubler au sein de l'abondance et des plaisirs.* Pleins d'amour 
et de force ils avaient compté , en s'unissant , sur la naissance 
prochaine d'un bel enfant qui y suivant des confidences échan- 
gées dans une délicieuse intimité^ n'attendrait pas long-temps 
un frère. Ces calculs se trouvèrent complètement inexacts ; les 
jours , les semaines s'écoulaient sans amener de changement , 
toujours nouvel espoir et nouvelle déception , et chaque fois 
de grosses larmes obscurcissaient les beaux yeux de Marie. Son 
époux était aux abois ; tant de noblesse y de biens , et pas un 
héritier direct ! Il s'affligeait aussi de la douleur de sa femme ^ 
et à ses regrets se mêlait quelque peu de honte ; car la même 
malice qui conteste souvent à de pauvres maris l'honneur de la 
paternité^ s'en prend encore à eux dans la stérilité. 

Gillion après s'être vainement adressé aux saints les plus 
puissants, se prosterne devant Dieu; il lui fait solennellement 
la promesse d'entreprendre un voyage à Jérusalem , si sa dame 
bien -aimée devient enceinte. Celle-ci , dans l'ignorance de ce 
vœu indiscret, joint d'ardentes supplications à celles de son 
époux, et à peu de temps de là , d'heureux symptômes annon- 
cèrent que le ciel avait écouté favorablement leurs prières et 
que la gente Marie ne tarderait pas à devenir mère. 

Le sire de Trazegnies songea aussitôt à exécuter une pro- 
messe que sa piété lui faisait regarder comme sacrée. En sa 
qualité de pair, il ne pouvait s'absenter sans la permission du 
comte de Hainaut ; pour mieux l'obtenir, il convia ce prince 
à venir le voir, ce Sire, lui écrivit-il , je vous supplie humble- 
)) ment que tant vous plaise faire pour moi que jusques au 
» chastel de Trazegnies vous plaise de venir , où vous pourrez 



» et calqué sur le roman maouscrit de Gillion de Trazegnies.. » Et en note : 
€c Histoire vêrilahle deGil-lion de Trazegnies , Brux. 1708, 12® Cf. jir- 
» chivesyi. 78. » Enfin, dit encore le même auteur (Nouvelles Archives, 
t. 6, p. 44? •) * 0° trouve V Histoire de Gillion de Trazegnies et de 
» Graciane f dans un ancien poème français à la suite de : uilt Fran- 
» cœsischs Volkslieder von O, L, B, Wolff, Leipzig, i83i, Fleischer, 
» in-8". » A. L. 



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)> voir nostre nouveau mesnaige. d Le comte ^ grand coureur 
de gibier > lui répondit avec plus de naïveté que de politesse : 
« Sire de Trazegnies , vostre requette vous soit octroyée , car 
1» dît nous a été à Tentour de vous en vos forestz a de grans 
» cerfz ou pourrons prendre moulst grosdeduict. d 

Le comie de Hainaut arriva accompagné de la comtesse son 
épouse^ des seigneurs d'Havrech^ d'Anthoing, d'Enghien^ de 
Ligne , de la Hamaide , de Boussut, et de plusieurs autres che- 
valiers et écujers^ parmi lesquels on distinguait le jeune et 
séduisant Amaury , seigneur Dès-Mai res. Les quatre premiers 
jours furent donnés tout entiers à la chasse. Tous ces nobles 
compagnons s'y livraient avec une ardeur incroyable^ le seul 
Amaury semblait n'y pas prendre grand plaisir : rêveur^ il se 
promenait nonchalamment dans les lieux les plus sauvages ; 
parfois il traçait sur Fécorce d'un jeune arbre y car il savait 
lire et écrire^ des caractères mystérieux; même on l'avait vu 
déposer ses armes ^ s'appuyer contre un chêne antique^ porter 
une main ti^mblante à son front et rester pendant de longues 
heures dans cette position comme s'il y eût été enchaîné par 
la douleur. Ses amis le raillaient et le plaignaient tour*à-^tour; 
ils formaient bien des conjectures^ dont plusieurs s'élevaient 
même jusqu'à la comtesse de Hainaut , mais nul n'était certain 
d'avoir trouvé le secret de son cœur. Le cinquième jour le sire 
de Trazegnies crut jiouvoir demander au comte la permission 
de s'absenter pour accomplir son vœu. I^ comte résistait en 
voyant Marie d'Ostrevant fondre en larmes ; Gillion parla au 
nom du Dieu qu'on n'outrage pas impunément y le consente- 
ment fut donné, et il s'arracha courageusement des bras d'une 
épouse qu'il idolâtrait* 

Gillion de Trazegnies partit pour Rome ; il se rendit de là 
à Naples où il s'embarqua pour JafiTa , puis il gagna Jérusalem 
à dos de mulet. Son vœu accompli y il quitta la cité sainte et 
reprit avec sa suite la route de JaflFa , où un navire l'attendait ; 
mais il fut assailli en chemin par une troupe de Sarrasins qui 
taillèrent eu pièces tous ses compagnons. Lui seul y combattant 
avec une admirable valeur, ne périt pas dans ce carnage. De- 
venu prisonnier y on le chargea de chaînes par l'ordre du Sou- 



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dan de Babylone (a) , et bientôt Tillustre et loyal seigneur de 
Trazegnies fut tiré de prison pour être conduit au supplice. 
« O tant belle amie, Marie d'Ostrevant ! disait-il en y mar- 
» chant^ que j'ai regret à toi ! mais je meurs pour mon Dieu. » 

Cependant l'absence prolongée de Gillion jetait, non sans 
raison , Marie d'Ostrevant dans une affreuse désolation ; le ter- 
me de sa grossesse étant arrivé, elle mit au monde, fort heureu- 
sement, deux fils jumeaux qui reçurent les noms de Jean et de 
Gérard. Ces enfants apportèrent un adoucissement à sa dou- 
leur ; elle donna tous les soins possibles à leur éducation , vou- 
lant qu'ils devinssent l'orgueil et la joie de leur père s'il pou- 
vait jamais les embrasser un jour. 

Plusieurs années s'étaient ainsi écoulées tristement sans que 
cette dame obtint aucune nouvelle. Le comte de Hainaut , 
plein d'égards pour Marie, pendant l'absence de son époux, 
résolut d'aller en personne lui porter des consolations, le che- 
valier Amaury eut la permission de l'accompagner. Marie leur 
exposa , au milieu des sanglots , la douleur qui lui rongeait le 
cœur. Le comte , vivement affligé , lui promit qu'il allait en- 
voyer une personne à la recherche de son mari. Il nous faut , 
dit-il, pour cela , un homme actif, intelligent , dévoué. — Où 
le trouver cet homme , s'écria Marie ? — Si^ous me croyez, ma- 
dame , propre à ce dessein , dit le chevalier Amaury , je vais 
partir à l'instant. Cette généreuse proposition étonna et atten- 
drit la malheureuse Marie. — Comment, dit-elle, me sera-t- 
il jamais permis de reconnaître un semblable service , un si 
beau dévouement ! Amaury, ému jusqu'aux larmes, lui assu- 
ra qu'il était trop récompensé de tout ce qui pourrait lui ad- 
venir, par le bonheur de lui être agréable. Le lendemain , au 
premier rayon du jour, Amaury était prêt à partir; Marie, 



(2) Plusieurs ëcrivains, notamment les savants Mabillon et Ruinart, ont 
donne au Caire le nom de Babylone, Pierre Martyr , d'Anghiera , qui avait 
ëté ambassadeur en Egypte , pour Ferdinand , roi de Castille et d'Arragon , 
a publié l'histoire de son ambassade sous le titre de : Babylonicx legalio^ 
nis libri IIL Madriti, i5i6, in-fol°. A. L. 



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qui sëtait levée avec l'aurore , voulut encore saluer ce noble 
chevalier ; elle lui tendit la main en présence de ses femmes. 
Amaury, éperdu , j appliqua un baiser brûlant qui fît tres- 
saillir Marie , puis d'un seul saut il s'élança sur son destrier 
et disparut. Mais en s éloignant du château de Trazegnies , il 
répétait en soupirant : ce O Gillion^ Gillion , si le ciel m'eût 
» octroyé tant douce moitié^ je n'eusse pas comme toi porté 
» mes prières et peut-êti^ mes os à Jérusalem ! n) 

Amaury, qui s'était embarqué à Venise , se trouva bientôt 
sur les lieux qu'avait parcourus Gillion ; ses recherches furent 
long-temps infructueuses^ et il songeaità retourner en Hainaut, 
quand un noble pèlerin , que des brigands avaient dévalisé 
non loin du tombeau du Christ^ étant venu lui demander des 
secours , lui donna des renseignements sur l'époux de Marie, 
a Beau chevalier , lui dit ce pèlerin , je connais et j'ai vu ce- 
» lui dont vous me parlez , mais hélas ! je crains bien qu'il 
» n'ait cessé de vivre il y a déjà long-temps ! Quand j'ai quitté 
7> Babylone , prot^é par une main amie, le sire de Trazegntis 
a gémissait dans les fers et on était certain que sous peu de 
» jours il marcherait au supplice par Tordre du Soudan. » 

Amaury donna une triple aumône à ce mendiant de qua- 
lité. Il avait été bien attaché à Gillion, mais l'Amour, sensi- 
ble comme Atropos pour tout ce qui n'est pas lui , brise en se 
jouant les liens les plus sacrés. Le seigneur Des-Maires, à cette 
. nouvelle , se trouva cent fois plus heureux que l'homme à qui 
Tan apprend qu'une riche succession vient de s'ouvrir à son 
profit; il se crut déjà, lui , possesseur des trésors qui embel- 
lissaient Marie , il aurait bien voulu partir aussitôt pour Tra- 
zegnies , mais sa mission ne lui parut pas suffisamment rem- 
plie, et, soit devoir, soit crainte que sans preuves plus positi- 
ves , on ne refusât de le croire à son retour, il se détermina 
k se rendre à Babylone, où on lui avait dit que les étrangers 
pouvaient à cette époque ai*river avec plus de facilité et 
moins de dangers qu'autrefois. 

En entrant dans Babylone , le chevalier fut conduit devant 
le Soudan. Celui-ci , qui ne comprenait aucunement son lan- 



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^age f Tadressa à son premier ministre ; son excellence se fit 
long-temps attendre, enfin la porte s'ouvrit et Amauiy vit en- 
trer Gillion , seigneur de Trazegnies ! Le pi^emier a bien- 
tôt pris son parti ; il renoncerait plus facilement à la vie , 
qu'aux espérances qu'il a conçues , aussi n'hésitera-t-il aucu- 
nement dans ses cruelles réponses aux demandes rapides de 
Oillion. — D'où viens-tu? — Du Bràbant. — Et ma femme? 

— Hélas ! — Que dis- tu? — Elle est morte , et avec elle l'en- 
fant qu'elle portait dans son sein ! — Quelque bruit trom- 
peur — J*ai moi-même, ami , assisté à ses funérailles. 

— Infortunée ! douce et gente Marie , je ne te revei*rai donc 
plus! Dieu, prête-moi des forces pour un si grand malheur ! 

Les explications ne purent être plus longues en ce moment ; 
la secousse violente que Gillion avait éprouvée, exigeait pour 
lui des ménagements. Amaury harassé de fatigue avait besoin 
de se délasser, et les deux amis se séparèrent, l'un pour aller 
trouver dans les larmes un soulagement à la douleur qui l'op- 
pressait, l'autre, calculer sur un lit de repos les résultats 
^présumés de son mensonge. 

Pendant que l'un pleureet que l'autre rit peut-être, voyons 
ce qui avait occasionné ce bizarre changement dans les desti- 
nées du sire de Trazegnies. Nous l'avons laissé marchant au 
supplice et recommandant son âme à Dieu; si bien que nous 
aussi nous aurions pu le croii^ mort ; mais voici : parmi les 
personnes qui avaient vouIm se donner le divertissement de 
cette exécution , se trouvaient le Soudan et sa fille ; cette der- 
nière, jeune, bonne, mais ayant besoin, comme beaucoup 
d'êtres charmants de sa gentille espèce, de marier à des senti- 
ments tendres des émotions fortes. Elle avait nom Graciane, 
et était jolie comme son nom. Les femmes , la plupart basa- 
nées, de ce pays, convenaient qu'elle aurait été d'une beauté 
achevée si son teint n'avait eu, à leurs yeux, le malheur Je 
rappeler les lis et les roses. Elle pâlit en voyant arriver un 
chrétien de si bonne mine sur le lieu du supplice, a — Vous 
m'avez promis , le jour de votre fête , dit-elle à son père d'une 
voix altéi-ée , de m'accorder la première grâce que je vous de- 
manderais, je vous demande celle de cet homme. — Ainsi 



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soit, puisque tu le veux, ma fille, aussi bien il m'en coûtait 
un peu de voir couler le sang d'un aussi courageux combat- 
tant , car , il faut le dire, il s'est mpntrë brave comme un sar- 
rasin. )) 

Je te fais grâce, dit le Soudan à Gillion , et de plus je te ran- 
ge parmi les esclaves de ma fille chérie, tombe à ses genoux^ 
c'est au parfum de ses paroles que tu dois la vie. Le sire de 
Trazegnies, par grandeur, par piété, hésitait à se prosterner 
aux pieds d'une infidèle ; mais il regarda la belle Graciane , et 
soudain noblesse et scrupules s'évanouirent. 

Une bonne action ne devrait pas avoir l'insomnie pour ré- 
compense ; cependant Graciane ne put trouver le sommeil dans 
le cours de la nuit qui suivit cet événement. Le lendemain et 
les jours suivants elle revit Gillion , déplora de ne pouvoir, à 
cAuse de la différence des lainages, s'entretenir avec lui, et or- 
donna à tous ses esclaves d'avoir pour cet homme, dont la fi- 
gui'e et les bonnes manières Ja charmaient, tous les égards pos^ 
«ibles. Le soudan lui-même voyant son adi-esse à dompter un 
coursier, sa grâce à le monter , avec quelle habileté il maniait 
un sabre, comprit tout le parti qu'il pourrait à l'occasion ti- 
rer de son prisonnier. L'intérêt personnel engendre facilement 
l'affection ; quen'engendre-t-il pas] et en peu de jours Gillion 
fut aussi bien dans les papiers du pèi*e que dans le cœur de 
Graciane. 

A quelque^temps de là, un monarque voisin , le roi Tsorc, 
ayant déclaré la guerre au Soudan , celui-ci conféra un com^ 
mandement à Gillion. Le combat s'étant engagé, la fortune 
se déclara pour l'agresseur; dans le fort -de la mêlée Je père de 
Graciane tomba dans les mains de son ennemi , mais Gillion, 
par un courage héroïque et les plus habiles manœuvres , par- 
vint à ramener la victoire de son c6té, et à rendre le Soudan 
â la liberté , après avoir tué de sa propre main le redoutable 
Ysore. On vit alors entrer en triomphe dans Babylone, celui 
qu'on y avait vu quelque temps auparavant conduire ignomi- 
nieusement à la mort. Gillion fut élevé à des fonctions qui 



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répondent cheE nous à celles de premier ministre , récompense 
qiii ne va^t guère meuK que Tinsômnie , k laquelle elle con- 
duit souvent , mais qui supposait alors un grand mérite et 
d'importants services rendus. 

A fiabylone et aux honneurs Gillion eût préféré son châ- 
tel de Trazegnies et ses belles forêts. Ses pensées se reportaient 
souvent vers Marie, près de laquelle on lui refusait la liberté 
de se rendre, et à qui nulle occasion certaine d'envoyer de ses 
nouvelles ne s'était encore offerte. Il aurait pu trouvei* bien 
des consolations dans les regards et les doux entretiens de Gra- 
ciane ; parfois l'harmonie de sa voix remuant doucement son 
cteur, avait calmé ées maux ; mais alors , craignant de ce re- 
inède Tebiviante efficacité , Gillion le courageux fuyait avec 
^fiVoi cet ange de beauté ; car fidèle, comme la plupart def» hom- 
tnes dtt Nord , pieux pardei^sus tout , le climat , le devoir et la 
rèligioti étaient encore , jusque là du moins , assez puissants 
pbût le roidiï» èotiti-è nnè passibn que la légitimité ne pouvait 
approuver. 

Griiëiknë et GHliûb disvenus mutuellement élève% et prdfbi^ 
sèûra de langues se cblii prenaient albr^ parfaitement biëli. Le 
trdblé seigneur avait fait connaître à sa libératince sa nâfe- 
sance, ses titres, sa fortuné et le but de son voyage à Jéru- 
salem. Grâciàne plaignait amètemetat le sort dèM^riê, Marie 
aurait bien pu plaindre à son tour le sort de Graciadë ! A ses 
leçons de langue , le premier ministre, toujours en garde con- 
tre tant d'attrait , et s'appujpant sur son grand Dieu poul* ne 
pas faMir , joignait des lecohsdé piété chrétienne; la tendre 
musulmane taciifiait sanis ëfïbrt' sa troyance à une croyance 
ei^eignée par une bonche adorée ; maÎB jeube , ardente , for- 
tement ^ise , ii lui arrivait > dans ctes révës légers , de mm*- 
aiurer vaguAment contre le rigormie attaché à la religion du 
Cèrist ; inoiiis austère , elle l'eût trouvée admirable. 

Comufre on U voit , ia |^tibn n'était plus tenablfe de pàH 
Tftid'auti-e; TEftprit tentateur en occupait toutes les avenues : 
une parole , un geste , un «aurii-e , pou^it devenir l'ocemMti 
de son triomphe , lorsque Amaury se présenta. 



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Le leDdemain de son arrivée, le soudan apprit par sa police 
secrète la ûouvelle apportée à GilHon. Expert inhabile aux 
doux manèges d'amour , le père de Graciane avait été long- 
temps sans soupçonner le moins du monde Tintelligence évi- 
dente , quoique peut-être non déclarée, qui régnait entre sa 
fille et son premier ministre } seulement , à force d'écarquiUer 
les yeux, il avait cru voir obscurément quelque petit com- 
mencement d'affection. Informé de la mort de Marie, il pensa 
devoir profiter de celte circonstance pour éclaircir ce léger 
doute : fier de sa malice et de sa perspicacité, il se dirigea, riant 
dans sa longue barbe , vers les appartements de sa fille. Par 
Mahomet, dit-il en se frottant les mains, \e vais lire dans aon 



xîoeur 



! 



Graciane était en oe mcanent oocupée à tresser iin bi*aoelet 
^en cheveux dojtit moitié seul emètit avait orné sa tète. Un sou^ 
rire de bonheur, cm soupir, une larme > se joignaient succès- 
«ivement à ce joli et important travail. Elle cacha précipitam^ 
ment le bracekt su ç son seip 4 l'arrivée de son père, ce -* Ma 
fille, lui dit-il, j'aiv une bien triste nouvelle à t'apprendre 
pour notre brave Gillion de Trazegniec». 3> Â ces mots la belle 
musulmane frémit et les roses de son teint pâlirent, ce -^ Juge 
de sa douleur : un européen de sa connaissance que le haEatd 
amena hier dans nos murs , vient de lui annoncer que sa fem- 
me , cette Marie tant ai triée ! pressé laquelle le serment solen- 
nel , que Je lui avais fait prêter de rester parmi nous , Tempâ- 
chait seul de chercher à retoumei* , était descendue au tom-* 
beau. Qu'allons-nous éaire pour consoler notre caillant ami ?. 
Tu ne réponds rien. » ^ * . . ^u'as-tu donc ?...•. Malheureux 
pèreî maladroit] qu'ai-je fait! » s'écrie le Soudan , s'apercevant 
que sa fille ne pouvait plus l'entendre. Elle semblait en ef- 
fet privée de la vie : sa tête superbe était penchée en arrière , 
ses bras, dont aucun tissu ne cachait ni la molle rondeur ni 
l'albâtre, pendaient abandonnés sur son sofa. Sa figure et ses 
lèvres d'uû incarnat si par , étaient décolorées, maià le jais 
éblouissant de sa chevelure flottante s'harraôniait encore di- 
vinement avec cette louchante pâleur. La mort, qui semble 
abattre avec plus de joie déjeunes plantes suaves quedes troncs 



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desséchés, eût avec délices ëtendu sa main décharnée sur cette 
riche proie ; cette fois la cruelle sera trompée dans son bar- 
bare désir. Tous les moyens propres a appeler du secours sont 
employés en même temps par le soudan. Toutes les femmes de 
Graciane se précipitent ensemble près de leur maîtresse ina- 
oimée. Gillion et Amaury, passant non loin de là pour cher- 
cher lesoudan qu*ils n'avaient pas trouvé dans son palais, sont 
attirés par les cris. La circonstance parait autoriser l'oubli des 
convenances de ce pays^ dont on avait depuis long-temps déjà 
dépouillé la sévérité en faveur de Gillion : ils entrent à l'ins- 
tant même oii Graciane sortait de son évanouissement, a Mon 
bracelet 9 dit-elle, en renaissant à la vie. j» Ce bracelet était 
tombeau moment où ou avakiooupé à la hâte les liens qui 
enchaînaient sa taille élégante, t^ilïion^ assez heureux pour 
Je retrouver aussitôt ^ le remets d'une main tremblante, à 
Graciane , 4[ui jamais n*avait paru aussi séduisante qu'à la 
soite de ce trouble et dans cet innocent désordre de toilette. 
a — Merci, noble seigneur, lui dit-elle ^ grand merci, je ne 
vous savais -pas «i près de moi ; vous êtes là pour me secourir 
quand vous-même auriez tant bespin de consolations ! — La 
part que vous daigneriez prendre à ma douleur, répondit Gil- 
lion, m'en ferakplus facilementsuppoiler le fardeau.» 4?'*^ 
l'échange de quelques politesses de ce genre, toute crainte 
étant dissipée, les deux européens crurent qu'il était de leur 
devoir de sortir^ le soudan les accompagna, a — Ma fille l'ai- 
me, et, selon mon habitude, j'avais fort bien deviné , dit ce- 
lui-ci en lui-même, avec satisfaction. ï> a — Cette femme est 
aussi compatissante que bel le, murmura lesire de Trazegnies.D 
ic — Je pourrais bien n'être pas seul coupable , pensa le che- 
valier Amaury, mais je suis seul malheureux, s» 

Immédiatement après ces Vives agitations intérieures, des 
-événements d'une toute autre nature éclatèrent publiquement; 
On pourra penser que plusieurs de ces événements n'ajoutent 
qu'un faible intérêt à ce récit, et, dans un ouvrage de pure 
fiction la critique les relèverait comme longueurs , mais c'est 
de l'histoire que nous écrivions, et nous ne deviops pas nous 
permettre d'en déchirer une page. 



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Tout-à-coup un affreux cri de guerre a retenti , des Irouper 
nombreuses ont été aperçues à peu de distance^ elles viennent 
pour venger la mort du roi Tsore. Le Soudan réunit à l'ins- 
tant toutes ses forces. Gillion est chargé du commandement 
eu chef, Amaurj se place parmi les principaux, défenseurs 
du Soudan ; il brûle de voler au combat , il a soif du danger.; 
s'il succombe , pense-til ^ son long martyre d^roour prendra 
fin. Gillion qui n'avait pas encore connu la crainte, croyait 
d'abord qu'il allait braver la mort avec plus d'audace que ja- 
mais. ccG>mment9 se disait-<îl^ redouterais-je de descendre dans 
la tombe, où je dois retrouverMarie! » Mais lorsque Graciane^ 
fière du rang glorieux , de la bouillante intrépidité de son 
eher protégé, émue cependant^, inquiète sur son sort, vint le 
supplier, à l'heure du dépai*t, de ue pas exposer inutilement 
des jours si précieux ! <( G>mment, lui répondit Gillion , ne 
pas chérir une vie si riche et si belle par l'aimable intérêt que 
vous daignez y prendre ! d 

Ainsi donc mort ou vivant, le bonheur attendait Gillion,, 
et cette position avantageuse sur les confins des deux mondes» 
lui dictait des réflexions légèrement opppsées entre ellèr; ce 
n^était pas trop sa faute : qu on place.de distance en distance,, 
sur la. route d'un homme, je dis même d'un, homme de bien , 
pourvu qu'il ne soit pas de pierre > vingt fêvmes. aimantes et 
jolies; dix.-neuf au moi 05^^ recevront de cet heureux voyageur 
leur part de protestations et d'adoration : les uns blâmej ont. 
^tte conduite, d'autres n'y verront que l'acquittement du.pl us- 
doux dea dévoila. 

A peine sorties de Bàbylbne,. Tes troupes du Soudan, ren-^ 
contrèrent Tennemi. Un horrible combat s'engagea^ In dé- 
sordre fut bientôt dans les rangs à la téta desquels Gillion^ 
commandait. Ils n'avaient pu résister à l'impétuosité de l'at- 
taque et s'étaient ouverts de toutes parts. Ici, le sang ruisselait 
par torrents ; là , d'énormes massues abattaient des centaines 
dé combattants à qui on accordait autant de pitié que le bou- 
cher en donne aux victimes qu'il immole. Gillion , furieux , 
faisait pour son compte un épouvantable carnage. Son orae 
nerveux., retroussé jusqii 'au coude, ce qui mettait à découvert. 



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un joli bracelet en cheveux, brandissait un cimeterre qui ne 
se bsrissait jamais sans faucher une tête. Amaury se défendait 
vaillamment à ses côtés : mais leui^ forces s'épuisaient , et plus^ 
ils tuaient d'ennemis , plus leur nombre s'accroissait sur ce 
point. On leur criait de se rendre , ils n'en voulaient rien 
faire ; enfin un coup de massue abattit Amaury , un second 
coup lui arracha la vie qu'il perdit sans regret , la mort seule 
pouvant guérir la plaie de son cœur. Il exhala son der- 
nier soupir en prononçant k nom de Marie, et courut 
grossir dans la nuit éternelle le nombre des malheureux qui 
ne trouvèrent qu'au terme de leurs jours le terme de leui^ 
maux. 

A la vue de son amî étendu mort sur la terre, le sang se 
glaça dans les veines de Gillion. Vingt voix s'élevèrent pour 
lui offrir quartier; ce parti révoltait son courage, il allait 
assouvir encore un instant sa rage et mourir, quand Graciane 
lui apparut , sans qu'il y eût miracle , sous la forme d'un bel 
ange ; un affreux soupir de désespoir s'échappa de son sein , 
et cessant des efforts inutiles, il déposa son cimeterre et se 
rendit. 

La vigoureuse résistance de Gillion avait, en offrant un 
exemple salutaire à l'armée du Soudan, exercé sur elle une 
immense influence ; à la fin de la journée , l'ennemi se trouva 
vaincu , et le Soudan maître du champ de bataille. Malheu- 
reusement on ne put atteindre les hommes qui entraînaient le 
brave de Trazegnies , et, quelques jours après, il fut plonge ^^ 
chargé de chaînes^ dans le plus redoutable cachot de Tripoli. 

Il y gémissait depuis plusieurs mois, ayant pour toute con- 
solation l'intérêt qu en d'autres lieux on lui portait, et ce lé- 
ger gage de tendresse , ce bracelet tressé par une main chérie , 
lorsque le sévère geôlier préposé à sa garde vint à mourir. 
Pour remplir ce poste devenu vacant, on ouvrit un concours 
dans lequel la préférence devait être donnée à celui dont la 
cruauté serait le mieux établie. Un homme hideux, de stature 
colossale, d'un noir d'enfer, l'emporta de beaucoup sur tous 
ses compétiteurs, nous allions dire candidats. On aurait pu le 



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prendre pour [a torture incaruée. Ses premiers actes , les 
ordres qu'il doona aux esclaves placés sous lui , décelaient la 
férocité. Gillion eût mis fin à sa vie, si un chi-étien ne devait 
pas attendre que Dieu la lui reprenne; mais tous ses vœux ' 
appelaient la mort pour terminer ses souffrances. 

Une nuit y ^ une heure inaccoutumée , il entend du hruit 
autour de lui ; c'en, est fait, pens^-t-il , xna dernièi» beur6 f^^t 
arrivée. Une prière courte y aolennelte monte de son co&ur au 
ciel. Les verroux crient , la porte de fer de sa prison roule 
sourdement sur ses gonds. Son gardien se présente y le débar- 
rasse précipitai^ment de ses chaînes^ lui fait signe d'observer 
le plus grand silence et de le suivre. Un ipiorcea^ de boi3 i*ési- 
neux qui brûle dans Ifi main du geôlier, éclaire faiblement les 
voûtes sombres que nos deux hommes parcourent avant d'ar- 
river au cQrp$ de garde d^entrée. Là , s'offre à la vue fnpi ca- 
davre s^glant, r^ccpurci par la détroncation : c'est celui du 
capitaine de service ; et tous les esclaves dorment péle-mél)e sur 
la terre étendes. On sort , Gillion sent un air frais aniççiejr ses 
poumons. La résine a cessé de brûler. Ils traverstnt la ville , 
marchant avec précaution et respirant à peine. Âya^t eu fia 
gagné le rivage^ où un petit bâtiment est prêt à partir , ils y 
entrent, les rames s'agitent, et le vaisssau glisse rapidement 
sur l'onde , fuyant à pleines voiles une odieuse contrée. 

A bord du bâtiment, du linge blanc et parfumé est offert à 
Gillion ; il s'en revêt avec volupté et s'assied bientôt à une 
table couverte de mets exquis. Le gaixlieo , cet homme , dont 
la peau semblait n'offrir qu'une enseigne encore infidèle de la 
noirceur de son âme, et par qui viennent de s'opérer ces pro- 
diges, n'attend pas qu'on lui en demande l'explication. — 
<( Sire de Trazegnies, dit-il , vous devez votre délivrance à la 
princesse Graciane. — Je n'avais guère besoin que l'on m'en 
informât , mon cœur l'avait deviné , répond celui-ci , en por- 
tant à ses lèvi'es le bracelet vénéré. — Je me nomme Hertan , 
continue son libérateur. J'étais jadis l'homme de confiance 
du roi Ysore, et fus fait prisonnier Ioi*s de sa défaite. Jeté 
dans les prisons de Babylone, je n'y attendais que de longr 



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tourments et la mort. Graciane veille partout oSi gémit la 
souffrance; elle eût pitié de mon sort , parla au soudan en ma' 
iliveur et mes fers furent brisés. Dès lors je ne désii*ai plus 
vivre que pour reconnaître tant de bonté : l'occasion s'ea offrit 
lorsque vous devîntes captif. Elle me fit appeler , sa figure 
était inondée de larmes ; je lui jurai de vous ramener ou de 
périr. Tout ce qui pouvait favoriser ma périlleuse entreprise 
fut mis^ par la princesse, à ma disposition : pour en assurer le 
succès , elle aurait , je Crois , livré tout Babylone et le soudaa 
peut-être y par-dessus le marché. Je partis, et bientôt j'arri- 
vai à Tripoli où l'on savait que vous aviez été conduit. On 
m'y reconnut comme Fancien favori du roi Ysore. Je fus pré^ 
sente au roi des Maures , dont la résidence est en cette ville ,. 
et à qui Je racontai que je m*étais échappé des cachots de Ba- 
bylone, il me crut. Je tentai de séduire votre gardien ; l'ayant 
attiré dans un Lieu écarté, je lui proposai pour récompense 
une fortune immense; il refusa, je ^empoisonnai. Il n était 
pas encore froid qu'on lui cherchait un successeur. J'étais 
parvenu à me rendre plus hideux encore que t^ingjrate nature 
ne m'a fait : ma mine charma ^e monarque. Tous passiez pour 
avoir tué Ysore de votre maîjj , je m'offris pour i*emplacer 
votre geôlier , annonçant la ferme résolution de vous faire 
cruellement expier la mort de mon maître. On crut que per- 
sonne ne pourrait plus habilement que moi vous conduire au 
tombeau par des voies lentes et douloureuses , et j'eus Thon- 
neur d'obtenir la préférence sur vingt bourreaux qui se pré- 
sentaient. Epié moi-même par une infâme contre-police, dont 
les agens étaient cachés dans les niches, secrètes de votre pri- 
son , je dus me montrer farouche, et n'osai jamais vous faire 
connaître ma mission. Hier, le roi des Maures, accompagné 
de ses principaux officiers , s'est rendu à une grande chasse , je 
sus que la ville et le rivage seraient peu ou point surveillés. 
J'improvisai dans le corps de garde d'enti^ la plus abon- 
dante orgie ; toute la maison , espions compris, y fut conviée 
et y prit part. Les liquides et les dragues soporifiques que j'y 
avais mêlées eurent bientôt plongé tous ces vils esclaves dans 
l'ivresse et un assoupissement complet ; le capitaine seul ré- 
sistait, je crus même m'apercevoir qu'il avait deviné mou 



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fcrSO es 

dessein, et au momeut où, chancelant^ énerve par la force 
des spiritueux assaisonnés de ma main , il cherchait à en pa- 
ralyser Teffet par un grand verre d*eau fraîche , je lui fis 1^^ 
rement sauter la tête d'un coup de mon damas , pour lui ap- 
prendre à résister au sommeil et à Hertan. — Que le Dieu d« 
Jérusalem et Graciane soient loués , s'écria Gillion , en tom- 
bant à genoux ! » Et tout l'équipage se mit à entonner des 
cantiques ; celui-ci en l'honneur de Jésus- Christ^ les autres ^ 
en rhonneur de Mahomet. 

Le bon vent et le grand prophète aidant , le premier mi- 
nistre fut promptement rendu à Babylone. La belle , l'ardente 
Graciane , éloignant ses femmes , écartant un voile importun 
et dédaignant d'étroites convenances^ reçut avec transport, 
en présence de son père seulement , l'homme loin duquel elle 
ne pouvait plus vivre désormais , et lui prodigua de tendres 
caresses depuis long-temps comprimées. De son cœur , de son 
sein haletant s'épanchait un torrent de délices^ et de son bras 
voluptueux les contours arrondis enlaçaient mollement le for- 
tuné Gillion que des lienade fer enchaînaient hier. Enivrante 
situation ! Femmes , ornement et consolation de ce monde , 
soyez fières d'être seules ici-bas la source de tant de bonheur l 
S'ouvrent quand ils voudront les plus sombres cachots ^ si 
quelque aimable enchanteresse nous attend ainsi au retour l 
— <( Oh! que j'avais bien deviné^ répétait en ce moment le 
Soudan attendri, to Et deux gros ruisseaux de larmes coulaieat 
sous son sourcil épais. 

Pour la seconde fois Gillion devait la vie à Graciane , et 
maintenant il se trouvait libre , puisque Marie était devant 
Dieu. Quelle joie pour lui de tomber aux genoux de sa char- 
mante maîtresse ! Quelle ivresse pour elle de devenir la com- 
pagne inséparable de ce mortel chéri ! Des scrupules se seraient 
bien encore élevés dans le cœur du pieux sire de Trazegnies , 
si l'amour ne l'eût occupé tout entier. Toutefois^ avant la 
prise de possession de tant de charmes , il témoigne , avec 
précaution à cette ravissante idole le désir de retourner plus 
tard avec elle en Europe, de la voir alors se convertir dans- 
toutes les formes au christianisme^ et de faire bénir leur 



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union dans ]a capitale du monde chi'étien. a — Fais de moi , 
y) lui dit amoureusement Gracianc , tout ce que tu voudras : 
» ne l'espirant désormais que par toi et pour toi ^ je ne ve^x 
)) plus rien posséder dont tu ne puisses seul et à ton gré dis- 
)) poser. )> Le Soudan appit>uvant tout, laUlance de la force 
et de la grâce fut célébrée à Çabyloue, coniBie autrefpji^ |t 
Avesnes-le-Comte , a\.\ milieu de la pompi» et diCs acclamation! 
publiques. L'Orient n'avait jamais éclairé un plus beau 
jour, a — £t c'est toi, disait Graciape, en tombant 4^^ 
» les bras de son amant , c'est toi que naguère on condui- 
)> sait sous mes jeux à un supplice iofômant, toi flii^as qui 
)) jamais je n'eusse connu le bonheur! » L'Amour, impa* 
tient d'assurer son triomphe , ne lui permit pas d'en dire 
davantage, et l'écho mystérieux ijie répéta plus qu/e deç sons 
inarticulés. 

Le Soudan, enchanté de ce mariage et de sa pénétration , 
fit présent à sa fille et k son gendre d'une magnifique cam- 
pagne admirablement ombragée. C'est là que le premier mi- 
nistre, après avoir déposé sa supeii)e grandeur, moins pré- 
cieuse que l'humble fleur des champs, allait se délasser au sein 
de ses amours. Loin de l'étourdissante intrigue, des flots d'une 
multitude agitée, d'une éblouissante splendeur, il y coulait 
dans le calme, au bord d'une onde paisible, sous la verte 
chevelure d'un chêne, des heures délicieuses. Aux extases du 
plaisir , qui ne peuvent hélas ! toujours durer , succédaient de 
familiers entretiens oii l'instruction, la morale, la piété, n'é- 
taient pas oubliées. Des mois, des années se passèrent delà 
sorte ; Graciane ne cessait pas d'être belle et passionnée ; son 
mari , exemple bien rare ! ne cessait pas d'être son amant. 
L'heureux ciel que ce ciel de l'Orient! . • . Sous sa magique 
influence, Gillion oubliait rEuix)pe. Un jour que sa jolie 
compagne, languissamment penchée sur lui, sous un om- 
brage frais, mariait aux chants des oiseaux sa voix cadencée 
par l'amour, Hertan, qui n'avait rien de commun avec ce 
dieu, le noir Hertan, dont on avait généreusement récompen- 
sé lej5 services , car les grands soqt parfois reconnaissants 



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CD Orient , se présente tout-à-coup devant eux. Cest un 
homme étranger à Tart des ménagements , son caractère est 
franc, son parler^ brusque. A sa vue, Graciane interdite 
relève la tète et rajuste d'une main habile sur son beau sein 
le tissu que peut-être une branche indiscrète en avait écarté. 
a — Maître , dit Hertan , singulière nouvelle! — Laquelle? — 
Deux jeunes gens que la victoire a mis entre mes mains , sont 
ici et désirent vous voir. — Que me veulent-ils? — Embrasser 
leur père. — Leur père!.... Qu'est-ce à dire? — C'est-à-dire 
vous; ce sont vos fils. — Mes fils!.. — Vos fils. — Ses fils !... 
s'écrie Graciane, en jetant un regaixl de feu sur Gillion , vous 
si vertueux en apparence ! Yous n'étiez donc qu'un perfide. «^ 
Tu me confonds, Hertan, et toi, mon adorable compagne, en- 
tends ma voix, cesse, je t'en supplie, des reproches immérités, 
cette erreur s'expliquera. — Tout est expliqué, maître, et 
vous allez voir vos deux enfants qui vous donneront des nou- 
velles de leur mère. — De leur mère ! Serait-ce de Marie 
d'Ostrevant?.... — Précisément. — Morte. . . — Pas morte , 
maître , et vous avez deux femmes. — Quel malheur ! s'écrie 
Gillioo. Du courage , ma bonne Graciane , de la résignation, 
appuie-toi sur le Dieu que j'adore, il ne punit que le crime. 
Lève- toi, si tu en as la Force; ne crains rien de Gillion ; quelle 
que soit notre infortune , nous nous aiderons toujours mu- 
tuellement à la supporter. » 

Graciane , pâle , égarée, mais' docile à cette voix dont cha- 
que son faisait vibrer son âme , se rendit , soutenue par le bras 
de son époux, dans l'appartement oii l'on avait introduit les 
deux jeunes gens : c'étaient en effet Jean et Gérard de Traze- 
gnies, ces deux jumeaux auxquels Marie avait donné le jour; 
tous deux , remarquables comme leur père , par leur bonne 
mine et leur noble maintien. Marie leur avait à dessein donné 
une éducation gue/ rière : plusieurs (ois ils s'étaient signalés^ 
dans de solennels tournois , exécutés au château de Trazegnies, 
et auxquels assistaient les principaux jeunes seigneurs de la^ 
contrée : les fils de Morlanwez , de Ligne, de Rœulx et Mo- 
rand de Carnières. Sortis avec succès de cet appi^ntissage che- 
valeresque, à peine pouvaient-ils soutenir encoï-e le poids- 
d'une armui'e , qu'ils songèrent à porter leur lance au pav^v- 



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des Sarrasins , afin de 8*assurer par eux-mêmes du sort de leur 
malheui^eux père. Après des traverses et des dan^rssans nom- 
bre , les chances de la guerre les avaient fait tomber au pou- 
voir d*Hertan ; et ils avaient révélé à ce dernier , dans un in* 
terrogatoire qu'on leur faisait subir, qu'ils étaient fils du 
sire de Traz^nies. Celui-ci respira un peu plus librement , 
après avoir appris les détails l'assurants de sa double et légi- 
time paternité. 

On conçoit tout ce qu'avait d'éti^atige et d'embarrassant ta 
position de ces divers personnages, ce A quoi donc attribuer y 
disait Gillion , le rapport mensonger de ce traître Amaury ? 
et que va penser votre mère , lorsqu'elle saura que cette dame, 
qui deux fois y. mes enfant», m'a sauvé la vie, est devenue mon 
épouse? — Tout ce que désire notre mère , seigneur , c'est de 
vous revoir près d'elle. — Je le crois bien, dit Graciane en 
soupirant ! Pour moi , pensait-elle, il ne me reste plus qu'à 
mourir. » Gillion était heureux , étrange bonheur pour un 
mari! de se voir deux beaux garçons dont tout-à- l'heure il 
ignorait l'existence, de savoir que sa femme d'Ostrevant res- 
pirait encore; mais honteux de sa bigamie , affligé de la dou- 
leur, de la position de l'infortunée Graciane , il ne pouvait 
parvenir, au milieu des violentes émotions qui le tiraillaient 
dans tous les- sens , à rendre le calme à ses esprits. 

Quelques jours de repos- et' de sages réflexions apaisèrent 
cette tempête. U y eut ensuite , entre les deux principaux ac- 
teurs , de longues , de pénibles explications , des objections , 
des répliques et des combats sans nombre; enfin il fut arrêté 
que la princesse, les trois seigneurs de Trazegnies et le fidèle 
Hertan partiraient pour r£urope. Toute» les répugnances de 
Graciane expiraient contre l'idée d'une séparation qu'elle 
n^eût pu supporter, ce Au moins , se disait-elle, je respirerai 
le même air que lui , et parfois peut-être il me sera permis de 
l'apercevoir encore , ou d'entendre résonner sa voix dans le 
lointain. » Le soudan restait seul à fléchir; sa fille s'en char- 
gea , et nj parvint qu avec une peine extrême. Gillion et se». 
deux fils lui jurèrent solennellement de venir le revoir dans. 



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quelques années y et même plus tôt , si les événements lui 
présageaient qu il pût avoir besoin du secours de leurs bras. 
On mit à la voile , et le malheureux Soudan s'éloigna du ri- 
vage pour aller pleurer dans la solitude, ce Gillion , disait-il 
eu gémissant , est bon , vertueux et brave , je ne lui aurais 
cependant pas donné ma fille si j'avais pu croire à ce départ ; 
mais , je i'avaue, je ne Tavais pas deviné, n 

Le voyage eut lieu sans accident. En arrivant à Rome y on 
songea au baptême de Graciane qu'elle était impatiente de 
recevoir. Le Souverain pontife ^ ravi de cette conversion ^ ne 
voulut pas qu'une autre main que la sienne plaçât notre an- 
gélique musulmane au giron de TEglise, et répandit lui- 
même leau lustrale sur son beau front. Graciane fut singu- 
lièrement émue de cette touchante cérémonie qui avait attiré 
un grand concours de fidèles. Elle comprit qu un mur d'ai- 
rain venait de s^élever entre Gillion et sa seconde épouse^ que 
la religion défendait quelle vit à lavenir en lui autre chose 
qu'un étranger 9 tout au plus un ami. Elle ne put tant faire 
que ses deux grands jeux d'azur cessassent d'être humides de 
larmes ; mais ses pensées devinrent austères , élevées , et une 
ardente foi sembla brûler ce coiur qui ne pouvait rester inoc- 
jcupé. 

Gillion , qui avait profité de l'occasion pour solliciter du 
"Saint-Père une absolution générale^ Tajant obtenue , on se 
remit en marche : nos voyageurs , arrivés sans encombre sur 
les bords de TEscaut , allèrent visiter Bouchain , capitale de 
rOstrevant , et berceau dés premières amours du sire de Tra- 
zegnies. Ses deux fils prirent alors les devants afin de préparer 
doucement leur mère à la connaissance de tant de faits extra- 
ordinaires. Marie apprit avec grande joie la résurrection , 
avec jrand déplaisir , le second mariage de son mari ; mais , 
les explications données , elle n'éprouva plus que le dépit de 
savoir qu'il avait rompu son veuvage présumé ^ dépit bien 
Intime ; car Gillion , voluptueux et traît;^ comme tant 
d'autres, lui avait juré cent fois, au sein du plaisir, qu'après 
Marie , nulle femme n'aurait jamais le pouvoir de le charmer. 



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Ce que ses fils lui racontèrent de la conduite d*Amaury Fin- 
digna d'abord ; puis se rappelant quelques attentions déli- 
cates de sa part dont elle avait été l'objet , et ce baiser brûlant 
appliqué sur sa main lorsqu'il partit , elle trouva , en rougis* 
sant , la clef de cette trahison commise par un excès d'amour ; 
«t y comme la vertu n'exclut pas la pitié , lorsqu'on lui eut 
appris qu'Amaury avait perdu la vie en combattant , elle ne 
put lui Infuser un soupir et des larmes qui durent complaire 
à Tômbi^e de cfe bravé et ihalheureux chevalier. Repoi*tant en- 
suite sa pensée sur Gracianc, Marie redoutait pour toutes 
deux reknbak*raà et la contrainte de leur prochaine ^trevUe : 
il lui était impossible de haïr une femme qui deux fois avait 
arraché son époUx à la ïnoi^t; ihais l'avënif n'était pas sans 
nuages : dette étk*abgère qui ëuivait (jillioti / quoiqtie enchaîné 
par de premiers lienà, quelles seraient ses prétentions?... 
Api^ de pénibles conjectures où s'abîmait sa faiblesse^ elle 
résolut de laisser au temps Téclairbissement dé plusieurs soup- 
çons qui importunaient son éspHt, et se t*éfugia d*avance dans ' 
le sein de t)ieU , àsilë de consolation et de force C0Ati*e tous les 
maux de l'humanité. 

La nouvelle de la prochaine arrivée de Gillion ne tarda pas 
à se i^pandre^ et chacun se disposa à lui faire une brillante 
réception. Baudouin YS , comte de Hainaut , le comte de St.- 
Pol , les seigneurs de Ligne^ de la Hamaide, deEonssut, d'Ha- 
vrech y d'Anthoing et autres , allèrent à sa rencontre. A* 
cette haute noblesse à cheval, se joignait une longue procès- 
«ion de vilains y pétris de vile fange , et que , comme tels , on 
foulait librement aux pieds. A l'approche de Gillion y toutes 
les batinières flottèrent déployées ; les cïoches des couvents et 
des églises voisines mêlaient leur tintement argentin aux graves 
accords des orgues et aux voix monacales ; les chiens épouvan- 
tés grossissaient encore ce tintamarre par leurs cris, et un 
jeune esclave, aux vêtements dorés» ]^lacé dans lé donjon du 
château de Trazegnies , y JTaisait monter jusqu'à la voûte cé- 
leste les sons aigus de son instrument d'airain. 

<( £t dans toutes ces démonstrations d'amour et d'allégresse, 
Aoupira Graciane^ rien pour moi! seule je figure mal en ces 



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lieux. Ti"ouva-t-on jamais tant de tourments après tant de 
bonheur! » Profitant de la confusion qui régna lors de l'en- 
trée dans le château ^ et de la reconnaissance déchirante des 
deux époux , elle se déroba furtivement aux regards des cu- 
rieux^ et, trouvant la porte de la chapelle ouverte , s'y pré- 
cipita aux pieds des autels, ce Dieu des chrétiens , s'écria-t-elle, 
en inondant le marbre de ses larmes , liion Dieu maintenant ^ 
mon Dieu pour la vie , pardonne-moi ce moment de faiblesse 
qui , je l'espère y sera le dernier; oui , tu me prot^ei*as^ déjà 
même tu me protèges^ et j^éprouve combien ta pitié pour les 
malheureux est grande, puisque Graciane n'est pas encore 
morte. » Ce ne fut pas sans peine que Marie y qui la cherchait 
partout, parvint à la découvrir sous ces sombres arceaux. Les 
plus ingénieux ménagements dont les femmes soient capables^ 
et où s'arrête sur ce point letir exquise intelligence? furent 
employés par celle-ci , afin d'épargner la sensibilité de Gra- 
ciane, toute belle qu'elle fût; aussi cette entrevue tant re- 
doutée se passa-t-elle à leur satisfaction commune. Toutes 
deux parurent charmées de se connaître et s'embrassèrent avec 
une effusion qui écartait tout soupçon de feinte. L'intéres* 
santé étrangère voulait bégayer des excuses /et la voix lui 
manquait; la bonne Marie la rassura, la remercia cent fois 
d'airoir saUvé la Vie à Gîiiioû > et la combla ûtn plo8 aimables 
caresses; puis , sur sa deitiande, elle la tmiduisâit, loin de là 
ùifùié importune > dans les apparfénients qu'on lui avait de»^ 
titiés , «'étaient les p4us somptueux du château. 

Les jours suivants virent encoi^ augmenter cette mutuelle 
amitié : les'dam^ entre elles sont s'ouvent, avec sincérité sans 
doute, fécondes en jolies protestations ; mais jamais on n'en 
vit deux se prodiguer plus franchement autant de marques 
d'affectiod , et , chose mémoFable à conserver f c'étaient deux 
rivales; toutes deux, il est vrai , ofifrant l^alliance dés plus 
douces qualités j encore réhaùsséeé par leur vive pi^té , pas 
plus vive cejlendant que celïe qui brillait en Gillion. 



Ces 

toutes 



trois pertonnM battues par les tempêtes dis k TÎe, 
trois exemptes de faute et pourtant , disons-le, l'une 



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par l'autre malheureuses , sentirent bientôt que la religion 
ëtait le seul port paisible qui leur restât ouvert ; toutes leuiv 
pensées , tous leurs vœux se détachèrent des biens enviés et 
périssables de ce monde , pour se porter vers le Très-Haut et 
dans l'éternité. Graciane^ qui depuis son départ de Rome était 
toujours soufflante , et la compatissante Marie eurent en- 
semble ^ en même temps , l'en vie de quitter la pompe et les 
soucis terrestres , pour s'ensevelir dans une pieuse solitude y 
parvis silencieux des célestes demeures. Gillion , dont la con- 
tenance entre ses deux femmes était souvent pénible et incer- 
taine^ souscrivit à cette détermination y et elles entrèrent dans 
un lieu déjà sanctifié , où fut depuis le monastère de l'Olive ^ 
entre Binche et Nivelle. Lui-même se trouvait débarrassé 
de tous soins; le comte de Hainaut s'étant chargé d'établir 
ses deux enfants y ce qu'il fit, en donnant pour épouse à 
Jean la fille du seigneur d'Havrech , sénéchal du Hainaut , 
et à'Géraixl la fille du seigneur d'Enghien. Dans cette posi- 
tion 9 Je pieux sire de Trazegnies , fatigué d'agitations et d'é- 
motions qui avaient usé sa vie , se rendit à Gambron , au 
milieu de quelques religieux solitaires, pour y finir ses jours 
au service du Seigneur. 

Deux mois ne s'étaient pas encot*e écoulés depuis l'entrée de 
Graciane dans sa sombre retraite , qu'elle tomba dangereuse- 
ment malade ; une douleur profonde semblait miner son 
cœur. Son éclat , sa fraîcheur étaient flétris , ses joues creuses, 
ses deux grands yeux éteints, et sur sa poitrine sifilante elle 
pressait amoureusement un Christ formé du bois de la vraie 
croix : sa guérison était devenue impossible, quoiqu'on eût eu 
vingt fois recoura à tous les saints du pays y grands médecins 
de l'époque. Marie et le sire de Trazegnies , qu'une vive in- 
quiétude avait ramené au chevet de sa seconde épouse , lui 
prodiguèrent jour et nuit les soins les plus assidus; ils furent 
inutiles. Au moment d'expirer, pendant qu'un prêtre épan- 
dait sur sa couche funéraire l'eau sainte et les lugubres prières 
de l'agonie, pendant que toutes les personnes présentes ^ par- 
mi lesquelles était le. pauvre Hertan prosterné contre terre, 
fondaient en larmes, la moribonde, plus aimante que jamais. 



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^33^ 

les appelait toutes auprès d'elle y ainsi que son vieux père , 
pour la suivre dans le ciel où elle allait monter. Là tous les 
désirs seront chastes , toutes les passions, épurées , aussi ne 
«raint-elle pas d'y demander ardemment au Seigneur une 
place pour son ami ; ce fut son dernier vœu : elle rendit sa 
belle âme à Dieu > en envoyant un sourire d'ange à Gillion et 
en serrant tendi^ement la main de sa première épouse. 

La sensible Marie, dont les longs malheurs avaient forte- 
ment altéré la santé, fut trop vivement frappée d'une mort 
aussi prématurée. Elle ne put supporter cette cruelle sépara- 
tion ; les ressorts affaiblis de sa vie se rompii^nt ; et , circons- 
tance plus touchante encore qu'étrange, elle n'avait survécu 
que deux joui^s à Graciane. 

Plus tard fut élevé , dans l'église du monastère de l'Olive , 
un superbe mausolée où Ton déposa la dépouille mortelle de 
ces deux femmes rivales et amies. L'œil des voyageura s'y arrê- 
tait avec un vif intérêt ; un grave et dévot historien , Auberl 
le Mire, raconte que plusieurs fois il alla visiter ce mausolée 
sur lequel on voyait étendues deux belles statues do feinmes^ 
exécutées en marbre. 

Il ny a guère plus d'un siècle, qu'en creusant dans cette 
église , on retrouva les cercueils réunjis des dames d^Ostr^vai^t 
et de Babylone. Entre elles deux , dans un riche coffret armo- 
rié, était placé le cœur du seigneur de Trazegnies. Parti, 
aprc^ son double veuvage, avec sea^enfants, poui* l'Asie ^ et 
de là pour Babylone , Giliion^le- Courageux y était décédé à 
la suite d'une blessure reçue ep combattant ; un de ses fils , 
Gérard , exécutant la volonté derrière de sou, père , avait 
rapporté son cœur de TEgypte, pour le mettre dans ce tom- 
beau. On se ferait ramener de plus loin pour reposer après 
sa mort entre deux créatures comme Graciane et Marie , on 
ferait le tour du monde pour vivre qiuprès d'elles. 

< Aimé Lerot. 



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GLOSSAIRE 



DES FRlVCir^VX 



SOBRIQUETS HISTORIQUES 

vu HORD DE LA FRANCE. 



ATANT-PROPOS. 



Que le mot êohriquêî soit dërivë du latin êuhriiieuîum , 
comin^ le veut Ménage , ou du grec uèrUiihas j injurieux , in- 
êuUant , selon Moysant de Brieux y ou qu'il vienne du roman 
gohra , »ur , et quêêi, acquis , ainsi que Ta avance Court de 
Gëbelin , c'est ce que je n'entreprendrai pas de discuter. 

A défaut de notions certaines sur l'ëtymologie de ce terne , 
bornons-nous à en donner la déânition. Le sobriquet, sui- 
vant racadëmie , est une sorte de surnom ^ qui le plus souvent 
se donne à une personne par dérision , et qui est fonde sur 
quelque défaut personnel ou sur quelque singularité. 

Quoi qu*il en soit de la signification du mot qui nous oc- 
cupe y il est certain qu'il n'a pas toujours eu celle que nous 
1 ûi attribuons aujourd'hui. On l'employait jadis pour signi- 
fier une sorte de soufflet ou un mouvement de la main par 
lequel on relevait brusquement le menton à quelqu'un en 
signe de mépris ou par forme de correction. Des lettres de ré- 



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mission de l*an i335 s'expriment ainsi : Idem harbftonsQf pra* 
fatum exportent m percuês fi super mentonem faciendo dicfum 
i^ souBRTQDET. Dans d'autres, sous !a date de iSgS, on lit: 
Le êuppfiani donna audict Michiel deux petite coupe qppei/ez 
souBZ BRIQUEZ dee dote de la main eoue le menton. Vpjez le 
supplément au Glossaire de Ducange^ par Garpentier ^ au 
mot Barb<$, 

Cette acception cjui paraît n'avoir pas M connue des ëty- 
mologistes cités plus hai|t , ne fournirait-elle pas la véritable 
origine du mot sobri(|uet; tel qu'il est usité maintenant? 
N'est-il pas possible qu'après avoir donpé ce nom au geste 
injurieux dont il vient d'être parlé^ on Tait^ par extepsioq^ 
appliqué à toute appellation ou qualification piépri^apte? 

Partout et de tout temps, l'opinion^ ou plutôt la malignité 
publique a décerné des sobriquets ; mais, c'est surfout aux 
époques où les moeurs sdot encore empreiptes d'une certaine 
rusticité qu'on les ratrouve fréquemment. Ainsi ^ dans ks 
poèmes d'Homère 9 expreç^ion fidèle d'une société qui vivait 
plus de la vie doipestique. et privée que de la vie publique ou 
politique 9 le^ personnages s'injurient souvent et «e donnent 
des qualifications qui effarouchent notre délicatesse moderne. 
Chez les Romains > peuple qui conserva longtemps la grossiè- 
reté des mœurs primitÂvea, nous voyons que des sobriquets 
ont été iofiigé^ à beiiUcoup cle personnages éminentSt Un Cal- 
purnius fut surnommé la béte, ^4ft//a> un Scipion l'anesse^ 
Aeina , un Fabius la buse , Buteo, Il jest presque inutile de 
citer les glorieux sdbriquels dô CeoUe , Soavota , Corvinue , 
Tarquatuey etc. , si même ce sont là de vivais sobriquets. 

Au moyen âge^ où la civilisation était peu avancée , et 
pour mieux dire, où elle n'était avancée que sur certains 
points, les chroniques nous offrent sans cesse des sobriquets 
accolés au nom des grands seigneurs et des hommes puissant^. 
Il semble que le peuple, privé des autres moyens de résistance 
à l'oppression , ait cherché à s'en dédommager en prodiguapt 
celui-U. 



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Dans nos campagnes et même dans les classes inférieures de 
nos villes de la Flandre^ du Hainaut^ de TArtois et de la 
Picardie 9 la manie des sobriquets est presque générale. Un 
ridicule , un défaut corporel , une prétention déplacée sont 
les causes qui le plus souvent y donnent lieu. Les circons- 
tances les plu^ fortuites, un mot échappé maladroitement , 
suffisent pour appeler sur un homme un eognomen indélébile 
dans lequel le nom propre vient tout-à-fait s'effacer et se 
perdre. Heureux encore le porteur d'un sobriquet /quand 
J'épithète dont on Ta gratifié n'est point ignoble jusqu'à être 
presque infamante. Heureux surtout quand ses fils et les en- 
fans de ses fib ne sont pas condamnés à recevoir et à trans*- 
■mettre à leur tour c^ burlesque et triste héritage. Quelquefois 
on y donne à un voyageur le nom du pays qu'il a habité ou 
parcouru* C'est ainsi que naguère encore, chez nos villageois, 
on surnommait Parisien tout homme qui avait été assez en- 
treprenant pour £^Uer visiter la capitale. 

Dans œpays , parmi le peuple, 4e sobriquet est commu- 
nément appelé nom dâ breieque. On n'aperçoit pas tris-bien le 
rapport qui peut exister entre ce genre de surnom et la Ara- 
tèque, espèce de tribune adaptée autrefois à la façade de nos 
hôtels-de-ville , pour faire les publications et proclamations ; 
à Cambrai , lieu notaèle de hdite Vite , uli têmporele jurUdiû» 
iian d^ no rewei end père eel mahU^nùo et pianifeetée , four fîuê 
noblement ei honeeiemênS faire publier iee ordonnrnneee , bane et 
genteneet qui au nom de nodif révérend pêtg eeronifaietee par 
seê prevoet et eechevinê. y> 

Beaucoup de noms propre» ne sont efuk-méraes que des so- 
briquets adoptés définitivement et pass^, pour ainsi dire , en 
force de chose jugée. Il n'est pas de dénomination qui ne soit 
ou du moins qui n'ait été signifîc£^tive, et par conséquent , il 
en est un grand nombre qui ont dû se trouver d'abord dans la 
classe des sobriquets(i). Âii^^i les ancêtres ^de ceux <{iu s'appelr 



(i) Voyez VtxctïLenï JBssai historique et philosophique sur les noms 
d hommes y dépeuples et de lieux , par M. Eusèbe Salverte. In-8" , 
a vol. , Paris , i8a4* 



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^37 •« 

Icat aujourd'hui Boêçuilion ontdâ exercer le métier de bûche- 
ron CaHier, celui de charron, Ckupui*, de charpentier, Cuvê- 
/i>r^ de tonnelier, Fabre^ Fêètre, Féron, Féronnier, d'ouvrier 
en fer, Gastelier, de pâtissier, MaùêH^r, MâehêUër, débou- 
cher , Sartiaux , de tailleur, Telîiêr, de tisserand , etc. Brif- 
fkui vient de briffer , manger avidemeàt , Sèehu , Bécu signifie 
nez long , BîW*/, Bèdu , veau , Cù/pin , Cauvin , chauve , etc. 
M. Salverte, dans son excellent Eêsai êur hè iiomé i*hùmme9^. 
de liens, etc. , entre dans de longs détails sur cette significa* 
tion inhéJPente aux noms propres. Le Besoin d'attacher un 
sens auK noms est tef, dit-il , que beaueoup^e peuples et en- 
tr'autres, les indigènes de TAmérkjpe du Nord ddnùent tou- 
jours à l'étranger digne dé lewr attention un nom tiré de leur 
propre langue. £e sultan, de Mascate, prenant pour -médecin 
an Italien , lui demande comment il se nomme. — Fineenzo. 
— Je ne te comprends pas : dis-moi la^ignificatio» de ce mot 
en arabe. L'Italien le traduit par Mamour, victorieiix ; et le 
prince, charmé de l'heureux présage attaché à cette dénofni^ 
nation, n'appeUe plus spn. médecin que Cheik^M^nsour. v 

Nous remarquerons qu'en général (et d^à on l'avait remar- 
qué avant nous ) les évéques , lès prêtres et ks i^mmes n'é-j 
taient pas soumis à cette espèce de peine infligée p»f la voix* 
populaii-e. Le respect pour la reUgion et pour un sexe qui y 
d'ordinaire, se mêle peu aux a0aires publiques , rend anei 
raison d'une telle exemption qui avait lieu^aùssi chez les Ro<- 
maiiîs , comme on pçut le voii: dans AJeà, ab Atexnndr^, Ge^ 
niaîe9di$0 yU i , c. 9, ad finern^ 

Ce n'est pas seuleitient dans robsccirite dés relatrbns privées 
qu'il faut chefK^her cet usage des sobriquets. L'histoire^ qtti né 
considère les ho^imea que dans leur vie publique et au milieu 
des grands débats sociaux, en fournit de nombreux exemples 7 
mais, comme nous le disions tout^ -l'heure, c'est surtout dan» 
les bas siècles et chez les peuples aux mœura rudes que l'on re- 
marque un emploi fréquent de ces qualifications insultantes. 
Aussi puiserons-nous dans les chroniques et mémoires du 
mojen-â^ la plupai^ des matériaux du petit ^lossaira qu'on 
va liie* ' - . . t 



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Les sobriquets ont été imposés aussi quelquefois à des col- 
lections d*koinmes, à des corporations ou associations de per- 
sonnes , à des partis politiques , à des sectes religieuses^ à des 
villes même et des villages (2). 

Du reste, il ne faut pad toujours considëi^r les sobriquets 
comme l'expression d un jugement équitable et sans appel. La 
voix du peuple n'est pas constamment la voix de Dieu. Maintes 
fois, la passion , la malveillance, Tesprit de parti ont eu leur 
bonne pai*t dans ces désignations; maintes fois aussi , le pu- 
blic , sans y attacher une intention de dénigrement , s*en est 
servi comme d'une formule abrégée et énergique pour rendre 
l'impression produite sur lui par tel ou tel personnage, par 
telle ou telle collection d'bommes* 

Ainsi , quand nous Voyons le titré Aefisinèaiih appliqué à 
quelques i*ois descendans de Chai'lemagne , nous aurions tort 
d'attacher à cette épithète le sens rigoureusement odieux 
qu'on lui donqe aujourd'hui. Le moi fa ti-nktnt est la tra- 
duction de l'expression latine qui nihil/ecii, que cei*tains 
chix)niqueur8 ajoutent aux noms de divers princes Carlovin- 
giens, pour indiquer qu'ils n'ont laissé aucun monument , 
aucune institution dignt* de mémoii*e. Or, comme dn Ta 1^- 
marqué, plusieurs d'entr'eux n'ont i^gné qu'un an ou deux. 
D*autre8, entourés d'obstacles que leur suscitaient les factions, 
ou accablés parles malheurs publics, se virent réduits forcé- 
ment à cette inactivité que nous leur reprochons un peu 
légèrement. Il semble, par 'exemple, que Louis Vj qui succé- 
da à Lothaire le 2 mara 986 , et mourut le 21 mai 987 , a été 
qualifié à iott ûe/ainéani. Un prince quf monte sur letrône 
à dix huit ans, qui ne règne pas pendant quatoi'ze mois, qui 
iait preuve de valeui' au siège de Reims dont il se rend maître, 
H qui se met en marche pour secourir le comte de BarcelOnne 
contre les Sarrasins , méritait peut-être d'être autrement sur« 
nommé* 



^ (a) Od Hatt ^Ue le peuple f en Angleterre , se nomme John Bulî\ aux 
tliât&^Uiiis d'Amérique | JoncUfian et quelquefois Yankeeê, 



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Quoi qu*il en soit, j'ai pensé qu'il pouvait y aToir quelque 
utilité à considérer les sobriquets dans leurs rapports avec 
notre histoire ; il m'a paru que cette étude était susceptible 
d'offrir des rapprochemens curieux, et instructifs. Je n'ai pas 
la prétention d'avoir rassemblé dans ce vocabulaire la nomen- 
clature complète des sobriquets histoHques. Il me suffît d*en 
avoir offert assez pour montrer que Thistoite, envisagée sous 
ce point de vue particulier, ne serait pas dépourvue d'intérêt. 
Un jour peut-être on traitera d'une manièi<e complète ce q»* 
je ne fais ici qu'indiquer. 



GLOSSAIRE. 



ALTÉRÉS. On désignait sous ce nom des bandes armées qui^ 
en i6o4 » désolaient les provinces belgiques. C'était un assem- 
blage d'Espagnols et dltaliens qui, sous prétexte de non-^ 
payement de leur solde , avaient abandonné le service d'Es* 
pagne, et s'étaient associés aux insurgés calvinistes. Ih levaient 
des impôts sur le peuple des campagnes , à l'aide de somma- 
tions minatoires d'incendie, et portaient partout la. désolation 
et le désespoir. L'évéque de Rui^monde, Henri de Cuyck ^ eut 
la gloire de mettre fin à ces désoi^res , sans employer les 
moyens violents dont on fesait un usage si fréquent à cette 
époque. Après avoir parlé aux rebelles le langage de la per- 
suasion et les avoir disposes à se soumettre , le plus difficile 
était encore à faire : il fallait obtenir de l'inflexible archiduc 
leur rentrée en grâce et l'oubli du passé. Ce prince jusque là 
s'était montré inexorable; il voulait un châtiment terrîble et 
propre à retenir dans le devoir ceux qui désormais seraient 
tentés d'imiter les Altérée* Henri de Cuyok parvint à faira 
entrer des idées de clémence et de prudence dtins l'esprit de 
J'archiduc* Amnistie pleine et entière fut accordée, et le pays 



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itscou^a sa tranquillité. V. Comment, rérumk 9aerh profsu" 
libuê in Bêi^îo gêsiarum , auct. À. Havensio , m-i^ , G)Iod. 
1611 , p. 267. 

Am£-Fame. Ce mot ne signifie pas ami dè^fêmmety comme 
on pourrait le croire , mais ami de la renommée y amatorjhmœ, 
fami-Hiarue^ C'était, suivant le chroniqueur Gelic , le sobri- 
quet (TEnguerrand de Forest , chevalier cambrésien y dont on 
voyait la sépulture dans l'église de Fémy avec cette inscHp- 
tîon : 



Hic rccnmbit Ingu^rranus 
Dictus quondam Fami-caru». 
Id Foresto fu^t gtiatusf 
Miles TÎxit terris rarus , 
Musis gratus. Marte sa nus ^ 
Robis largiis ^ sibi parcus , 
Yirgo obit , ceelo digou» 
MCLXXXXVIL 



Gi-gtt Enguerrandy nommé jadis 
Ame-Famt j né dans le village de 
Forest , il fut un chevalier de rare 
valeur, cher aux muses et favorisé 
de Mars; libéral envers nous (les 
moines de Fémy ) , il était avare 
pour lui-même. Il vécut dans le 
célibat et mourut digne des faveurs 
célestes, l'an 1197* 



Cet fingiœrrand descendait de Herbert de Forest, Ton des 
chevaliers du Cambrésis, qui figurèrent en 1096 au fameux 
tournois d'Ançhin. Si les mots mueie earue ne sont point une 
flatterie des bons religieox de Fémy , on pourrait en conclure 
que noti-e Enguerrand fut du nombre de ces trouvère» qui 
ont illustré le Cambrésis au douzième siècle. Carpentier y 
JBiêt. de Cmmbray y 3* partie^ p. 578. 



Athinois. Deux frères, Wathieu et Guillaume Athin , élus 
successivement bourgmestres de Liège, de 1417. à i432, avaient 
acquis sur la population liégeoise un tel ascendant qu'ils la 
faisaient soulever à leur gré» Wathieu se trouvait exilé par 
suite de ses démêlés avec Tévêque Jean de Heinsberg , lors- 
qu'en i433, une paix honteuse, conclue par ce dernier avec 
le duc de Bourgogne , excita une émeute parmi les nombreux 
partisans d* Athin , ou Athinois, L'évéque et les magistrats ne ' 
trouvèrent pas de meilleur moyen pour appaiser la sédition que 



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de réclamer rintervention de Guillaume Athin. CeluWïi as- 
sembla les insurgés sur le grand marché, et là , il déclara que 
pour faire cesser les troubles , il fallait rendre au peuple l'é- 
lection de ses magistrats , comme par le passé. Cette condition 
fut accordée et la paix se rétablit ; mais bientôt , sur un autre 
prétexte , les Athivois se mutinèrent encore. Alors les bour- 
geois attachés à la cause de Tévéque furent vainqueurs. Les 
cinquante plus coupables parmi les révoltés furent exilés , et 
leurs biens confisqués. Une cour , nommée la cour des uBsên-' 
tu y administra ces biens, et tous les ans , le 6 janvier , anni- 
versaire de la défaite des athinois , on allumait sur le marché 
trois grands feux de joie. Cet usage ne fut aboli qu'en i684. 

Aveugle. Henri II, comte de Namur , mort vers l'an 1 1 96, 
après un règne de 67 ans, fut surnomme l'Aveugle parcequ'il 
perdit la vue en 1182, durant une maladie qu'il eut à Lu- 
xembourg. Gislebert de Mons. Chranictn Hannoniœ. 



B. 



Bagaudes ou Bacauites. Tel est le nom que portaient au 
5* siècle les mallieureux Be*ges et Gaulois qui, fatigués des 
persécutions et des vexations sans nombi^ auxquelles ils 
étaient soumis de la part des Roraams, allaient chercher un 
asile chez les barbares , et quelquefois rentraient dans leur 
pays 1^ armes à la main et le désespoir dans le cœur ; on ap- 
pelait Bagaudes, ait le prêtre Sa Ivien, ces émigrés qui avaient 
fui chez les barbares, pour mettre leur tête en sûreté, aprè» 
avoir été, par des juges mauvais et sanguinaires, spoliés de 
leui-s biens , persécutés et condamnés à mort ; et ce sont ce» 
malheureux que Ton appelle traitrea et rebeîhê , et auxquels^ 
on reproche les maux que nous leur avons faits. Imponimu» 
nomen calamitatU suœ , imponimus nomen quoi fptifecimug j- 
et voeamus rebelles , vocamus perdtioe quos esse compulèmum 
criminosos. Bouquet , Ree, des hist, de Fr. , 1 , 776 et sih^^ 



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M. de Stsniondi , dans Julia Sêvera , III , 8f , 99 et 25i , a 
peiot avec beaucoup de vérité les mœurs et le genre de yie des 
Bayaudes, 

Barbu. Deux comtes de Louyain portent cette qualification 
à la suite de leur nom-propre : ce sont Lambert I qui vivait 
au 10® siècle , et Godefroi , qui fut aussi duc de Lothier et de 
Brabant. Lambert aurait dû recevoir un autre titre encore 
que celui de Barbu, Il a mérité celui de Cruel et ai Impie , 
malgré les fondations religieuses qu'on lui doit i ce Car> dit 
la Chronique de Saxe, îl n'y avait pas d'homme plus mé- 
chant que lui ; il portait l'impiété jusqu'à faire étrangler, 
avec les cordes des cloches , ses ennemis dans les .églises où ils 
s'étaient réfugiés ; mais qui pourrait dire , ajoute-t-elle , com- 
bien de,persounes il dépouilla de leurs héritages, combien il 
en massacra d'autres , )) ïiee, des hisi, de Fr. X. â3o. 

Baudouin IV, comte de Flandre, se faisait appeler Belie- 
Barde , en latin, honeela barba, comme 11 signait lui même. 
Les portraits qui restent de lui nous le montrent en effet paré 
d'une barbe prodigieuse. Ce prince , qui est regaidé comme le 
fondateur du commerce dans les Pays-Bas, et qui le premier 
y institua les foires et marchés , prit le gouvernement de la 
Flandre en 989 et mourut en io36. ^ri de vér, lee dates. 

On trouve parmi les comtes de Boulogne Gui à la barbe 
blanche f qui vivait au lo*' siècle. Ëustache II , l'un de ses 
successeurs, fut surnommé ai£jr^i4«rii/?/i#, parce qu'il portait 
d'^éuormes moustaches ou favoris. C'est ce même Ëustache 
qui, suivant Oudegherst, I, 2^4^, épousa, en 1067^ à 
Cambrai , Yde , fille de Godefrpi, duc de Brabant. Le pre- 
mier enfant qui naquit de ce mariage fut Godefroi de Bouil- 
lon. 



Bâtisseur. Baudouin IV, comte de Hainaut depuis iiao 
jusqu'à sa mort arrivée le 8 novembre 1171, ne cessa pendant 
son long règne d'élever des édifices de toute espèce. La ville de 
Binche lui doit les premières murailles dont elle fut entourée. 



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Il fortifia Ath qu'il avait acquis du fameux Gilles de Ti*ase- 
gnies y répara les fortifications du Quesnoi et y bâtit un châ- 
teau, et procura à la ville deBouchain les mêmes avantages. 
Devenu possesseur de Braine-la-Villotte , depuis Braine-ie- 
Comte, il Torna de divers bâtimens utiles ; mais la ville de Va- 
lenciennes , qu'il avait achetée de Godefroi j son frère utérin , 
fut l'objet spécial de sa prédilection. C'est là qu'il déploya cette 
somptuosité de constructions qui lui a fait donner le sur- 
nom de Bâliêêeur ou Edifieur. ^ passion dominante faillit lui 
être fatale ; peut^tre même abrégea-t-^He ses jours. Au milieu 
des fêtes qu'il donna à Yalenciennes , à l'occasion de l'admis- 
sion de son jeune fils Baudouin au rang de chevalier , il vou- 
lut montrer à des seigneurs étrangers les nouveaux édifices 
qu'il venait d'ériger* L'échafaud sur lequel ils étaient montés 
dans la Salle -le -Comte s'écroula tout-à-coup « Le comte eut la 
cuisse cassée. Son fils et la plupart des autres assistans furent 
horriblement meurtris et froissés. Frappée de cet accident , la 
comtesse Alix, femme du Bâtieeeur^ mourut peu de jours 
après. Quant à Baudouin , il se rétablit et vécut encore asses 
pour faire bonne guerre à Godefroi , due de Louvain. 



Baudet (ÉvÊ(iuiÈ a). M. Mathieu Asselin, élti en 1^97, 
évêque constitutionnel du Pas^ie^-Calais , se servait toujours 
d'un âne pour parcourir son diocèse , afin de se distinguer , 
disait-il , des évêques de l'ancien régime ^ qui allaient en voi- 
ture. Cette manière patriarcale de voyager lui valut le surnom 
à^ Evêque h baudet, M. Asselin se démit en 1801 , fut ensuite 
curé du Saint-^Sépulchre à St.-Omer , et mourut à Bonnières 
( Somme) , dans le sein de sa famille eu i8?5. 



BvUDRY DE Roisiî»fi St.-Ghiëlaiu , l'apôtre du Hainaut, 
parti de Cambrai où il avait été mandé par l'évéque Saint Au- 
bert pour rendre compte de sa mission , s'en retournait à Ur- 
sidong où il avait fondé un monastère sur les bords de la 
Hayne. La nuit l'ayant surpris dans le village de Roisin , à 
deux lieues au nord-ouest de Bavai, il y reçut l'iiospitalitét 



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La dame de Roisin était alors en trarail d'enfant et en danger 
de mourir , parce que Taccoachement ne pouvait s'opérer. St. 
Ghislain j touché de compassion , envoyai à la malade sa cein- 
ture nommée dès^lors Bo4ri ou Baudrier* L'attouchement de 
cette merveilleuse ceinture procum à la dame une heureuse 
délivrance. C'est en méoDoire de ce fait miraculeux que depuis 
la même époque, c'est-ànlire, depuis l'an 685, to^s les aînés de 
la Êimille de Roisin ont pris le nom ou sobriquet de Baudri, 
Molanus est, je croîs, le premier qui ait conté, Natal.' SS. 
Belgii, 9 octâb'', , cette singulière anecdote y laquelle lui a été 
communiquée , dit-4l ^ par Mathieu Moullaerts , abbé de St.- 
Ghislain et ensuite évéque d'Arras. Il n'en est foit aucune 
mention dans les anciennes biographies de l'apôtre àxi Hai- 
naut , et Fagiographe Ghesquière la rejette avec raison 
comme une fable imaginée h une époque récente. L'auteur 
anonyme de la vie de St. Ghislain , recueillie par Mabillon , 
Sœeul, II BenedicL , p. 790 j et auparavant par J. de Guyse, 
Ann, de Uainautj Vil , 361 , se contente de dire que le Saint ' 
arri^ à Roisin , in viiiam Racêmum , Tipprit de son hôte que 
la femme de ce dernier était sur le point de périr en couche. 
Ghislain rassure aussitôt le mari désolé et lui annonce qu'il 
va retit)uver sa femme bien portante et heureusement délivrée. 
Il n'est là question ni de ceinture , ni de baudrier. Il est d'ail- 
leurs constant que la maison de Roisin , tout ancienne qu'elle 
est , ne saiu*ait faire remonter sa filiation à l'époque oii Ton, 
prétend qu'elle aurait été gratifiée du glorieux sobriquet deve*-, 
nu depuis le prénom de ses aînés. Qui na voit d'ailleurs que 
Baudri est tout simplement la traduction du latin Boldericu»? 



BiGORGNEUx. « En janvier i58i , le Magistrat (de Valen- 
ciennes) fit une compagnie de soldats pour l'asseurance de 
la ville et soulas des bourgeois. Ceux-ci furent par sobri- 
quet appeliez ùigorgneurt ( pour ce peut-estrc que quel- 
ques uns d'entr'eux estoient louches ou regardbient de tra- 
vers, ce qu'on diticy regarder en bigargnarityy et se firent 
grandement signaler en diverses rencontres , nommément à 
la prise de Dourlens , où ils montèrent les premiers à la 
bresche. L'an i585, la ville leva une autre compagnie dé 



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» 5o chevaux pour brider les courses d^ ceux de Cambray , et 
» furent surnommes doubles bigçrgneurs. » D'OuItreman , 
HUt. de VaUneienne* y p. a 37. L'é^ijiplogie qu'assigne cet 
écrivain au mot bigoryneur est trop forcée pour être admise. 
De ce que certains soldats de la compagnie auraient été lou- 
ches, est-ce à dire que toute la troupe devait avoir le même 
défaut et porter le même surnom? Il 7 a une origine plus nar 
turelle à dponer à ce sobriquet. On appelait jadis Bigot et 
bigorne y en latin bigl^ et bigonee une espèce de balleb^irdc ou 
long bâton ferré dont on usait comme d'uoe arme offensive et 
défensive» Carpentier , SuppL ad Glossar. medii œvi , v* Bi- 
glœ et Bigo. Roquefort j Gloee, de la langue romane ^ au mot 
bigorgne. N'est^il pas raisonnable de penser que les Bigor- 
gneurs tiraient leur nom de cette arme dont ils étaient munis 7 
Mon ami, M. Arthur Dinaux, pense que ce nom pourrait 
bien venir de la coiffure des soldats qui le portaient. Qn dit 
encore aujourd'hui , en patois du pays , un bigorgne pour un 
chapeau militaire à deux cornes , bicorne , comme on dit tri- 
corne pour le chajpeau ecclésiastique. 

BiiANCARDS. V. Clavaires. 



Bi^ARY , c'est-à-dire éblaré ou chauve. Plusieurs chevaliers 
de la maison d'Haussy , en Gambrésis , entr'aiitres , Mathieu , 
qui vivait vers 1262 , portent le sobriquet de Blarg, dans des 
chartes de Tabbaye^de St.-Aubert. « Ceux de cette maison , 
« dit Carpentier, Hiet. de Cambray^ 3* partie, p, 671, se sont 
« fkit connoistre par divers plaisans sobriquets et surnoms , 
« sçavoir de ribauld , de fournie r , de blarg ou éblarè , de 
« eabot y de haussioi , à&frmgani et de le diable,.,, » « Tous 
« ces sobriquets , ajoute-t^il , quoiqu'horribles et capables de 
« faire trembler les chastes et les débonpaires, furent retenus 
« de leur postérité. » 

BoFTEUSB. Agnès , fille de Baudouin IV, comte de Hainaut, 
et femme de Raoul I'^, sire de Couct , est du petit nombre des 
femBies à qui l'histoire ait donné un sobriquet. Elle mourut 



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en nySj et fut inhumée dans l*abbaye de Nogent-sous-CoUci , 
à laquelle elle avait l^ué une somme de cênt soU, Les reli- 
gieux de St.-Vincent de Laon , qui convoitaient ce legs , pré- 
tendirent que c'était dans leur monastère qu'Agnès la Boiteuse 
aurait dd être enterrée, attendu qu'elle était leur vassale. 
Deux ans après , intervint un jugement arbitral des évéques 
de Laop y de Senlis et de Soissons y qui alloua la moitié des 
cent sols à l'abbaye de St.-Vincent. // eût mieux valu , disent 
les Bénédictins, Art, de vèr, les datée ^ in-^**, XII, 227, adjuger 
h tout aux pauvree. 

BoRG?iE. Une famille renommée entre les maisons patrir- 
ciennes de Cambrai , prit ce surnom de l'ua de ses chefs qui 
était privé d'un œil. Rosel, parmi ses épitaphes, cite celle 
d'une fille de cette maison , ainsi conçue : MicTiêlfe li borgne 
ehy contra f de douze Jilx e/ wît filles akouka. Sen ptime baron 
fuet Flip Hurgi^a , sen eecond Deemaeiere hon nom Coh / een 
tiefchefust Guautter hon dit Gpssa» Mil trecens et sixante 
nuef trieepassa* 

Raoul P' , comte de Vermandois, fut surnommé le borgne y 
à cause de l'accident qui le piHva d'un œil au siège de Lîvri. 
Il n'a pas dépendu de Lambert Waterlos qu'il ne fût aussi àé- 
signé sous le titre d'aoar^. Avaritiây dit-il, incomparahilie 
fuit. Du reste, le Vermandois parvint sous ce prince à 
son plus haut degré de splendeur. Raoul mourut ^ ^elon 
l'opinion la plus probable, le i4 octobre 1162, 4près i;n 
règne de trente-six ans. Il paraît n'avoir pas été étranger ^ux 
lettres , car Lambert Waterlos rapporte une longue prière en 
prose rimée , qu'il composa dans sa dernière qi^ladiç pour 
demander à Dieu la grâce de bien mourir, 



Bossu. Le trouvère qui passe pour le plus ancien de nos 
{y)ètes dramatiques , est aussi connu sous le nom d'Adam le 
Bossu que sous celui d'Adam de le Haie. Né à Arras , il fut 
élevé dans la célèbre s^bbaye de Vauoelles en Cambrésis. Plus 
tard, il retourna dans sa ville natale et alla ensuite passer 
quelque temps à Douai pour se soustraire aux désastreux 



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effets de la démon^tisatiGOi des gros tournois daps l'Artois. 
Revenu à Arras, il s'y maria. Il paraît que cette union ne 
tarda ps à être dissoute et qu'Adam prit l'habit ecclésiastique 
à Vaucelles ; ce qui ne l'empêcha pas de voyager et d'aller 
mourir à Naples vers 1289. l»^ plupart des poésies de ce trou- 
vère sont à la Bibliothèque du Roi , à Paris. La société des 
Bibliophiles français a publié en 1822 le Jeu de Robin ei Ma- 
rion^ et en 182 9,. le Jeu d^ Adam ^ on du mariayeovL de la 
Feuillée. M. Buchon a imprimé , dans sa Collection ^ VIT , 
23 , un poème en vers alexandrins ^ composé pai* Adam de 
le Haie y à la louange de Charles , duc d'Anjou , frère de Saint 
liouis. 

Brade-vie. Simon de Marlis , dont la famille avait de, 
grandes possessions dans le Hainaut et le Cambrésis , mérita 
d'être surnommé Etade^-vie , à cause de la témérité avec la- 
quelle il affrontait la mort dans les combats. Gélic et , après 
lui, Carpentier, Hiet, de Camhray ^ 3® partie, p. 764, disent 
qu^eetant à la ttete d un régiment y il remporta cent soixante 
eix foie dee deepouilles de ees ennemie avec cent vingt ôleeeuree, 
à divereee foie. Simon Brade- vie mourut gouverneur de 
Guise , vers l'an i3o5. Il avait pour femme Agnès de Saveuse. 
M. S. Heniy Berthoud a fait de ce personnage le héros d'une 
ballade, dans le roman si original et si gracieux à! Aerael et 
Nephta, 

Bras de fer. Baudouin , le plus ancien de nos comtes de 
Flandre, que V J4rt de vkrif lee date* fait mourir en 879, fut 
surnommé Brae-defer j suivant d'Oudegherst , ou à raieon de' 
ea tnagnanimttè et.vaillantiee , ou pour ce que toujoure il eet^i 
armé , et ordinairement il pêrtoii eur eon haulbert dee piècee 
de fer fort ^/èree et refuyeantee, Ann, de Flandre ^ c. i5. 
M, de Brauwere, premier échevin de Nieuport, émet une 
autre opinion sur l'origine de ce surnom. Selon lui , Bau- 



(1) Ce prëcieax répertoire , dans lequel M. le baron de Reiffenberg a 
réoni tant de documens utiles et curieux sur l'histoire de nos proviuçef 
belgi^ues , est maîntenaDt eoroplet. 



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douiu étant né à Stanhove (Nieuport) , dans le château de 
VYserj et le moi yser si^mûànt Jèrrum y /er , il se pourrait 
que les anciens annalistes se fussent trompés sur l'acception de 
ce mot flamand et eussent dit y^rr^u^, au lieu de ab y sera ou 
yêara , Baudouin de l'Yser j comme on dit Louis de Mâle , etc. 
V. Nouv, Archives h U toriques dss Pays-Bas, V , 61 , et VI, 
3o9 (1). Les Chroniques et traditions surnaturelles de la 
Flandre j par M. S. Berthoud, contiennent une ballade inti- 
tulée Baudouin Bras-de-fer. L'ingénieux auteur permettra à 
notre amitié de lui faire remarquer que le cri de guerre 
Flandre à la rescousse , qu'il met dans la bouche des compa- 
gnons de Baudouin , ne fut emplo^Pée que cinq cents ans plus 
tard. Dans les siècles antérieurs , les Flamands criaient Arras. 
Quant au cri de guerre de l'année 811 , l'histoire ne nous l'a 
point transmis. 

Je lis dans une chronique manuscrite achevée en 11 33, et 
que m'a communiquée gracieusement le vénérable Dom Beve- 
not, doyen de Maubeuge et ancien religieux de St.-André du 
Gâteau ; qu'Hérinnard de Basuel, vaillant guerrier, fut sur- 
nommé Bras'dejer y à cause de sa force extraordinaire, ob 
insolitm robur virtutis. Chron. ab ann. looj ad ann, ii33, 
cap* i3. 

Brise-cellier. Voyez Foncera ve. 

Brochet. Ce surnom fut affecté à divers piembres de la 
famille de Hennin de Cuvillers qui , dès le la^ siècle, portait 
huit brochets dans ses armoiries. Est-ce le sobriquet qui a 
donné lieu aux aiTnoiries, ou bien , les armoiries auraient-e les 
fourni au public malin l'idée du sobriquet? C'est ce qu'il n'est 
pas aisé de décider. Cependant puisqu'on trouve vers l'an 
9^0 un Liétard de Cuvillers , dit Brochet y qui octroie à l'ab- 
baye de Blandin des biens situés en sa t^rre d'Hénin«Liétard, 
il est permis de croire que le surnom a précédé les armoiries 
dont l'usage ne fut adopté qu'au retour des croisades. Lié- 



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te. 49-^ 
tard Brochet, de Cuvillers , après avoir brillé au tournois 
d'Anchin , partit pour {a Palestine où il se distingua, comme 
on peut le voir dans rjustoire de cette expédition par Albert 
d'Aix. Voici Tépitaphe de ce seigneur , tell^ qu'elle nous a été 
conservée par Rosel : Chy koucka subs cil lame , Brochet Hen-- 
nine sans arme; sen noem/uet Lie tard ; sen hors fina nient 
tard ; entour Jerosolime y chil fuet en guer 9pblime yjtouviert 
dong siglatm , desic a leperon , avoec m^pue , guiUet , tanche , 
arc, cottrelj banfiet ; fuet m^lt chiery delr^y, et de Diex , 
chou chil est vrey. MC. . . Il paraît que h noble famille de 
Cuvillers dédaigpa , (iès le i3« siècle, le surnom de J^rochst, 
puisqu'après niSa , on ne le voit plus figurer dans sa ^néa- 
logie. 

BausiiÊ-DAME. Ricuin le Fuzeliers, qui viv^iten |'an 1200 , 
fut surnommé le Transi et Brusle-iame , c'est-à-dîre amant des 
dames; et la-dessus, Carpentier, de déclamer longuement et 
doctement contare les amoureux : « C'est une piteuse afiaire , 
dit-il , de voir un homme brûler dans la glace et transir dans 
le feu , qui a le teint plombé y Iç visage chagrin , lés yeux 
creux , les joueç sèches , Tesprit resveur , la raison égfirée et 
le cœur tout en fièvre pour Tamour d'une créature qui se 
ipoqiie de lui,., Np faisoit-il pas beau voir un chevalier qui 
^voit une espée à |3on cpst0 pour trencher les monstres , d'al-: 
1er faire le badii^ ^pr^ une rusée.. .?• Notre transi , à la fin ^e 
cette bejle farce , fut obligé , ^près avoir vu les amours de soq 
amante engagez à un autre , de s'allier avçc Mehaut la nçirç , 
plie d'un ferron de Cambray. •• 



(Ija euile à la prochaine livraison.) 



J^, JjE GlA.Y, 



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LA JOURNÉE DES MAU-BRUSLEZO. 



€l)r0nt()ue tfalendemom. ( 1562. ) 



Nous allons entrer en l'an soixante et vn, soixanic 
deux, el lessuiuuns, mémorahles cl délesluliles» pour 
les malheureux fruits qu'ils oui produits, desquels 
nous auons encor les dents agacées. 

D'OVTREMAN lliist, de Fal,} 



ce Ei êl aucun quieri sçauoir qui eêl l'aciéres de ce Hure : te 
rn appelle être leâ Froisêart, natif de la bonne etfrâke ville de 
VaUlienneê, »et, ajoute notre bon d'Oulreman, cet excellêt 
historien , ne treuue riê de plus honorable pour se faire cog- 
noistreen la préface de ses histoires, que de se dire natif de 
ceste ville. 

C est qu'à cette époque , où chaque province avait ses lois , 
chaque ville ses coutumes, chaque magistrat ses privilèges , 
lorsque lois , coutumes, privilèges se croisaient sur le pajs, se 
gênaient, s'échancraient les uns les autres; à cette époque oii 
l'échafaudage desjuridictions locales était toujours debout en 



[i] La journée des Mal-brulës. • 



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attendant qu un pouvoir central et régulateur vînt en saper 
la base, Valenciennes se faisait remarquer par Findépendance 
et la fierté de ses privilèges, ainsi que par son empressement et 
son courage à les défendre. Aussi le titre de Bourgeois de Va- 
lentienne* valait-il presque des lettres de noblesse, car il don- 
nait aloi-s à ceux qui en étaient revêtus un caractère d'inviola- 
bilité auquel ni comte , ni marquis, ni seigneur n'aurait porté 
atteinte impunément. C'est ainsi , pour citer un exemple entre 
mille, que (c Messire Thomas de Vertaing, Preuost de Mau- 
» beuge , au rapport de d'Outreman , ayant vn jour fait com* 
» mandement à vn certain Thomas Foriez , de mettre bas la 
» dague, en suitte de ledit du Prince, qui défendait le port 
» d armes par tout le Hainaut, ledit Thomas responditen ces 
» termes: Que ny pour Seigneur, ny pour Dame, il ne Teste-* 
» raitpas, e&XAnXBourgeoiê de Valent iennes.Hi comme \e?Té'' 
» vost leust arresté pour se subiect : incontinent après il fut 
)> commandé de le relaxer. » 

Il ne faut plus s étonner , après ce trait , si notre historien 
Froissart ne trouve pa§ de plus noble titre à ajouter à son nom 
que celui de Bourgeois de Valentiennee , car on dçvait alors être 
fier de le porter. 

Mais parmi les privilèges qui fourmillaient dans cette ville , 
comme dans toutes les autres, au moyen-âge et même long- 
tems après , et qui étaient en quelque sorte le contrepoids de 
l'absolutisme d'un pouvoir partagé entre tant de mains , il faut 
ranger en première ligne : Le Droit de franchise accordé aux 
débiteurs étrangers ou aux homicides qui ce ayans blessé quel- 
)) cun entre deux soleils ou commis vn homicide, non pas 
» meurtre, hors la ville et banlieue, demandent de iouir de ce 
» priuilège. Ils devaient donc ( disoient les chartes de l'an 
» MDXXXIV) la demander estant hors de la banlieue ; ny ne 
» pouuaient entrer dans la ville , pour iouir de ce priuilège, 
j> sans l'avoir demandé, et obtenu; Ne fust que le requérant 
D fust pousuiuydesesaduersaires, en sorte qu'il fust contraint 
» de se sauuer en ceste ville : Alors il pouvait y entrer iusques 
» dans l'Eglise de S. -Pierre , sur le marché, criant à haute 
» voix : Franchise y Franchise !..,-» 



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"Valenciennes avait donc aussi ses licmx <)*asile; les églises 
••étaieDt particulièrement choisies pour ce privilège; maison a 
vu aussi quelque fois, des villes entières semr de lieu de re- 
fuge , c'est ainsi que : a I^ouis XI, roy de France, 9t> rapport 
» de Pieri'e Mathieu en rhistoiredeceRoy,voyantquesa ville 
)) de Pans estait dépeuplée d'habitans par la peste , qui rauagea 
». ceste grade ville l'an MCCCCLXYII ne treuua point dap- 
»:past, pour y attirer les marchands, plus attraiant que la 
» franchise, laquelle il octroya à tous bannis, qui y vou- 
)> draient venira^ésider, telle que celle des villes de St-Malo et 
» de y alen tiennes. D où il est aisé de conclurre , que ces deux 
» villes estaient estimées en ce temps là , pour le» plus priui- 
•» .^iées et les plus franches, non-seulemét de tout le royau* 
}» me de Frâce , mais encore de tout le voisinage. » 

'.Ces lieux d'asile étaient donc un sanctuaii^ sur le seuil du* 
quel toute justice humaine venait expirer ; c'était uneplanche 
de salut, c'était une île qui sauvait du naufrage ceux qui y 
abordaient; là, le naufragé pouvait sans crainte jeter un re- 
gard sur les£ots qui venaient expirer à ses pieds, il n'était plus 
kur preie; mais il fallait qu'il se gardât bien de penser à retour- 
ner surses pas; un pied hors du sanctuaire, un pied hoj^ de cette 
ile, il retombaiteotrelçç maiçi? dç ses persécuteurs, il retombait 
.dansje^^otsl 

Maiscedroit defranc;hîse,ee droit d'asile, n'appartenait 
pas seulement à uneéglise, à une chapelle , à un palais deroi ; 
à Talenciennes , il pouvait être revendiqué dans toute la ville 
et lorsque les réclamans avaient séjourné uq an et un jour 
dans cette cité franche, personne , fut-ce Messire Anselme de 
Bellaing, bailly d'Onnaing — qui fut Iqi-même forcé de venir 
tenir prison en cette ville pour avoir attrapé et appréhendé au 
corps deux criminels qui s'étaient sauvés de ses prisons et qui 
s'étaient réfugiés devant la Maison des Ladre», au fauboui^ 
Montois de cette ville — pei-sonne, dis-je, ne pouvait venir 
les reprendre, car ils jouissaient aloradu droit de Bourgeoisie 
et ce titre était inviolable. 

11 est facile d'apprécier au premiercoup d'œil les consé(|uenn 



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ces fâclieu^os <]ftiè déyâit aVoir pour la Iranqitillilë de celti* vif- 
le, cette eXtejfiàion ext^aordînail*e d'immituité. Valenciennes 
devait aloTs être cdftime un ëgoût oii venaient s'en gouffi-er les 
immondices des environs. C'était l'abusderimmnnité à côtéde 
Fabus dtt 8ilpJ)lice; deux vices qui tâchaient de se corriger l'un 
par lautrc; qui n'en restaient pas-meîm; debout et qiii frap- 
paieilt notre société au cœur. 

(c Pour ne dire donc iîeYi des autres pi ovincës, dît dOutl-é^ 
y> man , il faut noter qife comme il arriue souuent que de trcà- 
y> belles mères éngefidrêtit de très-laidî enftnsV que la vérité 
» ehgendi^ la hain«/la familiarité fe itiespi'is': ainsi la fran- 
» chisede ceâte vitre, qui don we eiîffce aoîc deBletirs et homici- 
» des , ^t attira toute sortfe de marchans , y appmta l'hérésie > 
)) qui h'y aifail iattjais pileéque cstéisoguiic aux siècles passés.»* 

L'hérésie il^hérésie! hideuse tenue a la face de notre société 
d'alors ! lèpre qui i*^ngeait les entrailles de notre pays ! immense 
incendie qui bl'ûla si longtems et qui nes'éteignit que dans des 
Ûots desaiigf Ainsi; pour une croyance^ poui« un principe , 
pôiir ûh mot, pour une abstraction peut-être, des hommes 
s'entr'égorgeaient; s'arrachaient uneexisteaee ^'ils n'avaient" 
|)u se doûeer, et se croyaient à l'abri dt» remô^fds ou du châti- 
ment^ parcfeqùe derrière IcUf crime if y avait leur Dieu! Déri- 
siou ! G)mme si le crime est ttil argument sans réplique , com- 
me si le sang pmuvc autre chose tju' un crime! 

Ces détails , uti peu longs peut-être , de nos privilèges att sei- 
zième siècle y et des abus inévitables qu'ils engendraient , 
étaient indispensables pour l'intelligence des faits suivans, qui 
relèveront h caractère ferme et même un pieu turbulent de iros. 
ayeux. 

Le huitième jour du moi9dese][>tembrëdë l'année j56o, par 
une de ces journées si belles, si sereines ^ dans ce pays , qu'il 
semble que l'été ne nous quitte qu*à regret , le peuple , arti- 
sans et vilains^ attendait avec impatience sur la grande place, 
la mirifique procession de Notre- Dame du St. Cordon. -C'est 



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c|u il devait y avoir cette fois des choses merveilleuses à voir! 
Quatre belles châsses en argent, renfermant de saintes tel iques, 
devaient y être apportées de l'abbaye de Denain ! <c C'étaient 
y> les ûeriesdeSi'jitld€èerl,comfed*Au9lrêuanl,etdeSle'Royn$j 
D son espouse; fondateurs de T'église etabbaïe de Denain, père 
» et mère de dix filles toutes Sainctes et Yierges; la troisième 
» fierté contenait le corps deSte'Rem/roy,dd8néede ces dix sœurs 
D et première abbessede Denain ; la quatrième était pleine de 
» i^liques des Onre mille Viergee! . . .» Et messire Gober l Mo- 
relj héraut de la ville , devait marcher à la tête de la confrérie 
des Damoiseaux , revêtu de la robe de drap d'or, fouri^ de 
martres, que le bon duc Philippe de Bourgogne avait octroyée 
à son père pour ses longs services, et avec laquelle il avait été 
peint par le peintre Otelin , sur un des feuillets de la table 
d autel de la chapelle de St-Luc , en l église de Notre-Dame ! 
£t les gens de Monsieur le prévuteu beaux hoquetons decame^ 
lot rouge et jaune ! Et les charriots de triomphe montés et dé- 
corés par chaque corps de métier ! Et les membres de la con- 
frérie des Royèêy gentilshommes et marchands, avec leurs ro- 
bes rayées du haut en bas en souvenance du miraculeux cor- 
don ! . . . . Enfin ce devait être un spectacle mirifique, une so- 
lennité à en parler longtems avec vénération ! 

Le peuple attendait avec l'impatience que fait naître l'espoir 
du plaisir ; aussi la place était-elle encombrée de curieux qui 
étaient venus de bien loin pour admirer toutes ces belles cho- 
ses. 

En attendant, les manans et vilains ne pouvaient se rassa-> 
sier d'admirer la magnifique horloge qui avait été réparée , il 
y avait cinq ans , et qui était placée au bout de la maison de 
ville et qui joignait cet édifice à la halle aux grains. 

Car c'était ce Une machine digne d'estre admirée en toutes 
» ses parties : outre les heures ordinaires marquéesau cadran^ 
» Ton y voïoit le globe du soleil monter et descendre, selon la 
D saison et en qtiel des douze signes il estait logé. La lune y 
» estait représentée en vn globe , qui changeoit de face ainsi 



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y) que ce pïàflfetfe, et nous distinguoit tons les cartiers. Vn Auge 
» monstrait leniois courant, dont le nom estaîtpeint en gros- 
» ses lettres d*or ; de plus icy se présentoit vn tableau , où es- 
» taient dépeints les exercices des hommes pendant chacun de 
y> ces mois. Finalement vfi autre grand soleil d or dëclarerit 
» les heures du jour, et vn planette noir celles de la nmct : 
» puis enfin en vn autre tableau passoient les noms en gros 
y> cadeaux de chaque ioUr de la semaine. Les heures se son- 
» naient par deux lacquemards , ou géans de bronze qui mar* 
» telloient Tvn apr^s l'autre sur vn timbre qtii estoit sur le 
» haut de la tour..... Sans compter que pjardessus cette tour, 
» il y avait un Ange de cuiure doré qui tènoit' vne trompe en 
» la bouche, laquelle trompe estait si a^-tistement et si ingé- 
» nieusement faite, quelle donnait vn son comme de trom- 
» pettc, lorsque kî vent s'y engoul'froit. .*^)y 

N'était-ce pas assez en effet pour attirer Tattention et l'admis 
ration de toute cette foule qui ne demandait qu'nn spectacle 
pour ses yeux. 

Enfin on a vu briller les bannières Bleueô des confréries ; an 
a vu la robe en drap d'or de messire Gobért Morel; on a vu 
la statue de Tange d'argent que Ton porte devant la châsse des 
Boyés et qui semble recueillir le miraculeux filet; on entend 
déjà les chants sacrés, les airs l-etentissent des- litanies enton- 
nées par dix mille voix, la foulequiencombrela place s'ébranle 
et dourt se ranger sur le passage delà procession , mais tout-à- 
coup un grand bruit d'armes se fait entendre du côté delà 
porte Montoise ; ou voit accourir vers la place deux jeimes 
hommes poursuivis par une troupe d'hommes armés, et criant 
de toute leui-s forces : Franchise / franchise ! En peu dinstans, 
ils parviennent jusque dans la chapelle St-Pierre, et , épuisés 
de fatigue, ils peuvent à peine répéter sur le seuil decette cha- 
pelle : Franchise /franchise/ 

Mais là ils sont sauvés , le peuple le sait et eux aussi , car , 
de là , ils peuvent regarder en face cette justice humaine à la- 
quelle ils échappent , ils peuvent regarder eu face tousces hom- 



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^56 ^ 

mes d'armes qui les poursuivaient; vrais tigres forcés mainte- 
hant de mâcher à vide ! Ils peuvent regarder loute cette foix» 
qu'ils viehheht de briser! Aussi ce peuple, tout à Theui-e si 
paisible > si tranquille^ ^ait-iï entendre avec ses dix mille voix 
ces mots magiques : Frahchùe f /ranchise ! Et comme ces hom- 
mes d'armes se disposaient à continuer leurs poursuites, le 
peuple se rua sur eux en criant : À bas iiiessii-ele bailly d'On- 
naing ! — car ils avaient reconnu les couleurs de ce bailly. — 
À bas messirele bailly d'Onnaing! Franchise! frane h Ise/ A sac! 
— à sacl.... et en quelque^ secondes tous ces hommes d armes 
éont foi-cés d'abandonner leur proie et de battre eu retraite 
vers la porte Mdntoise, poursuivis par les cris et les huées de 
ce peuple toujours disposé à prendre la défense du plus faible, 
sul'lout lorsque le plus fort est au pouvoir. 

« 
Ces deux jeunes gens qui véiUient ainsi de niettre en défaut 
les sbires de messire le bailly d'Onnaing , c*étaient Simon Fa- 
veau et Philippe Mallart , qui habitaient depuis quelque tems 
le bailliage d'Onnaing. 

Faveau et Mallart étaient unis par les liens de la plus fran- 
che amitié ; venus tous deuk , il y avait une année, de l'uni- 
versité de Genève , où ils avaient puisé les principes d'un Cal- 
vinisme ardent, ils étaient obligés de cacher, sous des dehors 
plus eu harmonie avec l'esprit et les croyances religieuses du 
pays, leur dévôuemetit à la religion dads laquelle ils avaient 
été élevés ; maii ils étaient également comme dés Parias dans 
cette contrée si aveuglement dévouée et soumise au catholicis- 
me; aussi marchaient- ils à travers tout ce peuple ^ imbu d'u- 
iie ailtré croyance, sans se mêler à lui, sads se faire foule aveci 
lui. 

Mallart avait une sœur , la jolie Berthe, qiii faisait l'admis 
i-ation de tous les jouvenceaux du pays. Bien des jeunes gen- 
tilshommes , voire même de jeunes seigneui*», auraient volon- 
tiers déposé aux pieds de Berthe leurs cœui*s, leurs titres et 
lieurs châteaux , cai* elle était si jolie la jeune fille, elle était si 
t>elle avec ses lobgs Cheveux nôii-s cônlme rébtne, ses grands 



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yeux el sa tailie ëlatt'tôée! Puis il y avait, ëpahcjue éixlr iëlite 
sa physionomie, cette teinte délicieuse et vague de pâUur qui 
sembiedire: souffrance qui déchire et qui tue! Puis enfin c'était 
une si ravissante créature > une rose dont les feuilles les plus 
suaves n'étaient pas encore dépliées ! Mais, sous une enveloppe 
si fragile, Bertbe cachait une âme fortement ti'empée ; sous ses 
vêtemens de femme battait un cœur de feu , et aabs ce cœiir 
germaient les sentimëns les plus généreux et les plus hardis. 

Parihi iés jeunes seigneurs qui n'avaient pu voir 6erthe sabé 
l'aimer et qui soupiraient pour la jolie fille ; le jeune BLaodl , 
fils de messire le bailly d'Onnaing , se faisait remarquer par 
«on assiduité à se trouver siir son passage; nul ne savait, à vingt 
lieues à k ronde , faire manœuvrer un destrier avec plus, d'a- 
dresse que lui , nul ne savait mieux poilierton pourpoint, nul 
n'avait une coUei'ette mieux plissée ; c'était 'enfin un davalier 
accompli ; mais il fallait à Berthe un cœur qui comprit le 
sien , une âme qui répondit à son âme, une main qui étreignit 
sa main, et le jeune Raoul n% pai4ait qu'à ses yeux. 

Et puis la jolie Berthe avait déjà donn^ son cœur. L'ami de 
son ft*èriî, le jeune Simon Faveau , jeune homme à l'imagina- 
lion ardente , aii cœur noble et généreux, avait compris l'âme 
de Berthe; et leur àiiioiir d'abord était venu doucèmeht et de 
lui même; Et maintenant c'était une passion, liiie vi-aie pas- 
sion à ed faire perdre la Ûle , Car désormais Ëerthene pouvait 
plus vivre sans Simon et Simon sans Berlhe. 

Dès lors le jeune Raoul en fut pour ses démarches et ses sou- 
pirs, oar Berthe était trop simple pour être coquette, et, je vous 
l'ai dit, elle né pouvait plus être qu'à Simon; 

Grand fut le courroux de meôsiie le bailly d'Onna^ng, lors- 
qu'il apprit la mésaventure de son fils, de son fils si beau cavil- 
lier et qui devait, après lui , hériter de sa charge f Aussi il réso- 
lut de tii'er une vengeance éclatante de cet affront fait à sou 
sang. 



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Et comme, dans ce bon teras,rarbitraii^ marchait toifjoxirs 
de compagnie avec le pouvoir, ce fut chose facile à messire te 
bailly que faire naître une occasion favorable de se venger. 

Faveau et Mallart avaient étudié à Ftiniversité de Genève — 
t:ar malgré la demande qui en avait été faite à Charles-Quint, 
dès Tan i53o , la ville de Douai n'avait point encore obtenu 
d'université— et l'on savait que Jesprincipes religieux que Ton 
puisait dans cette université n'étaient nullement en rapport 
avec les croyances religieuses de ce pays , car l'hérésie y levait 
hardiment la téte« 

Le bailly d'Onnaing saisit ce prétexte pour se venger de Si- 
mon Faveàu et des rigueurs de Berthe ; il accusa les deux amis 
de tenir chez eux des conférences secrètes , des presches héréti- 
ques, et de vouloir pervertir toute la contrée, et, un beau ma- 
tin , il envoya ses hommes d'armes pour investir leur demeure 
et se saisir de leurs personnes< Mais un avis mystérieux avait 
donné l'éveil aux deux accusés, et tandis que les soldats visi- 
taient la maison, nos deux amis cheminaient lestement sur la 

route de Valenciennes Mais messire le Bailly était aux 

aguets; il avait vu nos deux jeunes gens jse soustraire à ses 
sbires, et, craignant que sa proie ne lui échappât, il courut 
prévenir ses hommes d'armes qui se mirent à la {loursuile de 
Faveau et Mallart. Malgré leur célérité ils ne purent cepen- 
dant parvenir à arrêter ces fugitifs , et ce ne fut que sous la 
porte Montoise qu'ils faillirent les appréhender au corps; mais 
Faveau et Mallart redoublant de vitesse mirentencore une fois 
en défaut les sbires de messire le Baillj . 

Ils parvinrent sur la grande place, se réfugièrent dans la 
chapelle St-Pierre et* . . . vous savez le reste. 

Un an et un jour après, Simon Faveau et Philippe Mallart 
étaient bourgeois de Valenciennes* 

On était alors Vel^ la fin du tnok de Septembre de l'année 
l56i* 



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L'hérésie, qui fa avait point osé lever la tête sous le règne de 
Charles-Quint, parceque cet empereur avait respecté les liber- 
tés et les privilèges de son peuple , se montra fièrement dès le 
commencement du fègne de son fils Philippe II, car ce monar- 
que souleva contre lui les trois membres de Tétat, la noblesse, 
le clergé et le peuple , en voulant les priver de leurs prérogati- 
ves. Dès ce moment, l'hérésie, profitant de cette triple ligue ^ 
commença à se déclarer, et les hérétiques se multiplièrent 
d'une manière miraculeuse. 

(c Geste peste , dit P. d'Oultreman, se fît notablement re- 
» marquer en l'an MDLXI par les conuenticules, preschesf 
» privez, cliants des pseaumeàde Marot par les rues pendant 
» nuict : par placcarts et billets attachez aux portes des égli- 
» ses, et autres lieux, si bien que le marquis de Bergues, grand 
» Bailly de Hainau, et Gouverneur de ceste viUe, y deut 
» venir en personne pour y donner ordre. » 

Au milieu dé cette effervescence religieuse, au milieu de ce 
conflit de deux croyances qui se heurtaient , Simon Faveau et 
Philippe Mailart ne pouvaient rester spectateui^ passifs. C'é- 
tait une lutte qui allait ouvrir un vaste champ à leur imagi^ 
nation ardente et fanatisée^ aussi ils n'hésitèrent pas un ins- 
tant à se jeter à la tête de ce mouvement, de ce choc qui de- 
vait avoir un écho si prolongé dans nos provinces. 

Ni les prières de sa vieille mère , ni les larmes de la jolie 
Berthe , sa fiancée , ni les conseils de la prudence , ne purent 
détourner Simon Faveau de Son énergique résolution ; et ce-' 
pendant il l'aimait , Berthe , il l'aimait de toute la force de son 
âme, il l'aimait à en perdre la tête ; mais sa croyance religieu- 
se absorbait alors toute son imagination , toutes ses forces , 
toutes ses pensées, et elle avait presque remplacé dans son- 
cœui' le souvenir de la jeune fille. 

A son arrivée en cette ville , le mçirquis de Bergues , grand 
Bailly du Haynaut et Gouverneur de Valenciennes , aidé de 
messire Philil^ert de Bruxelles et d'Autruxe , que madame la 



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èoutdrnante lui avait adjoint pour connaître de ce désordre ^ 
désireux de mettre fin à ces laouvemens , prit la résolution de 
s'emparer des principaux chefe de cette insurrection religieuse; 
et , pour commencer, il fit mettre en prison Philippe Mallart 
et Simon Faveau , Drainé innnpeties, dit Strada f de 4^Evamjife 
de Cal pin. 

Point n'ai besoin de vous dire quelle fut la douleur de fier*- 
the, lorsqu'elle apprit que son fiancé et son frère venaient d'être 
arrêtés et emprisonnés par l'ordre de messire le grand Bailly 
de Hainaut3 Ce ne fut d'abord que pleurs et doléances; la pau- 
vre enfant, elle était si malheureuse, elle creusait ses joues 
avec ses làrmësi car elle prévoyait, elle, le dénouement de ce' 
terrible drame , elle savait qu'un abîme de Sang allait la sépa- 
rer des accusés et que la niort brisemit bientôt tous les liens 
qui l'attachaieht à la Vie ! Qu'allait-elle dévenir sans l'appui de 
son frère et sans l'amour de son fiancé , deux choses si néces-- 
saires à son existence? Oh ! il lui fallait mourir !.... 

Telle fut là première pensée de Berthe , la première idée que 
fît naître dans son âme le dâttger que couraient les deux seuls 
êtres qui faisaient toute sa joie et toiites ses csjk^rances.i. Mais 
bientôt une résolution plus hardie , plus digne dé son âme de 
feu , remplaça des idées de désolation et de mort. Toiit-à-l'heure ^ 
la jeune fille, elle voulait mourir, maintenant elle veut vivre ^ 
mais vivre , pour sauver tout ce qui lui est cher, pour dclivrcf 
son frère et son fiancé; 

Oh ! dès que cette idée sfe ftit emparée de sa tête , dès que sort 
imagination se trouva face 4 face avec cette pensée , tout chan^ 
gea en elle. Ce n'était plus cette jeune£lie , timide , tremblante 
au moindre bruit ^ pleureuse comme Un enfant, faible , n'osant 
lever ses yeux baignés de larmes , et n'ayant pour tout avenir 
que le déshonneur ou la mort ! Oh ! loin de là : c'était alors 
une foile femme , au cœur de feu , à la résolution hardie , ca- 
pable de tout entreprendre et d'envisager, sans les craindre , 
4es conséquences d'une action décisive. 

^rthe , sans plus attendi'e , parcourt là ville , va visiter ceux 



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fpii y comme Faveau et Mallart j s'étaient mi» à la tète de cette 
Insurrection religieuse, et n'étaient cependant point encore 
dans les fers ; elle leur représente leurs deux amis gémissant 
au fotid d'un cachot, sous le poids d'une accusation capitale, 
et à la veille d'être traînés au supplice, et cela pour leurs croy- 
ances , à eux , pour avoir voulu propager les principes de leur 
religion ! Il y aurait injustice et ingratitude à ne point cher- 
cher à les délivrer ; les Huguenots sont hommes de oœur et de 

résolution ,. ils ne laisseraient pas périr un de leurs frères 

^nfin Berthe était si éloquente, elle était si belle lorsqu'elle 
parlait de son frère et de soq Qancé que pas un ne sut résister 
k ses prières ! Il y avait tant d'entraînement dans ses parole» ! 

Aussi les huguenots , encouragés et excités par Berthe , se 
i^unissent bientôt, tiennent des preseheê et prennent la ré- 
solution hardie de délivrer leurs frèr^. « ^t tQi;t ce tems (dit 
» d'Outreman) on n'entendait tpi^tes les nuiçts que cris ^t mç- 
m naces jectées contre le ii^agistr^t ; yoire les huguenots estoieni 
» bien si hardis qme 4ç crier, passant près de la prison, et en?» 
» courager les prisonniers , }eur promettant ayde et secours 
» en cas qv^e l'qn voulut procéder à l'exécution ; ce qu'ils pu- 
n blipiept encor par ptaçcarts et affiches à tous costez. » 

Le gouverneur, voyant cette effervescence, et craignant des 
désordres plus terribles , ne crut pas devoir obtempérer 9,^x 
ordres de madame la Gouvernante , et différa l'exécution des 
deux prisonniers ; saps avoir remédié au mal, it quitta Yalen- 
ciennes et s'en alla à Liège , visiter son frèrç , qui en ét^it évè- 
que, 

Marguerite , dit Strada , blâma le gouvei-neur de s'être 
absenté , et lui commanda de retourner à son poste ; mais il ne 
balança pas de lui dire , pour excuser son absence , qu'il n'é- 
tait ni de son humeur^ ni de sa charge d'être le bourreau de» 
hérétiques. Ce qui ne l'empêcha ni de retourner à Valencien- 
nes , pi démettre h, exécution les ordres de madame la Gouver- 
muite ; ts^X il ^t vrai qu'on tenait aux places du seizième 
siècle^ cpmme on tient à celles du dix-neuvième. 



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Il j avait sept mois que Faveau et Mallart gémissaient dans 
les fers , lorsqu'un lundi de grand matin , — c'était le 27 avril 
de Tan i563 — le son lugubre de la cloche annonçaà ces deux 
prisonniers que le moment fatal était arrivé et aux hugue- 
nots que Tin^tant décisif approchait. 

£n effet , Faveau et Mallart , venaient d'être condamnés à 
être brûlés sur le marché, comme hérétiques , et le son de cette 
cloche^ annonçait que les prisonniers allaient être tirés de leur 
prison pour être conduits au lieu du supplice. 

Mais Berthe veillait sur eux, mais les huguenots étaient 
prêts à secourir leurs frères. 

Un immense bûcher avait été préparé sur le marché : les 
deux amis s'avançaient, la tête haute, le regard fier, vers cet 
emblème de destruction. Simon Faveau cherchait à rencon- 
trer, lui , à travers cette foule immense qui était accourue à ce 
spectacle, un regard à échanger avec le sien; c'était Berthe 
qu'il voulait voir, pour lui dire un dernier adieu , car il était 
trop près de la mort pour oser encore espérer la vie. Tout-à- 
coup il l'aperçoit , la jeune fille, et laisse échapper avec un 
soupir, ces mots : « Père Eternel! » 

Il ne put achever, car soudain les huguenots entonnent un 
psaume , et Berthe , cette jeune fille tout-à-l'heure si timide, 
si frêle, fend la foule qui se range pour lui faire place, et 
quittant « son patin ou galoche » le Jette , comme signal con- 
venu, contre le bûcher. 

Oh ! alors vous eussiez vu toute cette foule tout à l'heure 
si paisible, §i inoffensive, électrisée par cette action hardie d'une 
jeune femme , pousser des huées et des cris de vengeance , se 
ruer sur le bûcher et le disperser en un instant. 

— En avant , frères , à la besogne , — A sac ! à sac î — A bas 
messire le marquis de Bergues ! — A bas madame la Gouver- 
nante î — A l'œuvre donc ! 



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&. 63*5 

Et les barrières qui enfermaient le bûcher sont brisées , et 
les fagots sont dispersés et les pavés sont arrachés.... 

Mais pendant ce tumulte , le magistrat qui venait de recevoir 
un renfort inattendu — car monsieur de Gognieset son frère, 
qui n'avaient pu se trouver sur le rbarché au premier son de 
la cloche , comme ils en avaient été priés , venaient d'arriver 
avec quelques hommes d'armes qu'ils avaient de leur bandes 

— était parvenu à ressaisir ses deux prisonniers et à les faire 
reconduire en prison. 

Les huguenots, voyant leur projet déjoué et craignant pour 
eux-mêmes les effets du courroux du magistrat, se rassem- 
blent , font entr'eux un petit prêche , et « de là , dit d'Outre- 
» man , ils se rangent deux à deux , comme on fait aux pro- 
» cessions , et se mettent à chanter des psaumes en allant , 
» sans bruit ny tumulte : comme si ce n'eust pas esté eux qui 
» eussent fait ce vacarme. Mais tout-à-coup ils se vont mettre 
» en furie : et pour venger l'outrage fait à leurs frères , pren- 
» nent résolution de piller, et brusler le couuent des Domini^ 
» cains , qui est voisin du marché. Ils y vont donc : mais en 
» chemin ils changent de rechef de résolution , et iugent qu'il 
» valait mieux délivrer leurs frères ; et là dessus , ils tirent vers 
» la prison. Vous eussiez vue ceste racaille » — d'Outreman 
maltraite un peu les huguenots et cela n'est point étonnant — 

— « aller, s'arrêter, retourner, et se pousser à grosses ondées 
» comme les vagues d'une mer tempestueuse , agitée de divers 
» vents. La prison fut forcée , et les prisonniers déliurés. » 
Ils purent se sauver avec leur courageuse libératrice. 

« Ce iour de là en auant fut appelle la Journée des Mau- 
» bruslés. » 

Ernest Bouton. 



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fflSTOIRE DES MONUMENS. 



^ottir ^< Skt'^^mm^, 



Palais dtt Kpi des Rois, temple maiestueuz , 
Dont la tour élancée aux plaines du tonnerre 
Eblouit les regafds d#s enfans de la t^rre ; 
De la foi des Flamands monument somptueux ; 
Dans tes parvis que l'4irt avec pompe décore , 
J'offris mes premiers vœux an dieu que Rome adore. 
Essais pqjihumes d'un Belge (par GosSE, 
de St-Amand ) , page ySi. 



Chaque édifice , a dit uo écrivain , a ses annales , ses archives 
de pierre , de marbre et de bronze. Il n'est pas une façade qui y 
bien interrogée, n'ait de merveilleux récits à faire. Ce serait un 
beau et précieux travail que celui d'écrire la Biographie des 
Monumens; il y aurait là de curieuses révélations à recueillir ! 
Cette tâche est ti*op immense pour nous ; mais l'histoire à la 
main , qu'il nous soit permis de fouiller dans les ruines , de rer 
cueillir des indices, d'écouter des traditions populaires, e^ 



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d'agglomérer ainsi assez de faits , pour nous initier dans ce qui 
n^est plus, pour retrouver un tems déjà loin de nous, et rebâ- 
tir un édiâce à demi-écroulé. 

Lorsque le peuple, ordinairement si dédaigneux 4^ date^ 
fixes , veut parler d'une chose antique et qui remonte à l'épo- 
que la plus reculée selon lui , il la reporte communément au 
siècle du vieux roi Dagohert : ce sont là des colonnes d'Hercule 
placées pour lui dans la nuit des âges et qu'il ne dépasse pres^ 
que jamais. Cette expression populaire, devenue une fiction 
proverbiale et commune , est une vérité lorsqu'on l'applique à 
l'antique monastère de St.-Amand : cette riche abbaye regar- 
dait Dagobert comme son fondateur. 

Dans un chapitre plus étendu , nous parcourrons en détail 
les chroniques intéressantes de ce cloître fameux de l'ordre de 
St.-Benoît, et la longue succession de ses quatre-vingt-dix 
prélats, qui commencèrent avec les. rois de France et tombè- 
rent avec eux ; nous ne voulons ici que narrer rapidement This- 
toiredu monument même, et donner une description succincte 
et fidèle de la portion qui en reste. encore aujourd'hui debout. 

La fondation du monastère à^Elnon se lie à celle de là mo- 
narchie française ; Saint- Amand , son premier abbé , né en 
671 , mourut le 6 février 661 , après avoir reçu en don de lOa- 
gober t(^i) , dont il avait baptisé le fik , un vaste terrein situé 
entre la Scarpe et la petite rivière à^ Binon, Delà vint le nom 
donné d'abord au cloître bâti en ce lieu. Le roi Childeric II 
visita la congrégation naissante , et eût toujours une grande 
confiance dans son chef. On croit que Carioman , fils de Char- 
les-le-chauve , qui en fut le 22" abbé , y avait été élevé ; et il'pa- 



(t) C'est ce qui appert d'un diplôme de ce monarque daté de la XI* 
année de son règne , qui en fut aussi la dernière et qu'on peut ainsi re- 
porter à Tan 638 , Dagobert n'ayant commence à régner qu'en 628 et étant 
mort en 638 ^ il est d'usage de compter comme une année de règne d'un 
souverain celle dans laquelle il monte sur le trône , n'eût-«Ue enccH'e que 
pctt de jours à courir . 



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^66m 

raît eci^in que deux de ses frères , Pépin et Dreux , y mouru- 
rent dans leur jeune âge et y furent inhumés. 

Prise et saccagée par les Normands , en 38o , cette abbaje 
eut le sort commun des monastères et des ^ises du pays. Le 
corps du saint "échappa seul au désastre par Tenvoi qu'on en fit 
à St.-Germain-des-Pr^ , à Paris ; mais tous les moines y fu- 
rent égoi^éapar les barbares du Nord : c'est ce que nous retra- 
cent encore aujourd'hui neuf bas-reliefs en albâtre, déposés au 
musée de Douai pendant la révolution et tirés de l'église de St- 
Amand , lors de la vente de ce domaine. 

Les traces de cette affreuse invasion commençaient à peine à 
disparaître du monastère d'Elnon restauré , quand le 1 1 août 
1066 y un ennemi non moins terrible vint l'attaquer de nou-- 
veau. Un incendie considérable se déclara dans le couvent et 
l'église y et plongea tout-à-coup les religieux dans une pro- 
fonde misère. D'une si beUe demeure, de tant de richesses 
smeaaées , il ne leur i-estait qu'un monceau de cendres. 

Cependant, une faible lueur d'espérance brillait encore : on 
était parvenu à tirer du feu le précieux corps de St. Amand ; 
les moines imaginèrent de se mettre en quête avec ces saintes 
reliques et dç parcourir proce^sionnellëment , et à pieds nus, 
toutie Cambr^sis^ l'Artois et la Picardie, en chantant les mi- 
racles etles vertus du saint. Ce mode, qui pouvait bien rem- 
placer dans ees tems barbares les souscriptions de notare siècle 
civilisé , fit merveille, et nos pèlerins recueillirent4es<lons con- 
sidérables. Ce que les efforts de tous les moines réunis n'au- 
raient pu &iFe, 4eB cendres du saint en vinrent facilement à 
bout : l'abbaye sortit.de ses ruiaes plus riche et plus puisante 
que jamais, et saint Amand redevint une seconde fois le fonda- 
teur de son égHse ! 

Le temple et le monastère , si miraculeusement relevés, su- 
birent un nouvel assaut, en l'an i34o , de la part du comte de 
Hainaut assisté des habitans de Valenciennes qui voulaient 
venger l'abbaje d'Hasnon , dévastée peu auparavant par les 
^int-Amandinois. Les Valenciennois , au nombre de i-a^cM^o 



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^67^ 

attaquèrent saus succès du côt^ du pont de la Scarpe : (( Dura 
tt cet assaut tcmt le jour, dit Froissart, que oncques ceux de 
a Valenciennes n'y purent rien forfaire ; mais y en eut foison 
a de morts et de blessés des leurs : et leur disoiènt les Bidaux : 
a allez boire votre godale, allez Qi) ! )> 

Le comte de Hainaut fut plus heureux : il attaqua les murs 
de Tabbaye du côté de la porte de Tournai , et fit brèche en 
plusieurs endroits avec d'énormes béliers. A cette époque l'é- 
glise n'avait pas horreur du sang , obligée qu'elle était de se dé- 
fendre souvent contre les attaques de gens fort portés aux pil- 
kries et au meurtre ; aussi les moines firent-ils bonne conte- 
nance. « Il y avait un moine nommé Damp Froissart ( conti- 
<c nue l'historien qui s'étend complaisamment sur un fait glo- 
cc rieux pour un religieux portant son nom) qui y fist mer- 
<c veilles et en occit et mehaigna , au devant d^un pertuis où il 
a setenoit, plus de dix-huit; et n'osoit nul entrer dans le 
ce lieu , mais finalement il se convint partir- Car il veist que 
c les haynuyers entroient en l'abbaye et avoient pertUisé le 
« mur en plusieurs lieux. » Tout fut mis à feu et à sang dans 
le cloître dont on enleva même les cloches. 

Le 1*»' août 1477 > nouveau pillage de l'abbaye par les trou- 



(3) Les Bidaux étaient , dans le moyen âge , de mauvais soldats armés 
de lances et mal équipés. Froissart , Yalenciennois , donne peut-être e« 
nom par dérision aux soldau dé' St-Amand qui 4or8 suivaient une autre 
bannière. 

C'est aussi par mo^erie que les habitans de St-Amand , qui , comme dé- 
peodaot de la France , en tiraient beaucoup de vin , envoyaitnt leurs voi- 
sins les fiainuyers baiie de Ta Qodàle. La godale était une espeee de bière 
distincte de la Cervoise : ce nom parait formé des deux mots anglais 
Good aie , bonne aie , bière douce , fort estimée en Angleterre , puisque , 
suivant M. Crapelet (*), elle a donné lieu au proverbe : good ah is méat , 
drink , and Cloth j de la bonne aie , c'est viande , boisson , vêtement. L« 
vieux mot godale a donné naissance à ceux de godaille et godailler pour 
exprimer le passe- tems des gens- qui se réunissent uniquement pour 
boire. 

[*] Dans ses Provrbti et dictons populaires du XIII* siècle , au mot Cervoise d» 
Càmhrmt. 



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ped de Marie , duchesse de Bourgogne , encore aidées des bour- 
geois de Valenciennes , toujours prêts à courir sus aux Saint- 
Ama.ndinois ; cette haine , provenant de ce que St.-Amand , 
comme Tournai et Mortagne , dépendait de la France, et Va- 
lenciennes du Hainaut, s'était envenimée pendant les Longues 
guerres qui divisèrent les maisons de France et de Bourgo- 
gne (3). 

Cette «bbaye eut encore à supporter la prise qu'en fit le ba- 
ron de Ligne «n 1621 , au nom de l'empereur Charles-Quint , 
mais sans y commettre les horreurs de ses prédécesseurs. Ici 
Charles-Quint conquérait pour garder, aussi ne détruisit-il 
pas.* 

Une des dernières et des plus rudes épreuves qu'eurent à 
subir ces antiques édifices avant leur entière reconstruction , 
fut le saccagement qu'ils éprouvèi^ent dans l'été de ±566 /alors 
que les Huguenots méritèrent le surnom de brise-limages par 
les dévastations qu'ils commirent dans les églises et les monas- 
tères. Statues, reliques, mausolées, orgues, tableaux, tout 
fut brisé, détruit, anéanti. 

Moins d'un siècle plus tard l'abbaye de St.-Amand devait 
être renouvellée de fond en comble et prendre rang parmi les 
monumens européens , par la splendeur et le grandiose qu'on 
sçut imprimer à ses bâtimens. Ici commence l'histoire propre^ 
ment dite de ce qui nous en reste. 

Un seul homme , sorti de la classe plébéienne , devint l'u- 
nique cheville ouvrièi'e de cette importante reconstruction ; 
son nom mérite de passer à la postérité : c'est Nicolas Dubois, 
76* abbé de St.-Amand, par ordre chronologique , et le pre- 
mier sans contredit par ordre de mérite. L'abbé Dubois, né 



(3) L'ancienneté de la possession de St-Amand par la France est con- 
firmée par la composition même des armoiries de cette ville et de l'abbaye , 
qui sont : de sinople à une épéemise en pal, la pointe en haut , accostée 
4e ^cux fleurs de lis d'or. 



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dans le pays , eut dd grands démêlés avec Benoit Legrand pour 
la mitre de St.-Amand , mais la cour de Madrid lui ayant en- 
fin rendu justice au commencement de l*an 1661 et la tran- 
quillité étant rentrée dans Tintérieiu' du cloître, Tabbé s'oc- 
cupa de mettre à exécution le vaste projet qu'il nourrissait 
depuis longtems, et dont il avait lui-même conctv le^plan sur 
Téchelle la plus étendue que puisse embrasser une imagination < 
d'homme. 

En l'anuee 1662 , au milieu des guerres et dés dévastations, 
suites inévitables des conquêtes de Louis XIV en Flandre, il 
s'occupa exclusivement de l'édification de son église. Il était à 
la fois architecte , dessinateur, directeur et piqueur des tra- 
vaux. On le voyait partout : à k carrière cru l'on extrayait la 
pierre de taille ; au pied-d'œuvre où l'ouvrier la sculptait, sur 
l'échafaudage où il l'alignait ; sa présence donnait la vie à 
tous les ateliers ; on l'y voyait avant l'heure de la joiu'née de 
travail et il ne se retirait que le dernier. En 4 663^, ayant été 
frappé d'une forte attaque de paralysie , il se fit transporter, 
sur un brancard , au milieu dfcs ouvrages , et là , il dirigeait et 
animait encore les ouvriers du geste et de la voix. 

Tant de soins et de persévéï'ance devaient obtenir d'heureux 
résultats : l'on vit bientôt sortir de terre une église abbatiale,^ 
véritable chef-d'œuvre, et des bâtimens claustraux qui pouvaient 
rappeler ces riches demeures des chevaliers du Temple qu'on 
comparait aux palais des rois. Pour constater TefFetque fesait, 
sur les étiangers qui la visitaient , la nouvelle abbaye d'Elnou, 
nous reproduirons ici les propres termes d'une lettre écrite 
par l'académicien Pettisson^ historiographe de Louis XIV, 
qui , l'accompagnant dans ses conquêtes en Flandre , vint visi- 
ter cet édifice le 16 mai 1670, avec le duc de Montausier, le 
maréchal de Bellefonds, le comte d'Avaux et d'autres person- 
nes de qualité» Lesuffrage des courtisans français, accoutumés 
aux merveilles du grand roi, peitt être compté pour quelque 
chose. Pellissoii était d'ailleurs homme de goût et de seiis, il 
ccriviHt alors sous l'inspiration du moment, puisque sa lettre, 
adressée à Mademoiselle deScudéry^ son amie de cœur , est datée 
de Tournai du lendemain même de sa course à Saint-Amând : 



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« Celte abbaye , mandait-il à l'illustre et féconde romancié- 
« re, et Téglise particulièrement, est bien Tédifice le plus beau, 
« le plus surpi^nant que j'aye vu de ma vie. Je ne sais à quoi 
« vous le comparer. Nous n'avons rien qui en approche. Ceux 
« qui ont vu Téglise de St.-Pierrede Rome disent que celle-ci 
« en a beaucoup. C'est un ouvrage de nos jours digne de la 
c plus savante et de la plus superbe antiquité. J'y souhaitai 
« mille fois madame la duchesse de Montausier , et madame la 
a comtesse de Crussol, comme Romaines ; vous, mademoisel- 
le le, comme la personne du monde qui a bâti les plus beaux 
a palais (4). Il faudroit un livre pour en faire la descriptioù 
c par écrit, sans compter le danger que Voiture courut au Va- 
cc lentin. Mais enfin de ma vie je n'ai été si surpris, ni si tou- 
<c ché de rien de cette nature. J'eus un déplaisir extrême de ne 
«c pas voir l'abbé. Car c'est son ouvrage ; et il faut que ce soit 
« un homme extraordinaire pour avoir eu , n'étant que parti*- 
« culier, des vues d'un Roi, et d'un Empereur. Il a quatre- 
<c vingts ans, il y en a cinquante qu'il est abbé , mais il a été 
<i dix ou douze ans exilé ou prisonnier, pour avoir été de quel- 
le que ligue des seigneurs du pays contre le roi d'Espagne , et 
« ensuite brouillé avec l'évéque deToumay, qui le voulort 
« soumettre à sa jurisdiction , dont il est ou se prêtent exempt, 
« Pour se bien remettre avec les Espagnols dans ces dernières 
« guerres, if entretint durant trois ans leur armée entière, de 
«t pain de munition, sans compter une infinité de paragtiantes 
a (5) aux principaux , et quarante mille écus à une seule fois, 
« Depuis if a entrepris et presqu'achevé ce bâtiment, qu'il fait 
u avec une très-grande œconomie ; parce qu'il a presque tous 
ce les matériaux an voisinage, et une partie dans son fonds^; 
a mais qui avec tout cela doit coûter des millions , ce me sem- 



(4) Allusion aux roman» de. dtevaîerie de Melle de Scudf^ry daof lei- 
^lels OR trouve force description* de palais magnifiques. 

(5) Terme pris de Tcspagnoî et qui mol-à-mot signifie pour des gantsj 
on appelait paraguantes les sommes données en cadeau en reconnais* 
sance d'un service rendu, comme on donne aux dames ,^ une sommr 
pour épingles , à la suite d'un marche conclu. 



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. ^:. _ _ ^ 



« blc. Il en est lui-même le seul Architecte et le seul Directeur; 
« ne fait nulle autre dépense considérable que celle-là , et det- 
« cend jusques au moindre détail de toutes choses. Il y peut 
a faire des fautes , et en fait à ce qu'on dit ; mais Touvragesub- 
a siste par sa propre grandeur, et remplit d^admiration tous 
a ceux qui le voyent ; de sorte que le* personnes mèmeintelli- 
a gentes passent pardessus les défauts sans les remarquer, tant 
a Tesprit est rempli et ébloui de cet objet. Ce n'est pas par les 
<c ornemens , car il y en a peu ; mais par la magnificence du 
ic dessein. M. le Duc vit Tabbé. Mais nous arrivâmes tard, il 
« fallut dîner , et après cela il dormoit comme il fait d'ordi- 
a naire jusques sur les quatre heures. » 

Cette grande admiration de Pellisson n'était pas sans raison y 
l'abbé Dubois avait, réellement bâti une des merveilles du pays, 
qu'il eut la gloire de terminer presqu'entièrement avant de' 
rendre le dernier soupir (6). L'élise surtout, d^yine contruc- 
tion hardie et bizarre, frappait d'étonnement tous ceux qui la 
voyaient. Qu'on se figure tix>is temples échafaudés l'un sur- 
l'autre : D'abord l'égHse basse, qui , bientôt abandonnée à 
cause de son humidité, ne servit plu9 que de catacombes aux 
religieux d'Ëlnon ; disposition architecturale qu'on vit repro- 
duire plus tard dans la construction du Panthéon. Au-dessus 
s'élevait l'église proprement dite^, à l'usage des séculiers , qui ^ 



(6) Le vénéraiMe ahhé Dubois mourut le lo octobre 1678 , àgë de 84 
ans , après 62 an» de prëlature, il fut enterre dans son église basse , et»" 
place dans un tombeau prépare par lui et décoré de Tépitaphe suif ante qu'il « 
avait lui-même composée : 

R Pulvis et umbra nifiit jacet bïc siT.vrDS abbas, 

(( Suflccius qui qninqne aliiii et scptuagiota , 

« Hancce domum^etsucram constrtMÏt fuodittis mdia^ 

«t Ex nihilo qui cDOCla créas , miserere jacenlis ,■ 

m Ut post mortales curas in pace qaiescat. w 

( Traduction ). a Ci-gît Tabbé Dubois , rien qu'ombre et que pousiière , 
c comme les soixante et quinze prélats auxquels il succède ; il rebâtit de 
« fond en comble ce cloître et cette église : que le divin créateur de tou- 
« tes choses ait pitié du défunt, pour qu'après tant de soucis supportés sur 
u la terre , il repose ici en paix ! 



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ne comptait pas moins de 4^0 pieds de profondeur sur 80 de 
largeur ; elle était coupée en croix par une autre nef dont les 
proportions étaient aussi grandioses. Venait ensuite le dernier 
sanctuaire comme un troisième étage ; Tabbé Dubois , voulant 
dérober ses religieux à la vue des étrangers , leur fit construire 
cette ^lise supérieure en forme de galerie large et hardie , qui 
régnait au pourtour de l'édifice et se rendait au chœur, placé 
dans le fond et élevé sur le même niveau. On arrivait de la nef 
à cet hémicycle par un bel escalier en marbre , de quarante- 
trois degrés ; escalier vraiment imposant dont les côtés massifs 
se trouvaient chargés de curieux bas-reliefs en albâtre résumant 
rhistoire de Tantique abbaye. 

Inutile de dire combien somptueuses étaient les stalles du 
chœur ; des sculptures en bois des premiers maîtres les ornaient. 
Aux deux côtés d*un autel simple , mais majestueux , enrichi 
d'une haute croix d'argent massif, gissaient les deux splendi- 
des châsses de Saint-Amani et de Saint-Cyr martyr ; des ta- 
bleaux de Van Dick et de Rubens concouraient encore à dé- 
corer ce lieu saint et vénéré. A une certaine époque , Rubens , 
qui venait de peindre la galerie du Luxemboug , fit avec toute 
sa famille, un long séjour à l'abbaye de St.-Amand ; il y pei- 
gnit un martyr de Saint-Etierme et une Annonciation qui offre 
un particularité bien remarquable, outre l'intérêt qui s'atta- 
che à toutes les productions de ce grand maître : ce tableau 
renferme les portraits de la troisième femme do Rubens et de 
plusieurs de ses enfans (7). 

Le trésor de la sacristie possédait une quantité de richesses 
et de curiosités qui attiraient aussi l'attenfiop des étrangers. 
On y montrait un calice fabriqué par saint Eloi , quand il était 
encore laïc et orfèvre ; une coupe de jaspe qu'on disait avoir 
appartenu au bon roi Dagobert; des reliques et des dons ma- 
gnifiques de Rois et de princes souverains , gens dont les cons- 



(7) Ces tableaux ornent aujounl'liui le cliœur de l'église Sl-Gc'ry , à 
Vajenciennes. 



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cienceâ furent toujours fort chaînées et qui de tout tems payè- 
rent grassement les prières des moines. 

A l'extérieur , l*église se terminait pai* une tour en dôme cor- 
respondant à celle qui servait d'entrée et d'une structure à peu 
près semblable quoique moins haute. Le portail , dont on peut 
jjuger encoi-e aujourd'hui , était magnifique , et donnait à l'a- 
vance une haute idée d'un porche, de figure sphérique, sur- 
chargé d'ornemens curieusement combinés. Toutes ces cons- 
tructions , faites avec ordre , économie et intelligence , ont né- 
anmoins coûté plus de trois millions de florins , somme énorme 
pour le tems, à laquelle il faut encore ajouter les corvées et les 
prestations en nature de toute espèce fournies par les nom- 
breux vassaux de l'abbaye. 

De tous ces élégans bâtimens , il ne reste plus aujourd'hui 
que la première porte de l'abbaye et les petites constructions 
qui l'environnent , destinées de tout tems à servir de maison- 
de-ville , les abbés ayant toujours été les seigneurs temporels 
de St.-Amand ; et la grande tour de l'église, réservée par le 
domaine, dans la vente des biens nationaux, comme monu- 
ment public. Le vandalisme révolutionnaire, qui détruisit 
tant d'objets d'art, tant de curieux et antiques édifices, qui, 
de sa main de fer arracha de ses fondemens la nouvelle basili- 
que de St.-Amand , jetta au vent la poussière des tombeaux 
des princes carlovingiens et celle des poètes laurés du moyen 
âge, s'arrêta devant la majestueuse iSèche élevée par le génie 
de l'abbé Dubois ; là quelque chose lui dit : tti n* iras pas plus 
loin! et la tour élégante de St.-Amand resta debout 

S'il faut en croire une tradition restée dans le pays , ce mo- 
nument devait encore avoir an hauteur plus de développemcH* 
qu'il n'en a ; tel qu'il se présente, il annonce une architecture 
insolite, qui ne tient ni de l'antique ni du gothique, ni de la 
renaissance : c'est l'œuvre d'un homme degénie , artiste né , qui 
dédaigna de suivre les routes battues, et qui s'abandonna à la; 
fougue de ses pensées. Il y a quelque chose du goût orientaf 
dans cette composition j nous ne la présenterons donc point 



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^74^ 

comme tin modèle d'art y mais comme le fruit d'une imagina- 
riche qui se laissa aller à toute l'abondance de ses idées. 

Au-dessus d'une porte remarquable par un grand luxe d'or- 
nemens , on distingue l'empreinte du dragon qui joue un rôle 
si important dans la vie toute avantureuse de Saint-Amand , 
et dont l'effigie se roule encore dans les cérémonies publiques 
et un peu grotesques de la fête du lieu. L'architecte a fait en-> 
suite figurer dans la pierre de taille la perspective fuyante 
d'une église à trois nefs dans laquelle des personnages sculptés, 
plus grands que nature , sont agenouillés et prient ; on j lit 
cette inscription au-^lessus d'une tribune : 

DOM*» mejl domus oratïoxis vocABrruR. Mat. air 

^Ma maison êst une maison d'oraison/. 

Toutes ces sculptures sont prises dans le vif du bâtiment et 
ne sortent point en relief; précaution qui leur ménagera de 
longues années d'existence. 

Plus haut^ un large ruban porte une légende latine dont la 
taille est tellement àltépée, qu'on ne saurait la lire entière- 
ment; des fragmens qui en restent on pourrait tirer le sens 
suivant , vraiment philosophique : 

• Ne faites point de la maison de mon Père une maison 
« de négoce, • 

Au-dessus de ces détails et entre les superpositions de colon- 
nes ou pilastres , on voit l'Eternel taillé d'une manière gran- 
diose, se balançant largement au milieu de nuées et d'un vaste 
entourage de Jolies tètes d'anges ; ses pieds reposent sur une 
inscription en hébreu , sa tête en soutient une en latin r 

VERE DOMIN*. EST IN LOCOISTO. 

/^Le Seigneur est réellement en ce lUuJ , 

Une profusion d'ornemens , dont le goût est quelquefois bi- 
garre mais toujours ingénieux , masque la nudité des enti'eco- 
lonnemens du bas de la tour et des deux avant-corps qui l'é- 
paulent de chaque côté ; au-dessus de cinq assises de colonnes 
on pilastres règne une plateforme entourée d'une baluslrad** 



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^ 1^^ 



en pieri'e <Jui forme comme une ceinture au monument. De 
cette position dominante, la vue s'étend sur le cours de la 
Scarpeet de l*£scaut , sur le licbe pays de Pevèle dont Tabbaye 
était comme le chef-4ieu , et sur une pwlie du Hainaut et de 
l'Ostrevant dont on aperçoit au loin les nombreux clochers 
qui pointent au-dessus de la verte forêt de St.-Amand. 

C'est de cette plateforme anguleuse que s'élancent k flèche élé* 
gante de là tour et les deux jolis belvédères qui semblent ses 
acolytes obligés et lui sei*vent d'accompagnement. Un escalier, 
pratiqué dand celui de droite , conduit à son sommet d'oii se 
projette horizontalement un pont étroit, formé d'une seule 
pierre , et qui joint par le haut la petite tour à la grande. On 
ne peut sans vertige traverser ce passage aérien , si rétréci qu'à 
peine est-il visible du bas de la tour. Et ici , l'on doit rendre 
encore hommage au génie et à la prévoyance de l'habile cons— 
tructeur de l'abbaye de St.- Aman d , qui pensa que bâti dans 
une ville ouverte de la frontière , son cloître serait souvent ex- 
posé aux insultes et aux pilieries des corps détachés qui bat-> 
laient la campagne aux environs : il voulut ménager à ses moi- 
nes et à leurs trésors , du moins pendant un certain tems, une 
retraite sûre à laquelle ni les hommes , ni même Tincendie, ne 
pouvaient atteindre. 

Le clocher de St.-Amand , vu du côté du portail y est entier 
et bien conservé; vu de celui ou il tenait à l'église, c'est une 
belle ruine. Si les agens du domaine l'ont conservé comme wi^ 
numentk une époque où tout ce qui sentait tant soit peu l'an^ 
tiquité était proscrit , aujourd'hui que le moyen âge est en 
fiiveur, ne fera-t-on rien pour la conservation de ce précieux 
débris ? Voici un projet que nous soumettons à M. l'Inspecteur 
des monumens historiques ; conservateur par goût et par état,, 
il adoptera peut-être une partie de nos conclusions. 

Une des curiosités de l'église dp St.-Amand, celle qui fesait 
le plus rêver les imaginations poétiques y la cause de maints 
doux pèlerinages et l'objet des avides investigations des voya- 
geurs et surtout des voyageuses , était , au tems jadis , le tom- 
beau du Tibulle Hollandais, de ce Jean Second, poète char- 
mant, auteur des Bai-sersy mort dans l'abbaye de St.-Amand , 
à la fleur de son âge. Il était alors secrétaire de George d'Eg- 



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hioild , évéqae d'Ùtrecht et abbé de ce riche monastère. Cette 
fin précoce et à jamais déplorable, arrivée après une fièvre ma- 
ligne de quatre jours seulement, fut une suite des fatigues du 
jeune poète , lorsqu'il accompagna Tempereur Charles-Quint 
dans son expédition contre Tunis , en i534 ; le climat brûlant 
de l'Afrique altéra sa santé , et il acheva de la ruiner en abu- 
sant des plaisirs de l'amour avec une belle espagnole , qui lui 
fut pourtant infidèle, et qu'il immortalisa dans ses vei-s cha- 
leureux sous le nom de Neoera (8). 

Tout mondain qu'était Jean Second, les moines de Saint- 
Amand admirent ses cendres dans leur ^Hse et on lui consa- 
cra un tombeau en marbre sur lequel on lisait cette simple et 
touchante inscription : 

« Une mère, des frères , des sœurs, 

ont eleve dans PaMaye de St^-Amatid , en Tournais is , 

ce monument des plus tristes regrets, 

A J£AN SECOND , 

natif de La Haye, 

orateur^ peintre , sculpteur et poète , 

également habile et célehrc , 

enlevé h leur amour par une mort pre'niature'e ; 

il a vécu 24 ans , lo m,ois et io jours ; 

Il est mort r an de grâce i536^/e 24 septembre (jgi). » 

Pendant les troubles de religion, commencés en i566, les 
réformés, que l'on nommait alors brise ^ images , pour les 
excès qu'ils commettaient dans les églises catholiques, violè- 
rent et détruisirent le tombeau de Jean Second. Quand le cal- 

(8) On ne sait si la faute en est au beau sexe ou aux poètes tîrotiqiies , 
hîais Catulle , Properce , Tibulle , Ovide , Jean Second, n'ont pas eu à se 
louer de la constance de leurs maîtresses , et le plus tendre , le plus 
touchant d'entr'eux , Parny lui-même, a pleure rinfidëlité d'Elédnore. 

(9) Les auteurs qui ont parlé de Jean Second , et entr'aUtres ceux de 
la Biographie universelle , ont assei mal indiqué le jour et le lieu de 
sa mort» Ayant lu qu'il rendit l'ame ad S, Ainandum in Tofnacesio , ils 
ont traduit ces mots latins par : V église de Sl-Amand à Tournai j et 
ils ont expliqué le huit des kaUndes d octobre, par le huit octobre, 
tindis que cette indication , empruntée des romains , reporte la date au 
pingt-quatre septembre. 



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me fut rétabli , Charles de Par, successeur de Greorge d'£g- 
mond dans la dignité d*abbé de St.-Amand, fit rétablir le 
monument , par respect était-il dit dans Tinscription ^ peur la 
mémoire d'un si heureux génie (io). 

Le second tombeau du poète ne devait pas être plus respec- 
té que le premier ! De nouveaux iconoclastes le renversèrent 

avec Téglise qui le contenait Aujourd'hui, quelques osse- 

mens , mêlés dans la poussière de Tantiqi^e abbaye , et le sou- 
venir d'une mort prompte et cruelle déposée comme tradition 
dans la mémoire des habitans du pays , voilà tout ce qui reste 
à Saint^Amand du chantre élégant et gracieux ! 

Cependant il fut peu de célébrité plus étendue et moins con- 
testée que la sienne (i i) ; rivalisant avec les anciens et surpas- 
sant les modernes , il ne fit que glisser sur cette terre et y lais- 
sa un chef-d'œuvre; son âme, si ardente et si tendre, s'exhala 
chez une nation civilisée : son souvenir, ses cendres lui ap- 
partiennent, mais elle lui doit un tombeau. C'est à la fois un 
acte de justice et de réparation. 

Suivons donc aujourd'hui l'exemple de Charles de Par ; re- 
levons une troisième fois la pierre tumuiaire du génie ; en- 



(lo) Cette seconde ëpitaphe commence par un jeu de mots qui n'in- 
dique que trop le goût du siècle où elle iaX composée : a JoAlVi se- 
ec coNoo Hagiensi, poetae celeberrimo , et nuUt secundo ; cujus tumulnm , 
« hxreticorum furore anno MOLXVI vioUttum , Carolus de Par y Abbas , 
« ob tant! viri memoriam restituit , hortantibus D. D. Dionysio V^illerio , 
« et Hieronimo Winghio Otiii anno MDXXXVI, viii kal. octob. à 
m secreti« Geoi^ii Egmondani Trajectensis Episcopi çt hujus loci nro- 
« abbatis. x> 

(i i) a Ses Baisers , a dit un homme de goût , sont les ëlans rapides d'un 
«c gënie tendre , Toluptueux et passionne ; rien de plus naturel, de plus ani- 
« më que ses tableaux. On n'a pas à lui reprocher le cynisme de Catulle , 
a mais peut-être qu'il y conduirait- Ses peintures , quoique plus chastes que 
« celles du peintre de Vérone , sont l'expression la plus vive d'une âme qui 
« ne respire que l'amour. » 

Après avoir été traduites dans le 16® siècle , en vers irançais , par Fédéric 
Blancheti avocat au parlement de Paris , et imitées au i8*^ par Dorât, 
l«t poésies de Jean Second ont encoi'e été traduites en français par ^ou/on- 
n9tr-Clairfons (1771), M* Z*. Simon (1786) , Mirabeau Vaine [l'j^) , un 
unant de 2a «us (i8o3) , P. /. Heu (i8o6]Tmol (1806] et Loraux (1812^. 



1 



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chassons-la sous le porche du vieux temple de Suint- Arnaud , 
et qu*on lise désormais sur ce noble portail : tombeau de 

JEAN SECOND ! 

Le moi^ument est tout élevé : il ne s'agit plus que de lui 
donner vjln motif, et d'en assurer la durée. Déjà pareil projet 
fut iornçlé pour assigner un noble asyle aux précieux restes de 
Fénelôn : de ^ant^ue métropole de Cambrai , il ne restait que 
la flèche gothique , si légère et si bien découpée ; on la consa* 
cra aux cendres du chantre de Télélnaque ; mais , les bonnes 
idées germent lentement ; les fruits , qui ont besoin des rayons 
du pouvoir pour arriver à maturité , sont bien tardifs ; le tems 
marche toujours , lui , et dans sa course rapide , fauche indis- 
tinctement ce qui est mûr et ce qui ne Test pas. Un matin , 
après une nuit orageuse, les cambrésiens surpris ne virent 
plus leur tour dentelée ; rasée par l'ouragan , après avoir ré- 
sisté aux niveleurs de l'époque , elle gisait défigurée ne présen- 
sentant plus à l'oeil qu un informe monceau de pierres et de 
débris. Un siècle peut-être suffit à peine pour l'élever j une 
seconde la vit écrouler ! 

Ainsi s'évapora , en un vaste nuage de poussière le tombeau 
projeté de l'illustre Fénelon : croyons qu'un tel sort n'est pas 
réservé à la pyramide gigantesque qui s'élance encore pleine de 
force et de vie sur le vieux sol d'Elnon ; mais que du moins le 
fatal exemple que nous venons de citer ne soit pas perdu pour 
les hommes appelés à conserver le nombre , déjà trop petit , 
des monumens historiques de nos contrées ! 

Honneur donc à ceux qui , en restaurant ce bel et curieux 
édifice, réhabiliteront un beau nom, et sauront raviver ces 
ruines par un ingénieux méknge de souvenirs chers à l'his- 
toire et à la poésie \ 

Arthur DiNÀUx. 



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POESIE. 

XPZTAPEJ! 

DE 

PHILIPPES DE COMMINES, 

HISTORIEl». 

Entre parleurs, 

LE FRESTRE ET LE PASSANT. 
Le Passant» 



^Tetle e%X cette Deeste empraiote en ceste yuoire , 

Qui se rompt les cheueux à pleine s mains ? — L'Histoire. 

— Et l'autre qui d'vn œii tvittement despité 
LameDte à ce tombeau ? — La simple Véïite* 

— Ne gist point mort icy le Romain Tite-Liue ? 
— Non , mais to Boarguigoon dt»nt la menoir«s viuc 
Surpasse ce Bomain, pour semoir ^ler 

La vérité du fait aue.c le beau parler . 

— • Dy moy ce corps doué de tant de vertus dines. 

— Philippe* fut son nom , son surnom de Commines. 

— Fut-it riche , ou s'il fut de basse race y ssu ? 

— 11 lut riche, et si fut de noble sang conceu. 



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— Que conte sod histoire ? — Elle dit le voyage 
Que fit Charles i Naple , et le bouclië passage. 
De fortune enoemie , et des mesmes François 
Les combats variez encontre les Anglois 

£t contre les Bretons, et les querelles folles 
De nos princes iauteurs du comte de Charoles , 
Lors que Mars aaila de la France le loz , 
Et que le Mont-Hery la vid tourner le doz. 

— Fut il présent au fait, ou bien s'il l'ouyl dire ? 

— Il fut présent au fait , et n'a voulu de»crire 
Sinon ce qu'il a veu : ne pour Duc, ne poui Roy 
Il n'a voulu trahir de l'histoire la foy. 

— De quel estât fut-il ? — De gouverner les princes , 
Et sage ambassadeur aux estranges prouinces , 
Pour l'honneur de son maistre , obstiné trauailler » 
Et guerrier pour son maistre, obstine batailler, 

— Pour auoir ioint la plume ensemble auec la lance , 
Qu'eust-il , prestre , dy moy pour toute recompense ? 

— Ab fiere ingratitude ! il eut contre raison. 
La haine de son maistre et deux ans de prison. 

— Quels maistres auoit-il ? — Philippe» de Bourgongne , 
L« roy Charles huictiesme, et Loys : ô vergongne! 

y n duc, et deux grands rois : sa vertu toutefois 
Ne se vit guerdonner ny de Duc ny de Rois , 
Bien qu'ils fussent suiuis d'vne pompeuse trope , 
Qu'ils eussent en leurs mains les brides de l'Europe : 
Si fussent'ils péris , et leur renom fust vain 
Sans la vraie faneur de ce noble Escriuain , 
Qui vifs hors du tombeau de lamoiiles deliure , 
Et mieux qu'en leur viuant les Êiit encore viure : 

Or toy , quiconque sois qui t'enqueate< ainsi , 
Si tu n'as plus que faire en ceste Eglise icy, 
Retourne en ta maison , et conte à tes fils comme 
Tu as veu le-tombeau du premier Gentil-homme , 
Qui d'un cœur vertueux fit à la France voir 
Que c'est honneur de ioîndre au% armes le sçauoir. 

Ronsard. 



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%t %0nt^t0'i» ^« %ïiU, 



Uif spirituel peintre de mœurs vient de tracer dans le livre des 
Cent-^t- Un le tableau fidèle du bourgeois de Paris , type pré- 
cieux et bien difficile à découvrir au milieu des myriades d*é- 
trangers , échantillons bipèdes de toutes les parties du monde , 
qui, tourbillonnant sans cesse autour de Tindigène, le frot- 
tent, l'usent, et en détruisent le caractère primitif. 

Ce que M. Bazin a fait pour le bourgeois de Paris , j'entre- 
prends de le faire pour le bourgeois de Lille , et ma tâche est 
bien plus aisée. Je n'ai pas à courir, moi, comme Diogène, 
une lanterne à la main , pour trouver mon bourgeois : il est là 
qui m'attend. Le voyez-vou^s, là, devant sa porte, les bras 

croisés, fumant sa pipe? Ici bourgeois, et le bourgeois 

pose. 

Entendons-nous d'abord sur mon héros ; je le prends dans 
la classe mitoyenne, entre le négociant et l'artisan. 

Le négociant est épicier en gros ou filateur j il est officier de 

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] 



la garde nationale, ou s'il n'est que simple grenadier, c'est 
qii il 71 a pas voulu de grade; ce mot est de lui. Il est du salon, 
a une loge au spectacle , une voiture , et va tous les mercredis 
manger les petits gâteaux de la préfecture. 

L'artisan , autrement appelé homme d*ctat, est cordonnier 
ou menuisier j il est caporal de pompiers. 

Le bourgeois de Lille est confiseur, bonnetier, orfèvre, 
souvent épicier , quelquefois huissier , plus rarement avoué , 
jamais artiste ; il y a incompatibilité. 

Il a de quarante-cinq à cinquante ans, il est d'une taille 
moyenne , brun , a le nez gros et rond , une barbe forte , de 
gros favoris et des boucles d'oreille. Il est marié , a deux en- 
ftns ; à l'heure qu'il est , son garçon , élève de M. Crucq , est 
sur un bureau , sa fiilesort de pension , sa femme tient la caisse. 

Le bourgeois de Lille a une maison à lui , qu'il occupe tou- 
te entière .: ne l'eût-il qu'à titre de bail , il croirait déroger en 
sousrlouant. 

Sa maison est propre , économiquement meublée ; vous re- 
marquerez parmi les gravures qui décorent la tapisserie de la 
salle à manger trois tableaux , galerie inévitable et inamovible 
de tout bon Lillois ; c'est le Bombardement de 1792 , la Con- 
fédération des trois départemens , et la dix-neuvième Ascen- 
sion aérostatique de M. Blanchard, accompagné du chevalier 
Lespinard. 

Comme ses voisins , le négociant et Vhomme d'état, le bour- 
geois de Lille fait partie de la garde nationale ; il est sergent dç 
jgrenadiers ou canonnier. Est-il canonnier ? il est parti brave- 
,ment en colonne mobile, et a attrapé lesjièvres à Flessingue. 

H est zélé pour le service , il fait l'exercice comme un vieux 
troupier, car il aime le militaire. Ainsi que d'autres savent les 
noms des ciu-és et des maires de l'arrondissement ; il sait , lui , 
le numéro de tous les régimens qui se sont succédés à Lille de^ 



ifck^^^:^^..^.. - ' ,. . ^'?-lbyÇc>o^le,_ 



puis la révolution ; il sait le nom des colonels depuis le mulâ"* 
tre Saint-Georges.... Un de ses plaisirs les plus vifs c*est d*al-< 
1er au-devant des régimens qui viennent tenir garnison à Lille, 
d'assister à leur toilette sur le bord des fossés , et de pouvoir , 
le soir, raconter le premier à sa société qu'il y a dix l^ionnai-* 
res dans la première compagnie, un tambour-major de six 
pieds , vingt-cinq enfans de troupe et trois nègres dans la mu- 
sique ; carie boui^eoisde Lille est conteur. Il fait beau le voir 
le soir à la société y sur un canapé , près du billard , aspirer dé- 
licieusement la fumée de son bon tabac de Belgique , lâcher 
lentement , et à tour de rôle , une parole et une bouffée , et de 
paroles en bouffées vous narrer, à vous étranger, les divers 
événemeos dont Lille a été le théâtre. 

Que , s'il a plus de cinquante ans , vous n'en êtes pas quitte 
pour les saturnales de la restauration , ni pour la démolition 
de son jardin du faubourg par ordre du général Maison ; (rè- 
gle invariable : le bourgeois de Lille a un jardin au faubourg) 
ni encore pour le séjour de Napoléon et de Marie-Louise , ni 
pour la comédie des Espagnols à la citadelle ; il vous faudra 
entendre raconter et la mort de Mosment , mort tout icarien- 
ne, et le bombardement de Lille. Votre bourgeois a ramassé 
le boulet qui a emporté U jambe au perruquier Godfernaux , 
et il l'a incrusté dans sa façade; (deuxième règle invariable : 
le bourgeois de Lille a un boulet incrusté dans sa façade). 

Gardez-vous qu'il soit en veine , car à la seconde pipe , rap- 
pelant ses souvenirs confus , il vous jetera dans la déroute du 
Pas<le-Baisieux , vous montrera : 

he beau Dillon , massacré dans la rue de Fives ; 

Le curé de la Magdeleine déguisé en femme et pendu à h 
lanterne de la rue St.-Jacques , à la grande joie de la populace, 
qui n'y voyait pas plus clair ; 

Enfin , le combat des quatre régimens sur la place. Notre 
bourgeois , enfant à cette époque , était caché dans la rue Neu- 
ve, derrière le burguei sur lequel fut impitoyablement fardfle 



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brave grenadier de la Couronne , lequel fut ensuite transporté 
à rhôpital sur une chaise prêtée par M. Lantoing, même que 
cet honnête homme n a jamais pu ravoir sa chaise. 

J*ai parlé de la société àw bourgeois de Lille , il est en cfifet 
<l'une société ; il faut qu'il soit d'une société: il en était avant 
son mariage , il en est resté depuis , ouvertement ou tacitement 
suivant le caractère de sa femme. 

Le plus souvent il en convient et s'excuse : c'est une habi- 
tude insurmontable, et puis il y voit des amis, il y fait des 
affaires ; il insiste sur ce dernier argument. 

D'ailleurs la dépense n'est pas forte. A prouve, il montre à 
sa femme les quittances qu'une innocente fraude a légèrement 
déchargées de quelques bouteilles de vin et de quelques pots 
de bière. 

La société est une réunion particulière d'amis , réunion es- 
sentiellement masculine, quotidienne, et régie par des régle- 
mens gravement discutés ; c'est une association , une applica- 
tion , en un mot, du système Fourrier , à une consommation 
plus agréable et moins coûteuse de liquides , et quelquefois de 
solides ; car il n'est par rare de voir, un jour où il ne sent rien 
de confortable à la maison , le bourgeois de Lille confier à la dou- 
ce chaleur ànfour banal la fine côtelette de porc et le morceau 
de boudin blanc , élémens économiques d'un souper de la pe- 
tite propriété. 

Quelque jour peut-être , ami lecteur , appelant à mon aide 
le malin Asmodée, j'enlèverai les toits des maisons qui renfer- 
ment ces sociétés , depuis S t,- Joseph jusqu'aux Philistins , sans 
ouhXïev \es Frères féroces y réunion qui, je vous l'assure, est 
bien loin de m^iter le nom odieux dont l'esprit de parti l'a 
affublée. 

J'examinerai avec vous l'influence qu'elles ont dû avoir sur 
^es mœurs de la ville , influence toute salutaire ; oui ; dût-on , 
jusqu'à plus ample développement, traiter ma proposition de 
paradoxe , je dirai : 



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^H5^ 

Les bonnes mceurs de la ville de Lille en général , et en par- 
ticulier la fidélité conjugale , sont dues à deux causes : 

L'existence des sociétés d'hommes ; 

L'altôence des décrotteurs ; et cette dernière cause n'est 

pas la moins puissante. 

J'ai dit que la femme du bourgeois de LiUe tenait la caisse. 

Je ne sais si ce trait vous aura dessiné bien nettement la po- 
sition du bourgeois devant sa femme» 

Je dirai plus explicitement ; le bourgeois de Lille , si bra- 
ve et jusqu'à présent il n'a donné à personne le droit de 

douter de son courage, les Autrichiens de 92, les Vendéens 
de Talma et les cuirassiers de Polignac sont là pour en ré- 
pondre» 

Le bourgeois de Lille craint pourtant trois choses : Dieu , 
VEeha du Nord et. . . . sa femme. 

Dieu, c'est une suite de son bon naturel et de son éducation 
honnête : hâtons-nous toutefois d'ajouter qu'il n'est pas dé- 
vot ; il envoie à la messe sa femme et ses enfans , et fait maigre 
le vendredi : voilà poiu* la crainte de Dieu. 

U Echo du Nord, c'est une conséquence de sa crainte de la- 
publicité qui se résume pour lui dans son vieux journal , cen- 
seur véridique et jamais complaisant , et le bourgeois de Lille 
irtîdoute avant tout la publicité pour le bien comme pour le 
mal. Naturellement timide et modeste, il ne craint rien tant 
que de se mettre en avant. 

N'avez-vous pas vu vingt fois nombre de femmes se presser 
à la porte d'un bal public et n'oser y entrer, parceque le fla- 
geolet jouait dans le vide ? N'avez-vous pas été tenté de les 
pousser toutes ensemble , joyeuses , au milieu d'une arène im^- 
patiente d'être foulée par cent jolis pieds ? 



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..se 



Avez-vous vu une seule fois un artiste réunir auti*e chose 
que ses musiciens clans le premier concert annoncé? 



d'y 



N'est-ce pas à Lille que fut affichée cette mauvaise plaisan- 
terie d'un directeur de fêtes , lequel , attendu que les premiers 
bals n'attiraient jamais personne , prévenait le public que do- 
rénavant on commencerait par le second ? 

Enfin , pour clore cette digression , soyez persuadé que mon 
bourgeois , tout patriote qu'il est , n'a point encore souscrit 
pour Laffitte , si la liste lui a été présentée encore vierge de si- 
gnatures « 

Il craint donc VEcho du Nord, l'organC le plus sonore de la 
presse urbaine ; et s'il a des griefs à faire redresser , de même 
que les ouvriers menaçaient de feu Jacquart , il menace , lui , 
de VEcho du Nord, 

Il craint aussi, disons-nous, 6a femme , et c'est justice. J'ai 
un regret , c'est de n'avoir pas encore parlé de la femme du 
bourgeois , si digne du respect de son mari. 

Travailleuse , économe, il lui doit le bon état de ses affaires. 
Que ce soit vertu , tempérament ou tout ce que l'on voudra , 
elle est sage. Jamais les voûtes du tribunal n'ont retenti du 
scandale d'un procès en adultère. Elle mène la vie la plus mo- 
notone, sans se plaindre; tandis qu'au-dessus et au-dessous 
d'elle, elle voit les autres familles parcourir gaîment te diman- 
che les campagnes et les guinguettes ; seule , à la maison , ren- 
fermée dans sa dignité, elle s'ennuie vertueusement. Du reste , 
elle est peu susceptible de chagrin ; à vrai dire , elle n*en a 
qu'un , mais vivant , continuel : c'est sa servante. Vingt fois 
par jour vous l'entendrez dire que les domestiques sont le dé- 
sespoir des honnêtes gens , qu'on serait heureux de pouvoir 
s'en passer, etc. , etc. 

Certes , une telle supériorité autorise bien la femme à tenir 
la caisse. 



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zedbyGoOÇk. 



Elle doit imposer au mari cette crainte révérencieuse qui le 
distingue..... quand il est devant elle..... Fingrat î ' 

Vous n^tes pas sans assister quelquefois à un spectacle du 
dimanche , alors que devant un parterre joyeux , aux impres- 
sions naïves , quelque valet de Montfleury ou de Molière lance 
ces piquantes boutades contre lès femmes. A la plus inconve- 
nante sortie , vous entendez des àpplaudissemens bruyans par- 
tir du milieu de parterre j.c*est le bourgeois de Lille qui prend 
sa revanche. 

Je touche à laf partfe là plus délicate de mon tableau , Topi- 
irion politiquedu bourgeois de Lille. Incedo per ùjnes. 

Parbleu! dit-run, vous voilà bien gêné,, le bourgeois de- 
Lille est phiHppiste, jnste»-milieu > demandez plutôt au Nori; 
et puis rappelez-vous le dernier voyage du roi-citoyen et de- 
son auguste famille^ — Ahî bien oui! dira- un autre, et le 
^'^y^^ de Charles X , et celui du duc de Berry ; soyez persuadé 
que le bourgeois de Lille est royaliste^ légitimiste. — Croyez • 
cela, ajoutera un troisième; e^t-ce que je n'étais pas à Lille au 
bombardement , moi ? est-ce que je n'ai paa entendu la munici- 
palité jurer haine à la royauté ? est-ce que je n'ai pas vu quatorze » 
citoyens se faire faire la barbe avec un éclat de bombe en guise 
dfe plateau , aux cris de vive la républfque? est-ce qu'encore au- 
jourd'hui nos braves canonniers ne conservent pas fièrement 
sur leur étendard : 29 septembre 1792 , date glorieuse du siège • 
immortel qui ouvrit si dignement l'ère républicaine ? 

Que répondre à tout cela? Que le bourgeois de Lille n'est 
exclusivement ni royaliste, ni juste-milieu, ni républicain j 
qu'il est bourgeois de Lille , mais bourgeois comme on l'é- 
tait dans les villes suisses et allemandes du moyen-4ge , c'est-à- 
dire tenant beaucoup à sa ville , à ses usages locaux , à ses ins- 
titutions municipales , aux hommes qu'il a vu naître et dont 
il a connu les pères, et fort légèrement attaché aux hommes et 
aux choses du deliore. 

Tous les gouvernemen» qui lui paraîtront stables, et qui.. 



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assureront à son commerce des chances de prospe'rite' , le trou- 
veront fidèle, quelle que soit leur forme, car il est trop froid 
et peut-être trop raisonnable pour se passionner pour une 
théorie, pour un principe, pour une abstraction. 

Les dilFe'rentes variations que Ton a cru remarquer dans son 
opinion politique ne proviennent donc pas de sa mobilité, 
mais de son indifférence. 

S'il reçoit bien les rois , c'est curiosité , c'est politesse : il en 
ferait autant pour le pape ou l'empereur de la Chine. S'il dé- 
fend contre eux les remparts de sa ville , c'est bravoure per- 
sonnelle. 

En un mot , le bourgeois de Lille est essentiellement muni- 
cipal. Voyez ses magistrats. Ceux qui lui sont envoyés, ceux 
qui lui viennent du dehors, il ne les connait pas, ou s'il les 
connait , il les considère comme des garnissaire» qui lui seraient 
imposés par un vainqueur. Il en est autrement de ses magis- 
trats urbains ; il les aime , il les honore. Dans la rue il saluera 
un adjoint au maire , et passera à côté du préfet sans le regar- 
der. 

Il y a du bon dans ce patriotisme local , qui , dans certaine» 
occasions , unissant étroitement les habitans d'une grande vil- 
le , peut présenter une barrière invincible à la tyrannie d'un 
gouvernement central. Il est malheureux toutefois qu'il s'ali- 
mente dans un préjugé, dans une prévention que j'oserai ap- 
peler stupide contre les étrangers. Un étranger à Lille, c'est 
un paria ; malheur à lui s'il ne puise pas dans une grande for- 
tune les moyen» de se créer une société ! celles de la ville 

sont fermées pour lui : c'est un étranger ! Que si , à cette qua- 
lité proscrite, il joint la triste qualité d'agent salarié du gou- 
vernement, il est perdu. 

Il faut avoir vu un bourgeois de Lille dire en parlant d'un 
fonctionnaire : Oest un employé j pour avoir une idée de son 
dédain , de son mépris même J)our tout ce qui ne compte pas 



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une boutique sur la rue y ou des aïeux inscnts sur le iiyre d^or 
de la bourgeois. 

£t par étranger , le bourgeois de Lille n'entend pas seule- 
ment dana son aversion les Imbitans d'une autre nation , ni 
même des provinces éloignées de la France , l'étranger , c'est 
tout ce qui est hors barrière. Nos fils ne font pas deux lieues 
dans la campagne sans en venir aux mains y ou du moins aux 
pjopos avec les paysans de leur âge. On connait les épithètes 
que les champions se pit>diguent de part et d'autre ; elles sont 
classiques : notons toutefois un progrès j en fans , notre esprit 
de localité se resserrait dans l'étroite enceinte des paroisses ; 
j'ai eu deux dents cassées dans un combat contre les Saint" 
Etiêfatê. Aujourd'hui les petits garçons ne se battent plus que 
contre les âiubouriens. 

A cette aversion du bourgeois de Lille pour tout ce qui est 
étranger, joignez un profond dédain pour tout ce qui s'occupe 
d'art y de science , et en général de travaux d*eaprit. 

Un peintre , un poète , un avocat , un médecin , un musi- 
cien j un magistrat même , n'obtiendront pas dans son esprit 
le quart de la considération qu'il accordera à un homme qui 
vend des prunes ou des sarraux. 

Jugez de la littérature du bourgeois de Lille par le nombre 
des cabinets de lecture. Il y en a un pour soixante-dix mille 
habitans. 

En général , la littérature du bourgeois de Lille se résume 
dans un amour bien prononcé pour les jeux de la scène. 

Il aime beaucoup le théâtre ; malheureusement tous les di- 
recteurs qui l'ont exploité depuis vingt ans se sont ruinés : 
c'est un vrai guignon. 

Je ne sais pas si vous aurez reconnu le bourgeois de Lille 
dans le portrait tant physique que moral que je viens d'en tra- 
cer; quelques derniers coups de pinceau compléteront peut- 
être la ressemblance. 



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Le bourgeois de Lille déjeûne avec du café au lait , règle à 
midi sa montre au cadran de la grande place , dine à une heu- 
re et soupe. Il va au spectacle le dimanche , au parterre assis ; 
dans Tentr'acte, il court à la Vignette, retient sa place avec 
son mouchoir , et entend le reste de la pièce dans le corridor. 
Le bourgeois de Lille en est encore à Topéra-comique ; il ap- 
pelle un tenore un Ëlleviou , un baryton un Martin , et la pri- 
ma-dona une première chanteuse avec ou sans roulades. Il 
chante lui-même au dessert , et pleure quand sa fille roucoule, 
en balançant la tète, une romance de Romagnesi. 

. Il lit plus souvent les Petites Affiches de Danel que V Europe ■ 
littéraire ou la Revue encyclopédique j fait une collection de bil- 
lets de morts , et consei've VEcho du Nord : c'est une condition 
de son arrangement avec ses quatre voisins. Il se méfie trois 
mois à Tavance du poisson d'avril' qui doit l'envoyer à l'Abat- 
toir ,, regrette St. -Preux et Rézicourt , fuit les sociétés savan- 
tes , se fait recevoir franc-^naçon et meurt sans sat^oir s'il y a à 
Lille une cour royale ou un tribunal de première instance. 

Du reste , si je ne craignais de faire du style d'épitaphe , je 
dirais qu'il est loyal dans les affaires , brave de sa personne , 
bon époux, bon ami , et surtout qu'il entend fort bien la plai- 
santerie Je me le figure lisant mon esquisse dans quelque 

feuilleton ; je le vois sourire , froncer le sourcil , se fôcher , ri- 
re aux éclats , et tout-à-cotip jeter le journal sur la table en 
s'écriant : « Ce farceur d'O. F. , aii va-t-il chercher tout ce 
» qu'il dit ? • 

O. F. 



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Gooslf 



LETTRE 



cx^ ^éofiàieur ty^Hriur ^2jÛ0 



^ùnaua?^ 



t^éc 



^onàcear. 



L'excellente Bihliogrwphie Cambrestenne que vous avez pu^ 
bliéeen 1822, contient un article très^intéressant sur Bona- 
venture Brassart , que vous considérez j avec raison je crois , 
comme l'imprimeur qui a publié les premiers ouvrages qui ont 
vu le jour à Cambrai. Vous faites remonter la date du journal de 
Lesaige vers i524> (M. Aimé Leroy a depuis lors échirci d'une 
manière très-judicieuse plusieurs des points obscurs qui con- 
cernaient cet opuscule) , (i) et vous témoignez le désir que le 
Lazard fasse un jour découvrir d'autres fruits des travaux de ce 
typographe. Vos vœux viennent d'être exaucés , car un de mes 
amis , M. Hill , amateur éclairé , a trouvé , dans une de ses ex- 
cursions bibliographiques chez un bouquiniste de notre ville , 
un recueil de varia assez curieux , composé : 1® de deux satyres 
de Juvénal , imprihiées à Anvers, en 162 8 ; a° des trois parties 
de la grammaire de Chrétien Massœus (Masseeuw) surnommé 
Carneracenas , citée par Paquotj mais d'éditions différentes} 



(i) Archives historiques du Nord de la France et du midi de la Belgique ^ 
toine h'^. 



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&»9^ «< 

la prima pars est de Paris, Jean Savetier, i547 , et non d'An- 
vers, Guillaume Vorstermann , i536. (Elle est avec l'éloge de 
Masseeuw par Godefroid Régnier, de Cambrai). La secunda 
pars est de Gand , Robert Gualterot et Erasme Duchesne , 1 545 
et non de Paris, Reginald Chaudière, i534 ; enfin la tertia 
pars est de Gand , J. Lambert , i543 , et non Paris , R. Chau- 
dière , i535 ; y d'une espèce de grammaire en viers latins com- 
posée de 24 pages in-4° > ^on cotées , avec signatures , à la fin 
de laquelle se trouve la mention suivante : 

3mpr^d0um Cameraci pet 60nap^nturam 6ra00art 
rt Sxanmtvim, filtum txm. Slnno milU6im0 quinjjen- 
tedimo ^yxa^xa^mvxù nono haUnl^id deptembribue. 

Cet opuscule est imprimé en lettres gothiques , et au-dessus 
des lignes que nous venons de citer , se trouvent les armes de la 
maison deCroy, gravées en bois. Cet ouvrage, qui ne porte 
pas de titre est de l'espèce que les Anglais désignent sous le nom 
de Colophon, c'est-à-dire dont le titre se trouve à la fin. Le vo- 
lume , qui conserve encore son ancienne reliure , a appartenu , 
en i55i , à un nommé VUssem fC.J qui y a joint beaucoup de 
notes d'une écriture très-lisible. Il est à croire que ce C. Vlis- 
sem était professeur , du reste cela est étranger à l'objet qui nous 
occupe. 

Quel est l'auteur de cette grammaire dont voici les premiers 
vers : 



Adere grammaticcs cupio tibi parve libellum 
Qao facili doct js postit evadere gressu 
Me javet omnipc^teat iiuplere quod optO) «ecundof 
Succe66U8 tribuat: qui scitcur ista subivi 
Quidve fuit cause tautum tolerare laborem ? 

Ne serait-ce pas Masseeuw ? Cet opuscule fait suite à trois au- 



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très du même auteur sur un sujet semblable. Cela ne prouve- 
rait rien , dira-t~on ; non , sans doute ; mais si à ce faible indi- 
ce vous ajoutez les suivants , Tensemble de ces présomptions 
devient presque une vérité et les conjectures se prêtent un 
mutuel appui qui accroit leurs forces et rend ces preuves irré- 
cusables. Masseeuw avait été attiré à Cambrai en 1609 par Té- 
vèque Jacques de Croy, Remarquons ce nom qui coïncide si 
bien avec les armes de notre livre. Ensuite il écrivit , dit Fop- 
pens : /^Bibliotheea BeîgicaJ Grammaticas jprœceptiones , car^ 
mine. Or, Foppens n'indiquant pas ici que cet ouvrage est im- 
primé et quel est son format-, nous pouvons croire qu'il n'était 
que manuscrit , quoiqu'en dise Paquot qu'il est sûr qu'il fut 
imprimé à Paris , chez BaddMs , sous le titre de Grammatistice, 
sans dire cependant sur quoi il fonde sa certitude. N'est-il pas , 
d'après tous ces rapprochemens bien singuliers , presque cer- 
tain que trois ans après la mort de Masseeuvtr (arrivée en i546) 
B. Brassart aura publié cet ouvrage inédit du célèbre profes- 
seur , ouvrage qui n'était connu jusques là que comme manus- 
cirit , et qu'en souvenir de la protection constante dont Jacques 
de Croy honora son auteur , l'imprimeur aura jugé convena- 
ble d'orner sOn livre des armoiries du prélat ; peut-être même 
le présenta-t-il à Robert de Croy , successeur de son frère à l'é- 
véché de Cambrai. Après cela que Badius ait imprimé ret ou- 
vrage , postérieurement , à Paris , cela est possible ; malheu- 
reusement Paquot ne nous donne pas la date de cette édition 
dont il est si sûr , et c'est donunage , elle eût tranché cette 
dernière difficulté. 

Quoi qu'il eu soit , ce petit opuscule est toujours précieux en 
ce qu'il fait coanaitre plusieurs points intéressans de l'histoire 
de l'établissement de l'imprimerie à Cambrai. Il prouve évi- 
demment que Bonaventure Brassart a imprimé d'autres ouvra- 
ges que le journal de Le Saige de Douai. 

Qu'il a imprimé en société avec son fils François. 

Qu'il vivait encore en 1549. 

Que François était le fils de Bonaventure , ce que l'on igno- 
rait jusqu'à présent. 



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Peut-être de nouvelles découvertes viendront-elles un jour 
accroître la faible somme des renseignemens obtenus jusqu'à 
présent sur les premiers imprimeurs de Cambrai. Quoi qu'il 
en soit j'ai pensé que ceux que renferme cette lettre , peut-être 
trop longue , pourraient vous intéresser et je me suis empressé 
de vous les communiquer, pour que vous en fassiez tel usage 
que vous trouverez bon. 



Veuillez agréer, etc, 



H. Delmotte, 
Bibliàthecaire de la ville de Mans. 



MonSy 10 mai iS33« 



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%tt^uta ^ ihjxxnU Winor. 



Siste , Tiator. — Monachos calcas ! 



^ANS aller remonter au siècle de sucre candi du bon Saturne , 
comme dit Byron , dans un accès de joyeuse humeur , il nous 
Êtudr^ sonder bien avant dans ces âges déjà si loin de notre 
époque; il nous faudra évoquer, pour le faire poser devant 
nous , le souvenir tout-à-coup ravivé , des tems poudreux dont 
le plus faible rayon de civilisation ne perçait pas encore les té- 
nèbres ; il nous faudra tendre une main contemporaine à ces 
tant d'événemens enfouis que chaque jour se disputent l'oubli 
et le néant , pour les étaler au^^yeux ^/nsi g^vanisés , tout vi- 
vaces , tout palpitans d'actualité j 

Car c'est de là que vont surgir par ordre des hommes , puis 
des chefs , puis des murailles , puis des lois — des bonnes lois 
flanquées de geôles et de fourches patibulaires; plus tard ce 
furent des dîmes , des exactions continuelles , des guerres , en- 
fin l'attirail convenu de notre pauvre marche sociale qui pa- 
rait fDeo et quibusdam alUs juvtmtihusj avoir reçu, du 19® 
siècle , ses jalons de limite ,* 



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Car c'est de ce chaos que nos tâtonnemens vont retirer la vil- 
le dont ridée nous a pris d*esquisser Thistoire. 

— Gronenberga , Mans viridis, Winoxherg , BergorSancti 
H^inocif Groonenberg , Winoçi^Montium , H^inoberga, — 

Tout cela , aujourd'hui Bergues-St.-Winoc , n'était , et ses 
divers noms y tant flamands que latias , Tindiquent assez , 
qu'une simple colline située à deux lieues de la mer , dans cette 
partie de la Flandre qu'on appelait alors des M énapiens ^ do- 
minant de face les Diabintes , lesquels habitaient où est main- 
tenant Dunkerque. A sa droite , un peu derrière elle , se tenait 
la Gaule-Belgique : enfin , à sa gauche elle avait les Morins qui 
n'étaient autres que ceux de Boulogne, Calais, St.-Omer, 
Thérouanne , etc. 

De cette hauteur , couverte d'herbes épaisses , d'où son nom 
Groonenberg (^lïionX-yeri) j l'œil découvrait au loin une pers- 
pective admirable ; à ses pieds se déroulait une nature riche et 
plantureuse , un sol riant qui semblait promettre à l'homme 
toutes sortes de biens, dès que l'homme apporterait, à le cul- 
tiver, des mains moins inhabiles. 

3t.-Winoc , qui devint et qui est encore aujourd'hui le pa- 
tron de Bergues , était , suivant le rapport du père Marcelin , 
son compatriote , fils de Judicaël , roi de la Grande-Bretagne 
et de l'Armorique , et frère des saints Judoc et Juthaèl. Il pa- 
raît qu'ébloui de la haute réputation de sagesse et de vertu que 
s'était acquise dans ce temps-là St.-Bertin, abbé d'une con- 
grégation religieuse d8 Sithiu*— cette congrégation eut jus- 
qu'à cent-cinquante membres — St.-Winoc résolut, de con- 
cert avec ses amis Cadanoc , Ingenoc et Madoc , comme lui ani- 
més d'un vif amour de la religion , de quitter la terre natale 
pour aller imploi-er le joug de la règle sainte. Lorsque, jetant 
ses derniers adieux au monde , il échangea contre la tonsure 
monacale la couronne de son royaume , et son sceptre hérédi- 
taire contre la vei^e de macération ; on était alors dans l'an fi65 
du Verbe incarné. 



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Après un séjour d'environ onze ans k T^bbaye de Sithiu 
St.-Winc^ fut délégué avec ses trois compagpons , par Tabb^ 
de son pouvent, au mont Groonênberg, au sommet duquel on 
avait érigé des idoles à Baal , car c'était y dit Malbranche ( lib. 
4 de morinii) la seule divinité qu'adoraient alors les habitans 
ardem au culte du diable, St.î- Winoc , lui , à force de larmes et 
de pieuses paroles^ prétendit convertir ces barbares à la foi 
évangélique^ et, en efïet, il fît tant et si bien qu'après une cou-^ 
rageiisc! persévérance , il arriva qu'un beau jour l'autel du faux 
dieu se trouva renversé sans qu'on songeât à le rétablir, et le 
lendemain on vit à sa pl^ce , au lieu même où l'idolâtrie célé-^ 
brait ses ignobles mystère^ , s'élever le signe de la rédemption 
divine. 

Cela arriva le 3o décembre , l'année 685 du Christ, et à peu7 
près cent vingt ans avant l'institution des forestiers , d'oii esf 
sortie depuis la succession des comtes de Flandre, 

Noç qiiatre religieux continifaiei^t donc par leur pxempl<$ 
d'affermir ce peuple dans la croyance de la religion, chrétienne, 
et dans la pratique des bonnes moeurs , Iqr^i^'i^n homme dçi 
grandes vertus et qui possédait ^es ri^l^iess^ immenses , ^éré- 
mar, désireux de propager da^s nos contrées , avec les nour 
velles convictions , les asile^ cpns^crés à la prière , donna à St.- 
Winoc , par acte signé de lui au monastère d^ Sithiu , 1^ pre- 
mière année du règne de Çhildebert , 1^ village de Wormhoudt 
avec ses dj^pendances et privilèges , d^^s l'intention qu'il était 
d'j élevpr une maison dont St.-Winoc elles tjrois autres saints 
seraient les premiers membres , ce qui fut cause qu'ils quittè- 
rent le Groonênberg , n'y laissant après eux qu'une petite habi-r 
ts^tion qu'ils avaient construite , mais aussi quelques bons SQM^ 
venii^. 

A peu de tems de là , les saints Cadanoc, Ingenoc Qt MadoQ 
étant morts , et le monastère de Wormhoudt s'étant fort ac- 
cru, St.-Winoc fut appelé par l'abbé de Sithiu à le diriger,* 
mais il ne jouit pas longtems de sa nouvelle dignité , car s^ 
iport arriva l'année 716 , dix-neuf ans après celle de St-Perti|[j. 

1 



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La congrégation établie par lui , suivant la règle de St. -Be- 
noît , subsista à Wormhoudt environ cent trente ans , jusqu'à 
Tirruption des Danois /^9eu ff^andalor^mj dans la Flandre oc- 
cidentale , où ils exercèrent les cruautés les plus inouies. Dès 
qu'on eut connaissance de leur approche , on s'empressa de 
transférer à St. -Orner le corps de St.-Winoc, chez les reli- 
gieux de St.-Bertin , dont le R. P, Alard était alors abbé. Le 
tombeau resta dans l'église du couvent jusqu'en 900 que le 
bienheureux St.-Folquin , évéque des Morins , étant venu prê- 
cjher là parole ^e Dieu à "Wormhoudt , Ekelsbeke et dans les 
campagne^ circonvoisines , et prévoyant une dévastation géné- 
rale dés édifîoes 'sacrés , fit mettre "en terre le corps de St.-Wi- 
noc avec ceux dfes saints Audomar et Bertin. 

Vers cette époque, Baudouin le Chauve, deuxième comte 
dé Flandre , qui venait d*o*btenîr par donation royale la com- 
mende de l'abbaye de St.-Bertin , crut utile de ceindre le petit 
bourg qui s'était formé près du Croonenherg , de fossés et de re- 
tranchemens contre les tentatives des ennemis. D'autre part , 
cônïine il était bien persuadé , dit l'historien Mayer, que Dieu 
protégerait ihîéux le payis que toute l'industrie des hommes , 
il résolût de rendre à Bergues lé côl*ps de St.-Winoc qu'il fut 
chercher au ttiohastêre de Sithiu , et qu'il fit déposer à la par- 
tie inférieure du G^oonenèerg, qui se trouvait alors défendue 
par ttrie muraille. Bientôt, au moyen des piîviléges et de lai 
munificence royale, il restaura la maison qui s'y trouvait, et 
comme le monastère du Wormhoudt avait perdu tous ses re- 
ligieux , on transporta ce que le pillage avait épargné d'orne- 
mei^s et de 'biens sacerdotaux dans l'^Hse qui venait de s'éta- 
Jblir au pied de la colline. 

Gëfiendant les habitans commençaient à porter la plus gran* 
de vénération à leur patron , et bientôt il n'y eut sorte d'hom- 
mages que leur dévotion ne cherchât à lui rendre. Aussi c'était 
plaisir de voir tes miracles qui s'opéraient depuis que le saint 
étakdereWx>«ir au payû qu'il avait retiré du doute et de la bar- 
bane\. Ge n'était plus qu'aveugles-nés dont les yeux brillaient 
soudain tout grands ouverts , et cela pour s'être agenouillés une 
heare dumnt à l'autel du saint ; ce n'étaient plus que femmes 



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en trayail <{ui;.Q(^u(||iaiepjt,qoç9Liiie 'par ei^^açtpment, à la 
simple appositioiv4e. laniie^u ^u çaipt. Le boiteux jetait avec 
d^aip se^ )>éq\u)lef ,, If sourd distinguait dans Tair la respira- 
tiop. 4es iujjçctes^ ft le 9(iuet, parlai ^ paillait à ne plus pouvoir 
s*^^Téte^, et ii n'avait dû. pçipr cela que p^jej^i; su^ leurs épau- 
les le cercueil du saint à la procession du jour de l£| jS[atiy^té-^ 
Bref, et pour en finir, les vieillards i^aoontaient encore, il n'y 
a pas sept siècle — les vieillards , comme on voit , ont toiyours 
raconté — que la famille d'un riche seigneur de la contrée , 
étant venue à se noyer dans la Colme , au sortir de Be|*gues , 
le père, dans son désespoir, eut soudain recours à l'interven- 
tion tqute puissante du patrori : il supplia qu'on plongeât le 
sacré corps dans le fleuve , et en effet quelques minute/i après 
on vit uager à sa surface les énfans du seigneur , tous aussi 
bien portans que vous et moi. 

J^ais s^uivon^, ;• . . , ' 

6fl^clq^^a.de IJjllt5,.fi lq> beihMrbey quatrième comtg de 
Fls^ndie» ayapt reconnu J^'fli^i^ère pe^ Ipuable dont s^ con- 
duisaient lesi moines de St.-Martin , les chassa d^^leur couvent 
et voulant effacer entièrement leuj* ^émoire poijr rendre à la 
règle de St.fWmçç sa première sçlendeur ,;il fit bâtir à sjbs 
frais , au .sommet du Çraonenberg^^ à( l'çudypit pii était spn châp 
te^^f yaxe v^i^î^baye qui i?e rçcu^ que des religieux de 1 or-,' 
dredeÇt^-rBei^q^^, et-aumueif il a^^i^u^ It^s bjens de ceu^'. 
qu'il avait chassés, enj; ^jgqant le rey^Au ,^ntkr du village, 
de Wormhoudt. Après cela, et du consentement de Tévéque 
Hardpuin de Tpurnay , il pi.it à la tète d^ son abbaj^e qui pj^t 
et garda Iç jç^on^ de St.-Winoç (le corps à'yàit été repris au mo- 
nastère de St.-Martin), le R. P. BLodefric , du couvent dé §t--; 
Vaast , qui fut son premier abbé en 1020. 

C'est de là que date raçcrqissemçnt successif qu'a prjs la vil- 
le de Beifgues j c!ççt à cette ^oque aussi que se rattache lé sou- 
venir affligeant des guerres et de tQus les malheurs qui vinrent 
foudre sur cet;te ville, qui p'avait souvent d*autre défense à op- 
poser à ses aggresseurs que quelques misérables poignées de 



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soldats dépéchés à la hâte des environs^ M ayer dit qu'il arriv» 
même plus ^^une fois que les habitans , réunis à ceux du ter— 
ritoire prompts à accourir au secours des leurs, furent le» 
seuls protecteurs de la ville. En effet, nous lisons que , lors^ 
.qu'elle fut assiégée en iao6 par Helbert de Wulferinghem et 
Walter d'Hond'schoôte , après avoir soutenu l'assaut avec une 
consbince admirable , elle en sortit victorieuse à l'aide du pré- 
teur Christian Prataniis et du chevalier Gérard Faius. 

En i3j83 les KormàndÎB et les Bretons vinrent poser le siège 
.devant Bei^ues oii ils entrèrent après une longue et opiniâtre 
résiçtanqie de la part des Anglais qui s'y étaient réfugiés, et qui, 
inaccessibles aux prières «des habîtan^ , — la famine commen- 
çait à régner avec violence — se tenaient retranchés derrière 
les portes de la ville contre lesquelles ils avaient amassé une 
grande quantité de terre et tout ce qui leur était tombé sous 
les mains. Pendant ce tems, les Dunkerquois avaient cherché 
de leur coté à inonder la campagne en rompant les digues de 
la mei*, mais une force plus srande que la leur les en empêcha, 
car le dimanche, de là fête de là Vierge , les Français s'empa- 
rèrent de la Ville , vçrs trois heures après midi ; puis , après 
avoir mis en fuiteVles Anglais' et s'être emparés de ce que les 
saints édifices renfermaient de plus précieux, ils mirent le feu 
à la ville par ordre du roi. Tout périt consumé^ à l'exception 
des égliajés dé St.-\yinoc et de St.-Piérre. Plus tard cependant 
on parvint à racheter, tant à Paris qu'à St.-Omet», plusieurs 
dés objè^ S2^:rés qui avaient été enlevéa. ' ^ 

ïfergues fUt a^grandî en 14^0 par les.soins d^ Georgius Moê)r 
,qui y renferma Tal^baye par dé fortes murailles. C'était sous le 
R. P. Bavelare , son 4©*^ abbéi 

En i558 , les Fiançais , de nouveau répandus dans la Flan-* 
dre occidentale, sous la conduite du mai^chal de Termes, ra— 
vagèrent encore de fond en comblé l'abbaye qui avait alors ac- 
quis de grandes richesses , et ils livrèrent tous ses bâtimens àinc 
flammes qui gagnèrent jusqii'à ses tours dont le plomb , écrit 
le père Waloncopelle , coulait en longs riiissea'ux bouillatis ^ 



'\^. 



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»10l 



La Tille fiit dé nième réduite en cendres y et les maisons les ]pW 
distantes de Tabbaye se trouvèrent seules épargriéDS. 

Dix ans après que cela se passa , lorsque Thérésie eommen- 
«jait à répandre par toute l'Europe ses doctrines, le peuple 
simple et contant de nos contrées ne fut pas le dernier qu'alla 
visiter la secte des parpaillots. Mais bientôt venant à s'aperce-' 
voir que sous une prétendue couleur de conviction , les nou- 
veaux apôtres déguisaient mal leurs intéhiiolië spoliatrices , les 
babitans s'empressèrent, cette fois encore, d'envoyer à St.- 
Omer les restes révâ*és de leur patron , avec sa barpe d'or, sa 
mitre et sa crosse, j- Et je fais ici la remarque que jamais bom- 
me vivant ne fut ballotté par autant d'événemens et de tribu- 
lations qu'en eut à subir là. dépouille mortelle de St.-Winoc. 
On était alors au milieu de ce ôiècle si fertile en contrasta , à 
cette époque anomalique dii la superstition et la sorcellerie te- 
naient par la main le fanatisme religieux j où la cour de Fran- 
ce comblait d'HonnéUrs et dé richesses ses astrologues et ses 
devins , tandis qu'àii moindre délit , le parlement de Paris fai- 
sait rôtir comme porcs , en place de Grève ou à la Bastille , de 
, inisiérables éntbousiastes. A cette époque où , comme dit Vol- 
taire , « on brûlait d'un côté , et on cbantait de l'autre les 
» psaumes de Marot , selon l'esprit toujours léger et quelque- 
» fois très-cruel de la nation française. >» A cette époque où 
Kostradamus, l'illuminé de la Provence, régénérait pour ses 
compatriotes de St.-Bemi , les extravagances des cénobites du 
mont Tbabor , à cda j^rès que ceux-ci lisaient l'avenir dans 
leur région ombilicale. Et ces moeurs de la cour ne laissaient 
pas de déteindre fortement sur les provinces et principalement 
dans les caBtpagnes, car en ce tems vous auriez eu peine à ren- 
contrer une chaumière qui n'eût son esprit familier, une cha- 
pelle ses êx veto dûment bënis par lé Saint-Père, un nouveau 
marié qui ne frissonnât à l'idée du noueur d'aiguilU^s I 

Le P. Waloncapelle, à qui je dois une grande partie de cet*^ 
té histoire de Bergues , assure que l'abbaye de St.-Winoc paya 
|K>ur sa part , en 1575 , 100 livres de Flandre , et dé ^lus 4o flo^ 
Hwi ^destinée à l'expédition d'une flotte contre les' héi^queé.- 



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Cependant la ville avait été entièrement i*élablie fSLV Philip 
pe II , roi d'Espagne. 

La France vint encore à la charjje et Tattaqua par un siège 
en forme. 

Puis elle fut conquise par TËspagne , Tan i65i. 

Et reprise par les troupes du Roi en i658. 

Rendue au Roi d'Espagne en i66o , par le traité des Pyré- 
nées. 

Enfin reprise en 1667 , par Louis XIV qui en est i-cslé le 
naître. 

Dès lors Bergues commença à jouir d'une tranquillité que 
l'opiniâtreté du sort avait toujours semblé vouloir lui refuser, 
et certes peu de villes ont acquis plus de droits qu'elle à l'a- 
movir et aux vjves sympathies de leurs enfans î Une végétation 
"brillante couvrait la terre , les greniers pliaient sous les mois- 
sons , les aumônes et les dons de toute espèce pleuvaient aux 
couvens et aux églises , pendant qvie l'àbbaye suait de tous ses 
pores le bien-être et l'abondance 5 puis , pardessiis tout cela , 
cette bonne odeur de féodalité que répandaient par bouffées les 
antiques manoirs des châtelains ! , * 

Ma foi î je l'avoue , je les regrette pour leur poésie ces jours 

Cet état de choses dura jusqu'en 1798 , <Ju'une dernièi'e guer- 
re j la guen^e d'une nation contre elle-même , oomfbat horri- 
ble celui-là, où toute miséricorde git à terre annihilée, pour 
livrer carrière à la passion qui seule hurle aux deux camps ; 
combat où la victoire demeura , mais toute inondée de sang ^ 
à un principe sublime : c'avait été le premkr cri que la divini- 
té laissa tomber vers l'homme, mais l'homme là comprit mal 
cette divinité , puis il alla jusqu'à la méconnaître , opprimée 
qu'elle fut dans ses ministres , foulée aux pied^ danf ^ses images 
consacrées , détruite dans ses temples. Alors on vit la. Pévi^lu- 
tion courir vociférante, échevelée, par la France que de tQM.tes 
part des échafauds étreignaient de leurs bras sanglans-, et loi^s- 
qu'elle eut compté ses cadavres , la France ! lorsqu'elle eut lé- 



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ché 8^ lèvres roiigies , lorsqu'elle se fut lavé le front — la civi- 
lisation avait fait une enjambée de plus , et Ton eut encore de 
grands jours ! 

Au plus fort des désordres qui sont la suite inévitable d'une 
forte commotion , Tabbaye de St.-Winoc , comme une des plus 
belles et des plus opulentes , fut la première sur laquelle se 
rua la tourbe des dévastateurs. On la dépouilla de tout ce qu'el- 
le possédait, et bientôt ce ne forent que cendres et débris. De 
tout cela il ne reste aujourd'hui que les tours en aiguilles qur 
servent encore de point de reconnaissance aux navigateurs. 

Bergues perdit alors aussi la congrégation des Filles de St.- 
Victor dite le Nouveau-Cloître , ainsi que ses couvens de do- 
minicains , de Capucins , de Sœurs-Grises , d'Hospitalières , de 
Capucinières de l'Annonciation. Sa ehâtellenie, dit Sanderus 
(Flanâria tllustrata) qui comptait trente-deux villages sous sa- 
juridiction , avait été réunie à la ville en i586. Elles avaient un 
grand-bailli, un lieutenant-bailli, et un vicomte, ces deux 
derniers faisant les fonctions de procureur du roi. L'intendant 
de la province était chargé du renouvellement annuel du corps 
de la magistrature , lequel se composait d'un boui^gmestre , de 
quatorze échevins et Je cinq conseillers pensionnaires dont 
quatre avaient droit à un greffier et à un procureur. 

Le Groonenbergj lui, est toujours là , "ViVânt d'anciens sou-' 
ve^irs , et qui semble embrasser d'un regard d'amour la ville 
qui lui doit son origine. Siste viator, Monachos Vàltàê ! Re- 
gardez ! — le berceau et la tombé ! Là où St.-Winoc piochait ' 
aux premiers hommes les dogmes de la religion chrétienne, : 
vous ne verrez plus qu'un vaste enclos, entouré, comme uti 
eimetière, d'une haie d'épines et d'un large rideau desaiiles aûi ' 
frissonnement înélancoiique. Peut-être reneontrerez-vous à la 
ehaieur du midi, durant la belle saison, un pâtre eiidormi' 
sur la terre, insmiciéUX des cadavres qu'elle recouvre. Cà 
et là quelques roitelets qui v6tit sautant dé branche en 
branche, en poussant leur petit cri, interrompent seuls le si* 
lence de cette solitude , car elle n'est plus là la jolie cloche du>: 
«éfeetoire qui criait si haut le terrible Tardé vékientihus osao^S 



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gravé Mir ses flancs de bronze , et les moines d'accourir de 
tpiite la vitesse de leur panse rebondie , et la folle de s'agiter de 
plus belle! Car elles neparleht plus qu'à l'imagination ces deux 

Eauvres tours qui jetaient avec tant de bonheur aux airs le 
mit des joyeuses campanilles du couvent; elles sont devenues 
le refuge de l'orfraieet du hibou qui y attendent dans unépros^ 
tration philosophique le coucher du soleil. 

. Une seule fois dans l'année ^ pendant la kermesse , la scène 
change. Le Groanenberg est alors couvert d'une foule de femmes 
et d'en&ns que l& grand tir à tare a fait sortir de tous les vil- 
lages avoisinans. Les hommes, eux, sont au pied de la perche 
à /oiseau qui occupe le milieu de la colline. A chaque coup 
bien dirigé, il faut voir s'àniiner la bonne grosse face du paysan 
à l'endimanchure grotesque, il faut entendre les cris d'en- 
thousiasme et de plaisir des jeunes enfans ! et puis ces brocs qui 
circulent, et ce vin qui se répand à flots avec la gaîté qui, 
comme lui , est intarissable , jusqu'à ce que la nuit , survenue 
tout-à-coup , tombe sur ce tableau plein de pittoresque et d'a- 
nimation, et renvoie ckacun chez soi fort content de sa journée. 

A propos , il y a cinq à six ans que les restes de St-Winoc , 
grands voyageurs , comme on sait, ont été renfermés dans une 
châsse d'un travail exquis^ et placés définitivement, il ftiut 
croire , dans l'élise de St-Martin , où ils n'ont pas cessé un seul 
instant d'être en grande vénération parmi les fidèles» 

Une chose encore , une dernière chose l^te à dire sur Ber- 
gués : il s'agit du sobriquet Usàan que les habitàns ont gardé 
jusqu'à 6e jour, et dont l'origine a si vivement éveillé les re^ 
cherches de cet honnête Hemdte en Province. C'était dans le 
tems un usage presque général en France, dit Rabelais, desur^ 
tiommer ainsi les villes , et il en a baptisé plus d'une , le mali- 
licieux compère î Quelquefois même cela s'étendait par synec^ 
âoche aux nations. Le chevalier Le Pays i un contemporain de 
Rabelais n'a-t-il pas été> dans ses amours et amourettes j nèu» 
bppeler ies gros ventres de Dunkerque ? 

t^uànt à ce qui est de la qualification attribuée à la popultt- 



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tion de Bergdés , elle n^est , Je vous assure , qu'une plaisanté* 
rie.... historique , mais bonne enfant s'il en fiit et des plus in» 
noffensives; Je vous dirais bien ce qui y a donné lieu y mais il 
Êtut justement que ce soit une de ces histoires qui ne sont en-* 
tendues qu'entre garçons^ à table^ lorsque le Champagne a déjà 
pétillé dans les coupés $ 

Ou bien encore dans l'intimité du téte-à-téte, entre onxeheu- 
res et minuit y après que toute là poésie du cœur s'en est allée 
dans une longue causerie y et que l'on se voit forcé de retomber 
du plus haut de ses illusions dans le facétieux prosaïsme de la 
vie positive. 

C'est une fort jolie dame qui m^a raconté cette histoire là, il 
y a eu un an aux premiers lilas* 

P.L. 



L_ 



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1 



LETTRE 

SUR l'état actuel de la musique dans la BELGIQUE , BT Slfit 
SON AVENIR DANS CE PAYS. 



Bruxelles , le 8 juin i853. 
Mon cher ami , 



Lorsque des propositions m'ont été faites pour que je re^ 
vinsse dans le pays qui m*a vu naître pour y donner mes soins^ 
à la régénération de l'art musical , et pour y prendre les posi- 
tions honorables de maître de chapelle du roi des belges et de 
directeur du conservatoire de musique de Bruxelles , j'ai dû 
examiner d'abord si je pouvais être plus utile à l'art que je cul- 
tive avec passion , en venant essayer dans ce pays des innova- 
tions et des perfectionnemens , qu'en continuant d'habiter la 
capitale de la France oii mes travaux n'ont peut-être pas été 
sans résultats. Pour me faire à cet égard une conviction , j'ai 
d'abord jeté un coup d'œil sur ce que fut la Belgique , sous le 
rapport de la musique , depuis le moyen-âge jusqu'aujourd'hui, 
afin de m'assurer que j'y trouverais les élémens nécessaires » 



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rœuyre qu'on me demandait , savoir : une oiiganisation favo* 
rable à la culture de la musique parmi les belges , et l'aptitude 
convenable pour développer par l'étude les facultés de eetté or- 
ganisation si elle existe. Lorsqu'il s'agit de la sensibilité et du 
génie d'un peuple pour la culture des arts, il est difficile de 
prévoir l'avenir si l'on n'a recours à ce que l'histoire nous ap« 
prend du passé. C'est donc l'histoire de la musique dans la Bet> 
gique que j'ai dû étudier d'abord ; j'avoue que les faits que j'y 
ai recueillis m'ont donné une haute idée du sort futur de cet 
art dans le pays y si les circonstances secondent les efforts que 
je me propose de faire. Je vais Jeter un rapide ooup^'œil sur 
ces faits, afin de faire comprendre aux lecteurs sur quoi se 
fonde l'espoir que j'ai conçu en venant ici essayer une régéné» 
ration dont l'espoir flatte autant mon amour^ropre que mon 
patriotisme. 

Au quinzième siècle , un belge , Jean Tinctofis ou le Teintu" 
rier , de Nivelle , fut le plus savant théoricien de musique de 
son temps et en même temps un des compositeurs les plus ha- 
biles. 11 écrivit un grand nombre d'ouvrages sur toutes les par^ 
ties de la musique ; ces ou vidages sont parvenus jusqu'à nous et 
démontrent que Gafbrio et tous les autres théoriciens deTltalie 
au quinzième etseiziènie siècles y puisèrent leursciehce , et que 
tous furent ses élèves et ses imitateurs. Devenu maître de cha- 
pelle du roi de Naples , Ferdinand d'Aragon , il fonda la plus 
ancienne école de la musique de l'Italie et composa des messes 
et des motets qui existent encore en ïnanuscrits dans la bibli- 
othèque de la chapelle Sixtini. 

Au siècle suivant , Adrien Willaert , né à Bruges , devient 
maître de chapelle de Saint-Marc , à Venise , et y établit une 
école de musique oii se forment Zarlin , le plus savant théori- 
cien de l'Italie , et Cyprien Rore , autre belge , qui fut un des 
plus grands musiciens de son temps*, et qui devint maître de 
chapelle du duc de Ferrare, Willaert était un des plus habiles 
compositeui^ de son siècle , et Sarlin le signale comme l'inven- 
teur de la musique d'église à plusieurs chœurs. Cyprien Rore, 
dont je viens de parler , Pierre de là Rue , Clément, surnommé 



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êfoH-'Papa y Jacquet ou Jacques de Berchem , ainsi appelé parce 
qu'il était né au village de Berchem y près d'Anvers , Jâcqueë 
de Tumhout, et une multitude d'autres compositeurs belgej 
occupèrent dans toutes les ^pitales de l'Europe les places de 
maîtres de chapelle des princes et des rois pendant la durée dil 
seizième et d'une partie du dix-septième siècle. Dans le même 
temps , une partie des chanteurs musiciens que le roi d'Espagne 
entretenait à soli service , étaient sortis du ihéme pays. Le plus 
célèbre conipositeur de la seconde moitié du seizième siècle , 
celui qui seul , mérita de lutter de gloire avec Palestrina , et 
qui y comme lui ^ ftit appelé le premier des musiciens de son 
temps , fut Rolahd de Lassus , né à Mbné : sa renommée fut 
égale en Italie , en Allemagne , en Angleterre: Son bompatriote 
et son contemporain , Philippe de Mons, fut aussi considéré 
comme un des compositeurs les plus distingués de son temps ^ 
et ses ouvrages attestent que sa gloire ne fut point usurpée. Je 
ne finirais pas si je voulais nommer tous les musiciens belges , 
qui dans ce temps méritèrent d'être comptés parmi les artistes 
les plus habiles. Tu remarqueras , au surplus , que je ne fais 
point mention de beaucoup d'autres compositeurs ou théori- 
ciens qui , nés dans la partie de la Flandre réunie à la France 
sous les règnes de Louis XIII et de Louis XIV ^ ou dans les 
provinces du Nord maintenant sous la domination de la Prusse^ 
appartiennent cependant à la Belgique. 

Après le temps de la prospérité de la musique ^ dont je viens 
de parler , la Belgique passe successivement sous diverses do-^ 
niinations y fut le théâtre de tous les fléaux de la guerre, finit 
par perdre sa nationalité et vit s'anéantir insensiblement la 
gloire de ses musiciens. Cependant le génie de ses habitans 
triomphait encore de temps en temps des circonstances où il 
^taît placé. Dans les temps modernes, ne voyons nous pas Gros- 
sec , né dans un village près de Walcourt , porter en France lé 
germe d'une bonne école d'harmonie^ après avoir fait des étu- 
aes à la cathédrale d'Anvers , et se faire un nom justement cé-^ 
lèbre dans la composition de la symphonie avant que les ou- 
Vrages de Haydn eussent été connus du monde musical ? Ce 
fkièmè artiste J devenu l'un des fondateurs de musique de France 
It liiembre de l'institut , coopéra puissamment aux sucdès aï 



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l'école française par la part qu'il prit à la rédaction de plusieur». 
ouvrages élémentaires et par les élèves qu'il forma. A la tète de 
ceux-ci se distingue Gatel. 

De nps jours , les facultés des belges pour la musique se mar 
nifestent encore de manière à ne pas laisser de 4oute sur l'ave-r 
nir de l'art dans leur pays , lorsqu'un système 'd'instruction 
convenable; viendra ftciliter le développeméni de lemrs heu- 
reuses dispositions. Le conservatoire de musique de Paris a 
fourni au concours de ses classes ou de l'Institut de jeunes 
compositeurs belges qui se sont distingués par leurs ouvrages 
pu qui ont obtenu la faveur d'être pensionnés par le gouver- 
nement : tels sont MM. Mengal , Ërniel , et Angelet. Les vio- 
lonistes de la Belgique , parmi lesquels on remarque ^ériot ,, 
Roberechts , Haumann , Ghys , Massart , le jeune Viet^ Temps 
et plusieurs autres , brillent au premier rang parmi ceux de 
toute l'Europe. Anvers a donné le jour à M. Chevillard, un 
des meilleurs violoncellistes de l'époque actuelle ; le jeune 
Servais promet un autre virtuose sur le même instrument ; la 
Belgique s'honore d'avoir vu naître Drouet, le plus étonnant des 
flûtistes ; enfin des talens de tous genres naissent chaque jour 
dans cette ancienne patrie des arts. Il y a donc, dans le passé et 
dans le présent des garanties de succès pouf la r^énérationde li^ 
jnusique que le gouvernement belge veut opérer dans le royaux 
me. Voilà ce que j'ai vu, et cela m'a su£^ pour me convaincre 
que mes soins ne s'appliqueront pas s^ upe terre ingrate. 

Le plus célèbre des compositeurs qui brûlèrent en France 
4ans le dix-huitième siècle était belge ; tu comprends que je 
veux parler de Grétry , né à Liège, le nom de celui-là parle 
de lui-même. La création d'un génie qui lui appartient , et de 
plus de cinquante opéras dont le plus grand nombre renfer- 
ment des choses excellentes, soit sous le rapport de la mélodie, 
soit sous celui de l'expression dramatique , en disent plus pour 
sa gloire que ne pourraient le faire mes éloges. 

La Belgique a reconquis une nationalité ; son gouvernement 
prot^e et le développement de la civilisation et la restauration 
^es arts qui ont longtemps langui sous une domination étran-' 



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1 



g^iT^t.DèR 00 moment il donne au p^ys les mo^Kens^d'inetructien 
qui lui manquaient; plus taxd il assiureFapardesiiistitiitioRs 
Texistence des artistes qui se distingueront par leurs talons ; 
toutes les conditions se trouvent donc réunies pour que la 
BelgiquQi^pr^ne dans la carrière des arts le rang glorieux 
qu'^ille occupait autr^is. 

Voilà «eqiie j'aicompris et ce qui m'adétenrminé à oowsacrer 
à ma patrie le i^ste de mon existence. . i * - 



f Renne Musiéah/ . 
Eétis. 






. : .. .::, !• 



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SUITE DU G1.0SSAIIIE 
SOBRIQUETS HISTORIEES 

DU NORD DE JLA FMjÉNem . f i 

'. . . i 

• • ' . , n. I , .'. . ..ii. ... 
.. . . C. . .1 '.y... . . r. . „,i 

€ab£Liaux ùu mieux Kabbljaauws. Guillaume, surnomme 
depuis r insensé, avait obtenu , en 1 34 9 9 de Marguerite , sa 
mère , la propriété du comté de Hollande , sous la réserve d'une 
pension viagère de dix mille écus. Bientôt ce fils dénaturé re- 
fusa de servir la redevance qu'il avait contractée ; et Margueri- 
te qui , au titre, de comtesse de Hainaut joignait cejui d'impé- 
ratrice, comme, fçmme de Louis de Bavière, .revint dans les 
Pays-Bas et, par lettres données le i**" juin, au Quiesnoi^ an-r 
nula tout ce que Guillaume avait ftiit au préjudice de sa sou- 
veraineté. Celui-ci feignit d'abord de se soumettre ; mais il ne 
tarda pas à changer de conduite. Les Hollandais qui prirent 
parti pour Guillaume , furent nommés les Cabeltatue , par al- 
lusion ^u poi^fion ainsi appdé et qui)est U tarreur des autres. 
Ceux qui soutç^p^iept (a cajtise dQ sa mère se donnèrent ou reçu^ 
rent la dénomination de Hœchsj c'est-à-dire hameçons, vou- 
lant dire par là qu'ils serviraient de hameçons pour pécher les 



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cabéliaux. Ceux-ci avaient un bonnet gris pour signe distinc- 
tif. Les hoBcks portaient le bonnet rouge. Ces deux &ctions ne 
s'éteignirent pas à la mort de Marguerite , survenue le a 3 juin 
1355. On les retrouve lorsqu'il s'agit en 1369 de disposer de 
l'administration delà Hollande, à cause de la démence de Guil- 
laume; en i36i , quand le duc Albert , r^ent, crut pouvoiç 
ôter le gouvernement de Kenemar, à Blamstem^ l'un des cheb 
du parti des Cabéliaux , pour le donner à Reinold de Brédero- 
de ; en 139a y a l'occasioii de la nomination de Jean d'Arckel 
aux fonctions de gouverneur de la Hollande ; en 1399 9 quand 
les Frisons s'insurgèrent; en 14^79 quand la jeune comtesse 
Jacqueline de B^^yière s'avisa d'afl&cher dç la prédilection pour 
les hœcks | et enfin en i4a5 après la victoire remportée par Jac- 
queline sur le duc de Brabant. Ce ne fut qu'en i45a qu'ui^ 
traité mit fii| à Fexistence de ces partis* 

Pl^ilippe de Comines, l. vii, chap. io fie ses Mémoirfs^ 
pomme les Cabéliaux Cabalîan, Oliyier de )a l^^rche s'expri- 
ine ainsi sous l'an 14^5 , en parlant du duc de Bourgogne : 
« Combien que les houes )ui fiissent contraires ; mais les Cabé- 
liaux furent pour luy. » Enfin Jean Molinet reproduit auss^ 
ce nom dans ses merveilleuses advenues : 

▲i^iieiiiont (Egmond) en Hollande, 
Mena ses Cabillaoz, 

Armez d'escaille grande , 
Dure comme caillauz. 

Du reste le mot Caheliau ou Cahfllt^u a été , dès le 1 3« sièclei, 
un nom de famille , puisque nous trouvons Jehans H Cabillaù 
dans une charte de 1 273 , souscrite par Gui de Dampierre. On 
connaît aussi Baudoin Cabillaù^ poète latin ^ né k Ipres en 
i568. 



Cabot et quelquefois Càboohart, c'est-ji-dire opiniâtre, 
obstiné, têtu. Ce sobriquet fut affiscté à plusieurs membres de 
la famille d'Haussj en Cambrais, a S'il est vrai , dit Carpen- 
tier , que les sobriquets se prenoient jadis de quelques qualités 



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et inclinations naturelles , nous pourrions croire que cette fa- 
mille de Haussy y a été malheureuse en quelques uns de ses 
descendans. » 

Cabus. En 1291, on trouve un Ënguerrand Tabarie, sei- 
gneur de Fontenelle et du Maisnil dans la châtellenie d'An- 
thoing^ qui prenait le sobriquet de Cabus^ Dans le siècle 
suivant 9 un gouverneur du château de Selles, à Cambrai, 
portait le même surnom. La famille Raconis qui , du reste , 
n'appartient pas à nos provinces flamandes > mettait sur ses 
armoiries un chou cabus , précédé des mots : tout neH; ce qui 
formait la légende : tout n'est qu*aibu8 Ingénieux' Raeonis! 

Caramaras. C'est le nom vulgaire par lequel on distingue 
dans nos contrées ces Bohémiens Nomades qui^ errant depuis 
quatre siècles parmi les nations policées de r£uix)pe , sont res- 
tés étrangers à toute civilisation , à tout culte , à toute morale. 
Venus y à ce qu'il parait , de Tlndoustan , ils en ont conservé 
le langage. J'ai cherché à m'expliquer l'origine du mot Cata- 
maras. Voici ce que j'ai .trouvé de plus fondé à ce sujet. Dans 
le Korasan où les Bohémiens sont très-nombreux , on les dési- 
gne sous le nom de Karachmar; les Arabes et les Maures les 
appellent Char ami y c'est-à-dire brigands. Assurément ces 
deux dénominations offrent beaucoup d'analogie avec notre 
mot Caramaraa. Mais comment et par quelle filiation une ex- 
pression africo-asiatique s est-elle importée dans nos campa- 
gnes flamandes ? Ce sont là de ces énigmes philologiques dont 
je dois laisser la solution à de plus habiles. Plusieurs écrivains 
ont traité des Bohémiens ex-frofessa ^ entr 'autres H. M. G. 
Grellman , dont l'ouvrage a été traduit de l'allemand en fran- 
çais , sous ce titre : Hist, des Bohémiens ou tableau des moeurs, 
usages et coutumes de ee peuple nomade ,etc, , in-8® Paris, 1810. 

Cattes. Cathari ou Catti. Noms divers sous lesquels on 
désignait quelquefois la secte des Vaudois. Nicolas, évèque de 
Cambrai , '{>ar un acte donné en 11 55, dépossède de la cure 
d'Hembec un prêtre nommé Jonas, convaincu de professer 
l'hérésie des Cattes. V. Hontheim, Hist, trevir, diplomatica, 
I. 574. 

8 



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Gpogle 



Xi\TiJLvs. Le peuple appelle ainsi les commis des douanes et 
des impositions indirectes qui ari*êtent le passant en Ini disant 
qu as-tu la? Ce nom a été aussi, au 17® siècle, celui d'une 
troupe redoutable de bandits. Vers Tan 1669 ,' la Flandre fran- 
çaise se trouva tout-à-<:oup infectée de déserteurs espagnols et 
autres qui , partant d*Alh oii ils étaient protégés par le gou- 
verueur, mettaient à contribution tout le pays, s'emparaient 
-iles voyageurs riches pour en obtenir de grosses rançons, ne 
permettaient aux gentilshommes d'habiter leurs châteaux que 
moyennant une redevance préalable, et vendaient fort cher 
les passeports qu'ils délivraient aux fermiers un peu opulents. 
Quiconque , après avoir été ari^êté , ne pouvait où né vocilait 
solder sa rançon , otait retenu à Ath et mis dans un cachot in- 
fect où il avait à lutter contre la faim et les dégoûts de toute 
nature. Poutrain,qui parle des Catulas àîm^ son Histoire de 
Tournai, p. 456, ne nous apprend pas comment on parvint à 
faire cesser ce fléau. Il dit seulement que le gibet de Maire près 
Tournai, était sans cesse chargé de Catulas , qu'on y pendait 
tous les jours. 

Chevaliers du ijèvre. Edouard Ht, roi d'Angleterre, 
après avoir été, en iSSg, oblige de lever le siège de Cambrai, 
se porta sur Je Vermandoiset la Thiérache ou son armée com- 
mit d'horribles dégâts; il alla ensuite camper au village de la 
Flamengrie près de la forêt du Nouvion pour y attendre Phi- 
lippe de Valois et lui livrer bataille. Le roi de France vint s'é- 
tablir à Buironfosse, queDelewarde place mal-à-propos dans 
le Carabrésis. Là les deux armées, fortes ensemble de cent soi- 
xante mille hommes, se disposaient à en venir aux mains. 
Eco^Hons Froissart : « Environ petete none, un lièvre s'en 
» vint très-passant parmi les champs, et se bouta enti-e les 
» français, dont «eux qui le virent commencèrent à crier, et à 
-» huieretàfaire;grand haro : de quoi ceux qui estoient der- 

n rière cuidoient que ceux de devant se combatissent : 

* si misrent les plusieurs leurs bassinets en leurs testes et 
» prirent leurs glaives. Là y fut fait plusieurs chevaliers , et 
>» .par spécial le comte de Hainaut en fitquatorze , qu on nom- 
■o* madepuis les Chevaliers du lièvre:. » 



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Comte a la Houssette. Jean de Cix)y , comte de Rentj et de 
Seneghem , créé premier comte de Chimai part* Charles le Har- 
di y fut appelé comte à la Houssette , à cause des bottines , dites 
hoTiseaux et houssettes qu'il portait habituellement pour aller 
à la chasse. Il parait que dans son ardeur de poursuivre 
lesbétes fauves , il s'oubliait souvent jusqu'à faire invasion sur 
les terres d'autrui. Les habitans de Cou vin, près Marien- 
bourg , le prirent un jour en flagrant délit et le confinèi*ent 
bien secrètement dans une tour de leur fortei^esse. 11 était ainsi 
captif depuis sept ans , sans qu'on sût ce qu'il était devenu , 
lorsqu'un berger s'avisa un jour, de s'exercer , avec une arba- 
lète , à viser l'étroite lucarne de la tour qui renfermait le com- 
te. Ayant atteint le but, le berger voulut aller reprendre sa 
flèche en escaladant le rocher. Au moment oii il introduisait 
sa main dans le soupirail , il la sent saisie par le prisonnier 
qui calme sa frayeur , et se sert de son entremise pour faire sa- 
voir où il était à la comtesse , sa femme , laquelle depuis long- 
temps, le pleurait comme défunt. A l'instant les vassaux sont 
assemblés ; on assiège Couvin , et Jean de Chimai recouvre la 
liberté. Il était devenu méconnaissable par suite des tourmens 
qu'il avait endurés , et ses vétemens tombaient en lambeaux 
au moindre attouchement. Délices du pays de Liège. II , 296 - 
296. Nouv, Arch, hist, des Pays-Bas , par M. de Reiffenberg. 
Janvier i83i , p. 34 - 36. 

Cousin-Jacques. Louis Abel Beffroi de Reigny, connu par ses 
productions oii brille une gaîté originale , se donna à lui-mê- 
me le sobriquet de Cousin-Jacques, Ses ouvrages durent leur 
vogue aux événemens politiques avixquels ils faisaient allusion. 
Les excès que le Cousin-Jacques avait prévus et dont il fut té- 
moin lui donnèrent de l'éloignement pour les idées nouvelles. 
Né à Laon en 1767, il mourut à Charenton en i8i 1 . (Voiries 
archives DU NORD, les Hommes et les Choses , p. i5). 

(La suite à la prochaine livraison J . 

A. Le Glay. 



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HISTOIRE DES MONUMENS. 



W%hhm^t ^tt fi^mi ^t^Blt>u 



LETTRE 
A M. LE DOCT£UB LE GLAY, 

Bibliothécaire de la ville de Cambrai. 

Arras , le 29 août i833. 
Mon cher ami, • 

J'avais promis de vous donner, de vive voix y quelques détails 
sur ce qui reste de l'ancienne abbaye du Mont-Saint-Eloi : je 
préfère vous les écrire sous l'impression récente que j'ai gaixiée 
de ces lieux tout remplis des souvenirs du passé. £t d'abord y 
une idée triste vous saisit à l'aspect de ces belles constructions 
terminées à peine , quand la révolution de 89 survenant , on 



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s'est hâté de démolir ce qu'on avait construit à si grands frais 
et pour des siècles. C'est un sentiment analogue à celui qui 
nous fait plaindre l'adolescent frappé de mort, quand sa vi- 
gueur toute juvénile lui promettait d'atteindre à la vieillesse. 
Ce cruel mécompte devrait-il concerner nos édifices ? Et com- 
bien en ceci nos voisins d'outre-mer nous paraissent plus ju- 
dicieux et plus sages! L'Angleterre a eu aussi ses guerres 
civiles , ses tempêtes politiques ; mais elles n'ont renversé ni 
ses temples ni ses monumens. C'est que les querelles si lon- 
gues , si acharnées des Presbytériens et des Papistes n'avaient 
d'autre objet que des modifications à apporter dans le culte 
établi , et alors les édifices religieux ne cessaient point de leur 
être nécessaires , tandis que chez nous , on a réellement voulu 
faire table rase. De fort honnêtes gens qui vivaient il n'y a pas 
long-temps , avaient attaché à la réédification de leur antique 
abbaye des idées de gloii*e , de gi'andeur et surtout de dui^. 
D'habiles architectes avaient donné l'essor à leur génie, et 
une population entière d'ouvriers s'était mise à l'œuvi'e pour 
l'exécution de leui^ plans. Que de trésors dépensés ! Que de 
veilles ! Que de labeurs ! Et avant cinquante ans peut<êti*e , il 
ne restera de tout cela nulle trace î Hâtons-nous donc d'inven- 
torier ces débris , car , pour détiuire , la main de l'homme est 
bien plus expéditive que celle du temps. 

Les deux tours que l'on aperçoit de si loin et de tant de lieux 
diiférens , les deux toui*s du Mont-Saint-Eloi , comparables et 
peut-être supérieures aux deux clochers de Saint-Sulpice , à 
Paris, sont encore debout. Notre ami, M. de Baralle, qui 
était au nombre des joyeux pèlerins qui ont fait cette course 
avec moi , vous en a tracé fe dessin. Leur architecture est no- 
ble et gracieuse. On peut juger de la richesse de la commu- 
nauté par le grandiose et l'élégance ornée de ses constructions. 
L'église à demi démolie , avec Sfs combles entr'ouveiis , est 
remplie de broussailles ; l'herbe croît sur le sol dont on a en- 
levé les dalles , et j'ai vu au pied d'un pilier du chœur , la 
touffe de sureau , sujet de la légende translatée dans mes vers , 
à laquelle vous prêliez naguère une oreille indulgente. Quant 
aux divers corps-de logis , ils n'offrent aussi partout que Kui- 



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nés et dégradations. Un vaste hôpital y fut établi en gS ^ lors- 
qire le théâtre delà guerre était dans nos contrées. J'ai pu lire 
encore sur plusieurs portes : Salle de la fraternité , salle de la 
montagne. On nous montra l'espace où furent enterrés 4^8 
blessés qui avaient succombé. Le nombre des inhumations 
s'éleva pourtant , dans ce lieu , à 489 ; la tombe de surplus est 
celle de la fille du concierge, morte aussi dans le même temps... 
Mais derrière ces souvenirs moins éloignés , revivent ceux des 
anciens propriétaires, et il faut convenir que les bons pères 
entendaient bien la vie confortable et douce. Voici leur somp- 
tueux réfectoire , carrelé de marbre noir et blanc , et dont les 
murailles sont encore revêtues de boiseries sculptées avec art. 
Ces deux cadres immenses qui gardent encore quelques traces 
de dorure , renfermaient sans doute des tableaux de prix , 
chefs-d'œuvre d'un grand artiste, mais les toiles ont disparu. 
Les sujets saints qu'elles retraçaient auront porté malheur aux 
peintures. Le service des nombreux domestiques était rendu 
plus facile au moyen de ce tour, placé dans l'épaisseur du mur 
du corridor, et qui communiquait aux offices et cuisines. Voici 
l'entrée des caves et par où arrivaient les vins. En face de la 
P'heminée était une table séparée, où siégeait l'abbé, entoui-é 
des dignitaires de la communauté. De cette place d'honneur, il 
présidait aux repas de ses moines , tandis que , pour obéir aux 
sliituts de l'ordre , un d'entr'eux faisait une lecture pieuse , 
mais fort courte , monté à cette tribune , dont la tablette ver- 
moulue a conservé le pivot en fer qui servait au pupitre. Le 
réfectoire des étrangers, dans le (|uartier séparé qui leur était 
affecté , n'était ni moins splendide ni moins bien approvi- 
sionné sans doute de tout ce qui concoui-t au luxe de la table. 
Pouvait-il en être autrement dans un pays très-giboyeux et 
riche en productions de toute espèce? 

Les tenues voisines sont excellentes et d'un très-gi-and rap- 
port. Les bois qui environnent l'abbaye recèlent les carrières 
dont on a extrait les grès qui ont servi- à sa construction . On 
jouit , des terrasses , d'une vue magnifique , et de là , l'œil de 
ces, heureux solitaires ne voyait rien autour d'eux qui ne leur 
appartînt. Mais aussi , confinés dans ce séjour de béatitude et 



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1^ 11 9^ 

de tranquilles travaux, ils ne pouvaient s'en absenter sans la 
permission de Tabbé. Sur deux à trois mille mesures de terre 
qu'ils possédaient, sept cent cinquante étaient cultivées par 
leurs soins. Leur enclos, non compris les bàtimens et une des 
plus vastes granges qui se puissent voir, avait soixante-sept 
mesures. La grange subsiste encore ; elle date de Taucienneab- 
baye. Plusieurs prieui'és dépendaient aussi de cette maison. 

Ce fut avec intérêt que nous visitâmes Tespace qu'occupaient 
jadis les petits jardins particuliei^ , délaissés depuis quarante 
ans par ces bons moines. C'est là qu'à travers les ronces et les 
hautes herbes, quelques beaux fruits mûrissent encore sur de 
vieux plants. Si leurs ombres étaient attentives , qu'ils nous 
pardonnent , ces bons l'eligieux , d'avoir dérobé là quelques 
pommes bien vermeiHes et des poilues excellentes! Lê^fruit dé^ 
fmiu est toujours cehii qui nous tentfc. 

Une fort belle grille , de plus de cinquante pieds de long , se 
voyait autrefois vis-à-vis le portail de l'église, du côté nord. 
Comme elle servait de clôture , on l'a remplacée par une igno- 
ble muraille. Les démolisseurs savent très-bien comment on 
fait de l'argent avec du fer. La grand'porte d'entrée de l'abbaye 
est restée la même ; mais Tune des deux portes latérales n'é- 
tant pas assez large pour le passage de ses chariots , l'un des 
propriétaires actuels, qui n'a pas d'autre entrée, a fait subir à 
cette porte plusieurs mutilations fâcheuses. Du reste, le soin 
qu'avaient pris les constructeui» de n'employer que des maté- 
riaux de choix, pour assurer la perpétuité de leur oeuvre , est 
cela même qui doit en hâter la ruine. Si l'on a besoin , dans les 
environs , de belles pierres ou de grès bien taillés ^ on sait où 
les trouver à un prix raisonnable. Par un étrange retour des 
choses d'ici bas, le pauvre se nourrit avec la substance du ri- 
che, et les villages voisins continueront long-temps encore à 
s'enrichir ainsi des pertes de l'abbaye. 

Nous n'eûmes point le tems de voir le local où fut la biblio- 
thèque , cartvpos uhi Trojafuit^ non plus que la partie du cloî- 
tre jadis consacré au logement personnel des moines et des no- 



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«120^ 



vices. Une aile entière, ayant vue«ur les terrasses, du côté du 
jardin potager et de l'ancien parc, a été démolie ; mais le quar- 
tier de l'abbé , et il est foii; grand , ses remises , ses écuries, son 
bûcher, le tout est resté intact. On s'étonnera peu des énormes 
dépenses que durent occasionner dételles constructions et leur 
entretien , lorsqu'on saura que les revenus annuels de la mai- 
son s'élevaient à plus d'un demi-million , ce qui ferait bien le 
double aujourd'hui ; aussi , tous les états , toutes les professions 
avaient là leur représentant : on trouvait, pour le soin des 
propriétés , le charpentier, le menuisier, le plombier, le maçon, 
et y pour ce qui concerne les individus , le tailleur , le cordon- 
nier, le barbier, etc. Un homme suffisait à peine au service du 
puits qui est dans l'une des Cours , et qui , par divers conduits , 
fournissait de l'eau à toute l'abbaje. Ce puits a deux cents 
pieds de profondeur; les deux sceaux énormes sont mis en 
mouvement au moyen de roues et de poulies. C'est là que, cha- 
que soir, soixante chevaux de labour venaient s'abreuver l'un 
après l'autre , à cette auge monsti*ueuse , creusée dans un seul 
gré semblable à l'une de nos Pierres jumelles, aux portes de 
Cambrai. J'ai parlé de la profondeur du puits qui , pour attein- 
dre au roc vif du bas de la montagne , a dû travei'ser des ter- 
rains évidemment rapportés. Chose extraordinaire! il j a, non 
loin de là , dans une cave voûtée, une source qui jaillit à quel- 
ques pieds au^essous du sol supérieur. Ce sol est donc primi- 
tif; et, dans lestems reculés, quelque hermite, séduit par la 
beauté du site , par la fraîcheur de l'air et par cette eau pure et 
limpide, aura bâti là sa cellule; puis vinrent les aggrandisse- 
mens successifs. De très-vastes établissemens et beaucoup de nos 
villes n'eurent pas d'autre origine. Un simple filet d'eau , c'est 
déjà la moitié de l'existence. 

On fait remonter à saint Éloi , qui vivait au septième siècle , 
la fondation de ce monastère , et ce fut , dit-on , en 908 que l'on 
trouva, dans les carrières circonvoisines , le corps de saint Vin- 
dicien , évêque de Cambrai etd'Arras , mort en 706. Saint Lié- 
bert , 33° cvêque de ces deux diocèses , alors réunis , porta la 
réforme dans l'abbaye , où il introduisit la règle de saint Au- 
gustin. Le nombre des religieux sVlevait à quarante j leur ha- 



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bit était violet, et l'usage de la mitre fut accordé aux abbés, 
par bulle du pape Urbain III , de Tan 1 18 1 . Pendant la durée 
de douze siècles , plusieurs fois détruite et renversée par le fer, 
par le feu , toujours réédifiée , agrandie et enrichie , grâce à de 
fréquentes dotations , environnée de murailles vers Tan 1274 , 
protégée par des tours en 1417, l'abbaye du Mont-Saint-Éloi , 
située à deux lieues nord-ouest d'Arras , a été rebâtie par les 
soins de Tabbé Roussel , né à Saint-Pol et mort en 1750. L'é- 
glise et les tours*ne furent reconstruites qu'en 176 1 . Le dernier 
abbé se nommait Laignel ; il fut une des nombreuses victimes 
de Joseph Lebon. Deux anciens religieux vivent encore; l'un 
d'eux est le respectable M. Lewille, chanoine-archiprètre et 
curé de Notre-Dame de Cambrai. 



A part toute considération sur l'esprit religieux qui fonda , 
en France , des couvens si multipliés , vous me demanderez , 
mon ami , qui peut remplacer, dans le bien qu'elles faisaient , 
ces riches corporations qui exécutaient de grandes choses tout- 
à-fait hors de la portée des particuliers ; qui , sur une vaste 
échelle , étaient à même de tenter des essais en agriculture , 
en économie rurale et domestique , élevaient de. superbes édi- 
fices dont l'achèvement assuré était indépendant de la vie des 
individus? A cela je réponds : r esprit â^ cLssoeiation , le vérita- 
ble esprit du 19* siècle, qui prendra de plus en plus racine 
parmi nous , immense levier dont l'action sera centuplée au 
besoin; l'esprit d'association, mais, par malheur; dans un but 
purement mercantile et positif, qui fera des canaux, des ponts, 
des tunnels , des chemins de fer, mais qui ne construira jamais 
de basiliques ni rien de semblable à ce qu'ont fait nos ayeux. 
Et regardons autour de nous : assurances) souscriptions, cais- 
ses de prévoyance et d'épargne, tout part aussi du même esprit. 
Si des choses matérielles nous passons aux travaux intellec- 
tuels qui veulent de la suite et une continuité d'efforts que ne 
peut offrir l'existence isolée et trop courte d'un homme , ici 
la comparaison sera tout à l'avantage du passé. Nos académies, 
sou» ce rapport , n'ont pu recueillir l'immense héritage de ces 
bénédictins qui joignaient tant d'érudition à tant de modes- 
tie. 



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' 



Sur ce sujet combien j'aurais à dire? 
Mais il faut s'arrêter et cousuUer vos goûts. 

Mes doigts d'ailleurs tout las d'écrire , 
Et le crayon m'échappe.... heureusement pour tous (i). 

Adieu donc, mon cher ami, vous qui êtes le vrai bénédictin 
des temps nouveaux , et qui', de plus , savez allier aux quali- 
tés du savant les devoirs de Thomme du monde et du citoyen , 
accueillez avec bonté cette lettre beaucoup trop longue, et ne 
cessez point de croire à ma tendre amitié. 

Fidèle Delcroix. 



[i] M. Ainif' Dupont, Bpitrt sur l» pares je. 



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M®(&]&ii»mi£ S/i&iPiiiitvittisnriiiLs^ 



( 1 1« ÀRTICLB. ) 



L'ABBÉ SERVOIS (i). 



Jean-Pierre Servoîs naquit à Cosne-6ur-Loire , (dépar- 
tement de la Nièvre) , le 8 août 1764; il n'était guère âgé 
que de cinq ans lorsqu'un accident affreux , qui semblait de* 
voir lui coûter la vie , vint jeter le trouble dans sa frêle orga- 
nisation et altérer sa santé pour toujours. Echappé un instant 
à la surveillance de ses parens , il se livrait au plaisir de la ba- 
lançoire avec d'autres enfans dans les combles d'une maison en 
construction. Une corde de l'escarpolette vint à manquer , 
et le jeune Servois fut lancé au loin dans la rue sur un mon- 
ceau de décombres. Grâces aux soins d'un chirurgien très- re- 
nommé (M. de la Houssaie)^ qu'on fit venir d'Auxerre , l'en- 
fant eut la vie sauve et en fut quitte pour une déviation de la 
colonne vertébrale , infirmité que ses parens regardèrent d'à-* 
bord comme un obstacle à ce qu'il fit des études suivies. A l'âge 
de douze ans on lenvoya à Bourges^ dans l'intention de lui 
faire acquérir quelques connaissances élémen tailles qui bientôt 



(1) CeUe notice a ëté rédigée en partie sur Its documens fournis y par M. 
Lancelle , curé-doyen de Garniéres. 



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\ie suffirent plus à son ardente passion pour le travail. Après 
s'être distingué à Tunivei^sité de Bourges, il vint continuer ses 
humanités à Paris ^ au. collège Mazarin , où il obtint les plus 
briUans succès. Ses deux professeurs de rhétorique, M. Char- 
bonnet et le célèbre Geoffroy , le remarquèrent et lui donnè- 
rent de précieux encouragemens. Ce fut à cetteépoque (1783), 
que M. de Servois fit connaissance de La Harpe ^ dont il cul- 
tiva toujours l'amitié et sur lequel sa mémoire lui fournissait 
une foule d'anecdotes pleines d'intérêt. Dès l'année 1781, il s'é- 
tait voué à l'état ecclésiastique, et avait la possession d'un béné- 
fice que lui résignait un commandeur de Malle. Lié d'amitié 
avec MM. Denon et Anbourg, secrétaires de l'ambassade d'Es- 
pagne et de Naples , il apprit Titalien sous leur direction , 
tandis qu'il faisait son cours de théologie. Il fut ordonné prê- 
tre en 1788 et attaché au séminaire de St.-Sulpice^ en qua- 
lité d'agrégé et de répétiteur des conférences. En 1790 on le 
nomma aumônier-chapelain du duc de Chaiti*es (aujour- 
d'hui Louis-Philippe.) En 1791 , il crut devoir adhérer au 
nouvel ordre de choses. Sa position lui fournit alors les 
moyens d'être utile à plusieurs prêtres qui professaient d'au- 
tres opinions et qui trouvèrent chez lui un asile contre d'af- 
freuses pei'sécutions. Un an après, le 9 août 1792 , il sou- 
tint , devant les Jacobins , qu'on ne pouvait sans crime , vio- 
ler l'asile du Roi , et, lors du jugement de ce prince infortu- 
né, qu'on ne pouvait, sans être parjure, le rechercher pour 
des actes antérieurs à sa déchéance. Il fut deux fois incarcéré 
comme royaliste; il venait même d'être condamné à la déten- 
tion jusqu'à la paix générale, lorsque sa présence d'esprit, se- 
condée par le zèle de quelques amis , le fît échapper à cet arrêt 
de proscription. A la même époque , il remplissait dans une 
paroisse les modestes fonctions de vicaire. Obligé de s'en dé- 
mettre pour sauver ses jours, il eut le courage d'écrire au pré- 
sident de sa section la lettre suivante : (c Citoyen président, 
» je te prie d'annoncer à l'assemblée que , déterminé à me re- 
» tii'er dans le sein de ma famille, j'ai donné au curé de St.- 
y> Augustin la démission de ma place de vicaire. Je déclare que 
» je naijanvais eu aucun doute sur la vérité dh la religion ca- 
y* thoUque , et que je renonce à toute pension qui pourrait m*ê- 
)) tre accordée , soit à titre de démissionnaire , soit à tout au- 



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» tre (i). Tii Tandis que la saine partie de cette société applau- 
dit à une déclaration aussi noble , un forcené s*écrie : a Vous 
» venez de l'entendre, ce prêtre audacieux qui cherche à ral- 
y> iumer les toi^ches du fanatisme.... Je demande qu'il sôit ar- 
» l'été sur-le-champ et traduit au comité révolutionnaire. » 
L'abbé Servoisétait présent, ce Auriez-vous mieuxaimé^ dit-il, 
» que je vinsse ici blasphémer le Dieu que vous avez adoré vous- 
y) même? Je n'ai que vingt-neuf ans; quel mépris, quel châ- 
» tin^nt ne mériterais-je pas si je venais déclarer que , depuis 

» cinq ans, je fais le vil métier d'imposteur Je n'envie pas 

» les lumières de mes persécuteurs ; j'aime mieux passer pour 
» ignorant que pour fourbe. Oui , tout ce que j'ai pu vous 
» annoncer du haut de cette chaire (a), je le croyais comme 
•» je le crois encoi*e. » Il paya tant de hardiesse par cinquan- 
te-trois joura de captivité, à l'expiration desquels il obtint un 
passeport pour se retirer dans le département du Cher. A la 
chute des terroristes, quelques savans, voulant l'associer à 
leurs travaux , le rappelèrent à Paris. Son premier soin , en y 
arrivant, fut d'élever dans sa maison un autel pour l'emplir 
ses devoirs religieux. Il prit part dès>lors à quelques ouvrages 
publiés sous les noms de MM. Barbie du Bocage , Denon et 
d'une société de gens de lettres. Ses liaisons avec la respectable 
famille anglaise Millingen, qui habitait Paris, lui fournirent 
l'occasion d'apprendre le malais et de traduire plus tard un 
traité écrit en cette langue sur les lois civiles et religieuses du 
peuple malais. Il ne cessa, depuis lors, de conserver des l'ela- 
tions avec MM. Millingen , dont l'aîné figure au rang des pre- 
miei's antiquaires de TËurope ; l'autre est un très-habile com- 
positeur pour les théâtres lyriques. Ce fut alors aussi que M. 
Seivois se livra à l'étude de l'anglais, et préluda ainsi à ces 
utiles traductions qui devaient lui faii'e un nom dans le mon- 
de littéraire. Au retour de l'ordre , il accepta une place supé- 
i-ieure dans l'administration de l'enregistrement. Si ce fut un 
tort, labbé Servois ne tarda pas à le reconnaître et à repren- 
dre l'exercice public de ses fonctions ecclésiastiques. Dans les 



(i) Procéfl-Yerbal et arrêté de la sociétë de Guillaume Tell, frimaire au 2. 
(2) li parlait dans Véglise même où il avait été vicaire. 



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deux assemblées ou conciles du clergé dit constitutionnel , il 
combattit avec chaleur tout ce qui pouvait prolonger la divi- 
sion des esprits. Quand le cardinal Caprara vint à Paris pour 
conclure le concordat , M. Servois s'empressa de lui offrir 
rhommage de sa soumission au Saint-Siége , et suivit à Cam- 
brai, en qualité de vicaire-général , Mgr. Belmas, dont les 
vertus et la science venaient satisfaire aux besoins spirituels 
de ce vaste diocèse. M. Daii^, nommé en même temps seci^- 
taire-général, était Tami intime de M. Servois; ils ne cessèrent 
jamais d*habiter ensemble et de travailler de concert à la réu- 
nion de tout le clergé dans une cordiale et pacifique coopéra- 
tion. Les soins qu'il donnait à l'administration de lëvéché ne 
Tempéchèrent pas de poursuivre ses travaux philologiques. £n 
1806 , il publia , avec M. Barbie du Bocage, la traduction des 
Vayages de Chandler en Grèce et dans VAe^ mineure , 3 volu- 
mes in-8°. Riom. a C'est, a dit M. Walckenaer, une des tra- 
li ductions les plus exactes et les mieux faites. Elle est précieu» 
7> se à consulter, mémeapi'ès Toriginal , à cause des notes géo- 
)» graphiques, historiques et critiques des traducteurs, d 

M. Sei^vois, qui avait été en 1864 Tun des fondateui*s de la 
Société d'Emulation de Cambrai^ et qui la présida à diverses 
reprises, a enrichi de plusieurs articles curieux les mémoires 
de cette compagnie savante. Parmi ses opuscules nousciterons: 
i® Dissertation sur l'ostensoir d*or offert par Fénelon à son église 
métropolitaine , in-8®. Cambrai, 1818, dissertation qui a donné 
lieu à une controverse fort animée , dans laquelle il nous pa- 
raît que M. Servois n^a pas été réfuté ; 2° Dissertation sur le 
lieu où s'est opérée (a transfiguration de N. S. , in-8** , Hurez , 
1 83o ( I ) ; 3° Notice sur la vie et les ouvrages de Samuel Johnson^ 



(1) On croit et l'on répète communément que la transfiguration a eu lieu 
sur le Thabor. Cette opinion , qui n'est pas fondée sur le texte des évangiles, 
peut être controversée. Ce sont là de ces points matériels laissés à la discus- 
sion des hommes, et sur lesquels on peut prendre le parti qu'on voudra , 
sans blesser le respect dû aux livres saints. M. Servois a donc recherché si 
l^'opinion commune , dans la question dont il s'agit , était fondée en raison , 
et il a reconnu que l'itinéraire suivi par le Sauveur, avant et après la transfi- 



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in-8-. Cambrai , iSaS. Il ^tait en outre membre de plusieuw 
académie, et eociëtës savantes, entr'autres de la Société des 
Antiquaires de France et de la Société de Géographie (a). 

A une grande vivacité d'esprit qui rendait sa conversation 
aussi agréable qu'instructive , M. Servois unissait de précieu- 
ses qualités morales. Obligeant même envers ceux dont il pou- 
vait avo.ra se plaindre, charitable jusqu'à oublier ses intéréu 
propres ,1 laissera à Cambrai et ailleurs les souvenirs lesplus 
ftonorables, même parmi les personnes qui pouvaient ne pas 
paruger ses opinions sur quelques points. Une maladie que 
es soins les mieux entendus ne purent conjurer, le conduisit 
lentement au tombeau. Quelque temps avant de mourir , il 
voulut i-ecevoir publiquement les secoui-sde la religion. Il ex- 
P'ralebjnin i83i. A la suite de ses funérailles, les regrets 
publics furent exprimés sur sa tombe par les membres du bu- 
reau de la Société d'Emulation. 

A. Le Glat. 



garation , ne pouvait <e concilier avec la situation du Tliabor. 11 est porte à 
croire que la manifestatioa de Dieu-Homme , dans toute sa gloire , eut lieu 
•ar le Liban. Du reste , M. Ser»ois ne donne pas celle idée comme nouvelle ; 
■I «eplait au contraire i citer les écriTaios orthodoxes qui, dès le seizième siè- 
cle .l^aTaient exprimée. Il y joint le lemoignag'e de voyageurs modernes qui 
ont bit on examen attentif deslieux. 

{2) L'abbë Servois avait prépare une traduction du Code de Menou qu'il 
allait publier lorsque la mort est venue l'arracher à ses travaux scienlifiques. 



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®riittbeir£â fôa:ittiMr£ât£ti:â. 



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leur a donné la terminaison qui convenait à son langage (i). 
Les brillans troubadours sont plus célèbres et plus connus ; 
les modestes trouvères sont plus délaissés et moins appréciés. 
Cela tient peut-être autant à la réserve et à la vergogne na- 
turelle des hommes du nord, qu'à Tamour-propre et à Toutre- 
cuidance qu'on reproche quelquefois aux habitans des rives 
de la Garonne. Quoi qu'il en soit , il reste bien prouvé aujour- 
d'hui que le nord de la France eut ses poètes du moyen âge 
qui ne manquèrent ni d'imagination , ni d'élégance : s'ils 
sont trop oubliés en ce moment , c'est moins faute de génie 
de leur part , que manque de nationalité de leurs successeurs 
qui ne rappellèrent pas assez souvent leur mémoire. La guerre 
aussi y qui tant de fois ravagea nos belles contrées sans oesse 
disputées ^ eut quelque piart à ce délaissement , ou plutôt à la 
dispersion et à l'abandon forcé des matériaux restés 'après eux. 
Il appartient au siècle, qui cherche à raviver les souvenirs d'art 
et de littérature du moyen âge , de réparer autant que possible 
un trop long oubli ; c'est presqu'un devoir filial que celui qui 
commande de rendre les honneurs dûs à ces célébrités en- 
fouies : aujourd'hui , nous avons tous mission de remettre à 
flot ces réputations poétiques , qui , n'étant pas assez bieu les- 
tées pour arriver à bon port jusqu'à nous , ont fim par échouer 
devant l'écueil des siècles» 



Il sera sans doute trop tard pour quelques uns de ces pre- 
miers pères de la poésie romane ; leurs œuvres, et jusqu'à leur 
souvenir, ont péri. L'imprimerie, cette précieuse conserva- 
trice des monumens littéraires , n'existait pas encore : ne nous 
étonnons donc pas du peu de popularité qu'ont obtenu jus- 
qu'à présent les travaux de nos anciens trouvères. A peine si 
leurs productions furent écrites ; lep unes passèrent dans le» 
ckants des contemporains et se perdirent peu à peu dans le 



(s) Trouyear^ trouvère , trouvadour ou troubadour , répondent parfaite- 
ment à notre mot poète y {ormédugeecpoiéô , qui signifie inventer, trou- 
ver } ainsi Homère le poète pouvait , au moyen âge , être traduit .par Ho- 
mèrt l^ trouvère. 



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sonvenir des peuples; et pour celles qui reçurent les honneurs 
d*étre consignées dans les recueils du tems par la main des 
calligrs^hes ( honneurs bien plus rares alors qu'aujourd^hui 
ceux de Timpression !), il faut les aller rechercher péniblement 
sous la poussière de vieux manuscrits , frustes -et délabrés , 
rares à rencontrer, difficiles à déchiffrer et à comprendre , et 
souvent dispersés dans des dépôts scientifiques étrangers à ia 
France ! 

En dépit de ces difficultés , qu'un petit nombre de person- 
nes apprécieront à leur juste valeur , des recherches bien con- 
duites sont heureusement tentées en ce moment par des hom- 
mes capables , pour faire sortir des ténèbres ces premiers essais 
deis poètes nationaux ; on veut enfin débix>uiller ce cahos litté- 
raire où se trouvent tant de perles cachées. Une s'agit de rien 
.moins que de constater le savoir, le goût et le génie de nos 
pères 'y de ces hommes du nord , longtems calomniés sous le 
rapport intellectuel, et que, pour peu qu'on les étudie, on 
trouve cependant si gais , slJ^eureux , si fins , dans leurs gra- 
cieuses .créations. 

11 est vrai que la langue romane, que parlaient les trouvères 
du Cambrésis, de la Picardie et de i' Artois, servait merveil- 
leusement à donner à leurs Jlabels un caractère de naïveté 
tout-à-fait attrayant. Ce langage, comme son nom J'indique , 
venait des romains et en avait retenu l'esprit ; imposé par les 
maîtres du monde après leur conquête des Gaules , il fut suivi 
par les Franks , qui , vainqueurs , adoptèrent la langue et une 
partie des usages des vaincus plus civilisés que leurs nouveaux 
maîtres. Cet idiome s'altéra sans doute en prenant et en per- 
dant successivement des mots qui se remplaçaient , mais il con- 
serva toujours son caractère primitif, et même la prononcia- 
tion romaine. Ce fait se démontre par l'identité de la pronon- 
ciation de certaines syllabes très usitées de la langue romane 
avec celles identiques de l'italien qu'on doit supposer avoir 
conservé les meilleures traditions romaines (i). 



(i) Cette identité, dont la remarque n'a , je crois , encore été pnbliëe par 



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Le Roîtian, langue nationale du moyen âge, était donc jadis 
parlé dans notre pays par toute la population , riche ou pau- 
vre. Quand les seigneurs quittèrent leurs châteaux, quand 
les jeunes clercs allèrent s'instruire dans les écoles de Paris , 
il se forma un parlage plus poli pour le monde éclairé , et in- 
sensiblement le vieux langage devint ^a/o/^ et resta le lot du 
petit peuple des viljes et des campagnes. Ceux-ci , qui chan- 
gent peu de chose dans leurs allures et leurs habitudes , le 
gardèrent , et n'y introduisirent que de loin-à-loin et bien 
lentement de légères modifications ; aussi , même aujourd'hui , 
reste-t-il plus que des traces du roman dans le patois cambré - 
sien. C'est au point qu'un magister de nos villages , pris au 
hasard , lira peut-être avec plus de facilité une chanson roma- 
ne , que tel parisien éclairé qui n'aurait pas fait une étude 
spéciale de ce langage. Qui pourrait ne pas voir en effet l'affi- 
nité qui existe entre les vers suivans, écrits en i3oo , et le pa- 
tois ordinaire du peuple de nos campagnes? Ils sont tirés de 
la romance de Raoul, sire de Crequi , impnmée en io5 cou- 
plets dans le i^^ volume des Nouvelles historiques de M. d'Ar- 
naud. 



ce Le sire de Crëki adonc ne feut occhi , 

« Reprint lie chieyalier ; car, dame , le vencby ; 



personne, est frappante. En effet, nous voyons que dans le vieux langage , et 
dans le patois cambrësien qui en de'rive, le mot , qu'on écrit aujourd'hui avec' 
cA était prononcé dur ; ainsi ou disait ^/e/i pour chien; kène pour chêne-, 
catiau pour château ; kan^ne pour chanoine , etc. Et en italien , le mot 
qoi prend également le ch eêl aussi prononcé durement ;• comme antichita , 
qui se dit : antiquita , etc. 

D'un autre côté , notre patois adoucit la prononciation duce^ du ci, com- 
nac s'il y avait che , chi-, exemple : ichi pour ici; chire, chiron ; pour cire; 
cheni pour cent , etc. Cette prononciation est aussi exactement la même en 
italien. Il serait encore facile de montrer bien d'autres rappoi'ts entre les son» 
«t l'orthographe de notre ancien langage , perpétue dans le patois , et ceux de 
la langue d'au-delà des Alpes. 



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^<c Ravisieiz been , chey rty ,'maugrey tant de misière^ 
a Connechez Vos mary.quy vos aToyt sy kière. 



«c Li sire awœuk s* dame vesqueist pleus de vingt ans 
« En grand amour, et eut encoires septenfans^ 
' a Funda un grand moustier, feit dons ous monastères 
' a Et amandia tous cheus qu'avoyent fundiëys siés pères. » 



Ces paroles, qui auraient besoin d'une traduction dans l'in- 
térieur de la France y seraient parfaitement comprises dans le 
moindre hameau du Cambrési». 



Tout altéré qu'il était, ce langage vulgaire, ayant conservé 
quelques unes des terminaisons sonores du latin , se prétait 
facilement à la rime ; c'est peut-être là un des motifs qui in- 
troduisit le goût des vers si généralement dans le Cambrésis-et 
tous les environs , dès le iLll^ et le }ÇIII« siècles. Sans par-. 

-1er des nombreuses chansons qu'on y composa , cette verve 
poétique se révèle assez dans les institutions et les monumens 
du tems. Presque tous les vieux édifices présentent des inscrip- 
tions en vers ; les gothiques épitaphes sont en poésie romane; et 
nos plus vieux proverbes , qui datent de cette époque, forment 
encore aujourd'hui un dystique rimé. En même tems , s'éri- 
geaient dans nos villes des confréries poétiques en l'honneur 
de la mère de Dieu , où ', par un mélange bizarre du sacré et 
du profane qti'on retrouve si souvent au moyen Ige , on rem- 
plaçait Apollon par la Vierge , l'Hélicon par le Puy^ qui pré- 
sente aussi l'idée d'une montagne, et l'invocation de ce nou- 
veau parnasse se fesaitsous le titre mystique de Notre^Dame^ 

, du-Puy. Telle est l'origine des- Puys d'amour y des Puys verds^ 
où se redisaient les ballades et chants royaux en l'honneur de 
la Vierge , et où l'on délivrait à l'auteur de la meilleure pièce 
des couronnes de fleurs et d'autres plus solides en un riche 
métal ; on les nommait Chapeh de rose» et Chapele d'argent. Ces 
assemblées , qu'on peut regarder comme les premières sociétés 



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littéraires du pays, avaient déjà lieu à Varenciennes en i22Çf^ 
sous le nom: de Notre^Dame-^du-Pui/j et vers i33o à Douai sous 
le titre àiàGowfrérie des Clercs parisiens. Ainsi , rien n'est nou- 
veau^ous le soleil ! Les concours académiques qu'on célèbre 
aujourd'hui se tenaient dans les mêmes enceintes il y a cinq 
ou six sièeles ! Que de choses anéanties depuis lors ! Et pour— 
tant , idée consolante , l'amour des lettres est resté. 

Cambrai eut aussi une de ces anciennes sociétés littéraires , ' 
auxquelles on donnait le nom générique de Chambres de Rhé- 
torique (i). Ces espèces d'académies, s'étaient tellement répan- 
dues dans nos provinces , que toutes les villes, un peu considé- 
rables en possédaient. A des époques solennelles > elles décer- 
naient des prix aux auteurs qui avaient le mieux résolu de» 
questions mises au concours , et aux sociétés qui exécutaient , 
durant ce congrès scientifique, les plus belles moralités , genre, 
de pièces dramatiques du tems. Un jour, dit M. de la Sema 
Santander (2), la chambre dé rhétorique d'Arras distribua des 
prix sur la question : Pourquoi la paix ne venait point en. 
France ? Question tout-à-fait de circonstance dans un siècle 
oii la guerre était incessante. Les sociétés de Cambrai, Valen- 
ciennes , Douai, St. -Quentin et Hesdin se hâtèrent de se ren- 
dre à Arras , pour répondre à l'appel qu'on leur fesait , et 
peut-être aussi un peu par curiosité et pour apprendre powr— 
quoi la paix ne. venait pas?. 

Il était rare cependant qu'on s'occupât de déb'ata politiques • 
dans ces assemblées à la fois dévotes et poétiques; lessujets pieux 
étaient à l'ordre du jour, et l'onétaitau moins tenu de parler de 
VAssomptionde la Vierge dans une des strophes des pièoes qu'on- 



(i)Le mot rhétorique ëtait alors synonime de po^sif , .versification ; on 
âiiuâi dix Jj ignés dé Bhètorique , pour dès vers , un maître de rhétorique 9 
pomr un profitsseur de poésie, 

(2) Mémoire historique sur la bibliothèque de Bourgogne-, Bruxelles 
1809, in-4** 



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y lisait , allusion mystique et pieuse , qui , pour le dire en pas- 
sant, s'alliait quelquefois assez singulièrement avec le reste de 
la matière ': mais Topinion du tems était qu'un servUeur de 
Marie ne pouvait jamais être damne, aussi s'empressait-on de 
faire preuve d'attachement à la mère de Dieu dans toutes les 
compositions de ce genre , longtems désignées sous le nom de 
fatras divin. 

Il est une remarque essentielle à faire ; les premiers vers 
composés dans nos contrées sortirent des cloîtres , et cela était 
tout natui^l : il advint un tems où les lumières , presque par- 
tout éteintes en Europe par la barbarie , trouvèrent néanmoins 
un refuge sous Thumbletoit des monastères; les moines leur 
accordèrent un droit d'asyle, et, sachons dire franchement à la 
louange de ces hommes , le peu de bien qu'ils ont fait , ils su- 
rent longtems conserver, et presque seuls, le feu sacré de la 
science. Les premiers , ils cultivèrent le yat savoir, et tinrent 
pendant quelques années avec gloire le sceptre des muses. Ce 
fîit alors ques'ouvrit pour le Nord une ère poétique. Mais bien- 
tôt les lumières y dépassant Tenceinte des couvens y se répandi 
rent au dehors ; les moines furent débordés. Ib ne purent plus 
lutter avec les hommes du monde que la fréquentation des châ- 
teaux y et surtout la société des dames , polirent de plus en plus. 
La poésie, passant dans de nouvelles mains, s'appliqua sur de 
nouveaux sujets : \es jeux^partis , les plaids sous T&rmel, espè- 
ces de controverses d'amour, remplacèrent les miracles , les lé- 
gendes des saints ; lesflahels ou fabliaux , les pastourelles , suc- 
cédèrent à la louange éternelle de la Vierge-Marie, sujet iné- 
vitable, qui, comme l'éloge de Clémence Isaure à Toulouse, 
ou de Richelieu à l'Académie , revenait sans cesse sous la plu- 
me des bardes religieux du Nord. 

Les cours d'amour s'organisaient aussi dans le beau pays que 
nous habitons. Ce juri amoureux, tout entier alors dans Fes- 
prit de ces tems chevaleresques , comme le juri politique est dans 
celui de notre époque , avait les dames pour présidentes nées ; 
leurs arrêts étaient sacrés et leurs décisions formaient jurispru- 
dence pour toutes les questions galantes : aussi ces juges fépii- 



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ninr furent-ils souvent chantés par les trouvères; Legrand" 
d'Ausajy qui a compulsé tant de fabliaux, assure qu'on n^ 
trouve jamais de louanges qu'en, faveur des beautés bùndeê : c'é- 
taient les beautés du pays. 

Onv pourrait croire que ceff eours amoureuses n'avaient lieu 
que pour récréer un monde frivole et l^erj point du tout: des 
kommes graves , revêtus de la robe magistrale ou de la tunique 
ecclésiastique ,. participaient à ces fêtes. Le président Rolland 
(fr) nous a conservé des détaik précieux sur les grands seigneurs 
de nos provinces et les chanoines de Cambrai , Lille, Tournai 
et St.^Omer, qui, escortés des nobles prévôts des villes de Lille 
et de Tournai , assistèrent à la cour amoureuse tenue par le Roi 
Charles VI , et y remplirent tous des fonctions. 

Telles étaient les réunions qui excitaient la verve des poètes 
du pays ; d'un autre o6té , la noblesse vivait dans ses terres , et 
se réunissait en certaines occasions et pour certaines fêtes que 
l'on. célébrait par des chants. On n'avait point alors de specta- 
des r^lés ; les trouvères , agréables conteurs , en tenaient lieu. 
Admis à la table, à l'intimité des grands seigneurs, ils réci- 
taient leurs fabliaux , ils chantaient leurs servantois, en s'ac^ 
oompagnantde la vielle ou de la harpe. Ces chansons gracieuses 
et délicates, suivant qu'elles parlaient d'amour; satyriques et 
mordantes, quand elles peignaient les abus du tems, étaient 
écoutées avec une attention religieuse, surtout quand les poè- 
tes se trouvaient assistés de chanteurs, qu'on appelaient auôsi 
jongleurs , et qui, soutenant les vers par des violes et des re- 
becs, partag^ient les applaudissemens des auditeurs. Ces di- 
vers virtuoses recevaient ensuite des récompenses brillantes, 
de riches cadeaux , des chaînes d'or, et jusques aux robes des 
princes et seigneurs qui les écoutaient; les grands ne croyaient 
pas trop faii*e en se dépouillant eux-mêmes pour parer ceux 



(¥) RecTierches sur les prorogatives des Dames chez les Gaulois, sur. 
les conrs d^amour, etc. Paris, 1787, in-12, pages 162-166. 



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dont le génie leur fesait éprouver les plus douce» jouissances. 
Le Tournoiement d'Antéchrist, roman composé au commence- 
ment du règne de St.-Louis , explique , en vers de Tépoque , ce 
déduit de la nobless* : 



« Quand les tables ostées (vrest 

» Ckljugleuren ptës estnrent, 

» S'ont vielles et harpes prises , 

B Chansons, sons, lais, vers et repiises;^ 

» Et de gestes chantes nos ont. 

3» Li escuyer Antéchrist font 

•» Le rebflrber par grand déduit. » 

Cest ainsi qu'on peut se représenter les trouvères du Cambré- 
sis fréquentant les nobles châteaux dJEsne^d'Oisy, d'Ëlincourt 
et de Grévecœur, dont les maîtres ne décLaignaieat quelquefois 
pas de suivre les traces en s'essayant aussi dans la gjaie science» 

Parmi cette phalange de poètes , arm^ à la légère , qui cou- 
raient les châteaux de la France septentrionale , nous en avons 
distingué dix-huit ou vingt , qui appartiennent tous au Cam- 
brésis , et nous n'avons pas la prétention de croire que nous 
n'en ayons pas omis. Et cependant, nous nous sommes arrêtés 
au XIV* siècle, n'admettant même pas dans cette liste, comme 
trop tard venu , Tillustre Pierre d'Ailly, évoque de Cambrai, 
qui, lui aussi , composa des vers en vieux français. D'après ce 
nombre, on peut juger de celui des trouvères des provinces qui 
entourent le Cambrésis. Ceux de la Picardie sont innombra- 
bles : Les trouvères d'Arras , à eux seub , forment un faisceau 
de noms qui viendraient à Tappui de l'opinion de Tabbé Le- 
beuf, combattant celui qui donna cette ville comme n'ayant 
j amai^ produit un seul homme remarquable. Les trouvères Jean 
Bodel , Courtois , Moniot , Antoine Duval , Vautier, Jean Bre- 
tel, Jean Caron , Jean Charpentier, Vilains , Carasauz , Hugues ^ 
Sauvage et Baude Fastoul , d'Arras , ont tous laissé des œuvres 
dignes d'éloges ; Sauvage et messire le Quênes ou le Comte , de 



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Bethune; Gibers, de Montreuil; Guillaume, de Bapaume^ 
Hue de Tabarié , Châtelain Saint -Orner; et dans la Flandrt, 
Jacquemart Giélée, Fr émaux , Pierre le borgne ou le trésorier, 
et Richard, de Lille; Michel Dou Mesnil, Seigneur du village 
d'Auchy; Jehan et Gandor, de Douai; Gilles li muisis, Phi- 
lippe Mouskes, de Tournai; Colmi, de Hainaut; Jehan et 
Bauduin , de Condé; Jehan Baillehaus, de Valenci^ennes, ' 
)i) sont tous poètes du XIII* siècles, qui rivalisèrent les 
Cambrésiens , et doivent partager avec eux Thonneur de soute- 
nir au moins la comparaison avec les rimeurs provençaux. 
On voit que le Cambrésis et les provinces qui Tenvironnent 
peuvent être appelé le berceau des trouvères, au même titre 
que le^ méridionaux ont surnommé leur Provence la hautiqua 
deh troubadours. 

Je ne parle pas même ici des poésies du XIII« siècle , qui , 
n'étant accompagnées d'aucun nom d'auteur, peuvent néan- 
moins, par le ton de la pièce, par Le langage qui y est. parlé , 
les localités^ les noms qu'on y cite , être Judicieusement attri- 
buées à des trouvères de Cambrai ou des environs du Cambré- 
sis. Je n'en veux pour preuve que la pièce suivante ,*^ex trait 
d'un recueil manuscrit des poésies françaises écrites avant i3oo, 
et déjà publiée par B. de Roquefort en 1 8 1 5 et 1 8a i (2). C'est 
une Pastourelle, composée par un chevalier qui se nomme lui- 
méme <Andre, et qui raconte fort naïvement une aventure ga- 
lante qui lui arriva sur le grand chemin entre Arras et Douai : 



(0 Qoelqucs-nns des Seryentois et Sottes Chansons couronnés à Fa- 
lenciennes , par le trouvère Jehan Baillehaus ^ (firent publies par R. de 
Roquefort en 1821 ( Etat de la poésie française dans les XII^ etXUIf. siècles, 
pages 378-387]. M. Hëcart les fit imprimer avec de grandes additions , et en 
plus grand nombre , à Valencîennes , Prigneifils, 1827, pel. in-4°» — 
Nouvelle édition, ibidem ^ i833, in 8°, encadré. On en prépare en ce mo- 
ment une 3* édition avec quelques corrections. — Nous reviendrons dans un 
article spécial , qui sera inséré dans les livraisons suivantes des Archives du 
Nord y sur Jehan BaiUehaus et tous 1m trouvères Flamands et Artésiens cité» 
plus haut. * 

(2] De Tétat de la poésie frauçaise dans les XII« et X!II« siècles , Paris ^ 
1821 » ia-8<' page 391. ^ ., 



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L'autr^ier (avant-hier) quant chevaochoie 

Tout droit d'Ârras jen Douai» 

Une pattore (bergère) trouToie 

Aioz (jamtif) plus beUe n'acoiolai. 

Gentement la saluai : 

« — Bêle , Des (Dieu) vos doSat (vo^s domie) hwî joie , 

ce — > Sire« Dex le vos otroie 

ce Tout honore sans nul délai ^ 

a Cortois estes tant dirai. ^ 



m 



Je descendis en Verboie (la prairie) 

Lez li (près d'elle) seoir m'en alai : 

a — > Si , li di , (lui dis-je) ne tous ennoi. 

ce Bêle , votre ami serai , * 

ce Ne jamès ne vos faudrai (ne vous serai infidèle) 

ce Robe auroie de drap de soie, 

« Fremaz (boucles) d'or, huves (habit)» corroies (ceintures). , 

« Guëvrechiés (coiffure), trëcéors (rubans) ai, 

a Sollers pains (souliers de couleur) grans vos donrai. » 



a. — Sire, ce respont la bloie (h blonde) , 

ce De ce vos mercierai , (decer je vous remercierais) 

ce Mas (mais) ne sai comment Varroie (les aurai j« 

ce Robin mon ami que j'ai , 

CE Car il m'aime, bien le sai , 

ce Pu cèle sui , qu'en diroie ? 

ce Ne soufrir ne le pourroie 

a Mes tant vos otroierai 

ce Jaqiès jor ne vos harrai (ne vous haïrai)..* •'« 



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« 

« Biau tire, je n'oieroie, 

« Car por Robin le lairai 

<c S'il Tanoit ci que diroie ! ! 

ce Si m'ait Dieus , je ne sai , 

a Vostre Tolentë ferai ! d 

Je la pris , si Tasouploie 

lie giev li fis toute Yote 

Onques g«ères n'y tarjai, (je o'j mit paft|[rand teint) 

Mab pueek la trorai. 

Bile me semont et proie (demande et prie) 

Si ces convens li tendrai , (si je tieùdrai les conventions) 

Por tout l'avoir que je ai , 

Sur mon cheval l'encfaarjai ; 

Andrieu sui qui maine joie , 

Ma pucelette doignoie 

Droit en Arrat l'enportar, 

Grans biens li fis et ferai. 



Qui De reconnaît dans les mots sollers, pour smdiersy lairai 
pour fuiiler, biau, pour beau, taryaij pour tarder, etc. 'etc. 
le vieux parler Cambrésien ? Le langage du beau sire Andrieu 
a un goût de terroir qui nous* porte à penser que son manoir 
était situé sur les confins du Cambrésis et de F Artois. Quoi 
qu'il en soit j nous ne pouvons nous empêcher de remarquer 
que cette ^petite pastourelle est contée avec grâce et adresse , et 
qu'elle est une peinture fidèle, quoiqu'un peu crue, des 
mœurs du tems et de l'abus que la chevalerie fesait souvent 
de sa force et de son pouvoir , lorsqu'elle n'était pas occupée 
à redresser les torts. 

C'est ici le lieu d'établir le caractère particulier qui distin- 



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gue les productions des trouvères du Cambrésis et de leurs voi- 
sins. Leur manière de narrer est simple, claire, naïve; elle se 
rapproche du dialogue et tient presque de la forme dramati- 
que. On y trouve du sentiment, de la délicatesse, et des pein- 
tures du cœur humain d'une vérité qui étonne et enchante : 
il règne dans leur style un reflet de bonhomie souvent relevée 
par un proverbe sensé, ce qui n'exclut pas la finesse delà pen- 
sée, et cette expression si moqueuse, ce ton si naturellement 
railleur, véritables types des compositions de nos trouvères. Un 
autre caractère qui leur est propre, et dont il ne faut pas trop 
se vanter, c'est un cynisme dans les mots et les détail», que la 
simplicité du tems ou la pauvreté de la langue peut seule ^ire 
pardonner : nos poètes ne voyaient point de mal à nommer, 
comme dit le Roman de la Rose , tout ce que Dieu a fait, et ils 
ont grand soin d'appeler chaque chose par son nom. Du reste, 
ils possèdent une variéjté de couleurs , une richesse d'imagina- 
tion qui les met, sous le rapport du génie, beaucoup au-des- 
sus des troubadours. Ces derniers chantaient constamment le 
printems, les fleurs, se lançaient dans les régions éthérées à 
l'aide d'un style boursouflé, et ne sortafent guères d'un certain 
cercle d'idées; les trouvères au contraire, plus naturels, meil- 
leurs peintres de l'époque , chantaient ou plutôt contaient 
bourgeoisement l'anecdote du jour, l'histoire du prince, les 
moeurs du couvent, les aventures d'amour, enfin tous les plai- 
sirs de la vie et de la société : les troubadours étaient les classi-- 
ques exagérés du moyen âge, les trouvères en furent les ro- 
mantiques raisonnables ; les premiers pourraient passer pour 
des {)eintres collés-montës , et les seconds pour de gracieux 
peintres de genre. Il résulte de là que les uns deviennent par- 
fois noblement ennuyeux, tandis que l'allure franche et rotu- 
rière des autres plait et amuse toujours. 

Et qu'on ne croie pas que notre position d'homme du Nord 
nous fasse juger trop favorablement les anciens poètes du pays ; 
dans le siècle dernier, une fntte s'engagea sur les divers méri- 
tes des trouvères et des troubadours : Barbazan, Legrandd'Aus- 
sy, La Curne Ste. Palaye ; les abbésPapon, Millot et de Fonte- 
nay, Mayer etBcrenger, ont rompu des lances à la plus grande 



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gloire poétique du Nord et du Midi ; de dos Jours , Mëon , de 
Roquefort et le savant Reynouard , ont encoreéclairci ce point 
de littérature, et ce n'est qu'après tous ces scientifiques efforts 
que les érudits auteurs de V Histoire littéraire de la France sont 
arrivés, dans leur seizième volume, à traiter la question des 
poètes du XIII« siècle. L'opinion de ces savans consciencieux 
est d'un poids immense dans la balance ; ils n'appartiennent 
à aucune province exclusivement, ils ne voient que la gloire 
littéraire de la France en général ; et voici leur impartial juge- 
ment sur nos trouvères i « A notre avis disent-ils, ces chan- 
» sons françaises soutiennent avanto^^u^m^n^ le parallèle avec 
» les chansons provençales du même tems : les idées y sont 
» plus ingénieuses ; l'expression des sentimens y est plus 
» simple, et par conséquent plus vraie. » (t). 

C'est à tort , ce semble , qu'on a généralisé l'époque dont 
nous parlons sous la qualification de barbarie du moyen âge ; 
ce qui pouvait être vrai sous le rapport politique ne l'était pas 
sous celui de l'imagination. A mesure qu'on s'initiera dans 
les détails des mœurs intimes de ces tems éloignés et encore 
peu connus , on découvrira que la barbarie , dans les produc- 
tions artistiques de toute nature , a été moins longue et moins 
générale qu'on ne le croit communément. Il y avait tout à la 
fois de l'élévation et de la délicatesse dans les idées des hom- 
mes qui érigèrent nos belles cathédrales, et^hez ceux qui pro- 
duisirent les poèmes dont il sera question ci-après ; tout cela 
naissait en même tems. Il y avait grandeur dans les créations 
de l'art , finesse dans celles de l'esprit , richesse d'imagination 
dans toutes deux. Exprimerait-on aujourd'hui, par exemple^ 
d'une manière plus gracieuse et plus délicate, cette pensée 
d'une jeune Lilloise du XIIP siècle : 

(K Mout m'abelist quand je vois revenir 
» Iver, grésill et gelée aparoir ; 
if> Car en toz tens se doit bien resjoir 
» Bêle pucele , et joli cuer avoir. 



(i) Histoire littéraire de la France, tom. XVI, page an. 



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9 £ chanterai d'amdn por miem valoir , 
» Car met ûm cuers plains d'amorous déiir 
]» Ne mi fiait pas ma grant joie fiiillir. » 

En voici la traduction qui ne peut rendre que d'une maniè- 
re bien faible la naïveté de l'expression : 

« Je me réjouis même en voyant venir l'hiver avec le grésil 
D et la gelée y car y en toute saison j la jeune et jolie fille doit se 
y> réjouir et avoir la gaité au cœur. Je ferai chanson d'amour 
y> pour plaire davantage ; et y tant que mon cœur tendre con- 
y> servent ses amoureux désirs^ ma douce joie ne m'abandon- 
lè nerapas(i). » 

n Cest un &it digne de remarque y dit M. Auguis (2) , que 
» le Hainauty l'Artois ^ le Cambrésis et la Flandre, qui,, de- 
» puis que la langue poétique a été achevée en France par 
» Malherbe , n'ont pas produit un seul poète remarquable y 
x> soient de toutes les provinces de France, en deçà de la Loi- 
y^ re , celles qui au XII P siècle , aient compté le plus grand 
» nombre d'écrivains en vers , et que tous ces écrivains aient 
» été regardés comme les meilleurs de leur tems. Leurs ouvra- 
» ges ont été regardés comme des modèles , pour des auteurs 
D de la même époque , et même pour le siècle suivant. » 

Ge^ opinion , d'un homme si éclairé et si juste apprécia- 
teur du mérite littéraire , vient par&itement à l'appui de ce 
qui a été dit plus haut en l'honneur de nos trouvères ; malheu- 
reusement leur règne ne s'étendit pas au-delà du XI V* siècle. 



(1) Ce couplet a été compose au XIII<^ siècle par Marie ou Marotte Dre- 
gnau f de Lille ; il est extrait d'une chanson qui se trouve dans les mss. de 
la bibliothèque du Roi , çt que M. de la Borde a citée dans son Essai sur la 
musique, u 2, 

(a) Poètes français depuis le XIP siècle jusqu'à Malherbe, tome i«' 
p. 379. 



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Peu à peu les grands vassaux s'éloignèrent de leurs terres 
pour se fixer à la cour y ou exercer les grandes dignités de Té- 
tât 3 les ponts-levis des châteaux ne se baissèrent plus devant 
les chantres joyeux qui venaient charmer les ennuis d'un no» 
ble auditoire : Alors y comme dit le vieux Jehan de Nostre- 
dame, défaillirent les Mecmês, et défaillirent aussi les poètes/ 

On vit bien naître encore de loin à loin dans le siècle sui- 
vant des génies poétiques ; mais ce n'étaient plus les gais 
trouvères du pays , vivant et mourant dans les lieux qui les 
avaient produits. A eux succédèrent le gentil Froissart^ Geor- 
ges Ghastelain y dit l'Aventurier , le joyeux chanoine Molinet, 
et Jean Le Maire y de Bavai y tous poètes courtisans , suivant 
les princes dans les capitales et polissant leur langage sur celui ' 
des palais qu'ils fréquentaient. 

D'un autre côté y les chants poétiques des religieux avaient 
cessé. [Sitôt que les reclus furent vaincus dans la carrière 
des lettres par les hommes du monde ^ ce ne fut plus un 
avantage pour un pays d'en compter un grand nombre. Les 
monastères du Cambrésis , dont les sombres enclos avaient ser- 
vi d'échos à des rimes heureusement tournées , gagnèrent en 
richesses et s'appauvrirent en intelligence 5 toute leur littéra- 
ture se fondît en puériles discussions d'école, en éphémères 
productions ascétiques , en vaines querelles de théologie. Bien- 
tôt on ne put même plus compter sur ces Êôbles tributs ; une 
nullité désespérante devînt le lot des rdigieux du NoM, et, 
dans le dernier siècle , il est telle riche abbaye de nos environs 
que nous n*oserions nommer , dont tous les- titres littéraires se 
bornaient à quelques misérables acrostiches , à de futiles chro- 
nogrammes , jeux puériles de l'esprit qu'enfantaient dans un ^ 
trop long repos , des cerveaux étroits et des intelligences bor- 
nées. 

Mais revenons à nos joyeux trouvères ; voici la liste de ceux 
sur lesquels il a encore été possible de rassembler quelques ren- 
seignemens ; quoiqu'il soit certain qu'ils appartiennent tous 
au XIII*» siècle à très peu de chose près, il ne pouvait être facile 



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'de connaître exactement la date de leur naissance y aassi ne 
' sont-ils pas placés chronologiquement. Il eut été plus mal- - 
aisé encore de les ranger par d^ré de mérite , c'est donc Tordre 
alphabétique, plus simple et plus commode, qui a prévalu 
dans le classement qui suit. 

( Im seconde partie au prochain 4i^iier }. 
, Arthur Dinaox. 

/ 



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^ùuiwtt» ^9imhti»ïm», 



8ECONOB PARTIE. 



ADAM-DE-LE-HALLE, dit LE BOSSU. 



Adam-d^-le-halle I ou de la Halle, surnommé le Bossu ^ 
quoique né à Arras , appartient au Cambrésis '^omme Jehan 
Dupin , en sa qualité de moine de Tabbaye de Vaucelles dans 
laquelle il commença sa carrière aventureuse. Elevé dans cette 
maison au commencement du XIII® siècle, Adam déserta le 
doître pour retourner dans sa ville natale ; il séjourna quel- 
que tems à Douai y puis se maria à Arras , et , bientôt dégoûté 
du ménage, comme il nous le dit lui-même, il s*en fut à Paris, 
courut les plaisirs et les aventurés , et finit par prendre , un 
peu tard , Thabit ecclésiastique dans Tabbaye où. il avait été 
élevé. Ce lieu de refuge, ne fut pas pour lui un port assuré 
contre les orages de la vie , puisqu'il parait qu'il termina sa 
carrière à Naples, vers 1289. 



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Ce poète , quoique la Biographie universelle ne lui ait con- 
sacre qu'une dixaine de lignes , est un des plus remarquables , 
non seulement de nos contrées , mais même de tout le moyen 
âge. Ilesi considéré par Legrand d'Aussj, bon juge en pa- 
reille matière , comme le premier auteur dramatique connu en 
France. M. Mayer, qui défend la cause des troubadours (dans 
le Mercure de France du 22 août 1780) , prétend qu'Adam de 
le Halle avait puisé l'idée du drame dans les œuvres à^ Arnaud 
Daniel et à^ Anselme Fayditj poètes provençaux , morts vers le 
commencement du XIIP siècle y et dont les manuscrits n'ont 
point été retrouvés. Il est de fait qu'Adam d'Arras avait voya- 
gé en Palestine , était revenu de la Syrie en France par la Sici- 
le et la Provence : il se peut qu'il prit l'idée du drame dans 
cette dernière province où il séjourna longtems , et où il re- 
tourna après avoir fait le voyage d'Egypte, à la suite de Ro- 
bert , comte de Flandre ,.frère de Charles d'Anjou. 

Quoi qu'il en soit , notre compatriote iTen a pas moins la 
^gloire d'avoir introduit le premier , dans notre langue , des pe- 
tits poèmes , mêlés de chant, divisés par scènes et dialogues en* 
trèfles personnages clairement désignés. Il Jeur donna le nom 
de ^«2^. Legrand d'Aussy est persuadé qu'ils furent représen- 
tés au moment de leur composition dans des cours plénières ou 
dans des châteaux de seigneurs suzerains. Ces petits drames 
ont une allure naïve , une action qui marche et qui amène un 
dénoûment naturel. Ces pièces présentent des détails si agréa- 
bles et si spirituels qu'elles ne sont nullement comparables 
aux mystères et aux sotties des premiers âges de notre théâtre.' 

Le Trouvère Adam nous a laissé trois pièces de ce genre. 
1° Le Jeu du berger et de la bergère , ou de Robin et Marion, 

Ce jeu a été traduit en prose, Ainsi que le suivant , par Legrand 
d'Aùssy, dans ses Fabliaux des XH^ et XIII^ siècles, \a Société 
des Bibliophiles français l'a publié en original en 182a. La 
pièce est tissue dans le genre-de la pastorale; les deux person- 
nages principaux sont deux amans nommés Robin ^\ Marion , 
qui ont depuis fourni le proverbe : être ensemble comme Robin 



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et Marion, Le jeu commence par une entrée de Marion , qu on 
nomme aussi Marotte , autre diminutif de Marie, 

Marotte (chante) 

Robin» m'aime , Robins m'a , 
Robins m'a demande li m'ara (s'il m'obdeudra) 
Robins m'acata cotèle (m'acheta une cotte) 
lyescarlate bone et bèle , 
Souscanie (justaucorps) et cheinturele (petite ceinture) 

A leur y va 
Robins m'aime , Robins m'a 
Robins m'a demande si m'ara. 

Cette chanson devint populaire dans le XIIP siècle^ car 
on en retrouve le refrain à la fin de plusieurs chansonnettes de 
l'époque ; circonstance qui confirme encore l'assertion que le 
jeu du berger et de h bergère a été représenté (i). 

Cette pastorale est réellement gracieuse et délicate ; on y voit 
figurer plusieurs bourgeois d'Arras, amis de l'auteur, et un 
chevalier Aubert qui cherche à abuser de la jeune Marion. 
Après plusieurs scènes d'une naïveté charmante , Robin finit 
par emmener sa jeune amie en chantant ces deux vers : 

Venez après moi , venez le sentele 

Le sentele, le sentele lès le bos. (Dans le sentier le long du bois). 

2* Le Jeu Adam le boçu d'Arras , ou du mariage, ou de la 
feuille'e» 

Ce jeu est une espèce de comédie de mœurs dans laquelle fi- 
gurent vingt interlocuteurs , tous bourgeois d'Arras. Elle est 



(i) Cette chanson est encore aujourd'hui chantëe par les jeunes filles de 
nos Tillages du Haioaut , entr'autres dans les communes des environs de 
Bavai , sans autre changement que celui du nom de Robin en Robert^ 
L'air ancien sur lequel on chante ces couplets est vif et agréable. 



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en vers de huit syllabes , excepté les douze premiers qui sont 
alexandrins. C'est Adam lui-même qui ouvre la scène en an- 
nonçant qu'il quitte Arras et sa femme pour se faire clerc , et 
aller à Paris où il compte retrouver sa liberté et des beautés 
dignes de son cœur. 

a Seigneur, savez pourquoi j'ai mon habit cangiet 
« J'ai esté avoec feme^ or revois au clergiet. » 

Un interlocuteur lui demande ce qu'il compte faire de sa 
femme. — Ma femme, la commère Maroie? dit-il , je la laisse 
à son père, d'ailleurs elle n'est plus jolie. — Elle est la même 
encore, vous seul, Adam, êtes changé pour elle, et j'en sais 
la raison : 

<c elle a fet envers vous 

a Trop grand marchië de ses denrëes. » 

Après une dissertation sur l'inconstance des hommes et sur 
les charmes de la femme d'Adam , celui-ci termine en disant ; 

€c Senirons ( nous nous en irons ) à Saint Nicholai (paroisse d' Arras) 
a Commenche a sonner des cloquetes. jd 

Cette pièce a été imprimée par les Bibliophiles français , en 
1829. 

3" Le jeu du Pèlerin . 

Ce jeu tient de la farce. Les personnages sont le Pèlerin, le 
Vilain, Gautier j Guist, Rigaut, Wamier; ces quatre derniers 
sont des amis du poète. Le poème commence par : 

Or pais , or pais , seignieur, et a moi entendes 
I^avelet tous dirai ifon petit atendes. 

fit se termine par : 

Soit mais ancliois voeil aler boire 
Mau dehais ait qui ne venra. 



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Ces trois pièces du père du drame français mentaient d'at- 
tirer toute l'attention des amis des curiosités de nqtre littéra- 
ture ; aussi ne doit-on pas s'étonner que la Société des Biblith- 
philes français ait entrepris de faire imprimer les deux pre- 
mières avec le soin et le luxe qu'on sait qu'elle apporte dans 
toutes ses publications. Pourquoi âiut-il que par une précau- 
tion, qui, selon nous, est un peu entachée d'égoïsme, ces piè« 
ces importantes ne soient imprimées qu'à un nombre si mini- 
me d'exemplaires qu'il faille presqu'encore considérer leur 
publication comme non ayenue ? . 

Adam de le halle fit une grande masse dé vers; la plupart 
étaient composés avant 1260; suivant La Croix du Maine il 
entra fort tard à l'abbaye de Vaucelles , et Duvcrdier ajoute en 
rappellant les deux premiers vers du jeu du mariage : « Il sem- 
ble qu'ayant aimé les femmes et se trouvant deçeu d'une ^ il se 
fit clerc. » Quand A<bm renonça au monde, le sacrifice n'était 
pas considérable, il pouvait être âgé de plus de soixanteans , 
et, d'après toutes ses courses^ ses voyages , ses amours , il de- 
vait avoir besoin^de repos. On le surnomma h bossu, soit par 
suite d'un défatit corporel , soit à cause de son esprit fin et 
subtil ; dans tous les cas , il reçut de la nature toutes les qua- 
lités qu'on accorde généralement aux hommes afiectés de cette 
infirmité, dont au^reste ^il repoussait l'imputation. Il dit quel- 
que part V. 

a Maft jou'- Ada ns âtArraê Fai a point redrecliie 
9 Et pour chou qu'on ne soit de moi en daserie 
3> On ra'apële Bochu, mais je ne le sni mie. » 

Tout ce qu'on connait d'Adam en pièces détachées ferait un 
Tecueil fort curieux si elles étaient réunies. Les principales 
sont : 

I. Trente-sept chansons éparses dans diverses manuscrits cités 
par M . De la Borde, dans son Essai sur la musique, et par le cata- 
logue de la Vallière. M. de Roquefort en a imprimé une en en- 
tier, page 376 de Y Etat de la poésie française dans les XII* et 



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i»i5o4« 
XII« siècles; c'est une chanson d'amour qui commence ainsi : 

Or Toi-je bien qu'il souyient 

Bonne amour de mi , 
Car plus asprement me tient 

K'ains mais (que jamais) ne seoti ; 
Ce m'a le cuer esjoui 

De chanter. 
Einsi doit amans moustrer 

Le mal joli. 

Etc., clc^ 

On peut citer le couplet suivant comme donnant une idée de 
l'eaprit tout profane du vieux moine de Vaucelles. 

Li maus d'amer me plaist mieux à sentir> 

Qu'à maint amant ne fait li dons de ^oie i 

Car mes espoirs vaut d'autroi le joïr. 

Si bien me plaist quanques amours m^envoit» 

Quar quant plus sueffire , et plus me plaist nvtt joiev 

Jolis et chantant^ 

Aussi liez sui et joians 

Que se plus avant estoi*^ 

^ IL Les Par tures Adam • 

Ce sont dix-huit jeux-partis ou questions d'amour que se 
font entr'eux des Artésiens qui prennent pour juges des trou- 
vères du tems. 

m. Ll rondels Adam^ 

Seize rondeaux notés en musique. 

IV. Li Motet Adam. 

Ce sont huit motets, tous notés; en voicî un exempte r 



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r 



Adieu commant 

Amourettes 
Car je m'en vois dolaos 
Pos les douchetes 
Fors dou doue pays d'Artois 
Qui est si mus et destrois 
Pour che que li bourgeois 
Ont été si fourmenë 
Qu'il ni queurt drois , ne lois , 
Gros tournois 
Ont anulës 
Contes et rois 
Justiches et prelas tant de fois 
Que maiute bêle compaingne 
Dont Arras mehaigne 
Laissent amis^ et maisons et harnois 
Et fuient cha deus, cha trois 
Souspirant en terre estrange. 

V. Le Roi de Sicile. 

Pièce intéressante de 37a vers alexandrins, à la louange de 
Charles I®', comte d'Anjou , dernier fils de Louis VIII , dit le 
Lyon , et frère de St-*Louis. Le poète suit ce prince dans ses 
faits et gestes depuis sa naissance jusqu'à son élection au roy- 
aume de Naples par le pape Clément IV, en 1266. Cette pièce a 
été impiimée par M. Buc^on, dans sa Collection, tome tu, p. 
«3. Elle commence ainsi : 

On doit plaindre et s'est honte à tous bons tronveours 
Quand bonne matere est ordenëe à rebours. 

£t finit par : 

De Dieu et de l'Eglise avint-il ou il lent 

Et Diex li voeille aidier selon chou qu'il eraprent. 



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VI. Le Congie d^ Adam, w 

Poème de i56 ver» renfermant des adieux à Içi ville d'Arras 
et à huit amis ou bienfaiteurs du poète ; 

Commeut que men tems aie us^ 
Ma me conscienche acus^. 



Arrai, Ârras^ TÎle de plait 

Et de haine et de detrait , 

Qui soliét (qui aviez coutume) être si nobile^ 

On va disant qu'on vous re£ût* 

Mais se Diex le bien ni ratrait 

Je ne voi qui vous recoiicile. 

On y aime trop crois et pile (l'argent) 

Chascuns fu berte en ceste vile. 

Au point qu'on estoit a le mait. 

Adieu de fois plus de cent mile , 

Ailleurs vois ( je yais ) oyr l'evangUe , 

Car clii fors mçntir on ne (ait !. 

VII. Li ver â^ amours^ 

Pièce badine de 194 vers, qui commence par : 

fk Amours <]pi m'as mis ea soniTranche , e(e* 

Et se termine ; 

Par un bchourt de vaine gloire ^ 
Ainsi sont li povre lionni^ 

VIII. Le ver de le mort 

Petite pièce philosophique de 36 vers qui finît p^ ^n dys- 
tique qui vaut le que sais-^je ? de Montaigne :. 

« Mais c'est tout trufe et devinaille 
» Nus n'est fisiciens fors Pieyx^ 



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M. De la Borde, dans son Essai sur la musique, tome a , p. 
i49j donne encore à Adam de la Halle le roman d'Oger leda^ 
nois, et il appuie son opinion de ces deux vers : 

c( En tel manière kestre n'en puiit blâmez 
» Li Roy Adams par ki il est rimez. » 

Par le Roi Aàam il faut entendre ici le Roix Adénez , trou- 
vère du Brabant, dont le nom était un diminutif d'Adam. Le 
religieux de Yaucelles est déjà assez riche de son propre fonds 
sans lui ajouter les ouvrages de ses confrères. 



ALARS DE CAMBRAY. 

Ce trouvère Cambrésien, qui vivait auXIIP siècle, a été 
une fois nommé, par erreur, Albert de Camhray, par les au- 
teurs , ordinairement si exacts , de V Histoire littéraire de la 
France, tome 16, page aïo; plus loin (page ai8) ib en font 
une nouvelle mention sous son véritable nom. Par suite d'une 
autre erreur, plus choquante , mais qu'on conçoit facilement 
quand il s'agit de noms difficiles à lire dans les manuscrits , ce 
poète a été appelé Mars de Cambrai dans le catalogue de la bi \ 
bliothèque de Gaignat (n® 17^0) , mise en ordre par Debure , 
notre maitre en bibliographie. Mars n'est point un nom du 
pays ; il serait tout au plus une contraction du mot Médard, 
encore faudrait-il aider à la lettre. II est évident qu'on a lu un 
M où il yavait AL 

Alars de Cambray a composé un poème de près de trois mille 
vers A% huit syllabes. Le n® 7634 des manuscrits de la biblio- 
thèque du Roi le porte comme un Traite' sur les moralités des 
Philosophes; le catalogue dé Gaignat lui donne le titre de : Les 
dits et sentences des Philosophes anciens. Voici le début du 
poème : 

Jou Âlars , qui suis de Cambrai , 
Qui de maint biel mot le nombre ai 5 
Vous Yoel ramentoii^re par rime 



[ 



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De ce que disent il inéitme (les philosopkei menies)^ 
De lor sens; et grans li renoms. 
Or yons vaurai nomer les noms. 

Parmi les auteurs qu'il nomme et qui sont au nombre de* 
, vingt , on remarque pêle-mêle Cicéron , Salomon , Diogène, 
Horace , Juvénal , Socrate, Ovide, Salluste, Isidore, Gaton, 
Platon, Virgile^ Macrobe, etc., etc. Alars était, comme on 
voit, un bel-esprit de son époque, mais un- peu superficiel; il 
n'était pas foi*t sur la biographie, car, outre qu'il accole des 
hommes qui vivaient dans des tems si divers, il ne fait pas dif- 
ficulté, pour avoir l'air de connaître un plus grand nombre 
d'écrivains , de faire deux auteurs difFérens de Ciceron et de 
Tullius , de Firgile et de Marctif ce qui ferait croire qu'il ne 
les avait pas lus , cela ne l'empêche pas de parler de leurs ou- 
vrages avec une audace qu^onnepeut pardonner qu'à un poète. 

Sinner, le bibliothécaire de Berne, fait mention d'Âlars dé 
Cambrai , dans son catalogue de manuscrits ; il rapporte un 
passage deSte.-Palaye,qui regarde l'œuvre de ce trouvère com- 
me très-curieuse et propre à faire connaître l'état de la littéra- 
ture française au XIIP siècle. 

Le manuscrit de Gaignat contenait^ après Z&« dicis et sentem- 
cês, une pièce intitulée : Le Uvre.de Job, sans nom d'auteur. 
Comme le riche manuscrit qui renferme ces deux poèmes , est 
écrit par une même main , vers la fin. du XIII® siècle, époque 
oii Alars vivait, on peut supposer avec quelque raison. que la 
seconde pièce est également du poète cambrésien. 

Guillaume de Thignoville , ou de Téonville, mit en français 
les Dits moraux des Philosophes anciens , imprimés à Bruges , 
par Colard Mansion (vers i473), petit in-f* de ii5 feuillets. Le 
texte original de cette traduction avait peut-être été tiré du. 
poème d'Alars de Cambrai. 

ALBERT DE CAMBRAY. 
(Voyez Alars DE Cambra Y.) 



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• lÔS'' 



CAMELAIN DE CAMBRAY. 

Voici un trouvère cambrésien regardé par plusieurs philo- 
logues érudits comme l'auteur d'un poème extrêmement re- 
marquable; c'est une véritable chronique en vers, intitulée: 
Histoire de Garin le Loherans (le lorrain), dont toutefois, il 
faut JÉien le dire, la composition a été attribuée par des biblio- 
graphes non moins estimables que les premiers^ à d'autres 
poètes du moyen âge. 

Ainsi, par exemple, le savant La Monnoje, dans ses notes 
sur la bibliothèque de Duverdier, donne le roman de Garin à 
Jean de Flagy, trouvère inconnu à tous nos anciens bibliogra- 
phes. Dom Calmet, autorité puissante en matière d'érudition , 
assigne cette production à Hugues Me tel y ou M«/e//M*, poète du 
XII* siècle, né à Toul, vers Fan 1080; mais les auteurs de 
V Histoire littéraire de la France ne partagent pas cette opinion, 
par la raison qu'il est parlé dans l'ouvrage de la commune de 
Metz, dont l'établissement n'eut lieu qu'en 1179, c'est-à-dire 
plus de vingt ans après l'époque fixée pour la mort de Métel. 
C'est dans la persuasion qiie cet ouvrage était l'œuvre d'un lor- 
rain, que dom Calmet a publié un long et curieux extrait du 
roman de Garin à la suite du tome 1®' de Y Histoire de Lor- 



D'une autre part, M. Schœll, dans un article fort bien fait 
sur Wolfram d'Eschenbach , l'un des poètes les plus distin- 
gués du moyen âge, et inséré au tome viii de la Biographie 
universelle , n'hésite pas à imputer à Camelain de Cambray le 
poème du Garin le loherens, dont son Wolfram a fait une imi- 
tation sous le titre du Lohengrin. 

Le judicieux rédacteur du catalogue de la Vallière regarde 
comme faibles les raisons apportées par Dom Calmet, en faveur 
de Hugues Métel , auteur présumé de ce livre ; mais lui-même 
il n'ose l'attribuer à personne et il le classe dans les œuvres 
anonymes. Ainsi, jusqu'à ce jour cette question scientifique 
reste indécise, et adkuc suhjudice lis est. 



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5» I 56*2 

Nous n'avcMis pas la présomption de trancher ce nœud gor- 
dien littéraire ; nous ne pouvons toutefois nous empêcher 
de faire remarquer qu'en lisant les premiers et les derniers vers 
du poème , on voit qu'il est souvent question de Camhrai et du 
Gamhrésis, circonstance qui militerait en faveur de Gamelain. 
On trouve par exemple , les premiers vers du manuscrit de la 
Vallière , écrits ainsi : 



Vielle chanson voyre veuillez oyr 

De grant ystoire et mervillous pris 

Sy come ly wamdre vindrent en cestpays 

Crestienté sy ourent malement enlaydy. 

Les homes mors et ars (brulës) tout par le pais 

Destrnirent Rains et arcentlez marchis (frontière^ 

£t sains Memyns sy comme 1 a chanson dit 

Et Saint Nychaisez de Rains y fust occis 

Et Saint Morise deCambray la fort cys - 

Et vers la fin : 

Si faut listoire dou Loherans Garin 

Et de Begon qui an bois fut occb 

Et de Rigaut li bon vassaul hardi 

Et Dernaut de Jofroi Fangevin 

Et de Huion qui fu de Cambrèsis 

Et dou bon duc qui out a non Aubri..*.^ 



Aies vous en liroumans es finis 
Des Loherans ne poeïs plus oir 
S'on ne les vuet controver et mentir. 



Ce roman a près de 29,000 vers. Le sujet est tiré de This- 
toire des guerres de Charles Martel et de son fils le roi Pépin , 
contre les Sarrasins et d'autres peuples infidèles ; il est écrit 
en vers de dix syllabes , par tirades plus ou moins longues sur 



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une seule et même rime que le poète suit et conserve tant 
qu'elle peut lui fournir. Quoique plein de récits fabuleux que 
iVassebourg et quelques historiens ont donné depuis comme 
argent comptant , ce roman n'en est pas moins très utile pour 
la connaissance du langage, des coutumes et des mœurs des 
lorrains au moyen âge. 

La bibliothèque de LaVallière, si riche en poésies romanes, 
possédait une suite de Garin le Loherens, en 24,861 vers, 
qui avait appartenu à Claude d'Urfé ; elle se terminait à peu 
près comme la première partie , en citant toujours Uuon de 
Cambrésis. 

Ci faut listoire don LohereBs Garin 
Et de Begon le chevalier hardi 
De MotianelemperetirTieri 
Et de Huon celui de Cambresis, 



Proies pour iaus Dex lor face mereis 
Dites amen que dame Diex lotrit. 



En 1724, le château d'Anet possédait cette même histoire, 
mais en prose ; on la voyait aussi dans la bibliothèque du chan- 
celier Séguier. 

Il ne faut pas confondre le nom du personnage principal de 
ces deux romans avec celui de Garin , poète quelque peu li- 
cencieux du XII* siècle ; cette erreur a été commise par Borel 
dans son Trésor des recherches et antiquités gauloises , Paris , 
1667, in-4 ®. M. Paulin Paris vient de mettre au jour le ro- 
man de Garin î$ Loherens, 



ENGUERRAND D'OISY. 

Enguerrand d'Oisy, poète cambrésien du XIIP siècle, se 
donne lui-même dans ses vers comme clerc et né au village 
d'Oisy, alors dépendant du Cambresis. Il a composé un fort 



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joli Êibliau intitulé le Meunier d'Aîeus (Arleux). Le Grand 
d'Aussy en a donné la traduction en prose , en supprimant 
toutefois des détails un peu licencieux , dans le 2« volume de 
ses FMiaux ou contes des XH^ et XIH^ siècles ( Edition de 
Paris , E. Onfroy, 1779, 4 vol. fn-S" ). 

Il y est question des ruses employées par un meunier d' Ar- 
leux , ayant un moulin à Palluel ( que par erreur Legrand 
d'Aussy place en Normandie) , pour abuser d'une jeune et 
jolie 611e du village d'Estrées , qui porte le nom de Marie si 
commun dans toutes ces pièces. Le meunier et son garçon 
sont déçus dans leurs espérances et trompés eux-mêmes par 
Marie et la meunière ; cette dernière prend la place de Marie 
dans le rendez-vous donné aux deux séducteurs. Le garçon 
meunier qui avait promis un cochon gras à son maître s'il le 
laissait lui succéder dans son entrevue avec la jeune fille, 
im veut plus lui donner ce prix quand il découvre qu'il n'a eu 
affaire qu'à la meunière. Querelle à ce sujet ; ce procès délicat 
est porté devant le bailli qui prononce judicieusement que le 
garçon a perdu son cochon et que le meunier ne l'a pas gagné : 
dans cet état de. la question il se l'adjuge à lui-même. Ce juge- 
ment a peut-être donné l'idée de l'Huitre et des Plaideurs. 

Le bailli réunit dans un grand repas les dames et les cheva- 
liers du canton d' Arleux , pour manger ce cochon si lestement 
gagné , et il raconte , à l'entremets ( le moment est bien 
choisi ), l'aventure qui a donné lieu au banquet. C'est ainsi 
que le trouvère Enguerrand d'Oisy l'a apprise, « et pour 
qu'elle ne s'oubliât pas , dit-il , je l'ai mise en Rouman , afin 
» que ceux qui l'entendront perdent à jamais l'envie de trom- 
» per les honnêtes filles. » Malheureusement le conte de sire 
Enguerrand n'a corrigé personne ! 

Ce fabliau, conté d'une manière très-divertissante, a été 
imité par Lafontaine sous le titre des Quiproquo et se trouve 
reproduit dans une foule de livres facétieux, dont les auteurs 
se sont bien garcfe de citer l'emprunt qu'ils avaient fait au 
modeste poète des rives de la Sensée. 



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M,. Francisque Michel , philologue modeste et distingué , 
vient de faire imprimer le texte exact de ce joli fabliau si mu- 
tilé par Legrand d'Aussy ; on regrette que le tirage de ce pe- 
tit opuscule ait été fait à trop petit nombre pour satisfaire tous 
les amateurs de la poésie romane. 



FOUCQUART DE CAMBRAY. 

Foucqtmrt de Canéray , est encore un de ces trouvères 
du Cambrésis qui vouèrent leur talent poétique à la plus 
grande gloire du beau sexe ; maître Fouquart composa un 
petit poème des plus curieux, et aujourd'hui des plus rares, 
mis au jour avec quelqu'altération peut-être par les pres- 
ses de Colard Mansion , imprimeur à Bruges , vers i475. On 
lit sur le frontispice : Cy commence le traittié intitule les Eu- 
uangiles des quenoilles faittes à donneur et exaucement des da^ 
mes. C'est un petit in-f* gothique de 21 feuillets dont le verso 
du dernier se termine par /a conclusion de r acteur. 

Née de la Rochelle, dans sa table des anonymes formant le 
10® volume de la Bibliographie instructive de Debui^, et après 
lui, M. Alex, Barbier j dans son Dictionnaire des Anonymes , 
donnent à maître Foucquart de Cambray , comme collabora- 
teurs dans cet ouvrage , maître Antoine Duval et Jean d'Arras, 
dit Caron, Cette allégation , après un mûr examen, paraît avoir 
été faite et reproduite assez légèrement. On conviendra tout 
il'abord qu'il n'est pas probable que trois poètes , de villes dif- 
férentes, aient été obligés de se cotiser pour produire une œu- 
vre aussi courte.Cette collaboration des auteurs n'avait lieu que 
pour les diverses branches de ces longs romans de gestes de quel- 
ques trente mille vers. Ensuite , lorsqu'on aura établi claire- 
ment ce que c'était que ce genre de livres connus sous le nom 
des évangiles des quenouilles , on sentira combien il est facile 
de redresser MM. Née de la Rochelle et Barbier dans ce petit 
Rarement bibliographique. 

Il existe plusieurs livres, tant imprimés que manuscrits,^ 



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>» i6o4C 

sous le titre que nous venons de citer, et cependant ce ne sont 
pas tous les mêmes (i). Ces sortes de recueils étaient fort en 
vogue au XIIP siècle ; M. de Marchangy, dans son Tristan le 
voyageur y n'a garde d'oublier d'en faire mention : dans les châ- 
teaux des grands seigneurs suzerains, dont les épouses avaient 
des dames d'honneur et de compagnie , on se réunissait le soir 
à la veillée ; là , les dames les plus savantes et les p4u8 spiri- 
tuelles enseignaient à tous d'admirables recettes pour chaque 
maladie et encombre , voire même pour les peines sécrètes 
du cœur : Gomme les discours de ces judicieuses matrones 
étaient aussi vrais que paroles d'évangile , et quelles les débi- 
taient en filant , on appela ces précieuses sentences les Evati" 
^iles des quenouilles; et l'on doit convenir qu'il y a, dans ces 
miscellanées du moyen âge , des pensées et des maximes d'un 
grand sens et qui annoncent , de la part des dames qui les com- 
posaient, une connaissance profonde du cœur humain. 

Chaque comté et presque toute châtellenie avait son Evan- 
gile des quenouilles y comme depuis chaque province eut son 
almanach et chaque diocèse son catéchisme. Il est donc possi- 
ble que les deux collaborateurs qu'on a généreusement donnés 
à Foucquart de Cambray , aient aussi rimé quelque recueil de 
ce genre , mais il n'en est pas moins plus que vraisemblable 
que le trouvère cambrésien a versifié seul le livre des que- 
nouilles en vogue de son tems parmi les nobles dames du Cam- 
brésis, et qui paraît avoir servi de type pour les autres. 

Lorsque les mœurs s'épurèrent un peu , au moins dans les 



(i) Pour ne parler que des imprimes , on peut citer : 1° Livre des con~ 
noilles faites à l* honneur et exaulcement des dames, lesquelles traitent 
de plusieurs choses joyeuses, racontées par plusieurs dames assemblées 
pour fêter durant six journées. Lyon, Jean Mareschal, i493, in-4*'goth. — 
:fp Le livre des connuilles, in-4** goth. avec figures en bois , sans lieu , ni 
date. — 3° Le livre des guenoilles , Rouen , Raulain Gaultier^ in-4° goth. 
— 4** -^^ livre des connoilles , lequel traite de plusieurs choses joyeuses, in- 
4° goth. (sans lieu ni date). On lit à la fin : C^ finissent les évangiles des 
cônoilles* — b^ Idem, sans date, in-i6, gothique. Toutes ces éditions n'em- 
pêchent pas que ce livre soit d*une excessive rareté . 



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formes extérieures, le livre d^ quenouilles passa du château 
à la petite proprie'té, sans beaucoup gagner sous le rapport 
moral ; car, il faut bien le dire , notre susceptibilité du dix- 
neuvième siècle se regimberait fortement contre les expres- 
sions et les pensées contenues dans ce livre décoré du pieux 
titre d!Evangile, Jugeons en par Topinion qu on en avait 
conservée môme dans un tems où Ton s'effarouchait moins 
qu'aujourd'hui du cynisme des paroles. L'historien de Va- 
lenciennes , d'Oultreman , à l'occasion d'un propos plus que 
leste que Dupleix et d'autres écrivains mettent dans la bouche 
du comte Baudouin parlant à St-Louis , dit que « C'est un 
» conte qui peut bien estre renvoyé au livre des quenouilles.» 
Dreux du Radier, parlant des fous en titre d'office dans ses 
Recréations historiques, dit que « tout le talent de M« Guillau- 
• me, fou du roi Henri IV, était de savoir par cœur et de citer 
» à propos V Evangile des quenouilles » ; et Dieu sait quelle 
lilîerté de langue on accordait aux fous en titre d'office î 

On ne connaît aucune autre production de maître Fouc- 
quart de Cambray que ce rare et bizarre poème qui fait l'objet 
des recherches de tous les amateurs , et dont la forme et le ti- 
tre furent depuis appliqués à un ouvrage de piété de ce pays , 
intitulé : « La quenouille spirituelle, ou dévote contempla- 
» tion et méditatiou de la croix de nostre sauveur et ré- 
» dempteur Jésus que chascune dévote femme pourra spéculer 
» en filant sa quenouille matérielle , faicte et composée par 
» maître Jehan de Lacu, chanoine de Lylle. «» In- 12 , gothi- 
que, sans date ni lieu d'impression. — C'est un dialogue 
fort curieux, en stances de sept vers de huit syllabes , entre 
JesuS'-Christ et la Pueelle , ou fille dévote. 

GEOFFROY DE BARALE. 

Geoflfroy pu Godefroy de Barale, est un noble trouvère du 
XIIP siècle qui prend le titre de Messire dans ses chansons. 
On en connaît deux de lui : elles sont conservées dans un ma- 
nuscrit de la bibliothèque du roi et citées par La Borde dans 
son Essai sur la musique , tom. 3 , p. 1 62 . 



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' Il est vraisemblable que ce seigneur ckansonnier est le même 
que Godefroy de Barale, ckevaliei*) qui prenait la qualité de gou- 
verneur d'Oisy, en \fZ%%j ainsi que Jean le Garpentier -le men- 
tionne dans son Histoire de Camhray^ partie III, p. i6a , d'a- 
près une pièce tirée des archives d'Oisj , bourg dont relevait 
la terrede Bayak, >une.des plus anciennes du Cambrésis. 

GUY DE CAMBRAT. 

"Ce trouvère est peu connu; il n'a cependant pas échappé 
aux recherches de M. Benoiston de Chaieauneuf qui le men- 
tionne honorablement dans son Essai sur la poésie et lespee- 
tes français, aux XIP, XIII^ et XIF^ siècles y Paris, i8i5, 
in-8" pages 117 et 1 1 8, 

Guy de Cambray est auteur du -roman de Josaphat, sujet 
dont, suivant l'apparence, plusieurs trouvères du tems ont 
fait choix. De Roquefort donne à Chardry, poète anglo-nor- 
mand, une vie de Saint Josaphat y qui ne contient pas moins 
de 2900 vers. L'auteur y annonce à ses auditeurs qu'il désire les 
ramener à la vertu plus encore par l'exemple que par les pré- 
ceptes; il commence ensuite la vie de son Saint Josaphat et la 
termine en disant à l'assemblée que sans doute elle ne sera pas 
fâchée d'entendre la yie de Roland et d* Olivier , plus amusante 
que celle qu'il vient de débiter : que pour lui il préfère le récit 
des batailles des douze pairs de France , à celui de l'éternelle 
passion de Jésus-Christ. Il termine poliment par ces vers 
dans lesquels il se nomme : 

Ici finist la bonne Vie 
De Josaphat le duz enfant , 
A cens qni furent escutant , 
Mande Chardry salnz sans fin , 
Et an soir et au malin. 

Fauchet et Massieu attribuent encore à un autre trouvère 
nommé Herbert y un des traducteurs du Delopathos vieux ro- 



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man grec, une troisième Ftê de Josaphat, poème plein de 
maximes politiques et d'instruction pour les rois. Nous ne 
savons pas si Guy de Cambrai a emprunté quelque chose à ces 
auteurs, ou si lui-même leur a servi de modèle. 

Il a participé à un second ouvrage; au roman d^ Alexandre , 
composé en vers alexandrins auxquels, dit-on , le poème donna 
son nom ; c'est l'œuvre de neuf poètes qui y travaillèrent en com- 
mun et le divisèrent en trois branches distinguées chacune par 
un nom particulier. Ces hommes de lettres , réunis en société , 
sontl.ambert Le Court , Alexandre de Bernay, Pieri'e de St- 
Cloud , Jean le Nivelois , Jean de M otèlec , Jean Brizebarre , 
Guy de Cambray, Thomas de Kent et Js^cques de Longuyon. 
C'est peut-être la première association littéraire qui se forma 
pour exploiter un sujet, 

HUGUES DE CAMBRAY. 

Hues ou Hugues de Cambray^ vivait un peu avant l'an i3oa. 
C'était un poète satyrique et mordant dont le cœur tout fran- 
çais ne pouvait supporter le succès des armes de l'Angleterre 
sur le continent. Il composa un fabliau intitulé la maie honte 
dont parle La Croix du Maine dans sa bibliothèque française. 
Suivant Fauchet et le comte de Caylus qui l'a mentionné dans 
les mémoires de l'Académie des Belles-lettres , c'est une satyre, 
ou au moins une violente raillerie contre Henri III , roi d'An- 
gleterre, qui , vers le milieu du XIII® siècle, chercha vaine- 
ment à recouvrer la Normandie et se vit obligé de céder au 
roi Saint Louis tout ce que ses prédécesseurs avaient possédé 
en France, excepté la partie de la Guienne qui se trouve au- 
delà de la Garonne. 

Hugues de Cambrai n'est pas très-clair dans sa soi-disant 
satyre ; L^and d'Aussy , qui en a donné l'analyse , n'y trouve 
qu'une équivoque de mots assez pitoyable ; le fait est que la 
pièce est faible, obscure et peu intelligible. Elle contient i58 
vers , se trouve à la bibliothèque du roi n** 72 18 des manus- 



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HUGUES D'OISY. 

Voici venir un grand seigneur trouvère ; c'est Hugues HI ; 
seigneur d^Oisy , issu d'une des plus anciennes et des plus 
puissantes famUles du Cambrésis, petit- fils du fondateur de 
l^'antique abbaye de Vaucelles. Ce noble poète vivait sous le 
règne dé Philippe-Auguste ; il s'occupa à rimer des chansons 
dkns lesquelles on remarque une hardiesse et un mordant sa- 
tyrique qui dénote tout l'à-plomb ^e pouvaient donner à 
Fauteur la richesse et la puissance. 

Il nous reste deux chansons de Hugues d'Oîsy ; la pre- 
mière , contenue dans le n» i84 du supplément français des 
manuscrits de la bibliothèque du Roi , est intitulée : Li tor^ 
nois des dames MoMsei^neuj- Huon d'Oisy , et commence ainsi : 

Eq l*an que chevalier sont abanbi 

Qire d'armes noient [rien] ne font li hardi^ 

liez damez tournoieryont à Laigny. 

n paraît que les dames de Coucy, Crespy, Torcy, Coiipi- 
gny, Marguerite d'Oisy et une foule d'autres , s'étaient réunies 
au château de Lagny pour un tournois dameret , où elles ju- 
geaient du mérite de leurs amis par les bons coups qu'ils se por- 
taient avec les armes courtoises. Le seigneur d'Oisy nesegénepas 
pour nommer les dames et les preux , et , ce qui pouvait être de 
l^indiscrétion il y a six siècles , sert aujourd hui de renseigne- 
mens généalogiques et peut fournir des titres de noblesse aux 
Êunilles-; Cette chanson est fort intéressante et mériterait d'être 
publiée en entier ; nous avons lieu de croire qu'elle le sera 
incessamment. La musique accompagne le texte de cette pièce 
et de ceile dont nous allons parler. 

La seconde chanson d'Huon d'Oisy est dirigée contre le 
comte de Béthune à l'occasion de la croisade; il paraît que ce" 
dernier seigneur, qui lui-même était un trouvère artésien^ 



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avait pris la croix et annoncé son départ par une ballade qui 
commençait ainsi ; 

a Ahi amors! com dure départie » 

Par une licence plus que poétique , le comte de Béthune, 
ou ne partit pas , ou revint sans avoir mené son vœu à bonne 
un ; Hugues d'Oisy, son frère en Apollon , ne le ménagea pas ; 
il le relance vertement dans la chanson suivante | dont il nous 
manque les deux premiers vers ; 



Maugréa tous saioz et maugrè Dieu auti 
Revient queues [le comte], et malsoît-ilTignaat. 
Hooni soit-il et ses préëdiemans } 
Et honniz soit que de lui ne dit : fi ! 
Quant Des Terra que ses kesoioz eit grans » 
Il li faudra » car il U a £aûlU. 

Déchantez mais , quenes , je tous en prie ; 
Car Toachançons ne sont mes arenanz. 
Or menrez-Tous honteuse vie ci ; 
Ne vousistes por Dieu morir joiant » 
Or Yous coate-on avœc les r^créanz : 
Si remaindroiz avosc vo roi £sûlli. 
Ja dame Diex qui seur tout est puissanz „ 
Du Roi avant , et de vous n'ait merci» 

Tout fu Quènes preux , quant il s'en ala ^ 
De sennoner et de.gent prëeschler ^ 
Et quant un& seuz en remanoit deçà ^ 
n li disoît et honte et réprouvier. 
Ore est venuz son lieu rëconchier. 
Et s'est plus orz que quant il s'en al» s 
Blen'poet sa croiz garder et estoîer : 
K'encor l'a-il tele k'il l'enporta. 



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£q voyant le trait et Tënergie qui dominent dans cette pièce, 
on regrette que le reste des oeuvres de ce trouvère ne se soit pas 
retrouvé. 

JACQUES DE CAMBRAY. 

Ce trouvère cambrésien est peu connu et ne le serait peut- 
être aucunement sans le service rendu aux lettres par Jacques 
Bongars, conseiller et maître d*hôtel du roi Henri IV, qui ras- 
sembla, une précieuse collection de manuscrits provenant des 
bibliothèques dispersées de St-Benoit-sur-Loire et de la ca- 
thédrale de Strasbourg , lors des troubles de religion. Cette 
curieuse collection passa dans la bibliothèque publique de 
Berne ^et là se trouve aujourd'hui sous le, n® 389 , un manus- 
crit de 476 feuillets , extrêmement intéressant pour notre pays , 
et qui renferme un recueil de chansons cambrésiennes , picar- 
des et artésiennes, toutes du tj*eizième siècle , et précédées . de 
lignes de musique sur lesquelles on a oublié d'inscrire les 
airs. Ces chansonniers sont au nombre de trente-ei-un ; Jac~ 
ques de Cambrai se trouve là en fort bonne compagnie , on y 
remarque le châtelain de Coucy, le comte Thibaut de Cham- 
pagne , et ,. parmi ceux dont l'origine se rapproche davantage 
de Jacques de Cambrai , on peut citer Cuno de Bethune , Mo^ 
uiot et Jean Charpentier d'Arras, 

Ce recueil , le seul dans lëquef nous ayons découvert quel- 
qu'œuvre de Jacques de Cambray , a été décrit par Sinner , 
bibliothécaire de Berne , pages 64 et 65 de son Extrait de quel- 
ques poe'sies des XII'^ , Xllfi et XIF^ siècles, Lausanne, 
Grasset, 1759,, in-8"de 96 pages. 

JEHAN DUPIN. 

Jehan Du Pinson Dupain selon M. de Roquefort , moine de 
la riche et antique abbaye de Vàucelles , de l'ordre de Cîteaux, 
fondée en 11 32 sur les bords du Haut-Escaut, peut être con- 
sidéré, quoique né loin du Cambrésis, comme un des plus 
fameux trouvères de cette province , par le long séjour qu'il y 
fit et les travaux auxquels il s'y livra. 



l 



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] 



Si nous l'en croyons lui-même , il vit le jour dans le Bour* 
bon nais, en i3oa : 

Je suis rude et mal courtois ; 
Si je dis mal pardonnez-moi , 
Je foys par bonne intencion ; 
Si n'a y pas langue de (rançois , 
De la duché de Bonrbonooys 
Fust mon lien et ma nation. 

La Croix du Maine, et d'autres après lui , donnent à Jehan 
Dupin , une foule de mérites qu'on pourrait lui contester ; ils 
en font un profond théologien , un savant médecin ; un ingé- 
nieux naturaliste , un orateur distingué et un grand poète : 
ce n'est que sous ce dernier titre que nous avons à l'examiner 
aujourd'hui , mais il n'est pas inutile de dire en passant que 
le modeste religieux de Vaucelles avait lui-même une beau- 
coup moins haute idée de son savoir, et avouait ingénument 
qu'il était sans lettres et sans érudition ; voici comme il s'ex- 
prime naïvement à la fin d'un de ses ouvrages : 

Se )'ay point dit ici follie 

Nul ne m'en doibt en mal reprendi'e , 

Car je ne sçay mot de Clergic : 

Donc j'ay fait par mélancolie 

Des faits ce que j'ai veu emprendre ; 

Selon mon sens et mon usatge , 

Fis ces proverbes en mon langalge 

Sans patron et sans exemplaire. 

Puis il ajoute : 

Je ne suis clerc, ne usages , 
Ne ne scay latin , ne ébriez. 

Il paraît difficile d'établir comment un religieux, qui ne sa- 
vait ni le latin , ni l'hébreu, pouvait , au XIV® siècle , être 



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théologien et médecin. On se consolera aisément de cette ab- 
sence de haute érudition , puisque c'est évidemment la raison 
qm fit écrire Du Pin en langue vulgaire et qui nous a procuré 
un monument de plus du vieux langage et de l'ancienne poé- 
sie de nos contrées. 

Du Pin quitta de bonne heure le Bourbonnais , et vint faire 
profession à l'abbaye de Yaucelles ; on ignore la cause qui Ta- 
mena dans le Cambrésis. Ce fut en i3a4y et à l'âge de a a ans 
qu'il se mit à composer des vers ; il consacra à cette occupa- 
tion seize années de sa vie : la dernière fut employée à rassem- 
bler ses vers en un corps d'ouvrage dont il donne lui-même la 
date au commencement et à la fin de cette partie de son livre 
qui est en prose. Il dit en débutant : « En l'an l'incarnacion 
» Jésus-Christ mil trois cent quarante , que pape Benedic 
» (Benoit XII ) qui fust de Tordre de cisteaux estoit pape de 
» Romme et Loys de Bavières se disoit empereur , et tenoit 
» grant partie de l'empire , oultre le vouloir du pape ; et lors 
» estoit messire Phelippe de Valois, roy de France , qui avoit 
» guerre de longtemps au roy d'Angleterre...... si entreprins 

» à compiler un livre révélé par manière de vision , par exem- 
» pies de congnoistre le monde et les dondicions des personnes 
» qui par le temps d'ores (d'aujourd'hui) habitent sur la ter- 
» re , et amender la vie de ceulx qui verront et entendront. » 
Il ajoute peu après qu'il commença son songe en Feage de tren- 
te^sept ans , et à la fin, que lorsqu'// s'éveilla, c'est-à-dire 
qu'il acheva son œuvre , il se trouva en Veage de trente-huit 
ans , sus le terme de V incamacion mil trois cent et quarante. 

On a donné beaucoup de qualités à Jehan Du Pin , peu de 
biographes néanmoins lui ont rendu la justice de le citer 
comme philosophe : c'est cependant là un mérite que qui- 
conque a médité ses vers" ne saurait lui dénier. En effet , l'au- 
teur s'élève souvent dans ses ouvrages à de hautes considéra- 
tions philosophiques ; il prêche la réforme et flagelle du fouet 
de la satyre les hommes vicieux de son tems quelqu'élevé que 
soit le rang oii la fortune les a placés. Sa poésie est franche 
dans son allure , et naturelle dans son expression ; elle respire 



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cette hardiesse de pensées et de mots qu'on trouve dans pres- 
que tous les récits antérieurs à l'invention de TimpriRierie , 
alors que les livres n'étaient composés que pour le plaisir des 
auteurs mêmes et pour être communàpiés seulement à un 
petit nombre d'amis ou de commensaux. 

Dans ses vers , le moine delVaucelles rappelle quelques évé- 
nemens arrivés de son tems ; . il était ne à la fin du règne de 
Philippe le Bel, il avait vu passer rapidement Lonis X, Phi- 
lippe V et Charles IV 5 c'est ce qui lui Êiit dire : 

« Je yf CD moins de quatorze aira 
ce Quatre roys en France rëgncr, 
a Grans et fors, ce ne veuil cëUr , 
« Tou» furent mort» en peu dé temps, v 

La découverte de Pimprimerie a fait passer jusqu'à nous^ \h- 
principat ouvrage de Du Pin. Il porte le titre allégorique sui- 
vant X L» livre de bonne vie, qui est appel/ Mandevie , par Je- 
han Du Pin , imprimé à Chambëry , par Antoine Neyret , 1 485 
petit în-f». goth. (1) . 

Ce livre eut alors un grand succès puisqu'il s iiBit peu après ^ 
une réimpression sous ce titre plus développé : Le champ ver^ 
tueux de bonne vie , appellee matidevie, ou les malaneholies sur 
les conditions de ce monde , composées par Jehan Du Pin, fan 
1 3 ^0 , divisées en sept parties escrites en prose aveà une huic^ 
tiesme en vers, appellee la somme de la vision Jehan Dupin, im- 
primé à Paris, chez Michel Lenoir (sans date , mais évidem- 
ment vers i52a) in-4'*goth. de 38(r pages environ. 



(1) Le n<* ift24 du catalogue de Gaignat indique le titre et le format ainsi 
quUl suit : ce Le beau livre de Mandevie , appelle Bonnevie , contenant plu- 
» sieurs beaux enseignemens moraux , et compose tant en prose qu'en ryme 
» françoise , par J^han Dctpia. » Imprimé à Chambéry en SaToie, etk xêfiS*,. 
in-4° gotlu 



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^171 ^ 

Ce volume est le premier ouvrage connu en France , où 
la prose et la poésie se trouvent réunies ; il est vrai de dire qu^il 
est divisé en deux parties dont Tune n'est guères que la tra- 
duction de l'autre en vers. La première , celle en prose , est 
partagée en sept livres ; c'est le récit d'un songe pendant le- 
quel l'auteur parcourt toutes les conditions de la vie sociale , 
guidé par un chevalier nommé Mandevie (a) qui lui apparait 
pendant son sommeil. 

La seconde partie , qui forme le huitième livre , roule à peu 
près sur le même sujet ; l'auteur , toujours sous le voile allé- 
gorique d'un songe, critique, moralise et satyrise tous les 
états ; c'est comme un sommaire des sept autres livres , c'est 
la somme de la vision Jehan Dupin, comme l'indique si bien le 
titre qui vient d'être cité. Ce poème est lui-même divisé en 4o 
chapitres , que Duverdier , dans sa bibliothèque française, dé- 
signe comme ordonnez par rubriches, c'est-à-dire divisés par 
articles ou strophes , qui commencent par des lettres rouges. 

Ce traité, à la fois satyrique et moral, est des plus curieux 
comme peinture piquante des mœurs du tems ; l'auteur j passe 
en revue , avec une rare liberté , toutes les professions profa- 
nes et sacrées ^ il donne aux hommes qui occupent les unes et 
les autres des conseils sur la manière dont ils devraient vivre : 
quelquefois il trace des peintures d'états qui ont été justes, jus- 
qu'à des tems non loin de nous. Voici, par exemple, ce qu'il 
dit des avocats qu'il nomme clercs de lois : 

Clercs ODt la langue envënimëe , 
De faulce parolle fardée ; 
Avarice leur est à dextre ; 
Robes ont d'envie herminée , 
Housse d'ypocrisie fouiTée , 
Chapeau de paresse en la teste j 



(2) Le mot Mandevie vient A* amender sa vie, se corriger, se convertir, 
vivre mieux. 



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Leurs maisons sont d'yre parëes y 
D'orgueil et de deuil fondées ; 
De luxure font leur digeste : 
Loyaulté j droictnre est Êiillie , 
Car tout 1q «eus de cette vie 
Est transporte en ûinlceté. 

Si on ne savait que l'auteur de ces vers acerbes et mélanco- 
liques est un modeste religieux, vivant séparé du monde, ne 
le prendrait-on pas pour un plaideur ruiné par la chicane? 
Mais Du Pin ne craint pas de parcourir , avec cette même in- 
tempérance de langue, toutes les positions, depuis le prince 
jusqu'au simple artisan et toujours il se montre censeur impi- 
toyable. Il proteste toutefois contre toute idée de partialité et 
d*exagéi*ation dont on pourrait Taccuser ; il assure qu'il ne 
frappe que l'injustice , la déloyauté ou le vice ,. et qu'il est plein 
de respect pour ceux qui suivent sans s'écarter la ligne de leur 
devoir. 

Le moine de Vaucelles ne se gêne guère^ pour dévoiler les 
méfaits du clergé de cette époque reculée; il tonne contre les 
prêtres, et surtout contre les juges ecclésiastiques, les mem- 
bres des ofiGicialités ; il trace un portrait peu flatteur des cha- 
noines et des moines , sans épargner les disciples de St.-Be- 
noît et de St .-Bernard , (qu'il désigne sous le titré de moîTies 
noirs et de moines blancs^ ; aux chartreux il se contente de di- 
re qu'ils 

Ne sont bons à rien que pour eulx : 



C'est une gent moult ressolue : 
Chascun mange seul son pain. 
Bel service font soir et main [matin} 
Peu est leur règle cogneûe. 



La critique du poète s'élève jusqu'aux abbés , évêques et car- 



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dinaux qtt'il accuse hautement de luxe y de simonie , d'avarice 
et d'autres crimes plus répréhensibles encore. Il iaut Tavouer^ 
si les couleurs ne sont pas trop chargées j nous n'avons qu'une 
faible idée du relâchement des moeurs des membres du haut 
clei^é , durant le moyen âge. L'auteur termine en leur propo- 
sant pour modèle la vie des apôtres et des chrétiens de la pri- 
mitive ^lise : enfin j dans son ardeur de remontrance , il va 
jusqu'à se mêler de donner une leçon au Saint Père. Il expli- 
que la manière dont le pape peut pécher, comme homme j 
quoiqu'il soit infaillible à la tète de l'élise. Il est assez cu- 
rieux de voir un moine traiter cette question avec une telle 
franchise , et en vers : 

Le pape pêcher ne ponrroit 
Gomme Saioct Père ; ce seroit 
A c'ëtat (son ëtat) imperfection ; 
Mais comme hom cil (lui) pecheroit , 
Ainsi qu'autre cheoir pourroit 
Par aucune temptacion .... 
Le Pape doit souvent penser 
Pour nous en vertus avancer ; 
Il est Dieu souverain en terre j 
De prier Dieu ne se doibt lasser 
Tous prestres en saincteté passer, 
S'autrement fait , je dys qu'il erre. 

On s'étonnera peu sans doute que les deux éditions d*un 
poème aussi piquant soient devenues aujourd'hui d'une exces- 
sive rareté. Depuis les ventes célèbres de Gaignat et du duc de 
la yallière, il n'en a pas paru dans le commerce (i). 



(i) Jean Taffin dit le Vieux y né à Tournai, en i528, a composé 
une pâle et pitoyable imitation de ce livre , sous le titre de : Traité de 
tamendement de vie , Genève , 1621 , in-12. -~ Traduit en flamand par 
J. Crueius, ministre de Harlem , Amst. 1628 > in>i2. Il n'a guèresd'aur 
tre rapport avec l'original que celui du titre. 



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Le «econd ouvrage de Jehan Du Pin a peut-être plus d'inté- 
rêt encore ; s'il a fait preuve d'une grande connaissance du 
pœur. humain dans son livre du champ vertueux de hênne vie,\\ 
n'est pas resté en arrière sous le rapport des aperçus fins et dé- 
licats y dans son poème de V Evangile deefemee. C'est un traité 
de morale à l'usage des dames ^ écrit en vers alexandrins que 
l'on appelait alors vers de longue ligne; on s'attendrait peu à 
trouver une pareillematière traitée si pertinemment par un moi- 
ne deVauceileSy mais Du Pin a voulu , après avoir ikit la leçon 
aux hommes de tous les états , donner, dans un traité à part, 
des conseils au beau sexe. Il l'a jugé digne d'être chanté en vers 
héroïques de douze syllabes ; il commence ainsi : 

L'eTangUe des femet vous veuil ci recorder, etc. 

Et finit par ces mots : 

Ces Ters JehanB Du Paîo^ no moine de Yaucelles, 
A fet moult fontilement, etc. 

Ce poème forme ainsi une espèce de complément , dans un 
genre un peu plus plaisant, au livre de Jlfani^ie/ malheureu- 
sement il n'a jamais été imprimé. Il est conservé parmi les ma- 
nuscritsde la bibliothèque du Roi (n« 7218; ancien fonds , et n* 
a , de relise de Paris). 

Jehan du Pin mourut dans la seconde moitié du XIV* siè- 
cle y au milieu de ses co-religieux et dans l'abbaye de Yaucel- 
les. C'est le cas de relever ici une erreur qui s'est glissée dans 
les anciennes biographies et qui a été renouveilée et recopiée 
trop exactement par les plus nouvelles. La Croix du Maine, 
l'abbé Goujet , le savant Weiss lui-même, font mourir Jean du 
Pin à Liège, en 137a , et le font enterrer dans le couvent des 
Guillelmites de cette ville, où^ disent- ils, on lit son épitaphe. 
Voici ce qui a pu donner lieu à cette erreur , sans cesse pei*pé- 
tuée , et qu'il est tems de réparer. 

Jean de Mandeville , chevalier anglais , né à St. -Alban dans 



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la Grande-Bretagne y la même année que Du Pin voyait le Jour 
dans le Bourbonnais y passa 34 années de sa vie à voyager dans 
les trois parties du monde connu ; la relation de ses courses 
fut imprimée eh plusieurs langues et entr'autres pour la pre- 
mière fois en français sous le titre suivant : Le Livre appelle 
Mandeville,faictet compose' par M, Jehan Mandeville , et parle 
de la terre de promisaion et de plusieurs autres isles de mer y ete, 
Lyon, Barth. Bayer, i48o, in-f*. 

Or, après avoir tant couru le monde , ce fut à Li^e que le 
chevalier anglais fit son dernier voyage ; il expira dans cette 
ville le 17 novembre 137a ,etfut enterré dans l'élise desGuil- 
lelmites. On y lisait une pompeuse épitaphe en l'honneur de 
l'auteur du Livre appelé Mandeville. Les premiers historiens 
qui remarquèrent ce fait confondirent cette œuvreavec Le Livre 
de bonne vie, qui est appelé Mandevie , et dès lors on consacra 
le principe que Jehan Dupin son auteur était ailé mourir à 
Liège en 1872. Tous les bibliographes sans distinction ont ré- 
pété cette erreur. 

Ce n'est donc pas à Liège, mais dans les ruines de Yaucel- 
les, près Cambrai , qu'il faut aller chercher les cendres du moi- 
ne-poète du XIV* siècle; c'est là qu'il a dû mourir, c'est là 
qu'est json tombeau! 

JEHAN LE TARTIER. 

Sire Jehan le Tartier était prieur de l'abbaye de Camtimpré, 
près Cambrai. Ami du célèbre Froissart qui passa près de lui les 
dernières années de sa vie dans son abbaye , il est regardé comme 
l'ayantimité dans la composition de quelques lais. Soit que l'ex- 
emplede Froissart , qui écrivait ses chroniques, entrainât aussi le 
prieur, soit que ce fut comme aide de son ami, Jehan le Tartier 
se mit à composer en langue vulgaire une généalogie de plu- 
sieurs rois de France et de leurs descendans ; une série de faits 
curieux sur le règne de Philippe- le-Bel ; des détails sur les fla- 
mands 5 sur le siège de la ville de Lille ; sur l'origine des divi- 
sions et guerres entre la France, l'Angleterre et la Flandre. 



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toi i-jG'm 

Cette production semble faîte à dessein pour servir d'introduc- 
tion à la chonique de Froissart , dont elle se rapproche beau- 
coup par le style et le langage. 

Les œuvres de Jehan le Tartier n'ont jamais été imprimées ; 
les manuscrits en sont même fort rares ; une copie authentique 
jointe aux chroniques de Froissart, a été possédée par Tabbë 
FavUr, bibliothécaire de St.-Pierre de Lille, et fut vendue en 
1765 , sous le n^ 5564 ? pour la somme de 44o fr. (2 vol. grand 
in-f* en maroquin noir). 

MARS DE CAMBRAY. 
(Voyez Alars de Cambray.) 

MARTIN LE BEGUINS. 

Ce trouvère du XIII® siècle , dont le nom annonce le défaut 
de prononciation dont il était affecté , porte aussi un prénom 
dont la popularité dans ce& contrées , et surtout à Cambrai, est^ 
comme on le voit, de toute ancienneté. Martin le Béguins pa- 
raît s'être livré exclusivement à la composition de chansons, 
que , tout porte à le croire , il ne chantait pas lui-même. Il ne 
nous est resté aucun détail sur sa personne. Le n® 27 1 9 du ca- 
talogue de la Vallière contenait une chanson de ce trouvère, 
qui se trouvait au milieu de celles du roi de Navarre, du 
duc de Biabant , d'Henri III , de Charles d'Anjou , deBlondel, 
ami de Richard Cœur de Lion, de Raoul de Soissons et de Guil- 
laume de Béthune. 

Un intérêt particulier qui doit s!attacher à cette chanson du 
trouvère Cambrésien, et à celles qui y sont annexées , c'est que 
les premières strophes de chacune d'elles sont notées en musi- 
que. M. De la Borde, n'a pas manqué de signaler ces monu- 
mens intéressans de notre histoire musicale dans son Essai sur 
la musique. 



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On ooniiàit encîoreqnatreautr<in chaiiftens (h? Marliil le Bé- 
guins consignées diins un jnécieux luainistril tjui rej)ose à la 
Bibliotlièque du Vatican; on s'elonjn'iiiil à bon droit do Voir 
les œuvres légères d'uu poète de Cambrai reléguées aussi loin , 
si Ton ne savait que la reine Christine de Suède légua à ce vas- 
te dépôt la curieuse collection de manuscrits qu'elle avait fait 
rassembler à grands frais en France, en Italie, dans les Pays- 
Bas et sur les principaux points de TEurope. C'est à cette cir- 
constance que le chansonnier Cambrésien doit de figurer au- 
jourd'hui dans la bibliothèque du Pape. 

RAOUL DE CAMBRAY. 

Ce poèteestcité par le troubadoiu' A#naud d'Entrevenesdçtns 
une liste des plus fameux auteui-s de romans du X11I« siècles ; 
Fabbe Papon le signale également; cependant on n'est pas dac^ 
cord sur les productions qu'il aurait laissées. S'il faut en croire 
de nouvelles découvertes, il serait auteur dedeux longs romans 
en vers , et , dès lors , il tiendrait le premier rang parmi les 
personnages cités dans cette notice. 

Lepremicr de ces romans est celui de Guillaume au kourtnés, 
qui n'a pas moins de 77,000 vers de dix syllabes* C'est l'histoire 
d'Aymerie de Narbonne et de Guillaume d'Orange , surnom- 
mé au court nez , à cause d'un coup d'épée qu'il reçut dans la 
figure et qui lui en abattit la partie la plus protubérante. Cet 
ouvrage existait manuscrit en 2 vol. in-f*dans la bibliothèque 
du duc de la Vallière. M. de Ste.-Palaye en attribuait une par- 
tie au poète Li Roix Adenez; M. de Roquefort le donne à Guil- 
laume de Bapaume; mais MM. Francisque Michel et Paulin 
Paris sont aujourd'hui tous deux d'accord qu'il appartient à 
Raoul de Cambrai, ou qu'au moins il y a eu la plus grande 
part. Le roman est divisé en seize branches ou parties ; la pre- 
mière commence ainsi : 



A ceste esloire dire me pîaisl entendre 
On l'en peut sfns et exemple apiendre. 



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La Aeeonile ^ intitulée : Comment le rois manda Aymery <pU 
il li cnvoiast de sbm en/ans , débute par ces vers : 

Or fêles pes poor Dieu seigneur baron 
Sorrez chatiçon qui moult est de grand nom. 

On peut lire les titres des autres parties dans le catalogue de 
la Vallière^ numéro 2735. 

On voit dans le roman que Guillaume assiège la ville d'Oran- 
ge et la prend ; il s empare par la même occasion d^une prin- 
cesse Sarrasinc , nommée Orabhj qu'il épouse, après l'avoir 
fait préalablement baptiser. Rainier^ frère de cette dame, re- 
çoit aussi le baptême, après quoi il fait des merveilles dan» 
Tarmée du beau-frère. L»e roman se termine par une série con- 
sidérable de combats contre les Maures et les 6^rrasins. 

I/C second ouvrage attribué à Raoul de Cambrai porte le 
titre de Gerars de Ne vers; il est coté à la bibliothèque natio- 
nale, sous le n° 7696 des \iss. Dans ce poème, qui ne contient 
que 4^00 vers , ligure un roi de France nommé Louis, sans au- 
tre indication* Tout l'ouvrage est farci d'événemens, soit his- 
toriques, soit romane^îque», mais toujours variés et intéres- 
sans, et pouvant fonmir aux artistes une riche source de no- 
bles et gracieux sujets. M. Paulin Paris, Tune des personnes 
commises à la conservation du dépôt des mss. de la bibliothè- 
que nationale, pense que le roi Louis dont il est question dans 
le poème, est Louis-le^éhonnaire ; tel n'est pas l'avis de M. 
Francisques Michel, savant philologue, qui emploie ses loisirs 
à la lecture de nos vieux romanciers. Au reste, ce point en li- 
tige sera bientôt soumis à l'appel du public éclairé, M. Paulin 
Paris étant dans l'intention de publier incessamment le ro- 
man de Gérard de Nevers qui passe pour une des plus agréa- 
bles productions du XIII® sièicle. 

U n trouvère Picard de la même époque, Gibers de Morts- 
treuil ^ rima, en 1*284, un roman de la Violette , dont le héros 
est aussi un Gérard de Nevei's ; il parait que le sujet en fi^t pri— 



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mitivemetît emprunté à un troubadour provençal. Le roman 
de la Violette fut mis en prose par un anonyme qui Taccom- 
moda au goût du XV* siècle : c'est ce dernier texte qui fut im^ 
primé sous le titre de V Histoire du noble et chevaleureus princ9 
Gérard, comte de Nevers , et de la très-vertueuse et très-chaste 
princesse Euriant de Savoie, sa mye. Paris, PhiL Le Noir, 
i526, in-4** goth. Dans cette vet-sion , l'anonyme traducteur, 
en prose décide que le roi Louis dont il est question dans le 
poème , est Louis^le-gros ^ roi de France. Cette opinion rencon- 
tre encore une autre difficulté historique, c'est que sous Louis- 
l«-gros et depuis lui, il n'y eut point de comte de Nevers du 
nom de (îérard. 

M. Gueullettea publié, à Paris, en 1727, une édition du 
roman de Gérard , en vieux français avec des notes historiques. 
Le comte de Tressan l'a remis en français en Fhabillant à la 
moderne; M. Frédéric Schlegel l'a traduiten prose allemande; 
nous attendons la publication de M. Paulin Paris pour re- 
tix)uver le poème original débanassé de tous ses déguisemens. 

ROGERET DE CAMBRAY. 

Rogeret de Cambray que Claude Fauchet (1) appelle Roger, 
fut un trouvère florissant vers l'an i25o. Ses poésies ne se com- 
posent que de chansons d'amour , bien vives , bien chaleureu- 
ses et telles qu'on ne les supposerait pas sorties de la tète d'un 
homme du Nord. Elles sont conservées parmi les manuscrits 
de la J^ibliothèque du Roi. 

Le poète Rogeret joignait à son talent de versificateur celui 
de musicien. A la fois trouvère et ménestrel, il accompagnait 
ses chants en jouant de la vielle , instrument fort en vogue au 



(i) Dan» son Recueil de l'origine de la langue et poésie françaises , . 
ry'^ et romans ; plus , les noms et sorfimaires des œuvres de ii'j poètes 
fra\)(.ois vivants avant Van i3oo. Paris , PatÏMcm , i5Ôi, ia-4°. 



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XIIP siècle. Ce feit nous est confirmé par ce vers d'une de sci 
ballades : 

« Por li [pour lui] faz sonner ma vièle. » 

ROIX DE CAMBRAY. 



Roix de Cambray vivait avant Tan i3oo ; ce trouvère fut a&- 
sez fécond ; il a composé une foule de petits poèmes , d'un es- 
prit passablement mordant , parmi lesquels on remarque une 
Satire contre les ordres monastiques , qu'on trouve dans le» 
manuscrits de la bibliothèque du Roi, n" 7318 et qui com« 
mence par ces deux vers : 

Si le Roix de Cambrai te ut 
Le sicgle si bon comme il fust. 

Quoiqu'assez virulente, cette pièce est moins forte que celle 
du même tems connue sous le titre de : Complainte de Jérusa- 
lem contrôla cour de Rome, 

On cite encore parmi les opuscules rimes de Roix de Cam- 
bray : 

\^ Li A , B , C, jtar dkivoques , et li signification des lettres 
tft vers. 

Cette facétie , dans le goût du tems , se rapproche des rébus 
qui , même à cette époque , portaient déjà le nom de rébus de 
Picardie, 

2® Li Ave Maria, en Roumans ( c'est-à-dire en langue vul- 
gaire ). 

y^ J^ie de Saint-Quentin, 

Cette It^getide sacrée du saint patron du Vermandois est en 
ftwme de canticjues , et parait avoir été composée vers Tépoque 
oii toute la contiTC retentissait encore du bruit des miracles 
arrivés lors de la lévation du corps du saint qui eut lieU Taii 



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B=r ! 8 i -s? 

4 • Cest de le mort de noHr^ Seigneur. (Espèce de poème sur 
la passion ). 

5° La descrission des religions. 

Cette dernière pièce pounait bien n'être rien autre chose 
que k satire dont il a été question d'abord. 

Suivant Tusage des poètes de son tems , Roix de Cambray, 
comme le Roix A dette z, porta toute sa vie le titre de Roi 
qu'il avait gagné dans un concours de poésie , ou Puy d'amour 
du pays. Son nom termine assez bien la petite plé'iade des trou- 
vères cambrési^ns; on ne pouvait mieux faire que d'en clore 
la liste par un poète couronné. 



Tels sont les ti 1res littéraires que des recherches conscien- 
cieuses nous ont mis à même de produire en faveur des poètes 
Gimbrësiens du XI IP siècle ; nous ferons voir bientôt que les 
trouvères Artésiens et Flamands de la même époque étaient 
plus nombreux encore et non moins féconds : ce faisceau de 
noms, la plupart glorieux , soutenus par des preuves irréou- 
subies, montrera dans quel atmosphère poétique et chevale- 
resque vivaient nos pèies; combien leur caractère subtil, iro- 
nique, joyeux, ami des dames et de la bonne chère, des danses 
et de la chanson , élait loin de cet esprit si lourdement mer- 
cantile, si gravement mystique, si pauvrement intelligeot, 
que leur inculqua la pesante domination espagnole dont les 
dernières traces ne sont pas encore parfaitement effacées dans 
certaines classes de la population. 

Quiconque prend part à l'honneur littéraire de nos provin- 
ces du Nord, ne verra pas, je pense, sans quelqu'intérèt ces 
litres de noblesse pour ainsi dire rajeunis; qui ne sera fier 
d'appartenir à une contrée dont les habitans avaient déjà si gé- 
néralement la têle poétique, alors quêtant d autres étaient en- 
core plongées dans le^ ténèbres de ta barbarie? Pour moi , j'a- 
voûrai ingénument que j'ai ressenti une émotion, puérile peut- 



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être, mais délicieuse du reste, eu retrouvant dans les œuvres 
d'hommes de mon pays, presqu*oubliës depuis six cens ans, 
les idées-mères des contes les plus piquans du croustilleux Bo^ 
tace, de la gente reine Marguerite de Navarre, et deVinimita" 
ile La Fontaint qui tant de fois imita les autres. 

Arthur Dinaux. 



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BOnDSOEOOTS. 



Ainsi luul change , îrinsi toiK passe !.. 
Alphonse de LAMAnTiHE. 



v^'est une drôle cVidëe, et passablement triviale peut-être, 
mais j'ai plus d'une fois été tenté de comparer nos belles et 
grasses campagnes de la Flandre, si propres, si bien cultivées, 
si rajeunies qu'elles nous apparaissent aujourd'hui , à ces mi- 
sérables chanteurs, enfans du troisième sexe de la brune Italie. 
— Vojcz : qu'ils 80|nt frais et pimpans ! et que de recherche 
dans leur mise! L'embonpoint a déformé leur corps, leur 
teint s'est animé des plus brillantes cpu leurs : ils ont la bouche 
rose, viveDieu! et l'oreille velouteusement fleurie! Eh bien ! 
souvent une larme furtive a roulé dans ces paupière.* larges et 
tendues, un froid sourire d^orgueil a effleuré ces lèvres tout- 
à-coup pâlies au souvenir heureux qui s'est dessiné dans le 
lointain : mais tout cela n'a duré qu'un instant, et cet instant 
passé , ils se sont retrouvés tels qu'ils étaient,^^ face à foce avec 
le présent décoloré , et leurs chimères se sont envolées , une par 
une ; leur âme, pauvre et honteuse ^ s'est repliée sur elle-mê- 
me! Ainsi 4e ces riches moissons, ainsi de ce» champs bario- 
lés, flanqués de quelque sot moulin qui vous souhaite conti- 
nuellement le bonjour; ainsi de ces monotone» rangées de 
maisons blanches et repeintes, avec leurs jolie»^ couvertures* 
de chaume ou d'ardoise vernie. Chacune de ces maisons a son. 
hist^reà raconter^ mais leurs rides fusaient peur aux grands* 



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enfans^ et on les a fardées , les vilaines, «t elles s'étalent ^ elles 
se béatifient aujoiirci'hui sous leur ciel gris et capricieux, les 
vieilles folles ! — Que de maîtres ont eus cf*s hameaux? que de 
guerres on! contemplées ces champs si paisiblement heureux? 
et ces moissons , ont-elles été souvent recueillies par les mains 
qui les avaient semées ? 

Dans ces temps, la royauté bardée de fer, la cruelle domi- 
nation, la féodalité, se promenaient dans nos contrées, ar- 
moriées de bas en haut, des chaînes dans les mains , et la tête 
chargée de couronnes et (roripeaux. Mais alors aussi ^ elle était 
grande et belliqueuse^ noti-e Flandre! elle grinçait des dents 
comme une lionne en fureur au moindre geste de ses epnemis, 
elle défendait jusqii'au dernier souffle son foyer patrial^ et 
plus d'uue fois , les fers de l'oppresseur étaient tombés, brisés 
sous ses pieds. 

Aujourd'hui la voilà , telle et si peu reconnaissable qu'on 
nous Ta laissée! résignée dans sa nouvelle prospérité, résignée 
dans son indépendance , résignée dans le bonheur qui plane 
sur elle de tout son poids. C'est qu'elle a perdu son caractère 
originel , c'est qu'on l'a brusquement dédoublée d'avec son 
moyen-âge animé de révoltes, de persécutions ; son moyen-âge 
•religieux,' noble, grand seigneur; c'est qu'elle est devenue 
aujourd'hui toute positive , la Flandre , c'est qu'elle s'est faite 
bonne ménagère, propre, accorte et vermeille. Et la poésie en 
deuil est aHée s'asseoir, pleurant dje grosses larmes , sur les rui- 
nes des antiques manoirs, au seuil des saintes maisons de 
prière horriblement défigurées par la civilisation ! 

Tout en appliquant ce que je viens de dire au pays en gé- 
néral, Hondschoote est, sans contredit, une des villes de la 
Flandre à qui s'adressaient plus particulièrement mes regrets 
de poète : et néanmoins, e dois l'avouer, après avoir à chaque 
époque subi le sort de ses voisines ; après avoir vécu , comme 
elles, une vie des plus diversement agitées — incessamment 
lancées d'une nation à une autre, s'endormant Espagnoles 
pour se trouver Anglaises au réveil et se rendormir Françai- 
»'oS — Hondschoote semble avoir plus que les autres , cons^vé 



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je ne dais quel parfum de vétusté , quel pittoresque reflet dr 
moyen-âge qui caresse délicieusement Timagiiialion. Les sou- 
venirs se réveillent tout-à-coup en foule , et s'en vont coJorer 
ce qui reste des monumens du passé. Là , c'est un portail qui 
ne mène plus à aucun temple ; ici , un frontoB dont la main 
du temps et celle des hommes ont entièrement e&ce l'ëcu bla- 
sonique. Ailleurs ce sont des inscriptions, des sculptures , de» 
images / et toutes ces douces croyances primitives qui sont 
restées vives au cœur du vieillard. Le vieillard ! dernier et im- 
posant vestige d'une génération qui s'en va, 

La ville d'Hondsclyotç se trouve placée dans cette partie de 
la Flandre qu'on nommait Flamingwnte , et plus anciennement 
Mênapienne. Nul ^ jusqu'ici , n'a su trouver î'étymologie exacte 
de son nom, et c'est sans doute pour cela que Torthographe en 
a été donnée différemment par chacun des historiens qui ont 
fait mention de cette ville. En eiÏPt , faùt-il croire avec Mar- 
chant qu'elle doit cette dénomination à l'espèce de ses ekien^ 
de chasse f ou de ses é table s à chiens y ou bien encore, en fai- 
sant l'anagramme de son nom fSchoot hondj d'après Halma , 
qu'il est question dans l'histoire de son origine de petits chiens 
de demoitieUes ? 

Je ne sais vraiment. 

Hundscota écrit Malbrancq. Mayer c'est Hmti^cota, Hon^ 
diftcota , Aubert le Mire. Enfin on lit dans Quicchardin : 
a Hontscote ha rn triangle quasi en mesme longueur d'envi- 
« ron deux lieues Berghes-St-Winoc, Vuerne, Loo. Bile est 
<( complétemment bonne et gentil ville. » 

Quelques écrivains , mais d'une autorité malheureusement 
apociyphe , font remonter l'origine d'Houdschoota à des teips 
fort éloignés , prétendant qu'aux quatrième et cinquième siè- 
cles, c'était déjà un gros bourg qui fut plusieurs fois pillé et 
ruiné de fond en comble. — Par qui ? par des hordes barba- 
res!... répondent-ils en grossissant la voix. Pour liioi, je me 
vois forcé de l'avouer en toute humilité, quelques recherchas 
minutieuses que j'aie pu faire, quelques historiens que j'aie pu 
consulter, quelque» manuscrits que m'ait offert 1^ pays roème 



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à déflorer, Je n'ai rien appris sur Hondschoote , de faits cpî 
devançassent i*année 1090. Uabbaje de la Chapelle , dit San- 
derus , prouve suffisamment qu'avant 1 100' c'était un bourg , 
qui dès ce temps là possédait une église d'une juridiction très- 
étendue. En 1090, Guillaume, seigneur d'Hondschoote , ajou- 
te l^écrivain , ayant pris rang dans la milice saci^ , sous les 
auspices du comte Robert, nous enseigne que la domination 
d'alors était déjà fort célèbre. 

L'an 1220,. en date de la fête de St-Laurent, Gaultier 
d'Hondschoote , chevalier, fonda , du consentement d'Adélaïde 
«on épouse , le couvent des Trinitaires ^ la Rédemption des 
captifs institués par Jean de Matha vers l'an 1120, assignant 
à cet effet aux nouveaux chanoines sa terre du Clair-Vivier qui 
se trouvait aux environs. Ce couvent s'accrut bientôt et s'en- 
richit d'une manière sensible , grâce aux bienfaits des com- 
tesses Jeanne et Marguerite, suivant Chartres de i243 et i?46 
reposant au greffe de la ville. 

Les annales d'Iperius portent que peu après l'an i3oo, 
Gaultier ayant acheté le bourg d'Hondschoote , Térigea en sei- 
gneurie, et que c'est de cette époque que date la réputa- 
tion qu'avaient acquise au pays ses manufactures de serges et 
de draps. Les habitans obtinrent du comte Louis de Crecy le 
privilège ^accoutrer toutes espèces de laines , et de plus , la 
permission d'ajouter les armes de Flandre aux sceaux de plomb 
que portaient leurs Saies, Lorsque François Pétrarque , voya- 
geant alors en Flandre, écrit au cardinal Colonne : et viM 
4soeteros Flandriœ Brahantiœquf populos ianificos et textores , 
il est à croire qu'il n'avait pas manqué de voir Hondschoote. 
Guicchardin, de son coté, assure qu'avant l'an i4oo a les An- 
1» glais venaient en ces quartiers pour se fournir de draps. » 

Vers ce temps là , au rapport de Philippe de l'Espinoy, vi- 
comte de Therouanne , la terre et seigneurie de Hondescote fut 
apportée en mariage à Arnould de Hornes, seigneui* de Mont- 
cornet, par Jeanne, fille de Gaultier d'Hondschoote. <c Cette 
» seigneurie , dit il, était une ancienne bannière de Flandre 
» que le seigneur portait ai'moyée et faciée d'argent et de 



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D gueules de neuf pièces au cri de Bruges! tu Elle demeura k 
la maison de Hornes jusqu'en 1749 que messire Jacques Cop- 
pens, baron de Coupignjy d'Hersin, etc., en fit Tacquisi- 
tion. • 

Philippe le Bon accorda en i43o au seigneur d'Hondschoote 
pour de tresTgrands services qu'il en avait reçus , le droit alh- 
solu de domination avec V exercice de la haute , moyenne et basse 
justice indépendans du tribunal de Bergues Saint-Winoc , ce 
qui ne laissa pas d'agrandir de beaucoup l'importance de cette 
juridiction . 

Avant riooendie de i38i qui suivit la fuite des Anglais re- 
poussés du territoire par Charles VI , on voyait dans Téglise 
curiale consacrée à St-Vaast , les tombeaux des prettiiers maî- 
tres d'Hondschoote , Gaultier et Théodoric , couverts de lar- 
ges lames de cuivre et portant à chacun de leurs angles un lion 
de marbre avec les armes de la famille -, mais tout a péri dans 
les flammes. Ce ne fut que peu à peu , et moyennant les don» 
considérables que les comtes de Flandre faisaient pai- tout le 
pays, que la tour, Todeum (voxal) et la nef antérieure purent 
être renouvelés. 

Environ un siècle après que cela eut lieu , les Anglais firent 
une nouvelle descente sOus la conduite des ducs d'Yorck et 
de Glocester, et furent encore chassés , avec de grandes per- 
tes. 

Les coutumes de la terre et seigneurie d'Hondschoote da- 
tent de Tannée i54o. Elles lui furent octroyées par Isabelle 
Claire infante d'Espagne, et modifiées par le Roi d'Espagnt 
en i586. 

Cependant plusieurs couvents s'étaient établis tant dans la 
ville qu'aux environs. C'était d'abord le couvent des Soeurs 
grises bâti en i4oo. Venait ensuite la congrégation des Sœurs 
du tiers ordre de Saint-François , à l'arrivée de laquelle on ne 
saurait assigner de date précise f tout ce qu'on en peut dire , 
c'est que ce couvent fut augmenté par les soins de Nicolas Bar- 



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deloos et dé son épouse Christine en i4*S' H y eut encore en 
i6a6 une maison de inoines recolhts dont l'élise se trouvait 
située au bout de la rue de ce nom , et qui conserva long-tems 
une croix de bois devant sa porte. Un de ces moines que l'évo- 
que de Belley compare si spirituellement avec leurs courbettes 
mendiantes, à dês cruches qui se baissent peur mieux s'emplir, 
s'en allait chaque jour de grand matin , quêter dans la cam- 
pagne, et ne revenait jamais au couvent sans avoir son escar- 
celle garnie d'abondantes aumônes, isans que sa besace ne gon- 
flât à crever par les provisions de toute espèce , tant était gran- 
de et universelle alors la vénération qu'inspii^ait à ces peuples 
ia vue d'une robe bien humble ou d'un capuchon plus ou 
moins dévotement posé. 

En i558, Hondschootefut ravagée et pillée par les Fran- 
çais , lors du siège de Dunkerque , et un grand nombre de 
bourgecHS , à l'exemple du magistrat (*) se sauvèrent à Fur- 
oes. 

Plusieurs années s'étaient déjà passées , lorsqu'un incendiie 
dévora six cents maisons, et Tan 1682 les Français ayant mis 
ie feu à la ville à l'instigation , dit-on , des hérétiques , dix- 
sept rues furent entièrement consumées. A peu près vers la 
même époque , une maladie contagieuse s'était déclarée qui 
«nlevatant de monde , qu'il fallut prendre sur la bourse com- 
mune i3oo florins destinés à l'achat d'un terrain pour rece- 
voir les morts. Le cimetière était comblé. 

L'église paroissiale était jolie , bien éclairée et entourée au- 
dedans d'une ceinture de boiseries admirablement sculptées^ 
elle avait sept autels et un maitre-autel fait à la romainei On 
remarquait parmi ses ornemens précieux plusieurs chande- 
liers et une remontrance d argent repi^sentant une étoile , et 
au sanctuaire pendaient trois belles lampes également d'argent 
massif. La chaire était d'un travail exquis , ainsi qu'un Saint 
Jean avec son agneau , dont un enfant de chœur pervers eut 



(*) On appelait ainsi le corps de la magistrature. 



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un beau jour rirrévérence de couper le nez (raconte un ma- 
nuscrit lia ma nd , tout colère encore). Au reste, les démolis- 
seurs de 93 ont eu depuis , rirrévérence plus grande de s'empa- 
rer de l'Apôtre en totalité^ et de bien d'autres avec lui. 

La tour, qui est eAcore aujoui-d'hui fort belle et très-élev^, 
contemple o^'gueilleusement les Moè'res, laissant tomber de 
temps à autre un sourire moqueur sur toute cette jeune et 
vivace vpgétation de notre Nouveau -Monde à nous flamands, 
avec ses fraîches maisons et sa jolie église blanche qui brille au 
soleil de midi ! Cette tour avait jadis à la base de son aiguille 
quatre tourelles surmontées d'une boule dorée, mais Tune 
d'elles étant venue à tomber, on jugea à propos d'abattre les 
trois autres. Pendant la révolution on remplaça par un bonnet 
de liberté la croix qui dominait la tour et qui était ornée à 
chaque extrémité d'une fleur de lys fort habilement ouvragée 
à ce qu'il parait». Il y avait huit cloches, et le carillon secom« 
posait de quinze à seize grandes clochettes qui carillonnaient 
l'heure , la demi heui-e et le quart. Chaque année on chan- 
geait les airs; tout cela était charmant. Mais c'était surtout 
lors de 1^ semaine sainte ^ au jour de Pâques, et durant la Ker- 
messe qu'il fallait l'entendre ! Ces jours-là , lartiste suait sang 
et eau pour bien faire ^ et les cloches obéissantes, fascinées 
qu'elles étaient par des mains habiles^ sautillaient comme des 
bienheureuses, remplissaient les airs d'une harmonie ravis- 
sante. Et pendant ce joyeux concert, à la dernière de ces fêtes 
une longue procession sortait de l'église, pieuse et recueillie^ 
parfumée d'encens et de fleurs : elle allait , se déroulant com^- 
me un vaste ruban , par les rues de la ville , grossie à grands 
frais de tous les ordres religieux chantant à tue léte leurs can- 
tiques y et du magistrat tout en noir avec de petits mautciaux, 
devancé du seigneur de l'endroit dans le même costume. La 
garde bourgeoise , composée de quatre personnes sermentées , 
se tenait aux deux cotés avec les sergens et les gens d armes. 
Venaient ensuite les trois confréries établies à Hondschoote en 
i586 savoir, celle de St.-Sébastien , habillée de rouge à l'ex- 
ception de la veste et des paremens qui étaient blanche et jau- 
nes , de plus , chacun des confrères portant sur la poitrine une 
croix et l'épée au côté ; la seconde , celle des étudians de la rhé- 



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teriqae sous le patronage de Ste. -Elisabeth , ëtait en vert arec 
des paremens rouges , et portait celte inscription : a Torcu- 
tar calcavi solus. » Le troisième, celle de Ste.-Barbe, avait 
un costume bleu avec paremens noirs. Sa devise était : a Qui 
pQtest capei*e , capiat ! » Chaque confrère avait aussi ses deux 
tambours j son fifre et sonjhu qui maix;hait devant dans Tac- 
coutrement le plus bizarre , et sautant au travers d'un cercle 
avec mille singeries extravagantes. Cette coutume ne faisait 
que perpétuer parmi nous les siècles de l'Abbé des Cornards , 
de la Fête de l'Ane, du Roi desRibauds en Normandie, aux- 
quels avaient succédé la Mère sotte et le Prince des Fous î sans 
compter les Convulsionnai res de Dijon qui vinrent longtems 
après. La procession une fois rentrée, les jeux et les danses 
commençaient immédiatement , et le peuple allait planter des 
mais sur le grand marché, en face de la porte de Téglise, de- 
vant le Christ du cimetière , et contre les demeures des prin- 
cipaux habitans. 

Et tandis que tout cela se passait , au milieu de ces poéti- 
ques fêtes du moyen âge , l'hérésie embrasait déjà les derniers 
confins de l'Europe. Ce n'étaient plus que Luthériens , que 
Zuingliens, Oecolampadiens , Calvinistes, Presbytériens, Pu- 
ritains, quesais-je, moi? qui se mirent à surgir de toutes 
parts. On eut dit à voir leurs sectes s'augmenter, se grossir de 
jour en jour, qu'elles étaient fécondées pailles foudres mêmes 
du pape , les bulles des évêques, et les milliers d'édits des par- 
lemens qui pleuvaient comme grêle , à la plus grande gloire 
du catholicisme et des trônes. 

En Flandre, les nouvelles doctrines ne tardèrent point à se 
faire'JQur , e£ pas une de ses villes n'échappa à l'horrible spec- 
tacle que donnèrent dans ce temps là , les martyrs de la reli- 
gion réformée. Une foule sauvage ei stupide inondait l'endroit 
des supplices , battant des mains , éclatant en vociférations fu- 
rieuses contre les patients, car aloi*s, a montrer de la pitié 
pour les hérétiques était un crime égal à l'hérésie » observe 
rhistorien des Guerres de religion , car aussi , tels étaient les 
ordres de Philippe II qui gouvernait alors la Flandre^ ai Phi- 
lippe II était Espagnol ' s 



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J'ai eu ridée 9*extraire «Ttm registre des sentences criminelles 
exécutées à Hondschoote , quon a bien voulu mettre à ma dis- 
position , les passages qui m*oDt paru présenter le plus d'in- 
,térêt, et qui servi i-OQt à placer en regard, d'une part, Todieux 
raffinement porté dans les cruautés dont cette ville a été le 
théâtre j de l'autre, les châtimens grotesques infligés par une 
morale aveugle et fanatique. 

Je laisse parler mon registre. 

— (c Chétien Ryssen condamné pour hérésie à être conduit 
par Tofficier criminel devant Thôtel de ville pour y être étran- 
glé 'et brûlé avec confiscation de biens auprofit du seigneur. » 

A propos de cela , je n'ai pas trouvé qu'à Hondschoote il y 
eût de plus Jolis droits du seigneur, 

— ce Jean DevFesze condamné pour hérésie à être brûlé après 
avoir eu le nez et le poing coupés. 

Ici le compte des dépenses faites pour cette exécution : 

(( Pour deux fourches qu'on a fait faire 
pour attiser le feu ... * 41iv.» sous. Parisis. 

«c Pour le bois et cent bottes de paille qui 
serviront à brûler ledit Jean Deweeze. . • . 8 » i o » » 

« Pour quatre livres de poudre (ifin d'ah-e- 
ger les peines du susdit Jean Deweeze .... 3 » 4 » » 

Aimable philantropie, va î . . . suivons : 

«Pour le confesseur qui le consola avant 
la mort ^ 3 » lo » » 

« Pour 1^ cloche du trépas. » » 12 » » 

a Pour une pinte vinaigre, moutarde - 
employésà la question donnée au coupable» » 10 » » 

a Pour son dernier déjeûné 1 » 4 » » 

Voici venir maintenant quelques sentences moins tragiques , 
qui se trouvent souvent formulées d'une manière admirable* 
ment candide. 



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D^aboi-d , noua voyons : 

— (( Jean Cheval , condamne bi aller vivre avec sa femme dont 
il s'était sépare'. 

— « Jacques Dufeu , pour propos injurieux envers le Bailli, 
condamné à demander pardon à Dieu, et à la justice et de plus 
à I amende de dix livres parisis. 

— (c Pierre Honneuil pour avoir été huit ans sans tenir ses 
pâques condamné à aller tête nue avec une torche à la main de- 
mander pardon à Dieu et à la justice, et puis le jour de l'As- 
cension , apparaître en tête de la procession , en chemise , entre 
deux sergens , après avoil* communié préalablement et été con- 
fessé , et avoir produit de ce attestation du curé ès-mains du 
greffier. Enfin à payer une amende de six livres de gros au pro- 
fit du seigneur, » 

Et pour fermer dignement notre liste. , 

T- a Marie Ollivier, pour avoir épousé deux maris vivans (il 
y a »/i7aw,ç) Condamnée à être mise au pilori avec deux culottes 
à son cou , à être fouettée, avec ordre ensuite de retourner à 
•on premier mari. )> 

Je ne vous parle pas de la classe innombrable des sorciers 
TTiâles et femelles. Toutefois si vous teniez essentiellement à con- 
naître leur sort , sachez que l'on se contentait de les fouetter 
jusqu'au sang, dans les caves de l'hôtel-de-ville, ou bien, on 
les pendait, mais à petit bruit, à la nuit tombante , plèbe re- 
moto. Tous ces jugemens étaient toujours prononcés comme 
je l'ai dit plus haut, par le Seigneur et son magistrat y à qui le 
droit avait été conféré d'exercer la triple justice, 

A de nombreuses années de là , et lorsque Hondschoote ap- 
partenait déjà depuis un siècle à la France , par suite des con- 
quêtes de Louis XI V , la révolution éclata tout à coup furi- 
bonde, avec ses dilapidations, ses assassinats, ses échafauds, 
grosse de crimes et de bienfaits , et parcourut à pas de géant le 
-territoire, jetant à pleines mains l'émancipation au peuple, 



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mais déguîâànt that dur son passage âe longues traces de sang 
et de destiHiction. Hondschoote, comme les autres, vit en un 
clin d'œil ses domaines envahis , ses églises ravagées, ses cou- 
vens anéantis ; elle pleura ses préti*es et ses moines et ses soeurs 
et ses tnnitaires en fUite. Ei puis , plus de seigneurie tant vë* 
nérée, plus de maîtres , plus de vassaux , plus de ces douces ha- 
bitudes de vivre à se laisser faite! Ori fut quelque temps, je vous 
jure, à se remettre dans ces paisibles campagnes, tout gêné qu'on 
se trouvait , tout abasourdi de ce libre vouloir , de celte indé- 
pendance àuxquels9>n ne comprenait rieri. « 

Cette secousse violente était à peine calmée qu*Hondsckoote 
eut encore la douleur de contempler la bataille qui se livra dans 
une de ses plaines , gagnée par les drapeaux de la Ré|)ublique , 
le 8 septembre 1793, contre les troupes confédérées sous les 
ordres du généralissime le duc d' Yorck , fils du roi d'Angle- 
terre , et qui resta la dernière dont ce pays fut tëmoin. 

La parcMSse qui en i568 au rapport de Jean Strabant, son 
21^ curé comprenait i%QOO communiana ^ ne compte plus au- 
jourd'hui que 388a individus, et le nombre de ses maisons se 
trouve réduit à 7 1 9. 

Dupasse, cette ville n'a gardé que de longs souvenirs, sou- 
venirs de ses maîtres , souvenirs de son industrie florissante par 
toute l'Europe , et puis quelques débris de ses anciens monu- 
mens. L'hôtel-de- ville est resté seul debout, enfant du 16* 
siècle , noirci d'années , et respecté comme un vieux guerrier ou- 
blié dans les combats! le reste a été changé, renouvelé, embelli, 
et Hondschoote s'est résignée comme ses sœurs. 

Maintenant , vous tous qui n'avez point encore porté vos 
pas de ces cotés , écoutez bien ce que j'ai à vous dire. 

S'il m'arrivait de revoir Hondschoote , je voudrais que ce î(A 
par une froide soirée de novembre, lorsque la neigea couvert 
le sol comme d'un immense linceul ; à cet instant de calme où 
la nature s'arrange pour dormir , quand le hibou funèbre va 
percher sur les croix du cimetière , et que les morts soulèvent 

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iiB petit coin de leur tombe pour savoir des nouvelles d'ici bas ; 
quaud l'horloge son ne tristement les heures , quand l'ange gar- 
dien passe et repasse au dessus des maiéous. Alors , j'irais m'as- 
seoir sur un tertre bien isolé, et là , le cœur rempli d'ëmotioos 
et l'imagination tendue, je verrais défiler devant moi , un par 
un , comme des fantômes gigantesques , les premiei's Forestiers, 
les nobles comtes de Flandre avec leur antique bannièi^^ et les 
seigneurs féodaux de la contrée. J'entendi*ais retentir au loin 
les vastes cours des châteaux, les armures des gens d'armes ; 
puis Le cliquetis du fer, puis le pétillemenWle la flamme qui 
dévore, et des plaintes, et des cris de rage, et des voix pleines 
de sanglots s'elev raient pour demander justice, puis, tout à 
coup se déroulerait dans les u«fs de l'église, une douce musi- ^ 
que religieuse, accompagnant comme dans un saint joui*, les 
\oix tics femmes et des jeunes enfans ' Puis, tout rentrerait 

dau« le silence, et ma vision une Sois disparue j'irais me 

coucher. 



— Par les sept Dôimans d'Ephèfe! je vous jure que j'irais 
me «coucher. 

p-l; 



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LES STASIirVËTS, 



«£!r PARTICULIÏJIEMEIIT CEUX P£ BRUXELLES. 



Vidl ruœpi pêne atriu turfoa , 
et pupuluin Indi dcGcieate loro. 

J'ai *vu tes salies encombrées de monde pràs de 
s'écrouler^ gt le peuple îlre froissé tfaule de pluce. 



Li^usage des estaminets est originaire de la Flandre ; il s'est de- 
puis naturalisé en France sous le nom de tabagie. Un estami- 
net , comme chacun sait , est un lieu public où se rassemblent 
les personnes de toutes conditions y pour boire de la bière et 
lîuner du tabac. On devi*ait dire et écrire stammety puisque 
l'expression flamande est skmttnjf ; et c'est évidemment par 
connipdon que l'on prononce estaminet, comme il y a des 
ipens qui disent une estatue. Mais quelle est l'étjmologie du 
ittot staminet? J'ai fait , pour la dîécouvrir, des i*ecbeix;hes qui 
pourraient faire honneur à un savant , et la chose en vaut bien 
la peine. Quelques-uns prétendent que stameny , et par con- 
séquent staminet, vient de stam, qui , pris au figuré, signifie 
famille. C'était dans la Flandre un usage antique parmi les 
membres d'une même famille , de se réunir alternativaoaent 
chez l'un d'entr'eux , après les travaux ou les affaire» de la 
journée , pour boire et fumer ensemUe ; c'est ce qu'on appc- 



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lait être en famille, in stame. Il arriva , ajoute-t-on , que les 
hommes ainsi rassemblés, vidèrent souvent plus dépôts de 
bière qu^il i>e faUait , et que 4eur raison en fut altérée. De là 
le désordre , ie scandale , le mécontentement des ménagères* 
Elles grondci*cnt leurs maris, les maris ne voulurent pas -être 
grondés >; ils prirent la 4*ésolution de se i^'uDÎr dans un endroit 
où ils pussent être libres , et à T^ibri de la servitude conju- 
gale : 'Cette réunion garda la dénomination <le stant. Depuis, 
' ils admirent au milieu deux des amis, des pei^onnes éti'an» 
gèi-es , et comme ceux qui les rece^vaient gagnaient de l'argent, 
d^autres les imitèi*ent et formèrent des établissemens sembla- 
bles sous le même titre. Peu à peu Gu. y piit goût, et les sta- 
minets se multiplièrent au point où nous les voyons aujour> 
4J*liui. D^autres font venir le mot &taniinet de stanielen et par 
ooji'uption stant emefi, qui veut dire balbutier ^ uvoir la langue 
êpitisse y chuncelery état dans lequel se trouvent assez ordinai- 
rement les amateurs de staminet, quand ib en sortent. Sans 
vouloir refuser à ces étymologies ce qu'elles peuvent avoir de 
naturel et de satisfaisant, nous oserons, toutefois avec la mo- 
doste rései^ve d'un auteur, en proposer une autre qui nous pa- 
rait plus exacte et moins tortura, moins tirée aux cheveux^ 
passez-moi , je vous prie , cette -expression romantique , qui 
rend clairement ma pensée. 

C'est surtout pour les besoins , pour laconmodité dea vo>ia^ 
geurs , qu'ont été établis ces lieux de rafruicliisseaKint et de 
restaumtion , et ^en Flandre , pour engager les passons à entrer, 
^n leur disait : sta mynJie^ (on-ï^(a-youa, moiiaieur). Ce qui 
signifiait, vu le tou aiukable «t toul-ïjiTfait et^ageaat doat cet 
mots étaient pioiionoés : Venez voup i^yoser, vous rafraîchir, 
Monsieur ; vous tixjuverez ici d'excellei>ie bière , KK\t ce que 
voua pouvez désii^r, et Ton *De vous éooix;hera pas. Par suite, 
les pixîmeneurset les désœuvi^ reçurc*it et^ceptèi^nt la naê* 
me invitation , et comme Vx pbvaa<; tita ?r«yaii^r devait smivent 
se répéter, on prit le parti de l'iusoiire sau' Tenseigiie , tant 
parce quelle était devenue ^acrameaiteUe., que pour son laco- 
nisme significatif. De là , qqaud ou voulait se réunir pour 
boire de la bièi^ , pour traiter d'aflUires le Veri^ à la main, 
rom agêre inier poeula y ou disait. : AUons au sta myiûieer, et 
peu à peu par corruption : Allons au staminet : 



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Je ne sais si cette étymologie satisfei'a votre goût dclîcat et 
difficile ; quant à moi, je voius avouerai ingeïiûineut que je 
suis tout fier, tout glorieux de rtia découverte. 

Puisque je suis en train de faire de Térudition , je continue. 
La plupart de ceux qui boivent journellement de la bière en 
ignorent peut-être Torigine; ils vont la connaître : je veux 
qu'ils m'aient cette petite obligation , et qu'ils vident , par re- 
connaissance , un litre à ma santé : le cabaretier y gagnera, et 
moi je ne 6i'en trouverai pas plus mal. 

La bière a été inventée à Péluse , ville d'Ég\ pte , à l'embou- 
chure du Nil. C'est pour cette raison que Columelle lui donne 
IVpithète de Pelusiacum : ut peluslaci proteret pocula zythi. 
Les Egyptiens , qui , dans le principe, ne connaissaient point 
le vin , mais qui en revanche étaient riches en productions 
céréales , imaginèrent de composer une boisson fermentée avec 
du froment et de l'orge. Ik en avaient de deux sortes : l'une , 
plus forte, que l'on appelait zythum ou zythus ; l'autre , plus 
douce , que l'on nommait carmi ; elles difleraient à peu près 
entre elles , comme notre uUzet et notre bière brune.Veut-on 
une preuire irrécusable que la bière est origihaire d'Egypte ? 
O» ne peut révoquei' en. doute queyàro vient de pharao , qui, . 
chez les Egyptiens, signifiait roi , comme chacun sait. La- meil- 
leure bière, la bière par excellence , se nommait donc bfere du 
r»i, bière de pharao , par ellipse ou par métonymie phàrao , et 
par contraction pharo. Certes , voilà une étymologie frappante, 
s^*ilen fût jamais ; car enfin , ce n'est pas ma faute si des igno- 
rans ont mis un /au lieu de ph. 

La bière fut introduite de bonne heure dans les Gaules : 
elle y était connue Jdès le règtfe de l'empereur Julien , qui 
nous a laissé une épigramme à ce sujet. Cette boisson était en 
usage dans le nord de l'Europe , en Angleterre et en Flandre , 
du temps de Strabon , et Polybe aifirme que déjà on en faisait 
grand cas fn Espagne. Les Germains se désaltéraient aussi avec 
la bière, d'après^ le témoignage de Tacite : Pofuî huvior ex 
hordeo autfrumento , in quamdam similitudinem vint corrvptits, 
« Ils avaient pour boisson une liqueur faite d orge ou de fro- 



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» ment, ci lermc-ntee à peu près à la manière du vin. » Les 
français la reçurent des Gaulois ci la nommèrent d abord cer~ 
voUe , du latin cervifsia , bière douce. La plupart des peuples de 
l'Europe ont donc depuis longtemps aime la bière, et le goût 
est bien loin de s'en perdre chez nous , si Ton considère le 
nombre des staminets , et la foule des gens de tout âge, de tout 
sexe, de toute condition qui s'y pressent, qui s'y entassent, 
qui s'y enfument. On y rencontre même beaucoup d'écoliers 
.imberbes, qui, à la vérité, feraient mieux de s'occuper de 
leur thème , et d'étudier V Epi tome ou Cornélius Nepos, 

La toute-puissance des staminets, j'allais dire [a tymnnie, 
s'étend , domine partout. Apollon , dieu de la musique , a son 
temple dans un staminet ; le sanctuaire de la loyauté est un 
. slaminet; c'est dans un staminet que Mercure, dieu du com- 
merce, réunit ses favoris , c'est au milieu des pots et des cru- 
ches qu'il règle le cours des effets publics. Voule«-vous ras- 
sembler bon nombre d amateurs pour faire des lectures scien- 
tiiiques ou littéraires? qu'ils trouvent dans le local que vous 
aurez choisi plus de bouteilles pleines que de livres; désii*ez- 
vous former un club politique, une association patriotique? 
que le lieu de i*endez-vous soit un staminet , ou vous prêche- 
rez dans le désert. En un mot , toute société, quel que soit 
son titre, quel que soit le but de son institution , n'est autre 
chose qu'un staminet particulier. 

J^ luxe qui caractérise le 19* siècle , s'est glissé jusque dans 
les staminets ; l'on n'y l'econnait plus la modeste simplicité de 
nos pères. Ce ne sont plus ces salles à vitrages en plomb , com- 
me la bouti(pie de Figaro , ces larges cheminéçs gothiques ,^ ces 
pesantes chaises de cuir à clous Jaunes, ces tables massives qui 
semblaient être placées là pour l'éternité, et aussi immobiles 
que les idées suiannées de la vieille noblesse ; ce sont des salons 
élégamment décorés , avec de$peintui*esà fresque , des glaces en 
pi*ofusion , des gravures, des statues, des poêles en forme de 
\'ases étrusques on s'élevant en colonne, des cheminées à la 
prussienne enrichies de ciselures , des chdises, des tables, des 
billards d'acajou ou à peu près ; en un mot , vous ne pouvex 
distinguer un staminet d'un café que par la Wsson que vous 



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1*. 199*1 

y prenez, la fitméé qui vmis y éionfk, et le bruit qui vous y 
éioui-dit. Une autre dilFérence eucore , et doMt je n'ai pu , ou 
plutôt dont j'ai craint de m*expliquer la raison , c'est que dans 
les cafés on est 8ei*vi par des (g^arcons , et dans les staminets par 
des filles, je veux dire par des demoiselles, car j apprcfhende 
les malignes intei^rétations. A cet égard , la besogne des gar- 
çons de café est beaucoup plus facile et demande beaucoup 
moins de tact et d'expérience que celle des filles de staminet. 
1.^8 premiers en sont quittes pour Vous servir proniptenieut et 
poliment, ou pour vous crier : Toute suite , Mo7is/eur f sauf à 
vous faire attendre un quart-d'beure ; mais les filles de stami- 
net ont bien d'aiiti-es affaires, suilout si elles sont jolies. Elles 
doivent faire bonne mine à tout le monde, de manière que 
chacun sv. croie le bien- venu ; sourire d'un au* d'innocence à 
un propos un peu grivois ; ne pas paraître s'apercevçir d'une 
caresse un peu hasardée ; en un mot , ne désrspe'rer et ne favo- 
riser personne : telle est du moins , dit-on , leur consigne. 
Kncore une distinction : le maîti^e, la maîtresse et les demoi- 
selles même d'iui staminet servent ^ font eux-mêmes les hon- 
neurs de leur maison , rt ne pensent pas déroger ; les dames de 
café conservent plus de dignité ^ et ne figurent que dans leurs 
comptoirs. 

Toutefois il y a des nuances, des degrés entre les staminets t 
et du Pou volant de la rue Haute, à V ^iyle d'Or de la rue de 
la Foiuche, la distance est immense. Vous ne pouvez vous 
montrer indifféremment dans tel ou tri de ces lieux de réu- 
nion , sius risquer de vous compromettre , soit sous le rapport 
du rang c[i>e vous occupez dans le monde, soit même sous le 
rapport des opinions politiques que vous professez ou que 
vous voulez qu'on vous supp>se. 

Au reste, un observateur trouve dans un staminet comme 
dans un caA' de nombreux sujets de remarcpics. Votre tailleur 
et votre barbier vous y aboixient d'un air d'aisance etde fami- 
liarité, voire même le cuisinier de l'hôtel ou vous dînez habi- 
tuellement î Fhomme qui , le matin , était à vos pieds , vous 
offre le soir, avec un geste gracieux et un sourire de connais- 
sance , ou le cigarre ou la pipe de tabac. La , tous les rangs 



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i«00^ 



sont confondus , c^est le temple de l'Égalité ; on y voit le riche 
et le pauvre , Tartisan et l'avocat , le bourgeois et le militaii^e^ 
l'iguorant et l'homme instruit , le roturier et le noble : point 
d'étiquette, tout s'y passe rondement, sans gène et avec le 
plus parfait abandon : aussi les gens qui se piquent de savoir 
leur monde, prétendent-ils que ce n'est point Técole de la 
bonne société^ mais laissons là ces frondeurs qui ne savent pas 
que le vrai plaisir est ennemi de la contrainte. 

Veut-on maintenant quelques portraits? Entrons, et tra- 
çons-les d'après nature ; Voyez d*abord ce jeune homme de- 
bout , près du comptoir ; c'est la place qu'il occupe depuis 
deux ans, et je ne croîs point qu'il lui soit anûvé de faire trois 
pas dans l'intérieur de la salle. Il cause avec là demoiselle de 
la maison , d'autres disent qu'il lui fait la cour : il la suit des 
yeux quand elle circule au milieu des buveurs, et il est telle- 
ment occupé d'elle, qu'il ne s'aperçoit pas que les trois quarts 
desasslstans rient, chaque soir, de sa bonhomie et de sa pa- 
tiente assiduité, sans compter un jeune blondin qui se pince 
les lèvres d'un air d'intelligence, en regardant du coin de l'œil 
la demoiselle en question. 

Regardes là-bas ce groupe de huit personnes autour d'une 
table couverte d'un fragment de tapis : la moitié joue aux csai^ 
tes , les quatre autres, attendent leur tour; ce sont toujours les 
mêmes individus ; c'est en un mot une partie de fondation , 
et chacun de ces messieurs , braves gens d'ailleurs , croiraient, 
comme l'empereur Titus, de bienfaisante mémoire, avoir 
perdu leur journée y^ s'ils n'avaient pas fait leur petite partie , 
et risqué leur pièce de io cents ou de 56 centimes. 

Os deux autres personnages à l'extrémité de la salle , dont 
l'un paraît être l!ombre de l'autre , ne partagent point cette 
petite passion ; ce sont deux philosophes d'tiue nouvelle espè- 
ce : ils regardent en pitié ceux qui jouent dans un staminet ; 
ils trouvent boa de boire jusqu'à s'enivrer, de fumer jusqu'à 
s'étouj'dir; mais ils jugent de très^mauvais ton de battre les 
cartes dans un endroit public ; ne leur demandez pas pour-^ 
quoi , ils ne le savent pas eux-mêmes. 



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i»20I« 



Qupiquê la dépense qui se fait dans un staminet soit géné- 
ralement fort modique , il est cependant des êtres timorés qui 
n'osent point laisser voir qu'ils se permettent quelques eùctra. 
Ce bon gros papa à Tair jovial , à la mine riante , et qui porte 
sur sa figure Timage de Tinsouciante bonhomie de son cœur, 
suivez-le des jeux ; au signe que lui fait ou la maîtressedu 
logis ou sa seryante, il s'esquive, il se glisse inaperçu dans la 
foule , et va dans un réduit secret savourer un excellent hêêf- 
steaky ou une aile de poulet à la gelée, pour lesquels il a 
quitté la savante partie de domino. S'il prend tant de précau- 
tions , c'est qu'il craint que sa chère moitié , instruite par l'in-* 
discrète renommée, ne lui reproche d'aimer la dépend et de 
compromettre son crédit. 

Voici un autre personnage bien grave, bien empesé, tou- 
jours la pipe à la bouche : il aurait l'air d'un sultan , s'il n'é* 
tait pas constamment debout et errant de côté et d'autre ; je ne 
me souviens pas de l'avoir jamais vii assis. Il a au surplus une 
manie très-importune, qui l'oblige à être toujours en mouve- 
ment. Causez-vous bas avec quelqu'un? il- s'approche , il 
écoute , et s'il peut saisir un seul mot , il se mêle de la con- 
versation , ce qui occasionne parfois des propos interrcwnpuS 
fort plaisans. Ne pensez pas lui échapper en vous retirant dans 
un autre coin , il vous y suit , s'accroehe , se cramponne k 
vous , et vous padez patience avant qu'il s'a^perçoive qu'il 
vous gêne. Du reste, sa curiosité n'a pas de malice, il n'e«t 
qu'indiscret; mais, à la vérité, d'une indiscrétion assom- 
mante. . - 

Cette voix que vous entendez au-dessus des autres , est celle 
de l'orateur du lieu. Il est en possession de raconter, d'embel- 
lir toutes les petites histoires scandaleuses qui font d'ordinaire 
la pâture des badauds et des gobe-mouches ; il est doué d'une 
poitrine infatigable, d'un organe éclatant et d'une volubilité 
qui ferait envie à un avocat ou à un membre de la repl*ésen* 
tation nationale. Si vous voulez avoir votre tour pour placer 
un mot , vous êtes réduit à attendre que le picotement du hh- 
rynx l'oblige à tousser et à cracher, ou que sa langue desséclu e 
par un mouvement , par un roulement perpétuel , ait besoin 



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d*étfe. humectée d'un verre de bière. Il a de plud la qualité de 
grognard : il trouve souvent ou que la bière e«t mauvaise , ou 
que son litre n'est pas asset plein* 

Ces deux individus qui ricanent si haut y Sont deux littéra- 
teurs-journalistes , ou, si Ton veut, deux journalistes-littéra- 
teurs \ ils font assaut de lazzis , de quolibets , de bons-mots ; 
ils s'excitent, se choquent, se frottent l'un l'autre, et de ce 
frottement jaillissent à travers un peu de fumée quelques 
étincelles dont ils profitent , dont ils tiennent notes : ils font 
en un mot provision d'esprit et de méchancetés pour le numéro 
du lendemain. 

G)mme la politique occupe aujourd'hui toutes les têtes, les 
habitués des staminets sont souvent les témoins ou les acteurs 
de discussions vives sur ce sujet.... £coutez, voici deux pubh- 
cistes aux prises : ils sont l'un et l'autre aussi profonds diplo- 
mates que Talleyraiid , et leurs prévisions sont aussi sûi-es 
que les oracles de Calchas, ou les prédictions de Nostradamus 
et de Mathieu Laensberg. Celui-ci est un républicain d'autant 
plus pur qu'il n'a pu obtenir d'emploi sous le nouveau régi- 
jne ; il soutient que tout est au plus mal , et. qu'il n'y a qu'un 
président qui puisse sauver la ehoêe publique. Celui-là est un 
mjnist^iel d'autant plus désintéressé que, n'étant rien il y a 
deux ans , il touche aujourd'hui les appointemens de chef de 
bureau de je ne sais quel ministère. Il prétend ^ lui , que tout 
est pour le mieux dans la meilleure des administrations pos- 
sible. Ne cherchez point à les rapprocher, à les metti^ d'ac- 
coixl , car vous pouvez ètrje sûr qu'ils ne s'entendropt jamais ; 
ils ont trop de bonne foi l'un et l'autre. 

Pârlerai-je de ces désoeuvrés qui vont de st^minet en sta- 
minet , et qui , de peur d'en manquer un , entrent dans le der- 
nier quand les autres en sortent ; de ces modestes rentiei*s qui , 
par économie, viennent prendre leur part du feu commun , 
moyennantla légère dépense d'un demi-litre j de ces jeunes éveui- 
tés qui rapportent au staminet les médisances des sociétés, et 
qui. colportent dans les sociétés tout l'esprit qu'ib, ont retenu 
au staminet?.... Mais offrons à nos lecteurs le parallèle de 
Fiiabituc et de celui qui ne vient qu'en passant. 



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1^ 203 «cl \ 

L'habitué entre la tête haute , Tair dégagé , salue d*uii re- 
gaixl csTressant la maîtresse du logis , qui lui rend la politesse 
avec un sourire d'affection : Tautre se présente d'un air in- 
certain ; il ne songe point à la reine du lieu, qui , de son coté, 
le remarque à poine. Le premier, d'un pas hai*di, délibéré, 
traverse la salle, et se rend à la place qu'il a coutume d'occu- 
per ; l'autre cherche des yeux dans quel endroit il pourra s'as- 
seoir. Celui-là peut hasarder -quelque* privautés que l'on ac- 
cueille en riant , ou que l'on réprime en badinant; celui-ci 
serait repoussé d'un ton sévère et tont-à-fait digne , s'il ris- 
quait la moindre familiarité ; enfin ce dernier demande , et 
l'habitué commande (i). P. B. 



[i] Qn ignore peu t-^trr, n tVtranfçer, qaele» toiri^esdet staniHieU font 
AHMÎ des wecHKiAiii: liMbilemtnt sawies de faire le bien en A'amitfant *, on n« 
Murait croire tous rombien de forme», dans nof prariBect Hamandet, la 
bienfe^nce te' multiplie pour exciter la gënéroait^ publique dana lea 
nioindreK réunions de fêtes ou de plitisir». A BruxeUcf , pnr exemple, 
•iiivant un usage immémorial , des commifsaires des liospices consacra 
à la Yicil leste ront chaqne soir quêtant dans tous les ^t^minets de la 
ville au profit d.? ces utiles établiMemens. Les staminets qni ont pro- 
dnit le plus reçoivent des couronnes décernées par Tadministration des 
bospicrs ; plurieurs élab1isM>men» de ce genre en comptent un grand nom- 
bie qui font partie di>8^ titres de gloire de la maison et sont nppendues 
à Fendrcit le plus apparent du lien. Lee habitués eux-mêmes sont fiers 
de ces marques de distinction anxqnelle» ils ont bien quelque part. A 
la fin de Pannée i833 , la coUecte faite dans lea tndte principaux «ta- 
inipetft de Brexelles , s'élera a près de 9000 fr. La palme fut accordée 
au $r. Cornellis, staroinet de la Cour de Vienne , rue de la Fourche», 
clit^ Ifqiirl on avait réuni ioo4 florins ; celui qui Fapprocha le plus fut 
le Sr. Wauters, au Jlfessager de Louvain ^ rue de la Fourche, dont 
rétablisseme»t fournit jusqu'où 964 florins i3 cents* 

A. J>. 



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%€ fliitbUn k WdU. 



Iel que vous me voyez, ou plutôt tel que vous me savec^ 
occupé sërieusement de toutes les futilités de chaque jour, 
homme parisien tout à fait , Parisien en été , Parisien en hiver ^ 
condamné aux zéphii^s de Paris y à l'automne de Pai'is , et sur- 
tout aux vaudevilles, aux opéras-comiques, à Tespritet au génie 
de Paris; tel que vous me savez , vous dis-je, j*ai fait dernière- 
ment un vojage, un long voyage, utï voyage là-bas dans le 
Nord. Depuis un mois revenu dû Nord , je suis encore à me de- 
mander si j*ai été, pendant mes huit jours d'absence, un voya- 
geur sérieux, un voyageur oisif, un voyageur i;entimental. Ce 
qu'il y a de sûr , c'est que j'ai été un voyageur ti'ès-fatigué. 

Toutefois , j'espère que cette excursion lointaine me sera de 
quelque profit dans l'avenir , quand je me s^ai souvenu de ce 
que j'ai vu et entendu dftn« mon voyage. Que dis-je? dans mes 
voyages ! Jusqu'à présent je ne retrouve que des visions fugiti- 
ves , des bruits incertains , des souvenirs confus ; si bien que 
j'ai pensé^ que c'était là un moment fait tout exprès pour écrire 
mon itinéraire de Paris à Bruxelles , voulant avant tout être 
çimple , naïf, intéressant et vrai , rien que cela. 



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La première clrase que j*ai remarque en arrivant à Lille, 
car c*e8t à Lille que je voulais aller d'aboi*d, cW une grande 
quantité de moulin» à vent. La plaine en est couverte. Us agi- 
tent leurs grands bras en silence; on dirait, à les voir de loin , 
les géaus de Don Quichotte qui se suivent les uns après les au- 
tres. lU avancent, ils reculent, ils s*agitent , ils se mêlent , c'est 
Irraimfeat une d^nse fantastique , c'est une forêt , c'est une mer! 
Puis, quand vous avec traversé la forêt , vous entrez sous une 
voût»! vous passes tous un pont-levis ; voici la herse , voici les 
lotte : vous êtes dans une ville de guerre, il n'y a plus à plai*- 
santer. 

C'est une impreasion singulière celle-là. Le pretaiier poiit^ 
levis que vous rencontrez sur votre route , à Cambrai , par 
exQm{^ , ce premier pont-levis vous aiJRise ; c'est une nouveauté 
presque agréable. Vous tournez des remparts , vous passez dfs 
rivières, voti*e voiture se balance sur d'étroites solives, tout cela 
vous occupe et vous distrait ; tous savez d'ailleurs que vous 
n'appaitenez qu'en passant à ces forts menaçans, à cesponts- 
levis qui tremblent, à ces eaux, vertf» et croMpies. L'instant 
d'après , vous rentrez dans la campagne au galop ; vous étei 
iibi*e, vous bravez les fort^, c'est bien ; mais autre chose est de 
traverser un pont-levis pour passer sur un autre pont l'inatant 
d'après ; autre chose est de savoir que le pont-levis que voua 
venez de passer se relèvera sur vous jusqu'au lendemain , que 
vous êtes enfermé jusqu'au lendemain entre quatre murs. Vous 
êtes prisonnier de guq^re malgré votre passe-poit. Voila ce qui 
m'est arrivé à Lille. Je ne sais quelle tristesse me saisit tout 
d'un coup l'âme et le corps , suitout le soir ! quand la cloche 
du rempart vous avertit que les portes vont se fermer* La ville 
est belle , et riche , et propre ; on y trouve toutes les douceurs 
de la vie bien faite , hospitalité , bon visage, honnêtes gens d'esr 
prit qui boivent et qui fument, du vin de Champagne et de la 
glace tant qu'x)n en veut. Ajoutez , pour oomble d'agrément , 
que le thé&tre était fermé. Cependant il y a dans toutes ces dou<- 
ceurs quelque chose qui sent les remparts ; vous sentez malgré 
vous que vous êtes très près du canon , très près du soldat , très 
prèsd^ l'eaucixiupie, tfèsprès de la citadelle. Après votre diner, 
vous allez dajQS la ville, toute la ville se promène entre de^jLX 



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fossés. Trois fois la semaine ou se promène au son de la musique 
miiitaii*e , le i*este du temps on se promène en silence comme des 
ombres dans les Champs-Elysées. Je ne saurais vous rendre ce 
que j'ai éprouve' à cette promenade. Figures-vous une grande 
belle allée très bien sablée, au boixJ d'une rivière qui remplit 
le fossé. Au bout de Tallée est un man^ dont la 6cade ressem- 
ble à un temple presque grec ; dans Tallée te promènent beau- 
coup de belles dames , beaucoup de militaires; dans la contre- 
allée y de grands chevaux et de longues voitures, galoppent et 
glissent en silence. Comme Tallée est fort peu longue, ces che- 
vaux ont bientôt touché les deux bouts , ces voitui^es les ont 
bientôt parcourues ; a^ors chevaux et voitures reviennent sur 
leurs pas. Si bien qu'à la promenade de Lille rien n'est superflu 
comme une voiture , rien n'est inutile comme un cheval : sans 
compter que cinq ou m mois d'exercice dans cette promenade 
doivent singulièrement gâter la bouche d'un cheval. 

N'importe , on s'y promène beaucoup en voiture et à cheval ; 
à Lille chaque voiture est connue, elle a son hîHoire, on sait 
son origine, d'où elle vient, oh elle va; on vous dit quelles 
sont les amours de telle voiture , quelle est son opihion , quel 
commerce elle fait, combien elle a de mille livres de rente. 
Toute la chronique scandaleuse de la ville est attachée à ses 
voitures ; on vous dit : — En voici une qui fabrique de la den- 
telle* —En voici une qui possède trois mille arpens. — Celle-ci 
brigue la députation. — Celle-là est criblée de dettes. Ayex 
une voitui*e à Lille , vous êtes quelque chose , vous êtes repré- 
senté , on sait que vous étes^ au monde ; %'otre voiture c'est vous , 
c'est voti*e fomille , c'est voti^ femme , c'est votre fille à marier ; 
quand votre voiture marche et prend 1 air , c'est vous , en effet , 
qui prenez Tairet qui marchez ( quand votre voiture est propre 
et bien Uiuante, c'est vons même qui êtes propi'e et bien lui- 
sant; on juge de votre santé par la santé de vos chevaux. O la 
belle ville ! médisante seulement pour quelques uns! ne s^occu- 
pant que de ceux qui veulent s'occuper; laissant en repos 
l'honnête homme à pied qui n'a pas de voiture. Q la bonne 
ville 1 A Lille le chien d'Alcibiade n'aurait pas à craindre pour 
sa queue ; Alcibiade à Lille ne veut pas qu'on s'ocôupe de lui ; 
il vend sa voiture et ses chevaux ; alors il devient comme tout 



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le inonde, il est foule, il n'est plus qu'un être imaginaire; il vit 
aussi libre, aussi heureux ^ aussi à Taise, aussi à l'abri desmau' 
vais propos , que s'il était au milieu de Paris î 

Voilà comment il se fait que cette ville si fortifiée, si entourée 
de mlti^ , de rivières , de fossés , de canons et de soldats , qui se 
ferme toute la nuit , que domine une citadelle, et qui peut être 
inondée ou brûlée en moins de trois heures, est une ville peu- 
plée , riche , heureuse^ active , c'est qu'en eflfet elle est à l'abri 
de la calomnie des petites villes ; de la médisance des petites 
villes ; on peut y vivre ignoré quand on veut, calomnié quand 
on veut , selon ses goûts. 

Et puis , pour n'avoir pas d'équipage , vous n'êtes pas forcé 
d'aller à pied toujours. Vous retrouverez à Lille une commo- 
dité des anciens temps ({ue Paris a perdue : la vinaigrette. La 
vinaigrette , obéissante et calme voiture ; c'est un homme qui 
en est à la fois le conducteur, le propriétaire et le cheval. En 
vinaigrette , vous parlez immédiatement à votre cheval. Vous ' 
n'avez besoin pour le conduire, ni de fouet ni de rênes. Vous 
lui dites : Va à droite ! il va à droite :' in à gauche,! il va à guu - 
che. Vous êtes mollement couché dans votre voiture, et vous* 
ne craignez pas les caprices de l'animal qui vous traîne. Vous 
êtes ti*ainé par un animal raisonnable, par une bête de somme . 
faite à votre image, vous qui êtes fait à l'image de Dieu ! Cela, 
vaut bien mieux que d'êti*e ti*ainé par de grands chevaux dans 
cette étroite promenade. Et puis , quel commode cheval ! A celui 
qui vous traine , et parce qu'il n'est qu'un homme , vous^n'âvez 
à donner aucun soin , aucun signé d'amitié ou de sollicitude. 
Peu vous importe qu'il ait des larges poumons et qu'il mange 
avec appétit. Peu vous importe qu'il devienne boiteux ou poussif 
ou qu'il soit ferré des deux pied<. Vous êtes sans inquiétude 
dans votre voiture. Et quand vous êtes arrivé , qu'il pleuve ou 
qu'il vente , qu'il fasse chaud ou froid, vous pourrez faire at- 
tendre votre voiture à la porte tant qu'il vous plaira . Celles vous 
ne seriez pas si tranquille dans le chaud salon où vods êtes à 
l'abri de la pluie et du, vent, si vous saviez que c'est votre che- 
val qui vous a coûté mille écus, qui vous attend à la poi*te par 
le temps qu'il ÊiiL 



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V 2o8 ^ 

Et l'on dit que nous sommes dans un siècle de philantropie , 
d'égalité et de lumières! voici des hommes qui traînent des 
hommes ! j'ai vu à Lille un vieux père de famille en cheveux 
blancs qui traînait dans sa vinaigrette un jeune homme et une 
jeune fille ; les rideaux étaient à demi tirés. J'ai suivi du r^ard 
la vinaigrette de ce pauvre vieil étalon condamné à son âge à un 
si rude travail ( que ce serait là un métier humiliant pour un 
homme qui ne serait pas une bête de somme! ) — P«ut-èttre, 
me disais-je à moi-même , c'est un père qui sert de cheyal de 
poste au séducteur qui enlève sa fille ! j'ai bâti là-dessus une 
longue histoire que je pe veux pas vous raconter. 

Ce que j'ai donc vu de très étonnant à Lille, ce sont les mou- 
lins à vent, les équipages et les vinaigrettes. Du reste, c'est un 
noble peuple , très hospitalier , très bon , plein de bienveillance , 
et dont l'accueil est très gracieux et très prévenant; après les vi- 
naigrettes^ ce qu'il y a de plus curieux à Lille, c'est la guin- 
guette , et après la guinguette , c'est la citadelle bâti par Vauban. 

Grfteeà M. le gén^^l €brbineau , cet homme de tant de cœur 
qui a sondé la Bérééina , et qui le premiers mis le pied sur cette 
glace fragile où s'est engloutie la grande armée, j'ai vu la cita- 
delle aussi bien qn^on peut la voir. G'esf Vaàban qui Ta bâtie , 
une inscription l'atteste au fi-onton du portail. Vous enti'ez ," 
c'est toute une ville ! Il y a des maisons où vivent des femmes 
de soldats et leurs enfans. Il j a des casernes. Il y a des vastes 
galeries voûtées à l'abri de la bombe, où des rumens entiers 
peuvent se mouvoir. Il y a d'immenses magasins remplis d'ar- 
mes. Il y a des vastes cours pleines de canons, cette Aemihre 
raiatm des Rois et des peuples , qui ne sera bientôt plus une rai- 
son pour pei*9onne. H y a une prison où l'on avait mis tles ga- 
lériens Tan passé ; à la prison touche un magasin de poudre. 
Lés prisonniers ont mis le feu à leur prison espérant se faire 
sautei^aveclà éitadeHe; divertissement de galériens! On est arrivé 
assez à temps de la ville pour éteindre l'incendie. La citadelle 
se tennine par un" bastion avancé d'où vous découvrez toute la 
campagne. Un grand canon domine tous les enviix)ns. D^ ce 
point élevé , vous découvrez toute la Flandre française» Le vieux 



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miïrtaîn? en me montrant ces fossés , ces rarîus , ces ponts-^evis ^ 
ce canon, ajoute d'un air triomphant : — On n'a jamaitt pris 
la eitaàelle ! Le brave homme ne dit |)as qu'on a pass^ outre. 

Ce qui m'a frappé le plus dans la citadelle , c'est un pauvre 
petit soldai tout jeune, tout blond, tout triste, qui faisait 
l'exercice l'habitet les guêtres à Tenvers. Le pauvre enfant avait 
l'air tout humilié. Il était plus triste que telle jeune fille à qui 
sa maîtresse de pension fait porter un bonnet de nuit pendant 
le jour. J'ai éXé bien attendri en voyant qu'un homme de dix- 
huit ans pouvait être si triste et si malheureux de cette puni-«> 
tion de pensionnat. 

Avant de quitter la citadelfe, mon guide me dit d^un air très 
pénétré : — Vous n'avez pas vu ce qu'il y a à voir de plus cu- 
rieux ici , Monsieur , vene» ! veneat î 

Voici que moi je le suis d'un pas empressé , j'espérais qu'il 
allait me montrer quelque mortier monstre, quelques iustru^ 
mens de torture , quelque cachot humide et in^t l quelque 
condamné à mort! quelque chose, et déjà je prépamk mes 
nerfs! 

Je le miis donc. 11 monte , je monte ; il descend, |e descends ; 
il s'arrête à une fontaine où il m'offre un verre d'eau ; je m'ar- 
rête à la fontaine et je bois un verre d'eau. Il s'an^te à une 
autre fontaine dont l'eau est excellente pour les yeux , dit il ; je 
regarde avec envie les eaux de cette fontaine. Hélas ! toute puis^ 
santé qu'elle est, elle ne guérit pas les yeux qui s'usent le soir 
à la clarté de la lampe , qui se fatiguent à reconnaîti^ sur les 
théâtres tant d'acteurs qui y naissent et qui y meurent. Cette 
e»xk là ne guérit que les yeux des heui^eux soldats qui ne savent 
pas lire , qiii boivent leur vin trempé , qui se couchent à huit 
heures, et dont le plus grand chagrin est de porter leurs guê- 
tres à l'envers. Bref, mon guide marchait toujours, et je le sui- 
vais toujours. Enfin, il arrive à un certain corps-de-garde. 
Il frappe ; on lui dit : Entrez ! Nous entrons î 

Atoi^ je vois un joli petit appartement arrangé avec beau»- 

i4 



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Qoup de foût. Le mur était tendu de faisceaux d^armes et de 
drapeaux tricolores ; on avait fait au plafond un lustre guerrier 
avec des bayonnettes ; tout à Tentour étaient disposés , en guise 
de sièges, des boulets et des schakos , des tambours , des fusils, 
de vieux uniformes , et des mo^'tiers ; mais ce que le vieil inva- 
lide admirait le plus , c'était une demi-douzaine de poissons 
rouges qui nageaient dans un réservoir. Vous poussez un cer- 
tain bouton , et un jet d*eau s'élance à la hauteur d*un demi- 
pied. L'invalide ne manqua pas de pousser ce bouton avec un 
air indicible d'admiration satisfaite, yoilà ce que nous avons de 
^us eurieux ici. Monsieur! 

Oui, tu as raison, brave homme! oui dans cette citadelle, 
chef-d'œuvre de Vauban ; oui , ici , derrière ce bastion qui n'a 
jamais été pris ; oui , ici , à l'extrémité de la France , oui, tu as 
raison , toi qui as vu la Moscowa , toiqui t'es trouvé à Wagram, 
toi qui as vu passer et repasser Waterhx) , le Waterloo de Bo- 
naparte et le Waterloo de Wellington , aussi étoouans l'un que 
l'autre ; aui , tu as raison , mon vieil invalide , ce qu'il y a de 
plus ^nnant ici , ce sont ces poissons rouges qui nagent en 
paix à lombre de cette grande couleuvnne , c'est ce jet d'eau 
d'un demi pied, que protège ce triple fossé rempli d'eau vive, 
c'est ce lustre rayonnant au plancher, composé de quinze 
bayonnettes; ce qu'il y a de plus étonnant suitout, c'est ton 
a<lmiration naïve , ingénue , bon enfant , à toi qui as vu ici tant 
de rois, tant de maîtres , dans des cii-constances si différentes et 
dans des appareils si divers ! Voilà un vieux soldat qui s'étonne 
devant un poisson rouge , et qui ne s'est pas étonné de ce qui 
étonnait si fort Bossuet 1 

Vous sentes bien qu'après avoir vu le jet d'eau et les poissoiM 
rouges je ne voulus plus rien voir dans la citadelle de Vauban; 
en repassant dans la cour d'entrée , je revis encore le jeune sol- 
dat qui faisait encoi*e l'exercice sous sa casaque retournée ; il 
avait toujours l'air aussi mortifiée 

En revenant de la citadelle ^«t pour arriver à la célèbre guin*- 
gucttc de Lille, il vous faut côtoyer une foule de maisons de 
^^laAdpagtte, Ce sont de vastes châteaux de dix pieds de laige , de 



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rail > 



hautes villas qui n Ont qu*an rez-de-chaussée j ce sont dé jolie* 
maisons qu'on dirait bâties pour de jolies enfansds douze ans^ 
pour de Ix'lles petites filles de quinze ans. Toutes ces maisons 
sont encadrées dans des murs de verdure , la plupart sont ren- 
fermées entre deux rivièi'es qui coulent^ Toute celte campagne 
est d'une phj^sionomie très calme et très honnête ; mais ton- 
joui's voil-on que ce sont-là des maisons de campagne à portée 
de canon. Le canon est le Souverain maître de cette ville fron- 
tière ; le canon ne veut pas que les maisons voisines aient plus 
d'un étage ; le canon défend aux peupliers de s élever plus haut 
que terre , le canon est le maîti-e. Pour avoir une maison plus 
hante, un jaixlin plus vaste, il faut aller trop loin* On fait 
donc de son mieux , on se blottit dans sa cage ; on défend à ses 
arbres de s'élever plus haut que les rosiers, aux rosiers de s'é- 
lever plus haut que la salade ; on se met à lombre du canon , 
et l'habitude fait le reste. L'habitude est si forte, qu'il y a même 
des maisons bourgeoises posées sur quatre roues^ On dirait que 
ceux qui habitent ces maisons ont fait de leur voitui*e leur 
demeure , afin que leur voiture fut bonne à quelque chose. 
£h bien ! c'est encore le canon qui a voulu qu'on mit quati-e 
roues aux maisons à certaines places. Il peut arriver un ins- 
tant où la maison sera obligée de se porter ailleurs/ Et pui« 
elle en est quitte pour faire réparer se» roues et son toit tous 
les dix ans. 

Quand donc vous avez côtoyé ces jolies petites maisons de 
campagne, vous arrivez à la vaste guinguette. On prendrait de 
loin la guinguette pour un palais. La cour d'honneur est vas- 
te, la maison est comfoii:able , le jardin est tout entier cou vert 
d'une charmille. C'est un très grand liionument. Mais hélas ! 
le monument est dései*t. La cuisine est froide et silencieuse. 
L'herbe pousse sous la charmille. A l'heure qu'il est, la guin- 
guette est plus triste que la citadelle. Dites-moi pourquoi? J'ai 
trouvé encore une excellente explication à ce problème. 11 n'y 
a plus de guinguette possible à Lille , parce que l'an»our de là 
biei'i^e y diminue chaque jour.. Je suis entré dans une brasse- 
rie , on m'a raconté qu'on ne faisait plus le quart autant de 
bierre qu'il y a dix ans. Or , moins de bierre à boire , c'es- 
moins d'oisiveté, c'est un moins grandjaesoin de repos etd'omt 



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brnges; c'est un moins grand flux de pai'olesieniemont pro- 
noncées ; c'est une moins grande consommation de tabac. A 
bas la bierre ! Parlez-moi d'un bomme qui boit du viu. Il boit 
son vin vite et bien ; cela fait , il retourne à son travail. La 
bierre c'est un mauvais vin qu'on boit à vide. Ccst une mes- 
quine contrefaçon de la mousse pétillante. C'est uneivresse bâ- 
tarde et sans esprit ; c'est une amertume sans saveur. Autrefois 
Iri bierre remplissait cette guinguette de buveurs (quand je dis 
buveurs, je n ai pas d autre mot à ma disposition), buveurs 
inertes, inofFensifs, inutiles à eux-mêmes et aux autres. Là , 
ils venaient perdie sans l'oublier leur triste et monotone jour- 
née; aujourd'bui qu'on boit beaucoup moins de bierre, la guin- 
guette n'est plus fêtée que le dimancbe.Mais ony boit peu; en ^ 
revanche on y danse beaucoup, beaucoup trop peut-être; témoin 
cette inscription en grosses lettres, que j'ai lue sur une vaste 
j)ancarte ailicliée à la porte : Il est expressément défendu àe dati-^ 
.ser la chahut et le cancan. L'inscription existe, elle a été affi- 
i:lu'e par ordre; elle flotte nonchalamment sur le devant de la 
maison. Je vous laisse à décider si l'inscription est honorable 
ou non pour les mœurs des bons Lillois. 

Le lendemain , je dis adieu à mon hôte et à tous ces jeunes 
gens de tant de cœur et d'esprit , qu'on trouve partout en 
France , et qui vous traitent en frères. Adieu donc à vous , mes 
loyaux Parisiens de province! Adieu et merci pour le bon ac- 
cueil que vous avez fait au provincial de Paris ! et me voila pai^i 
de nouveau , pour la Belgique , ma foi I 

Jusqu'à ce jour je n'avais jamais quitté le plaisant pays de 
France. Ce ne fut donc pas sans un certain serrement de cœur 
que je passai de la loi française sous la loi belge. Cependant , la 
frontière n'a rien de menaçant. Arrivé à la frontière , on vous 
arrête vis-à-vis la maison de l'octroi. A lors oq vous visite, vous ^ 
votre voiture et vos paquets. C'en est fait, toutes les malles 
sont ouvertes ; c'en est fait , il faut que chacun montre à nu son 
indigence ou sa richesse. Vous vous servez de passeport , gou- 
vernement de France , et même vous le vendez dix francs pour 
l'étranger, ce qui est un peu cher; mais, je vous prie, quel 
ipeilleur moyen avez-vousde reconnaître un homme que d'ou- 



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Trir sa valise à Timproviste? Quel signalement plus sigiiifioatif 
<jue celui-là, la valise! Riche ou pauvre, studieux ou igno- 
rant, dandjr ou marchand, soldat ou jésuite, mendiant ou 
grand-seigneur, grande dame ou grisette, mère de famille ou 
fille de joie, la valise dit tout haut , et à tout le monde , et mot 
à mot, ce que vous êtes , tout ce que vous ries. Espions belges , 
«spions fi-ançais, espions de Ions les royaumes, ne vous fiez pas 
aux apparences d'un homme î fiez- vous à ce que cache sa valise î 
moi je les ai vues toutes ouvertes les valises de mes compagnons 
de voyage. Que de hardes, grand Dieu! L'un était Italien; 
pauvre Italien ! il portait son habit le plus neuf et sa meilleure 
chemise! Mais ce qui fut charmant à voir, ce fut la colère d'une 
jeune et ti'ès jolie femme parisienne. Elle allait pour trois joius 
à Bruxelles , tout autant ; et elle emportait avec elle tant de 
johes robes, tant de frais tissus , tant de parfums enfermés dans 
une élégante porcelaine ; et c'étaient des couleurs si vives : du 
rose, du blanc , des broderies î que je ne pensais plus à regarder 
la triste 3éfroque de mes voisins. Les hommes de l'octroi eux- 
mêmes, quand la malle de la belle Française fut ouverte, ne 
s'occupèrent plus que de visiter ses bagages. Mais à leur figure 
heureuse et satisfaite, on voyait que c'était plutôt par plîlisir 
que par devoir ; aussi ils regardaient toutes choses dans leurs 
moindres détails. — Pourquoi ceci ? Pourquoi cela? L'un d'eux 
même fit observer à la jolie femnie que son cbapeau était tout 
neuf. — Et certainement, Monsieiu*, qu'il est tout neuf! ré- 
pondit-elle avec une moue charmante ; croyez-vous donc que 
je porte de vieux chapeaux ? 

En moins d'une heure les paquets fui'ent placés de nouveau 
«lu* l'impériale de la voiture , et nous pûmes repartir. 

On marcha vite ; la route est belle : c'est un pays tout fran- 
çais la Belgique. On y chante, ou y travaille, on y pense en 
Français. Seulement nous avons trouvé sur cette France re- 
tranchée à la France, une chose assez rare dans la grande 
Franco, ce sont des prêtres en costume complet. La route est 
semt^e de prêtres ; ils vont, ils viennent, ils débouchent par les 
sentiers de travei^e ; ils portent non seulement la soutane , mai's 
encore, chose plus rare, le chapeau à troisv cornes des prêtres. 



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lia vont la télé levée sous ce chapeau , et Us pai'aissent peu dis- 
poses à céder le pas. On voit qu^ils se sentent chez eux et à Tabri , 
protégés qu'ils sont par le peuple , qui est la vraie force et le 
vrai protecteur. Le grand nombre de ces prêtres m'étonna d Sa- 
bord. Un jeune Belge était à mes côtés qui les regardait avec une 
fureur mal déguisée. Ce jeune homme me rappelait parfaite- 
ment notre opposition de 1820 aux prêtres de France et à la 
réforme religieuse; opposition oubliée comme tant d'autres, 
colère qui s'est calmée , enthousiasme qui s'est refroidi. — Mon- 
sieur, me disait le jeune Belge , cela ne vous fait pas mal , à vous 
qui venez de Paris , de voir tant de prêtres en soutane circuler 
librement dans nos campagnes , de les voir saluer sur leur che- 
min , desavoir qu'ils mènent les élections et qu'ils font les lois? 
En même temps mon Belge se démenait comme un furieux. — 
Monsieur, dis-je au Belge, depuis que j'ai vu Saint-Germain- 
TAuxerrois saccagé , dans une folle journée de carnaval , depuis 
que j'ai vu l'Archevêché dévasté et pillé, l'Evéché renversé de 
fond en comble , et monseigneur l'archevêque de Paris forcé de 
quitter sa maison comme un voleur , je n'ai plus la force d être 
en colère contre les piètres. Le jeune homme leva les épaules. 
Comme il levait les épaules f un vieux prêti*e passa sur la route ; 
le jeune homme lui fit une grimace , moi je le saluai poliment. 
Le vieux prôtrç , qui en sait peut-être plus long que nous deux , 
le Belge et moi , ne répondit ni à ^ grimace ni à mon salut. 

Je vis donc bien des prêtres sur ma route et aussi bien des 
villages nombreux , bien de belles églises riches et somptueuses, 
bien de hauts clochers perdus dans les airs. On sent fort bien 
i|ue le mojen-âge religieux a traversé cette terre qui fut à l'Es- 
pagne. L'Espagne a semé dans ces villes et dans ces villages 
toutes ces belles et puissantes églises et tous èes prêtres jeunes 
et puissans ; c'est elle encore qui contient tous ces jeunes gens 
qui font la grimace aux piètres , et qui finiront par s'asseoir 
sur la dernière pierre des églises* Mais ce n'est pas de politique 
qu'il s'agit. 

Il s'agit de mon voyage. C'était un vendredi. La vpiture s'ar- 
rêta dans une auberge pour dîner. On dine. Le i^pas était fort 
supportable j seulement l'aubergiste n'avait osé servir que de 



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la Aoupe maigre , par respect pour la religion de l'Etat. — C'est 
une infôme tyrannie , me dit le jeune Belge , et encore avant la 
révolution de juillet aurious-nous été forcés de faire maigre 
pendant tout le repas et tout le jour. 

En même temps il se servait un énorme morceau de gigot 
comme pour un commis voyageur. 

— Donnez-moi un morceau de gigot, lui dis-je, et puisqu'il 
en est ainsi , buvons à la santé de la révolution qui nous permet 
d'en manger aujourd'hui. 

Le jeune Belge ne se fit pas prier. 

f Débats, J J i LES Janin. 



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M(D(&3Ui]PiItai IDl£]Pii]&iri8tlBViiILIS« 



( 12« ARTICLE.) 



CHARLES DE LANNOY, 

dire î^f JUXaint^oioaU 



La gloire des hommes illustrés à quelque titre que ce soit, 
rejaillit sur les cités qui les ont vu nattre; c'est une espèce 
d'héritage de famille qu'il est de leur devoir de ravendiquer 
hautement et de ne jamais laisser passer en d'autres mains. A 
cefitre, la ville de Valenciennes doit se glorifier d'avoir pro- 
duit le gueri*ier qui fait Pobjet de cet article^ l'un des braves 
des provinces vrallounes où le courage fut toujours popu- 
laire, et qu'on aurait pu justement surnommer le Bavard Jlar 
mmtd, s'il n'ajoutait au titre de grand capitaine , celui de bon 
diplomate, ce qui ne permet plus que de lui appliquer la 
moitié de la devise de chevalier sans peur et sans reproche. 

Charles de Lannoy, vit le jour à Valenciennes, en 14^7 , 
dans l'hôtel de Maingoval situé sur les bords de l'Escaut , à 



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I endroit où s'élève aujourd'hui le vaste hopilal-|;^ocral. U 
descendait de cette noble et ancienne famille des Lan noy qui 
fournit une phalange de chevaliers à Tordre illustre de la 
Toison dor, et qui se perpétue encore aujourd'hui dans la 
personne de M. de Lannoy, secrétaire d'ambassade , au service 
du gouvernement des Pays-bas. Le grand-pèi-e du héros qui 
nous occupe, Antoine de Lannoy, seigneur de Maingoval et 
du Locron, avait exercé à Valenciennes roffice de prévôt -le- 
comte dans les années i4^7> ^^ > ^^ ^^ ^7 ^ ^^^ V^^ Jean de 
Lannoy , épousa Philippotte de L^laing^ et remplit les mê- 
mes fonctions en i^go et i493; il mourut en son riche hôtel 
de Maingoval en 1498 et fut enterré dans son caveau de fa- 
mille dans réglise des carmes de Valenciennes. 

Charles de Lannoy, prit d abord le nom de seigneur de 
Senzelles^ puis celui de sire de Maingoval, après la mort de 
son père; il s*adonna de bonne heure aux exercices militaires 
qui fesaieut aloi's presque toute l'éducation des jeunes nobles , 
et ne négligea pourtant pas l'élude de l'histoire et de la diplo- 
matie qui devait tant lui servir dans le cours de sa brillante 
carrière. Encore jeune, il se distingua par sa force et son 
adresse dans les tournois de Flandre, et par sa bravoure dans 
les armées de l'empereur Maximilien qui l'attacha au prince 
don Carlos son petit-fils, depuis Charles-Quint^ en qualité 
de grand'écuyer ; de là naquit cet inviolable attachement, 
qui unit plus tard ces deux hommes, plutôt par les liens 
d'une amitié d'égal à égal, par une fraternité d'armes pure et 
chevaleresque, que par les rapports froids et réservés du su- 
périeur et de Tinférieur. 

Vers Tan 1609, ^g^ ^® ^^ ^^^ seulement, Charles de 
Lannoy épousa Françoise de Montbel j fille du comte d'En- 
tremonts , qui lui donna une nombreuse famille : elle, fesait 
sa résidence ordinaire, avec ses jeunes enfans, dans le vieux 
château-fort de Stecneockersele- lez-Vil vorde , défendu par des 
tourelles et des eaux vives (i). C'est là que Giarles de Lannoy 



(1) Ce château, dont le Jburia d'Harrcwio nonsa laisse l'aspect , fut acr|iiis 
par Charles de Lanuoy en i5il de Philippe Hinckacrt. H passa depuiâ dan» 
Itt maisoD des marquis d'As^che et fut acquis par leRhingrave. 



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allait se délasser au sein de sa jolie famille des fatigues des ar- 
mes et des àffaii*es. 

Le premier acte d'autorité que don G^rlos fit en Flandre en 
qualité de duc de Bourgogne , fut de tenir à Bruxelles le sei- 
zième ctapiire de i ordix; de la Toison d or. Cette cérémonie 
eut lieu dans TéglisedeSte.-Guduleep octobre i5i6/et l'on 
y créa vingt-huit chevaliei-s parmi lesquels on remarque 
Charles de Lannoy comme le dixième reçu. 

Au mois de septembre i5i7, Don Carlos partit de Flandre 
pour TEspagne , oii Tappelàit la mort et ta succession de Fer- 
dinand d*Arragon , son ayeul maternel; il emmena avec lui 
80 gentils hommes flamands, l'élite de la noblesse wallonne, 
à la tète de laquelle brillait le sire deMaingoval ; aucun preux 
ne portait l'épée avec plus de fierté , ne rompait une lance 
avec plus de force et d'élégance : les seigneurs castillans 
eux-mêmes, bons juges en matière de chevalerie, fui-ent 
obligés d'en convenir. Le couronnement de don Carlos , 
comme roi d'Espagne, eut lieu à Valladolid avec une pompe 
extraordinaire; il s'y donna un tournois remarquable dans 
lequel Lannoy vainquit tous ses rivaux.; le nouveau roi d'Es- 
pagne voulut aussi entrer en lice avec lui , et , à la quatrième 
course, il rompit sa lance sur l'écu du gentil-homme Valen- 
ciennois qui n'eu fut pas même ébranlé : on sait cependant 
que Charles-Quint était un rude jouteur. 

L'an i53i , la ville de Tournai , attachée à la France depuis 
la fondation de la monarchie^ s'étant rendue à Charles-Quint 
devenu Empereur, ce monarque en donna le gouvernement à 
son fidèle écuyer, qui fut ensuite nommé ^ai7/i des bois da 
Hainaut. 

Mais voici venir Cliarles de Lannoy sur un plus grand 
théâtre. Le vice-roi de Naples don BAimondde Cardoneétant 
mort le i 1 mars 1 Sa s , sans substituer son poste à personne , 
Charles-Quint y nomma De Laqnoy qui prit ces hautes fonc- 
tions le i6 juillet de la même année. Les Napolitains, habi> 
tués aux noms espagnols > transformèrent le sien en celui de 
Pon Carlos de Lanofa. Le nouveau vice-roi débuta dans son 



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gouvernement par donner à ïa ville de Napïf« ties «arques de 
bienveillauce : il confirma les anciens privilci^es, et en accpr- 
dade nouveaux dont rexpëdition fut faite dans le châteat»- 
neuf le 12 octobre iSsa. 

Cependant Lannoy ne resta pas longtems à Naples; la 
guerre de Lombardie devenant toujours plus animer et le gé- 
néral Presser Colonne, déjà chargé d*annéc» et faible d'esprit, 
ne pouvant plus soutenir le poids du commandement, TEm-» 
pereur jugea à propos d'employer l'expérience à la guerre et 
la valeur bien connue du yice-roi , et lui ordonna en consé- 
quence de se nommer un lieutenant au royaume de Naples el 
d'aller ensuite commander en chef son armée de Lombaixii«» 
On voit qu'à cette époque, les Pays-Bas, loin de demandei* 
aux étrangei*s des généraux pour guider kuiv armëas , se tit>u- 
vaient en possession de leur en envoyer. 

Maiogoval partit donc de Naples en 1.524, et se mit à la tête 
de rariiîée impériale, presque mutinée parce qu'elle était sans 
solde depuis longtems; il fallut toute sa prudence pour 
arrêter l'eflfervescence des troupes : il engagea les revenus de 
Naples et s^em pressa de pourvoir aux pins pi^essans besoins. 
Cependant François I**" s'était avancé en Lombardie avec une 
armée formidable , il avait pris Milan , et avait mis le siège 
devant Pavie sur la fin d'octobre : Lannoy n'était pas en 
foixîe pour s'opposer ouvertement aux projets du roi de Fran- 
ce; il parvint néanmoins à jeter dans la place don Antoine de 
Leva, avec douze «^ens espagnols et six mille lansquenets , en 
leur recommandant de se défendre vigoureusement jusqu'à ce 
qu'il vint les secourir. Ce secoui*s ne leur manqua pas : tout 
le monde sait comment Lannoy, après avoir fait déclarer neu- 
tre le pape Clément jusqu'alors allié des français , s'immorta- 
lisa à la journée de Pavie , le 214 février i525 , anniversaire de 
la naissance de son empereur Charles-Quint ; journée à jamais 
célèbre par les malheurs de François P' qui y perdit tout , 
/brs r honneur ! 

Ce monarque ; contraint de se rendre après avoir fait des 



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• 1 



>220« 



prodij^ps de valeur, fnt entoure, pressé par les soldats impé- 
riaux qui , pour avoir part à la gloire d'une pareille capture , 
ou peut-être par un juste hommage l'end u à sa valeur, cou- 
pèrent des morceaux de ses habits, et les enlevèrent comme 
des reliques d'honneur. Un d'entr'eux s'approcha du roi , et 
lui présentant une balle d'or qu'il avait fondue lui-même 
dans l'intention de le tuer, le pria de l'accepter , pour qu'elle 
pût du moins servir à sa rançon. Le roi reçut sans 'émotion 
loffrande et le compliment , mais ne voulut remettre son épée 
qu'an brave sire de Maingoval : « Comte de Lannoy y lui dit 
» le Roi en italien , voilà une épée qui a coûte la vie à plus 
» d'un de vos preux / je compte que vous en fei-ez quelqu'es- 
» time , car ce n'est point la lâcheté, mais un reVers de for- 
» tnne qui la fait tomber dans vos mains. » Lannoy, un ge- 
nou en terre et en vrai courtisan , reçut avec respect les araies 
du monarque malheui*eux, lui baisa la main , et lui présenta 
sa propre épée , en fraant cette réponse convenante et de bon 
sens, qui contrastait avec la phrase un peu fanfaronne du 
prince prisonnier: « Je prie Votre Majesté d'agréer que je 
» lui donifie la mienne, qui a plus d^ une fois êparijné le ^ang 
» français. Il ne convient pas qu'un officier de l Empeieur 
• voie un grand roi désarmé quoique vaincu, (i). • 

Le premier soin de Lannoy, après avoir pourvu aux opéra- 
tions qu'exigeaient la garde d'un prisonnier si important , fut 
d'instruire Ciiarles-Quintdece prodigieux succès. Il lui expédia 
le capitaine Peîïalosa , par la voie de terre , qui n'était p;)s la 
plus prompte, mais qu^on jugeait la plus sûre; ce fat lui qui 
remit à son passage à Lyon , à Madame Louise, la lettre trop 
fameuse de François I®"^, et qui reçut d'elle les passeports né- 



(i) L^épëe de FraDçois I^^*", rendue au sire de Maingoval , fut déposée à Ma- 
drid comme trophée j elle figura lon^tems à Varmerla real de cette ville à 
côté des drapeaux turcs gagués pnr don Juun d'Aiitriclie à la i>;itailk- de 
Lépaute. En visitant Vanneria de Madrid, l'auteur de cet article demanda 
vviie épée ^u gartjif'n d«- ce musée ; ce vieux Castillan, a3fant pnsque la 
larme à Toeil, lut oldigé d'avouer que le roi Muiat avait enlevé ce trophée 
<>pagnol à 6on enliée à Madrid. On comprend très-bien, sans la parlH^ir,U 
Il 1*1. sse du vieui coocieige. 



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cessa ires pour traverser paisiblement Ja France que son mes- 
sage venait de couvrir de deuîL 

Le sire de Maingoval , wallon d'origine et de cœur, ne man- 
qua pas de mander cet événement décisif à rai'chiducliesse 
Marguerite d'Autriche, gouvernante des Pays-Bas ; il lui en- 
voya un de ses officiers avec deux lettres qui ont été heureuse- 
ment conservées : la première parait être le bulletin officiel 
de la bataille; elle fut dictée et signée seulement par Lannoy. 
La seconde est la dépêche confidentielle ; elle est toute de la 
main du vice-roi. Nous les publions textuellement toutes deux 
afin qu'on puisse juger du style et de Torthographe.d'un grand 
seigneur au commencement du XYI*"* siècle : 

LETTRE DE GHilALES DE LAKNOY A l'aMCBIDSCHESSE MABGUERITE 

d'aUTRICHE , GOUVERNANTE DES PAYS-BAS. (l) 

illalrainf» 

« Par mes dernières lettres du 21 de ce mois, vous ay ad- 
j) vertis de tout ce qu'estoit survenu jusques ce jour là, et 
» que à la fin de ceste sepmaine Vous advertiroie ce que auroit 
» esté fait de la conclusion par nous prinse, que estoit mectre 
» peine de combattre le roy de France du moins à nostre de- 
» savantaige qu'il seroit possible. 

a Madame , hier au soir à la mynuyt , levasmes l'armée dé 
» Fhmpereur du camp là ou estions logez , et fîsmes rompre 
» le mur du parcq de Pavitf en trois lieux pour entrer en esca- 



(l)Le8 originaux de ces lettres existaient, avant 1794 , aux archives de 
Bruxelles; mais ils furent, à cette é|;oque , trausportës en Autriche avec 
quantité d'autres documens curieux ; et jusqu''ici cette portion des archives 
de la Belgique n'a pu être recouvrée. On ne possède à Bruxelles que des co- 
pies de ces lettres, faites quelque tems avant 1794 par les soins du directeur- 
généralrdes archives d'alors, et destinées aux archives impériales de Vienne; 
cVst d'après ces copies que nous imprimods ces pièces que nous devons à 
l'oblijseance de M. Gachard , arcliivisle du royanme de la Belgique , qui se 
fait un viaipUisir d'aidtr tous ceux qui s'occupent de Tliisloire locale. 



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]ft iSron de pied «t de cheval , ce que sefist, et donasmes la ba- 
» taille au roy de France , laquelle il perdit ^ et a pleut à Dieu 
y> donner victoire à l'Empereur. J'ai le roy prisonnier en mes 
j> mains ; le filz du roy Johan de Navan^ et tous les nobles 
7> gens qu'il avoit avec luy sont prins ou mort , comme en- 
» tendres par le Sr. de Grospin , présent porteur, lequel vous 
j> supplie trè»-humblement croii'e de ce qu'il vous dira , car 
> je renvois tout exprès pour vous advertir comme les choses 
» sont passée. 

a Du camp de l'Empereur à St-Pol près Pavie ce .a4* de 
» février i$25. » 

€t)arU0 }^t Cattog* 



LETVmE Di; MEME ▲ hà, H&IUB. 

JXlùhamt. 

« Vous entendres par Gropain la victoire qu'il la plut à 

» Dieu doner à l'Empreur, et corne le roy de Franse est mes 

» mains. Lapluspart des gens de bien de Franse sont demorés 

» pris ou mors. Des Suisses il en net peut eschapez: Leurs Al- 

» mans sont tous mors. Le Roy ma dit qu'il avoit VIII mille 

» Suisses y y mille Almans , cette mille Piétons Fransois et 

» VI mille Ittaliens. La batalle a ette bien dispute de quote 

• et d'autres , et ont nos Gendarmes et Piétons fort biep fet 
» leur devoir, et principalment ies£spagnoz qui ont ette cause 
» de la vitoire. Madame , je prie Dieu vous doner bone vie et 
» longue. Du camp de Pavie la ou le Roy de Franse etoit lo- 

• gie le XXV de feverier. Votre très humble et obéissant ser- 
» viteur. » 

€t)arU0 Can0g» 

Cet événement mémorable pour lequel TËmpereur, maître 
de ses sentimens de joie comme il l'était désormais de son en- 
nemi , défendit qu'on fit des réjouissances en Espagne, fut cé- 
lébré à Valenciennes et dans tous les Pays-Bas, oii Ion avait 



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e coeu r plus espagnol qu'en Espagne mèmey avec des proces- 
sions religieuses et des fêtes publiques qui dui*èrant plusieurs 
jours. 

Nous ayons des preuves que la raodc^ration de Charles-Quint 
n'était qu*un masque sous lequel il cachait sa joie et ses pro- 
jets d'ambition ; on peut ajouter, aux preuves déjà connues, la 
lettre suivante écrite toute de sa main à Charles de Lannoy et 
que Jean Bouche t, sèci'étaire de ce seigneur, nous a conservée; 
l'historien de Valenciennes , Henri d'Oulti'eman , l'a vue en 
autôgi-aphe. 

« le ne fis iamais doute de chose que me distet ; mais puis 
» qu'auez si bien accomply vostre parolie , vostre crédit en 
9 sem de plus grand. Vous me disiez bien par vos lettres que 
» n'espargneriez la vie , pbur me /aire cpielque bon seruice. 
» Et vous Tauez aussy accomply. Dont ie loue Dieu de ma 
» part : et à vous me sens tenu , et vous en mercie , et scay 
I» bon gré , et si sçauoy paroUe sufEsante pour satis&ire à ce 
» seruice, elle neseroit en ce espargné. Maisie vous promets ^ 

• que beaucoup moins le seront les biens , que i'entends vqu^ 
» faire ; comme cognoistrez par œuvi'es. Mes afFaii*es sont à 
» ceste heure ile la sorte , que par le seigneur du Rœux , et 

• par lestres escrites de la main du sécrétait^ , voua verrez et 

• sçaurez : pourquoy en ceste ne feray auti*e mention. Ce 

• qu'auez le plus à diligenter c'est d'assembler argent ; car à 

• tout il vient à poinct. le feray le semblable du costé de deçà. 

• Si vous prie tost me depescher ledit du Rœux av0c vostrc 

• advia, de ce qu'il vous seihble que i'auray à faire. Car ie 
» désire tost me résoudre quel chemin i'auray de tenir , et 
» l'exécuter sans perdre tems. Aussy puisque m'auez pris le 
» Roy de France : lequel vous prie me bien garder la bou- 
» che, et le demeurant, comme ie suis seur, que bien vous 
» ferez. le voy que ie ne me sçauray où employer, si ce n'est 
Ta contre les infidèles. l'y ai tousiours eu volonté , et a ceste 

• heure ne l'ay moindre. Aidez à bien dresser les affaires : 
» afin qu'auant queie vienne beaucoup plus vieil, ie face 



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y> quelque chose , par oii Dieu puisse eôlre servy, et que ie ne 
» soye a blasmer. le me dis vieil pour ce qu^en ce cas le tems 
» passé me semble Iod^^ et laduenir court. £t a tant fei^j 
» un , priant Dieu que mon désir en œ puisse esti*e mené a 
5> bonne fin. Vous assurant que tousiours me trouverez un 
» vray bon maistre. » 

L'Empereur estima tant le service que Lannoy lui avait 
rendu , qu'il le ci*éa d'abord prince de Sulmone ; puis, d'au- 
tres lettres de sa main , en date du 7 février 1626, furent ex- 
pédiées par lui à l'épouse du vice-roi , pour le gratifier du 
comté d'Ast et autres terres dans le royaume de Naples ; il 
reçut pareillement en dotation le comté de la Roche en Ar- 
dennes. 

Le général Lannoy traita toujours François I**". en Roi , re- 
doutant même que ses troupes , à une époque où la discipline 
était faiblement maintenue , ne voulussent se saisir de la per- 
sonne de ce prince pour s'assurer le paiement de leur solde 
arriérée, il le conduisit lui-même, le lendemain de la bataille 
dans le château de Pizzighitone, près de Crémone, et ie mit 
sous la garde de Don Ferdinand Alarçon , général de l'infanterie 
espagnole , qui , au plus grand courage et aux sentimens d'hon- 
neur les plus délicats , joignait cette vigilance sévère et scrupu- 
leuse qu'exigeait un si précieux dépôt. Marot, le Gentil maitre 
Clément, qui avait combattu à Pavie , et y fut blessé près de 
François !«'. , pai-tagea la captivité de soh maître. 

Cette proie qui leur échappait et le manque de paie fit ré- 
volter l'armée impériale; l'adresse de Lannoy conjura cet 
orage : il tira du pape Clément VII , naguère l'allié du Roi de 
France, soit en Tintimidant par ses menaces , soit en le sédui- 
sant par ses promessses , une forte somme d'argent pour certains 
avantages qu'il devait recevoir en échange. Cet à-propos sortit fe 
vice-roi d'un danger très-pressant. Sur ces entrefaites, Adrien de 
Croy apporta des conditions de rançon , mais si dures que le Roi 
François, pensa tomber dans le désespoir, Lannoy profita de cette 



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(k^casioh |)oUr l'engager à passer en Espagne, en lui donnant 
Tespoir qu'il pourrait s'accoi^der plus facilement avec l'Empe- 
reur s'il s'abouchait avec lui , lui promettant qu'au cas qu'ils 
ne pussent s'entendre, il le ramènerait eu Italie. Le Roi mal- 
heureux se raviva à cette lueur d'espérance , et fit lui-même 
venir des galères françaises pour servir à son transport, l'Em- 
pei^eur ne pouvant à cette époque mettre aucun bâtiment en 
mer. Ce voyage fut concerté avec tout le secret d'une affaire 
d'état ; Charles de Lannoy , sans communiquer ses intentions, 
ni au traître duc de Bourbon , ennemi personnel du Roi , ni 
aux généraux de l'armée impériale, conduisit son prisonnier 
vers Gènes sous le prétexte de le transporter à Naplcs par mer; 
mais dès qu'on eut mis à la voile, il ordonna hautement aux 
pilotes de cingler droit sur l'Espagne. Les vents poussèrent 
cette petite flotte assez près des côtes riantes de la Provence ; 
quelles ne furent pas alors les pensées de l'infortuné monarque 
en passant devant son beau royaume de France vers lequel son 
cœur et ses regards se tournèrent mille fois avec douleur ! On 
aborda enfin le 12 juin à Barcelone , et bientôt après François 
1^^, fut logé par l'ordrede l'Empereur dans l'Alcazar de Madrid , 
sous la garde du vigilant Alarçon qui veillait toujours sur lui 
avec la même attention. 

C'est là que se fit le fameux traité de Madrid , traité peu ho- 
norable pour la France , mais qui rendit la liberté à son Roi. 
Après la signature qui eut lieu le i4 janvier 1626 , par Fran- 
çois l^'. lui-même et au nom de l'Empei-eur par Charles de 
Lannoy et Hugues de Moncade , le sire de Maingoval eut l'ho- 
norable mission d'accompagner son illustre prisonnier jusqu'à 
la rivière de la Bidassoa , qui sépare la France de i'Blspagne , et 
de l'échanger contre les deux fils de France qui devaient i^ester 
en otage jusqu'à l'exécution du traité. Leur départ d'IUescaseut 
eut lieu le 19 février. Us repassèrent à Madrid le 21 et se por- 
tèrent sur Irun à petites journées , ce qui n'allait guère à t'im- 
patiencedu monarque aflranchi. 

L'échange eut lieu le 18 mars sur la Bidassoa. Ce fut alors 
que François l^^. remercia le vice-roi des égards et des procèdes 
courtois qu'il avait eus pour lui et l'assura de son eslime eler- 

i5 



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nèlle. Le monlurque libre enfin y s^élança alors à terre dPun seul 
bond ; il se jeta sur un coursier rapide , et dans l'ivresse de sa 
liberté et de sa puissance retrouvées à la fois y mettant ce cheval 
au galop , et agitaot sa main au-dessus de sa tète y il s*écria 
dans son enthousiasme : Je suis encore Roi ! ! 1 

Ce n'était plus que de loin que le noMe Yalenciennois ^ qui 
avait eu tant de part àJa prise età la délivrance de François P''., 
4e suivait en France pour le sommer de tenir sa parole et de sa- 
tisfaire aoK conditions du traité de Madrid. Le pnnce le reçut 
à Paris avec distinction , et chercha à s'attacher ce guerrier par 
tous les moyens possibles. 11 lui offrit l'épée de connétable de 
France y et les biens immenses du duc de Boiu-bon , alors au 
service de l'Empereur ; mais le vice-roi de Naples resta sourd 
à ces brillantes propositions , et toutes les séductions de la cour 
de France vinrent échouer devant son inébranlable fidélité. Il 
retourna bientôt en Espagne^ et de là en Italie où ses talens 
guerriers devaient encore être exercés. 

En se rendant à sa vice-royauté , en 1 5 2 6 , Lannoj eut de nou- 
veau occasion de combattre la flotte française près de Tîlede Corse, 
et , tout couvert de gloire , il arriva à Naples pour d^endre ce 
royaume contre les tentatives des confédérés qui cherchaient à 
Fattaquetr par terre et par mer. Il fit alors réparer et fortifier 
plusieuBS châteaux du i*oyaume. Le pape^ qui s'était rattaché 
au parti de la France et des Vénitiens , manda près de lui le prince 
de ^aiM^^T/um/ qui se posait héritier de la maison d'Anjou et In- 
time prétendant du royaume de Naples. Le vice-ix)i résolut de 
le prévenir j il se porta le 20 décembre 1626 sur les états ec- 
clésiastiques et vint camper à Frasinone. Il prit Césano , Ceppe- 
rano et ravagea une partie du patrimoine de St. Pierre. 

Au commencement de l'année 1 627 , le prince de Vaudemont 
obtint quelques succès dans le royaume de Naples. Le vice-roi 
chercha alors à détacher le pape de la ligue confédérée, et le 2 5 
mars de la même année , l'inconstant Clément fit une trêve de 
huit mois avec lui et paya soixante mille ducats^'S l'armée im- 
périale , moyennant quoi Charles de îyannoy devait se porter 



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au devant du duc de Bourbon qui marchait sur Rome , et ren- 
gager à ne pas aller plus loin. 

Ma ingo val partit en effet de Rome le 3 avril et fut joindre le 
duc de Bourbon qui commandait l'armée impériale ; mais ni sa 
présence, ni ses instances, ne purent dissuader ce prince de 
continuer sa route; L'armée d'ailleurs se repaissait déjà du plai- 
sir de pilier la capitale du mondie chrétien ; elle comptait sur ce 
saccomme-paiementdetous les arrérages qui lui étaient dus ,^ et, 
composée en partie d'allemands imbus des nouvelles doctrines 
de Luther, elle tenait à honneur de culbuter un pape, et de 
ruiner la cour de Rome méprisée et discréditée dans l'esprit des 
novateurs. 

Lanuoy ne voulant pas s'associer à tout le mal que le duc de 
Bourbon et ses troupes se proposaient de faire à la plus belle 
ville du monde, quitta Tarmée , et par une autre route , prit le 
chemin de Naples avec le marquis du Yast ; lorsqu'ils furent 
arrivés à Averse , petite ville entre Capoue et Naples , le vice- 
roi tomba malade et mourut en peu de jours : les uns disent 
qu'il succomba dans les accès d'une fièvre chaude , d'autres le 
£ont périr de la peste qui régnait dans ce pays , les derniers enfin 
et les plus nombreux croient qu'un poison subtil abrégea ses 
jours. Cette mort prématurée fut considérée à cette époque 
comme une vengeance italienne de la morl du marquis de Pes- 
cara, et comme une suite de l'impatience de don Hugues de 
Moncade, qui devait succéder à la vice-royauté de Naples. 
11 est des occasions où il devient dangereux de se désigner un 
successeur dans un poste envié, Charles de Lannoy l'éprouva : 
il mourut dans la force de l'âge , comptant à peine quarante 
ans , et lorsque tout lui promettait encore un long avenir de 
prospérité et de gloire. Son corps fut apporté à Naples et ense- 
veli avec une grande pompe dans l'église duMont-Olivez. 

L'abbé dé Feller dit, en parlant de Lannoy : qu'il passait 
pour un général réfléchi , prudent , capable de décider la vic- 
toire par ses talens militaires, autant que par son courage. Son 
excessive circonspection, qui tient à la froideur flamande , a fait 



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dire qu*ii manquait d'audace et de résolution. Au reste, il était 
hoiniue de cabinet comme homme de guerre, et savait traiter, 
une négociation avec autant de profondeur et d'adresse qu'il 
apportait de courage en un jour de bataille. 

L'acte le plus saillant de la vie de Lannoy fut U prise de 
François !«''., et il y a cela de remarquable dans l'histoire, 
que les deux seuls rois de France qui aient jamais été faits pri- 
sonniers l'ont été par des gentilhommes wallons. Jean I«^. 
fut prisa la journée de Poitiere en 1 356 par Denis de St. Omer, 
seigneur de Morbèque , Artésien ; et François I®'. rendit son épée 
à Charles de Lannoy, sire de Maingoval, Yalenciennois. 

Notre brave concitoyen ne mourut pas tout entier ; il laissa 
trois fils dont le plus jeune nommé Ferdinand , s'allia avec les 
Perrenot de Granvelle , fiit général de l'artillerie Espagnole et 
passe pour être l'inventeur des demi-canons qui avaient l'avan- 
tage de pouvoir être transportés dans les lieux les plus escarpés 
et qui assurèrent plus d'unç fois la victoire aux armes espagno- 
les. L'aîné, Philippe de lannoy, prince de Sulmone , cheva- 
lier de la Toison d'Or, se distingua aussi dans la carrière 
milita^e ; il servit avec le duc d'Albe et le seigneur de Rye au 
siège de Tunis et de la Goulette en Afrique; il reçut une hono- 
rable bles&ure à Algeziias ; en l'an 1544} assisté du prînce de 
Salerne, il défit le général Sti*ozzi dans une bataille rangée où 
fut tué Ulisse des Ursins; enfin, il commanda, en i546, la 
cavalerie légère des Espagnols et des Italiens dans la guerre 
contre les protiestans d*Allemagne et se comporta vaillamment 
dans la bataille donnée près de TEUbe en i547 où Jean-Frédéric 
deSaxe fut fait prisonnier. Philippe de Lannoy , était un cour- 
tisan délié, ami des plaisirs et du luxe; suivant la coutume de 
son tems , il avait pris une devise personnelle ;^ c'était un papil- 
lon (|ui se brûle à la chandelle , avec cette âme : 

« Vo poy dietro aquel che me arde ». . 
a Je cours, vers qui me brûle. » 

Voulant expripuîr combien il aimait la cour où il se consu- 
mait en frais et en dépenses. 



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Philippe eut un fils, Charles de Lannoy, prince de Sulmone 
et chevalier de la Toison d'or comme son père et son grand-père ; 
ii avait épousé Constance Carretto, noble espagnole, fille du 
marquis del Final, qui futappellëela^i^/i-it^mm^tf. Elle portait 
pour devise : un soleil entre les deux tropiques y avec cette âme : 

« Nec citrà , nec ultra, ii> 
« Ni au delà, ni en deçà. » 

Pour indiquer que sa conduite était si r^lée , qii'elle n'omet- 
tait rien de ce qui était de son devoir et ne l'outrepassait jamais. 
Dans un tems de discussions politiques > cette légende, vérila- 
hl^àeivstàe juste milieu j aurait pu être choisie par le parti qui 
flotte entre les deux extrêmes. 

Arthur Dinaux. 



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LETTRE 






c^^ ^uc ae ^au^'ooa^fie , 



CONSERVEE DANS LES ARCHIVES DE LILLE. 



f Cette lettre , qui depuis longtems fesait partie des tnat&riau^ 
que nous avons reunis ^ a été récemment insérée dans le premier 
numéro deV intéressant recueil que M, Brun-Lavainne publie sous 
le titre de la Revue du Nord ; nous n'aurions pas cru pouvoir 



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» 



rtmprtmter à vêi ouvrage , pour la plmeer dans le nôtre , ai de- 
fuis longtems elle n'était devenue la propriété de chacun, par la 
fuhlication que VestitMkable M. Godefi*oy , garde des archives de 
la Chambra des Comptes , à Lille , en a faite dans le Journal de 
littérature , des sciences et des arts , de tMe' Gixieier, Paris , 

17&0, Mi-12, /. i,p. 44^.y 



f 3fôtt0, Mûxia. 

a Haut et redoubté prince duc de Boui^ogne , Jehanne la 
» Pucelle vous requiert de par le Roy du ciel , mon droictu- 

rier et souverain seigneur, que le Roy de France , et vous 
» faciez bonne paix feime, qui dure longuement, pardonnez 
» l'un à lauti^e de bon cuer entièrement , ainsi que doivent 
» faire loyaux chrétiens, et s'il vous plaît à guerroyer, si allez 
» sur les Sarrazins , prince de Bourgogne , je vous prie , sup- 
» plie , et requiers tant humblement que reque'rir vous puis, 
» que ne guerroyez plus au saint royaume de France, et faict- 
» tes retraire incontinent et briefvement vos gents , qui sont 
y> en aucunes places et forteresses dudit saint royaume, et de 
y> la paii; du gentil Roy de France , il est prêt à faire paix 
» avec vous , sauve son honneur s'il ne tient en vous , et vous 
» fois à savoir de par le Roy du ciel mon droicturier et souve- 
» rain seigneur, pour votre bien et pour votre honneur et sur 
» vos vies , que vous n'y gaignerez point bataille à l'encontre 
^ des loyaux François , et que tous ceux qui guerroyent ou- 
» dit saint royaume de France, guerroyent contre le Roi Je- 
» sus, Roi du ciel, et de tout le monde ^ mon droicturier et 
)> souverain seigneur, et vous prie et requiers à joinctes mains, 
y> que ne faictes nulle bataille , ne ne guerroyez contre nous , 
» vous , vos gents ne subgiez, et croyez seurement que qucl- 
y> que nombre que amenez contre nous qu'ils n'y gaigneront 
2> mie , et sera grand pitié de la grant bataille et du sang qui 
» y sera répandu de ceux qui y viendront contre nous. Et à 
» trois semaines que je vous avoie escris et envoyé bonne let- 
» tre par un herault que feussiez au sacre du Roy, qui aujour- 
» d'hui dimanche XVII jour de ce présent mois de juillet , 



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1 



)i te fait eti la cité de Reims , dont je n*ai point eu de réponse 
y> ne nois oncques puis nouvelles dudit herault. Adieu vous 
)) commens , y soit garde de vous s'il lui plaît , et prie Dieu 
)> qu'il y mette bonne paix. Ëscrit audit lieu de Reims ^ ledit 
» XVII jour de juillet. » 



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DE LA POÉSIE LATINE 



DANS LE NORD DE LA FRANCE, 



dqiuie U t)utttèmr BÏicit \mqn"an Vix-ï^mtimt. 



Antlquos Tenerare^noyos ne sperne poetas.^ 



La Flandre possède des guerriers, des jurisconsultes, des 
orateurs, dés historiens. Quant à ces derniers, on est venu 
compléter la connaissance que nous en avions, et on Ta fkit 
arec un talent qui ne laisse rien à désirer (i). 

La Flandre eut aussi ses trouvères , ses poètes romanciers ; 
mais ce ne fut qu'à Tépoque oii la langue latine cessa d'être 
Tulgaire (2), Jusque là ^ c'est-à-dire jusqu'au neuvième siècle , 



(i) Notfces sur les historiens de Flandre , par M. Durozoir et M. Le Bon, 
mémoires qui ont obtenu la médaille d'or en 1827 , à la Société d'émulation 
de Cambrai. 

(2) Dans rhistoire littéraire de la France , tome VI, page 54, on prétend 

16 



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la poésie qui fut le plus cultivée parait avoir été la poésie la- 
tine. Les habitants de ces contrées, soufnis aux romains pen- 
dant la durée de plusieurs siècles , n'avaient formé avec cette 
nation qu'un même peuple , esclaves de ses mœurs ^ de ses usa- 
ges et même de son langage. 

Cette espèce de servitude, que Ton doit regarder plutôt coçi- 
me une adoption ayant toujours lieu chez les vaincus , lorsque 
ceux-ci sont plus grossiers que leurs vainqueurs , ne laissa pas 
que de se prolonger pendant l'espace de plusieurs siècles (i). 
Mais enfin , l'idiome romain s'altéra par la filiation des idiomef 
des différentes peuplades venues dans nos provinces 5 bientôt ob 
n'entendit plus le latin , de sorte qu'il fallut des ordonnances 
de la part de certains princes ^ des sollicitations de la part des 
conciles , pour engager ceux qui s'adressaient au peuple à lui 
parier la langue dont il commençait à faire usage. D'un coté, 
la longue résistance des moines et du clergé , dépositaires alors 
de toutes les lumières ; puis , cette manie de versifier en* latin, 
qui s'empara de la plus grande partie des écrivains vers le 
neuvième siècle ; de l'autre , le mode d'enseignement plus tard 
en vigueur , dans les monastères où l'on envoyait la jeunesse , 
furent ,4:out à la fois , ce qui mit obstacle à la naissance dç la 
langue romane et en retarda les progrès ; toutefois/, il semble- 
rait que le littérateur, en parcourant les poésies latines qui 
ont paru à ces époques reculées , dût éprouver à leur lecture , 
quelques heureux dédommagemens ; il semblerait qu'il dût 7 
retrouver des reflets encore brillants de la muse d'Horace et de 
Yirgile. Non ; s'il ititerroge le passé , s'il lui demande des sour 
yenirs qui rattachent l'homme à l'homme « qui en fassent res- 
sortir le caractère par la différence des époques , il en recueil- 
lera , à la vérité ; mais ces chants transmis jusqu'à lui , n'au- 
ront d'autres accents cpie ceux d'une laxigue affaiblie et cor- 
rompue par le mélange des divers dialectes qu'on y a laissé 



même que tout au plut tard à la fia du Vil* siècle , la langue latine aurait 
. cessé d'être vulgaire ; mais les saYaus ne sont pas bien d'accord sur ce point. 
(;] Essai sur l'état de la po<^«e française aux XII^' et XIII* kiècles. Par M. 
de Roquefort. Paris, i8i5. 



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»■ 
introduire , et , sll vient à se resserrer dans l'étroite limite de 
cette province, il sera étonné que cette partie de la Flandre, 
si riclie , si brillante dans les historiens qu'elle a produits aux 
quatorzième et. quinzième siècles , soit d'intervalle en inter- 
valle, frappée d'une certaine stérilité dans le peu de bons poè- 
tes qu'elle aura à lui offrir. 

^ Cette sorte.de pénurie littéraire n'exista point exclusivement 
pour la France ; elle eut encore lieu dans toute la Flandre , et 
la cause, il faut la ehercker^ non dans le génie des hommes 
d'alors, mais bien dans les malheurs du tems.... l'invasion des 
barbares , les dissensions intestines , les guerres civiles- sur nos 
frontières, la corruption des mœurs, les préjugés de l'instruc- 
tion, et, jusques à une certaine époque, l'absence de l'imprime- 
rie , cette découverte si précieuse. 

En effet , si nous retraçons l'histoire des âges dans lesquels 
ont vécu les différents poètes qui font le sujet de cette notice, 
nous concevrons quelle pouvait être la littérature de chacun 
d'eux, car, si comme a dit un grand écrivain , on peut faire 
l'histoire d'un peuple par sa littérature (i) , oii peut aussi ju- 
ger de sa littérature par son histoire , et l'on sait que, de 

tous les arts, la poésie est celui qui demande le plus de calme 
et de tranquillité. 

Au huitième siècle , les guerres civiles entre Charles-Martel 
et Eudes duc d'Aquitaine ; le désordre introduit dans les cloî- 
tres livrés à la fois à des laïcs , gens de guerre , et à des femmes 
d'une conduite peu réglée ; les déprédations des Normands sur- 
tout dans tant d'églises et de monastères riches en manuscrits, 
ne laissèrent en France , suivant le témoignage d'un auteur qui 
écrivait un peu plus de cent ans après , aucun vestige des scien- 
ces et des beaux arts. ■" 

Les lettres étaient mortes jusque dans leur nom. Charle- 



(i) M. de Bonald. 



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magne monte siu' le troiie , parait tout-à-coup comme un as- 
tre radieux et chasse devant ^ui une partie des ténèbres qui 
pesaient sur son siècle. Ses soins principaux, à la suite de ses 
victoires , furent de rétablir peu à peu l'édifice social et littérai- 
re. On sait que ce prince s'était choisi pour coopérateur, dans 
c<|tQ importante restauration le savant Alcuin (i). Alcuin, joi- 
gnait la qualité de poète à celle de profond théologien (2). 

La partie 'de la littérature dont on s'occupa alors le plus vo- 
lon;tiers et le plus généralement , fut la poésie latine. Charle- 
magne- l'aimait passionnément; aussi sut-il en inspirer le 
gotût à tous les écrivains du tems. Chacun à l'envie se livrait 
à ce ^nre d'écrire . Cependant , parmi les ouvpages de ceux 
qui ne s'y adonnaient pas exclusivement,' il est à remarquer 
que ce qu'ils ont de moins bien est précisément leurs poésies. 
La plupart n'offrait qu'une versification plus plate que la pro- 
se même , à cause des entraves de la prosodie. La lecture des 
anciens poètes était* défendue dans les études. Alcuin trouva 
mauvais que Sigulfe, savant qu'il s'était adjoint, la permît à. 
ses élèves , et il la leur interdit de crainte qu'elle ne leur cor- 
rompît le cœur (3). 

Charles-le-Chauve doit aussi figurer parmi ceux qui contri- 
buèrent à la renaissance des lettres. Il continua l'œuvre de Char- 
lêmagne , entretint et favorisa les études en France. Plusieurs 
grands hommes de ce pays , dont il était le Mécène , lui ont fait 
hommage de leurs écrits, entr'autres Milon et Hucba4d. Ce 



(i) Vers 782, Hit. Lilt. de la France , tome IX , page 8. 

(2) Ibidem, tome IV, page 21. A.lcuia cependant n'a rien ëcrlt sur la poé- , 
tique. On se bornait alors à en donner les règles de YÎye Toix. — Nota. Al- 
cuin a laissé un traité de rhétorique. 

(3) Hisl. Liltér. delà France. Tome IV, page 14. 

Ceux qui gouvernaient l'abbaye de Cluni, le plus célèbre des monastères , 
n'avaient pas de goût pour la lecture des poètes profanes. Mayenl étant fait 
bibliothécaire de cette maison, vers Tan 947, fit ce qu'il put pour dégoûter 
les {eimes gens de la lecture des poètes dont il est parlé et même de Virgile. 
(L'abbé le Beuf, écl. sur l'histoire de France, t. a, p. ii3. Paris, Jacques Bar- 
rois, 1738, in-12. 



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déi'nier son poème sur les clfaUx^s (i)|Mîlon son-poème sur fa 
sobriété (2). De concert avec eux , Lothaire, Jean , Gislebert ^ 
Gpnthier, que plusieurs habiles biographes ont confondu avec 
un autre Gontier , auteur du fametix poème Ligurinu^ , ac- 
quirent vers la fin du neuvième siècle , une grande renommée 
au monastère d'Elnone ou St.-Amand (3). Ces hommes, la 
gloire de notre contrée , luttent contre la barbarie et rign«5- 
rance , et cherchent à ranimer les précieuses étincelles du gé- 
nie. Leur science perce à travers leur siècle âpre et grossier; 
leur muse se sent encore de la rudesse de Tépoque ; leur lati- 
nité est assez riche , assez pure , mais leurs poésies , toutes con- 
sacrées à vaincre de minutieuses difficultés, laissent peu de 
chose qui parle à Tesprit et encore moins qui s'adressç au 
cœur (4). 

I^ dixième siècle ne diffère point du précédent , il se traîne 
e^bre décrépit d'ignorance ; il s'achemine lentement à travers 
mille obstacles ; à peine suffit-il tout entier pour réparer lés 
pertes de livres qu'avait essuyées la France , dans les courses , 
les pillages, les incendies des Normands, et ce pays, dans Tes 
ravages des Hongrois et des Bulgares. Quoique l'on eût déjà 
travaillé à transcrire ces livres, ils étaient encore d'une grande 
rareté,. ce qui rendit les études presqu'impraticables. On re-*- 
nouvela d'abord les traités de religion ; mais il se passa bien du 
tems avant que Ton songeât à recopier les historiens , les ora- 



(1) Ce poème contient i36 vers dont les roots commencent tous par un C. 

(2) Milon est aussi l'auteur d'une rie de St.-Âmand (en vers). Surius VI 
febr. Son poème sur la sobriété a été offert à Cbarles-le-Chauve , pav Huc- 
bald. On lit dans Martène , Anecd. tome I , page 4^ , une lettre d''Hucbald, 
adressée à ce prince , sn lui envoyant l'ouvrage de son oncle (^\ verfr.) Huc- 
bald était plus versé dans la lecture des poètes profanes. Milon se moquait 
de Virgile. (Voyez BoUandus 1. 1 febr. Page 892 — L'abbé Le Beuf.> 

(3) Fondé en 634* (Aubeit le Mire. Origines cœnobionim in Belgto. antv. 
1606;. 

(4) On vit, dit l'abbé Le Beuf , dans l'abbaye de St.-Amand , où il y avait 
des écoles extérieures, la poésie si déchue , que Jodion , disciple d'Hucbald, 
voulant célébrer un ouvrage de son raaitre^ans une lettre qu'il écrit à un^ 
évéqtie , y emploie un langage aussi rampant que la plus «impie prose 



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leurs et les poètes ; le maoque de'ees ouvrages contribua d6iic 
à maintenir la barliarîe en France. 

Cette époque néanmoins produisit beaucoup de versifica^ 
teurs, fort peu de bons poètes (i). Une raison du mauvais 
goût qui régnait alors , c'est que tous ceux qui cultivaient la 
jIOésie latine , étaient des clercs ou des moines , la plupart en- 
croûtés d'ignorance (a), et bien que plusieurs d'entre eux 
fissent usage , dans la suite , des poètes de Fantiquité , beaucoup 
plus^ par préjugés, se les croyaient interdits et à plus forte 
raison en défendaient-ils la lecture à la jeunesse. Dans la prose 
de ce tems, se trouvent intercalés des lambeaux de poésie, 
comme on peut le voir par un diplôme du Roi Raoul , à la fin 
duquel on avait transcrit un quatrain pour apprendre que ce 
prince savait signer de sa propre main (3). 

La plupart des pièces de vers roulaient sur la vie de qflfel- 
x[ues saints patrons des monastères, ou de quelques personnages 
qui s'y étaient illustrés presque point de chants qui célé- 
brassent les hauts faits d'armes.... i.... la gloire du peuple (4)* 

Sous Philippe premier , la littérature ne prit guère plus d'es- 
sor. A la fin du règne de ce prince , l'idée neuve , l'idée sédui- 
sante d'une croisade en faveur des saints lieux , tourna tous les 



(i) Aux 8« et 9« siècles , même au lo", les poètes qui se Loroèrent aux ver» 
héroïques, réussissaient mieux, la rime mise à part, que dans les élégies , ou 
Jorsqu4!s prenaient le mètre iambe ou Sopbique ou Alcmane. — ^^L'abbé Le 
Beuf. 

(a) Gonc, t. 6, p. 1780. Hist. litl. de la Fr. t. IV, p. 6. 

(3) Martène, Anec. T. I , p. 280. C'était comme dans le 90 siècle, ce Ces 
copistes même ne transcrivaient presque point de livres , qu'ils se missent 
A la -tête ou à la fin , quelque fois même en l'un et l'autre endroits , quelque 
production de leur muse. » Hut. litt. de laFr. T. IV, p. 276. 

(4) Abbon , moine de St.-€rermain, fit en vers la description du siège de 
Paris , par les Normands. L'abbé Le Beuf rapporte que Dndon de St.-Quen^ 
tin écrivit aussi l'histoire des Normands , mais que son poème est plein d'à - 
poslrophes aux prélats, aux provinces , aux villes , aux monastères , en lan- 
gage moitié grec moitié latin. 



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esprits vers les armes ^ fit délirer toutes les léte»; de sorte 
qu'aucun écrivara , du moins , dans cette province , n'a cher- 
ché â poétiser le Départ à Jérusalem , cette pensée si grande ^ 
si belle en elle-même et si susceptible d'heureux développe- 
mens. 

, Il est vrai que des guerres continuelles s'entretenaient avec 
les comtes de Flandre. Les seigneurs se croyaient en droit de se 
Êdre justice à main armée; des guerres civiles ^en résultaient. 
Les plus proches parents s'entregorgeaient, et on allait jusqu'à 
regarder en quelque sorte comme honteux , de passer un jour 
sans verser du sang (i) ! 

Quel est l'homme studieux y l'homme de cabinet , qui pût 
se recueillir au milieu de ces scènes d'horreur et faire tomber 
de sa plume des pensées qui ne portassent point , pour ainsi 
dire , l'empreinte de ces tems misérables et désastreux ! 

La corruption des mœurs, résultat presqu'unique de tant 
de croisades, gagna aussi les monastères qui avaient été, 
peu de tems auparavant, l'asile du goût et des belles lettres. 
Les ecclésiastiques , comme les laïcs ^ marchaient à la guerre, 
les erreurs les plus monstrueuses se multipliaient et allaient 

grossir les ténèbres de l'ignocance Cependant un grand 

nombre d'évèques , pleins de zèle et de lumières , s'efforçaient 
de ramener les esprits vers le calme et lé bon ordre , en les di- 
rigeant vers de saines études. Auprès de presque toutes leurs. 
cathédrales , s'érigèrent diverses écoles qui devinrent plus ou 
moins célèbres. 

De nouveaux monastères furent créés De nouvelles con- 
grégations s'y introduisirent , telles que les ordres de Qram- 
mont, deCîteaux , de Cluni , etc. etc. , les grands hommes que 
chacun de ces ordres produisit , préparèrent l'heureuse transi- 
tion du douzième siècle , le plus fertile en personnes lettrées 
depuis le renouvellement des sciences par Charlemagne, 



(l) Mabil. âct. T. rX p, 535 cl sui* n* 



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La langue latine qui , dès le commencement du dixième siè- 
cle, avait cessé «tout-à-fait d'être vulgaire, fut remplacée par 
la langue romane.. Les vers latins nommés léonins, dii nom 
du poète l^éoniiius ; ou plutôt cette imitation .des vers rimes 
que Ton xetrouve même chez les anciens poètes latins , imita- 
tion qui dégénéra dans ce siècle , en un abus , j'oserai dire ef- 
frayant , fut ce qui donna Tidée d'établir les premières rimes * 
françaises. Quant à leur inventeur latin , au prétendu Léoni- 
nus , il faut reconnaître que, bien longtems avant lui; on avait 
déjà rimé les vers. Tout le monde connait la fameuse chànsoH 
de Clotaire II , lorsqu'il allait combattre les Saxons (i). 

On se range généralement du sentiment de M. de Roque- 
fort , et l'on pense que nous devons la rime dans nos vers fran- 
çais , non aux Maures et aux Arabes qui en auraient introduit 
Tusage , en venant dans l'Europe ; mais bien à cette imitation 
des vers latins rimes , penchant qui avait quelque chose de 
flatteur, puisque les meilleurs poètes de Rome s'y laissèrent al- 
ler, entre autre le pur et harmonieux Virgile : Sicvosnonvohis, 
mellificatis apes , etc. 

Telle estlopinion de Borel, de Fauchet, de Pasquier (2). 
Quoiqu'il en soit , les tournois , ces fètes brillantes où les che- 
valiers faisaient preuve d'adresse et de force , tout en donnant 
un libre essor à la poésie des troubadours et des trouvères , 
n'empêchèrent point que la poésie latine ne fÙt encore très- 
cultivée. 

La langue des romanciers , d'ailleurs , avait quelque chose 
de particulier, de trop audacieux, de trop étonnant pour cette 
époque ; on ne s attendait guère que ce fût là le prélude de la 
poésie française , et l'on aimait mieux écrire en latin que par- • 



(i) Cette chanson pous a ét^ conaervëe par Sidoine Apollinaire, «lie com- 
mence ainsi : 

De Clotario est canere rege Francorum 
Qui irit pugnare cnm gente Saxonum, etc. 
(a) Pasquier, Recherches. Liv. 7, ch. aî. 



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1er une langue qui était encore dans ses commèncemens (i). 

* 

' Cette époque ne laisse pas que d'être fertile en grands poè-' 
tes. Notre partie de la Flandre en revendique sa part , qui est 
je crois, su£^nte pour prouver que dans tous les tems cette 
province n'est jamais restée inférieure aux autres provinces de 
' la France. 

La Flandre nous montre , comme un des meilleurs, Gautier 
as Châtillon ou de Lilffi (2) , auteur du poème sur Alexandre 
le Grand , poème qui eut tant de vogue qu'un siècle après on 
l'expliquait dans les collèges de la Belgique , le regardant com- 
me une production du siècle d'Auguste (3). 

Parut à la même époque , Alain de Lille, rival de Gautier , 
dont il n'avait en poésie ni le talent ni la fécondité , surnom- 
mé par ses contemporains le docteur universel, à cause de sa 
vaste érudition (4). Ce titre lui était certainement bien acquis 
sous plusieurs rapports. 



(1) La langue latine d''aiUeur8 était alors gënéralement Fapanagç des sa- 
Tans. 

(2) Né dans la dernière moitié du XII« siècle. 

La bibliothèque d''Arra8 possède une copie visa, da poème de Gautier de 
GestiêMacidonum, Les meilleures éditions de FAlezandriade de Gautier > 
sont la 1^^ édition demi-gothique in-4^, sans indication ni de lieu ni d'an*: 
tenr. Lyon y Robert Granjon , i5Ô8, in-4°. Ulm, iSSg, in-i2$ St.-Gall, 
1659 et 1693^ in-12. Leclerc de Montlinot en a inséré un fragment dans 
son Histoire de Lille; page i83. C'est le palais de la Victoire ^Xa traduetion 
qu'il en a donnée m'a paru faible. 

i^ L'empereur Romain, le fais celte remarque parce que l'on a prétendu 
que le poème de Gautier avait été composé en l'honneur de Philippe- An- 
gurte. 

{fQ Le nom d'Alain passait en proverbe, on disait : Sufficiati^bis pidisse 
jilanum, L'Anti-GlaudIen d'Alain parait être une critique du Poème de 
Gautier. Anti-Claudianus sev de viro optimo et in omnibus perfectiicimo , 
libri IX , Basile» i536 - 8. Alain ayant traité Gautier de Moevius, l'autenr 
de TAlexandreiade lui répondit par ce distique : 

Mœvius immerito , te judice dicor, Alane , 

Judice me , Bavius diceris , et mferitd* 



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La Plandre^ppose ces deux grands hommes à tous eaux <iuî 
sont venus dans la suite y et se sont fait connaître dans Tinté- 
rieur de la France : Guillaume le Breton , Gilles de G)rbeil , 
Gilles de Paris , Mathieu de Vendôme, etc. , etc, puis en se- 
conde ligne y François deCaen, Raimond de Toulouse, Gré-» 
goire, Gilbert, etc. etc. 

La poésie fut tellement en honneur en ce siècle, que plu- 
lieurs femmes s'j distinguèrent aussi , entr'autres la savante 
Héloïse (i). 

Cependant il est à remarquer que les poètes français sur- 
passaient de beaucoup , en nombre , les versificateurs latins. 
L'usage le plus fréquent que Ton fit de la poésie dans ce tems, 
était de composer des éloges fonèbres sur la mort des grands 
hommes et autres personnages distingués* Ces éloges , on les 
appelait Rotuleêj Roiuli, Ils furent en usage jusqu'au milieu 
du treizième siècle. Dans le onzième, on avait employé la ver- 
sification à faire des chroniques , à composer ctes légendes^, des 
épitaphes, on avait même été jus€[u'à gravai' des ver%»ur les 
cachets , sur les sceaux et autres objets (a). Au douzième siè- 
cle, mêmes futilités, vers acrostiches dont l'usage çommeAça 
dès le 9« siècle. 

Bien que la poésie latine fût entièrement en vigueur, elle 
ne parait cependant pas avoir changé d'allure. Tous les varaifi- 
cateursj sans en excepter ceux qui réussissaient le moins mal, 
s'amusaient à des jeux de mots , à des allusions , à des &ymxir 
logies et autres caprices d'imagination de même force. 



(i) Hëloîseoa Louise, abbesse du Paraclet, oiorte le 17 mai 1164. Ha- 
gaes Metel , entre les talents d'Hëloïse , relève spécialement celui de la 
poësie , et semble lui attribuer l'infention d'un noufeau genre de Ter«. — 
HiigoS. Ant. Mon.T. II, page 34$. Hist. Lit.de la Fr. T. 12, page 64). 
Les poMes d'Bëloïse ne nous sont poiot parrenues. 

(2^ Anulus Odonem decet aureus Aureliensem, 
Yers qui fut ^zvé an dedans de l'anneau d'or présenta à Odon , ëyéque 
de Cambrai , par un de ses disciples. Hist. Lit. de la France. T. IX , page 
i85. ^bil. ann. Coll. T. I , page 879. 



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La passion dominai^te était pour les rimes et les consoniian- 
ces , à ces défa\its capables de^âter la plus belle versification ^ 
se joignaient ceux des siècles précédents ; on lisait Horace , 
Virgile, Ovide, mais au lieu de les prendre pour modifies, on 
s'attachait à imiter les ouvrages des contemporains, de sorte 
que bien loin* de les surpasser , on ne faisait que renchérir sur 
leurs défauts. Ajoutez encore à cela le mauvais goût du siècle, 
le mélange du sacré et du profane , lé merveilleux , le faux , 
au préjudice du naturel et du vrai , et vous aurez une idée de 
la plupart des meilleurs écrivains dont nous cherchons à re- 
tracer ici le caractère. 

Le treizième siècle ne nous a , pour ainsi dire, pas fourni de 
poètes latins dans ce pays. La chevalerie révéla d'autres chants^ 
une autre littérature. La latinité dés lors s'affaiblit peu à peu 
et devint plus barbare qu'aux siècles précédents. Nous avons 
déjà nommé les principaux poètes qui parurent dans le cours 
des douzième et treizième> siècles. Le style de ces écrivains se 
^nt de la décadence de la langue latine, et alors ce qui pouvait 
subsisterde talent poétique dans cet âge, encore barbare, s'exer- 
çait de préférence dans les langues vulgaires ou provinciales. 

Un événement qui contribua essentiellement dans la suite , 
à faire changer la face de la littérature , et qui fut caSiae que les 
ouvrages des anciens refluèrent vers l'Europe , fut la prise de 
Gonstantinople par Mahomet II , en i453 ; dès lors la littéra- 
ture qui, sans cette circonstance, eût gardé le caractère natio- 
nal , et , comme il y a lieu de croire , eût peut-être toujours été 
romantique, prit tout-à-coup une forme et une existence nou- 
velles ; dès lors on négligea les fabliaux , les contes , les ro- 
mans en vers , l'on se mit à travailler avec ardeur sur les mo- 
dèles de l'antiquité : et, vers le i5® siècle environ , l'on vit paraî- 
tre les premiers monuments du genre classique. Il en fut de 
même pour la poésie latine; jusqu'à cette époque, comme je 
crois Tavoir fait remarquer , elle avait eu un type tout à fait 
étranger à celui des anciens. 

'^Lics i4* et i5« siècles sont assez féconds en grands historien» 



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dans la Flandre 5 plusieurs d*entpe eux : R|>bert Oaguin , 
Chrétien Massé de Warneton , Jacques Meyer surnommé S(ù- 
liolantis , Lessabé , Antoine Meyer , Henri d'Oultreman (1 ) etc. 
etc. , se sont exercés à faire des vers latins ; mais je TaVouerai , 
ce n'est pas, quant à la plupart, sous ce rapport, qu'ils ont 
ajouté à leur gloire. Cependant on peut crtci» avec éloge le 
poème d'Antoine Meyer sur St. Vaast (2). De la simplicité , de 
la clarté, un style pur et élégant; dans le caractère du prélat 
surtout, beaucoup d'expression et de bonheur^ voilà ce que 
l'on aime à y retrouver, et "c'est assez pour en faire un ouvrage 
recommandable. 

L'âme de Meyer était tendre et sensible , on la sent dans les 
paroles simples et touchantes qu'il met dans la bouche du pré- 
lat expirant : 

a Nomioe ploraotes, plordns nffatur et fpse , 
a Filioli, dissolvor ; adest quâ séparer Hora , 
ce Séparer a vobis quos ut mea semper amaTi ^ 

ce Viicera, sed noo est absentia longa fulura. 
Etc. , etc^ > etc. 

Bornons ici cette analyse , elle suffit , je crois , pour faire au 
n^ins, bien présumer de l'ouvrage. 

Dans les i5« et 16* siècles et même un peu auparavant, les 
écrivains , poètes ou prosateurs avaient généralement la cou- 
tume de mettre en tête ou à la fin de leurs œuvres , les pièces 
de vers qu'on leur avait adressées comme éloges ou critiques. 
On peut s'en convaincre d'après l'édition du poème que je 
viçns de citer. La poésie latine à cette époque, doit encore sa 
durée aux universités qui en exigeaient rigoureusement l'en- 



(1) BuzelÎD ne à Cambrai en 1571, mort le i5 octobre 16261, a prouvé 
dans ses Annales de la Flandre française, qu'il aurait été au raohis aussi bon 
poète qu'bistorien. ^oyez pages 4a8 et 43o^. Duaci, Marc Wyoù 1624, in-f>» 

(2] Ce poème est intitule : Vrsus de rébus sancti Vedasti £p. Âtrcb.Libn 
m. — 1624. Farisiif , i58o , Roger> in-12. 



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• 

seignement ; i*0R saitque^ dans tous les établîssemens il j avait 
un cours spécialement consacré à cet effet. Dès lors , il sem- 
blait qu'on ne pût s'empêcher de regarder comme peu habiles 
et peu instruits ceux qui, au sortir de leurs études, ne don- 
naient aucune^preuve du talent à assembler des hémistiches... 
Et pourtant de combien de chefs-d'œuvre français peut-être , 
ce vain préjugé littéraire nous a-t-il privés î 

Ce n'était point seulement les hommes à imagination qui 
s'adonnaient à la versification latine, mais encore ceux que 
leur inclination naturelle portaient vers les recherches les plus 
utiles; ceux même qui absorbaient une partie de leur vie dans 
les travaux scientifioues les plus arides et les plus graves ; tek 
étaient le jurisconsulte Martin , le médecin Jean Silvius (i) 
(ou Dubois) , Jean Vivien (2) , l'antiquaire , [Nicolas le Bron 
et Pierre le Monnier (3). 

, Aux i6« et 17* siècles, où la France fut traversée par des 
guerres de religion , les muses latines eurent encore à souffrir; 
cependant il s'éleva alors une foule considérable de versifica- 
teurs. Parmi eux nous ne connaissons dans ce pays que deux 
poètes qui se soient distingués ; Dominique Baudius , dans le 
i6« siècle (4)> et Gilles Cambier, dans le 17*. Lille est encore 



{%) Jean Silvius, né à lille, snccëda à Laurent d'Achol , principal du col- 
lée de St-J^n, à Yalenciennes; il est mort en cette ville en 1676: on a de lui: 
Academiae Nascentis Duacensis et professorum ejusdem encomium Versu 
Heroico, apud Jac. Bosgardum, Daaci, iâ63. 

(2^ Vivien , de Yalenciennes , mort à Aixla Chapelle, le 12 septembre 
1698 , a laisse Touvrage : Cantica canticorum et ecclesiastices Safemonis ; ty- 
.pis Plantini, i584 - 96. D'Oultreman, dans son Hibtoire de Valenciennes / 
^est trompé, sans doute, en disant que Vivien est mort en 1618. fVoyez Fop- 
peAs , Philippe Brasseur , etc. qui disent en a 698 ). 

(3) Pierre le Monnier , né en Pévéle, en ]552 , notaire à Lille , parait, d'a- 
près une élégie faite en son honneur par Martin Trezèle , avoir cultivé la 
poésie latine. 

(4) Dominique Bandius , né à Lille le 8 avril i56i , monrot à Leyde , le 
16 août i6i3. 



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leur patfie (i)* I^ premier , diplomate, orateur et théologien, 
a traité presque tous les genres de poésie. 

Dans ses vers , les expressions sympathisent toujours a^ec 
son âme de feu. Jjà , se trouve empreint Tamour de la liberté ^ 
dont les cris alors retentissaient de toutes parts ; là, il déplore 
les malheurs des guerres civiles et foudroie les ligueurs dans 
des satyres pleines d'esprit et de verve ; parmi ses poésies ^ on 
lit ayep pls^isir une épître dédiée à Henri IV, pendant ces mo- 
mens de troubles (a) , les idées qu'elle renferme , sont gran- 
des et poétiques. Cependant on prétend que Baudius réussis- 
sait mi^x dans ses ïambes que dans ses élégies et autres poèmes. 

Quant à Gilles Cambier , comme il ml parait avoir échap*» 
pé aipL biographes et aux bibliographes , je me suis proposé 
d'en parler à la fin de cette notice. 

Si sqprès avoir donné quelqu'idée des principaux poètes nés 
dans le départements nous envisageons ceux qui y ont séjour^ 
né, l'avantage, je crois, restera du coté de ces derniers: Qu'il 
suffise de citer ici André Hoiua , dont les poésies étincellent 
d'une bien riche latinité. Ses travaux en vers^ tout prodigieux 
qu'ils sont , n'égalent pas encore ceux de Philippe Brasseur (3) 
né à Mous vers 1600 , curé longtems à Maubeuge. 



(1] Une remarque qui m'a ëté fournie par ces reclierches et par d'autres 
que j'ai en partie terminées ; c'est que lâlle est , de toutes les villes de cette 
province, celle qui a produit le plus grand nombre d'ëcrivains en tous 
genres. 

(2) Dans Ifépitre à Henri IV, on trouve ce vers, qui peint d'un seul trait 
ce bon monarque : 

Delûnum humani generis mundique v<duptas ! 

lia plupart des poésies de l^udius ont été insérées dans le Deliciœ Poe^ 
iarum Selgicorum , Franco fmrti, typis N, Hoffman, i6i4* 

ft) Philippe Brasseur est un des poètes latins de ce pays qui a écrit avec 
te plus d'abondance. Le nombre de ses vers s'élève è 9,600 environ. Ce poète 
^ utilisé toutes ses veillci à illustrer le Hainaut , sa patrie , en chantant les 
^i vains qui y sont nés . 



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De l'examen auquel nous nous sommes livrés j il rëffulte que 
les poésies de ces derniers siècles ont presque toutes le caractère 
religieux., N'en soyons point surpris ; ceux qui les. ont compo- 
sées étaient appelés par leur vocation et leur état à célébrer les 
grandeurs de leur, ministère. Aussi , sevrés d'un monde auquel 
ils ne devaient plus appartenir y tout ce qu'ils auraient eu d'il- 
lusion et d'amour pour lui y ils l'ont reporté , la plupart y Vers 
l'être suprême qui seul désormais avait droit à leurs pensées. 

Cependant , parmi leurs poésies , que de beautés passeront 
inaperçues à cause de l'habitude où nous sommes, d'appor- 
ter {>eu d'attention à tout ce qui est inspiré par la religion ou 
composé dans cet esprit. 

# 
Pour nous qui avons pensé que , pour faire l'histoire d'une 
littérature quelconque^ il fallait n'examiner que les écrivains ; 
faire la part des bons comme celle des mauvais, consulter le 
goût de leur siècle , en un mot suivre l'esprit humain , dans 
ses progrès ; partout où nous avons rencontré des versificiateurs 
qui appartenaient à ce pays ou par la naissance ou par le sé- 
jour , nous les avons signalés ; partout où nous avons trouvé 
des talents, nous y avons applaudi 5 nous pensons qu'il en sera 
de même pour le poète que nous allons faire connaître , et, 
bien que sa muse ne soupire que des chants religieux , bien 
qu'il'se soit adonné à une littérature morte depuis longtems , 
nous ne l'avons pas moins jugé^ à cause de ses beaux vers , di- 
gne d'avoir droit aux souvenirs et à i'admiï^tion de ses com- 
patriotes. 



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<BiUe9 dî^mhïet^ 



POETB LATIN. 



Gilles Cambier^ né à Lille dans le cours du dix-septième siè- 
cle y était de la compagnie de Jésus. Dès sa tendre jeunesse , il 
s'appliqua à la poésie qu'il aimait passionnément. La nature 
semblait avoir dirigé toutes ses facultés vers l'art de composer 
des chants élégiaques(i). Il fit servir les heureuses dispositions 
qu'il avait pour ce genre de versification , à célébrer les vertus 
de la mère de Dieu , a^ culte de laquelle il s'était entièrement 
dévoué ; il enseigna quelque tems la théologie à Douai. L'Aude 
et les soins que réclamaient ses nouvelles fonctions y apportè- 
rent des changements à ses goûts. Cambier parait avoir n^li- 
gé les muses pour se livrer à des occupations plus graves, et, 
lorsqu'il songeait à donner de nouveaux témoignages de son 
talent poétique ^.la mort vint interrompre le cours de ses tra- 



(i) nium natura cum ad artem poeticam , Ipm maxime ad el«giacum 
cartnen effinxerat ad excogitandum solertiâ , industria ad delectandam, 
reram ?erboi*umque ubertate, et totius nitore ft«rmoniB. (Tiré de la pré£eice). 



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vaux, à DiQant(i)^ villç je la principauté deLi^e, où* il sé- 
journait.- - - * ♦ 

Tel est le peu de renseignemens que J^ai recueillis sur ce 
ppète ; toutes mes recherches pour en donner de plus étendus , 
sont restées jusqu'à ce jour infructueuses. 

Il a existé dans la Belgique, plusieurs écrivains nommés 
Cambier ; i° Jean-François , auteur d'un dialogue sur la messe 
paroissiale (2) ; un autre Cambier dont on n'indique point le 
prénom , auteur de Touvrage intitulé : Le Pasteur rappelant 
. son troupeau (ouvrage sans doute mystique). Le dernier cité 
par Foppens s'appelle Odon , il était moine "bénédictin à l'ab- 
baye d'Afflighem. U y avait aussi en i565 un abbé d'Honne- 
court nommé Antoine Cambier. Quant à Gilles , àbuX nous 
nous occupons , il m'a paru impossible de fixer l'année dans 
laquelle il mourut. 

Trompé d'aboi'd par une sorte de similitude de style que 
j'avais remarqué entre les vers du poète et la prose d'une dé- 
dicace qui est en tête de son recueil, j'ai^ru pour un instant, 
que cette dédicace avait été composée par Cambier. Alors, ne 
pouvant concilier la date qu'on a mise à la fin , Kaleniis 1697 
(3), avec celle de l'autorisation d'impression, 16 décembre 
1696 , je conje(Aurai que l'auteur avait pu cesser de vivre dans 
l'intervalle du 16 du mois de décembre à janvier 1697 ; mais 
un examen plus attentif me fit voir qu'il était mort longtems 
auparavant (4). En efifet, dans une seconde préface probablement 
de la même plume , on nous apprend que les poésies de Cam- 
biei'restèrent longtems dans loubli, et qu'elles auraient sans 



(i) N'ëlant point parvenu à me procurer une histoire sur Dînant, les 
renseignemens qu''oQ peut y avoir donnés me sont restes inconnus. 

(2) Voyez les quatre tomes formant le catalogue de la bibliothèque des 
Jésuites à Lille, mss. de la bibliot. de Cambrai , n*** 918 , 914 et 915. 

(3). Coite dédicace est adi'essée aux professeurs de philosophie du collège 
' de St-Thomas d'Aquin. Duaci , Kalendis , 1697. 

(4) En 1667, Cambie» vivait encore; on a de lui une élégie composée à 
Toccasion de la peste qui régnait à Lille à celte époque. 

*7 



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►•2ao«i 



cloute éprouvé le même •ort que l'auteur (i), si des amis des 
mules , poussés par leur «èle , n'élaient parvenus à Ifeur faire 
voir le jour en partie , après les avoir , à Sèrce de prières et jje 
sollicitations, soustraites de quelque cabinet littéraire, où elles 
gîssaient comme enfouies^ 

Les élégies de C«nbier sont au nombre de dix-huit, parmi 
lesquelles on trouve cette pièce pleine' d'invention et de grâces. 

2tmim in Cunie (a). 



Jesulus in cunis (nihil est formosius illo ). 

Dormit , et excubias plurimus aies agit. 
Juge satellitium , parvi cuslodia régis, 

Fida cohors , solis nutibus apta régi , 
Mflle modis alacres ionoxia gaudia miscent. 

Virgo parens digitis ora sub inde premit, 
Et monet ut sileant^ et suut sine murmure lusus, 

Erectoque.minax indice , dormit ! ... ait. 
Turba tacet, scd ul est pueris versatilis setas , 

Mox solitis laxant frœna , roodumque jocis. 



(i) Quod fatum authorem eripuefai pipis , opéra omnia pislo snb- 
dttxisftet nisi , fœtus felici labore susceptos , poeaœos studiosi quidam ab in- 
juria mortalitatis vindicasseut et quâ votis , quâ precibus peuè revocassent 
io lucem , quos multorum annorum obliviOf noonulorum musoeis délites- 
centes , propè de muodo sustulerat. (Tire de la prë£ace), 

(2) Nous en essayons ici une traduction : 

^BSUS AU BERCEAU. 

Le bel enfant est dans son berceau il dort , et autour de lui Teille une 

troupe ailëe. C'est-là le cortège continuel, c'est-la* la garde du petit roi. 
O>horte fidèle , attentire à ses moindres mouTemens> elle se communi- 
que , de mille façons , sa joie vive et pure. 

Marie sa mère est là... et de tems à autre les contient d'un ge^e. Leurs 
jeux se font sans murmure ; elle avait dit ayec une douce menace et le doigt^ 
leyë .... Silence !... il dort ! Tous se taisent : mais, comme à cet âge l'esprit 
est lëger, ils ont bientôt repris leurs jeux avec leurs transports accoutumés. 
Marie agite le berceau et son pied en continue le doux balancement. Cejde- 



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Mater agit cunas, thalamique volubîle pondus 

Ezagitat lo^yo'leniter illa pede. 
Hoc placet officium^oeris , hoc quisque reposcit 

MuDus , hoiioi;atas vult sibi quisque vices. 
Duiuquealii lentis cunabula motibus urgent , 

Se probat obsequiis altéra turba suis. 
Ille volât sursiim, faciles suspensus in^las, 

Id tenuem fundit succina grata thorura. 
Hic puero suaves aspirât molliter atrras. 

Et facit è pennis lenta flabelia suis. 
Ille favum ma tri cerft de Vir^ine promptum 

Exhibet ; iratas dissipât alter apes. 
Imponunt pictis alii nova poma quasillis; 

Ille levés calthas , ille ligustra jaeit. 
Visa brèves utrâque manu pars altéra nardos 

Fundere, quos nullo frigore kesit byems. 
Pars quoque mobilibus praetendit carbasa cunis , 

Ne didmat somnum.luz inimica levem. 
Et ne brumalis teneros rigor asperet artus , 

Ëziguum plurois ille cubile tegit. 
Naeniolam'sonat ille : modos sine lege fluentes 

Ille , lyrâ somnum conciliante , canit. 
Jamque premunt oculis oculos, jam labra labellis» 

Oribus affîgunt ora , genasque genis. 
Interea dormit > geminumque obvelat ocellum 

Pdlpebra , forma tamen non placet inde minus. 



voir> cet emploi pUit aux anges; chacua d'eux le rëdame , et c'est à 
qui obtiendra un tel honneur. Tandis qu'une partie est occupée à faire mou- 
voir ientcment le berceau , une autre témoigne à l'enfant son zèle et son em- 
pressement. L'un voltige au-dessus de la couche et secoue de ses ailes les 
parfums les plus suaves. Ui^ autre au moyen de ses plumes appelle sur Jésus 
un air frais et bienfaisant. Celui-ci présente à Marie un gâteau de miel pur ; 
celui-là chasse les abeilles qui pourraient la blesser. Les uns déposent dans 
des corbeilles de diverses couleurs des pommes fraSchement cueillies. D'au- 
tres y éparpillent la fleur de l'amandier et y jonchent du lilas. Ceux-ci ver- 
sent & pleines mains le nard qui n'a point eu encore à subir les rigueurs de 
l'hiver. Quelques-uns tendent un voile mobile au-dessus du berceau, afin 
d'intei^cepter la^trop vive clarté qui viendrait troubler son sommeil. Ceux-ci 
pour garantir du froid ses membres délicats , étendent sur la couche le moel- 
leux duvet de lears plumes. L'un murmure un chant enfantin. L'autre fiiit 
couler de sa lyre qui invite au sommeil , des accords sans apprêt et sans art. 
I>é)à ils se penchent tous pour l'embrasser , leurs joues touchent ses joue^/ 



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1 



* 

Est décor in somno quem noDâmitetur A.pelles 

Nec vigill vultu puichriqr ante fuit. . 
Frons v^lut ante ebur est , valut ante corallina labra 

Gandor ut ante genis , naris Ht ante decens. 
' Non ridet ; taraen est aliquid risuque jocoque 

Gratius : est aliquid quod mea musa tacet. 
Est aliquid supra hiortale : quis exprimât illud ? ^ 

Nec color hoc allas , lingua nec alla potest. 
Etc., etc. 

A la délic£ttesse , à la grâce qu'il y a dans cette description, 
ne dirait-on pas que Ton vient de voir un tableau de T Albane , 
ou une sainte famille de Raphaël ? Que de naturel , de sensi- 
bilité et d'aisance ! 

Yirgo parens digitis ora sub inde premit , 
Et monet ut sileant , et sunt sine murmure lusas, 

Erectoque minax indice , dormit !... ait. 
Thalamique Vtilubile pondus. 

VolubiU est une charmante éfnthète..... mais qtti pourrait, 
dans une traduction française , rendre la nuance de cea deux 
beaux vers : 

Frons velut ante ebur est , velut ante e/c. 

Yoilà pour les beautés de détail et j'en pasee beaucoup d'au- 
tres sous silence. Quant à l'ensemble , à la composition de la 
pièce , sous ie rapport de l'idée religieuse qui s'y trouve déve- 



leun lèvi es ses lèvres ; cependant l^enfaDt divin s'endort... Sa paupière re- 
pliée sur elle-même voile son regard. A le voir ainsi, il n'en a pas moins de 
charmes ! Il y a dans ce sommeil une grâce qui ëchapperait au peintre le plus 
exercé.Les traits de son visage sont aussi jolis que lorsqu'il veillait. Son front 
brille encore de l'ivOire le plus pur ; ses lèvres sont encore de corail, la blan- 
cheur de ses joues celle de Tinnocence. Il ne sourit point , mais il y a en lui 
quelque chose de plus gracieux que le sourire même , quelque chose que ma 
lyre ne peut rendre.. Qui l'exprimerait? aucun pinceau, aucun langage, etc. 

Nous regrettons de n'avoir pu produire la pièce entière vu sa longueur. 



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loppée, elle est grande et sublime. Les anges jouent autour 
du beraeau du sauveur du monde ; enfans pleins d*innocence^ 
ils lui font , "Sans s'en douter , figurer toutes les scènes de la 
passion..... lui mettent des bras en croix , feignent de le frap- 
per, de lui percer le cœur (i). Et Tenfant divin, pour ainsi 
dire en dorms^t , s'abandonne à toutes leurs fantaisies. 
t 

Ils lui posent une couronne de roses sur la tête, sêd éunf 
sine vulnere sentes. Ce n'est qu'une couronne de roses , et ce- 
pendant à cette vue , des soupirs , des sanglots se pressent en 
foule dans le cœur de Marie , comme autant de présages de la 
dpuleur mortelle dont elle doit être accablée aux pieds du cal- 
vaire : 

Mater in hoc lusu quod lacrymetur babei» 
Mater in hoc lusu passuri nuntia nati 
Signa videi ; etc. .... . 

D'aprèscette élégie simple et touchante , îl nous^^ été facile 
de reconnaître en Cambier le poète le plus gracieux que non» 
ait fourni cette province. Nous avons cru retrouver un second 
Sautel, poète latin, né à Valence en Dauphiné, l'an 161 3, 
mort à Toumon, le 8 juillet 1662. 

Sabatier a dit de ce dernier que de tous les poètes latins mo- 
dernes , c'était celui dont la versification approchât le plus des 
vers d'Ovide. Si Sabatier avait connu Cambier , certes il lui 
eût fait la même application (2). 

Il serait difficile d'apprécier lequel des deux , ou d'Ovide ou 
de Just-Sautel, a servi de type à Cambier. Il existe entre ces 
trois poètes , au milieu des nuances que présente chacun de 
leurs ouvrages , une espèce d'analogie qui ne saurait échapper 
au premier coup d'œil ; il est cependant plus probable que , 



(1) lUe pium ferro laedit atroce latut... Spontè mori se fingitaraov ! Quelle 
grande idée. 

(2) Biographie univerteUe. — Pierre-Just Sautel. 



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tùmme Sautel était de la même époque et dm même ordre que 
Cambier , celui-ci en aura prfs , Tétudiant , et le genre et le 
caractère. Supposant d'ailleurs que Cambier n'ait point connu 
le poète de Valence , toujours est-il qu'il y a , entre eux deux , 
plus d*un point de ressemblance. 

Just-Sautel, quoi qu'il en soit , est presqu'inimitable dans 
le choix qu'il fait de ses épithètes. Elles consistent la plupart 
en diminutif qui donnent à sa poésie une légèreté , une délin 
catesse exquise. On regrette néanmoins d'y rencontrer quel- 
quefois des mots que l'auteur a cru devoir latiniser exprès, 
afin d^exprimer mieux sa pensée. * 

Cambier, comme Just^Sautel, tourmente une idée, Tépuise, 
la reproduit sous mille formes ; il n'est point tout à fait si dif- 
fus à la vërité il est moins pur, moins harmonieux , peut- 
être il en imite l'élégance et les tournures avec un bonheur 
étonnant^ mais il lui est bien inférieur quant au fini. 

Il y a des taches dans les poésies de Cambier, des redites , 
des consonnances qui blessent une oreille exercée , des jeux de 
mots , des allusions mythologiques qui semblent jui^er de se 
trouver en rapport avec un nom aussi saint que celui de Ma- 
rie ; la plupart de ces défauts sont bien rachetés par les pen- 
sées gracieuses dont les vers étincellent ; et si une mort préma- 
turée (i) n'avait empêché l'auteur de retoucher à ses vers , sans 
doute il en eût fait disparaitre ce qu'il y a de défectueux* 

Après ses él^ies, Cambier a conçu une idée non moins 
heureuse et non moins poétique. Il s'est imaginé de composer 
toutes. petites pièces détachées dont l'ensemble est intitulé: 



(i) Sautel ausbi est mort pre'niatur^ment à l'âge de 49 ans, ^t si Ton sup- 
pose que Cambier n'ait point connu la !''< ëditioii du Lusus poetici [i656] de 
Sautel, les poésies de Cambier auraient tardé à voir le jour de 4^ ao* ^^ 
plus. Si l'on adm^t que celui-ci est mort à peu près à la même époque que 
Sautel 1660-1661 , ses poésies auront paru Sy ou 36 ans après. N'est-ce pas 
bien U le Multorum annorum oblivio ? 



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Couranne dêjiêurç offerte p Matière jour de son assompiion..^, 
Cesfleilrs, c'est l'amour qui les cueille, qui les dispose.... Le 
lis, symbolo^xlç la .candeur, la rose, celui de la pudeur.... le 
narcisse, l'œillet, l'amarante, la violette etc. , etc. , chacune 
d'elles présente un emblème qui fait allusion, aux vertus vir- 
ginales. 

Enfin, en dernière analyse et pour donner autant que je puis 
une'idée exacte de ce poète d'après son recueil : 

Cambier n'est point une de ces âmes refroidies par les aus- 
térités de la religion ; ce n'est point un de ces hommes qui ont 
recours à l'esprit pour suppléer aux sentimens du cœm» 5 Cam- 
bier , c'est un amant dont toutes les pensées sont senties, 

un amant qui soupire des mots harmonieux, qui épanche son 
âme chaste , pure , mais ardente et exaltée ; qui , en un mot, 
peint sa flamme à la reine des anges, comme il aurait pu la 
peindre à une femme adorée, s'il avait mis ses affections dans 
ce monde. Aussi , celui qui avait étudié avant nous ce poète, 
et qui nous a ai^ à le connaître, a-t-il dit dans une dédicace 
malheureusement trop peu développée ; 

Ânimorum triumphatricem Virginum formant , decoremque 
célébrant fversusj , sed quœ pudicitiam inspirent , ignés aman^^ 
dos eoncinunt, non Amaryllidoa, sedMariœ; amorisqtie evibrant 
spicula sed innocua (1). 

C^ HOUILLOW. 

Sous-Bibliothècaire. 



(1) [Ses vers] célèbreut les attraits des vierges, attraits victorieux des âraes. 
a Ce sont les inspirations de la pudeur qu'ils chantent, des feux aimables ; ce 
a n'est point l'amour pour Amaryllis, mais pour Marie; les aiguillons de cet 
a amour n'ont rien que d'innocent. » 

(Nota). L'exemplaire que nous avons eu sous les yeux a été sans dout 
aionté par le relieur à la suite des poésies d'André Hoius, de Bruges, à la sui> 
te de son Machabœus. 11 manque malheureusement des pages à cet exem- 
plaire , il finit à la 94*. Nous pensons que le recueil était terminé par une 
Elégie de»Pierre de M'trciue , poète également né à Lille, lequel obtint vei 
l'an 1696 une mission pour le Japon (Voyez le catalogue de la bibliothèque 
des Jésuites a Lille , n" 914 des ms8« de la bibliothèque de Cambrai]. 



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LETTRE 



GUALTERCURT ou WAHIERCOURT, 



ANCIEN VILLAGE DU CAMBRl^IS j, 



A Bf. B. GUÉRARD, 

MEMBRE DE l'iNSTITUT (ACADÉMIE DEfl INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES ). 



Cambrai j le 26 octobre i833. 

Monsieur , 

Je n'ai pas perdu le souvenir du bienveillant accueil que 
vous m'avez fait, et de Tassistance que vous m*avez prêtée, 
lorsque je me suis présenté à la bibliothèque du Roi pour y 
consulter certains manuscrits, et entr'autres, le Chronteon 
Cameracense de Balderic , qui fut jadis en la possession de Ba- 
luze. Je me rappelle aussi , avec une vive gratitude , Tobli- 
geance que vous avez mise à me communiquer quelques poé- 
sies inédites de nos vieux trouvères du Gambrésis , bion que les 
manuscrits français ne fussent pas dans le département de vos 
attributions. ^ 



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Ëiffiii , il. est a» àuti^ PH^^^ pcfur iequel je ne vous dois 
pas moins de reeennaissanoe ; c'est l'instruction que^'ai pui- 
sée dans votre Essai sur le système des divisions terriUriales 

de la Gaule, 

« 

A tant d'obligations , souffrez , Monsieur , que j'en ajoutis 
une autr^ en vous priant d'accueillir avec bonté la notice sui- 
vante, Mkns laquelle je cherche à exhumer un village dont il 
n'exige jplus pour ainsi dire de traces, sinon dans quelques 
dôcumens historiques d'une date fort reculée. 

. Lorsqu'on se livre à l'étude des c h artes et diplômes- du moj^n 
âge, on y rencontre, vous le savez, les noms de beaucoup de 
lieux dont il est difficile de déterminer l'emplacement. Tantôt 
la difficulté provient de ce que le nom s'est insensiblement dé- 
naturé , en passant de la basse latinité dans la langue romane 
et de celle-ci dans notre idiome moderne. Tantôt le lieu a chan- 
gé entièrement de nom , par suite d'événemens dont les chro- 
niques ne font pas toujours mention. Quelquefois enfin , tou- 
tes les habitations qui composaient cette localité ont disparu 
complètement , et sans que leur destruction ait été consignée 
dans les écrits, soit contemporains , soit postérieurs. Delà mil- 
le sujets d'hésitation et de conjectures pour les antiquaires. 
Voyez le vaste et précieux Recueil des historiens de France, 
par D. Bouquet , les Monumenta historica, de Pertz , le Spici^ 
loge de d'Achery, VAmplissima collectio, de MartOTie et Du*- 
rand , les Diplomata Belgica d'Aubert le Mire. L'érudition 
prodigieuse de ces savans collecteurs est souvent arrêtée ou 
mise en défaut par un simple nom de fief, de village ou de ré- 
sidence royale. 

£i' Académie des inscriptions et belles-lettres a fait connaî- 
tre combien telle attachait d'importance à ces recherches sur 
Ici noms des lieux , lorsque , dans une instruction publiée en 
1818, elle recommandait de rechercher particulièrement parmi 
les titres, les noms que les différents lieux ont portes, soit en 
latin ou en français , soit en dialecte vulgaire , et d'étet^re ces 
recherches jusqu'aux petits lieux ou hameaux qui pourraient 
dépendre d^une commune. 



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Jl semble donc qu% c'est 'faire iiné thote utile q^t de d!si:;u^ 
ter leà etenomi nations topographi(|ues . (jui sont encore enve- 
loppées d'obscurité. 

Parmi les diplônjes^cambrésiens qui offrent matière à quel- 
ques recherches de cette nature , il en est un que rapporte Bal- 
deric, dans le Chramcon Camerac^e et Atrebatpns^ ^ lib. i. 
c. LXvi, et qu'ont publié après lui, Jean Çarpentier(i) , et 
Aubert le Mire (a). Ce titre, dont j'ai eu le bonheur éle»re- 
trouver l'original dîans le cahos de nos archives , émane du roi 
Charles III , dit le Simple , qui confirme les immunités accor- 
dées avant lui à l'église de Cambrai par Zuentibokl. Il est dàt^ 
en ces termes : Datum xiii hal.jwmarii, indictione xiv , anno 
XVIII f'egnante Karolo , rege gloriBsissimo , redintegrante xiv, 
largiorêvoro hœreditate indepta i . Les indicatioilç données dans 
c^ paroles s'appliquent parfaitement au 20 décembre 911 et 
non pas 909 , comme Carpentier et Aubert le Mire l'ont mis 
en marge du diplôme. 

On y lit , entr'autres dispositions , la clause suivante : Pàr^ 
ro territorium monasterii quod fuit extra urhem , pariter et vil- 
las suistisièusdeputatas, scilicetpago quidem Cameracensi, Car^ 
neres y Lis ,^Fenzenzias , Muntiniacum, Gualtergurt, Gun~ 
drecias. De ces six noms , il en est deux dont l'interprétatiom 
n'offre aucune difficulté. Cameres est évidemment Carnières, 

• aujourd'hui chef-lieu de canton, situé à deux lieues Est de 
Cambrai ; il est clair aussi que Muntiniacum désigne Monti- 
gny, village du canton de Clary, à trois lieues et demie de 
Cambrai. F'entenzias ,diuXTtm&utVeuzelzeiœ , Vendelgiœ , Ven^ 
degies, est le nom que portait le Câteau-Cambrésis avant le 

' onzième siècle. Peut-être aussi , s'agit-il de Vendegies-sur- 
Ecaillon , oii le chapitre de Cambrai possédait beaucoup, de 
biens. Lis peut s'appliquer à Yiedis ou à Neuves//^ , situés 
l'un à droite et l'autre à gauche de la rivière de Selles , à qua- 



, (i) Histoire de CamhrQ(/ et du Canibfésis, Preuves > p< 5. •» 

(2) Diplom. Belg, , t. 3 , p. 987. Aubert le^Mire a commis une singulièi'e 
erreur eu aUribuant ceUe charte à Charleroagoe. 



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tre lieues de Cand^itiL Eoén , Gundrevias ne peut être qu*Hdli' 
nechies , pré^ du Câteau. 

* .* 
Quant à Gualtercurt ,À\ n'existe dans le Cambrësis aucune 
localité qui porte un nom semblable. Ainsi, ouïe village n'exis- 
te plus ^^ou bien il est désigné aujourd'hui sous un nom tout 
à fait diflférent de celui qiie nous Usons dans la charte de Char- 
les -lepSimple. Mon premier soin dans cette investigation j a 
été de m'enquérir si le lieu dont il s'agit se trouvait indiqué 
dans des diplômes ou «lutres documens moins anciens que ce- • 
|ui de 9 1 1 ; mes récherches à cet égard n'ont pas été infructu- 
€?uses : je revois Gtuiltereurt dans une charte de l'an 1076, 
sofuscrite par l'évéque St.-Liébert. Je rencontre de nouveau 
ce nom , majs ^vec une légère altération j dans une lettre de 
l'évéque de Cambrai, Nicolas I", de nSg, et dans une bulle 
du pape Eugène III, de 11 48. Dans ces deux actes, "ce n'est 
plus Gualtercurt, mais WalUrcurt, ce qui est identiquement 
la même chose pour ceux qui savent que , lors de la formation 
de notre langue française , au onzième et au douzième siècle , 
le G initial a été constamment changé en W. Les mots Gual^ 
terus, Gautier y ff^alterus, fVàhierus, TV aller ^ Wautier et 
Watier ne sont donc qu'un seul et même nom sous des formes 
variables. J'ai enfin entre les mains une charte originale de 
1221 , qui m'indique dune manière à peu près positive, l'em- 
placement du village de Gualtercurt, C'est une décision de 
Godefroi dé Fontaines , évéque de Cambrai , qui sépare lapa-* 
roisse de Ribécourt (1) d'avec celle de Wahiergort dont elle 
avait dépendu jusque-là. 



(3) Aujourd'hui canton deMarcoing. Voici le texte de la charte : 

« 6. Dei gralia, Cameracensis episcopus, universis presentem pagiuam 
iotpecturis in Demioo salutem. Noverit universitas vestra quod cum eccle- 
sia et villa de Ribercort hactenus exstiterint de paiochia de Watercort , dilec" 
tns et fidelis aoster, Robertus , scolasticus Cameracensis, ad quem dicte 
parochie donatio , ratione sue scolarie pertinebat , Dei intuitu , etadevi- 
tanda peiicula que, propter locorum remotionem , saepius evenerant et in 
posterum poterant evenire, dictam parochiani voleus dividere et utrique 
ecclesie propripm assigoare pastorem , de assenhu nostro et capituli nostri , 



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• 2 



6o^ 



Jl est donc maintehant^démontré que Gualtereurt, ouT^a- 
hiercort/ était voisin de Rihécourt^ puisqu'avant le i3® siècle, 
ce dernier village était annexé à l'autre pour Tadminlitration 
spirituelle. Il ne reste plus qu.'à chercher dans , les eaviroos de 
Ribécourt, le lieu précis où TVahiercourt devait se trouver. 
Dans ce but, et pour compléter les doctimens propres à éta- 
blir ma conviction , j'ai consulté 1^ habitans du pays. Ils 
m'ont appris qu'entre Marcoing et Ribécourt, à une distance 
à peu près égale de ces deux communes , il est une grande por- 
. tion de territoire connue sous le nom de^iEncouRT, où le soc 
de la charrue heurte tous les jours contre des débris d'ancien- 
nes constructions. Vers le milieu de ce terrain, existe .un' 
champ qu'on nomme encore Vâtre pu cimetière, dans lequel 
on a sduvent trouvé des ossemens humains , et quelquefois de 
ces tombeaux de pierre blanche, dont l'origine* est encore peu 
connue f bien qu'ib soient assez communs dans ce pays. 

Dételles données suffisent, je pense, pour établir : i*> que 
le village de Gualtercurt^ mentionné dans le diplôme de Char- 
les III , n'existe plus ; i^ que ce village était situé entte Ribé- 
court et Marcoing , sur un emplacement qui a retenu le même 
. nom, quoiqu'un peu défiguré. 



ecclesie de Waiercort duoô modios frumenti et duos modios aveoe , ad Game- 
'racensem measuram, de decimis scolarie sue, infra festum beati Andrée > 
presbitçro dicte ville , singulis a unis , persolvendos bene et légitime assigna- 
▼it. Duos alios modios frumenti et duos avene quos, de scolaria predicta , 
prefate parocbie presbitçr singulis annis recipere cousueverdt , presbitero de 
Ribercort intègre et bénigne reliaquens. Nos vero prefati fidetis no9tri pie 
consentientes yoluntati, intelligentes etiam utriusque ecclesie beneficium ad 
sustentationem unîus presbiteri sufficere , prefatam parocbie diTÎsionem , de 
consilio bonoram virorum , et presbiteri ipsius loci assensu , laudamus , ap- 
probamus et etiam confirmamus. In cujus rei testimonium preséutem' pagi- 
uam fecimus sigilli nostri munimine roborari. Actum anno Domini millesi- 
mo ducentesimo vigesimo primo , mensejunii. » 

A cette chart«{ pend un sceau ovale , un peu mutile , offrant d'un côté la 
face de Tëvéque , avec cette inscription aussi mutilëe : Godefridus Deigm^ 
tiaCameracensis episcopus. De l'autre, une vierge, autour de laquelle 
«st une lëgende à demi effacée , mais où Tou peut lire encore : Ape Maria, 
gfaiiaplena: 



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Une foîs ce résultat Jobtenif, Je* n'avais plus qu'à m'efForccr 
de suivre dans les documens écrits, la trace 5le cette commune 
détruite , afin d'arrivçr , s'il était possible y. aux circonstances 
qui #nt amené sa disparition. Or , je dois convenir que , pour 
(y dernier point y mes recherches ont été à peu près vaines; Je 
titre le plus récent que j'aie trouvé Êaiisant mention de J^a- 
hiercourt, est un acte dui mois de janvier 1247, P^** lequel 
Pierre de Bèauvais , de Belvaco , déclare que l'église N. D. de 
Cambrai a cédé à Godefroi de Marcoing, chevalier , deux men- 
caudées et trois boitelées de terre, situées à TVahiereourt , près 
de l'église dite de St,-Osmond , sous la condition d'une rede- 
vance annuelle et perpétuelle de huit mencauds de bled , me- 
sure de Cambrai. Ces énonciations ne sont pas à négliger, 
puisqu'elles nous font connaître que l'église de Wahiercourt 
était placée sous l'invocation de St. Osmond , dont le nom est 
resté jusqu'à nos jours appliqué au chemin qui coûduit .de 
Wiercourt ou ^<tA«>rc<mr/à Villers-Plouieh. 

On n'a donc jusqu'ici aucune donnée sur la catastrophe qui 
a ruiné et fait disparaître ce village. Les chroniques n'en disent 
pas un mot; la tradition seule, toujours amie du merveilleux 
parle d'une invasion de Sarrasins ; elle raconte les apparitions 
diQBt l'emplacement de Wiercourt est souvent le théâtre. Pour 
noIiSy inquisiteurs de la vérité historique jusque dans les 
moindres choses, nous devons nous arrêter là où commence 
le roman. 

A ceux qui demanderont si le nom de la terre de Gualter- 
eurt a été porté par quelques personnes mentionnées dans les 
généalogies , je répondrai que Pierre de Weicourt fut échevin 
de Cambrai, en 1809, qu'Alexandre de Weicourt remplit les 
mêmes fonctions en i45i. J'ajouterai qu'à une époque un peu 
plus récente, on trouve Marguerite de Pensin ou Peusein , 
dàmè de Wilcourt. Carp. , 3® part. ; pp. 60 et 324- Mais je 
n'oserais affirmer que ces noms ou titres appartinssent à la 
terre dont je viens de m'occuper . 

Agréez , s'il vous plait, Monsieur , l'hommage de mes senti- 
mens les plus distingués. 

Le Glay. 



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4 '*' 



MiDQOUilPltSS ]E)]i]PiiEtf!SlttlSnrii]LIS« 



( l3* ARTICLB. ) 



LE CONSEILLER PLOUVAIN. 



Lorsqu'une grande révolution a éclaté dans un pays^ que 
"partout des ruines ont été amoncelées , que toute l'ancienne 
société a été bouleversée et dissoute, on doit s'applaudir, dans 
l'intérêt de la science et des traditions historiques, de retrou- 
ver, parmi ceux qui ont survécu à ces orages , des hommes 
loyaux, probes et véridiques, qui viennent rendre témoigna- 
ge du passé , et raconter aux générations nouvelles ce qu'ils 
ont vu des tems d autrefois. 

C'est surtout en France , après les commotions si profondes 
qui ont remué le pays depuis 4o ans , que de tels narrateurs 
se recommandent à l'attention de leurs concitoyens. De cette 
société vieillie et disloquée^ qui a précédé la révolution de 1789, 
il n'est plus rien resté. Dans l'effervescence des passions popu- 
laires , tout ce qui n'était pas d'hier a été anéanti. Jamais à au- 
cune époque pareille frénésie de démolir ne s'est emparée d'un 
peuple j jamais rupture plus violente n'a séparé le passé du 



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1 



. 263« 



présenta' instHutions politiques', religieuses et sociales, tern- 
ie et châteaux , anti«[ueé y monumens et tombeaux , titres 
et archives , tout a été détruit , renversé, jeté aux flammes et au 



vent. - 



Toutefois cette fièvre ardente n'eut qu'un tems , cette irrita- 
tion cq^nvulsive qui exaltait les têtes se calma et s'éteignit bien- 
tôt, dès que la lutte fut terminée par la défaite entière de l'an- 
cien régime. La société rajeunie , consolidée sur de nouvelles 
bases ^ et n'ayant plus à redouter un ennemi désormais im- 
puissant, se montra curieuse de connaître quels avaient été les 
antécédens, la vie, la physionomie de cet adversaire vaincu. 
Le goût des études historiques se réveilla tout-à-coup ; on ne 
s'arrêta plus à des résumés incomplets , à de superficiels aper- 
çus. De toutes parts les investigateurs se mirent à l'œuvre > et 
dirigèrent des recherches approfondies , non pas seulement sur 
l'histoire générale de France , mais aussi sur les annales parti- 
culières des provinces et des localités. Toutes les bibliothèques 
des départemens , tous les dépôts publics furent visités difi- 
^emment, explorés avec sollicitude par des hommes laborieux, 
dans l'espoir d'y découvrir des documens, d'anciennes char- 
tes^ de vieux titres échappés par miracle à la destruction. 

Bien qu'au premier aspect, cette étiide des chroniques et des 
institutions locales puisse paraître minutieuse et superflue , 
elle n'en présente pas moins dans la réalité des avantages incon- 
testables. Outre qu'elle intéresse ïes villes et les communes à 
qui elle révèle leur origine et leurs destinées , elle est encore 
pour l'histoire générale un puissant auxiliaire en lui fournis- 
sant de riches matériaux , de précieux renseignemens , qui peu- 
vent élucider bien des points obscurs , et résoudre de nom- 
l>reux.problèmes jusque là insolubles. 

Parmi les hommes justement estimés qui se vouèrent à ce 
genre d'étude avec un zèle et une constance inébranlables, on 
doit citer hoporablement M. Plouvain, mort en i832 , con- 
seiller à la cour royale de Douai. Nous noi^s proposons dans 
ceï article de présenter quelques indications sur sa vie et ses 
trayaux, de dire ce qu'il a été et ce qu'il a fait. 



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Pierre-Antoine-^mudrJôseph Plouvain^ né à Doi;^i, le 7 
septembre 1 764 , fut y après avoir tenmnë ie cours de^ ses étu- 
des , reçu avocat au parlement de Flandre. 

Le i3 février 1777, il fut, à l'âge de ^23 ans, institué con- 
seiller à la gouvernance de Douai ; cette juridiction était inves- 
tie d'attributions analogues à celles qui sont aujourd'hui dévo- 
lues aux tribunaux civils d'arrondissement. C'était une justice 
paternelle, bienveillante, chérie des populations avec lesquel- 
les elle était en contact. 

La grande révolution de 1789 ne tarda pas à surgir, bril- 
lante et parée à son aurore , ne promettant que des réformes 
indispensables ; elle fut saluée avec enthousiasme par un peu- 
ple régénéré. Toute l'ancienne organisation judiciaire confuse, 
irrégulière , incohérente fut supprimée , et l'assemblée co nsti- 
tuante dota la France d'institutions plus conformes aux pro- 
grès des lumières et aux nécessités du tems. La GouvernaDcei 
de Douai cessa d'exister. liCS magistrats qui la composaient 
durent résigner leur office en vertu des décrets des 6 et 7 sejf- 
tembre 1790. Sans être un partisan bien prononcé des idées 
nouvelles, M. Plouvain n'y répugnait pas. 11 fut élu juge au 
tribunal de district de Douai , et entra en fonctions le 2 1 mai 
1791. 

Mais bientôt des innovations poussées à l'extrême suscitèrent 
des antipathies et de funestes résistances. De là , des luttes-pas- 
sionnées, des réactions sanglantes. En 1792, M-. Plouvain, 
avec son caractère paisible et doux , n'était plus à la haruteur 
des principes dominans , et ne pouvait convenir au» opinions 
ardentes des fougueux démagogues de cette époque. Il ne fut 
pas réélu membre du tribunal , et rentra dans la vie privée où 
il vécut obscur et tranquille pendant que les tempêtes politi- 
ques grondaient sur la France. 

Toutefois c'étajit un de ces hommes , dontl'int^rité, r^ixpé- 
rience et le. savoir ne peuvent rester longtems dans l'oubli. £n 
1796, il fut appelé à ^ire partie du tribulial civil du départe- 



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ment, iasthution défectueuse, éphémère, momentanément 
svbstituée aux tribunaux de district , et i*emplacée en 1 800 par 
les tribunaux actuels de première instance. 

Après de longs troubles et de violentes crises politiques , il 
reste toujours de graves désordres à réprimer. C'est l'agitation 
.qui suit la tempête : on ne remue pas impunément la lie et le 
fond des états. Dans l'intérêt de la sûreté publique et de la 
paix intérieure, des moyens énergiques de répression devinrent . 
nécessaires. Par la loi du 23 floréal an 10 (1 3 mai 1803) des 
tribunaux criminels spéciaux ful*ent établis avec mission de 
juger particulièrement les coupables de faux , de fausse mon- 
naie et d'incendie. M. Plouvain , d'abord juge suppléant , fut 
nommé en 1807 juge titulaire au tribunal criminel spécial au 
département du Nord , tribunal qui reçut ensuite le nom de 
cour de justice criminelle spéciale. 

En 1810, la magistrature fut reconstituée, et il intervint 
une loi qui , en organisant définitivement l'ordre judiciaire , 
confia aux cours impériales l'administration souveraine de la 
justice. « Il faut à l'empire , disait le conseiller d'état Treil- 
» hard , des magistrats qui , se renfermant dans le cercle , mais 
» connaissant toute la grandeur et toute l'étendue de leurs at- 

• tributions , sachent déployer le courage qui brave des res- 
» sentimens injustes, la force qui brise le choc de toutes les 
*> passions déchaînées ; des magistrats inaccessibles à toute 
» autre crainte que celle de ne pas répondre à la confiance du 
« prince et de manquer à leurs devoirs ; des magistrats enfin 
» qui placent au premier rang de leurs plus douces jouissan- 

• ces le témoignage d'une conscience pure , et cette considéra- 
» tion flatteuse que la vertu sait arracher même de la cons- 
» cience de ses ennemis. » (Exposé des motifs de la loi du 20 
avril 1810.) 

M. Plouvain fiit jugé digne de prendre place parmi de tels 
magistrats , le 6 avril 181 1 , il fut nommé conseiller à la Cour 
impériale de Douai. 

Le a6 avril 1816 , cette Cour reçut de Louis XVIIl Tinsti- 

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tiition royale. M. Plouvain fut copfirmé dans ces mêmes fonc- 
tions (le conseiller qu'il continua jusqu'à sa mort de remplir 
av«c honneur et à la satisfaction de tous. 

Il mourut le 29 novembre 1882 , à l'âge de 78 ans. 

Sa perte, sentie comme elle devait l'être, excita d'unanimes 
regrets. Appelé' aux affaires depuis 55 années, 6n lui rendit 
cette justice qu'il ne resta point un seul instant au-dessous des 
charges importantes qu'il occupa successivement. Aux assises 
qu'il présida, il sut concilier les devoir* rigoureux attachés à 
sa dignité avec les égards dûs à l'infortune, même coupable, et 
comme membre de la Cour de Douai , il mérita constamment 
l'approbation des chefs de la compagnie, l'affection de ses col- 
lègues et l'estime des gens de bien. Citoyen aussi recomman- 
dable par ses vertus privées que par les qualités qu'il déployait 
dans l'exercice de son ministère, magistrat consciencieux et 
intègre, sans passion au milieu des orages politiques, c'é- 
tait un de ces hommes qui font honneur à l'humanité , et 
dont la mort est toujours à déplorer. Disons-le, cependant : 
la longue carrière de M. Plouvain a été dignement remplie. 
Elle a été féconde en résultats utiles et en bons services pour 
le pays. * ' 

Au surplus , ce n'est pas seulemeut en qualité de magistrat 
qu'il doit être remarqué. D'autres titres lui obtinrent la consi- 
dération publique. I^ongtems il veilla aux intérêts des pauvres, 
soit en qualité de membre du bureau de bienfaisance , soit 
comme administrateur des hospices ; et , depuis 181^ jusqu'en 
i83o , il siégea au conseil municipal de la ville de Douai . 

Amateur distingué des sciences et des arts , plusieurs société 
académiques l'admirent dans leur sein. Le 6 vent ose an XI (24 
février i8o3) il fut élu membre de la Société libre d'amateurs 
des sciences et des arts de Douai , société qui depuis fut avec 
justice décorée du nom de Société royale et centrale d'agricultu- 
re du defartement du Nord, Jusqu'en 18*28, M. Plouvain en 
fit partie comme membre résidant. A cette époque la société 



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lui décerna letîti*ede membre honoraire, distinctidn toute flat- 
teuse, couférée seulement aux membres ëm^ites qui ont , pen- 
dant 20 ans, participé aux ti*avaux de l'académie. Le 20 jan- 
vier 1826, la Société royale d'Arra*, pour l' encouragement des 
sciences , des lettres et des arts, le reçut parmi ses associés cor- 
respondans ; et en i832 il fut également nommé membre cor- 
respondant de la Société royale des antiquaires de la Morinie , 
séant à Saint-Omer. Des personnes regardent les sociétés sa- 
vantes comme oiseuses ; ce jugement est sévère. Sans parler des 
découvertes qu'elles propagent , elles réunissent des hommes 
instruits et les mettent à portée de se communiquer leurs ob- 
servations et leurs idées. C'est là surtout qu'est l'utilité. Au 
moral comme au physique , l'homme , en s'associant à ses sem- 
blables , multiplie sa puissance. L'ensemble des connaissances 
humaines est comme une vaste chaîne dont chaque individua- 
lité ne forme qu'un anneau. 

Les diverses fonctions dont M. Plouvain fut successivement 
investi ne l'empêchèrent pas de s'adonner avec ferveur à d'au- 
tres occupations intellectuelles. Pendant qu'il était attaché à la 
gouvernance de Douai ,. il eut avec un autre conseiller (M. Six) 
(i) le courage de se livrer aux recherches les plus pénibles et 



fi^ M. Six f Philippe-Josse-Augu8te^ , né à Lille, le 5 mars 1732, 
fut conseiller en la Gouvernance de Douai, depuis le 7 mars 1777 jus- 
qu'au l5 novembre J785. Il se dëmit à ceUe époque de ses fonctions , 
et quelque tems après, il se retira à Seelin /arrondissement de LilleJ où 
il mourut le a3 septembre 1793. 

M- Six conçut le premier la pensée de former la collection des lois en 
vigueur dans le ressort du parlement de Flandre. Mais il ne prit qu'une 
très-faible part à Texécution de ce projet. S'étant adjoint M. Plouvain , 
le plus jeune de ses collègues , celui-ci forma le plan du n cueil et en 
léalisa la confection. M. Six lui laissa toute la charge du travail et se 
borna à recueillir, de divers possesseurs de collections, quelques matë- 
riai'x qu'il remit à M. Plouvain. L'ouvrage, imprimé à Douai, chez 
Derhaîx et Marlier, parut par souscription. Déjà onze vo1*)m< s étaient 
publiés ; le douzième était imprimé; et la table des matières qui com- 
plétait le recueil était sous presse lorsqu'en 17^2 , la Société populaire 
de Douai força les imprimeurs à détruire ce douzième volume et k briser 



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les plus opiniâtres pour réunir et publier la l^islation parti- 
culière des provinces du ressort du parlement de Flandre. Ce 
recueil complet en douze volumes in-4*^ j dont les premiers pa- 
rurent en iyS5, fut un véritable service rendu au pays et sur- 
tout aux magistrats et aux jurisconsultes. 

Aimant passionnément la ville de Douai y où il était né , M* 
Plouvain ne cessa pendant toute sa vie de signaler son ardeur 
pour les investigations historiques et statistiques de la localité. 
Erudit infatigable , il travaillait sans relâche à en recueillir 
les résultats , et se fesait en quelque sorte un devoir dé conser- 
ver religieusement tout ce qu'il croyait pouvoir intéresser le 
pays , sa sollicitude et son empressement à cet ^ard ne se ra- 
lentirent jamais. Aucun soin ne lui était pénible , aucune dé- 
marche ne lui coûtait lorsqu'il s'agissait de se procurer un do- 
cument , de constater un fait , de préciser une date. Après d'in- 
nombrables recherches , après avoir pendant longtems rassem- 
blé des matériaux qui remplissent plusieurs énormes volumes 
in-4% après avoir copié de sa main une quantité considérable 
de chartes^ de titres , d'extraits de chroniques , etcoUigé sur la 
ville de Douai tous les renseignemens possibles , il se décida 
enfin à publier, en 182a, un précis analytique de ses travaux, 
sous le titre modeste de Souvenirs à l'usage des hahitana de 
Douai ou notes pour servir à ^histoire de cette ville, .(tl) 



les formes de la table des matières. Il n'existe plat «ajourd'hai de ce 
▼olume et de la table qu'un exemplaire unique appartenant à M. le con- 
seiller Nepvenr^ gendre de M. Plouvain, autre magistrat bien distingua, 
et d'un mérite trop ëminent pour qu'on en puisse parler sans blesser sa 
modestie. 

(2.) Un gros volume in-12 de 800 pages , à Douai , chez Deregnau- 
court, imprimeur-libraire > éditeur, rue St.-Jacques. Prix 3 fr. 

M. Plouvain a encore publie: 

1** Deux brochures in-4° imprimées, l'une en 1809, cbez M. Dere- 
gnaucourt, et l'autre, en 1828, chez M. Wagrez, tous deux imprimeurs 
à Douai. La première est intitulée : Notes historiques relatives ûux 
offices et aux officiers de la cour de parlement de Flandres, et U 
seconde , Notes historiques relatives au^ offices et aux officiers du con-^ 
eeil d Artois, 



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- Ge livre^, rempli d'indications très-précieuses , fournirait 
«Tutiles éiëmens pour la composition régulière d'une histoire^ 
de l'ancienne ville de Douai. M. Plouvain a vécu , pour ainsi 
dire , «ur la limite de deux siècles , et parmi ces générations in-^ 
termédiaires transitoirement placées entre la- société d'autrefois 
et la société d'aujourd'hui , il était donc mieux que tout autre 
en position de nous transmettre les traditîons^ fidèles d'une 
^KKjue dont il fut l'un des derniers témoins. Aussi son ouvra- 
gé contient-il de fort intéressantes révélations et abonde-t-il 
en faits curieux et peu connus. j 

L'auteur y considère successivement la ville de Douai sous 
ses divers points de vue, et la montre telle qu'elle était autre- 
fois avec ses nombreux établissemens reiigieuxy son ordre 7W*- 
eiaire, ses institutions municipales , son état militaire , son 
université, ses hospices et fondations de bienfaisance ; et tour à 
touTy il signale les mutations , tes vicissitudes que ces diverses 
br&nches d'organisation ont ultérieurement éprouvées pendant 
et depuis la révolution. 

Envisagée sous son aspect relipeus, la vieille cité apparaît 
avec ses églises collégiales et paroissiales, son officialité, ses i5 



a" En 1824 , un volume in-ra , ayant pour tiljre : Notes ou essais de- 
statistique sur les communes composant le ressort de la Cour royale- 
de Douai, Imprimé chez M. Wagrez. Pris 3 fr. 

Cet opuscule est trèé^intëressant. U donne ea peu de mots sur chaque 
commune les notions qu'il importe lé plus de connaître. Un point essen- 
tiel, surtout pour les jurisconsultes, c'est qu'il indique à quel ressort, 
à quelle juridiction chaque localité appartenait , et par quelle coutume 
elle éuit régie en 1789. Ces dernières indications sont puisées daus un 
précieux manuscrit composé par M. Prisée , aw>cat à Avesncs , intitulé 
Tableau général du ressort du parlement de Flandres , et offert en 
1786, à M. de Casteele^ procureui^-géhéi'al. Cet ouvrage remarquable 
est entièrement inédit. M. Plouvain en a tiré une copie. 

3® En 1828, un volume in-iar, sous le tftve d'Sphémérides historié 
ques de la ville de Douai ^ impiimé à Douai, chez M. Deregnaucovrt- 
Prix 1 fr. âo. — Une biographie douaisienne comprise dans «• T^lllfiM 
MBtient quelques particalarités dignes d^arréter l'attention. 



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mbnastéreé d^faommes , ses 16 couvcna de femmes , ses confré- 
ries de dévotion , ses calvaires et ses cimetières intérieurs ; 

Sous le rapport judiciaire , Fauteur nous la retrace avec son 
ancien et grave parlement de Flandres, son siège royal de la 
Gouvernance , ses diverses juridictions , ses maisons de justice 
et son maître des kautes œuvres qui avait une demeure privi- 
légiée et des salaires tarifés , pour chaque exécution , de 1 à 4» 
sous , suivant qu'il s'agissait de couper une oreille seulement , 
ou bien A^ enfouir , de brûler ou de bouillir. 

Quant à ses institutions municipales , la ville de Douai s'of- 
fre aux regards avec sa bourgeoisie ^-econnue par une charte 
communale , ses échevins, son hôtel-de- ville gothique, ses ar- 
moiries , ses corporations d'arts et métiers , ses jurandes et ses 
compagnies de serment et de plaisance. 

En décrivant l'état militaire de la place de Douai , l'auteur 
nous dit quelle fut l'origine de la cité, comment elle grandit et 
se développa ; quels furent ensuite les gouverneurs et les offi- 
ciers supérieurs qui la commandèrent. Il nous la représente 
avec son école d'artillerie et sa fonderie créées par Louis XIV, 
ses vieilles tours ," ses portes de guerre , et ses fortifications re- 
construites par Yauban. 

Au titre qui concerne V instruction jfublique , on lit d'abord 
une notice sur l'institution , les progrès et la suppression de 
l'ancienne université de Douai , puis viennent des détails sur 
les diverses facultés de théologie , de droit , de médecine et des 
arts dont elle se composait y sur les 6 collèges et les 1 9 séminaires 
établis à Dou^i, et sur la confrérie des clercs parisiens, fondée 
du temsde St.-Louis. De deux autres titres qui ont encore trait 
à l'université, l'un mentionne quelques particularités fort ori- 
ginales ^ relatives à certaines discussions théologiques jadis re- 
nommées ; l'autre rappelle les cérémonies préalables à la déli- 
vrance du grade de docteur. Le candidat fesait liii-méme les 
invitations pour assister à sa dernière thèse. Il était accompa- 
gné des bacheliers de sa faculté ; dans celle de droit , les ba- 



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cheliers montaient à cheval et se faisaient précéder des iyn^-^ 
baies et des trompettes des troupes à cheval de la garnison. 

Enfin , dans un titre qui s'applique spécialement aux éta- 
blissemens de bienfaisauce , Tauteur énumère les hôpitaux , 
maladreries et léproseries, les hospices consacrés aux orphelins 
et aux enfans trouvés, les maisons dWle toujours ouvertes 
aux pèlerins , et parle en dernier lieu des moyens employés 
pour secourir les pauvres dans leur domicile. Lorsqu'ils s'a- 
git d'œuvres de charité , de soulager les malheureux , de pro- 
diguer des soins à ceux qui souffrent, il faut reconnaître, à la 
louange des tems passés , qu'ils l'emportent de beaucoup , par 
l'immensité de leurs bienfaits, surnotre siècle d'indifférence et 
d'égoïsme. 

Telles sont les principales divisions du livre qui nous oc- 
cupe. Toutefois l'auteur ne se borne pas à ces notions impor- 
tantes et généralement complètes. La chronique proprement 
dite et l'indication des évènemens tiennent aussi , dskus les Sou- 
venirs une place fort étendue. On y trouve des faits qui remon- 
tent Jusqu'à l'an 49^. 

Le même ouvrage renferme en outre une foule de variétés 
historiques sur des sujets particuliers , et notamment sur les 
templiers et les firancs^maçons , sur les fêtes publiques , sur 
l'imprimerie, sur les foires et marchés, etc. etc. 

On peut voir par cet aperçu que l'œuvre de M. Plouvain n'est 
point une composition stérile. Elle mérite d'être étudiée , sera 
toujours consultée avec fruit, et doit tenir un rang distingué 
dans la bibliothèque des amateurs de l'histoire et des antiqui- 
tés de notre pays. 

Néanmoins , pour faire la part de la crRique , nous hasarde- 
rons quelques observations : 

L'auteur n'indique nulle part les sources où il a puisé. C'est 
un inconvénient. Dans les livres de ce genre , oiv l'exactitude e*t 



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si èMentielle , il est bon que le- lecteur puisse facilement juger 
par lui-même de la vérité des choses qui frappent son atten- 
tion. Nous devons dire cependant qu'ayant eu l'occasion de 
vérifier quelques passages des Souvenirs, les assertions de Fau- 
teur nous ont paini fondées , et les faits rapportés entièrement 
conformes à la réalité. (3) 

On pourrait désirer dans Touvrage une marche plus ration- 
nelle, un ordre plus méthodique. Il est aisé de s'appercevoir, 
surtout vers la fin , qu'il a été publié avant d'être achevé. On 
sait, en effet, qu'il a paru par livraisons détachées. 



(3J Snr rhistoire et les établîssemens de rancienne fille de Douai, on 
peut lire y entr'autres ouvragefc : 

— Buzelin : Gallo Flandria sacra et profana^ lib. i, cap. 34et8eg. 

1 vol. in-f. Douai , i625. 

— lies annales du même anteur (Annales Gallo- Flandriœ), i v. in-K 

Douai, 1624. — Voyez la ttble des matières de ces annales au mot 
Duacum,, 
•~ L'histoire sacrée des Saints ducs et duchesses de Douay, recueillie par 
le révérend père Martin Lhermite de la compagnie de Jésus. — 

— Douais 1637. 

— Burgundius^ ad consuetudines Flandrix. cap. 3. — Bruxelles, 1674* 
M. Flou vain a en outre consulté : 

<— Les Collections des anciennes lois françaises et surtout le recueil des 
édits et déclarations <[u'il a lui-même publié pour le ressort du 
parlement de Flandres: 

— L'ouvrage intitulé Diplomatica Belgica d'Aubert Le Mire , 4 ▼• in-f. 

— Bruxelles, 1723. 

— Les Chroniques et annales de Flandres , de Pierre d'Oudegberst. 1 

vol in-4°« — Anvers, 1571. 
•— Les Histoires particulières des ordres religiei|x. 

— La Géographie universelle de Duval. — Lyon , 1688. 

—^ Le Manuscrit de M. Prisse ayant pour titre Tableau général du 
ressort du parlement de Flandres y cité dans la note précédente. 

— La Tie de Saint Maurand, patron de la ville de Douay , recueillie 

de divers auteurs, par Martin de Rasières^ avocat au parlement 
de Tournay. 

— ,tJne foule de titres et de mémoires manuscrits ou imprimés. 

— Tout ce qui est resté de documens auciens aux archives de la ville de 

Douai, etc. etc. 



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Enfin la nomenclature des faits est parfois un peu trop nue^ 
trop aride , trop brusquement tranchée. Elle est aussi bien mi- 
nutieuse et comprend des choses qui , à la rigueur, peuvent pa- 
raître insignifiantes. Mais cette dernière faute, si c'en est une, 
ne peut que conduire à estimer davantage le laborieux chroni- 
queur. Il semble qu'il ait craint de rien oublier. Cette loyauté 
consciencieuse , cette candeur de caractère ajoutent encore à 
son éloge. 

En dernière analyse, ce qu'a été, ce qu'a fait M. Plouvain 
peut se résumer en quelques mots : ce fut un bon magistrat, 
et un honnête homme, auteur <ffun livre utile. Paix et honneur 
soient à sa cendre. 

E. T. 



.* 



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IfiKDI^Illi^lPIDSl SS^ÊX. 



( 9* ÂBTICLE. } 



^»Q9 



LE GÉNÉRAL D'ASPER. 

*. 

Constant van Hoobrouck, baron d'Asper, naquit à Gand, 
le 37 novembre 1754. Son père, Emmanuel van Hoobrouck, 
jouissait d une fortune considérable, mais sa famille était nom^ 
breuse ; il avait dix-sept enfans. D'Asper fit ses études au col- 
lège des jésuites anglais, à Bruges; toutefois il ne les poussa 
pas fort loin. Le grec et le latin avaient peu d'attraits pour 
lui ; toutes ses pensées se dirigèrent de bonne heure vers la 
carrière des armes. En 1770, il obtint un drapeau dans le ré- 
giment du prince de Ligne, et, dégrade en grade, il parvint 
à celui de capitaine , qu il aurait eu deux ans plutôt sans 
une circonstance digne d'être rapportée parcequ'elle fit éclater 
la générosité de son caractère : Un grand seigneur, du reste 
homme de mérite, mais le plus jeune officier du régiment, le 
comte de Mérode, depuis sénateur de l'Empire, fut pourvu 
d'une compagnie vacante. Grande rumeur parmi les lieute- 
nans; ils s'assemblent et prennent la résolutiob d'appeler lun 
après l'autre le nouveau. capitaine en duel. D'Asper, le plus 
ancien d^entre eux , leur dit : ce Messieurs, est-il un seul de 
y> vous qui , sur son honneur, osât déclarer que dans le cas où 
» une semblable promotion lui eût été offerte, il l'aurait re- 



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)> fusée? Vous restez tous muets. . • . Vous voyez bien , aîou« 
» ta-t-il, que votre décision est injuste; si vous y persistez, 
» c'est moi qui me chargerai de vous répondre. » On sen tai- 
sez que cette affaire n'eut point de suite. 

La révolution Belge fournit à d'Asper, en 1789, l'occasion de 
se signaler. Partisan du système de Joseph II, enthousiaste par 
caractère, et doué de cet esprit chevaleresque si propre à re- 
muer les masses, il se jeta dans le Limbourg et , par la persua- 
sion plus encore que par la force, il étouffa les symptômes. de 
révolte qui s'y étaient manifestés. A la tête d'un corps de vo- 
lontaires,^ il défit complètement trois mille patriotes, et ce 
premier exploit lui valut le brevet de major. Son activité 
Je multipliait en quelque soite ; il se trouvait partout , 
et l'ennemi ne pouvait parvenir à se faire jour sur aucun 
point. Il seconda puissamment de cette manière les opérations 
de l'armée autrichienne du Luxembourg. Il contribua beau- 
coup, en décembre 1790, au rétablissement du prince-évêque 
de Liège (Honsbrouck) dans ses états. Il vint ensuite recevoir, 
des mains du maréchal Bender , la croix de Pordre de Marie- 
Thérèse, et les habitans du Limboui^ lui firent présent d'une 
épée qui poitait cette légende : Provineia LimhurgU suo libéra-^ 
iwù Son nom , dès lors célèbre , devait bientôt 1 être davanta- 
ge par les services qu^il rendit à l'Autriche dans le cours des 
guerres de la Révolution. 

Une organisation nouvelle et plus régulière avait été don- 
née, avec le nom de Laudon, à ses chasseurs; il en resta le 
chef et le grade de lieutenant-colonel lui fut conféré. 

Il se mesura , dès le commencement de la campagne , avec les 
avant-gardes de l'armée française, et presque toujours son au- 
dace fut couronnée de succès. Cependant, chargé par le duc 
de Saxe-Teschen , de sommer la ville de Lille , il y courut ris- 
que de la vie, tant l'effervescence du peuple était grande. 

Le 1*' mars 1798 , il prit une paît active à la victoire d'Al- 



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tenhoven^ puisa celle de Nerwinde. Il conduisit, le i^mat 
1793, une colonne contre le bois d'Hasnon, et s'enipara d'une 
forte redouter Clerfayt loi donna publiquement le nom de 
brave entre les braves» 

Colonel, en t794> d'Asper assura par sa bonne tenue et 
par la précision de ses mouvemens la belle retraite de Gerfayt^ 
Bravant une grêle de balles , il ne quitta le pont de Deynse et 
ne le fit rompre qu'après avoir acquis la certitude qu'autun 
autrichien n'était resté au-delà de la rivière. 

Il fît partie, en 1796, de l'armée sous le commandement du 
comte de Latour. Un corps de cette armée défendit ensuite le 
pas du diable fteufels passj dans la Forét-Noire^ contre de» 
forces supérieures^ et d'Asper fut blessé grièvement d'un coup 
de feu à la fin de cette campagne, au combat de Neustadt ; il 
reçut à cette occasion une lettre très-flatteuse de l'arcbidue 
Charles , qui lui envoya son chirurgien. 

£01798, nommé général-major, ii commandait les chas- 
seurs-francs y qui furent souvent cités pendant les campagnes 
de 179^9 ^799 ^^ i8oo en Italie, mais surtout dans les combats 
de Vérone y Pastrengo , Signago, et au passage de TAdda. Liors^ 
que Suwarow envoya un corps de troupes contre l'armée de 
Naples , que ramenait Macdonald , le généi*al d'Asper se porta 
sur Modène avec quelques centaines de hussards; il établit 
ses postes le long du Tanal^o et du Tidone, où il résista long- 
tems à l'attaque de l'ennemi \ mais craignant d'être tourné , il 
se replia sur le principal corps d'armée. C'est alors qu'eurent 
lieu les combats sanglans delà Trébia, auxquels il prit une 
part très-honorable. 

Il se trouvait à Bologne lorsque le peuple, excité par 
quelques hommes violens, se précipita vers la citadelle pour y 
massacrer sept cens prisonniers français. La voix des magis- 
trats était méconnue ; le crime allait se consommer • . . D'As- 
per se rend sur les lieux de cette horrible scène, et, par la 
seule énergie de sesjparoles^ parvient à dissiper toute cette 



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tnahitude. La yiile de Bologne^ en reconnaissance de cet émi- 
nent service^ le força d'accepter un chef-d'œuvre du Guide , la 
Magdêlaine repenUmie^ 

Bientôt après il dirigea les moinrenMif fntumctioiiiieb de 
la Toscane et cootra%ait la gamisen de Flonenee ^capituler ; 
elle se composait de deux mille faornaies; îl fut cooTenu qu'el- 
le s'embarquerait sur trois frètes françaises qui recevraient 
Clément à leur bord la ^rnison de Livoume et les condui- 
raient toutes les deux à Gènes y où le général Blassëna était 
bloqué par l'armée autrichienne* D'Asper, sur-le-champ y part 
k franc étrier pour s'assurer par lui-même de ce qui se passait 
à Livonrpe; les Français venaient de l'évacuer; il voit flotter 
sur les tours de cette ville le drapeau autrichien ; il assemble 
les autorités, fait replacer les couleurs françaises et range des 
deux côtés du port , six canons , les seuls qu'il y eût. Un faux 
message achève d'induire en erreur le commandant de la peti- 
te flotte qui, sans défiance, entre dans le port. D'Asper se 
présente en grand uniforme sur la rive ; les cris : à fond de car 
le ! m font entendre de toutes parts. Nul moyen de faire résis^ 
ta|ice!« • • • Les trois frégates et tout ce qui s'y trouve tombent 
au pouvoir de l'aventureux général. Le collier de commandeur 
de Marie-Thérèse devint lé prix de cette ruse de guerre. 

Le siège de Gènes fut moins favorable àd'Asper.Dans le mois 
d'avril 1800, les français ayant attaqué laBochette, il défen- 
dit avec un rare courage ce poste important contre des troupes 
sans cesse renouvelées, mais, entouré par des forces supérieu- 
res, il fut contraint , sur le monte fakseio , de déposer les armes 
apiès avoir vu tomber autour de lui la plus grande partie des 
siens. Revenu de sa captivité, après la suspension d'armes de 
Marengo, il combattit avec succès les avant- postes ennemis, 
entre la Chiesajet le Mincio. Attaqué ensuite dans la position 
de San-Lorenzo , il réussit à s'y maintenir. Le comte de Bel- 
legarde ayant donné Tordre au général Yogelsang de s'empa- 
rer de Ceresara , le général d^Asper dirigea l'attaque , et ilen- 
leva à la bayonnette le village qui était occupé par 800 hom- 
mes. 



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La paix de Luneville lui permit de revoir sa pairie et sa fa» 
milJe; il fit aussi quelque^jour à Paris oit le pi*emier consul 
Taccueillit avec une grande distinction. 

La guerre se ralluma en i8o5. D*Asper fut chai^ de cou- 
vrir la marche du général Mack. Longeant la rive droite du 
Danube^ îî passa ce fleuve à Wertingen et se jeta sur les der- 
rières de Farihëe française dont le mouvement fut arrêté par 
cette manœuvre hardie. Api^ L'avoir harcelée avec deux mil- 
le deux cens hommes dispersés en tirailleurs , il rallia sa trou- 
pe et voulut reprendre le chemin de Wertingen , mais un épais 
brouillard l'empêche de le reconnaîti*e; il tombedans uneem- 
buscade française , essuyé un feu violent, son cheval blessé 
s^abat , les dragons le désarment , et le général Savarj, qui se 
trouvait à deux pas, vient recevoir le prisonnier; puis^ se 
plaçant avec lui dans une calèche^ il Temmène au quartier- 
général de l'empereur Napoléon. Pendant la route Savary ne 
^ cessait de multiplier ses questions ; elles devinrent tellement 
indiscrètes que d'Asperlui dit avec dignité : « Généra l,épar- 
» gnez-vous la peine de me questionner davantage. Si Ton m'a- 
» vait laissé mon épée, vous n'oseriee pas me feire un pa- 
» reil affront. » La ville d'Auxerre lui fut désignée pour 
prison. 

La paix, qui suivit la bataille d'Austerlitz, le rendit à la li- 
berté. Il donna quelques jours à sa chère Belgique, et^ de re- 
tour à Vienne, y reçut la main de la princesse Jabloneska ,' 
veuve du palatin de Cracovie. Peu de tems api^ès il obtint la 
clef de chambellan. L'empei^eur d'Autriche lui permit de 
quitter le service avec le grade de lieutenant-général, mais 
sous la condition expresse de reprendre de l'activité si les 
circonstances l'exigeaient; elles ne se firent pas longtems at- 
tendre,: En 1809, ^^ hostilités recommencèrent; d'Aspereut 
le commandement de 16,000 grenadiers. Sa conduite à la ba- 
taille d'Essling fut admirable : elle lui mérita la dignité de 
feMteugmeester (général d'infanterie) et le titre de colonel pro- 
priétaire du. régiment de Stuart qui prit alors le nom d'Asper. 
Il dirigeait l'aile gauche de l'armée autrichienne à Wagram ; 



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il parvint à s'emparer du village d'Aderklaw entouré de 
retranchemens formidables; puis, enfonçant Taile droite 
des français, il allait peut-être décider la victoire en fa- 
veur des autrichiens , lorsqu'un boulet le renversa de son che- 
val. Une partie du ventre emportée et le bras droit fracassé ^ il 
eut le courage de se faire remettre en selle; toutefois, ses 
forces l'abandonnèrent, il tomba sans connaissance. On lui 
fît l'amputation du bras dans un château à deux lieues du 
champ de bataille; il subit cette cruelle opération sans profé- 
rer une plainte, mais lorsqu'on voulut replacerce qui lui res- 
tait d'entrailles , il expira. Un fils naturel qu'il avait fait légi- 
timer et qui , décoré déjà de la croix des braves , marchait sur 
ses traces, reçut son dernier soupir. Il fut enterré à Brtlnn. 

Un des traits caractéristiques du baron d'Asper était l'hu- 
manité pour les soldats et pour les prisonniers. Il mettait aus- 
si tous ses soins à rendre moins pénibles aux habitans les char- 
ges de la guerre. Doué d'un esprit vif ses réparties étaient 
toujours promptes et piquantes. Il n*a point laissé de mé- 
moires sur ses campagnes, mais une correspondance suivie 
avec sa famille et particulièrement avec son frère ^ M. van 
Hoobrouck de Moreghem , aujourd'hui sénateur belge , 
pourrait y suppléer j elle fournirait les matériaux de plusieurs 
volumes întéressans. 

Un autre frère, M. van Hoobrouck de Tewalle, colonel 
d'un régiment de housards , est mort à Liège en 1802 ; il était 
également cité comme un des plus braves officiers de larmée 
autrichienne. 

Le baron de Stassart. 



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Swtto^tutimt ^< V%mftïvMtu 



DAM» 



^ Wej^aréetnen/ e^ \9ipo7<{/. 



GRANDE SVEPAISE D UN PETIT BIBLIOPHILE. — COIfSTERlfATIOIlr. — 
ENCHANTEMENT. 



L*HOMMB qui parcourt des régions lointaines et inconnues , 
peut s^^arer ; mais en cheminant dans des contrées voisines et 
habituelles , on ne devrait pas être exposé à se perdre. Je suis 
bourgeois de Yalenciennés , c'est ma ville natale , ma ville par 
excellence, que j'aime comme une bonne et vieille connaissan- 
ce. jyOutreman, Simon Le Boueq, Lafontaine dit JVicart, 
Jean de Ste. -Barbe ^ ses historiens imprimés et manuscrits , 
composent ma société ordinaire. Mon cabinet renferme tout ce 
que je puis trouver qui soit relatif à cette cité 5 Dieu sait si je 
m'intéresse à sa gloire! Lorsque je prends la plume c'est pres- 



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fjue toujours en son Honneur , et si j*ai la hardiesse de me fai- 
re imprimer, c'est encore pour elle. En cela, Taffection est ac- 
compagnée de prudence : n'osant se risquer dans la foule , on 
se sauve parmi ses concitoyens , on ùiit parler de soi k petit 
bruit, en petit comité; au lieu d'une renommée bien vaste on 
ne peut espérer qu'une gloire communale , mais aussi le terrible 
gouffre de l'oubli, dans lequel tant d'hommes de mérite tom- 
bent chaque jour , est moins dévorant dans^ les localités , et 
notre D'Guti^man , api^ deux siècles , fait encore nos délices. 

Un de mes opuscules, à peu près terminé, a pour but de 
faire connaître le labeur des presses de Valenciennes depuis 
l'établissement de l'imprimerie dans nos murs jusqu'à présent. 
M. Arthur Dinaux ^ mon constant et zélé collaborateur, dont 
le commerce plein d'aménité ajoute tant de charme à nos com- 
muns travaux , a publié avec succès un ouvrage du même gen- 
re sur les presses de Cambrai. L'imprimerie, -cette découverte 
miraculeuse par qui marchent les peuples et la civilisation, 
tombent et s'élèvent des trônes ; cette invention , des produits 
de laquelle nous sommes si avides qu'il semblerait bientôt que 
nous la chérissons plus que la terre qui nous procure notre 
pain , appelle nos recherches , nos méditations. L'introduc- 
tion de cette merveille dans une ville nous apparaît aujour- 
d'hui comme une ère nouvelle, une ère d'intelligence , substi- . 
tuée au triomphe des ténèbres. Malheureusement toutes mes 
investigations m'ont appris que nous n'étions pas ici devenus 
intelligents de bonne heure. En 1602, seulement, Laurent 
Kellam fit paraître un volume intitulé : ce Prières en vers , et 
rime , pour reciter dvrant le sacrifice de la messe , et s'accorder 
à cela que le prestre dit , et que le clergé chante auant le sacri- 
fice, les jours solemnels. Par D. Jean le Prévost y Valence- 
nois , religieus de Hasnon , de l'ordre Sainct Benoist. Valen- 
ciennes, Laurent Kellam, imprimeur juré, 1602 , in-S». » (1) 

Je conviens que si la presse n'avait eu d'autre mission que 



(1) M, Arthur Dinaux a donné une notice sur Jean le PiéYOSt dans les 
Hommes et les Choses du Nord etc. p. 62 etsuiv. 

19 



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de nous transmettre des ouvrages d'un aussi ch^if mérite , «Ik 
aurait aussi bien fait de rester dans le cerveau de Gutteœbei^; 
mais, la jugeant maintenant d'après ses innombrables et im- 
mortelles preuves de puissance et d'utilité , il est fScheujL , il 
est pénible d'avoir acquis la certitude qu'une aussi belle éé- 
couverte n'est arrivée parmi nous qu'au commencement du 
dix-septième siècle. Et , comment n'aurais-je pas cette eertitu- 
tude? J'ai compulsé tous les livres, tous les manuscrits qitô 
j'ai pu trouver sur nos pays ; j'ai consulté nos plus habiles 
bibliophiles, et tout le monde est d'accord : Laurent Keîlam 
est le père de nos presses , et après lui vient un Jean VervHet^ 
iïuprimeur à l'enseigne de la Bible d'or. Voilà qui est bien poat- 
til* Nos concitoyens ont donc été sous ce rapport d'insouciants 
retardataires : Cambrai a l'honneur d'avoir vu, vers i5ao, la 
première imprimerie du département du Nord , après cela vient 

Douai, puis Lille. Pauvre Valenciennes ! 1602 ! Cek 

n'est que trop certain , je ne connais pas mieux l'année de ma 
naissance^ 

Voilà on j'en étais il y a peu de jours , et voici ce qui na'ar- 
rive. M. Brunet, le plus habile , le plus exact bibliographe que 
je connaisse , vient de publier un supplément en trois volur 
mes , à son Manuel du Libraire. Ce supplément était attendu 
par les amateurs comme les vacances par les écoliers , Long- 
champs par les dames , le due de Bordeaux par l^es l^itimiçtes. 
Lorsque je reçus mon exemplaire, je me précipitai avidement 
sur ce riche recueil de découvertes et de révélations littéraires ; 
mais que devins-je , que devint ma conviction , ma date de 
i6o2, ma prétendue science, lorsque j'y lus ce qui suit î 
a Chansons Georgines (sensuivent les) imf rimez en Vaîfen^ 
<c chiennes par Jehan de Liège devant le convent de S, Pol , (sane 
c( date) in-4° gothique. — Livre très-rare , attribué à Geoi^es 
<c Chastellain dans le catalogue Lang. n® 60B oii il est porté 
a à six livres huit schellings. Jean de Liège imprimait au corn- 
et mencement du seizième siècle , et peut-dire même dès la fin 
a du quinzième. » 

Je restai confondu , mes bras tombèi ent sur les bras de mon 



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fauteuil -et sua iroix altérée déclama sourdement sur l'iuoertî- 
tude des connaissances humaine. 

Souvent ii m^est arrivé en quittant le soir mes bons vieux 
livres pour aller trouver le repos sur mon chevet , d'y être 
bercé par d'heureux rêves qui continuaient mes plaisirs. Je me 
croyais à Paris , chea^ Teehener ou à B«xtxelles , chez Feràe^st, 
£t là j je m'enfonçais à cœur joie dans les bouquins les^ plus - 
précieux ; je farcissais mes poches de livres , d'éditions rares , 
inconnues , que Charles Nodier regretterait de n'avoir jamais 
l'encontrés. Que j'étais content y. riche et fier !... Mais n'est-ce 
pas encore un de ces rêves qui me ravit? Et ce Jean de L\ége 
ne sei^t-il qu'une ombre? — J'étais très éveillé , et bientôt ^ 
quittant ma contenance abattue , j'imposai silence à ma surpri- 
se et à mon amour propre outragé pour me livrer à un senti- 
ment de vanité toute bourgeoise. Gomme Valenciennois , je 
me sentis quelque peu rehaussé ; car feu Jean de Liège et M. 
Brunet venaient de ceindre le front de ma chère patrie d'une 
palme éclatante , et, depuis Tanerède y chacun connaît TefTet 
de ces impressions patriotiques sur tous les coeurs bien nés. ^- 
Notre cité , le mot ville eût ici manqué de noblesse , ne se mon- 
tre donc plus, comme tout-à-l'heure , tristement arriérée, 
laissant passer devant elle Cambrai , Douai , Lille , et attendant 
que le dix-septième siècle ait commencé sa marche pour ac- 
cueillir le plus fëcond , le plus prodigieux des arts ! Dès l'an 
i5oo, petit-être même avant y la pensée prenait un corps et se 
multipliait sous les presses Valencien noises. Dieu que je àuis 
aise pour nos pères et pour nous ! 

Revenons à l'ouvrage de M. Brunet, ce grand, cet adroit 
dénicheur, et suivons le, soulevant le voile qui couvrait nos 
raretés typographiques : A l'article Marche (Olivier de laj y 
nous trouvons : ce Le débat de Cuidier et de Fortune compose 
tt par messire Olivier de la marche lui estant prisonnier de la 
a îournee de nansi : (au verso du dernier feuillet). Imprime 
<K a y^allenchiennes par Jehan de Liège demorant deuant le eon- 
a uent de saint poL Petit in-4® gothique de lo feuillets à lon- 
4L 'gucs Hgnes. — Petit volume fort rare , imprimé vers l'an 1 5oo . 
a Chaque page , à compter de celle qui fait le verso du titi'é , 



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m 284^ 

ce contient trois octaves : la dernière n'en a qu'une seule, avec 
« cette devise : 

ce Tant a sot^êrt 
fi la Marche* 

« £t la souscription ci-dessous en 3 lignes. Voici les deux der- 
« niers vers de ce petit poème : 

«c Par tm^ matin ainsi qt^on ee resuêille 
« Napas loingUmpa quen repos irauaill&ife, 

4C (Bibliothèque du Roi). » 

Je ne puis entrer maintenant dans les détails que pourrait 
faire naître chacun de ces petits ouvrages ; ils trouveront place 
dans le travail dont j'ai parlé plus haut. Le de'èat de Cuidier 
(pensée, raison) et de Fortune existe fort heureusement à la 
bibliothèque royale , et nous irons un beau jour le voir pour 
lui demander des émotions et des renseignements. 

En suivant l'ordre alphabétique , nous trouvons encore à 
l'article Molinet : a Naissance très désirée et proufitable de 
« très illustre enfant Charles d'Austrice filz de monseigneur 
« l'Archiduc nostre très redoubte prince et seigneur naturel. 
« — Imprime t en Vallenchiennes de par Jehan de Liège dema^ 
« rant entre le pont des Ronneauœ et le toucquet du lac devant 
« le soleil, in-4** gothique. » M. Brunet ajoute ensuite la no- 
te suivante : 

« Poème très rare , composé à l'occasion de la naissance de 
« Charles-Quint, en i5oo, et dont l'impression doit, selon 
« toute apparence , être de la même année. Ce serait alors un 

• des plus anciens livres connus imprimés à Valenciennes. Il 
« est porté dans le catalogue Lang , n° 6o5 , à quatre livres 
« sept schellings. Sous le n" 1709 du même catalogue est an- 
« nonce un dialogue en vers et en prose sur les misères du 

• petit peuple, imprimé également à Valenciennes , de format 

• in-4*, et l'on en cite une stance de huit vers, commençant 



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' « ainsi : Par va» cens sont laboureurs lapidez, il a été YencTtr 
« neuf livres sterl. ' 

• Ces deux ouvrages anonymes sont de Jean Molinet , çha- 
« noine de Valenciennes ; ils font partie du recueil des Faiets 
« et iictt de Fauteur , imprimés plusieurs fois à Paris. Goujei 
« en parle au dixième volume de sa Bihlio^hque française , pp . 
« 9 et 1 1 ; et il donne à la dernière pièce le titre de La Res- 
« source du petit peuple. • 

Jean de Li^e demeura donc à Valenciennes en deux en- 
droits différents : tout-à- l'heure c'était devant le couvent 
de St. Pol ou des Dominicains, où semble avoir été sa secon- 
de demeure ; ici , c'est entre le pont des Konneaux et le Touc- 
quet (le tourant) du lac , au lieu oii est actuellement la place 
des viviers. Là, en effet, se voyait à découvert une certaine^ 
étendue d "un des bras de l'Escaut , enti^e les maisons aujour- 
d'hui existantes et celles dont le grcriipe fut démoli au commen-- 
cernent de ce siècle , et dans Tune desquelles habitait cet im-- 
primeur. Mais, malgré toutes nos recherches, nous ne trou- 
vons rien sur ce personnage. Nos minutieux chroniqueurs, 
qui enregistrent jusqu'aux faits les plus mesquins dans leurs 
volumineux recueils , ne parlent pas de lui. Notre historien 
d'Outreman , nous signalant , dans son chapitre^ des Hommes 
doctes , plusieurs des écrits composés par des Varênciènnois , 
nous dit souvent de quelles presses ils sortirent , notamment 
le livre de le Prévost, et il ne nous révèle rien-mème en parlant 
de Geoi^es Chastellain et deMolinet : « Celui-ci , dit-il p. 378, 
« composa beaucoup de vers imprimés pour là- pluspai*t à 
« Paris l'an i54o. » 

Si nous ouvrons les manuscrits de Simon LeBoucqetdè 
Jean de Ste. Barbe , vers les temps voisins de Tan i5oo, nous ne- 
sommes pas plus heureux. Parmi les faits les plus saillants 
rapportés par ces annalistes , nous lisons , par exemple : qu'en. 
1 494 Philippe y archiduc et duc de Bourgogne , fit son entrée 
à Valenciennes fort triomphament le i3 septembre. — Deux 
ans plus taitl , le cœur de l'église de St.-Nicolas est refait et 
ragrangié. L^té est fort estrange. On plante des arbres jdans \e. 



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fimeti^re St.-Géry. ^ En i497 9 un horrible ineepdie. Un 
nommé Riekier , Dieu lui pardoint, est pendu pour aTOÎr 
meurdri son enfant. — L'année suivante , furent refaits et par- 
faits les Hallettes. L'assise sur le lot de vin est hauldb^ du 
sixième. La veille de Noël j il tombe grosse grélç. Puis au fau- 
bourg de la porte Montoise, une vache ascouche d'un veau 
ajant deux testes , six jambes , et sur chacune teste brillait 
une tache blanche à manière d'une étoile. -. — £n 1499 9 le jour 
S. M athias , fut né en la ville de Gand , Charles d'Austrice. — 
Enfin en i5oa, on dressa un pilori sur le pont Néron, dont 
auparavant l'on n'avoit veu cest instrument en ladite ville. 

Barbares \ de la grêle, un archiduc, un veau à deux 

têtes , Tinstallation du pilori , et rien pour Jean de Liège , rien 
pour l'imprimerie ! Ce ne sera que trois cents ans plus tard que 
M. Brunet découvrira, dans un coin de la bibliothèque natio- 
nale et dans le catalogue d'un Anglais , les premières produc- 
tions de nos presses. Conçoit-on qu'un étranger soit parvenu 
à se procurer non pas une mais plusieurs de ces productions 
ignorées de nous tous ? Lee abbayes de notre province possé- 
daient presque toutes d'immenses bibliothèques. A la Révolu- 
tion , ces dépots passèrent des pieuses mains qui les tenaient 
dans le domaine public. Tant de mille volumes tombèrent 
alors sous la main des amateurs de ce pays, et nulle paii; on ne 
découvrit la trace d'un seul de ces opuscules , et un anglais , 
riche sans doute , heureux certainement , en avait à foison î 
Grillon eut moins que nous de raisons pour se pendre. 

Après avoir consulté ces manuscrits contenant des mémoi- 
res chronologiques la plupart relatifs aux vivants , j'ai encore 
compulsé un énorme recueil , aussi manuscrit , que je possède, 
et qui renferme, les épitaphes des nobles et manants de Yalen- 
ciennes dans ces temps éloignés. Peine prise en pure perte ; 
ces tablettes de la mort, si naïves , si pieuses , ne m'ont rien of- 
fert de ce que je leur demandais. Un chantre , un bedeau de 
pai'oisse n'y est pas oublié , notre imprimeur n'y figure pas. 

Une note manuscrite , mise à la marge d un exemplaire de 
D'Outreman (p. 33 1), me fournit seule un bien l^er docu- 



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^187 '«? 

meut, qui n*aqa*aii rapportasses ÎBclirect à Tc^jet qui noMW 
eocupe, mais^dont je m'empare iaute de mieux. !Nous avions 
jadis dans nos contrées des hérauts d'armes chargés de régler 
les cérémonies guerrières , de publier les fètes^ mariages et en- 
trevues des princes et de beaucoup d'autres corvées fastueuses 
de ce genre. Chacun d'eux avait un nom de guerre , celui de 
Vaieociennes se nommait Franqu9vilh , « pour monstrer , dit 
dH)utreman, la dignité et prérogative de çeste ville, tant or- 
née et anoblie de franchise. >• Cet historien ajoute : « Cest of- 
« fice a esté longtemps en la maison des Morels j dont le pre- 

• mier ayant esté envoyé > selon sa charge, vers le bon duc 

• Philippe de Bourgogne , fut honoré de kiy d'une robe de 
« di*ap d'or^ fourrée de martes, laquelle pour Thonneur de 

• son prince^ il porta toute sa vie aux festes princi pâlies et fut 
« portrait de la sorte par le peintre Otelin , en un des feuillets 
« de la table d'autel de la chapelle de S. Luc en Téglise de Nos- 
» tre Dame. • Voilà bien du respect et de la servilité pour une 
robe; mais il paraît, d'après la note manuscrite précitée, que 
ce ne fut pas Morel P' qui étala tant de reconnaissance. Le bon 
duc était mort en 1467 , et ce ne fut qu en 1492 que la dignité 
de héi'aut entra dans la famille des Morel. A cette époque , Ro- 
bert Marel ohXint cette place devenue vacante par le (Jécès du 
titulaire, Jeun du Plancenoity dit^ de Lie^e ^ probablement 
parcequ'il était originaire de cette dernière ville , comme on a. 
dit Jean de Paris , Jean de Nivelle. 

Or ce Jean de Liège ne serait-il pas le père de notre typo- 
graphe? 

Comme héraut d'armes de Yalenciennes , du Pfancenoi^, 
sans être spécialement attaché à la personne du duc de Bour- 
gogne, était son très-humble serviteur, et , à Toccasion , il de- 
vait crier devant lui ou à sa suite. Son fils présumé ^ élevé dans 
Tamour et la crainte de son très redoubté et très-despotique 
seigneur , étant devenu imprimeur , publie les vers de la Mar- 
che, Chastellain etfilolinet, tous trois indiciairçs et historio- 
graphes de la maison de Bourgogne. D'oii partait cette prédi- 
lection? N'est-ce pas là la conduite dun excellent fils , qui,, 
chassant de race , éprouve , à l'imitation et peut-être à Uinstir- 



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» 2SS<m 

gfftion de son fève , le ^ir de fake servir son temps et son 
travail à la plus grande gloire de nos souverains et à Tillustra-' 
tion des personnes attachées à leur maison. Ce n'est qu une 
conjectui^ , la paternité n'a souvent pas d'autre consistance. 

Maintenant, jusqu'à qudle époque Jean de Liège se livra- 
t-il à la pratique de son art ? Les renseignements nous man- 
quent pour résoudre cette question ; mais il est probable qu'il 
ne l'exerça pas bien avant dans le seizième siècle. L'extrême' 
rareté de ses labeurs déposerait de ce fait. Peut-être fut-il pen- 
du , brûléoujetéà l'eau , comme tant d'autres à Valenciennes^ 
à l'époque des premiers troubles de la Réformation. Une cir- 
constance vient nous donner la presque certitude qu'il n'exis- 
tait plus en î539 et que notre ville était alors privée d'impri- 
meur. 

Dans le cours de cette année iSSg , Charles V vint à Vaïen- 
ciennes. Dans ce bon vieux temps , âge d'or des têtes couron- 
nées, la triomphante entrée d'un empereur dans nos murs 
était un événement grave , qui remuait toute la tourbe popu- 
laire , et provoquait la levée en masse de toutes les intelligen- 
ces : c'était à qui tresserait des guirlandes , des couronnes ; 
imaginerait des emblèmes , des anagrammes , des chronogram- 
mes; à qui déploierait les plus riches tentures, composerait 
des ailifices , improviserait des spectacles , des fêtes; on deve- 
nait narrateur , orateur, poète ; une sainte joie coulait de tous 
les cœurs. On étendait sous les pas du monarque adoré un 
riant tapis de verdure , on le jonchait de fleurs fraîches , odo- 
rantes et de jeunes filles suaves : Paradis de nos rois qu'ètes- 
vous devenu ? 

L'entrée de Charles V excita tous ces transports. Une rela- 
tion nous en a conservé le récit , elle est imprimée. Si Jean de 
Liège eût vécu , n'était-ce pas au fils présomptif du héraut 
d'armes qu'incombait le soin , le devoir de la confier à ses 
presses monarchiques? Rouen nous ravit cet honneur et fit pa- 
raître : « La triomphante et magnifique entrée de l'empereur 
Charles V, accompagné de messeigneurs le dauphin de France 



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et duc d'Orléans, en la ville de Valencîennes. Rouen , Jmn 
L'homme j i539. >» 

En résumé j et grâce aux découvertes de M. Bruoet , que je 
remercie de tout cœur du bonheur et du plaisir varié que 
m'ont procuré ses trois volumes , l'introduction de l'imprime- 
rie dans le département du Nord , placée par MM. Boitiny 
Guillemot, Arthur Dinaux et moi dans la ville de Cambrai j 
se trouve, jusqu'à nouvelles révélations , appartenir à Valen- 
ciennes ; les Prières en vers de le Prévost , livre toujours rare 
et intéressant pour nous , ont perdu le i^ng qu'elles occupaient, 
et Laurent Kellam le cède de* tout un siècle à son respectable 
aîné , Jean de Liège si long-temps déshérité. 

Nous avouons humblement qu't7««^ejr^ai'rc?tnatW, comme 
le dit M. Brunet, (t. 3 , p. 21 4) que MM. Arthur Dinaux et 
Aimé Leroy n'aient pas connu de livre imprimé à Yalencien- 
nes avant 1603 ; mais nous espérons que le lecteur bénévole 
voudra bien aussi convenir que plusieurs raisons rendent cet- 
te ignorance quelque peu excusable : c'est dans les livres et le 
commerce des gens de lettres qu'on peut acquérir de l'érudi- 
tion ; or, ni les livres ni les gens de lettres ne nous avaient rien 
appris sur ce point. J'avais cependant un peu éclaircila ques- 
tion qui nous occupe , en déterrant , il y a quelques années , 
une édition absolument inconnue du rare et piquant voyage 
de Jacques Lesaige (1) ; là se bornèrent mes découvertes, et 
nos prédécesseurs n'avaient même pas été si avant. Quant à 
Jean de Liège ^ il n'en est, à notre connaissance, fait mention 
nulle part : La Bibliothèque, belgique de Foppens , le savant 
Paquotj nos plus riches et plus utiles catalogues , tels que ceux 
deMutte, des Jésuites de Belgique, du libraire J^rm^n^ , de 
p^an Bavière, Mlle. d'Yvey Duriez, p^ande Velde ^ ne citent 
aucifti de ces rares opuscules. M. Buchon , qui a donné récem- 
ment, en tète des chroniques de Molinet et dé la chronique de 



(]) Voir les Archives , t. i^*" p . 1 1 et suiyantes. Les Hommes et les Cho- 
ses clu Nord de la France etc. p. 167. Supplément au Manuel du Libraire 
de M. Byunet , t. 3, pp. 7i3 et 214. 



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/. êê Lalërin par Ckaatellain ^ deB noliees ««r la vie et ies 
écrits de ces deux historiens , se tait sur ces mèffies opuscules 
qu'il n'a pas connus. Enfin nos bibliographes généraux s'en 
^sent rien. M. Brunet lui-métDe^ à qui rten n'échappe, n'a- 
vait nommé Jean de Lîëge dans aucune des trois éditions de 
son excellent Maimel an Libraire j et ce n'est qu'en iS34 qu'il 
nous en révèle l'existence^ 

Notre ébahisseittent n'a donc pas été exagéré. A notre place, 
B^inffhrûhê, avec sa fière devise ^ nUruH,la^j aurait pu tenir, 
il eût été confondu comme nous; et, littéraireikvsnt parlant, 
rien ne pouvait nouft étonner davantage. Vienne qui veut 
maintenant nous apprendre même que l'imprimerie n'a pas^ 
pris naissance àMayence, que le département du Nord, que 
Valenciennes fbt son berceau , il ne nous arrachera pas une 
plus forte exclamation de surprise. Nous n'aurions à présent, 
pour atteindre à cette gloire , qu'à rétrograder d'une cinquan- 
taine d'années , et d'un seul bond, M. firunet nou*» en a fait 
franchir cent. 

Aimé Leroy. 

Bibliophile indigne. 



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^^B ^^ Mff ^êM ^^B flR 

MORALES ET LITTÉRAIRES, 



89B, 



la }ier00nn^ et Ue n*rit6 be J. F. DUCis, 



Paris, IMey et Vewird , libraires^ rue des Marais-Saint-Germain, n** 17, 
i832 , 1 vol. in-8°. (1) 



LoR^QtTE j'ai à parler d un auteur dramatique qui , par »e^ 
ouvrages , obtint une juste célébrité^ et un rang distingué dan» 
la république des lettres , je me félicite de pouvoir dire que la 
vertueuse indépendance de ses principes et de sa conduite , Té- 



[1] Le secrëtaire perpétuel et honoraire de TAcadémie française , M.Ray- 
nouard , vient de publier, sur l'important ouviage d'un de nos hommes du 
Nord , un article auquel le uoble caractère de l'auteur , sa position élevée 
«t ses titres Utléiiaires et scientifiques ajoutent un nouveau prix. Nous avons 
cm devoir reproduire cet*artic]e que nous empruntons «u numéro <le mvrs 
1834 d'un des meilleurs écrits périodiques de l'Europe , le jQurnal des «Sa- 
vans , qui parait une fois par mois. 



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lévation de ses sentiments et le noble emploi de son tdent , lui 
acquirent des droits particuliers à l'estime de ses contempo- 
rains et à celle de la postérité; tel fut Ducis : on' répète , on 
applique souvent ce vers , remarquable par la pens^ , la véri- 
té et Texpression , que lui consacra un de ses confrères de l'ins- 
titut , son ami Andrieux : 

L'accord d'un beau talent et d'un beaa cacactère. 

Ducis 9 pendant sa vie, compta de nombreux et illustres 
amis ; ceux qui lui ont survécu sont restés religieusement fidè- 
les aux affections qu'il leur avait inspirées y et les hommes de 
lettres qui n'ont pas eu l'avantage de jouir du commerce ami- 
cal du poète mêlent au sentiment d'estime pour ses composi- 
tions dramatiques un sentiment de respect pour sa mémoire. 
M. Campenon avait rendu un touchant hommage à l'amitié 
dans ses Essais sur, la vie, le caractère ci les écrits de J , -F , 
Ducis } et aiyourd'hui M. Leroy, dans l'ouvrage que j'annonce, 
se montre digne de faire apprécier le méiite littéraire et les ver- 
tus patriarcales de l'illustre académicien. M. Leroy était déjà 
connu par des comédies qui prouvent qu'il est pénétré du prin- 
cipe que le théâtre doit être une école de probité; voyant com- 
bien les nouvelles compositions qui envahissent ou traversent 
la scène française manquent trop souvent aux i^les sévères de 
la moralité théâtrale autant qu'à celles du goût , il a jugé con- 
venable de présenter dans l'examen des écrits de Ducis et dans 
l'éloge de son caractère , un exemple de l'utile et honorable 
emploi du talent dramatique , et il a réussi à en déduire d'im- 
portantes leçons pour les écrivains qui ont la ''conscience de 
leurs devoirs. Qu'il me soit permis de prendre déplus haut les 
questions que traite M. Leroy : ce sera une sorte d'introduc- 
tion que son travail me parait mériter. 

Les personnes qui condamnent trop sévèi^ement les innova- 
tions qui de nos jours caractérisent les efforts des auteurs dra- 
matiques n'ont peut-être pas assez considéré la nature du genre 
théâlral ; on doit avouer qu'il est soumis à des révolutions len- 
tes , mais inévitables , qu'ppèrent les changements soit des sen- 
timents religieux ou des institutions politiques et civiles , soft 



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des mcétirs publiques ou privées, soH des opinions philoso- 
phique» ou littéraires, et, plus que toutes ces causes encore, 
la nécessité indispensable de varier les plaisirs des spectateurs , 
de réveilla leur goût émoussé , en offrant à leur esprit des 
combinaisons nouvelles et à leurs cœurs de nouvelles émo- 
tions. 

L'histoire dramatique de tous les pays ne permet pas d'en 
douter ; mais dans les innovations plus ou moins heureuses 
qu'on hasarde, il n'en &ut pas moins respecter constamment 
une règle fondamentale, sacrée, invariable et applicable à 
tous les tems et à tous les lieux , celle de la moralitë de l'ouvra- 
ge. Il doit incontestablement produire des impressions qui 
fassent détester le crime et surtout le vice , ou aimer la vertu... 
Malheur, honte à l'auteur dont le drame inspirerait ou ^vo- 
riserait des sentiments condamnables ; habituerait à contem- 
pler sans indignation les actions qui blessent l'honnêteté, la 
probité ou la décence ! Chez les Grecs , les poètes étaient res- 
ponsables de l'immoralité ou de l'incivisme de leurs pièces (i)l 
Quant aux innovations théâtrales , on peut remarquer la pro- 
gression qui existe dans le développement dés moyens drama- 
tiques d'Eschyle à Sophocle et de Sophocle à Euripide. 

Sans remonter à l'origine de la scène française , qui exposa 
d'abord , avec une grossière simplicité , à la curieuse vénéra- 
tion des spectateurs , ces sujets pieux , qui souvent avaient été 
représentés plus imparfaitement encore dans des ^lises , je 
dois d'abord reconnaître un Bât important. S'il est une assem- 
blée que la manifestation d'une volonté libre et commune per- ' 
mette d'appeler républicaine , c'est celle qui se réunit au spec- 
tacle , où se trouvent l'indépendance , l'exaltation et parfois 
les agitations , les menées et l'ostracisme des républiques. Nul 
moyen humain ne fera approuver, dans ces comices littéraires, 



[i] J'ai eu occasion de rappeler ailleurs que, le poëte Phrynicus ayant 
fait représentera Athènes la prise de Milet, on le punit d'avoir exposé sur 
le thëAtreun érénement qui blessait la gloire nationale 3 il fut condamné à 
une amende , et la pièce fat défendue. 



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Tottvnige que Im sped^teura ou juges ne orojreat fifte digne» de 
leur approbation. L'autorité des gouverneme&ts peut iiater- 
dire, prosoriredes pièces^ mais elle ne fut jeûnais assez puis* 
santé pour en &ire applaudir ni condamner Aucune. Aussi 
BoiLeau a-t-il eu raison de dire : 

En Tain contre le Gid un miniitre te ligne : 
L'Aead^roie en corp» a beau le «cnaureir , 
L^ public ft&voLTé i'obstine à Tadmirer. 

Mais à cause même de cette légitime révolte de Topinion ^ à 
cause de l'effet que Tauteur peut produire sur une assembla 
libre y indépendante 9 facile à exalter, il serait nécessairement' 
comptable des moyens perfides ou immoraux qu'il aurait le 
tort ou le malheur d'employer* 

Je passe sous ajleoee les essais plus ou moina heureux des 
auteur» Iran^aia antérieurs à Corneille, qui donna à la tragé-* 
di^ un caractère tout nouveau. Ce grand homme trouva dans 
son âme le talent heureux d'élever Tâme das spectateurs. Ce 
caractère d'élévation domine^ si impérieusement dans ses ou^ 
vrages , que, lors même qu'il veut intéresser par la peinture 
des passions exaltées de Tamour , il ne le présente jamais que 
comme un sentiii^ent qui doit être sacrifié à des sentiments plus 
nobles 9 plus sévères : che^ lui, Thonneur, le devoir, rem- 
portent toujours sur la tendresse. Dans I0 Cid, dans Cnmtk, 
âAQQ, PolyeucU , l'honneur, le patriotisme, la religion, l'em* 
portent sur Tamour : aussi dit on avec raison que Corneille 
est un pocfte essentiellement moral. Le cardinal 4e Richelieu » 
comme rival de renommée , conçut contre le succès du Ctd une 
jalousie aussi ridicule qu'injuste ; mais comme politique , n'au- 
i*ait*il pas &é fondé à s'alarmer des applaudissements accor- 
dés aux Heraoes et à Citma ? Les maximes républicaines répan- 
dues dans ces pièces et lépétées pendant les huit à dix ans qui 
précédèrent les troubles de la Fronde , n'avaient-elles pas ac- 
coutumé et la cour et la ville aux idées de liberté , à l'esprit 
d'indépendance qu'excitaient les beaux caractères , les hautes 
pensées et les sublimes discours des personnages? Pendant les 
troubles de la Fronde la muse de Corneille se tut; quand la 



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tranquîUiléfot rétuUie, la repréeentation de ces pièces s'en 
eut cjue plus de succès. Alors ks spectateurs y portaient sîaoa 
des sentimeatSy du laoins des sou^eum qui sympathisaient 
avec les héros de rancieuue Rome^ 

Racine jugea sou siècle et les spectateurs pour lesc|uels il 
voulait composer des tragédies. Un esprit de galanterie raffin4Se> 
une facilité de moeurs que Texemple du prince semblait au- 
toriser j avaient communiqué aux ouvrages de théâtre eX w^ 
romans ^ alors presque la seule littérature de la cour et de la 
ville y une affectation de sensibilité , un langage de conven- 
tion j dont Racine eut le talent de corriger ou de déguiser les 
vices et le mauvais goût : par son stjle admirable il fit valoir 
et applaudir les pensées ou les sentiments qui faisaient Fagré- 
n^ent ou l'occupation laborieuse d une société polie. G>ntraint 
de sacrifier à Tesprit de cette société , ^ux dispositions des spec* 
tateurs, il peignit labandon y le charme, la faiblesse, les fu- 
reurs de Tamour; il produisit les émotions qu'ils venaient 
chercher au théâtre ; et ce qui démontre que Racine s'abaissait 
à flatter leurs opinions et leurs sientiments^ c'est que, lorsqu'il 
eut à travailler pour Saint-€yr , quapd il voulut inspirer des 
émotions austères et religieuses aux jeuues élèves placées sous 
la surveillance de madame de Maintenon > il se surpassa lui-' 
même dans Esth^ et dans Ath^He. Il développa un talent de 
pensée et de diction différent , mais plus grand , plus sublime 
que dans ses précédents ouvrages. Ainsi lorsque le poète peut 
exercer et exerce en effet une grande influence sur ses contem- 
porains y il éprouve lui-même Tinfluence des opinion» et des 
sentiments de sqp siècle. Qu'on me permette de dévelppper ma 
pensée par le récit d'une anecdote qui m'est personnelle. Cet 
homme^ui , voyant de si haut et de si loin , voulait tout rame^ 
ner à lui-même, l'empereur Napoléon me disait : « Dans vo^re 
i> tragédie des Templiers, vous auriez dû représenter ces oli- 
D garques menaçant le trône et l'état , et Philippe-le-Bel arrè- 
» tant leurs complots et sauvant le royaume. » — « Sire , ré- 
» pondis-je , je n'aurais pas eu pour iiK)i la vérité historiqiie. » 
XJn mouvement de tête , un geste 4'iinpatienoe 19e révélèrent 
aa p^B^e. J'sgoutai : « D'ailleurs, il m^auri^it fallu un pairtfr^ 
» re de rdk. t^W lui échappa un^ demi^aourire. 



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Voltaire s^empara des beautés que l'application de Tesprit 
philosophique aux compositions théâtrales fournissait pour 
plaire alors aux spectateurs ; mais si la philosophie et la poli- 
tique parfois embellissent le drame par des détails <et des orne- 
ments qui les intéressent , elles ne peuvent suf&re à remplir 
l'action même : il fut donc obligé de suivre l'impulsion don- 
née par Racine ; il céda au goût de son siècle , qui , à défaut 
d'autres émotions , était accoutumé à chercher au théâtre cel- 
les de l'amour; mais pour être nouveau , et sans doute par la 
nécessité de l'être , il eut l'art de retourner le manteau de Mel- 
pomène. Racine, en peignant l'amour , avait intéressé par la 
faiblesse attachante , par la passion éloquente des femmes , et 
sui*tout par les fureurs de leur jalousie , notamment dans les 
personnages d'Hermione , de Phèdre , de Roxane , d'Eriphile. 
Voltaire intéressa en peignant les faiblesses , les passions , les 
fureurs amoureuses des hommes dans les personnages d'Oros- 
mane, de Vendôme , de Zamore. 

Crébillon crut sans doute donner à la tragédie un caractère 
plus maie quand il transporta sur la scène française la terreur 
et même l'horreur ; mais il n'avait consulté ni les mœurs ni 
les opinions de l'époque : il produisit plutôt un sombre éton- 
nement que l'admiration. Il conserva l'habitude de donner aux 
personnages des sentiments d'amour, et on lui reprocha de la- 
voir introduit dans ses pièces , sans en avoir adouci l'âpre sé- 
vérité. 

Du Belloi rencontra mieux , quand il consacra la tragédie à 
exposer en action des faits de notre histoire. «Voltaire n'avait 
introduit de français que les noms dans les tragédies de Zaïre 
et A* Adélaïde du Guesclin; Du Belloi , dans le Siège de Calais, 
dans Gaston et Bayard, dans Gabrielle de Vergi, traita des 
si^jets nationaux fournis par l'histoire ou par les récits roma- 
nesques. 

Telle avait été à peu près , sous le rapport des modifications 
successives , la marche de la tragédie française , lorsque Ducis 
eut la noble ambition de conquérir un rang parmi les auteurs 
qui avaient illustré notre scène. Soit qu'il eut étudié les tra- 



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^397 «al 

giques grecs , soit que son propile cœur lui eût fourni leê moy* 
ens de caractériser ses productions dramatiques , il sentit tout 
ravantage de présenter le développement des affections de fa- 
mille : il remontait ainsi à la tragédie primitive. £n effet, 
pourquoi les tragédies grecques sont-elles en général si pathé- 
tiques ? C'est qu'elles offrent l'expression des sentiments les 
plus naturels, les plus chers , les plus doux , accordés à Thom* 
me : la résignation à la volonté des dieux , Tamour de la liber- 
té et de la patrie , le respect des tombeaux , les affections pa* 
ternelles , la tendresse conjugale , Tamour filial , les sentiments 
fraternels, les attachements de l'amitié, les devoirs et les plai- 
sirs de l'hospitalité; enfin tout ce qui compose les affections 
nobles, touchantes et vertueuses, attache, émeut, intéresse 
tour à tour, dans le petit nombre de tragédies grecques qui 
sont parvenues jusqu'à nous. 

Ducis, à l'imitation des Grecs, rapprocha des spectateurs les 
personnages tragiques ; et- s'adressant aux cœurs des pères , 
des époux, des enfants, etc. ; et, réveillant les sentiments les 
plus naturels, il parvint à attendrir, à effrayer. Il chercha 
moins à élever l'âme qu'à toucher, à déchirer le cœur ; il mé- 
rita que Thomas , son ami , l'appelât le Bridaine de la tragédie : 
c'était heureusement caractériser ce genre véhément et pathé- 
tique qui brille souvent dans les tragédies de Ducis , comme il 
dominait dans les improvisations oratoires du célèbre mission- 
naire. Ducis acceptait avec complaisance cette qualification : 
ce ,qui fit dire à La Harpe avec esprit , mais non sans humeur : 
a Lorsque dans ce genre on se fait Bridaine , c'est qu'on ne 
■iL peut pas être Massillon. » Ducis aurait pu répondre à La 
Harpe : ce N'est pas Bridaine qui veut. » Mais Thomas sentit 
que., si cet abandon du sentiment peut produire une éloquen- 
ce pathétique et amener des traits et des effets quelquefois su- 
blimes, il doit inévitablement jeter dans les redites ou des Ion- • 
gueurs ; et il s'était réservé le droit de retrancher trois cents 
vers de chaque tragédie de son ami . 

Dans les Etudes morales et littéraires , etc. , M. Leroy exa- 
mine d'abord chacune des tragédies de Ducis, la compare avec 
celles des auteurs qui avant lui ont traité le même sujet, et en 

20 



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iadiquV Ife «eurce^. *Cèttê partie de «on travail Wt attachante 
autant qulnstructive. ïc Vegrctte toutefois qu'en appréciant 
Iw oiivragès âe Ducis, il n*feit pas fait les judicieuses conces- 
sions que la critique a droit d'exiger. Il eût été curieux de lire 
et d'étudier l'indication détaillée des défauts que les gens de 
goût , les vrais littérateurs rèprocnèrent aux diverses produc- 
tions de Ducis, en les comparant aux jugements injustes ou 
plus sévères dictés contre lui par la passion et Tesprit de parti. 
Le mérite de Ducis peut soutenir ce rapprdcheirient : c'eût été 
un moyen d'assurer à ce poète tragique là part de gloire qui 
lui revient ;.et le travail de^. Leroy en serait devenu et plu» 
piquant et plus utile. Tel qu'il est, il intéressera à la fois les 
personnes qui veulent se faire uiie juste idée du mérite 'dé 'Dîi- 
cis et celles qui cliërcheraierit des leçons de l'art dramati- 
que (i). 

Après l'analyse des tragédies et desaiitresoùVràgés de Ducis, 
M. Leroy indique, sous divers paragraphes, les sentiments 
qui y dominent particulièrement, tels que'la piété filiale, l'a- 
inour fraternel , etc. , etc. Cette partie de son travail prouvé 



{i] J*ai rapporte le mot de La Harpe rar Ducis au sujet de 'sa qualifica- 
'tion deBridaine :.j'en citerai un de Mme. d'Houdetot, à qui on demân* 
dait« lors de la Douveautë d'OEdipe chez AdmètCt si elle avait vu la pièce : 
« J'en ai vu deux , rëpôndit-élle ; j'aime beaVicôup Tune et'fort'pe'ti l'aut^.^ 
<)n ne pôt^vait ^iprimer av^c tiue uàlvetë'plus piquante et plàs iégënic^i]0e, 
l'éloge et la ctltiqué de cette tragédie. 

Pèisqne fen suis a^x mots liètirèux rélati&'à Daclsyfdtfràpportèlrai mi 
«que je ttens^de mon prëdëcessear ani secr^ariat de T Académie française : 
lorsque M. Suard reçut la décoration du cordon de Saint-Micfael , dissertant 
philosophiquement ensemble sur ces sortes de distinctions, qui, bienqu'hb- 
norabies, ne doivent guère être l'objet de la' véiitable ambition des gens de 
lettres , il me dit : tf Le bon Ducis aVait eu di^trdbis la velléité d'obtenir ie 
'^ coi^dbn 4t iFs'én ouvrit à Cha^f>fbH;qhira8Ïtira*qâelaf <Jhoi«éuU'fiEit:lite- 
9 ment possible par l'intermédiaire de Montietir , frère du Roi, -|inisqu'tl lui 
» était attaché en qualité de secrétaure de ses commandements, v Ducis pa- 
rut résolu à faire des démarches , quand Ghampfort ajouta : a Prends-garde 
D pourtant , mon ami; quand' tu auras obtenu le cordon de Saint-Mîâiel, 
p il faudra le porter. :» Ce mot éclaira Docis : il cèsia de'd^m'cèite mâr- 
^que ^de'dlfûfaction. 



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combien le poète dramatique sentait la nécessité de présenter 
dans ses pièces une morale touchante ^t utile. Quelques cita- 
tions feront voir qu'il mettait en pratique les principes qu'il 
professait hautement. Oui, il avait voulu faire du théâtre une 
école de vertu, de justice et de vérité, ce Ducîs qui m'écrivait 
loi'sque je lui fis hommage de ma tragédie ^es Templiers : « Il 
» est beau que Melpomène fasse au moins sur la scène un 
» grand exemple des grands coupables, et attire enfin no» 
y> hommages et nos larmes à la vertu malheureuse. La tragédie 
» est une seconde histoire, mais vivante et terrible, pour 
1» graver de grandes leçons et de longs souvenirs. » 

Et n'était-ce pas gravçr de grandes et touchantes leçons que 
de faire dire par Hamlet à sa mère coupable et déchirée de 
.^eo^r^s : 

Ne désespérez pas de la bonté céleste : 

Rien n'< st perdu pour vous , bi le remords vous reste. 

Votre crime est énorme , exécrable , odieux , 

Mais il n'est pas plus grand que la bonté des dieux. 

Peut-on peindre plus énergiquemebt le remords du coupa- 
ble, qui a immolé son roi pour se mettre à sa place ? 

Seul , sous ces voûtes sombres , 
D'un pas faible et tremblant , j'erre parmi ces ombres ; 
Duncan me suit partout, il me glace d'e£Froi; 
Mort pour tout l'univers , il est vivant pour moi. 

Bélivrons-nous d'un affreux diadème. 

Si je pouvais encore redevenir moi-même ! 
Jâmai» ! 

D'autres auteurs tragiques avaient heureusement exprimé 
lea soucis , les tourments îdu trône ; Ducis a employé cette ima- 
ge frappante : 

Nos m^in» se séçberaient en touchant la couronne , 
.Signons saurions >.moa fils ^ 4<iuel pi^ix il la donne. 

A l'occasion /de ces vers, M. Leroy rapporte les dernières 
paroles ile GhArles V y qui, à l'heure de Ja moii:^ ayant fait 



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!" 



) 



&»3oo<< 

placer devant lui la couronne royale , dit : a Ah ! pi'écieuse 
» couronne de France, et à cette heure si impuissante , si hum* 
y) ble...., plus vile que toutes choses à cause du fardeau, du 
» travail, des angoisses, des tourments de coeiir, de corps et 
» d'âme et du poids de conscience que tu donnes à ceux qui 
» te poi-tent l Ah J s'ik pouvaient d'avance les savoir . ils te 
» laisseraient plutôt tomber que de te placer sur leur tête ! » 

Et ailleui's Admète dit : 

Héias ! je laisse un fils qui doU régner un jour , 
Forinez-le pour son peuple et non pas pour sa cour. t. 
Qu'il apprenne de vous [hëlas ! vous le savez] 
Que les rois au malheur sont souvent réserves. 

Quelle noble résignation dans ces vers d'Hamiet qui , après 
avoir été tenté de rejeter le fardeau de la vie, revient à des sen- 
timents plus nobles U 

A^es niallirurs sont comblés j mais ma vertu me reste , 
Mais )e suis homme et roi : réservé pour souffrir y 
Je saurai vivre encor, je faàê plus que mourir. 

Qui n'a pas retenu dans son cœur ces vers inspirés par la pié- 
té filiale^ que Ducis sentait si bien ? 

i 

On remplace un ami y son épouse , une amante j 
Mais un vertueux père est un Bien précieux 
Qu'on ne tient qu'une fois de la bonté des dieux. 

11 m'eut été ^'ès-facile d'accumuler de pareilles citations, 
tirées des ouvrages de Ducis et du choix que M. Leroy présen- 
te; mais celles-ci suffiront pour prouver que, dans son systè- 
me tragique et dans l'exécution , Ducis avait des intentions 
très-morales , et j'aime à placer ici ce vœu de M. Leroy, qin se 
montre digne de les louer : « Qu'on ne pense pas que je récla- 
» me pour lui des honneurs qu'il dédaigna toujours : il n'est 
» qu'un moyen d'honorer un tel homme , c'est de le prendre 
» pour modèle. » L'ouvrage de M. Leroy, ainsi que celui de 
M. Gampenon , méritent d'être joints à la collection des œu- 
vres de Ducis ; l'un et l'autre en sont un commentaire litté- 
raire et moral. 



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Si Ducis donna à son talent cette belle et honorable dîrec— 
tion, c'est qu'il était pénétré des nobles et importants devoirs 
que s'impose ou doit s'imposer l'homme de lettres qui , par la 
représentation de ses ouvrages, excitant les émotions du pu- 
blic assemblé , profite de la haute influence du génie pour flé- 
trir le crime et le vice, honorer la vertu, faire resjxîcter les 
lois et les mœurs, imprimer dans l'âme de tous les spectateurs 
de tout âge , de tout sexe , de tout rang , les sentiments les [)Uis 
généreux, les plus touchantes affections, capables de eontri- 
buer à leur bonheur et à celui de la société. Cette sorte de ma- 
gistrature morale est le plus beau succès que puisse tenter un. 
littérateur. 

Élien dit que Socrate allait au théâtre pour entendre les vers 
d'Euripidfe propres à inspirer l'amour de la vertu. Ou pouiva 
juger de la juste sévérité des spectateurs d'Athènes par les pé- 
rils et les désagréments qu'Euripide lui-même éprouva au su- 
jet d'un vers qui leur parut blesser la morale publique et at- 
taquer le respect dû à la religion du serment. Dans la tragédie 
à^Hippolyte y la nourrice de Phèdre, chargée de faire connaître 
au jeune prince la passion coupable de la marâtre , avait exigé 
le serment qu'il ne révélerait pas la confidence qu'elle devait 
lui faire. Hippolyte entre en scène avec elle, et, pénétré d'hor- 
reur , il s'écrie : ce O terre ! ô soleil ! quelle abominable parole 
» ai-je entendue ! » JBX il menace la nourrice de révéler le se- 
cret fatal ; elle lui rappelle son serment : a mon fils î songez 
» qu'un serment inviolable vous engage au silence î )> Et il 
répond : ce Ma langue a prononcé le serment; mon cœur Ta 
» désavoué. » Ce vers attira à Euripide une accusation d'im- 
piété. Dénoncé à la justice par un citoyen nommé Hygionon , 
le poète réclama le privilège d'être jugé par un tribunal d'ex- 
ception , qui exerçait sur les théâtres une juridiction spéciale. 
Çn ignore Tissue de l'affaire ; mais si Euripide échappa à une 
. condamnation judiciaire, il n'eut pas moins à subir le châti- 
ment de l'opinion publique pour ce vers , que la position et 
la vertu même d'Hippoljte rendaient dramatiquement excusa- 
ble. Aristophane livra plus d'une fois aux sarcasmes de la mu- 
se comique, à la censure des spectateurs, ce vers qui blessait 
la morale. Ainsi', dans Us Fi Us de Céres , Euripide, qui «st 



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iiti des personnages , disant : «* Je Jure par tous les dîeùx ; » 
rintcVlocttteur lui répond : a Souvenez-vous qu« votre cœur 
» a juré, et non pas seulement votre langue. * Dams les Gre-^ 
nouilles y Bacchus dit : « ])lon cœur n'a pas voulu s'engager 
» par un serment, et ma langue a juré sans la participation de 
» mon cœur. » 

Je pourrais citer diverses autres circonstances où ïa vertu- 
euse susceptibilité des Athéniens força Euripide à corriger des 
vers ou à donner des explications. Qu'il suffise du fait suivant. 
Dans la tragédie de Bellérophouy un personnage exprimait 
ainsi le sentiment de la cupidité : a Laisse-moi* le nom de mé- 
» chant, pourvu que j'aie celui de riche.. .. Or ! bien suprême 
» des mortels î non , la tendresse d'une mère , la piété d'un 
» fils, l'affection d'un père, n'ont point autant de douceur 
3) que tu en fais éprouver à ceux qui te possèdent î » A ces 
mots l'indignation des spectateurs éclate ; ifc veulent que l'au- 
teur et la pièce expient l'affront fait à la morale : Euripide pa- 
rait sur le théâtre , et , pour calmer le public , il le prie d'at- 
tendre le dénoùment , qui montrera la juste punition du per- 
sonnage. 

Malgré les railleries d'Aristophane, Euripide jouit de la 
réputation de poète moral , qui voulait inspirerdessetitiments 
vertueux : il fut honoré du \^\\v^à!à'philes(yphe eu théâtre^ et mé- 
rita qu'on écrivit sur son tombeau : ce Toi , qui sus donner 
}> à la sagesse tous les charmes des illusions tragiques. » 

On me pardonnera sans doute d'avoir insisté sur ce point, 
important de la nécessité d'offrir aux spectateurs des tableaux ^ 
des maximes qui l'excitent à la vertu. J aurais insisté bien da- 
vantage si j'avais pu croire que des exemples et des raisonne- 
ments fussent capables de détourner d'une voie fausse, et je» 
dirai funeste, les auteui's dramatiques qui, doués d'un esprit 
digne de devenir utile à la société, n'ont pas dans le cœur Ja 
conscience de leurs devoirs , le sentiment de leur noble mis- 
sion , en un mot l'ambition de la vraie gloire. J'aime à penser 
q\ie , n'ayant pas assez considéré les obligations de l'art auquel 
ils se sentent appelés, ils imaginent qu'il suffit à leur renom- 



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Biée de tpeGueilUr quelques applaudissements bru jan^s ^ passi^ 
gers , obtenus souvent aux dépens de la décence et des mœurs ^ 
sans s'inquiéter des suites de Tinconvenance d'un sficcès con- 
damnable : c'est au temps , c'est au dégoût des spectateui*s à 
faire justice de cette erreur grave que la plupart d entre eux 
se reprocheront un jour ; et si jamais ces dramatistes effrénés , 
ces révolutionnaires de théâtre, désenchantés eux-mêmes de 
leurs scandaleuses productions , impriment enfin a leurs ta^^ 
lent une direction vraie et généreuse , ils sentiront alor^ , par 
l'approbation des gens de bien , par l'estime des bons citoyens,, 
par celle de leur propre cœur , qu'on peut acquérir sur la scè- 
ne une récompense plus douce, plus honorable qua œlU: 
qu'ils espèrent usurper aujourd'hui. 

RATIfOVARB. 



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Mtmiion ^c la j$lft^«Uine 



A4M^k./â. ^^enri r^^emaire , ^/^ '%^ririenneà. 



\LiEs éditeui's des Archives ne pouvaient voir apparaître nue 
œuvre capitale d*un des plus illustres cnfans du Nord, sans 
en entretenir leurs lecteurs ; dans Timpossibilité où ils se trou- 
vaient de publier, quanta piiésent, le résultat de leurs pix)- 
pres sensations sur le magnifique bas-relief de leur poncitoyen, 
ils ont recherché le compte-rendu le plus vrai et le plus exact 
selon eux, parmi tous ceux qu'a fait naître la vue du plus 
grand bas-relief connu jusqu'à ce jour. C'est ainsi qu'ils ont 
cru devoir emprunter l'article qu'on va lire au Jourtml des 
Débats (9 mars 1 &34) j qui jouit à juste titre d'une grande au- 
torite dans les arts. Cet article est court mais consciencieux, 
il n'a pas le ton louangeur de la camaraderie et l'on y a saisi 



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et exposé avec concision la plus part des inspirations de Fau- 
teur. Pour donner une idée plus complète de l'œuvre du sculp- 
teur Valenciennoîs , les éditeurs y ont joint une jolie gravure 
au trait, exécutée par Réveil , avec la perfection et la finesse 
que cet artiste apporte ordinairement dans ce genre de travail. 

11 est bon de se rappeler que le bas-relief du fronton de la 
Madeleine a été exécuté , comme le monument lui-même le fut 
en 1806 , à^la suite d'un concours dans lequel M. H. Lem«ire 
est resté vainqueur. Le programme imposé aux sculpteurs qui 
ont concouru était ainsi conçu : 

« A l'heure du jugement dernier, le fils de Dieu sépare les 
« bons des méchans ; les vertus sont récompensées , les vices 
« plongés daixs la réprobation éternelle. » 

Afin de mieux faire comprendre l'importance de ce grand 
travail de sculpture , nous dirons que le tympan du fronton 
n'a pas moins de 160 pieds à sa base, et de ao pieds de hau- 
teur. Les dimensions du fronton du Panthéon de Paris, ne 
sont pas tout-à-fait aussi larges. Celui de la Chambre des Dé- 
putés a 90 pieds sur i6 ; celui du Panthéon d' Agrippa , à Ro- 
me ,^1 pieds sur 19 ; celui du Temple de Minerve (le Parthé- 
on)à Athènes, 101 pieds sur 11. Le bas-relief de la Madelei- 
ne est donc le plus important ouvrage de ce genre qu'offrent 
les monumens des tems anciens et des tems modernes. A. A.) 



FIIO]!«TON DE LA MADELEINE. 

Les deux faces de l'église de la Madeleine, celle de l'entrée et 
le côté qui regarde l'orient , entièrement terminés , laissent 
prendre dès aujourd'hui une idée exacte de la splendeur et de 
Uélégance de ce monument vu de dehors. Les sculptures du 
fronton antérieur, ouvrage de M. Lemaire , et ornement prin- 
cipal de cet édifice, contribuent singulièrement à relever la 
beauté de son ensemble. 



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Les écha&udages qui entouraient les deux b0e$ terminées 
de réglise ont été enlevés du jour au lendemain , il y a den\ 
semaines ;. et un dimanche matin y le^ habitana de Paria <ff,\ 
avaient encore vu lavant-^veille Téglise de la Madeleine entou- 
rée d'une fbrét de pièces de charpentes et des baraques suspea- 
dues qui servaient d abri aux sculpteurs , ont aperçu tout-à- 
coup un temple dont Taspect est à la fois plein de majesté et de 
grâce « et sur le fronton duquel se développe une des plus gran- 
des compositions en bas-reliefs que Ton ait sculptée. 

Quel que soit d'ailleurs le jugement que l'avenir portera de 
cet édifice , il est de notre devoir d'historien de constater le 
plaisir qu'il a fait à toute la population de Paris ; de signaler 
le succès qu'il a généralement obtenu^ avant que la réflexion ait 
eu le temps d'intervenir. Ces belles façades grandioses ; ces co- 
lonnes d'ordre corinthien , dont l'énorme dimension se dissi- 
mule sous la richesse élégante des cannelures ; cette masse im- 
posante de tout l'édifice qui cependant s*élève svelte et léger de 
la terre ; et enfin ce fronton portant plus de cent pieds d'en- 
vergure et rempli par un sujet de vingt figures de 18 pieds de 
proportion , tout cet immense travail mis à fin , a causé une , 
satisfaction générale à laquelle nous avons pris une vive part , 
et dont nous nous trouvons heureux d'être les interprètes. 

Au milieu de la composition est Jésus-Christ debout , ou- 
vrant les bras à la Madeleine agenouillée , pénitente , et implo- 
rant par son repentir et ses larmes , la miséricorde du Sauveur. 
Ces deux figures forment à elles seules le sujet principal et ré- 
el. Toutes les autres sont symboliques ou emblématiques, et 
expriment ce qui s'est passé et ce qui se passe dans Tâme de la 
Madeleine , pendant les erreurs de sa vie et depuis sa pénitence. 

A la gauche du Christ ( à la droite du spectateur), se tient 
l'Ange vengeui*. Avec «on épée il repousse et chasse loin de la 
jeune convei^ie , Timpudicité, la luxure, l'hypocrisie, l'ava- 
rice; et ce gix>upe de figures allégoi^iques se termine par iUie 
âme reJDelle poussée daas l'enfer par un démon. Ce dernier épi- 
sode r^npUt l'angle aigu du fronton ; et toute œtte partie gau- 
^cl|e de la composition se rapporte à la vie passée de la Mfi^dcr- 
Itinc , jusqu'au jour de sa pénitence» ^ 



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A la droite du Chriàt (à la gauche du spectateur) , de tient 
l*Arige de la résurrection. Après lui s'avancent Ik Candeur, la 
Foi cft FEspérance , dont l'attitude et l'expression iit<fiquettt 
leur intercession en faveur de la pécheresse pénitente. Après 
elle est assise la Charité tenant deux enfans , l'un dans ses bras, 
Tatutre près d'elle ; et enfin , l'angle aigii de ce c6té do fronton 
est rempli par la résurrection d'un corps dont l'âme a été bon- 
ne. Sur la pierre tumulaire de cette élue, on lit ces mots î 
« Ecce Die& salutis^ » qui contraste avec le « Vce impio • tra- 
cé sur la pierre du mëchant placé à l'angle opposé. 

Dessous la corniche qui sert de base au fronton , dans un 
cartel qui interrompt les ornemens de la frise , ont lit ces mot» 
dont les trois premiers sont indiqués par des initiale» : 

Dê9 OftUno, Maximo, svb ikyog. b. m. »agj)al£nj3« 

La facilité avec laquelle cette composition peut être décrite , 
est sans doute le plus grand éloge que l'on en puisse faire. Le 
sujet principal et réel , la Madeleine au pied de Jésus-Christ , 
situé dans l'espace le plus grand du fronton , attire , occupe et 
captive d'abord exclusivement l'œil. De là on passe à l'examen 
des Anges, puis des Vertus et des Vic^s , et enfin de la mort et 
de la résurrection , l'une étant Técueil qu'a évité la sainte, 
l'autre le but vers lequel elle tend. Il est difficile que le bas-re- 
lief qui remplit le tympan d'un fronton , soit plus clair. 

L'exécution de cet ouvrage est en général , grande et large ; 
dans quelques parties cependant on remarque un peu de ron- 
deur et de mollesse, particulièrement dans la figure la plus 
apparente , le Christ qui , soit dit en passant , rappelle singu- 
1 ièrement ce même personnage sculpté de ronde bosse à Rome 
en 1823 , par Thorwaldsen. La position de la Madeleine à ge- 
noux , donnée que le sujet impose, est peu favorable à la sculp- 
ture en bas-relief, surtout lorsqu'elle doit être vue de si loin et 
de bas en haut. Cependant M. Lemaire a sauvé cet inconvé- 
nient , avec tout le talent d'ufa homme qui a sérieusement ctu- 
dié^on art. L'Ange exterminateur et le groupe des trois Vet^- 



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tus qui intercèdent, ont paru aux artistes comme aux ama- 
teure, les figures les plus remarquables de ce grand bas-relief 
dont la composition et lexécutionpjacentM.Lemaireau nom- 
bre de nos habiles statuaires. 

Cette fois on peut dire que les travaux de la Madeleine 
avancent. JLe ravalement et les sculptures de ses trois faces ex- 
térieures , au levant , au midi et au nord , sont terminés , sauf 
le stylobate régnant au-dessous des niches derrière les colonnes 
et le soubassement qui porte ces colonnes. 

La face de l'ouest sera également tenninée vers le milieu de 
mars. 

La grille, dont une partie est déjà posée , formera bientôt 
l'enceinte qui doit garantir le monument , et Ton procédera de 
suite au dallage de l'espace compris entre cette grille et le sou- 
bassement de l'édifice. 

Les travaux intérieurs consistent dans le ravalement et la 
sculpture des voûtes, afin de donner le plus-tot possible à M. 
P. de la Roche la facilité d'exécuter sur les murs intérieurs de 
l'église, les belles compositions qu'il a faites. 

D après l'intention de M. Huvé, larchitectc qui dirige l'en- 
semble des travaux de la Madeleine , l'intérieur de l'église ne 
le céderait pas en magnificence et en richesse à la splendeur 
qu'elle présente extérieurement. On désire et l'on espère que 
M. le ministre des travaux publics , qui a secondé avec tant 
d'intérêt et de persévérance les efforts qui ont été faits pour 
donner à l'extérieur du monument de la Madeleine toute la 
grandeur et toute l'élégance dont le mode corinthien est sus- 
ceptible , sentira la nécessité qu'il y a de ne pas laisser Tadmi- 
ration du spectateur se refroidir , lorsqu'après avoir été ému 
par la beauté des portiques et des sculptures du dehors il en- 
trera dans l'enceinte intérieure du temple. Nous autres qui 
avons conservé le souvenir du bel effet de la dorure dans les 
voûtes de Saint-Pierre de Rome ; nous à qui rien ne coûte , 
dans nos rêves d'artistes , pour embellir et perfectionner un 



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t» 3o9 «< 

monument , nous allons di*oit au fait à travers les dépenses et 
les budgets. Que Ton pèse donc ce qu'il peut y avoir de juste 
et de convenable dans l'expression de nos désirs y et quand on 
aura fait la part de la prudence et du bon goût , que l'on n'ou- 
blie pas que rien ne nuirait plus à l'effet total de l'église de la 
Madeleine que l'inégalité de splendeur entre le dehors et le de- 
dans de cet édifice. 

D£L£CLUSE. 



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GUÏLLEMETTE LHOMME. 



Je trouve dans un de mes i^anuscrits sur le pays une épitaphe 
digne de remarque , tirée jadis de je ne sais quel ouvrage , paie- 
ment man u scrit , de Simen Le Boucq ; elle est relative à une jeune 
personne de la plus grande beauté , qui , née en i556 , mou- 
rut à Valenciennes , le 27 septembre 1576. Son nom de bap- 
tême était Guillemette^ son nom de famille, qu'on retrouve 
encore de nos jours dans l'arrondissement d' A ves nés , Lhom- 
me. 

Une fille jeune , jolie , même renfermée dans un vieux tom- 
beau , attire encore notre attention , excite un tendre intérêt. 
Ainsi une fleur quoique abattue et séchée par le temps , nous 
rappelle cependant la grâce et la fraîcheur qui l'embellirent , 
et nous croyons encore respirer son parfum. -^ 

Voici d'abord la note qui précède Tépitaphe. • 



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€n la nef ï^t Vi^ïm abbaiialt it iSt. 3tan ^ 

tn t)aUntf enttM , iûtaxt uttg piUier , m un^ tabl- 

-tan portant Ire Bxnoplt à trots UbUb b^ turrs ^ 

1^^ rouUurd bio^ri^^e ^ bonn^td xonfitB tn un^ aultre 

quartier i^t j^ueuU an lion Vox. €t^tv\plnxt 

t^t ttlit : 



Si ia beuuté^de la |;race suivie^ 
Le sang , rhoaneur.» la vertu ^lesafoir 
Et la jeunesse a voient quelque pouvoir 
Contre la mort», je fusse encoice* en vie. 

Je fusse eneoire , et cestepieiMre^cUtre , 
Qui or me sert de triste monument , 
M'enserreroit le plus bel dvnement 
Q u'aU' monde eult mis le Gtelet:k nature. 

•Car yétois b^le , et ma grâce estimàe 
Etmon esprit' n'a votent pa6 leur-égal , 
Mont père fut de Hayoaugeneral, 
£tdui*e encoire sa vive renommée. 

Mais nonobstant , d'-un-coiip et. pesant somme , 
?i'aiant encoire vingt et ux^ an «attaints,, 
La fiere mort a les beaux jenW esteints , 
Avant leur soir, de GuUUmeUe Lhomme, 

£nla^ valeur a nulle aultre seconde 
Réduit en cendre. Ici convien gésir 
Pour tout jamais, demeurant le désir 
A mère et sœurs et brief à tout le monde. 

Or des destins l'ordonnance superbe ! 
Las ! tout ainsi Ta rbrisseau fleurissant 
Meurt renversé , et Fespoir verdissant 
Du jeune Eii^py ain$i se fauche en herbe. 



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Mais c'est mon heur, car mon Dieu qui ma chère. 
Et qui ra'estoit seul épouT destiné , 
A cest esprit , qu'il avait tant orné , 
Tost tiré hors de mondaine misère. 



Je vis au ciel , ou pour ample desserte 
J'orne mon chef du chapeau glorieux 
De chasteté , seichez , amis , vos yeux , 
Puisque j'ay faict ung tel gain de ma perte. 

Mais pour autant que la chambre divine 
Aux seurs humains ses jugemens tient clos , 
Ne laissez pas de soulager mes os 
D'une prière et oraison bénigne. 

Trois loYrs estolent de septeMbre de reste , 
QVand nostre esprit , par La fleVre pVrgé ; - 
Laissa son Corps de La terre Chargé , 
Ardant après Le {partage CeLeste. — 1676. 

Il y a là plusieurs idées bien jolies , des vers gracieux d'ex- 
pression , d'une coupe heureuse. Qu'on se reporte au temps ; 
Malherbe n'était pas venu. Pardonnons à l'auteur de l'épita> 
phe , moitié mondaine et moitié sainte de la gentille Guille- 
mette , un peu d'obscurité , de mauvais goût et le chronogram- 
me de la fin , alors de rigueur. C'était le tour de force , le saut 
périlleux où l'on attendait l'artiste pour le juger. Le chrono- 
gramme était un des ridicules de cette époque. Nous en rions , 
mais ne rions pas trop^ car nous n'en manquons pas. 

AIMÉ I.EROT. 



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sous CHARLES-QUINT. 



principauté \^t piaieance à t)aUnciennf$. 
( 1S48. ) 



<i Je ne laisseray en arriére la fesle solemnelle tenue à 
Vallentiennes que l'on nomme de la PrincipaULTÉ: , <*tant 
Prince d'icelle ville Quintin Corel , que l*on sollemnisa en 
grund Iriumphe en l'an i548 , vraie que c'estoit plustot la 
principauité des folz ; car si l'on at veu des insolens commer- 
tre mesmement des ivrogneries et acls inpudiques , c'a este 
en cest temps les grands desbordemens pour laquelle cause 
convint qiie Mess." de la justice y missent ordre et police en 
deffendant telle mauvaise înveterez accoustumance. » 
Manuscrit de JOAGBIM 



§ I. — INTRODUCTIOX. 

Dans les tems de paix, les habitans des Pays-Bas, naturel- 
lement enclins au plaisir, s'occupèrent surtout à organiser 
des fêtes pompeuses et triomphales. Les grandes richesses qu'ils 
tiraient de leur sol et de leur industrie de tous tems renommée, 
les souvenirs qu'ils rapportaient de leurs courses commercia- : 

•2 1 



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les à Venise et dans l'Orient , contribuaient à jeter dans ces 
solennités publiques , un luxe et une sorte de parfum orien- 
tal qui leur donne un caractère tout particulier. La domina- 
tion espagnole ne fit que colorer encore davantage cette phy- 
sionomie asiatique qu'on retrouve dans nos vieux carrousels 
et dans nos pompes populaires. En vain Charles-Quint fit-il 
des lois somptuaires pour réduire le nombre des jours de fête, 
les banquets et les noces ; le goût invétéré des habitans pour la 
dissipation et les représentations publiques prit le dessus et 
annula la Volonté souveraine de TEmpereur, qui aurait désiré 
confisquer au profit de ses projets de domination universelle , 
ces richesses immenses que les Belges employaient plus subs- 
tantielleinent en réjouissances et en festins. 

Toutes ces villes populeuses, qui se pressaient dans les pro- 
vinces des Pays-Bas , rivalisaient entr'elles à qui étalerait le 
plus de luxe et d'imagination. Elles se donnaient pour ainsi 
dire un défi chaque année , dans la bielle saison , à la célébra- 
tion de leurs/é tes de plaisance, comme elles les appelaient, et 
auxquelles on ne manquait jamais d'inviter les sociétés des ci- 
%s voisines organisées en corps déplaisir. Yalenciennes , ville 
riche et peuplée, comptait bon nombre de ces compagnies 
joyeuses qui se ralliaient sous une bannière portant leur devise, 
et qui reconnaissaient un chef sous lequel elles marchaient à 
toutes les grandes solennités qui se célébraient à trente lieues 
à la ronde. Il n'y avait pas de bonne fête sans eux. Teb étaient 
en premier lieu le Prévôt des Coquins, grand justicier des ta- 
vernes et maisons de jeux; le Prince de la Plume; le capitaine 
de joyeuse entente ; le chef des Huhins; \t gardien de dame oiseu- 
se; 1;ous personnages aimant la joie et les banquets et qui n'hé- 
sitaient pas à faire d'excessives dépenses dans ces fêtes popu- 
laires. Les principaux habitans tenaient à honneur de figurer 
à la tête de ces compagnies et y déployaient un faste et une 
spmptuosité xj|[ui plus d'une fois ruina des familles. 

Pour refîd^ c^s pailiçs de plaisir plu;s solennelles , on les 
fesait «ous 1^ protection des magistrats qui y voyaient un 
mpy^n 4'activer le commerce des ville${ en y attirant up grand 



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concours d'étrangers, et une occasion d'user cette activité et 
cette turbulence naturelle aux populations fortes et libres des 
riches et remuantes eommunes de la Flandre. Les autorités j 
mettaient l'ordre et l'étiquette convenables poui* éviter toute 
rixe : le ran^ et la priorité de chaque compagnie étaient fixés 
d'avance et désignés par les hérauts d'armes des cités , vérita- 
bles ipaîtres des cérémonies de ces sortes de fête. Bien que tout 
ce qui se passait dans ces^ grandes réunions ne fut pas oiiho- 
doxe , les prêtres eux-mêmes y prenaient part et les sanction^ 
naient par leur présence ; on sait que l'ancien clergé flamand , 
alors déjà regorgeant de richesses, n'était pas ennemi de la joie, 
aussi , le retrouve-t-on partout où il s'agit de bombance 
et de liesse. 

Chaque ville de la Flandre avait donc sa fête triomphale et 
joyeuse , qui , suivant l'usage des tems, se résumait en joutes, 
carrousels et tournois ; en représentations de mystères et far- 
ces dramatiques , divertissemens toujours couronnés par de 
' larges et splendides banquets , fondation essentielle et inévita- 
ble de toute réunion flamande. La solennité se célébrait sous 
le nom de Principauté; chaque ville ayant un Prince parti- 
culier , portant un titre qui lui était pt-opre , et gouvernant 
souverainement pendant ce trop court règne de récréation et 
de plaisir. Ainsi, Valenciennes avait son Prince de Plaisance; 
Lille, son Roi des sots; Tournai* qui se ressentait encore de 
son origine française , était représentée par un Prince d'amour, 
et Arras, cité épiscopale et amie de la joie, par un AMede 
Liesse* 

Tournai tint sa fi&te de plaisance de i33o les lundi et mardi 
d*après la Fête-Dieu ; il s'y trouva des compagnies de Paris , 
Senlis ^ Rheims , St. -Quentin, Compiègne, Amiens, Arras, 
St.-Omer, Lille, Douai , Gand , Bruges , et autres villes ; on 
j compta jusqu'à trente-un rois , ou chefs de compagnies de 
plajisir, ce qui fît qu'on désigna depuis dans les chroniques cette 
ipémorable solennité sous le nom de Fête des trente et un rois. 
Dans la même ville y sous le règne du roi Jean et pendant une 
maladie dangereuse de ce prince , la cour défendit les exercices 
récréatifs, excepté toutefois le tir à l'arbalète, qu'on considérait 



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|| 

I comme un noble et guerrier délassement du peuple, qu^on uti- 

i lisait au besoin. Les Tournaisiens y mieux aimant leurs jeux 

\ que leur Roi , prirent cette occasion de faire publier au loin et 

f avec fracas, qu'ils donneraient une/ête de l'arbalète : chacun 

j y courut et Ton y vit les compagnies de trente villes. C'était 
exécuter ia lettre de la défense et en braver l'esprit. 



i 



r En i35G , on célébra à Douai lai/éte du bosquet avec joutes 

-et carrousels ; la même ville avait aussi la fête du prince de 
Rhétorique , et, par opposition, ï^fête des ânes, qui eut lieu 
presque chaque année jusqu'au i" janvier 1668. 

i- 

\ On a de curieux détails sur les fêtes des Abbe's de liesse d'Ar- 

ras des années i43i et i534; sur celles des Rois deTEpinet- 
te de Lille jusqu^'en 14^7; celles du Forestier de Flandre ^ k 
Bruges ; da plat d'argétity au Quesnoy ; du Prévôt des étourdis^ 
à Bouchain , etc. etc. 

Parmi tous ces divertissemens^ un des plus suivis et des 
plus renommés dans le pays fut sans contredit la Principauté 
de plaisance de Yalenciennes qui se tenait régulièrement cha- 
que année le dimanche qui suivait l'Ascension , excepté dans 
les tems de guerre et de peste , deux fléaux qui ne laissaient 
pas que de revenir assez souvent. On ne trouve rien d'écrit sur 
cette fête curieuse avant Tan i5io , mais il parait que sa fon- 
dation remonte à une époque bien plus éloignée. £n 1 547 , le 
corps des magistrats de Valenciennes ayant appi^is que les ha- 
bitans de Lille et de Tournai avaient Pintention de relever 
leur Principauté de Plaisance^ ne voulut pas rester en arrière- 
le conseil des vingt- cinq élut gravement , et comme s'il s'agis- 
sait d'un fonctionnaire qui dût sauver la patrie | Jacques San^ 
glier, valenciennois , prince de Plaisance de cette ville ;^lequel 
reçut volontiers ce sceptre l^er , et promit de faire bien et dû- 
ment son devoir. Peu de jours après, oe nouveau roi fut invité , 
comme ceux des villes voisines , à se trouver le a juillet 1647 y 
avec sa cour, à la fête triomphale et au festin du prince de la 
ville de Lille , alors nommé le Prince desfols et depuis le Prin^ 
ce d^ amour, Jacques Sanglier s'y i^ndit à cheval^ à la t^te de 



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plus de i5o bourgeois , précédé du héraut de la ville tenant st 
bannière avec cette devise : 

dmtjlûr rme t ^ n brntct îrame pUiôaitcf • 

Toute cette joviale compagnie fut bien reçue et festoyée pay 
les Lillois et Sanglier y fît preuve de goût et de générosité. 

Le 9 juillet de la même année , le héraut d'armes du prince^ 
d'amour de Tournai vint aussi inviter le prince valenciennois 
à la fête qui devait avoir lieu peu de jours après. Cette fois , 
soit que ce train de vie fut au-dessus de ses forces et de ses 
moyens , soit qu'il eut à se plaindre de la couii:oisie tournai- 
sienne^ Sanglier saigna du nez, et abdiqua la couronne de 
Plaisance , comme peu d années après son empereur Charle- 
quint fit de celle de TEmpire. Dans cette conjoncture , que 
les magistrats regardaient comme importante , on nomma à la 
hâte pour lui succéder, Quintin Coret , écuyer de Valencien- 
nes, quoique natif de St. Ghislain.Le nouveau monarque fit 
honneur à la ville et se rendit à la fête en bon èquipaye , com- 
me dit Simon Leboucq , escorté d'une multitude bruyante et 
richement accoutrée. 

Tant d'invitations reçues nécessitaient des représailles ; on 
voulut qu'elles fussent somptueuses et mémorables. C'est pour> 
quoi on désigna le dimanche avant la pentecôte , j 3 mai i54B, 
comme le jour qui devait éclairer cette pompe magnifique à 
laquelle toutes les villes voisines furent conviées , suivant 
les formes voulues , par le héraut d'armes de Valenciennes , 
rhonnète Morel , dit Franquevie, à cause, dit l'histoire , qu'il 
était o£Gicier d'une ville franche et noble. 

Nous croyons devoir narrer cette fête avec tous ses. détails 
minutieux; ils sont tous des indices na'ifs et curieux des 
mœurs du tems ; ils rappèlent surtout le luxe et l'imagination 
de nos pères , leur amour instinctif des devises, des emblèmes , 
des spectacles , de la pompe , des costumes bizarres ; toutes ma- 
nifestations si naturelles aux flamands qu'on les retrouve en- 



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core à l'époque actuelle « aux jours joyeux de oo« marcbte 
triomphales , de nos processions religieuses , de nos profane* 
kermesses et jusques dans la manière d'enterrer le carnaval. 
Les circonstances qu'on va lire sont exactes et non exagéi-ées ; 
elles sont relatées par Simon Leboucq , qui les tenait de famil- 
le, ses ancêtres ayant figuré en personne dans cette fête dont 
la tradition n'était pas encore éteinte au moment où il vivait (i). 



§11. — LA veille! 

Et d'abord , la veille de ce grand jour , le samedi à midi y 
lorsque , suivant la vieille coutume flamande , un déluge do- 
mestique eut passé dans toutes les maisons pour leur donner 
ce coup d'œil de netteté et de fraîcheur qu'on ne trouve que 
dans ces contrées, la trompette sonna un boute-selle de rue en 
nie , pour faire monter à cheval ceux qui devaient accompa- 
gner \e Prince de Plaisance , Quint in Coret, pour aller hors des 
murs de la ville au-devant des-autres princes et pi'évôts étrangers 
qui devaient y faire leur entrée ; il s'agissait là de leur montrer 
qu'ils étaient les bien-venus et de leur rendre les honneurs 
qu'on doit à des têtes couronnée attendues impatiemment. 
C'est ainsi qu'on en use encore aujourd'hui à la réception des 
compagnies de musique qui se rendent dans une ville où il y 
a un concours d'harmonie. 

Le guet, placé au haut du vieux beffroi de Yalenciennes ,. 
qui si souvent sonna l'allarme à lapproche des troupes enne- 
mies , devait cette fois , changeant de ministère, avertir les ha- 



(l) Madame Clëment-Hémery , qui a fourni quelques piquans feuilleton» 
à V Indépendant àe Cambrai , pendant sa courte existence , y a insërë le la 
décembre ^833^. une relatieo de Xb fête du prince de Plaisance à Valen- 
ciennef , puisse , dit cette dame, dant les mss. de François Jjefthvre\ 
oous pensons que sous ce nom Mme. Clément a voulu désigner le mss. de 
Joachim *** qui nous a fourni Tépigrapbe un peu morose de cet article ; il 
raconte en effet fort en détail la fête de i548; cependant nous avons cru de- 
voir suivre pas à pas la relation de Simon Leboucq , dont la le'putation, 
dVxactitude minutieuse est presque passée en proveibe. 



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bitans de l'approche de ces bandes joyeuses. Il avait pour coiv- 
signe de sonner sur la grosse cloche autant de coups qu'il voy^ 
ait de cavaliers , et quand le nombre ne s'en pouvait compter , 
il donniût une Tolée précipitée , en hissant la bannière de la 
ville à la lucarne du clocher qui regardait la porte par laquelle 
les étrangers devaient arriver. A ce signal , tous les carilloiM. 
de la ville, jadis fort nombreux, jouaient admirablement des 
airs chei^s au pays et composés par les Ampbiôns flamands. 
Rabelais eut peut-être aussi alors appelé^VaUnciennes la tille 
sonnante. 

Vers trois heui^es, lesValenciennois, rénnis sur la place, se 
mirent en marche pour aller à la rencontre de ceux de Condé 
qu'on annonçait au loin. Le coitège d'honneur était composé 
ainsi qu'il suit : 

^^ Le Prévôt des Coquins, à cheval. Cet emploi burlesque 
était rempli par un nommé Poufrin , premier garçon de la ta- 
verne de Paris. Il était vêtu d'un habit couvert de verges, car- 
tes , dez et autres emblèmes de sa juridiction de cabaret. Sa 
suite se composait de plusieurs coquins à pied , couverts de ca- 
saques de canevas entourées de bandes violettes, teintes avw 
des cerises noires. Cette phalange d'avant-garde , qu'on pouvait 
ragarder comme les enfans perdus du coi-tège , portait la de- 
vise suivante , où Ton cherche à adoucii' ce que le nom de 1» 
compagnie avait de trop dur i 

2<» Le Roi des porteurs au sac, à cheval , vêtu d'une tunique 
orange à bandes noires , suivi de cinquante portefaix , à pied , 
couverts du même costume uniforme. Cette corporation, 
qu'on voyait figurer dans toutes les fêtes de la contrée , jouis- 
sait alors d'une certaine considération , et montrait avec orgueil 
sa devise déjà anciennfe : 

ôf rtiant? aw Rog , î)0rtf ur0-att-6ûr ô0nt en mx\\s. 

3* Le Prince de l'Etrille, Cette importante fonction se trouvait 



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remplie par «/ar^ue^ Lehoucq (\), par procuration de Pierre Lc- 
boucq , son cousin , accomplissant alors le pèlerinage de Jé- 
rusalem. Son riche vêtement était en velours cramoisi, galonné 
d'or ; son cheval piaffait, richement harnaché , couvert d'un 
caparaçon de même velours cramoisi parsemé d'une multitude 
d'étrillés brodées en or et en soie. Cinquante cavaliers formantia 
compagnie de V étrille , tous vêtus de casaques de velours , da- 
mas ou satin , de couleur verte à bandes noires , suivaient leur 
chef bien-aimé et leujr drapeau de soie verte avec la devise du 
prince : 

0^ bonne amaur Cebouq maintient IVBtriUe* 

4** La compagnie de la vil le, composée en ce tems de quatre- 
vingt-dix cavaliers, en uniforme violet, dont dix-huit en ve- 
lours et les autres en damas, satin, taffetas, avec des bandes 
de velours noir. 

5** Le prince de plaisaxcê (sire Quintin CoretJ, monté sur 
un puissant destrier , recouvert d'une toile d'or, vêtu lui-mê- 
me d'une tunique de même étoffe, passée au-dessus d'un poiu^ 
point de satin jaune déchiqueté , la tête couverte d'un cha- 
peau comme la tunique , ombragé de panaches blancs. Ce Co- 
ryphée était le héros de la fête; sa large bannière en damas 
noir, bordée de franges de soie noire, s'élevait majestueuse 
au-dessus de toutes les autres ; elle portait le grand écusson des 
armoiries de Valenciennes , avec son lion d'or sur -un champ 
de gueules. On lisait au-dessous, en grosses lettres d'or rele- 
vées en bosse , le mot : Plaisance ! Puis se déroulait la devise 
du prince : 

Caret maintient en paix Wamt {lUteanre. 



(i) Jacques Leboocq , fils de Noè'l,, su perin tendant de l'artillerie Valent 
viennoise, était un peintre fameux pour le tems où il vivait ; il fut crée hé- 
raut de la toison d'or et écrivit sur cet ordre fameux plusieurs volumes 
consumés dans Tincendie de la bibliothèque de Bruxellei en lySi. Il mon- 
lut le 2 mai lôyS et fut enterré à Valenciennes en l'église de Motre-0<«fni:- 
Ja-Grande , dans la chapelle de St. -Luc, patron des peintres. 



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i^ 3a 1 »i( 

Goret était suivi de ses deux fik vêtus d'habits de satin 
violet , couleur de prédilection du prince. 

6** Et enfin , les Archers de la confrérie de sainte Christine j 
au nombre de vingt-sept cavaliers , tous accoutrés de tuniques 
bleue»; à leur tête marchait fièrement Jean du Jonequoy (i), 
leur capitaine , vêtu d'une casaque de satin blanc semée de 
larmes bleues et entourée de riches broderies. 

Ces ai*chers formaient la garde particulière du prince de 
Plaisance ; c'était son bataillon sacré ; les confrères de Ste.- 
Christine ajant eu de toute ancienneté le privilège d'escorter 
le prince, qui , dans le sein même de la confrérie , a la premiè- 
re place après le Roi. 

Toutes ces troupes à pied et à cheval , d'une fraîcheur et 
d'une pompe inouies , partirent en bon ordre de la place du 
marché et défilèrent sous leurs bannières et guidons, vers la 
porte Tournisieii ne; c'était un riche et stupéfiant coup-d'œil 
que ce cortège brillant de soie et d'or , et animé par le plaisir , 
serpentant lentement enserré qu'il était dans les rues étroites 
et tortueuses du vieux Valenciennes , dont les antiques mai- 
sons de bois se projetaient en saillie sur la voie publique et se 
rejoignaient par le haut. Un air de fête et de propreté avait 
été donné aux habitations , mais rien ne les ornait mieux ce 
jour là que cette multitude de jeunes et régulières figures fla- 
mandes , encadrées dans d'étroites fenêtres , et dont la fraîcheur 
et la gaîté constrastaient si bien avec le fond noir et triste de 
ces gothiques constructions. ' 

Les Valenciennois maichèrent ainsi en chantant jusqu'à 



(i) Celte £EimiUe a fourni à l'abbaje de Marchiennes , un prélat distingue 
portant les mêmes nom et prénom, et licencié en théologie. Philippe Petit' 
pri**ur des frère* prêcheurs de Douai et auteur de T Histoire de Bonchain , a 
dédié à cet abbé son Abbregé de la pie du B. Albert le G rand, tP édit* 
Douay,B. Bardou^ 1637. Petit in-B". Le médecin Louis Du Gard in lu* 
avait dédié en i63i , la 2" édition de son Traité d« la Peste eu latin. (Alexi' 
loemos , in-8y. 



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rextrêmité de la batiliene de la ville, hors la porte de Tour- 
nai , et là , firent la bien-venue au prince et à la compagnie 
de plaisance de Condé, composée de cinquante chevaucheurs , 
tant en satin , de soie de rêvérset (i) , qu'en drap de couleur 
rousde, bordé de noir. Cette nuance , peu agréable à la vue, 
rappelait que les tanneries étaient la principale industrie de 
la ville de Condé à cette époque. Le jeune prince de cette ville 
nommé Hubert Cloicump , brillait autant par son heureuse 
physionomie que par son habit et son couvre-chef de velours 
rouge cramoisi ; la couverture de son cheval était de drap d'or 
à personnages ; ses trois pages , vêtus de pourpoints de satin 
couleur de tan , le suivaient immédiatement. La bannière de 
cette compagnie portait pour devise : 

damant piaidance Cloicami) met sa ieuneede. 

Les gais condéens eurent les honneurs de la première ré- 
ception parceque de tous les princes invités, le leur était le 
plus anciennement en grade, malgré sa jeunesse. On les con- 
duisit triomphalement et à travers des arceaux de verdure, au 
logis préparé pour eux , rue St. Géry, à Thôtel du Dromaiaire, 

Une demi-heure après , le cortège retourna vers la même 
porte et dans le même ordre au-devant de la société du village 
d'Hasnon, appelée les Tost-toumezy qui arrivèrent en ville 
au nombre de quatre-vingt six cavaliers, bien et uniformé- 
ment vêtus de rouge bordé de noir. On distinguait au milieu 
d'eux leur prince , d'une haute taille , et de blanc habillé^ sui- 
vi de sa bannière montrant pour devise : 

Bame |)lai$ance axât to$t-taurne^ e'a^corîl^* 

On les m/ena loger sur le marché , dans la riche et spacieuse 
demeure de Michel Herlin, l'un des plus opulens bourgeois de 
Valenciennes et qui avait acquis, par sa magnificence généreu- 



(i) C'est-à-dire en satin broché. 



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se^ tUM populaiité qu'il paya plus tard de sa vie dam les trou- 
bles de religion (i). 

Bientôt suivirent les habitâns de EUistties , formant un petit 
peloton de dix-kuit fantassins, vêtus de vert, comme il con^ 
vient à des veneurs , et portant en main des rameaux verdojans ^ 
emblème tiré de leur goût pour la chasse , de leur situation au 
milieu des bois , et de Tétymologie du nom de leur village. 
Leur proximité de la ville leur avait permis de venir à pied; 
cependant leur capitaine , vêtu d'une robe et d*une tunique de 
velours noir, galonnées en or, s'avançait sur un magnifique 
coursier, couvert aussi de velours noir relevé d'or. Son éten- 
dart portait : 

Ilat0m^6 a vextn puiequ^ $atlUbot0 xejjfxe l 

On logea cette troupe derrière l'hôtel du duc d'Arschot (2) , 
près St. -Nicolas , chez Arnould Chrestien , châtelain de Rais- 



Après cette réception > le beffroi tinta à coups redoublés , 
ce qui annonçait l'arrivée d'une troupe innombrable ; on se 
hâta d'aller au-devant, encore par la porte Tournisienne, et 
l'on reconnut les habitans de la forte et populeuse ville de 
Lille, qui firent leur entrée dans l'ordre suivant : 

xm sayetteurs à pied, habillés de rouge avec chapeaux 
bleus, sous la conduite de leur prince, à cheval, vêtu de ve- 
lours noir par allusion à son nom ; sa bannière portait : 

Itoim mattttûnt eird eupodtd ^n Xxt^y^u 



(1) Michel Herlin , nomme gouverneur de Valenciennes par le peuple , 
pendant le si^gede i566 , fut d^apilë vis-à-vife sa ttiâiion , ptt ordre d!a 
comte de Ste.-Aldegonde de Noircarmes , commandant les troupes de la 
gouvernante des Pays-Bas. (Voyez t. 2 des Archivesy p. 4^3^. 

(2,) Depuis couvent des Chartreux de Valenciennes , et Aujourd'hui e'cole 
d'^enseignement mutuel. 



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xxxTiii porteurs au tôc y à pied y couTerts uniformémeiit 
d'habits écarlates. 

XXI bouchers , à cheval , vêtus de rouge par allusion à leur 
état; leur capitaine, vêtu en velours noir, précédé d'un gui- 
don sur lequel on lisait : 

Cabbet h i^xhtxiï maintient i^axc) tn xi^nt. 

XVII chevaliers de TEstrille , bien montés et de la meilleure 
tenue qui jamais ait été vue dans une fête de Plaisance ; tous 
vêtus en satin et damas orange , avec chausses blanches. Leur 
prince était accoutré d'un sayon de velours vert , avec pour- 
point de satin blanc et chausses blanches ; il marchait accom- 
pagné de trompettes , hérauts , porte-guidons et pages , tous 
revêtus de taffetas orange. Sa devise, superbement brodée, 
était : 

par bonne amour ^ TCetrilU est m oertu. 

Venait enfin le Prince d'Amour de Lille (qu'on appela jadis 
le prince des Fols ) , entouré de ses gens , au nombre de 
XLviii, tous jeunes hommes vêtus en bleu de ciel, couleur 
tendre très-convenable à la troupe de l'amour ; ils formaient 
ensemble un galant escadron , grossi encore par plusieurs jeu- 
nes seigneurs de Lille, tels que le sire à^Amfroifrê et autres, 
qui s'étaient affranchis de l'uniforme de la compagnie , mais 
avaient ceint l'écharpe bleu de ciel pour montrer qu'ils étaient 
enrôlés en qualité de volontaires d^ amour. 

Le prince d'amour, jeune et beau garçon , se distinguait par 
un costume de velours vert et par sa bannière flottante avec 
' ces mots : 

Ihittfii^e ao bodqoet :3lmour %t tient en ioge ! 

On le conduisit avec sa troupe légère au vaste logis de Pierre- 
le Mesureur, devant les halles , encore un de ces riches et puis- 



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8aiislM>urgeois deValenciennes qui ne reculaient devant aucune 
dépense (i) ; la compagnie dcl'Estrille fut logée en face, à l'hô- 
tel du Grand Cignê, dont l'enseigne et la situation sont restées 
les mêmes depuis plus de trois siècles. 

Ces réceptions faites , on courut derechef à la porte Toumi- 
sienùe pour recevoir un autre Prince d^ Amour, celui de Tour- 
nai y qui attendait à la barrière de la ville. Le cérémonial fut 
le même ; on vit s'avancer sur la grande place de Valencien- 
nes j au bruit de la musique et des clairons , les compagnies de 
Tournai , rangées ainsi : 

Les porteurs, au sac , à pied , au nombre de cinquante-huit , 
vêtus de rouge avec des chapeaux bleus , marchant sous cette 
devise : 

inartio 2ltt0rr0re maintient p0rtenr0-an-0ar. 

Suivaient les trompettes et étendarts du Prince d'Amour 
avec sa suite qui comprenait au moins soixante personnes , en 
tenue rouge-cramoisi y avec ehapeau-^ert , signe distinctif de 
cette principauté de plaisance. 

Venait enfin le Prince d'Amour lui-même, en velours 
vert j sur un cheval garni d'une housse de même étoffe, avec 
deux laquais en livrée de satin rouge. La devise du prince 
portait : 

r€0p0tr VJivxmx a m% Sxa^txt^ tn xi%nt. 

On ne trouva rien de plu9 convenant que d'installer cette 
troupe d'amoureux à l'enseigne de la Rose d'Or, sur le marché. 

Une demi-heure s'était à peine écoulée que les Valencien- 
nois coururent encore vers la même entrée de la ville pour sa- 



(i) Pierre le Meiureur mourut le 22 mari i552 , après avoir fait partie <|u 
«•rpa du magifltriit de Valencieonei. 



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^326 •« 

luer la compagnie satyrique de la ville d'Alh , composée de 
vingt-cinq moines, vêtus de noir et blanc, commandée par 
Vjébèe' des Pàu-^ourvus, costumé en saint pontife, portant 
sur sa bannière cette devise , à la fois flamande et monacale : 

Ca liqueur ^t la teigne n0Uâi maintient en lie^^e ! 

On mena loger ces gais religieux près de Féglise St.-Pierre ,, 
par allusion à leur saint coutume. 

Le faux abbé et sa moinerie étaient suivis de cent cavaliers 
delavilUd'Ath} tou3 vitus de tuniques rouges bordées de 
bl^oïc y Qiomau^^ par uq capitaine richement babillé de ve^ 
lours orange , monté sur un cbeval caparaçonné de même. Sur 
sa poitrine^ brillait une pesante chaîne d'or, riche cadeau 
d*un grand pripoQ \ atU gance de son chapeau orange , i^etenait 
une modeste rose , don pour lui plus précieux d'amoureuse 
merci, I>eux jeupes pages çp satin rouge le suivaient et sa ban- 
nière laissait voir cette galante devise : 

Bame semant p0rte au rl)a)ieau la twt. 

Le cort^e officiel reprit bien vite sa course vers la porte 
d'Aniin (i) pour faire accueil à la troupe des Etourdis de Bovr 
êkain, fonnant soixante et douze cavaliers , tous en bleu , ex- 
cepté leur prince Gosseau, en satin blanc. Son enseigne por- 
tait : 

jnaintd itourbid par ^niwtm wni ioseuf» 

Cette troupe chevaleresque fut logée chez Philippe Dorville, 
receveur de Bouchain , vis-à-vis de l'abbaye de St,-Jean. 

Par la même porte arrivèrent les Comuyaula: de Douchy, 



(i) Porte aujourd'hui sans isstiehorsia ville ; file conduit à la citadelle 
qui n'existe que depuis la prise de Valenciennes par Louis XlV. 



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«yant k leur tête , pour capitaioe , le j«une seigneur de Dou- 
çhy ; on comprit ddns cette twupe viagt-quatre cavali«r9 , 
tous vêtus de blanc ; leur bannière exhibait ce rébus : 

9f (ènivve a mi^ U0 CortiH^ûulf ^ti i^m. 

Un peu après vint encore , par cette même route , le Princê 
ie Denain, accompagné de cinquante-quatre cavaliers vêtus 
de blanc bordé de noir. Sa devise était : 

it Camp u^i^txWt tn ^omïm (3) bpn wvi\m* 

Ces braves furent logés , spus h bon plaisir de madame Tab- 
besse , à Tbôtel dit le refuge des dames de Denain , derrière 
l'égliçe de la Chaussée. 

EnâU) il était jjx heures du soir, lorsque la haauière du 
beffroi anponça l'arrivée de la derrière groupe s'avançant 
par la porte Cardon ; les Yalenciennois y coururent ; citait 
î^ AÈbe du plat d* argent , du Quesnoi , à la tête de vingt^duq car 
valiers^ espèces de Centaures modernes, montés ou plutôt 
cachasses ^ur des chevaux d'osier comme avftient eoi^tume d'en 
agir les enfens. IJs étaient tous habilla de blanc. Leur gui- 
don étalait çeç mot* : 

Ifiiattfxt %t vxmXtt 0(rMitt m plat Vtit%$nU 

Les compagnons du Plat d'argent , crurent devoir débuter 
par une facétie ; chacun en arrivant , fit semblant de mener 
«on cheval au grand abreuvoir de la ville , entra dans la rivière 



ft) Soûlas , soulagement , plaUir, de Solatium, 

u Au boif de deuil , à l'ombre de «oucy 
H N'estoje aa tempi de sa vie prospère .• 
u Hov J9«^* gUl spii» cettf t«Trfi ipy, 
u Et de le voir plus au moude n'espère. » 

Ma^OT, copiplainle d'une niepce sur 
la mort de sa tante. 



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jusqu'à la ceinture, et en sortit tout dégoûtant d^eau , au grand 
applaudissement de la multitude que cet acte mit tout-à-fait eu 
gaité. 

A une époque où un jeu de mots était une bonne fortune , 
on trouva très-plaisant de mener loger les plats d'argent à 
l'enseigne de la Coupe d'or, rue Entre-deux-Mazeaux. Les che- 
vaux du moins furent facilement placés , on les entassa au 
grenier pour les faire sécher. 

Ces réceptions accomplies, le prince de Plaisance de Valen- 
ciennes, précédé de ses trompettes et clairons sonnant mélo- 
dieusement , et suivi de son immepse cortège , fut reconduit à 
sa demeure devant Thôtel-de-ville ; à peine y était-il rendu 
qu'il voulut remonter à cheval pour aller au-devant de vingt 
cavaliers de Rhçims , tous bourgeois et marchands , venus 
pour assister à la fête. Mais ceux-ci , qui se piquaient d'être 
français et d'en avoir la pdlitesse exquise , déclarèrent qu'ils se 
retireraient plutôt que de déranger le prince pour leur récep- 
tion ; après d'assez longs pourparlers on les laissa entrer ^lon 
leur fantaisie. 

Chacun étant bien logé et casé , le prince alla souper à l'hô- 
tel-de-ville ; puis , dans la soirée , toutes les compagnies des 
villes et villages se disposèrent à représenter, à la lueur des 
flambeaux , devant la maison du prince et aux principaux car- 
refours de la ville , des comédies et des scènes ingénieuses pré- 
parées et appropriées & chaque société suivant leur nom , leur 
origine et leur caractère 

C'était là, à vrai dire, la partie spirituelle de la fête ; ces scènes 
en plein air étaient ordinairement satyriques , piquantes , plei- 
nes de verve et de comique. Sous le voile de l'all^orie , on y 
traitait des affaires d'état et de croyance , et on y jetait à la 
risée du peuple les puissances politiques et religieuses de l'é- 
poque. Déjà l'esprit de réforme perçait dans ces provinces ri- 
ches et tant soit peu turbulentes , et en l'absence de toute cri- 
tique imprimée, l'opposition populaire se révélait dans ces 
scènes de carrefour^ où plus d'un Pasquin ou Marforio fla- 



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mans vinrent souvent semer dans la foule des idées hardies qui 
germèrent plus tard. Il est déplorable pour l'histoire des mœurs 
du tems et celle des essais dramatiques dans la Flandre , que les 
annalistes, qui ont enregistré tant de niaiseries , ne nous aient 
point conservé quelques unes de ces comédies indigènes. 

Ces représentations publiques furent , comme on le pense 
bien , vivement applaudies par le peuple Valenciennois grossi 
de tous les étrangers venus des cités voisines ; le prince de 
Plaisance en fut si charmé qu'il fit distribuer, à chaque acteur, 
un cigne d'argent , emblème parlant de la ville de Yalenciennes , 
et qui sert de supports à ses armoiries. La foule ne se lassait 
pas de voir ces jeux scèniques , tellement qu'ils se prolongèrent 
jusqu'à deux heures après minuit dans les principales rues de 
la ville aussi vivantes et aussi animées qu'en plein jour, et sans 
qu'il y eut le moindre désordre ni le plus petit débat. Peu-à- 
peu cependant , après une soirée aussi bien employée , le besoin 
du repos se fit sentir ; les places et les carrefours redevinrent dé- 
serts; les flambeaux s'éteignirent, le calme de la nuit vint en- 
velopper toute cette cité si pleine de monde , et l'on n'entendit 
bientôt plus dans ces rues tant peuplées peu d'instans aupara- 
vant, que le pas lourd et mesuré des loetteurs de nuit, et la voix 
traînante et lugubre du guet, qui, à Valenciennes comme dans 
toutes les villes de Ja Flandre , ne manquait jamais alors de 
répéter à chaque heure de la nuit la phrase sacramentelle : 

a Réveillez- vous , gens qui dormez, 
« Priez Dieu pour les trespassez ! m 



§ III. — LE JOUR. 

Le dimanche i3 mai , dès l'aube du jour , toute la ville bril- 
lait d'un air de fête ; c'était un mirifique spectacle , par une 
belle et douce matinée de printems, que ces maisons pavoisées 
de riches tapis et de bannièi^es , ces rues sablées , ces femmes 
pompeusement parées et qu'un instinct bien naturel de curio^ 
site et de coquetterie fesait précipiter partout où elles pouvaient 
voir ou être vues ; le tout au son joyeux à&è carillons de cent 

22 



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8» 33o < 

horloges de la ville et des faubourgs , qui , suivant Tantique 
coutume de Flandre , répétaient dès Taurore des jours solen- 
nels , les aii^ populaires du pays , composés par notre vieux 
Josquin Despreiz , un des meilleurs musiciens du Hainaut. 

En ce tems là , toute bonne fête, telle profane qu'elle fut , 
commençait par une grande messe ; en conséquence , vers neuf 
beui^es du matin , toutes les cloches de la ville (et Dieu sait 
quel en était le nombre î ) appelèrent les fidèles aux églises. 
Le prince de Plaisance et sa suite se rendirent en bon ordre à 
l'abbaye de St. Jean : En tête marchaient quatre trompettes 
vêtus de violet , le héraut de la ville , Franquevie, en cotte-d'ar- 
mes blasonnée ; puis cent hommes de la suite du prince , tous 
en violet , marchant deux-à-deux ; les deux fils de Goret , vêtus 
comme la veiJle ; deux pages portant des carreaux de velours 
violet ; enfin venait le prince en robe de velours cramoisi , dou- 
blé de damas ronge, avec une tunique de toile d'or et des 
chausses blanches, ayant en main un énorme bouquet de 
fleurs. La marche était fermée par les archers de la confrérie 
de Ste-Christine , en leur qualité de gardes du corps du prince. 

C'est avec cette escorte que le prince est conduit jusqu'au haut 
du chœur de l'église St-Jean , où il prend hardiment place dans 
la première stalle de droite. L'on chante ensuite solennelle- 
ment une grande messe en musique , et le prieur de l'abbaje , 
nÏTQ Nicaise De la Croix (jl), officie en personne; ses dia- 
cre , sous-diacre , chantres et sous-chantres sont tous revêtus 
de chappes et tuniques de velours violet , couleur du prince. 
On voit que l'église savait alors se prêter à toutes ces récréations 
dont elle tirait souvent parti; aussi à l'offertoire, le prince, 
qui sent le prix de cette galanterie , se comporte généreusement 



{\) Sire Niçoise de la Croix devint abbé de St.-Jean en i553 ; il embel- 
lit beaucoup son monastère , et mourut en i56g après avoir eii la douleur de 
voir détruire^ pendant les troubles de religion et le siëge de i56j , les tichet 
ornemens dont il s'était complu à parer son abbaye. [Voyez les Archives du 
Nord, t. 2 , pages 436 et 443]. 



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à Toffrande, tandis qu^on lui joue un mélodieux concerto de 
hautboiâ. 

Pendant que ces choses se passent , toutes les autres compa- 
gnies , ayant chacune leur prince en tête , assistent à des mes- 
ses célébrées pour elles , dans les diverses églises de Valencien- 
nes, car une seule, tant vaste fut elle, n'aurait pu les conte-' 
nir toutes. Les habitans de Condé, Tournai et Hasnon sont 
à Notre-Dame-la-grande ; les Lillois vont à St.-Géry ; ceux de 
Bouchai n et du Quesnoy à St.-Jean , et les compagnies d'Ath 
à St. Paul (i). 

La messe achevée , le prince est mené , avec le même céré- 
monial , jusqu'au logis de messire Ferry de Carondelet, cheva- 
lier et seigneur de Pottelles , sis en la rue de la Couture (où fut 
depuis élevé le mont-de- piété). C'est dans cette belle et spa- 
cieuse demeure que Quintin Coret donna son banquet. 

Après le dîner, les compagnies des villes jouèrent devant le 
Prince ce qu'ils appellaient des moralités par personnages , qui 
n'avaient rien de moral s'il faut en croire quelques historiens 
chagrins du tems. Le texte des soi-disant moralités représen- 
tées en ce jour, n est pas parvenu jusqu'à nous et c'est encore 
là une perte à déplorer pour l'histoire des mœurs et de l'art. 
On répétait ces scènes devant les demeures des plus notables 
bourgeois de Valenciennes et principalenfent devant la façade 
dentelée du vieil hdteWe-ville dont les larges vitraux et la bre- 
tecquê dorée étaient garnis des principales autorités de la ville 
etdu comté.Plus tard peut-être on eut paru malavisé de repré- 
senter des farces , plus que profanes , devant la statue de No- 
tre-Dame , celle du bienheureux St. Gilles , patron de Valen- 
ciennes, etdu glorieux St.-Saulve, martyr, qui toutes trois (2), 
avec les figures des anciens comtes du Hainaut à cheval et com- 
battant , décoraient l'élégant et gothique frontispice du palais 
communal que fit élever en i336 Guillaume-le^Bon , comte de 



(i) Eglise des Dominicains , une des plus anciennes de Valenciennes. 
(2) Ces trois statues furent refaites en 1672 d'une manière colossale. 



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.»» 332 m 

Ilainautct qui subsista jusqu'en 1612 qu'on construisit la fa- 
çade actuelle ; mais alors , ce mélange du burlesque avec ce qui 
était le pi IIS i^especté, n'avait rien d'étrange ni d'inconvenant; 
personne ne s'effaroucha des représeotations originales des ci- 
tés conviées à la fête , et le prince de plaisance fut même telle- 
ment enthousiasmé de leur mérite, qu'il crut ne pouvoir 
mieux faire que de distribuer à chaque joueur un lion d'ar- 
gent, pour, avec le cigne donné la veille, compléter l'emblè- 
me des armes de la ville. 

Vers neuf heures du soir, tous les princes et prévôts étran- 
gei^ , à la tète de leurs compagnies , vinrent chercher le Prin- 
ce de Plaisance , à l'hôtel du seigneur de Pottelles , pour le 
conduire avec honneur et en cortège jusqu'à la halle aux lai- 
nes (1), au-dessus de la halle au blé, vaste salle où devait se 
donner le grand souper d'honneur, couronnement obligé de 
cette belle journée. 

Cette enceinte avait été admirablement disposée et 01 née ; 
les murailles tendues de ces riches et curieuses tapisseries de 
haute-lisse , fabriquées dans le pays, reproduisaient des sujets 
moraux parfaitement adaptés à la circonstance. On avait sa- 
gement pensé que dans la salle d'un banquet comme celui qui 
allait avoir lieu , il n'était pas inutile de mettre sous les yeux 
des convives un correctif puissant au goût prononcé de nos 
pères pour les plaisii^ de la table ; aussi les invités pouvaient- 
ils , dans les intervalles que laissait le service, reposer leurs 
regards sur des tableaux où se peignaient les effets malheureux 
des excès du manger et du boire. C'était un avertissement ta- 
cite et ingénieux qui pouvait facilement trouver sa place et son 
application. 

Le plafond se trouvait recouvert de rameaux verts d'où se 
détachaient des candélabres et des lustres chargés de lumières. 
Des nattes tressées de paille et de fleurs garnissaient le parquet. 
Au fond de la salle, s'élevait une estrade à laquelle on parve- 



(i) C'est aujourd'hui l'emplacement de la salle de spectacle. 



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fiait par quatre ou cinq degrés : là était dressée la table d'hofl^ 
neur du Prince souverain de Plaisance , devant son trône ten- 
du de drap d'or ; sur le côté, on avait disposé son buffet parti- 
culier , en gradins chargés de coupes , aiguières , tasses et écuel- 
les en vermeil enrichi de pierres précieuses. A Topposite se 
voyait un magnifique dressoir, tel que les rois ou les princes 
du moyen^ge mettaient leur gloire à en exposer aux yeux (i); 
tout chargé qu'il était de vaisselle d'argent , Toedl le plus exer- 
cé n-'y aurait pu compter la masse des pots délicatement sculp-. 
tés 5 des plats et bassins finement <;iselés , des bouteilles armo- 
riées j des flacons, aiguières, gobelets taillés et travaillés dans 
les formes bisarres et avec l'art qu'on connait aux ouvriers des 
XV* et XVI® siècles j tous ces riches objets brillaient disposés 
dans Tordre le plus favorable pour la vue sur onze larges rayons. 
Au-dessus de cet admirable bufiet figurait un énorme écusson 
aux armes de la ville, entouré d'une épaisse couronne de verdure 
et de fleurs. Sur le devant et au bas du dressoir tombait un 
naperon de drap d'or à personnages, et, par une précaution an- 
nonçant que nos ancêtres ne manquaient pas toujours de pré- 
voyance, des hommes d'armes, la masse à l'épaule, se tenaient 
aux côtés du buffet comme gardien des richesses qui s'y trou- 
vaient rassemblées, tandis que d'autres chargés de torches 
éclairaient ce tableau, et faisaient scintiller les lumières sur le 
poli de cette magnifique vaisselle^ 

Derrière le buffet, on avait établi un orchestre pour cin- 
quante musiciens occupés à couvrir par leurs symphonies , les 
gros rires et peut-être aussi les mots heureux , mais parfois un 
peu gais , de tant de joyeux convives. 

Le Prince de Plaisance, après la cérémonie du lavement de 
mainff, s'établit sur son trône et au milieu de la table d'hon- 
neur , n'ayant personne devant lui, mais plaçant à sa droite et 



{l) Cet usage est encore conservé dans les roramunes de la Flandre , où , 
•▼ec plus de simplicité , on voit les ménagères garnir leurs drèches de plats 
M de va8es d'un étain poli , qui brillent étrrnellrTn<*nt dans leurs d^-nuMires 
«t ne «'usent «;uère<i quo par le ne.ltojfmriu. 



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»i.334'« 

à sa gauche , les autres princes , prévôts et seigneurs étrangers 
chacun selon son rang d^ancienneté d'après les constitutions 
de chaque compagnie et suivant l'appel fait par le héraut Fron- 
guevle. A cette table prirent également place tous les cheva- 
liers, écuyers, gentilshommes et nobles bourgeois, tant de Va- 
lenciennes que des environs , et même des étrangers de marque 
attirés dans la ville par le renom de la fête de Plaisance et que 
Ton avait eu le soin de faire prier au souper par le héraut d'ar- 
mes. On y remarquait entr'autres, les pieux et graves abbés 
d'Hasnon , de Vicoigneet de St.-Jean (i), dont les mitres figu- 
raient assez singulièrement aii milieu des grelots de la folie, 
mais qui cependant se tenaient fort bien à table , et fesaient 
tête à sire Nicaiae Chamart,, sire Jacques Le Poivre, sire Louis 
Rellin, Nicolas du Puek et Pierre Lelièvre, tous anciens pré- 
vôts qui déposèrent leur gravité à l'entrée de la salle. 

Outre cette table de l'aristocratie , il y en avait quatre autres 
suffisamment longues pour recevoir les étrangers et mar- 
chands venus pour visiter le prince : ce qui fesait un total de 
cinq cent soixante-deux personnes à table. Chaque couvert 
avait un flacon d'argent plein de Cervoise , et un autre rempli 
de vfn. Les tables étaient chargées de mets et entremets innom- 
brables , comme on peut s'en faire facilement une idée dans'uo 
banquet flamand, où Ton iie voulait rien épargner et où il s'a- 
gissait de ne festoyer que des bons vivans. Le service ne lan- 
guissait pas ; les viandes se succédaient partout avec une telle 
abondance que dans chaque partie de la salle on se croyait à 
un petit couvert. La salle St. -George avait été convertie en 
office ; elle servit aussi pour la déserte et pour faire souper les 
nombreux serviteurs du banquet , dont les soins et la surveil- 
lance furent si exemplaires , que sur plus de dix-sept cent piè- 
ces d'argenterie dont on usa , il n'en manqua pas une seule; ce 
que nos chroniqueurs ne manquent pas de mentionner en 
ajoutant fièrement que toute cette vaisselle , et celle des deux 
buffets, provenaient de la ville même sans qu'il fut besoin d'al- 
ler à l'emprunt. 



(i) Sire Michel du Quesnqy, «ire Jean de Bracq et sire Nicolas de 
Faulehe, 



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Suivant une ancienne coutume , à là fin du banquet et aTantt 
de se séparer , les princes et prévôts des villes étrangçrea vin- 
rent faire agréer leurs présens au Prince de Plàisanoo d^ Y a— 
lenciennes ; ils consistaient en pièces^ d^rfè^i^erie^, aotiitement^ 
enjolivées , et sur lesquelles cliaque*|^iiieeaTait en^soin de fai- 
re graver , comme souvenir , sa propre devise en rébus de Picar- 
die (^i). C'étaient par ces cadeaux, léetproqueset ces échanges 
d'honnêtes procédés que l'arnît^tt laboMe harmonie s'entre- 
tenaient entre tous les boui^et (»lé»^de la ^eiUe £landre ! 

§ IVv — LE CEIfDBKAIH. 

n n'est point de bonne fèle sans' lendemain : le lundi donc 
on s'ébattit de nouveau, on promena, on rit, on but, on 
chanta et surtout l'on dina. Ou procéda aussi à quelques cé- 
rémonies burlesques dans le goût du tems et du pays. Ainsi , 
VAbbé des Pnw-Pourvus d'Ath , et ses soi-disans religieux , 
voulant jouer leur rôle mystique jusqu'au bout , s'avisèrent 
de dédier et bénir un puits que l'on venait de creuser derriè- 
re la halle au blé. Ils parodièrent d'une façon bouffonne les 
exercices du culte ^ en j employant -mille \x9i\» dignes du fagot, 
dit le dévot d*Oultreman, espagnol de cœur et d'âme. A cette 
époque, on commençait comme on Irvoit à singer publique- 
ment les pratiques du clergé et à les tourner en dérision : la 
réforme n'était pas loin. 

Cette fête se passa sans querelle, sans accident , et avec un 
ordre admirable, grâces à la vigilance des magistratsde la ville- 



Ci) Ménage tire Forigine des Rébus de Tusage anciennement suivi par les 
clercs de Picardie de composer , tons les ans au carnayal , des pièces satjri- 
<|aes sur les ëvënemens dn tems (de rébus quœ geruntur) ces pièces se fe- 
raient surtout remarquer par les allusions et les équivoques. 

(( En réhus de Picardie , 

u Une faulx , une étrille , un veau , 
Cl Cela lait ; élrille Fauveam. n 
Marot. 

Etienne Tàbourot a donné un chapitre tout entier (les rébus de Picarffie^ 
dans les Bigarrures et tovches du seigneur cUs accords. 



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«t aux soins du héraut Franquevie, homme versé dans le$ u^^ 
coutumes et privilèges de chaque corporation : il manqua^ 
ditK)n , totitefois en un' point , en n'appelant pas au banquet 
d'honneur, selon leur rang, les compagnies de Condé et de Bou- 
chain , qui préférèrent se retirer sans souper, plutôt que de ne 
pas occuper la place qui leur était due. Néanmoins te lendemain 
cette affaire de préséance s'arrangea à l'amiable après une ex- 
plication convenable| Ij^eAmould des Cordes, Sr. deMaubray, 
lieutenant prévôt de&a ville , délivra aux habitans de Condé 
une déclaration de non^préjudice à leurs droits qui satisfit 
les amours propi^s blessés dans cette grave contestation. 

Cependant après lédiner du lundi , les étrangers étant toué 
bien repus , bien choyés et se trouvant à peu près sains de 
corps et d'esprit, pensèrent au départ; chacun chercha sa 
place suivant son habit et son rang , et le cortège reprenant 
Tordre dans lequel il avait marché les deux jours préeédens, 
fut reconduit aux limites de la banlieue. Au même instant 
toutes les cloches , les carillons , l'artillerie de la ville se fe- 
saient entendre , et , par l'ordrç du Prince de Plaisance on jeta 
dans les rues , avec profusion , des deniers d'argent nouvelle- 
ment frappés à la monnaie de Valenciennes(i). Ce derniertrait 
de générosité du prince fut accueilli par les vivat du peuple qui 
ne se fatiguait pas de crier : « Largesse/ largesse ! du puissant 
prince de Valenciennes ! » 

Cette fête de Plaisance eut du retentissement dans le pays 
et laissa surtout de profonds souvenirs parmi les habitans de 
Valenciennes ; ce qui le prouve c'est la longueur des détails 
conservés par les chroniqueurs du tems qui se sont complu 
dans cette relation , détails qu'on nous pardonnera d'avoir peu 
abrégés, comme étant une naïve peinture des usages d'une 
époque, qui éveille aujourd'hui assez vivement la curiosité de 



) T. s bâtimens de la monaaie de YaleDcienQcs étaient sitaës vis-à-vi» 
ifct S*.-Géry;ils furent vendus par Charle-Quint et vinrent en la pos- 
\m Ufi la famille Desmaizières. Une Tiorrc^enV est aujourd'hui établi« 
"ir € ni placement. 



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^33; «« 

là géDération nouvelle. C'est une mine riche en observationd î 
Ceux qui aiment les rapprochemens moraux^ auront remar- 
qué qu'en Flandre, sous Charles-Quint, les seigneurs d*Am-* 
froipré , de Douchy et tant d'autres , se trouvaient presqu'en 
ligne avec les artisans des villes et les vilains des campagnes ; 
C'est tout au plus si les réformes des révolutions modernes ont 
amené aujourd'hui un nivellement aussi complet que celui 
produit au moyen âge par la magie du plaisir. Ceux qui re-« 
prochent au tems présent son luxe et sa dépense , trouveraient 
ils cette mer de velours et de dama» qui inondait alors nos pla- 
ces publiques ? Ceux qui s'attachent aux comparaisons statis- 
tiques penseront-ils qu'aujourd'hui les pauvres communes de 
Bbuchain et d'Hasnoh puissent équiper ensemble cent soixan- 
te cavaliers couverts d'or et de soie? Apres de tels récits toute- 
fois on commence à. comprendre les lois somptuaires de Char- 
le-Quint et les reproches de dissipation faits souvent à nos 
pères par des historiens qu'on accuse d'être moroses et cha- 
grins. 

Une dernière remarque , accompagnée d'un regret , vient 
frapper le lecteur ; c'est l'absence de toute participation active 
des femmes dans ces fêtes brillantes. Quia pu les empêcher d'y 
figurer? Ëtaient-ce les soins d'intérieur, qu'en bonnes ména- 
gères flamandes elles devaient donner pour la réception des 
étrangers qui occupaient chaque maison ? Serait-ce à cause de 
la crudité ^es propos de table, ou de la licence des scènes po- 
pulaires représentées publiquement? Quoiqu'il en soit de ces 
suppositions , nos pères n'ont pas toujours ainsi manqué aux 
lois de la galanterie ; suivant l'historien d'OuItreman , Jean 
Bernier, en i334, offrit un paon en concours à la plus belle 
compagnie des rues de Valenciennes ; la rue Delesauch empor^ 
ta le prix , en représentant sur un char de triomphe , les vingt- 
deux preux compagnons d'Alexandre-le-Grand , avec autant 
de jeunes filles revêtues de robes écarlates fourrées d'hermine j 
il est probable que les demoiselles eurent bonne part au prix. 
En la même année, au grand banquet donné par le même Ber- 
nier, aux Bois de Bohème et de Navarre , aux comtes de Flan- 
dre et de GueWre et à tant d'autres grands seigneurs , alors 



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que les riches bourgeois de Valencieniies traitaient chez eux 
des têtes couronnées , il y eut six tables et ebaque noble con- 
vive avait près de lui une dame Yalencîen noise, ce qui ne con- 
tribua pas peu à Tagrément du repatr Enfin , en i435y ks 
jouteurs de Yalenciennes allant à la fête du Roi de PEpineUe, 
à Lille y furent suivis de deux chariots couverts d'écarlate, où 
étaient leurs dames. Jacques Grebert , Yalenciennois j j gagna 
le prix des joutes , et fut mené en triomphe , par quatre damoir- 
selles, dont il n'oublia pas de recevokr raecolade, accompa- 
gnement plus précieux que le prix décerné. 

Ainsi donc y l'absence des dames à la ftte de i54B n'était pas 
dans les mœurs du pays et doit être seulement attribuée à quel- 
que circonstance particulière; les hommes de plaisir entendent 
trop bien leurs intérêts pour s'isoler du beau sexe , et si la 
Fête de Plaisance devait rigoureusement se passw sans l'assis- 
tance des dames j il Mlait changer son nom. 

Arthur Duiaux» 




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%t0 ^vttcvîiftitt 



Cette ancienne maison est originaire de Franche-G)mté, et 
établie dans Les Pays-Bas depuis la fin du i5® siècle. Le surnom 
primitif de cette famille était Caronde; mais Jean I®'^ baron 
de Chauldey , dit Caronde , ayant reçu de Robert 11^ duc de 
Bourgogne, dont il était aimé , le sobriquet de Carondelet, à 
cause de sa taille petite et ronde , l'adopta comme nom propre 
et le transmit àses descendans. 

Jean Carondelet IV, forestier héréditaire de Bourgogne, 
s'attacha au service de Philippe-le-Hardi , et fut fait pri- 
sonnier avec Jean Sans-Peur, devant Nicopolis, le 28 sep- 
tembre 1396. Le comte de Nevers rendit témoignage de son 
intrépidité en lui donnant un bouclier sur lequel étaient 
gravés les mots Aquila et Léo y que les Carondelet ont pris 
depuis lors pour leur devise. Jean Carondelet paya 7,000 
florins de Florence pour sa rançon et revint à Poligny , où 
il desfenàa beaucoup j dit un ancien titre, en jouxtes et tour- 
nois, délaissant ses enfans pouvres gentilshommes. 



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Jea^ \îf mi nistre du duc Charles-le-Hardi^ fut cbâi^é par ce 
prince^ en 1 469 y de l'acquisition et de la prise de possession du 
comté de Perrette. L*année stiiirafiteilfut envoyéen ambassade 
auprès de LouisXI,pourse plaindre du traitédésavantageux que 
le duc de Bretagne avait été obligé de conclure, à Tinsu de sott 
allié, le duc de Bourgogne; il vint s'établir dans les Pays-Bas, 
et en 1 478 , 1 archiduc Maximilien le nomma son grand chan'- 
celier civil et militais. 11 fut chargé en i493, avec Margue- 
rite d'Yorck de la tutelle de Tarchiduc Ptiilippe, depuis roi 
d Espagne et père de Charles-Quint. Le chancelier montra un 
grand caractère dans les négociations qu'il soutint auprès des 
ministres deCharlesVIII, roi de France, au sujet du mariage 
de ce prince avec Anne de Bretagne qui était fiancée depuis^ 
plus d'un an avec Tarchiduc, et malgré rengagement contracté 
par Charles VIII envers Marguerite d'Autriche, fille de Maxi- 
milien. Il osa dire que la maison d'Autriche garderait mémoire 
de ce double affront ; que le roi des romains et Tarchiduc sa- 
vaient à quelles alliances ils devaient attacher du prix et qu'ils 
n avaient point coutume de prendre là-dessus lavis du roi de 
France. $ 

Lors de la révoltedes babitanddeCandetdeBruges^ en 1488, 
il fut arrêté avec Maximilien et emprisonné par les séditieux 
qui voulaient lui trancher la tète, comme on Tavaif fait na- 
guères à son prédécesseur. L'empereur Frédéric venu au se- 
coui^ de son fils , fît camper son armée à une lieue de Gand. 
De là, il envoya aux Gantois un héraut pour les sdmmer de 
rendre la liberté au chancelier et aux neuf autres seigneursdé- 
tenus ainsi que lui. Ce fut alors que le doyen des cordonniers 
accompagné de trois confesseurs , des sacremens et de vingt- 
deux satellites, entra dans la prison pour y faire décapiter les 
détenus les plus distingués, et envoyer enduite leurs tètes à 
l'empereur, dans des sacs de cuir tout préparés. Cette horrible 
exécution auraiteu lieu , sans lagénéreuse intervention du duc 
Philippe de Clèves. Pendant ce moment d'angoisses, « Ma- 
)) dame la chanceliêre ne cessait, dit Molinet , d'aller diligen- 
» ter et intercéder l'ung à l'autre ; et de faict elle rencontra sur 
» les rues Adrien de Rassenghicn et Copenollc , et illec post-^ 



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i> posant toute crainte de noblesse , suppliant pour le salut de 
Dson mari, qui lors lui touchoit plus que nuls riens, se rua 
» devant eux à genoux en l'abord, comme feroit une simple 
3» povre femme devant les plus grands princes du monde. » 

Cette ëpouse dévouée était Marguerite de Chassey , que le 
%bancelier avait épousée à Dole , en 1466. Les dernières an nées 
de Jean de Carondelet furent attristées par les revers de la dis- 
grâce. Plusieurs fois son crédit avait été ébranlé par les intri- 
gues de l'envie. On est étonné de trpuver parmi ses adversaires 
Jérôme Busleyden qui s'est acquis une juste considération par 
des services éminents. Quoi qu'il en soit, Parcbiduc, vaincu 
par les observations des ennemis du chancelier, le fît venir à 
Breda, oii était la cour et lui redemanda les sceaux au commen- 
cement de décembre i^^6 , sous prétexte de son âge avancé et 
de ses infirmités. Retirée Malines, il y mourut le 21 marsi5oi, 
âgé de 73 ans. L'académie de Bruxelles ayant mis au concoura 
en 1786 , l'éloge du chancelier de Carondelet, le prix fut rem- 
porté par Mad"® Marie -Caroline Murray. Lesbroussart, 
connu par une bonne édition des Annales d'Oudegherst 
et par d'autres ouvrages estimés , obtint une mention honora- 
ble. Les deux discours ont été imprimés avec des notes histori- 
ques, in-8^, Bruxelles et Liège, 1786. 

Le chancelier eut onze en fans , dont cinq fils, qui tous 
4Dccupèrent des postes élevés à la cour de Charles- Quint. 
!Nouâ ne citerons ici que JsAff de Carondelet, né à Dole, 
-en *4^9' ^* homme est avec Ferri de Clugny, son contem- 
porain , l'un de ceux à qui l'on peut reprocher le cumul 
scandaleux d^une foule de bénéfices. Il était écolier à Lou- 
va in et n'avait encore que dix ans, lorsqu'il obtint dans le 
chapitre de Cambrai , un de ces beaux danonicats qui pro- 
duisait un revenu annuel de dix mille livres. Il conserva 
cette prébende jusquen i5ai. Elu en i493 haut doyen de 
la métropole de Besançon, il était en outre chanoine deSt.- 
Sauveur d'Haerlebecq et de St.-Donat de Bruges, prévôt des 
coll^ales de Furnes et deSeclin en Flandre, et abbé commen- 
dataire de Mont-Benoit, au comté dé Bourgogne. En i52o , 
il fut nommé archevêque de Palerme et Primat de Sicile ; puis 



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chancelier perpétuel de Flandre et prévôt de St.-Donat. £a 
i53i y on l'appela à la présidence du conseil privé des Pays- 
Bas et des finances : il parait que tant de biens n'étaient pas 
encore proportionnés aux besoins ou au mérite de ce pillât , 
puisque Cbarles-Quint y joignit des pensions sur la recette des 
domaines de Flandre^ par lettres-patentes, datées de Matines, 
le 6 mars i523. Du reste il fît quelques fondations utiles et 
acheva de ses deniers le collège de St.-Donat à Louvain , à con- 
dition que la présidence et les bourses en seraient à perpétuité 
à la nomination du chef de la maison de Carondelet. 11 était^ 
lettré, etFoppens lui a donné une place honorable dans la 
Bibliothèque Belgique, t. 2 , p. 6o5, oit l'on Toit son portrait, 
par C. Yan Caukercken. Il avait écrit des consultations et des 
observations de droit qui ne se retrouvent plus. Il est en outre 
auteur d'un traité de Orbissitu: Anvers, i563. Il était en 
relations avec Erasme et Hermolaus Barbarus qui lui ont 
adressé plusieurs lettres que l'on a conservées. 

François de Gajiondelet, descendant de Ferri , cinquième 
fils du chancelier, refusa en.i6a6 l'évèché d'Arras , que l'in- 
fante Isabelle lui avait offert. Il était alors chanoine et archi- 
diacre de Brabant en l'église de Cambrai. En i6a8^ il fut éle- 
vé à la dignité de doyen de cette métropole. Investi de la 
confiance d'Isabelle, il fut envoyé par cette princesse en An- 
gleterre avec le marquis d'Inojosa et I>on Carlos Coloma, pour 
n^ocier eh faveur des catholiques , auprès du roi Jacques P'. 
Plus tard, quand la reine, mère de Louis XIII, s'enfuit en 
i63i, deCompiègne à Bruxelles, l'infantechargea le doyen de 
Cambrai d'aller en France traiter de la réconciliation de la mère 
et du fils. L'accueil distingué qu'il reçut du cardinal de Riche- 
lieu et une croix de diamans^ du prix de deux mille écus , que 
lui offrit Louis XIII lui-même, fournirent aux courtisans qui 
enviaient la prospérité de Carondelet une occasion favorable 
pour le perdre. On persuada à la gouvernante des Pays-Bas 
que le doyen de Cambrai était entré en pourparler avec Ri- 
chelieu , pour engager George de Carondelet , son frère, gou- 
verneur deBouchain , à livrer cette place aux Français^ et qu^on 
lui promettait , pour prix de cette trahison , le chapeau de car- 



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dinal. On aTait soin de faire cdîncider cette accusation avec 
les bruits qui couraient que le gouverneur de Bouchain avait 
eu part aux manifestes que venait de publier le comte Henri 
de fierghes pour pousser à la révolte la noblesse des Pays-Bas. 
Greorge de Carondelet fut tué àBouchain , le 9 avril i633, dans 
une sédition militaire. Quant à François > Tinfante le fit ar- 
rêter et enfermer dans le couvent des Augustins de Bruxelles , 
où il travailla à un mémoire justificatif qu'Isabelle reçut fa- 
vorablement. Le dojen serait sans doute rentré en grâce auprès 
de cette princesse^ si elle n'était morte cette même année le 1*' 
décembre. Loin de lui rendre la liberté^ on le conduisit à la 
citadelle d'Anvers^ où il mourut le 39 octobre i635. 

Au moment où éclata la révolution de 1789^ le chapitre métro- 
politain de Cambrai possédait deux chanoines du nom de Ca- 
rondelet ; Tuu , Alexandre-LouisBenoit^ dit Tabbé de Caron- 
delet-Nojelle, était théologal , grand ministre de la métropole, 
vicaire général du diocèse, premier député du clergé aux états 
du Cambrésis , etc. Il a laissé divers mémoii^es sur l'adminis- 
tration politique , civile et religieuse du pays. Il avait en ou- 
tre recueilli et mis en ordre beaucoup de documens histori- 
ques et généalogiques dont la plupart sont conservés à la bi- 
bliothèque de Cambrai ; l'autre^ M. Albert-Charles-Domini- 
que, baron de Carondelet-Pottelles, dernier descendant mâle 
de la branche aînée de cette antique maison , est encore vivant. 
Mé le 16 octobre 1761 , il fut élu le 11 juin 1784 pour occuper 
le canonicat réservé à un juriste dans le chapitre de Cambrai. 
Ce vénérable vieillard s*est toujours occupé et s'occupe encore 
aujourd'hui, dans sa retraite de Pottelles(i), près leQuesnoy, 



(1) La terre de Pottelles, qui relevait des souyerains du Hainaut , fut pos- 
•ëdëe successivement par les maisous d'Hennio Liëtard, de Poitiers et de 
Mortagne. Le chancelier de Carondelet en fit l'acquisition peu de tems après 
son arrivée dans les Pays-Bas , vers 1469. C'éuit le chef-lieu et le séjour de 
la seconde branche , devenue depuis Fainëe de la maison de Carondelet. 

Noyelles-suT-Selle avait donné son nom à la 4^ et dernière branche des 
Carondelet. Le château et l'église de Noyelles renfermaient des pierres tu- 
mnlaires qui offraient de Tintërêt sous le rapport historique. Ces monumens 



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de recherches historiques sur le Hainaut y le Cambrësis et la 
Flandre. 

Son frère aine , François -Marie-Joseph , vicomte de Caron- 
DELET, of&cier au régiment d'Auxerrois, blessé en 1782 , à la 
prise de St. -Christophe, en Amérique, épousa à Cambrai, 
le 4 octobre 1784, Angéiique-Rose-Magdeleine- Adélaïde, fille 
du célèbre comte de Turpin de Crissé, lieutenant -général, 
inspecteur-général de cavalerie , etc. Il a publié une traduc- 
tion de Tibulle en vers français, ln-8® , Paris, Buisson, 1807. 
Il est mort en 1816. 

Le Glay. 



ayant été dispersés vers la fin du siècle dernier , on en retrouve anjoord'liai 
des fragmens épars dans les habitations des fermiers de Noyelles , qui en 
ont décoré leurs jardins. 



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PROÊM E« 



LoYS DE La Fontaine, dit Wicart , seigneur de Sal- 
monsart 9 né à Valenciennes au mois de février 1522 , 
mort à Liège vers 1587 (1) , a composé un ouvrage 
étendu sur les antiquités de Valenciennes qui est res- 
té entièrement inédit. La bibliothèque de cette ville 
en possède une copie du XVP siècle , en assez mau- 
vais état et qui présente plusieurs lacunes ; un manus- 
crit bien conservé de ce recueil , orné de dessins co- 



(l) Il était arrière-D6Yeu d'un Jean de La Fontaine qui n'a rien de com- 
ronn que le nom avec riUu&tre fabuliste, et dont nous avons : La Fontaine 
dLes amoureux de science^ plusieurs fois imprimée. Outre le Recueil des an- 
tiquités de Valenciennes , le seigneur de Salmonsart a encore composé des 
Commentaires surtout ce qui s'est passé aux Pajs-Bas depuis les troubles 
(de i566] jusqu'à sa mort, plus la Relation d'un voyage qu'il fit à Jérusalem > 
ouvrages qui sont tous inédits. Cette famille de La Fontaine avait pour de- 
vise : Rien ne soit trop de La Fontaine, 



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loriés , fut vendu publiquement i il y a environ trente 
ans y à Valencieniies ; il provenait du docteur Du- 
fresnoy (André- Ignace- Joseph), Feu M. Bourdon 
d^Héry, possesseur dWe riche bibliothèque, en fit 
Facquisition pour un somme de 500 fr. environ. De- 
puis le décès de ce dernier, ce livre est passé par suc- 
cession dans les mains de M. Ewrmrd^ de Douai. 

. Le poème que nous offrons au public existe dans 
cet ouvrage de La Fontaine , qui s^en est servi pour 
former le 20* chapitre de son deuxième livre, et c^est 
à cet auteur qu^on en doit probablement la conser- 
vation. 

Nous avons coUationné attentivement le texte de 
ce poème sur le mss. de la bibliothèque de Valencien- 
nes et sur un autre mss. de ces vers seulement , d^une 
écriture du XVIIP siècle , que l'un Aq nous possède. 
Ces deux versions , dont la dernière ne semble pas 
avoir été prise dans lUûstoire de La Fontaine , ce ^ui 
était un avantage , nous ont offert plusieurs différen- 
ces ; Tune a souvent servi à faire comprendre Fautre, 
mais malgré tous nos soins des doutes nous sont par- 
fois restés sur FinterjMrétation ou Fexactitude de cer- 
tains passages. Nous avons regretté de ne pouvoir 
consulter Fexemplaire de Douai et de ne pas avoir 
en notre possession, pour quelque tems, une copie 
de ce poème appartenant à M. MoUeley y et qui.a plu- 
sieurs fois attiré Fattention du savant M. Monmer- 
qué. Cette dernière copie parait plus ancienne que le 
mss. de La Fontaine , elle est sans doute antérieure 
à Fexistence de cet auteur et nous ignorons d'où elle 
provient. 



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A qui le seigneur de Salmonsart avait-il emprunté 
ces vers? Nous Tignorons. Cet historien ditseulement 
comme on le verra par la note transcrite à la fin du 
poème, qu^il le^ a tirés à^un bien vieulx libure. 

Ainsi du vivant de Loys de La Fontaine cette piè- 
ce de vers était déjà curieuse par son ancienneté. 
Elle Pest devenue bien plus depuis lors ; c^est aujour- 
dliui un monument précieux de mœurs et de langa- 
ge et la rime nous y décèle encore souvent la pro- 
nonciation première et ignorée de plusieurs mots. 

Toutes nos recherches pour découvrir Fauteur de 
cette narration ont été infructueuses. 

Cet auteur est bien certainement du pays ; il doit 
être de Valenciennes même; il en connait trop bien 
les localités et les personnes : ce serait alors un des 
premiers cignes qui am*ait fait entendre sa voix dans 
cette riante partie de la vallée de TEscaut ; voix peu 
harmonieuse , bisarre , mais non sans finesse ni sans 
agrément. 

L^action se passe en 1311 , le récit en a été fait plus 
tard mais dans le même siècle. Nous avons examiné 
toutes nos renommées de Tépoque et nous n^en voy- 
ons qu^une à qui cette espèce de fabliau pourrait , 
avec le moins d^invraisemblance , être attribué , c^est 
Froissart. Si nous avions rencontré juste nous ajou- 
terions que ce sont des vers de sa jeunesse , de son 
meilleur âge poétique. Comme dans les poésies con- 
nues de cet illustre Valenciennois , on trouve dans ce 
poème de la raillerie sans grossièreté , de la malice 



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sans licence ; etTexpression , la tournure de la phrase 
en sont souvent les mêmes , ainsi quHl apparaîtra de 
quelques citations. Ce poème une fois imprimé, de 
plus habiles que nous feront peut-être facilement 
tomber cette conjecture et diront à qui cette produc- 
tion appartient. 

Le fait anecdotique qui fait le sujet de cet ouvrage 
nVst, à notre connaissance, consigné dans aucun li- 
vre, mais , à Valenciennes , la tradition Fa transmis 
jusqu^à nous; on ignore les vers auxquels il donna 
lieu , mais on y cite encore des circonstances de ce 
singulier combat entre des Dominicains et des Car- 
mes. La vive et longue impression que cet événement 
fît sur les esprits prouve qu^un tel scandale était rare, 
au moins dans nos pays. Ce scandale ne peut se jus- 
tifîer , mais il s^explique par quelques détails intéres- 
sans de ce poème : on y voit les énormes avantages 
quW sei'vice fiuièbre rapportait alors dans certains 
cas au clergé , et Ton conçoit quW riche cadavre 
pouvait devenir, pour plusieurs, Fobjet d^une ardente 
convoitise. 

A. A. 



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El esl OD courducbiez souveût , 
Ce TOUS ay-je bien en convenl (i ) -, 
Et qui plus enqvtert ledéduict 
Tant en traict plus de nurlies nuicto 
De froid sentir et de veiller , 
Or me Tueil à ce travailler 
De rimer ce quon ma compté 
Qu'advenu esl en la comté 
De Haynault. En celle saison , 
90 Ung chevalier de sa maison 
Sesl départy, a peu de gens , 
Sur ung pallefroy bel et geni; 
Sire estoil il de fierlaymont (2] , 
Ainsy que les gents compté m'ont; 
Esprivier portoit sur son poing, 
Ne scay s'alla au gibier loing , 
Ou fut à camp , ou fat k ville ; 
Mais ce sçacbiez , vous tous sans guille (3) 



cette époque iait conférer le titre de maître, comme l'obtinrent Aristote, 
le Blaltre des sentences et plos tard Ronsard, surnommé le prince des poètei? 

{}) Avoir en convenir expression que nous rencontrerons plusieurs fois 
dans ce poème ; elle était fort usitée à cette époque ; mais c'est surtout daos 
les poésies de Proissart qu'on la rencontf c plus S9ilvent Je vous ai en cou- 
vent, TOUS êtes à! accord a?ec moi. Convent, cont entr 5 de convenire, te- 
nir avec y se raiiger au même avis , même se livrer à des actions analogues ) 
par suite on a dit y en bonne et en mauvaise part^ de personaes dont les ma- 
nières d'être se ressemblaient, quelles se couvenaient. 

(3) Barlaymont ou Berlaymont, ancien bobrçde H province du Hainaut* 
situé sur la Sambre entre Maubeuge elLandrcsica, qui est aujourd'^hui cbef- 
lieu decanton de l'arrondissement d'Avesnes. Ce lieu a donné sou nom à une 
ancienne et puissante famille du Hainaul alliée aux nobles maisons de Ligne, 
Lannoy , Lalaing , Gavre , d'Aremberg , d'Heunin , d Audregnies , de Bri- 
almoot, Rotselaer, etc. Elle a fourni un archevêque de Cambrai , un gou- 
verneur de Namur, et plusieuis chevaliers de la Toison d'or. Les armes des 
seigneurs de Berlay mont étaientyacéea de vaîr et de gueuUes , de six piè- 
''es'ylt beau ne couronné d'or; pour timbre: un lion assis, d'or, lampaasé de 
gueulles , tenant une banderolle au blason de l'écn , la lance d'or. Hache- 
mens , d*argeni et d'azur. 

(3) Ouille, rnsȔ , dc^nisement. 



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Qu'il avait souvent le gibier 
5o Et de femme et d'esprivier. 

Eu l'un de ces deux desvoya ; 
Donc a ses gens moult envoya (i) ^ 
Mais je ne scaj auquel ce fut. 
En sa maison mort porté fut. 
Le corps on faict appareiller , 
Glercz manda on pour verseiller , 
Et beau drap d'or et luminaire , 
Tel que à tel homme convient Caire ; 
Puis manda on des chevaliers 
4o Des damies et de^ escuiers 

Pour faire plus d'honneur au corps. 

Là endi'oit , fut prins ung accord 
Qu'à Vallenchiennes seroit mené i 
A cens du carme seroit donné $ 
Car il estoit passez cinq^ans (i). 
Ce disoit mesire Jean , 
De Vallenchiennes , au pied tord , 
Et dict que on leur feroit tort 
Sen leur moustier ua sépulture, 
ôo Mais par l'hostel va le murmure 
Que de Luxembourg la comtçsse (3) 
Aux Jacopins at faict promesse 



(l) Far ce vers , placé comme ea parenthèse entre celiïi qui précède et 
celui qui suit , l'aoteur dit que le scigiuiur de Berlairaoût * en mourant , lé-' 
gua beaucoup de biens à ses gens. L'amour de la cbassç et de la volupté 
disposent souvent à la gënërositë. 

(a) Une venion porte commenu lieu de car il était t etc.> ce qui n'éclaircit 
pas mieux le sens de ce vers. 

(3) « BéatriXfûWe de Baudonirt , seigneur de Beaumont, nasqult enr 
l'hôtel de Beaomont (à Valeocienues)/ depuis appelée de Luxembourg , k 
raison que ladite Beatrix espoosa Henry, deuxième oomte de Luxembourg i 
auquel Baudouin d'Âvesnes , seigneur de Beaumont^ son beau-père, qnitt::» 
cette maison qu'il avoit achetée et bastie en la paroisse St.-Nicolas. Cesir 



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Quelle fera tout son povoir 
Quilz puissent le corps avoir , 
Et ce quy en peult escheir. 
Lez la dame s'alla seir 
De Berlayroont , et si luy prie 
Que une chose lui octrye 
Pour Dieu quelle veult demandt*r. 
60 « — Ne vous est fors que commander 
« ( Dict la dame qui fort plouroit ). 
a — (Dict la comptesse ) bon seroit 
a Qua Vallenchiennes envoions 
a As Jacopins , et leur mandions , 
« De par vous, quilz auront le corps, 
o — Envoyez y c'est mon accord 
a (Dict la dame] puis quil vos plaist » 

A tant la comptesse se taict ; 
Dillec se lieve ^ et puis se tourne 
70 Devant le corps à chiere mourne ( 1 ) , 
Disans ses patinostres dambre. (3) 
Si passa oultre en une chambre , 
Ung varlet a faict appeller, 
Moult bien tailliez de tost aller. (3) 
(c — ( Dict la comptesse } tu yras 
(c A Vallenchiennes , si diras 
« As Jacopins et au prieur , 
« Mes chiers pères et religieux , 



Beatrix , depuis que Henry, son fils , fut empereur^ donna ceste sienne niai'- 
son à Dieu, et j fonda le monastère qu'on dit deBeaumont, qui est des 
religieuses d« l'ordre de St.-Dominicq , où elle fut enterrée au mars de 
l'an MCCCXX , ce qui se vérifie p ar le livre d'obits dudit monastère. » 
(D'OuLTREMAN , Histoire de f^alentiennes, -p, 55 1.) 

(i) Chair marte. 

(2) Expression assez remarquable pour exprimer des prières re'cite'es sur 
uu chapelet dont les grains étaient formés d'ambre. 
/3)f Taillé pour la course. 



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« Que la hesoigDe est accordéf» 
80 « Du tout en tout , et ordoooée 

« Comme je laj euz en couvent ; 

a Salue moj tout le couvent , 

ft Et baille au prieur ceste lettre 

« Et pour Dieu veuille permettre 

« Qu'eromicts vous y puisssiez gésir (1). 

« — Douce dame , je le désire 

« ( Faict le varlet } » , et puis s'en tourne. 

Ne cuidez pas qu'il se séjourne ; 

Ains , s'en va tost plus gr^inde alleure 
90 Qu'ung cheval ne porte laroblure , 

Tant que tempre est venuz assez ; 

Mais sacez bien quil fat lassez. 

En leur maison est venu droict. 

Le prieur trouva orendroict. 

Qui confessait une béguine , 

L'ung vers l'aultre la teste encline , 

En ung anglet en leur parloir 

Ung bien pety povoit paroir 

Quelles ne fussent accouvertes 
loo De leurs capprons tous les deux testes. 

Le valiez, qui fut bon coropaing. 

D'eui regarder sest ung peu faing , 

Et faict ainsi que rien ne voye ; 

La beghines'en va sa voye. 

Le prieur se part de langlet (2) 

Sy est venu droict au varlet, 

Puis luy demande a quy il e»i 

IN'e quelle besoigne la^fens quiert (3). 

« — Sire , à vous apporte une lettre 
1 10 « Que la comtesse faict transmettre 

tt De Luxembourg , votre chièiw fille. » 



(i) Parmi les moines vous puissiez être, (2) Du coin. 
(3) Clierche céans. ^ 



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tt Sur eiilx deux festoit (i) iFèro Gille, 
« Quy vid le valet au prieur. 
M -^ Varlet , or dictes k nous deux , 
ce Quy on dictquy aura lecorpsT 
« -^ Sire les gens dient dehors 
« Que la oomtesse kt promis 
« Quil y soit céans en terre mis 
« Je crois quil est en yostre lettre. 

1 30 « — Frère Gilles , faictes luy roeltre 
a Une table , sy souppera ; 
a Par St.-Dominiqae , il aura 
« Bon vin et bon poisson assefe , 
« Car je sçay bien quil est lassez 
« Et travaillez de cy venir » 
« Je vous en lairay convenir , 
a Frère Gilles , ( dict le prieur ). » 
A une part se traict tout seul , 
La lettre commença à lire. 

1 3o Quant leut leue , se print à rire ; 
Puis sen revint droict au varlet , 
Et lui demanda : — « Gomment t'est ? 
As tu bon vin et bon poisson ? 

— Ouy , sire , à graad foison. 

— Frère Gille ( dit le prieur ) 
Nous ne sommes cy qiie nous deux. 
Or nous donne par courtoisie , 
Ung peu^ de frommaige de bri^ 

El plein poichon de vin d aosoâre (2) 



(1) De Pestinare , se hâter. 

(2) Ansoire^ ançoire , que l'on prononçait jadis dans le Hainaut anchoire, 
ftigoifie Auxerre (en Bourgogne) ; ce mot parait bien ancien, et il est as- 
set remarquable que l'historien d'Oultreman, remployant à la fin du XVP 
siècle , crut devoir l'expliquer, ce qu'il ne fit qu'avec réserve , ainsi qu on 
va le voir : a Nos ancestres nous ont si curieusement laissé la mémoire de 
» ce repas (Banquet des Berniers, en i334)> qu'ils nous ont bien voalu 
» deschlfiêr les mets et entremets, dont les princes et seigneurs furent 
» servis en ce banquet ; et les vins pareillement dont ils burent » de six 



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r 



5^357 tm 

1 4o Et d« calleiil vueil une poire (1). 
— (EMct frère Gilles) « volontiers, » 
Quy fut bon compaing et entiers (a) 
Quérir le va , ne sen déporte , 
Et avec ce ung voir ($J aporte 
De flequier (4) précieux et grand. 
Le prieur le prend errant fSJ 
Puis le pot prent , et puis il verse , 
Qui moult aime begume enperse , 
Puis boit un grand traict de ce vin. 

1 5o « — Foy que je doibz St. Augustin , 
tt Ne que je doibz à St. Francbois , 
« Cil cj vault mieux que vin franchois. x> (6) 
Puis dict au varlet : a — Or beuvez , 
«i Par la foy que vous m'y debvez , 
« Et sy mengez de cest poire , 
a Gif elle est bonne , sy povez croire. » 



» sortes : «pie le sieur Jean Beroier avoit de pioviiion en ton hoetel. Cest 
» à sçavoir : vin de saint-Ponnain, vin de saint Jean, vin d'Anchoiie ( je 
» crois qu'ils vooloient dire Auxerre) vin de Beaulne,vin de Rhin et vin 
» de Tnbiane. 

On m*en poet loyalement bien croire , 

Que grand soif i*ai , 
Mais ce n'est pas de vin d*Ancoir« , 
De Saint-Poursain , ne deSançoirre. 
Froissàrt. 
(1) Poire de calville. (a) De tout cœur. (3) Verre. 

(4) Ptéquiery c'est sans doute le village de ce nom, situé dans POstre- 
vent 9 entre Bouchain et Douai , à une lieue et demie de cette dernière 
ville, et mentionne dans le Dictionnaire géographique d'ExpiUj [III, 
179]; on n'y compte plus, dit cet auteur, qu'un seul feu, ce lieu ayant 
ëtë ruine. Aujourd'hui ce village , jadis important , puisqu'il y exbtait une 
verrerie dont les produits étaient renommés, a entièrement • disparu. Il 
n'est mentionné dans aucune statistique. Nous n'avons pa trouver par 
quel événement i\ fut ruiné. 

(5) A l'instant. 

(6) Gomme l'a judicieusement remarqué le Grand d'Aussy, on distinguait 
jadis, dans la conversation , la France et la Bourgogne ; on entendait par 
le premier pays les provinces qui étaient domaines dp Roi , qui lui appar- 
tenaient en propre ; et l'on fesait une différence de cellies dont il n'était que 
suzerain , et qui , comme la Bourgogne , avaient leur souverain particulier. 
Ainsi Auxerre n'était plus la France. C'est par suite de cette distinction 
que le peuple dit encore quelquefois aujourd'hui Saint Denis en France. 



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2» 358 «s 

Le varlel mangut (i) et sy boit , 
Puis print coDgiezainsy qne doibt , 
Deulx se lieve et va sa voye , 

160 Et le prieur sy le convoyé , 
Jusques à iissue de leu porte. 
Ungaultre frère luy aporte 
Unes cauches de bon blancquet j (^2) 
Le prieur le donne au varlet 
Le valet forment le merchye. 
Le prieur illec ne detrye (i) , 
En leur calpitre revint droict. 
La cloquette sonne orendroict. 
Et a le couvent assemblez ; 

170 Et puis sy a eulx parlé , 

Et leur dict tout , en audience 
Afin que chacun deux Tentence , 
La messe du corps et l'offrande : 
tt — La comptesse ainsy le me mande , 
a Foy que devois à Sl.-Martin , 
« Or nous levons demain matin 
a Parquoy soyons des premiers hors 
« Quand on yra contre le corps , 
« Car toutes les processions 

1^0 a Y seront et religions. 

«c C'est bon que soions premerain 
« Allons dormir jusqu'à demain.» 
Ainsy le laissèrent estre. 

De ceulx du carmes veult conter 
Quy ont ouy ces nouvelles , 
Quy ne leur sont bonnes ne belles , 
Et ne cuidez point qu'ils sesuayent (/^J 



(1) Manducat. 

(2) BlanqueriuSf daos la basse latinité, signifie chamoiseur ; des 
cauches de bon blancquet , sont sans doute des chausses de chamois. 

(3) Là ne tarde. 

(4) Se persuadent ; peut-être de suadere. 



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Que bien par force le corps naient , 
Car ils sont josnes, (olz et escout {i)t 
190 Se vouldront mettre tout par tout. 
Et dient a cuy qu'il ammict f-i) 

Ainsi le laissent celle nuict 
Jusques à demaing quilz se levèrent, 
Des premerains s'appareillèrent 
A toute leur procession 
Mais ce fut sans dévotion. 
Puis s'appareillèrent Jacopius 
Frères mineurs et Augustins , 
PrebsteSy curez , €t moisnes noirs , 

309 ^^ chacun iaict bien son debvoir. 
Premier sanoient les carmois , 
Qui chantoient à haulte voix , 
Que Dieu fist à Tame pardon ; 
Droict vont à la port' Cardon 
Si s'acheminent vers BeauUeu (SJ ; 
Là , tient chacun moult bien son lieu. 
Touts les ordres après eui vont , 
Tant que les gens approchez sont, 
Les bannières et les chevaulx 

910 Et les varlets montez sur iaulz, 
Qui à leurs cors ont leurs escus. 
Dont les pointes sont pardessus ; 
Cestoit lusaige de jadis. 
Les Carmois cheminent tondis , 
Tant que le char du corps approchent ; 
Et Jacopins forment seforchent. 



(i) P^tulans. 

(2) Ce mot, employé comme verbe , n'est explique dans ancnn glossaire 
nous croyons qa'il vient â^amicire, vdtir ; ce vers présente alors un sens fa- 
cile : Et dUeni à chacun qu! il prenne ses vétemens , c'est-à-dire qufil 
f^apprête. 

(3) La partie du village de Marly la plus voisine de Valenciennes se 
nommait jadis Beaulîeu; aujourd'hui même une certaine portion de 
terrain a conservé ce nom. 



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Tant quilz se sont mis des premiers y 

Qui estoient ores les derniers. 

De leur croix boulent tout devant ; 
330 Les Carmois les vont perchevant , 

Sy se meslerenl avec iaulx. 

Bien y polront donner des caulx 

De la croix aves le baston 

Si convenir les en laisse on ; 

Ouy, se Dieu plaist et tous saincts ! 

Le char sarresl premierains 

Du corps , et tous les aultres après , 

Qui du car estoient assez près » 

Descendirent emmy les champs. 
93o Ces ordres eslevoient leurs chants ; 

Mais tel chanta Liera me , 

Quy peu eust le corps am^- 

Quand le répons fut tout chanté , 

Un g Jacopin s'est appresté 

De Toraison pour Tame dire , 

Un Carmois arrière le tire 

Sy que le faict tout chancelier. 

La comtesse y a faict aller 

Monseigneur Mahieu de Laval 
•j4o ( As Carmois dict ) « — Traiez Laval (i) 

« Les Jacopins l'emporteront. 

« — Par le Ëstroncz (2) Dieu , non feront ! 

« ( Se dict frère Jean de Tournay ) 

«t Si cointe (3) Jacopin ne scay ^ 

tt Si je luy voids mettre la main , 

« Quil ne le compare (4) par n^a main. » 






(i) Relire»-vou8 au loin. 

(2) Dans ane copie plus récente au lieu de ëstroncz, on lit puissant qui» 
la même signification ; Estroncs vient probablement dn celtique strons , 
«Toii ou aura dit en Anglais dans le même sens , strong» 

(3)Haidi. 



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^ 36i «I 

lilec commience grand risoUe 
Mesme Willame de la Moite 
Quy eult de la comtesse drap 

d5o Et messire WaultierBaraz , 

Ceulx donc vieDoent toutz ahastis » 
De parler ne sont allentis 
El dieot as frères du Carme : 
« — Â la comtesse iaicts blasmes 
« Du Luxembourg , et à oous tous , 
tt Mais par la foy debvons toutz 
a Rien ne vous fault , ne l'aurez mi , 
« Non , par les dentz Ste. Marie ! 
a — ( Dict frère Jean Descaloigne ) 

360 tt Du corps auroit moult grand ensoigne. 
« Par le saog Dieu ains qu'il meschappe ! » 

Mi demeura entière cappe 
Blance ne noire à deschirer. 
^y ung prend Taultre pour tirer, 
Et à bouter et à sacquier ; 
Ly ung faict Uullre tresbucber. 
De ces deu^ ordres qui là sont 
Les chevaliers arrière en vont 
Et les enlaissent ençonvenir. 
970 Qui vist au butin (1) venir, 
Frère Gillon deWallaincourt , 
, Gonfaictement il y accourt ; 
Aussi faict Arnould de Liège , 
Ne samble pas que bien luy siège ; 
Et frère Watier du Chastel 
Quy y accourt tost et isnel (s) 
Garmois reviennent d'autre part 
Fiers et hardis comme léoparts. 



(i) Bruit. 
(2) Léger. 



24 



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01^362 rt 

Premier assaillent leur prieur , 

»8o Qui «stoit fort et vigoureulx ; 
Puis frère Jean Ae Tournajf , 
Sot est , et Iu0re (0 bien Icscay ; 
Puis frère Ginon de Chiraux , 
Qui lo butin rodoubte ^u $ 
Puis frère Jean Descaloigne , 
Q«i ée 9nt:ops tràs bien y donne , 
El puis frère Jean d' Anzaing , 
Qui na certes le coeur vain. 
Ceux assaillent frère Pierron , 

990 Qui de surnom at le mouton ; 
Cest le prieur des Jacopins y 
Sur luy estoit grand le huttn , 
Et la noise grand et leffroy; 
Quand ung frère lient leui croix (2) 
Sescria haulte et quanque il peult : 
« — Sainct Dominique , il vos esleut 
« A ce jourd'huy faire verlu , 
« Ou îioz prieur sera batu , 
n El tout le couvent bien le voye. 

3oo « 4. .. . 

tf Je ne scay quelle part tourner. » 
De la croix cuida assener 
Ung des Carmois parmy la leste; 
1^ croix f^ns au baston n'areste, 
Ains voile jnsqu'en la campaigne. 
I>es béguines en ont engaigne (5) 
Que Jacopins, sont à prieur, 
Mais liez en sont frères mineurs» 
Sy sont aulcuns des aultres gens. 

3 10 Illec estoit gr&nd le content (4) 



(i)Nou8 n'avons jamais vu ce mot dans le vimx langage de ce pays. N'y 
aurait-il pas eu erreur daos les copies , et ne faudrait-il pas lirç rustre ? 
(^) Tenant hut croix (des Jacobins). 

(3) Les bruines en sont (Ichëea. 

(4) Le combaU 



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Des Jacopiiis et ceulx du Carme ; 

C'est pour le corps , non point pour Famé 

lionc ce me samble moult laid vice. 

Dug Cannois quy estoit novice , 
Quy leur croix lient deshoi matin , 
Sen va térir un Jacopin , 
Sui la couronne , ung tel honrsiel , 
Qui rèze (i) estoit tout de nouvel , 
Qui sen doulut quinze ans et plus. 

520 Jacopins lui vont courre sus , 
Et dient qiiil lamendera. 
( Frère Simon dicl ) que non fera i 
Quelle chose que novice faict , 
Ne doit, cedil, avoir meffaict , 
Ne en amendise nullement. 
Les Jacopins dient quil ment. 
Adonc , Carmois leurs cappes ostent , 
Et Jacopins au char s'approchent ; 
Tant que dedens Ij ung se met , 

33q Qui de surnom a de Gouchet^ 
Frères Gilles est son droict nom. 
Puis dict : <t — A ce corps mains mettons , 
a De par Monseigneur d'Allemaigne. » 
Frère Jean en a engaigne , 
( De Tour nay ) (a)* au car sault dedans 
Faisant mines en grinçant les dentz. 
Puis dit : « — Widiez , seigneur loudier (3) 
« Je y met la main , par le putier (i^) , 
<i Sy lemporterons malgré yous; 



(i) R^bë. 

(a) Frère Jean de Tournay en estiriitë. Transposition bizarre dans le 
texte , mais doot ce petit poème offre d'assez fréquens exemples. 

(3) Terme de mépris , misérable, 

(4) Nous n'osoDS expliquer cette expression arrachée par la colère au 
▼énërable Jean de Tournai. 



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340 a Or v<Nrray-je quy y est rcscotis ( 1 ). 
« Frèie SimoB > venis avant ; 
« Tiro3iiieecoroB(9)deTant, 
« Tant qu'il soit hors de ce char mis. 
« Car, foy quedoibs i iiM»aiiiis, 
«c NoiiA ne lairoDS , comme qu'il vieiiDe, 
« Que le corps avec nous ne vienne » 
« Car il est nostre de nos droits. » 

Les six Tenquérquent or^droict 
Sur leurs espaules yistement. 
35o (Le prieur dil) : a — Allez vous-eu , 
« El nous irons àe costez vous ; 
« Et se meslier aveas de nous , 
« Parquoy nous vous puissions rescours» 
(c Radement vous aurez secours. » 

Ainsi quil drent, sy l'ont faict. 
Les Jacopins se sont retraict. 
Carmois vers Yallencbiennes vont , 
Atout le corps que chergiet ont , 
Mais, par la foy que doibs St. Mor^ 
$60 C'est sans linceulx et sans drap d'or; 
Ainsi les dames l'ont souffert 
Quil demeura tout en appert > 
Et que tout feissent ce loyer (5) 
Bien se deb\ roient esmaier (4), 
Que les amis ne s'en courouchent ,- 
Mais ne leur chault : s'ils en grouchent » 
Folie faict quy les reprent j 
Ils feront tout à leur talent» 
Car on ygaste son franchois. 



(1) Rebelle, opposanL 

(2) Coin , ou corde. 

(3) Cet abandon, 

(4) S'ébahir. 



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>565 n 

370 En YallettcbieiiBes sont Carroois , 
Entre euU son! les frères «rineurs , 
Qui sont de leur accord tenus » 
Parmj Vallenchieunes s'atoiem (1) 
Grand plante de gens les convoient ; 
Tant quon passe la boiicliene <a) , 
Et le cambge ($) et la saulbene , 
Le pont-noiron (4) ont trespassee ; 
En leur porte enire tous lasset. 
La corps eus au moustier ont mis , 

38o Mais peu y eult de ses amis ^ 
Bien y parut à Vigille dire 5 
Drap d'or, ni chandelle de ohirc 
Ny eult y ainsy qu'on me compta , 
Qu'un viel drap d'or qu'on emprunta 
Et vingt-quatre chironciautx , 
Sy l'achalèieut les frères en treiaulx. 
Tant leur cousia le corps sans faille (5j 
D'en parler tanl, il ne m'en cbaiile, 
Jusques à demain à la messe. 

390 Retourner veux à la comtesse 



(1) S'avancent. 

(a) A cette époque la boucherie , à Valenciennes , était au coîu de la rutf* 
de la Nouvelle- Hollande et de la rue Cardon ; depuis , on en établit une 
seconde sur la grand'place, au coin de la même tue Gardon , â Ten-^ 
droit ou existent encore cinq maisons de bois , ce qui fit nommer la partie' 
de la me Cardon comprise entre ces deux boucheries , me Biitre-^ux-Ma' 
zeaux , du latin Macellum , boucherie. 

(3) Le Cambge , le change. 

(4) Le Pont-Néron (situé à l'entrée de la rue de Tournai dans laquelle se 
trouvait le couvent des Carmes], tire son nom de l'Empereur Romain à nn^ 
des lieu tenans de qui on en attribue la construction. L'^ezistence de ce pont 
au confluent de la Rhonelle et de l'Escaut , est antérieure à celle de Yalen^ 
ciennes, il avait été établi pour communiquer de Famars à Tournai. Dans 
le 17» siècle , un grand chiist en bronze, fondu par Jean Perdry , ayant été^ 
placé sur ce pont , il fut alors appelé Pon4 du Gfand-Dieu , ce qui forme 
un contraste bien tranchant avec le nom du monstre soui lequel il avait d'a'^ 
bord été baptisé. 

(5) Faille, drap mortuaire. 



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Dç Luxembourg qui l'escouforle 
La femme au mort ; raisofi le porte : 
Femme doibt l'auilre recooforler* 
As Jacopins a foicl paier (i) 
Le travaulx et le lumtoaire ^ 
Pour le service à demain foire. 
La comtesse les dames prie 
Demain lui tenir compaignie , 
Et à la messe et au disner. 

4oo Or, veuil mon conte ramener 
Au prestre curet de St. Jacque , 
Qui lesCarniois à conseif sacque (ï) 
Premièrement en leur maison j 
Puis a dict k frère Simon : 
a — Conseillez moi en bonne foy , 
« Car par la foy que je vous doy , 
« Despaises suis (5) et esbauhis. 
a — (Dict frère Simon ) pax ifoêU / 
« Je nen ay cure par Ste< Mort , 

4io « Que Dieu souffrit eu croix à tort ; 
« Bien y paira aios demain primes (4) 
« Ens au moustier de St. Pol meiimes (5). 
<t — (Dit le prieur) vous avezdroict j 
« Car ils vous tollent [S) orendroict 
« Le \olre droicluro et la nostre. 
« Foy quedoibl St. Pierre Tapostre , 
« Cest moult grand home que Dieu scuffre 
t Que DofYiinicq ainsi œuvre 
« Contre sa mère et son cousin (7} j 



(i) Une autre copie dit : porter. 

(a) Sacquer ^ tirer \ qui les appelé pour prendre conseil. 

(3) Je suis courroucé. 

(4) Avant les primes de demain. 

(ô) Dans le couvent des Jacobins ou dominicains mêmes. 

(6) De tollere, enlever avec violence. 

(7) Que St. -Dominique travaille ainsi contre la Vierge Marte et St. Fraa - 
co Ls père des frères mineurs , dont les Carmes^bnt partie. 



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4^0 a Ce sont ces bediaulx (1) Jacopins 
a Quy tout veullenl à eux attraire. 
« — Foy que doihs Dieu le débonnaire 
tt ( Dicl le curé) , aurai Toffrande 
a El trestout ce que je demande , 
a Ou je y meneray tel hulin 
« Dont parlez sf)it après ma fin. » 

Chacun ce faire luy en horte 
Et dient : a que droicture porte 
« Que l) Cattel scieuU le corps (2) 

430 « Sy ainsy n'est iaict, c'est grand tort : 
a Bien le povez a vos droict traire , 
a Si que drap dW et luminaire, 
* £t des chevaulx les couvertures , 
a Aussi des varlets les aruàures» 
d ^-. (Dici le curé^ Dieu me conseul 
a Que jamais voye le dimeinche , 
Cl Aultre que celui de demain , 
« S avec moy tel geni ne maine 
M Demain , à St. Pol^à la messe , 

44o « Qui ne lai ront, pour 1» comtesse 
« De Luxembourg , ne pour seigneur , 
<x Ne pour prévost , ne pour nHH€ur ^ 
« Qoils ne facent les plus hardis, 
o Jacopins,estre aconardis. 
a — ( Dict le prieur ) Dieu vous envoyé 



(i) Bédter, êol,i^oor»ai , stupide. « Ce mot vient de ce qu*an nomme 
Beda voulut dëloaruer Françoii V'^ d'Jublir des professeurs de langues , ttl- 
légnaut que la grecque (doul il ne counaiséait pas l'alphabet/, était la source 
de toutes les liêrcsics. » Aiusi s'exprime M. Roquefort dans son Glossaire. 
Noos pensons qu'il y a erreur; le mol Bedier et de beaucoup antérieur à Tc- 
poqne du vivant de Bedaj Tanecdote qui le conceine fut seulement cause 
qu'on lui donna par analogie avec son uoin , l'épilliète de Bedier ^ar le pu- 
nir de sa sottise. Ce mot se vencontre enlr'autres livres datos le recueil de 
proverbes de Gahtiel Meuriery d'Avesnes en Hainant. 

(2) Vieil axiome de juiisprudencc : les bieas ( cattel ) suivent le corps. 



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^368 "«i 

<i Si bonnement que le voulroye 

(c Et il vous laisse à chef venir (i) 

a De vostre emprise parfournir. 

a — ( Dict le curé ) et Dieu le veuille f » 

45o D'eulx prit conget .* sa voie accueille ! [s] 

Pour i*epairer en sa maison. 

Celle nuict fut en grand frisson , 

Que peu ou nient il reposa , 

Et pour cela messe n'osa 

Ce dimeinche emprendre à dire , 

Pour ce qu'il esloit plein d'ire : 

Il 6t ung cappellain chanter. 

Quand la messe euU (aiet sonner. 

Les paroischiens sont venus , 
460 Quy de messe ouïr sont tenus , 

Le cappellain veste l'aulbe ourdje , 

fienoiste eau a commencée : 

Quand faict l'eut , si le départe 

A chacun à donner sa part , 

Puis s'en va veslir la casure (5) 

Oii il nj avoit trou , ni usiire. 

La messe dict jusqu'à l'offrande; 

Le curet ses festes commande 

Et faict la prière brièvement , 
470 Puis se complaint dévotement , 

A. ceux qui sont de la paroische , 

Et leur remonstre tout l'angoisse 

Du grand dommaige quon lui faict ; 

Tout son enuye leur a retraict [41* 

Puis leur prie par charité 

Quils lui facent tant d'amitié 



(1) ytniràchef, fenir à bout. 

(2) Mot un pea force par la rime , potii aborde , réprend, 

(3) Chasuble. 

(4) Retracé , raconté. 



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s» 3(J9 «^ 

' Quavec Ini yoiseot pour seaTOtr 
Se son offrande pol m «Toir: 
S'ayoir le peult , il le prendra | 

480 Et si ce non , il leur donra 
Et luminaire et le drap dor. 
Ung tisserant seoit au oœur 
Du moustiêr , sy Ta entenda. 
Mainlenant lui a re^pondu : 
« — Sire, nous yrons volontiers 
« Puisqu'il vous est ainsi mestîerfi] ; 
n Tisserans meneray et foulions , 
u Faict chanter , puis en allons , 
a Et de laultre gent grand partie. » 

490 Le curé forment [3] l'en merchie 
Et dict qu'ils sont bonnes gens , 
Et tous les aultres aiosiment [3] » 
Et Oieu leur rend« qui tout peuU. 
Le capfpelaio qui £nre deuU 
Le service i k lavlel rêva 
A chanter prit fper omnia , 
Sa préface chanté et sancius , < 
Puis levé oostré seign^r sus , 
Quand Teut levé , si le rabéisBe 

ôoo Le curet , qui n'y est myeeise , ' 

S'amuche {4] prenl , du cantiel ist [.^j ; 
N'attendit mye-que pai< prenist [6] ^ 
Nen avoit mye «ure , ce me semblée 

Au dehors du moiislter assemble 
Toutes ses gens j^ puis les aveye 



(1) Peine. 

(2) Forment, fortement. 

(3) A qui. 



(4VS0Q au« 
{Syîst.d'e 



(ôjT^I, d'exire, soitir j Cantiel ^ decantarc.} proUahleroent li parfis. du 
chœur où l'on chante : les stulles. 

(6) De prendere; n'attendit pat que la |>aix yint, «'«tablit». QIpm nt itou- 
voua pas d'antre interprétation que celleTci qui nou» parait foicëe. 



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* 
Parmy le marckié droict et voyc ; 
Puis passent devant le belli*froy [i] » 
Saos noise faire et sans effroy . 
Au dehors du moustier St. Pol 

MO S'areistèrent et saige et fol 
Le curé lors les arraisonne , 
Et leur pre scUe et leur sermoàe , 
Que pour Dieu , quj fut mis en croit , 
Qu'ils ne iaceot Doi:<es ne effrois , 
Jusques à donc qu il scauroit 
Se raison faire ou lui vouldroit , 
Ceulx dedans qui sont au moustier. 
a — J'irai layens à eulx traictier , 
« El orray quils vouldront dire. 

>io tt -^( Dil foulions ) cest.bcen faict , sire , 
tt Et sy menez avec vous , 
« Au moins XX à XXX de nous . 
u — (Dict le cui^t ) mouU volontiers. « 
Trente a prins de ceuk de ntestier : 
Du commun prend Jean Robert , . 

Et fTUlame le lils GobeU^ 
Et Taêêequla et Aéinet^ 
Recoiielgy et tfaïelet 
Montfoisin appelle , et Mu$arl , 
53o Sans ceulx on ne va oulia part. 

A ceulx [a] (dit-il) : «r — Cy demoitr^x , 
tt Tant que de nos nouvelles aurea. » 
Le curé , avecque luy trente , 
Eus au moustier de St. Pol entre ; 
Tout droict devant le cœur s'en Va .• 
Jean Bernier (3J illec trouva. 



(i) Venant de iVgUse St.- Jacques , cesbommes, pour «e rendre aux ào- 
minicaina , durent passer par la Braderie, la place d'armes et devant le bef> 
îtoy eh se dirigeaDt vers la rue de Cambrai , aujoord'bui de Famars. 

(2] L'auteur veut sans doute dire aux autres, 

(9) Jean Bernier, leigneur de Tbiaat,de Blaitig , etc. , prévdt-le-comie 



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Bion scel qu'il est Prévo<«t-lo-conilp ,* 
Le curé niot-à-mot lui comte 
Coinmeut il vient là pour sçavoir, 

540 Se l'oflfratide polra avoir. 

a — Sy vous prie que Vous m'aydiez. 
« — Bien este ore» oultrecuiidiez , 
« Dicl Jean Bernier , bien le'voye ; 
« Vous u*y aurez ne chou , ne quoy , 
« Par les angoisses que Dieu euh. » 
A ce mol , le curet se leul ; 
Bien void que tout luy sontcoutiaire , 
Prévost ^eschevins et Maire. 
Lors s'en vont hors du moustier , 

o5o Toutes ses gens de mestier ; 
Assez issit [1] paisiblement 
A son commun vint vislement , 
El sy leur dit tout mol à mol : 
Commenl.le prevosl lenchicr Toi [2]. 
« — Et m'a dit trop de villenie 
u Dont j'ai sur le cœur grand hainye. 
tt Or verray-je que vous ferez 
ft — ( Disent foulions ) vengez serez , 



à Valencieones , ét.iit au commencement du i4" siècle le pci^orniAge le plus 
considérable de cette ville. Remarquable par ses grandes richesses , son luie 
et sa géniérosité, il marchait de pair avec les premiers seigneurs de la cbré- 
tiennelë , et eut une fois Vhonneur de traiter dans son bôtcl , pié^ dti pont 
de la Haraayde^ les rois de Navarre et de Bohême et plus de cent g»ntil8- 
hommes distingués. Il fat nommé, par Philippe de Valois,' conseiller n la 
Chambre des Enquêtes à Paris, le i5 avril iSSg ; il mourut le i^ avril 1.^4^ 
et fut enterré dans Péglise abbatiale de St.-Saulve. Le chroniqueur Valen- 
cicnnois, Delà Fontaine j dit ff^icariy étant allé visiter son tond ea*!, vers 
lô80f trouva sonépitaphe tellement effacée qu'ail crut devoir lui en com- 
poser une nouvelle qui relate les principaux faits de la vie de ce personnage. 

(1) Le curé sortit, les suivit paisiblement. 

(a) L*a tancé. Ce mot se trouve dans ledystique picard cité par La Fon- 
taine : 

Bian sire lenp n*écoutcz mie 
Mère TenehcHt chètt fieu qui crie. 



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a R'allex lécns nous vous sietrvoos , 

56o « Et ce que vous direz ferons. 
« — ( Dit le curé ) or en venez, 
a Quand je diray Aapot [i]! prenel 
tt Luminaire , et quanque il y a y 
<K Et Jacopins n'espargnez pas 
« Quene jçctezleculdeseure, 
« Et du péchez je vous asseure^ 
« Et absouls cy et devant Dieu , 
« Et mou ame met en yros lieu. 
« Or allons doncques liement , 

570 « S'entrons au moustier visteroent. » 

Ainsy, comme on disoit lépistre , 
Entrèrent léaus, non point pour tistre [i] 
Mais pour fpuUer ce qu'est tissu. 
Avant qu'ils en soient issus , 
Me que leur emprise remaine^ 
Fouillèrent manteaux d'AUemaigne, 
Sy feront-ils caprons à Dames , 
Se scay sy c'est prouffît à l'ame 



(1) HapoM , dit Cùvyeniier j êemhle signifier pilliard, du mot flamand 
Havik. Od le trouTe dans Philippe Mouskes , de Tournai : 

u Et tout, SI coin roa fust Havos , 

u Prendoit et reuboit (rolait) le psiys. » 

Hapol est le substantif; quand je diray havot^ quand Je crierai: pillage ! 

Gï mot ëtait derenu un cri de guerre , voilà pourquoi on l'emploie ici. Du 
rang des combattans il passa dans la troupe légère des eufans qui souTeot 
empruntent , pour leurs joyeux ébats , les formes et le langage des guerriers. 
Nous en trouvons la preuve dans notre Froissart, qui^ donnant dans ses 
poésies, la longue série des jeux auxquels il se liTrait, lorsque jeune lipo- 
lissonnait dans les carrefours de Valenciennes , a dit s 

« Puis juins à ua auitre ieu 
K Qu'on dis! , à la kevve Ieu Ieu ; 
. u Et aussi au troiist merlot , 
u Et aui piereUes ^ au Havot, n 

(a) De texte rCf fiiire un tissu. Dans ce vert et le suivant le poète a voulu 
mettre ao jeu de mots sur les tisserands et les foulons* ^ 



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Pour qui on fesoit tel service; 

6So Foy que doibz CoUart a le plice[i] 
Que oo tient â bon boulengier , 
Me sy sçauront sy bien gaictier [a] 
Chevalier , Da mes , Jacopins , 
Qu'il nayt léens plus grand butin , 
Ce cray-jou , et plus grand wacarme , 
Qu'à Beaulieu n'eut de ceulz du carme, 
Quand le corps eulrent par effort ; 
Car le curet tresperce lors , 
Parmy la presse de la gent , 

690 L'ung des cbevaulx par le frain prent , 
(Au prévost dit ) : cr — Cy mets la main 
« Et les armures aussy je clame , 
« Le luminaire et le drap d'or , 
« Et l'offrande clame-jou encbr. 
« — ( Dit le prevost^ vous clamez part 
a Âutbour vos col une grand hart. » 
Du poing le fiert d'arrière main 
Sy quil luy feit laisser le frain 
Puis dit : « — Oiez de ce ribault î » 

€00 Le curet vers le prevost sault , 
Du poing le fiert , sy quil l'enverse 
Parmy deux bancs en la grand'presse. 
Puis s'escria : a — orcha , venez , 
c Foulions et tisserans , prenez 
« Ce qu'il vous pkistet me vengez. » 
Dont le prévost fut entrepiez , 
Et défoullé est de plusieurs. 
Ces dames en crient : abeurs [3] ! 
Et le curet crye : havot ! 

6to Et le commun des gens bien l'ot , 



(1) Nous croyoQs qu'il faut lire : à l'église. Ce qui rend ce paitage moiuA 
obfcur. 

(2) Garantir. 

(3) ji heurs ! ^miséricorde!^ du rerbe aheurer, prier, iatèrcëder* 



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Despochent sièges de béguines 
El enrachent par ahaslines [i] , 
Cbandeitles el cyrons conlreval [a] , 
Que de la noise ly cheval 
Sont effrayés ; sy sont les geqs. 
Sy grand y estoit le content 
Que nul ny sçeut remède mettre. 
« — ( Dit Monvoisin ) : aide-moy , maislre , 
(c Tant que jay cy de ce drap dor. » 
6io On en va prendre par le cor 
Qui estoit bel et noble et gent 
Mais tenu fut de plusieurs gens 
El par la foy que doibs St. Pierre , 
Le drap en plusieurs lieux dépecbe 
Quy quy luy désplaise , ne a quy seice [3] 
Ny â celuy n'emporte pieclie , 
Voire ceulx qui ont mis les mains [4] ; 
De cesoiez trestous certains. 
Pour faire une belle alloyère (5) 
63o Ësgailiere (6) , ou autmosuière (7]. 
—a Ainsy ay-je ! » ( ce dit Mussart) , 



(i) A plabir. 

(2) Jettent en bas. 

(3] Peu importe à qui cela dëplait , ou sied . 

(4) De tous ceux qui s'en mêlèrent il n'y eut personne qui n'en eût un 
morceau. 

(5) Gibecière. 

<( Les leUres que ni*ot tramis Rose , 
u Toutes deus , foi que doi saint Pirre , 
M A vois encore en Valorire 
ce Qne je porte en ma chainture. 

Froissart. 

(6) Sac à ouvrage. 

(7) Bourse des aumônes. 



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5^ :>7 



Ainsy fut fiixt du drap départ ( i ; , 
Saos lox (a) jecler ce poTCX croire. 

Ces dames perdent leur ipéiaoîre , 
De peur aessi sont fort e&niarbres (5), 
Mieux aimassent estre sombs ies arères 
De hormis (4), que d'estre léans. 
A peu que n'a perdu le sens 
1^ comtesse de Luxembourg , 
64o Car elle voidt que n'eult authour 
D'elle , dame ne darooiselle. 
Ung chevalier voidt , sy l'appelle 
Pour la mener it saulf garant. 
Che chevalier la prend errant , 
Sy la maine hors du moustier ; 
Biais oublié a son psauUier : 
Ne scait mie s'il fut perdus. 

Mais durement est esperdus 
Ly abbé quy disoit la messe, 

65o A Dieu a fiitct vœulx et promesse ^ 
Si deléahs peult estre hors , 
Que jamais pour âme de cors 
En ce moustier ne dira messe, 
Ne pour compte ne pour complesse , 
Ne pour personne quy l'en prie. 
Ne se peut abstenir de rye , 
Ung de ses moines qui Touyt , 
Quy a l'église y est dallez luy 
Tout esvoyez , sy avoit il peur 

66o Sy n'estoit il mie trop asseur. 
Aussy ne sont les Jacopins , 



(t) Partage. 

(2) Loz, bien. — Sans rieo jeter qui fut devenu le bien de personne. 

(3) Blanchies pr la peur. 

(4) Hormis f ormil, ormes , oriiieauz. 



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Musari , Dotthêent et Monvoism , 
Et Me/tiaiUet fib le boitein , 
Ed leur cœur s'effraient entre eux. 
Nj a cellfii s^jX sapparoit 
Qu'il M kvrtasse à la paroit (i). 
Musari, s'il y povoit vemr , 
Jamais ne vidon adyenir 
Si faicte chose , che scachiez. 
670 Tout le travaux fut despecbiei , 
Et les chandeilles desparties 
En plus de deux cens pal ties ; 
Le drap d'or en quarant part » 
Us en ont bien tout prinse Uur part , 
Le curet a faict son emprise 
Quil avoit la nuict entreprise , 
Et St. Jacque^est bien Tengez 
De Mra Dame , ce scacbiez , 
De Dominique et de ses gens. 

680 Le curet se part de léens , 

Sj en ramaine tout son commung , 
Et puis leçabsoult un k ung 
Du péchiez qu'avec luj ont faict » 
Et du service quils ont défaict. 

Ainsy advint de celle mort 
Dont avez ouy le record {2)1 
Or, prions Dieu qui ne mentit 
Et quy pour nous en croix pendit , 
Quil absoulte toutes les âmes 
690 Dont les corps gisent soubs lames , 



(i) n n'en cit aucun qui daiu sa frayeur ne donne de la tête contre It i 
raille. 



(3) Record f rëcit ; de Recofdari , se rappeler. 



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Et de tous ceulx qui ont baptesme 
Et qu'ils ont reçeu hu^le et cresme , 
Dites amen que Dieu le doint 
£t tous nos péchiez nous pardoint ! 

1511. Amen^ 



3'ag confie} et ntvaici te^U antï\\tnne Ijietoire iu 
rombat des moidneg îru €arme6 (ontvt (cnx ite $t. 
IPominirque Ijore J'unig bien tJintU libt^re eerript à la 
main de lanigaige it^ftavct n rl)étnricque inuditée ^ 
Irtit libtjre fort mattbaiô à lire et la lettre fort effa- 
rée aîr rauôe d'antiquité?» 



25 



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1 



i^ii^iin»l9<0(imiUms k ^tuxeiitg. 



(extrait DBS MÉMOIRES DU MARQUIS DE LA ROGHEGIFFART). 

I6»7. 



Sic vos non vobis. 
Virgile. 



Bruxelles me parut use belle ville, les maisons quasi aussi 
bien bâties qu'au faubourg St«"Germain , avec plus de crotte 
dans les rues , dont quelques-unes sont si raides ; si escarpées 
qu'elles essouffleraient jusqu'aux coureurs à longue haleine du 
Mazarin. Le lendemain j'allai rendre mes devoirs à M. le Prince 
qui était logé au palais de don Juan , gouverneur et capitaine 
général des Pays-Bas espagnols. J'en fus fort bien reçu : il me 
promit de faireen sorte de m'emplojer en qualité de maréchal- 
de<camp, comme je Tétais à Giezet à l'attaque du faubourg St^-* 



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^379 -^ 

Antoine; mais il parut mortifié de ne pouvoir me donner do 
certitude à cet égard et se plaignit sans ménagement de la cour 
<ie Madnd, qui "ne lui laissait ni Tautorité convenable à son 
rang, ni Tinfluence que méritaient ses services. II sei^emit pour- 
tant bientôt pour me demander des nouvelles de Paris , parti-^ 
culièrement de quelques femmes qui jadis lui avaient tenu au 
cœur. Là dessus; il me congédia. 

£n sortant du palais , je me rendis au cours , qui rappelle 
le Cours la Reine , avec cette différence néanmoins que les 
dames sont d*un côté et les hommes de Tautre. Ty trouvai un 
grand nomi)i*e de français, la plupart de mes amis , et qui , 
au milieu d'une foule de cavaliers flamands et espagnols, se 
faisa^nt i^marquer par leur tournure. J eus les grandes enUées 
chez MM. d'Ai'emrbei^, de*Chimai, de Croy, de Ligne, deRu- 
bempré,^e Traz^nie», de Lalaing, d'Espinoy, de Gavre , de 
Westerloo, de Boussu, de Beaucignies, de Taxis, d'^Havré, etc., 
qui sont Ttraiment des ^ens de qualité. Jeus là quelque image 
de la cour de France, mais affaiblie, mais effacée. Je prali- 
quaisaussi plusieurs seigneurs espagnols et fus bientôt très-as- 
aiduà l^hôtel du marquis de Caraccna , dont la femme faisait 
les hotnneurs avec une grâce enchanteresse. 

Cétait une espagnole d'un grand air, imposante, majes- 
tueuse> quoique douce et aimable au dernier point. J'^avais de^* 
puis quelque tems un furieux désir de tomber amoureux , et je 
songeais à madame de Caracena ; malheureusement il me sem- 
bla qu'elle mettait à tout et toujours une profusion de belles 
paroles et de belles manièi^ ; or, cela fatigue et fait mal à la 
longue : c'est comme qui mangerait trop de i>lanc-manger. 
Quel parti prendre ? Je regardai autour de moi , et il me vint 
dans l'idée de me faire le rival de M. le prince. 

A tous les^cercles, à toôs les i^égals de Thôtel de Caracena , 
assistait lUBe jeune française, appelée madame Des Houlières, 
et que M. le Prince «errait de fort près, dette circonstance 
m'ayant «ngagé à 1^ remarquer, je fus frappé de m?He perfec- 
tions qui m'avaient échappé jusqu'alors. 'Elle avait en dffet une 



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'l^eauté peu commune; une taille au dessus de la médiocre, un 
maintien naturel j des manières nobles et prévenantes y tantôt 
une vivacité enjouée, tantôt une mélancolie touchante. Elle 
parlait également bien le français , Titalien , Tespagnol , savait 
du latin autant que femme de France y tournait un sonnet ou 
des bouts-rimés avec un agrément infini, dansait avec justesse 
et montait à cheval à miraole. Je Teus à peine attentivement 
considérée que la tête m'en tourna. 

Cette folie de vouloir lutter contre un grand prince, mon 
bienfaiteur , méritait châtiment , et le châtiment me fut dure- 
ment infligé. Moi qui, en matière d amour , n'avais jamais 
Suivi fort exactement la carte de tendre , et qui passais même 
volontiers par dessus tendre sur estime, tendre sur inclination et 
tendre sur reconnaissance pour arriver en poste au gite, je me 
mis à pousser les beaux sentimens, ni plus ni moins que 
les héros de Durfé et de mademoiselle de Scudéry. J'avais 
beau être blême , languissant, rouler les yeux, faire jouer tou- 
tes mes batteries , on ne prenait pas garde à moi. Mes joues s'a- 
platirent , mesyeux s'enfoncèrent, je perdis le boire et le man- 
ger et payai en un jour toutes mes délicieuses noirceurs d'au- 
trefois. Ce qui m'achevait , c'était de sentir profondément ma 
sottise. Gémir, pleurer, désirer de mourir, telles étaient mes 
récréations habituelles. Il se répétait dans le monde un mot 
ingénieux de ma cruelle : 

Nul n'est content de sa fortune 
Ni ncécontent de son esprit. 

Moi je niais fort et ferme la généralité de cette maxime ; car 
si ma fortune était loin de répondre à mes désirs, mon esprit 
ne me satisfaisait pas davantage. Une voix intérieure me criait 
même que, vis-à-vis madame Des Houlières, je représentais 
merveilleusement la bêtise personnifiée. A l'arrogance près , 
j'étais plus bête que M. le duc de Beaufort. Je jurai de sortira 
tout prix d'une position aussi humiliante. J'avais entendu pro- 
noncer à madame Des Houlières les noms de Descartes et de 
Gassendi. Je me procurai leurs ouvrages et je m'y enfonçai à 
À corps perdu pour essayer de lui en parler à mon tour. Cet 



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essai, me tourna mal, car j'étais trop ignorant pour rien com- 
prendre à des traités de philosophie. Je voulus, en revanche, 
ta ter de la poésie ; palsambleu ! la rime et la mesure ne me fu« 
i«nt pas moins rebelles j et je foi*mai la résolution de me noyer. 

Dans la maison que j'habitais logeait un pauvre major de ba- 
taille , qui vivait fort retiré et qu'on nommait M. de Boisgue- 
rin. L'état de détresse et Thonnéteté de cet officier m'avaient^ 
gagné le cœur ; en outre, dès que je me reconnus amoureuir , 
je fus charmé de trouver sous ma main les complaisantes oreil- 
les d'un confident. Il m'écou^ avec intérêt et entra de droit 
fil dans mes peines. Un matin , je lui demandai s'il ne lui se- 
rait pas possible de m aider à fabriquer une espèce de déclara- 
tion en vers pour ma princesse. Il me répondit que oui , pour- 
vu que je le laissasse i*espirer jusqu'au surlendemain. 

J'étais sur les épines. Au jour et à l'heure marqués , il m'ap- 
porta les vers promis ; ils roulaient sur une Célimène , mais on 
devinait aisément quel nom devait être substitué en réalité à 
celui-là. J'embrassai le major de bataille et courus à l'hôlel de 
Caracena , presque persuadé d^étre un Voiture ou un Bcnse- 
rade. 

On s'y entretenait justement de poésie et Ton s y passait 
quelques-uns de ces portraits qui sont encore à la mode. Je 
pi*oposai timidement le mien ; aussitôt tous les yeux se tour- 
nèrent sur moi, sui^put les deux yeux noirs et perçans de la 
Des Houlières ; Je me sentais brûler. On m'engagea à réciter 
mes vers: mais je tremblais, je balbutiai. La dame de mespen- 
.séeseut pitié de ce martyre, elle prit le papier que je lui présen- 
tais, sans savoir ceque je faisais, et elle le lut avec un sourire 
qui me parut céleste. Elle n'avait pas fini, que des applaudis- 
semens partirent, de tous les coins du salon. Je restai confus 
et stupide, et ne me ranimai que lorsque madame Des Houliè- 
res , se penchant vers moi avec bienveillance, s'informa si je 
me livrais. depuis longtems à la poésie et me pria de lui mon- 
trer de mes ouvrages. Cinq ou six révérences niaises furent 
toute ma réponse. Cependant je n'en pris pas moins l'invita- 



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lion de la belle pouj* une approbation de ma dame^ et je me 
retirai transporté , sans remarquer que M. le Prince me toisait 
d\in air sardonique et en se pinçant les lèvres. 

Madame Des Houlières demeurait à Thôtel de Caracena. Deux 
jours après mon succès , je m y présentai pour faire ma révé^ 
rence à cette dame.^ le portier m'apprit qu'elle était partie. 
Pour quel endroit? — Je Ttgnore. — Quand reviendra-t-ellc? 
— Je Tignore., — Ne reviendra-telle plus ? — Je l'ignore. 

Le scélérat ! chacune de ses paroles s*en fonçait telle qu'un 
poignard dans mon cœur. Partie, et pourquoi ? partie, au 
moment où elle agréait mes soins ? Je rencontrai M. de Bois- 
guériii , qui avait l'air aussi consterné que moi y et lui narrai 
ma déconvenue. Assurément de nous deux il n'était pas le 
moins malheureux. Il me confia qu'il venait d'apprendre que 
madame Des Houlières , pour avoir • réclamé avec force les 
sommes dues à son mari , engagé depuis deux ans au service 
d'Espagne^ avait été arrêtée la nuit précédente sur un ordre 
expédié de Madrid^ et enfermée dans la prison d'état de Vil- 
vorde , à deux lieues de Bruxelles. 

-^ Mon ami , lui dis-je, suffoqué de douleur^ vous m'avez 
déjà rendu un -signalé service. J'en réclame de vous un plus 
considérable encore. Toute représentation au ^Hivernement 
espagnol serait inutile. Puisqu'on a osé faire à M. le Prince 
l'affront d'enlever la femme qu'il distinguait, quelle impor- 
tance dontterait-K}D à nos plaintes? Arrachons madame Des 
Houlières de la prison et retournons en France^ oii je trou- 
verai moyen de nous réconcilier avec la cotir. — Je le veux 
bien , dit le major ; mais un pareil coup de main exige qu'on 
soit en fonds. — Qu'à cela ne tienne ^ répartis^je. Il me reste 
encore deux mille pistoles, prends^^en la moitié, et. . . 

— Avec cela, dit Boisguérin, j'aurais délivré jusqu'à M. le 
Prince, quand il était claquemuré à Vincennes, à Marcoussy 
ou au Havre. 



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Le major sortit et ne revint que dur le soir. H avait tout sa-^ 
gement dispose. Moyennajit un ordre de relever une partie de- 
là garnison de la fortere«e , nous devions y entrer avant le so- 
leil, avec une vingtaine d'arquebusiers français, gagnés moins 
par l'or que par le désir déjouer un tour à des espagnols. Alors 
il serait facile de forcer la prison de madame Des Houlièi^ et 
dé la faire évader sous un déguisement militaire. 

Conclusion. La chose arriva comme le major l'avait réglée, 
j'étais ivre de joie, ne doutant plus maintenant que madame 
Des Houlières ne payât du plus tendre retour ua homme à 
qui elle avait Tobtigation de sa délivrance. Sortis de la geôle , 
le major médit que pour plus de prudence, il prendrait les- 
devans avec la dame et' m'attendrait k Péronne* 

Je n'avais pas le tems de faire des objections» L'arrangement 
me convenait peu ; mais les soldats s'étaient déjà éparpillés à 
droite et à gauche , tandis queBoisguérin et madame Des Hou- 
lières se jetaient dans un chemin de traverse. En regardant ma- 
chinalement à terre, je vis un portefeuille : c'était celui du 
major; je le ramassai et il en sortit une copie du fortrait rftf 
Célimene , avec ces mots en tête : 

« Mon ami ^ 

«Voici les vers que tu as exigé que je composasse pour 
moi-même : c'est la pi'emière fois qu'une femme aura écrit , par 
l'ordre de son mari , la déclaration qui lui reviendra sous un 
. autre nom... » 

Et pour adresse : A monsieur de la Fort de Sùhguérin, sei- 
gneur des Houlières, 

Vous me croirez si vous voulez ; mais j€ manquai le rendez- 
vous de Péronne. A l'avenir j'eus les vei-s en horreur et n*en- 
levai plus âme qui vive. 

Baron de Reiffenberg* 



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M. ALEXANDRE DE FAMARS. 



Ce n*e8t pas d'aujourd'hui seulement que îe goût des aiis a 
pris naissance dans la ville de Valenciennes; déjà, il y a cent 
ans, elle avait produit les Watteau, les deux Pater ^ les Saly, 
dont les œuvres , maintenant recherchées , sont trop peu nom- 
breuses au gré des vrais amis des ails. Ce génie de l'invention , 
ce sentiment du beau et- la faculté de le rendre sensible à tous 
par des productions artistiques , ne s'était pas exclusivement 
arrêté , dans le siècle dernier, chez cette classe moyenne de la 
société presque la seule apte à reproduire les prodiges des ai^ts, 
parcequ'elle est aussi la seule en qui l'on trouve patience, 
adresse , amour et nécessité du travail ; on vit aussi alors les 
membres de l'aristocratie Valenciennoise s'adonner avec succès 
à la peinture , et deux d'entre eux y réussirent plus qu'il n'est 
ordinairement donné aux gentilshommes de la province de le 
faire. Ce furent messieurs Alexandre- Denis de Pujol , de Mor- 
try , père de M. Abel de Pujol , et Alexandre de Famars qui 
fait l'objet de cet article. Tous deux, parens et amis, poussés 
par un penchant irrésistible , s'adonnèrent à la peinture ; tous 
deux s'essayèrent dans l'art de la gravure, de sorte qu'il y a 
soixante ans, il se trouvait à Valenciennes, outi-e le jeune 



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&>3854s / 

Montai, deux graveurs-amateurs qui ont laissé chacun leur 
petit œuvre. Le premier grava une charmante galerie d'hom- 
mes illustres , dans laquelle le texte, le dessin et la gravure 
étaient entièrement son ouvrage ; le second fit quelques essais 
de taille-dpuce , peu répandus dans le tems , et non livrés au 
commerce j c'est pour cela même que nous donnons aujour- 
d'hui deux produits de son burin dont nous possédons les 
cuivres , perdus pendant Torage révolutionnaire et que le ha- 
sard nous H' foit heureusement retrouver il y a peu de jours. 

Qui possède une œuvre, si peu importante qu'elle soit, 
désire entrer en connaissance avec son auteur ; c'est ce qui 
nous a conduit à quelques recherches sur ce graveur-amateur 
que nous désirons faire revivre dans le pays même qu'il ha- 
bita. • 

Charles- Alexandre -François -Joseph Le Hardy, chevalier, 
seigneur de Famars , Aulnoy et autres lieux , naquit à Valen- 
cîennes en 1733 ; il était issu d'une famille ancienne du pays , 
et descendait directement d'Antoine Hardy (1) , licencié ès- 
droits , juré et écheviû de Valenciennes pendant le siège de 
cette ville en i656 , et annobli par le Roi d'Espagne avec tout 
le corps du magisti*at , pour la belle défense des bourgeois qui 
repoussèrent les Français et forcèrent les maréchaux de la Fer^ 
té et de Turenne de lever le siège le 16 Juillet i656. 

Le jeune Alexandre de Famars eut de bonne heure le goût 



(i) Messire Antoine Hardy, fui annobli à Madrid le 8 novembre 1667 i 
sans finances ; il portait ses armes : de sable semées de billettes d*orau lion 
de même, couronné, armé et lampassé d'argent, brochant sur letoutjXe 
Ilëa^lme ouvert et grillé posé en profil ^ timbre: un demi-sauvage au na- 
turel ^ couronné de sinople , tenant la massue sur l'épaule dextre^ 
bourlet ethachemcns de sable etd^or. Le seigneur Antoine Hardy fut ho- 
noré de la dignité de chevalier, par lettres du Roi d'Et^pagne Charles II , de 
l'an 1670. La seigneurie d' Aulnoy fut jointe à celle de L'amars parle ma- 
riage de messire Antoine Le Hardy ayee dame Mavie Hardy , sa parente , da- 
me d' Aulnoy , des Mottes , de Thun , Gaumont, La Loge , etc. 



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des arts; il les cultivait en amateur zélé et en artiste ca)>al>ie^ 
il peignait surtout le portrait , et de vieux contemporains as« 
surent encoi^ aujourd'hui qu'il retraçait scrupuleusement la 
ressemblance et Texpression des figures : il s'essaya aussi à pein- 
dre le paysage et réussit souvent à rendre la nature avec fidé- 
lité et bonheur. 

Dès- qu'il fut son maître ^ son amour peur les arts et sa po- 
sition de fortune l'entraînèrent tout naturellement à réunir 
une belle et riche collection de tableaux ; il fit dans ce genre de 
notables acquisitions en Belgique et il parvint à rassembler une 
galerie qui malheureusement fut trop tôt dispersée. Ses sym- 
pathies artistiques le lièrent avec tous les hommes du pays qui 
partageaient ses goûts ; c'est à ce titre qu'il devint l'ami et l'é- 
mule de M. de Pujol, peintre-amateur, ée Louis ff^atteau, 
du statuaire Sali/, de M. Taboureau des Reaulx , intendant 
du Hainaut , qui prenait tant de plaisir dans sa société et celle 
de sa famille, que cette liaison devint la cause du premier éta- 
blissement de la chaussée de Valenciennes au Gâteau , dont le 
pavage eut alors lieu jusqu'à Famars , demeure de notre artis- 
te-amateur (i). 

C'est tandis-qu 'il occupait ce vieux château de Famars , hé- 
ritage de ses pères , reposant sur les ruines d'une ancienne ville 



(i) L'improvinatear Eugène de Pratlel , dans son •P'anoitama de Vaten- 
ciennes , applique ce fait par eiTeur à M. de Meilhan , et rembellit d*ane 
fiction poétique qu'on ne pardonne qu'aux disciples d'Apollon. C'est ainsi 
qu'en parlant du chemin de Famars il dit : 

ce Cependant le coteau qui vers nous se déploie , 

« S'abaisse traversé par. une antique voie , 

a Jeune dans sa structure et sa solidité 1 

« Ce mystère appartient , dil-on , à la beauté : 

« L'Intendant du Haioaut , pressé par sa tendresse , 

a De Meilhan , à Famars » visitait samaitresse ; 

a Ses désirs , accusant un chemin délabré , 

« Il fut , dans son trajet, pvomptament réparé. 

« Ainsi du lems Famour, rnsm-pant le domaine, 

« Rajeunit un débris de la grandeur romaine ! » 



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romaine conôacrëe au Dîcii de la guerre, qu'il fit la première 
d^ôu verte <fe cette gr^mde stallfe souterraine , voûtée et carrelée, 
supportée par des piNiers composée d'un grand nombre d'as- 
sises de carreaux rouges ; genre de construction que les anciens 
nommaient Hypoewusta et qui servait à chaufler hss apparte- 
ment et lesbafns dea grandes habitations (i). M. dé Famars y 
dëcou^t une quantité assez considérable de blé, asser bien 
conservé pour pouvoir être semé et produire , et assez bon pour 
en faire àxk pain qui piftt être mangé (2). 

M. Alexandre de Famars était doué d'un physique avanta- 
geux et d'un caractère généreux ; il possédait une aménité de 
caractère et une politesse de formes qui rendaient sa société 
fort agréable. Pieux sans bigoterie , il aimait à suivre les ser- 
mons des prédicateurs de quelque célébrité. : à-la-fois philoso- 
phe et philantix)pe , il tint à honneur de présider une loge de 
franc-maçonnerie. 

"Vers 1760, il épousa Marie-Thérèse- Joseph Lebouoq de 
Lompret, dame aussi remarquable par' sou esprit que par sa 
beauté. Son mari Fidolâtrait , et f comme on le pense bien , il 
employa souvent son taknt à reproduire les traits de celle qu'il 
chérissait. Il laissa d'elle un fort, joli portrait à la sanguine, 
genre fort en vogue alors, avec cette inscription doratique : 

c< De la beauté , de la vertu 
« Voici le chamiant assemblage ; 
' « Quel autre dou lui voudrais-tu j 
oc Les Dieux en ont-ils davantage ? 

Cette union , cimentée par l'amour le plus vif , ne dura pas 



(1) Ces mêmes souterrains furent retrouvés en 1824 et 1826 lors des fouil- 
les faites par une société d^arcbéologues ; ils sont situés sous 4e verger dépen- 
dant de Fhabitation de MM. Harpignies et B langue t , fabricans de sucre 
de betteraves. 

(2) Ces détails furent consignés à diflft^ntes reprises dans le Journal écfh- 
nomique des années 1763 à 1770. 



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loDgtems; M. de Famars mourut jeune | le 3o septembre i774> 
en sa maison à Yalenciennes , place du Boudinet. Il avait à 
peine atteint Tâge de ii ans; on Tenterra au cimetière de St.- 
Jacques , sa paroisse. Cet aimable artiste n'eut point d'héritier 
de son nom , mais en revanche, il laissa trois filles qu'on citait 
pour leur grâce et leur beauté. L'ainée épousa M. Rault de 
Ramsault , chef d'escadron de Mestre de camp de cavalerie 5 la 
seconde , le baron de Mandell .. colonel de cavalerie ; et la. troi- 
sième , le chevalier d'£«08se , dernier propriétaire du château 
de Famars. Ces trois dames vivent encore. 

Outre une grande quantité de dessins , d'esquisses et de pâ- 
tures M. de Famars a laissé plusieurs gravures devenues rares 
et dont quatre seulement sont tombées en nos mains. 

I. Le bon papa. Dédié à M. Pujol de Mortry. Gravé d'après 
un tableau de Brauwer, en 1768. Le sujet est un peu ignoble, 
mais expressif, comme tous ceux de Brauwer. C'est un bon 
père qui caresse son fils en bas-âge avec tant d'affection , qu'il 
ne s'apperçoit pas qu'au même instant Tenfant cède à la nature 
d'une manière toute différente. 

II. Za vraie gaieté. Dédiée à mademoiselle Le Hardy de Cau- 
mont. Gravure d'après un tableau original à^ Antoine Watteau 
de même grandeur (8 pouces sur 10 de hauteur), tiré du ca- 
binet même de M. de Famart. Le sujet représente , sur un fond 
de paysage , deux couples flamands dansant devant un cabaret ; 
un personnage les regarde les mains derrière le dos , un autre 
assis sur un cuvier renversé , joue du violon. Cette gravure est 
fort animée et d'un bon burin. 

III. Le portrait de M. Nicolas de Boutaultde Russy, colonel 
directeur d'artillerie à Yalenciennes. Le colonel, qui n'est 
plus dans la première jeunesse , est représenté en buste , entou- 
ré des attributs de l'artillerie , au centre desquels on voit l'é - 
cusson de ses armes ; au-dessous on lit ce quatrain : 

L'esprit aussi vif qu'amusant , 
Russy rassemble à son âge , 
De la jeunesse l'enjouement , 
Et les vertus du vrai sage. 

FAR SON AMI DE FAMARS. 

IV. Une fantaisie emblématique représentant uh demi-vase , 



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i»389<< 

UD Dieu Terme , un aigle et un buste de guerrier , liés ensem- 
ble par des guirlandes et des ornemens j cette espèce de cartou- 
che , tout de rinvention du graveur, donne une idée exacte du 
genre fleuronné, enrubanné et prétentieux du siècle dernier, 
auquel on donna le nom caractéristique de genre Pompadour. 
C'est cet essai, assez gracieux du reste, d'un burin d'amateur 
et la gravure du portrait de M. de Russy, que nous avons cru 
devoir publier aujourd'hui , dans l'espoir de faire échapper 
leur auteur à un oubli immérité. 

Arthur Dinavx. 



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iBS4>Q1ltli]PMl te^iM]ItV8ll{l«9iillS« 



( l4« ARTICLE. ) 



FLORIS VANDER HAER. 



Floria vander Haer, dont on a latinisé le nom en celui de 
Haixeus (et qu'il ne faut pas toutefois confondre , sous cette 
dénomination , avec Franciscus Harœus auteur de Histaria 
Ducum Brabantiœ^ reçut le jour à Louvain , vers i549; issu 
d'une noble et ancienne famille , originaire d'Utrecht , et dont 
la filiation remonte jusqu'au XII** siècle, Vander Haer tenait 
aux meilleures maisons des Pays-Bas. Son grand-père Luiol- 
phe vander Haer, marié en 1496, vivait encore en i5oi ; son 
oncle Jean, allié aux van Zujlen van Nivelt, fut receveur des 
domaines dans la seigneurie d'Utrecht , et son père , Lambert 
Vander Haer, était docteur en médecine à Louvain et y épou- 
fia Marie Vander Bureh^ d'une famille patricienne de cette 
ville; il y mourut en i558, laissant après lui trois enfans : 
Flaris, Lambert qui eut des descendans , et Marguerite morte 
religieuse à Utrecht. 



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Le jeune Floris , iiabîtant une ville célèbre déjà par son 
uniyersité , reçut une éducation soignée et fut dirigée dans ses 
études par Corneille Galère , savant professeur de langue lati- 
. ne. Après être resté jusqu'à Tâge de vingt ans au collège des 
trois langues de Louvain , il se crut une vocation pour l'état 
ecclésiastique et acheva son cours de théologie. Reçu prêtre ^ 
il enseigna lui-même cette science aux jeunes abbés du monas^ 
tère de -Sie.-Gertrude de Louvain , et passa plusieurs années 
de sa vie dans cet emj^oi discret et pénible , dont il s'efforça 
d'adoucir l'aridité en s'amusant à écrire l'histoire de l'abbaye 
qu'il habitait. 

Les trouMes de religion étant venus agiter toute la Belgique, 
Vander Haa: se «mit à en tracer poétiquement une histoire 
dont nous parlerons tout-à-rheure ; mais d^outé des hor- 
reurs qui ae commettaient dans sa belle patrie., il prit le parti 
de voyager eomme pkisiebrs des hommes éclairés et modérés 
de son siècle , et alla chercher , sous un autre ciel , le repos et 
les distraotiens qu'il ne pouvait plus trouver sur le sol natal. 
Il paroourut ainsi la France , qui , soumise elle-même aux fu- 
reurs de la ligue ne lui procura point la tranquillité qu'il re- 
cherchait avant tout; puis l'Italie, cette terre clafssique des 
beaux-arts , si riche de souvenirs et déjà si avancée en civilisa- 
tion. Il s'y trouvait au commencement de iSgi^Jwsqu'il eut 
la douleur d'apprendre la ^ort de Philibert dlmanuel de 
Lalaing , marquis de Benty , qui l'honorait de son amitié par- 
ticulière et qui périt misérablement le 27 décembi^e 1690, 
d'une^lessure reçue au siège de Paris oii il avait accompagné 
Alexandre Farnèse , duc de Parme et gouverneur des Pays-Bas. 

Floris Vander Haer revint alors en Flandre ,011 il avait con- 
servé des relations ameales et de puissant» protections ; il ne 
lui fut pas difficile d'obtenir un poste honoi^ble «t tranquille 
qui lui permit de reprendre ses études historiques ^ qui lui 
fournit les moyens de s'y livrer avec aisance et noblesse. Les 
gouvernans des Pays-Bas slemployèisent eux-mêmes à lui faire 
avoir une de ces douces et grasses prébendes de chanoine dont 
la Flandre était si bien pourvue ; il fut nommé trésorier de la 
riche collégiale de St.-Pierre , de Lille ; c'est désormais à cette 



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ville qu'il appartint par sa demeure, par ses travaux histo- 
riques et par sa mort. Honoré , pendant son long séjour dans 
cette cité, de la confiance justement acquise des souverains des 
Pays-Bas , il fut souvent délégué par eux pour présider au re- 
nouvellement annuel des magistrats de la bonne ville de Lille 
et pour recevoir leur serment. 

Le chanoine de St. -Pierre vivait à Lille d'une manière ho- 
norable , estimé des grands , aimé des petits et partageant son 
tems entre les exercices de piété, objet pour lui de la plus 
haute importance , et les études historiques , ses seuls délassc- 
mens. Bien que son esprit ne fut point ouvert aux idéeâ philo- 
sophiques qui cherchaient déjà alors à se faire jour , un cer- 
tain instinct y un amour de science l'attirait vers le petit nom- 
bre d'hommes éclairés que le pays fournissait alors ; sa socié- 
té intime se composait de Pierre d' Oudegherst y annaliste Lil- 
lois, dont il apprécie les chroniques à leur juste valeur^ en 
déduisant les raisons dont il appuie son jugement. Non seu- 
lement il porta ses investigations et ses recherches sur le pays 
qu'il habitait, mais il écrivit aussi une histoire de France 
qu'il n'eut pas le tems d'achever, et qui , restée inédite , est au- 
jourd'hui perdue et totalement inconnue. 

Vander Haer mourut à Lille au mois de février i634, âgé 
de 87 ans. V fut généralement regretté : son érudition dans 
l'histoire du pays et dans les antiquités ecclésiastiques était 
imme/ise ; son style était pur et même assez élégant pour 1 épo- 
que et le pays où il écrivait , avantage qu'il dût à ses voyages 
et au frottement continuel des hommes de haute naissance et 
de distinction qu'il fréquentait. On ne peut lui reprocher 
qu'un zèle un peu trop ardent pour la religion catholique , 
défaut qui n'en est pas un pour tout le monde et qui s'atténue 
d'ailleurs quand on pense au siècle où il vivait et à l'habit 
qu'il portait. 

On doit à Vander Haer les productions suivantes : 

L De initiis tumuUuum Belgicorum ad serentssimum D, D. 
Alexandrum Famesium Parmœ et Placentiœ ducem , lihri duo , 



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quihus eoruin temporum Historia continetur^ quœ à Caroli V 
Cœsaris morte usque ad Dueis Albani adventum^ imperante 
Margaretâ Austriâ, Parmœ et Placentiœ Duce , per annos no- 
vem in Belgio extiterunt, Duaci , Joanties Bogardus, 1687, in- 
8° de 33o pages. — 2® édition , dans laquelle Tauteur a fait 
quelques additions en divisant son livre par chapitres ; Lova-- 
nii, Jodocus Coppenitis , i64o , in-8° de 482 pages. 

L'abbé Paquot reproche à Vander Haer d*avoir , dans cet 
ouvrage , trop glissé sur les grands événemens en s'appesantis- 
sant sur des détails d'un intérêt minime. On peut expliquer ce 
défaut par la complaisance de l'auteur à raconter les faits dont 
il fut témoin , et la crainte de se tromper sur ceux consommés 
loin de lui. C'est ce qui arrive souvent chez l'homme qui écrit 
l'histoire contemporaine. Nous ferons, nous, un reproche 
plus grav€ à Vander Haer ; il excuse trop les rigueurs du duc 
d'Albe , qu'il serait tenté de qualifier de salutaires : qu'il soit 
bon catholique , d'accord ; mais il faut être humain avant 
tout. 

II. Antiquitatum liturgicarum arcana. Concionatoribus et 
Pastoribus uberrirmim Promptuarium : Sacerdotibus serium eor- 
ercitium : Religiosis meditationum spéculum : Nobilibus spiri- 
tualis vendtio : Laicis literatis sancta devùUo, Omnia ex diver^ 
sis Authorihu^ tribus tomis comprehensa. Duaci , Balthazar 
Bellerus, i6o5; 3 forts vol. in-8°. — Cet ouvrage parut sous 
le voile de l'anonyme ; mais le nom de l'auteur est assez révélé 
par cette espèce de devise, citée par Baillet dans ses Auteurs 
déguises, et que l'imprimeur a glissée dans son avertissement : 
« Floridus castis aris addictus , abincestis Haris alienus. Sui- 
vant le mauvais goût, du tems, auquel Vander Haer a sacrifié 
lui-même dans le titre de son ouvrage , le Douai sien Baltha- 
sar Bellère le désigne par un pitoyable jeu de mots comme un 
auteur fleuri , voue' aux chastes autels , et opposé aux impurs 
étoiles : c'est ainsi qu'il veut désigner les temples des protes- 
tans. 

Voici à quelle occasion Vander Haer composa cet ouvrage 
volumineux : se trouvant un jour avec le marquis de Renty , 

26 



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Ja conversation s*établit sur la meilleure manière d'entendre 
la messe; les avis furent partagés : la compagnie se rendit 
presqu'unanimementau sentiment de celui qui prétendait qu'il 
était préférable de méditer sur la passion du sauveur pendant 
le saint sacrifice de la messe ; "Vander Haer soutint qu'il valait 
mieux écouter attentivement ce qui se dit , et voir ce qui se 
fait dans cet auguste mystère et le bien méditer. Le marquis 
Ae Renty applaudit à cet avis et le cbanoine de Lille fit là-des- 
sus trois gros volumes qu'il dédia à la mémoire du marquis , 
mort sur ces entrefaites ; il lui devait bien cela. 

Il parait par le privilège, daté du 16 avril i6o3, que l'au- 
teur avait d'abord intitulé son livre : Antiquilatum liturgica-' 
runtsyniagma.,,. -ex manuscriptis codicièus, et rarioribus ve~ 
terum scriptis concinnatum. 

m. Les chastelains de Lille , leur ancien estât, office etfa^ 
mille. Ensemble V estât des anciens comtes de la république et 
empire romain, des Goths , Lombards , Bourguignons , François 
et au règne d'iceux des forestiers des comtes anciens de Flandre; 
avec une particulière description de V ancien estât de la ville de 
Lille en Flandre , les trois ehangemens signalez tant d'icelle ville 
que du pays, A Lille, Christofle Beys et Pierre de Rache, 
4611, in-4® de 299 pages , avec 6 tableaux généalogiques. 

Cet ouvrage, aujourd'hui recherché à juste titre, est celui 
qui fera conserver parmi nous la mémoire de Vander Haer, 
Paquot regrette qu'il n'y ait pas mis plus d'ordre ; ce reproche 
n'est pas toujours fondé. Le chanoine de St.-Pierre divise son 
histoire en trois âges , c'est cette division assez ingénieuse qui 
«uggéra plus tard , au père Wastelain , l'idée et le plan de son 
inléressante géographie de la Gaule Belgique : Vander Haer 
s'appuya , pour son travail , sur les écrits et les notes de plu- 
sieurs chroniqueurs du pays , entr'autres de François Piétin, 
chanoine régulier de St. -Augustin à Phalempin^ mort en 
i55o , après avoir rassemblé de curieux matériaux sur la cha- 
tellenie de Lille (1). 



(1) Le n*' 1000 des mss. de la Bibliothèque de Cambrai &i bien décrits par 



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s» 395^ 

M. Decroix a donné ^ dans la Biographie universelle , une 
analyse des ChcLstelains de Lille qu'il nous parait d'autant plu^ 
intéressant de reproduire qu'elle forme à elle seule Tarticle 
fort incomplet de Vander Haer dans le volumineux ouvrage 
des frères Michaud. (c L'ouvrage y dit M. Decroix, est divisé 
en deux livres. Dans le premier , Fauteur examine ce qu'étaient 
les comtes chez les Romains , jes Gaulois et les Francs. Il pas- 
se ensuite à l'état des villes , et prouve que presque toutes 
doivent leur origine à des châteaux autour desquels les habi*^ 
tans du pays venaient bâtir leurs demeures , s'y trouvant moins 
exposés aux attaques des brigands. Ces châteaux ^ Castra J ^ 
étaient une sorte de redoutes ou de forts que les Romains cons- 
truisaient pour la défense de leurs canton nemens. Il nom- 
maient l'ensemble des maisons, d'alentour Burgum, du mot 
Bourg de là langue des Bourguignons et des Francs, dont on a 
fait d'abord forbourg (1), Bourg en dehors, lequel, par cor-' 
ruption , s'est changé en faubourg. La ville de Lille a dû son 
origine tardive (vers le commencement du onzième siècle) à 
l'un de ces châteaux, et le plus ancien titre authentique qui 
en fasse mention est celui de la dotation du chapitre de Saitit- 
Pierre, dont Vander Haer était membre. Il est daté de l'an 
1066 (2). Notre auteur, après avoir parlé des révolutions que 
cette ville éprouva dans les siècles suivans, examine quels 
étaient l'état et l'office des anciens châtelains de Lille, qui de- 
vinrent ensuite comtes de Flandre. Il y a dans tout ce premier 



le savant bibliothëcaire de cette ville , M. Le Glay , contient une Descrip- 
tion de la descente des Chastelains de Lille aussy atrant que fi estime 
se pooir trouver i par François Piëtin, religieux dePhalempin. Ce mss. qui 
parait autographe , provient de Kabbé MutU » doyen de Cambrai et'a éié 
donné à la biblioth^t[ue par M. le chanoine Laloux. 

(1) Le petit peuple à Lille, et les paysans des environs disent encore au« 
\oviTà'hm forhou ou fourbou , pour faubourg. IL en est de même en Pi-» 
cardie. 

(2) En 1807 , le château ëtait dans une petite île formée par la Oeûle. 
Quelques habitations constiuîtes autour de celle île devinrent , en se multi- 
pliant , un bourg que Bauduin IV entoura de murailles en io3o , et auquel 
s'étendit la dénomination de Costrum Illense, Bauduin V y fonda le chapi* 
tre de Saint-Pierre , en io55 ; mais la dotation el la dédicace de Vé^Xm son^ 
de 1066. 



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livre une grande érudition et beaucoup de sagacité. Rien n'y 
est avancé que d'après des titres anciens , dont le texte est sou- 
vent rapporté en entier. Le second livre contient Thistoire par- 
ticulière des châtelains de Lille , dans les trois maisons où cette 
dignité a passé successivement par des alliances : celles de Lille, 
de Luxembourg et de Bourbon, Le premier châtelain connu est 
Saswales ou Saswalo, qui fonda, en loSg, Tabbaye de Pha- 
lempin , à trois lieues de Lille y sur la terre de ce nom qu'il 
possédait. Dans les titres latins de cette abbaye, il est nommé 
Sasvyalo, A ce deuxième livre sont jointes plusieurs cartes 
généalogiques dressées avec soin. On voit dans la dernière, qui 
contient la généalogie de la maison de Bourbon depuis saint 
Louis, comment la dignité de Châtelain de Lille passa dans 
cette maison par le mariage de Marie de Luxembourg, com- 
tesse de Saint-Pol, avec François de Bourbon , mort en i.^^5 , 
aïeul d'Antoine de Bourbon , père d'Henri IV. Ainsi le titre 
de Comte de Lille, adopté par Louis XVIII pendant son exil , 
n'était point fictif; et si les états de la province subsistaient 
encore, il y serait représenté particulièrement, comme pre- 
mier haut-justicier, par son bailli du fief et baronnie de Pha- 
lempin , qui , vers Tan io3o , faisait partie du domaine propre 
de Saswalo , et fit partie de celui de ses successeurs châtelains 
comtes de Flandre , et souverains de la ville de Lille et de son 
territoire jusqu'à la fan du dix-huitième siècle. » 

IV. Extraits du registre aux cognoissances de la ville de Lille 
de Van 1 286 , reposant a la maison eschevinalle, 1 1 o f**. — Id, 
du registre des plaids de la gouvernance de Lille, — Sentence 
de la noblesse de diverses personnes , — Plusieurs lettres de che- 
valerie, — Carte généalogique de la famille Vander Haer, — 
^\.% pages, 

Mss. dont l'écriture comparée avec la signature de Floris 
Vander Haer ne permet presque pas de douter qu'il soit en 
entier de la main de l'auteur des châtelains de Lille , qui au- 
rait eu le soin d'yiconsigner à la fin la généalogie de sa famille, 
sans inteiTuption depuis messire Giselbrech Vander Haer, 
chevalier, mort en i34i jusqu'à Arnoul Vander Haer, neveu 



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de l'auteur et Jean Vander Haer son petit-neveu à la mode de 
Bretagne. 

Ce manuscrit se fait encore remarquer par l'exactitude , la 
conscience et la précision dans les dates et les renseignemens , 
toutes qualités qui distinguent ordinairement Yander Haer ; 
il provient de la bibliothèque de Lille , dont il est sorti par 
une de ces épurations maladroites faites par des gens qui i^- 
gardaient comme inutile tout ce qu'ils ne compi'enaient pas ; 
il fait aujourd'hui partie delà bibliothèque de M. Diicas, 
agent de change , à Lille. 

y 

Vander Haer avait encore composé i ® une Histoire de VAb^ 
bayede Sie.-Gertrudedehou\Siinj dont s'empara l'abbé Jo- 
seph Geldolf de Ryckel pour mettre^dans son Historia sanctœ 
Gerirudis , imprimée en 1637 ; et 2® une Histoire de France , 
perdue jusqu'à ce jour, mais dont il ne sera peut-être pas im- 
possible de retrouver un jour le texte , maintenant que la fou- 
le des dénicheurs de manuscrits s'augmente à vue d'œil -et que 
l'esprit de consei'vation anime assez généralement et fort heu- 
reusement la génération nouvelle; 

Arthur Dinaux. 



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MDi&IftlilPItllS IBSILSX^ 



( 9* ARTICLE* ) 



%'^hhk IBdthd. 



DëLOBEL (Lauis'Charlea^Albert-JosepK) , poète français 
et latin , professeur de poésie au collège de Houdain , et en- 
suite chanoine de Saint-Germain , àMons, naquit dans cette 
ville le 7 août 1746 et y mourut le i«' mai i8i3. 

On peut dire de T^bbé Delobel qu'il fut poète en naissant | 
comme le voulait Boileaii. Il n'avait pas encore terminé ses 
études de collège , qu'il était déjà auteur de deux grands ou- 
vrages en vers. Un de ses condisciples qui passa tout-à-coup 
d'une profonde insouciance à des progrès rapides et surpre- 
nants, excita sa jeune verve poétique, et il fit un poème en 
huit chants et en vers alexandrins dans lequel il célébra les 
hauts faits de son ami. L'autre est un poème en vers de dix 
syllabes et en six chants ; il est intitulé les Rimailleurs con-' 
damnest On voit que le jeune homme est nourri de la lecture 
de Boileau ,deGresset et autres poètes des deux derniers siècles, 
car assez souvent on trouve dans ses vers d'heureuses imitations 



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de nos poètes. Ces productions sont en outre remarquables par 
une abondance d'idées et une imagination poétique qui n'ont 
point de bornes. 

Pendant qu'il était élève à l^université de Louvain, il tra- 
duisit en vers le commencement du a^ livre de TEnéide. Une 
lecture attentive et souvent répétée de Virgile et d'Horace, 
de Boileau et de Racine, avait formé le jeune nourrisson des 
muses, et il sut prouver par de beaux vers qu*il avait senti les 
véritables beautés de ces poètes ; son goût, la finesse de son 
oreille lui avaient appris que le mérite poétique ne consiste pas 
dans un assemblage de mots plus ou moins sonores, plus ou 
moins bruyans. Cette traduction fut imprimée à Louvain , en 
1770. 

L'abbé Delobel nous a laissé un poème en six chants inti- 
tulé : Folette, Le sujet est une épagneule , objet des petits soins 
de la part de sa maîtresse. Cet ouvrage est écrit en .vers de dix 
syllabes ; on y trouve de jolis détails et des vers faciles et agréa- 
bles : c'est une imitation du genre de Vert-Vert. Mais son 
poème de V Hymen ^ en cinq chants et en vers de dix syllabes^ 
composé pendant le séjour que Fauteur fit en Allemagne , nous 
montre le poète dans sa maturité. La composition en est inté- 
ressante et les vers élégants. Cet ouvrage , non plus que le pré- 
cédent , n'a jamais été imprimé. 

L'extrême complaisance de l'abbé Delobel lui fit composer 
beaucoup de vers de société ; on trouve dans ses manuscrits (1) 
quantité de bouquets, de stances; c'est dans celles-ci qu^on a 
remarqué ces deux vera tant cités par ses amis : 

lies beaux vers sont des fleurs qui jamais ne se fanent 
Et que la fauUda temps respecteia toujours. 



(1) Us sont la propriëlë de son neveu , M. Louis Delobel, membre de plu- 
sieurs sociétés scientifiques et littéraires^ né et résidant à Mens , physicien et 
auteur d'un ouvrage de physique (rès-estimë des savants, intitulée :i/btff'e//« 
Théorie de tUnit^ers , publié en 1824 , chez Dcmat, à Bruxelles. 



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11 fît aussi des chansons, des épilhalames, toutes ayant plus 
ou moins de mérite. Parmi ses épitres quelques-unes ont été 
imprimées ; nous citerons celle à larchevêque de Cambrai , à 
l'occasion de la visite de son diocèse en 1775 qui a été beau- 
coup vantée à Pépoquede sa publication. L'épître que Fauteur 
avait faite en 1777 > i^ouv l'empereur Joseph II, qu^on atten- 
dait à Mons à son i*etoui de France , est une composition im- 
portante pour la matière qu'elle renferme , son étendue, et le 
grand nombre de beaux vers qui Tembel lissent, en font une 
œuvre poétique très esti mable. Une épitre au duc d'Arenberg 
le jour de son entrée à Mons comme grand Bailly du Hainaut, 
le 11 janvier 1780 ; une seconde épître à Joseph II, lors de 
son inauguration; le 37 août 1781 , en qualité de comte du 
Haynaut, méritent aussi d'être citées avec honneur, surtout 
la première. 

Celles de ses stances imprimées sur la mort de l'impératrice 
Marie-Thérèse , et d^autres présentées aux confrères de la Mi- 
séricorde à Mons, par un jubilaire de la confrérie, sont dignes 
d'être mentionnées. 

Si les poésies de l'abbé Delobel ne sont pas remarquables 
sous le rapport de la nouveauté des idées , elles le sont sous ce- 
lui de la correction soutenue et de lexpression poétique, mé- 
rite très- rare et qui fait de notre auteur un élève distingué des 
grands poètes des 17' et 18^ siècles , qu'il s'est constamment ef- 
forcé d'imiter et très souvent avec bonheur. 

La fondatrice de Mons, Sainte Vaudru, fut chantée par 
l'abbé Delobel ; il fit des hymnes latines en son honneur, les- 
quelles ontétéimpriméesdans le propredu diocèse de Tournay. 

N'oublious pas de dire que des journaux du tems ont rendu 
un compte avantageux de quelques-unes des poésies imprimées 
de notre auteur, nommément le journal de Luxembourg des 
i5 février, i5 juillet et 1*" décembre 1781 , l'Esprit des jour- 
naux , etc. 

Louis Fumiere. 



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tï»e ti*^t«a33 



SUR LES FRANÇAIS, 
«tt492*. 



SOMMAIRE. 

L'an ii^2 ,' Àrstn qui etoit ffouuemeicr d'Arras, mourût: 
Charles V^Ilroy de France fait en su/plaee Jean de Creuecœnr, 
Jils de Creuecœur, qui nesioit lers aage' que de onze ans. Comme 
il 71'^estoit pas en estai de gouuemer, on lui donna jusqu' au temps 
qu' il eust atteint Paage un nomme' Jean Cardon, et ce nomme' 
Cardon ayant este' appelle à Amiens, laissa le soin du g otiue me- 
ntent à un nomme' Brison , homme /brt négligent. Ce que voyans 
les bourgeois d* Arras , qui n'auoientpas grand sujet d'eslre sa- 
tisfaits de la domination franco ise , prirent la résolution de la li- 
urer a son prince légitime , et de recouurerpar ce moyen leur li- 
berté. Ce dessin fut exécuté le cinq de nouemltre de la "même année 
par un nominé Jean Le maire , (i/VGrisart, boulanger de son mé- 
tier auec ses compagnons Jacques Lobel, Jean de St,-Pol , et 
Pierre Le Roy, tou^ bourgeois d' Arras , lesquels ont donné moyen 
aux gens de Philippe d'' Autriche fis de Maximilien , empereur^ 



• Extrait d'un manuscrit appartenant à M.. Tavocat-général Hibon ^ 
à Douai. 



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d'efitrer dans la vilhpar la porte de la Nenue riie a minuit, à Toi- 
dit de fausses clefs far eux fabriquées , conduits far Robert de 
Meiun, et Jean de Lannoy, sieur de Maingoual, ce qui réussit 
si bien que la ville et la ciàfjiirent saisis mussitost, et lesfran- 
çeii furent frismaniers: ce qui causa une joie extrême aux habitais 
é^ Arras, et frineifalement à ceux qui esteient exilés qu'on raf- 
fella sur le chamf. Cette joye se rallentitfeii après; car lesb^r^ 
ifoois souffrirent beaueouf far les allemans qui n'estoientfayés , 
^t se mutinèrent, VEuesque Pierre de Ranchicourtavec les prin- 
cipaux tant ecclésiastiques , que séculiers , y ayans esté arran^ 
çonnés, qui furent obliyés de quitter laditte ville pour aller de- 
meurer en celle deDouay. Il y atott alors seize ans qu'Arras es- 
toit sous la domination françoise. Et Maximilien pour réeem" 
penser Jean Lemaire, dit Grîsart, de beulenqer qu'il es toit fut 
faitmayeur de la ville , qui fut dm depÈtis formmmens pour tous 
les mayeurs , et auparauant il n^estoit qu^annuel. 

A cette prise d^Arras le menoMre des Carmes qui estait au 
fauxbourg de St.^Sauueurfut bruslé, et ruiné s et deux ans après 
ils furent restabHs en la ville ^ au Ueil eu ils sont a'^jomréthuyy 
par Philippe t comte d^ Artois ^ qui en est -le fondateur en tan 



Ployons présentement de quelle manière ces bourgeois se pri- 
rent pour remettre la ville d^Arras à Philippe, comte d'Artois. 



LA PRISE £T LA RÉDUCTION 

DES VILLE ET CITÉ d'aRRAS EN l'aN ±4^2, 



Cinq, ou six habitans de la ville d^Arras , pauures , niais 
d'ailleurs gens d'esprit, desquels auoient toujours esté attachés 
k la maison de Bourgogne^ ne pouuant supporter et souffrir 



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les însoleDoei que leur faisoient les François , qui estoîent en 
garnison dans la ville, desquels et plusieurs autres ayàns la 
croix de St. -André empreinte secrètement en lenr oœurétoient 
souTent troubtés, comme furent -les en&ns d'Israël smis la 
main de Pharaon. C'est pourquoy ces cinq ou six bourgeois 
«eulement pensefedt par quel moyen ils potuToient eschapper 
de cette senritede, remettant laditte ville à son vraj et naturel 
seigneur. 

La première conception fut imaginée par un maçon , lequel 
trois ou quatre ans aupàrauant que son dessein réussît , appela 
aucuns personnages , lesquels il sentoit enclins au bon et no* 
ble sang de Bourgogne, et èonueuables a conduite son imagi- 
nation qui fut tell^ Aucuns capitaines de la garnison auoient 
ès-maîns les clefs de la porte de la ville; mais estoient assez né- 
gligens d*y prendre une e^itréme garde ; car souuent ils les don* 
noient à leurs gens , lesquels n'en pi^noient pas grand soin , et 
dtsoit ledit maçon, que Ton pourix)it prendi'e lesdittes clef^ , 
et les conti'efaire par auccessidn de temps, moyennant la grâ- 
ce de Dieu ; qu'aupc bonne coi^kitte , on paruiendrait par ce 
moyen, à remetti^e la ville , cha^K , et cité ès-maihs et obéis- 
sance du Roy des Romains, et de Monsieur l'archiducq son 
fils. 

A cette intention oondésoendirent ceux qu'il auoit choisis 
pour mettre en train cette besogne, lesquels promirent et ju- 
rèrent fidélité ensemble pour y besoigner secrèttement chacun 
à sou possible. 

Les principaux de ceux qui furent pour auancer ce fait , es- 
toient hommes courts et gros , ayans la barbe et cheuelure gri- 
aes , comme le GrisaH ; et pour ce que souuent ils se trouuoient 
auec qui auoient le maniement de» clefs , ils estoient chargés de 
diligenter sur ce point; les autres le firent et promirent de con- 
tre faire les clefs , et les forger en autres villes qu'Arras, et 
Pierre Wartel natif d^ Bethune peintre de son stil , se chargea 
d'auertir, et de solliciter les seigneurs , et capitaines bourgui- 
gnons des frontières afin d'avoir conseil , et l)on sujet pour be- 
soigner, quand le cas escheerpit. 



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.Mais auant que cette entreprise fut en train , le maçon, pre-* 
juier inuenteur tomba malade. Il fit venir ses adherans , et les 
.força instamment sur touttes choses, qu'jls s'employassent 
d!accomplir, ce que par ensemble , auoicnt pour parlé , et pro^ 
mis tant pour le bien du pays que pour Thonueurde leur lé— 
gitime seigneur et aussitost rendit Teâprit. Les autres ne lais* 
«erent pas de poursuiiire leur fait, et Griaaii:.8uiuant lacon— 
noissance, et grande communication qu'il auoit auec ceux qui 
en auoient le gouuernement, fît connoissance auec un nommé 
Chaue , leqjiel ouuroit aucunes d«8 portes de la ville. Il Ten- 
tretint de joyeuseté fort plaisante , le pouruoyant de vin fort 
f liants et banquets délicats , auxquels il se sentpit (ori incliné; 
et tant se confioit ledit Chaue en la preudhomie dudit Gri- 
sart, quç aucunes fois paresseux dequitter la table, luy donna 
charg4i de la poite, do^t. ledit Grisart, accomplissant libérale- 
ment son commandement ^ et iceluy Grisart profitant de Toc- 
casion , prit les figura empreintes desdittes clefs à sa volonté; 
puis les liura es mains de ses comp^nons , qui secrètement fi- 
rent foi'ger les clefs es villes prochaines, tenans la porte des 
bourguignons, et agirent aiM^taut de diligence, qu'en fort 
peu de temps, quinee ou sef^ defs tant des portes que des 
guichets furent faites et appoiléea à la neuue rue, par laquelle 
revint celuy qui auoit fait forger les clefs ; et d'autant que la-* - 
ditte porte ne s'ouurait que dans le temps que Ton amenoit les 
bois et les fourragea en la ville, lés manans d'ioelle ne se fus« 
sent jamais douté , que mal fortune leur fut arriué par ce 
quartiet*. 

I^ peinti^ dessus nommé en suiuant la fortune , et pour le 
bon zèle qu'il auoit à la quei^elle des Bourguignons, diligenta 
grandement vers aucuns seigneurs de Haynault, et capitaine» 
Bourguignons des forteresses prochaines. Robeii; de Melun ^ 
Louis de Boudry , et autres , ausquek il décôuurist totalement 
le secret, après qu'ils luy promirent qu'a leur possible, ils ta^ 
cheroient d'amener à fînalle exécution. Et de fait le mirent en 
la bouche d'aucuns grands personnages, qui volontiei^ tenten* 
dii^nt, et le fait fut très agréable, et y consentirent, tellement 
que plusieurs autres hommes chefs de guerre, et gentils com-« 
pagnons firent les préparatifs paur besoigner , quand le tempa 



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serait tenu. D'aitire part Grisart àuoR la fchose à coeur , ^ fie 
taïauquant en rien de s'étudier sur les auenue^de laditte porte^ 
et a cause que souuent faisant le guet pour l'un et pour l'autre, 
il ouuroit aussy- lesdites portes , il auoit crédit tant d'aller que 
de venir Ëicilement sur la muraille, en sorte qu'il vint en la 
mémoire tant du dît Grisart que de ses adherans , que la plus 
part des garnisons tant d' Arras que de la cité , estoit lors empes- 
cbée auec le bâtard de Cordonne , pour defiendi*e la ville de 
Boulogne-sur^mer, assiégée du royd'AngleteiTe, que par la on 
viendroit plus facilement à la réduction de cette entreprise ; 
car l'appointement de l'Anglois et BouUonois estoit en train de 
venir a chef, et par ce moyen , la garnison d' Arras reuiendroit 
sy que par le co^^ntement des capitaines Bourguignons , la 
délibération de^px-qui conduisirent le fait , il fut conclu que 
de nuit.se feroit cet exploit , et fut le Jour et heure assigné par 
un dimanche 4' j''^ur de novembre 149^' £t le signe qui fut 
donné entre les gens d'armes , et le conducteur de cette afiaire, , 
est besoigné par une chanson , comme marchons Ladurea, ou 
durea. Ne faut pas demander si le Grisart , le peintre, le serru- 
rier, et ses adhéraiis furent inquiets un jour ou deux avant 
l'accomplissement de cette affaire ; ils estoient dans ^m cruel et 
horrible danger , et di le ténébi*eux secret en conseil fut venu a 
certaine renommée, et lumière, ils étoient rafflés et ramonés 
«ans miséricorde; mais ils mirent le tout contre le tout, et se 
reccom mandèrent à Dieu , et à Notre Dame , ausqiiels de bon 
coeur s'estoient voués , et pour estre mieux ass^urés^ en pour- 
uoyant aux peines, qui en pourroient ensuiure, et pour tater 
si la chose estoit diuulguée , le peintre estoit parti de Bouchain 
le samedy la nuit, ainsy que le lendemain se fit l'entreprise , et 
entra du matin à Arras, alla à la première messe ^ et après il 
alla de eosté et d'autre : il s'altachoit spécialement à setrouuer 
auec des gens de guerre pour ouyr des nouuelles :- mais ï\ 
n'ouit chose qui kiy pût contrarier. Ilauoit trouué lacilement 
le moyen aueo ses adherans de conti^faire les clefs de Tég^isede 
St.-Gcry, ou estoit la cloche dit guet, et quand ce vint au soir 
enuiron vers les neufs heures, ilentra en ladite église et monta 
au clocher, et lia le batande la cloche auec des cordes, telle- 
ment qu'il estoit impossible qu'icelle rendit un son suffisant 
pour éueiller la garnison ; et enuiron les dix heures et dcniyi^ 



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îedit peintre se cacha dmis une étabie auprès de la porte de \a 
Hugeriie, ou ueuue rue pour entendre le mot du guet, qui 
fut St. -Georges, et dont il auertit ses adhéi^ns, ausqueb a 
quatre qu'ils estoient sur la muraille , dont deux gardoient la 
porte auec deux autres de la ville qui rien ne sçauôient de ce 
qui deuoit arriuer, et énuiron onze heures , il» ouurirent Ihui- 
chet de la porte , deualerent la planchette, issue proche de la 
ville , et y trouuant le capitaine Louis de Baudrj, qui lui <k- 
manda : « Peintre, quelle nouuelle? » Auquel il re'pondit r 
« A vous autres en cette nuit honneur et pi'ofiit , car la chose 
» est fort bien conduite jusqu'à maintenant, Diieumercy! H 
» est temps et heure d'açheuer et de #e saisir de ce que long 
» temps avons enuie. ^\ .^^ . 

L'armée des Bourguignons, et AHemàns au nombre de qua- 
tre mils à cheval, et autan td^nfonterie, entrerentdans la ville 
sans estre apperceii , ny décôuuertde qui que ce sok, sinon de 
ceux qui conduisoient cette entreprise ; la lune cependant lili- 
soit; mais iceux Bourguignons auoieotsi bien entrekssé leur 
troupes, qu'on n'entendit aucun bruit. Le vendredy aupara- 
uantPonthem, héraultdu Roi de France, vint annoncer la 
paix entre la France et FAngleteri*e, dont ceux de la ville es- 
toient si épris de joye^ qu'ils ne pensoient plus à garder leur 
foi'teresse , pré^aroient leur feu de joye , et se disposoient à se 
diuertir le lendemain , mais ils furent bien surpris, et leur 
joye changea en tristesse au bruit des armes, qu'on entendit de 
tout costé au milieu de la nuit. 

Les principaux capitaines conducteurs de^cette compagnie fû« 
rent les.sieurs Du Forent, Loviîs Baudry, Robert de Melun, et un 
capitaine de 1 4 cens allemands , ou estoient enuiron cent suis* 
ses auec Philippe de Belle Forière, Robert Ruffîn , le preuost 
d'Auesne et auti^s. Cette assemblée assea vigoumise et suffi* 
santé pour venir à chef 'de leurs entreprises , se trouua bien 
assurée , quand elle apperceut le peintre tenir sa promesse en 
temps , qui estoit sorti hors la ville audenant d'eux pour con- 
duire la besoigne , et se confiéti^nt entièrement à luy , comme 
un conducteur et complice. Alors un chacun prist la chose à 
cœur, et le peintre demanda iS-piétons.pt^ur estre au dessus de 



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la porte , qui lui furent aussitost accordée ptomettant de re- 
tourner vers eux ; et alors il àuertit ses adhéra ns, qui n'esloieut 
pas fort éloignés par ces mois, Marehons ladurea ou àurea ^ 
c'estoit une chanson vulgaire, qui auoit cours alors. La porte 
aussitost fust outierte pour les «3 piétons que le peintre ame- 
noitauec luy, et le signe donné par la chanson les troupes d*ap- 
procherent et entrèrent en la ville d'Arras par laditte porte. 
Alpfs le bruit à&è tambours , timbales ettit)mpettes, et lescris^ 
des gens de guerre , et hurlemens des bestes , mirent en conster- 
nation toutte la ville , qui ne s*attendoit à rien moins. Per- 
sonne n'osoit omirir sa porte ; mais se contentoient d'ouuiir 
leurs fenestres pour regarder ce que c'estoit. Par rapport à la 
garnison il n'y auoit rien à craindre ^elle se sentoit encorre de 
la fatigue qu'elle auoit eu à la deffense de Boulogne : n^ais quand 
on eust crié : Viv9 la maison de Bourgo^zte ! et que cela fut lé- 
pandu par les carrefour de la ville, et paruenus aux orçilles 
des habitans ; aucuns d'iceux se réjouirent, et autr^ d'jceux se^ 
désolèrent ; et lors fut crié que quiconque voulait tenir la pa- 
trie se retirassent au marchéou plusieurs se joignirent auecles 
capitaines. 

Ce jour la les marchands de France , auoient ti*èf bien 
fournis le marché de vin friand ; mais sans longue essay, et 
sans demander combien , ils furent soudainement enlevés, et 
quand les Bourguignons se virent -roaistres du marché , des 
cai refours et des rues,. ils donnèrent Tassault au grand Châ- 
teau d'Arras, qui se rendît aussitost, et les ti^oupes au nom- 
l»^.de six vingts furent faits prisonniers, et perdirent deux 
cens cbevaiAx de selle. Iceux Boui^uignoos ayant conquis* la 
ville, «t le château sans samuser au pillage, poursuiuirent 
leur victoire , et allèrent pour se rendre matstre de la cité , on 
1« peintre et Grisait avoit mis une personne de leur party, qui 
deuQÎt ouurir la porte 9^n tumulte de Teffroy, ce qui cqiendant 
n'exécuta pas. Nonobstant cet inconuénient , ils firent donner 
assaultf et dresser échelles pour gagner le haut des murailles,, 
et les AUeioans fyrt s^giles à moàter firent en cette occasio» 
des choses incroyable ; enfin ils entrèrent dans la cité , tandis 
que le chanoines «t chapelains chantoient les matines ; et lors 
comme ils chantoiebt rinuitatoire en leur chœur, la gendar-i 



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merie fit don introitê dans l*Ëgliâe , dont iceux furent memeil- 
leusenient ëtonnés devoir, et ouir tels appliquant , et minis- 
tres , sans chappes et surplis , et sans robbes , montés au pluâ 
haut de leurs formes , tenans en mains des hallebardes , et ar- 
quebuses , picques , et longues broches au Ijeti d'encensoir, et 
finalement du très redouté nom de Bourgogne , et un ires 
horrible cris qui s'éleva dans laditte Eglise. Fut la garnison 
d*icelle tantestonnée que pour tout vaillant plusieurs payoicnt 
leurs hâtes de grandes couardises , eux laissans tomber des 
murailles de la ville. Le lendemain enuiron 5 Jieures du ma- 
tin les Bourguignons et Allemans saisirent et gagnèrent leur 
place, et les douloureux français furent expulsés quelques 
jours après. Charles de Belleforrière auec aucune autres se 
mirent audessus de la ville et château de Bappaume , et Robi- 
net Ruffin saisit la ville et château de Lens. Tout cela fait, les 
soldats commencèrent à penser au butin ; mais pour éuiter la 
ville du pillage Robert de Melun, le sieur du Forcst, Louis 
de Baudry, et le sieur Stenbourg Allemand, qui estoiénttous 
les principaux officiers , de Tauis des officiers subalternes , ré- 
solurent pour sauuer la ville du pillage dont elle estoit mena- 
cée, qu'on payeroit aux soldats la solde de trois mois. Il y 
auoit alors plusieurs habitans François , Norttians et estran- 
gers, que le roy Louis après auoir pris la ville y auoit fait 
venir pour repeupler de nouueau , et déboutter hors de leurs 
biens , et héritages les bons manans , héritiers , propriétaires ; 
en rétribution de ce grandement les François et Normans fu- 
rent vexés, et inhumainement traités et emprisonnés ; et d'au- 
tre part ceux qui estoient natifs de la ville n'auoient pas sujet 
d'estre contens de la garnison , qui buuorent et mangeoient 
leurs biens , attendant le payement qui leur auoit été pi'omis , 
lequel tardoit trop longtemps à venir, et mnrmuroient sur les 
capitaines, disans que tout le butin lïç venoit à' compte, et 
que souuentes fois on les tôurhoit de costé et d'autre , et que 
les confiscations , compositions et rédemptions des personnes, 
ensemble les deniers des assignations faites tant sur les églises , 
que sur le corps de la ville pouuoifent montera la< somme de 
cinquante mille f\*ancs de quarante gros.Surquoy les capitaines 
de'liurerent aucuns pay^mens aux Allemands plus déserteux 
et importuns. Les Wallons i^çeiu*ent aussy quelque paye- 



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filent; mais ny les uns ny les autres ne furent cdntettâ, et 
alorfe les soldats se mutinèrent, se saisirent de leurs officiers , 
et principaux bourgeois de la viHe , lesquels furent encoffrés, 
comme les capitaines ; mais les capitaines tant d un costé que 
de l'autre t^^ouuet-ent le moyen de sortir, et les bourgeois à 
grosses bourses y demeurèrent. On ne sçauroît s'Jmaginer ny 
penser les outi-ages et insolences qui se commirent lôrs sur le 
manans et habitans de la ville et cité d'Arras , non seuletnent 
sur les gens lays et séculiers ;'mais aussi sur les gens d egliSe, 
euesque , doyen , et chanoines , prieurs et religieux en géné- 
ral , et en particulier, en un mot rien n'eschappoit à leur aui- 
dité. Ils âuoîcnt si grande multitude de vaisselle, joyaux et 
chaisnes , que les coffres n*estoient suffisans pour les enfermer. 
Les laquais, tambours, pages, trompettes estoient chargés 
d'aiguillettes d'or, de tasses , de louches d'argent. Non con- 
tens de tout ce que dessus , ils s'adressèrent à leuesque d'Ar- 
ras nommé Pierre de Ranchicourt , fort noble et vénérable , 
tant par son caractère, que par son aage, nonobstant qu'il fut 
fort humble, paisible, et miséricordieux, et le plus affable 
prélat que de longtemps porta mitre, jl fut par jceux Alle- 
mands maltraité , quoiqu*on eut fait tout ce* qui eâtoit capable 
de les appaiser et qu'jls eussent esté plus que payés par des 
nouuelles impositions qu'on fît alors , jls le menèrent prison- 
nier dans une maison assez près de la porte de la rue neuue, 
par ou jls estoient entré, oii jl fut soigneusement gardé dans 
une chambre haute par six Allemands armés.' Ce vénérable 
personnage fut séparé de ses parens , seruiteurs et amys , com- 
me l'agneau d entre les loups affamez , en grande perplexité , 
durement traité , menacé , repoussé, perturbé , passant le tems 
malgi^ luy en grande divisîon entre les ribaux , et femmes dis- 
solluës; et quand aucuns dé ses amys approchoient de luy pour 
le consoler, et administrer ses nécessités, jls estoient cruelle- 
ment rebutés, et renuersés du haut en bas. 

Ne faut demander si uniuersellement lepeupled'Arrasn*es- 
toit touché de doleance, sentant son bon pasteur, et prélat au 
milieu des loups rauissants ; .V raison de quoy pour amolir le 
mauuais courage des detempteurs , Messieurs des Eglises déli- 
bérèrent de faire une procession generalle , laquelle auec très 
grande deuotion fut honorablement conduitte. 



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Or estant captif ci! hoble , et vertueux prélat , qui pargmnde 
«unertume de coeur auoit les yeux plongés en larines , la sta^ 
tion desdittes processions fut &it€ deuant la maison ou il estoit 
détenu , sous Tesperance de le retirer des pattes de ces cruels 
loups ; jaçoit que nous voyons souuent les douces gouttes et 
eaux desdittes pierres distiller, une vei^ede lait un gros ser- 
pent tuer y et un petit page un gros cheual dompter; mais jl 
ne fut alors procession assez suffisante pour mouuoir le cou- 
rage desdits détempteurs , ni deuotion qui fut capable de les 
attendrir, et ce saint pi*élat fut obligé de demeui*er entre leui^ 
mains y et la procession frustrée de ce qu'elle auoit espéré. 
G;ux qui la faisoieqt s'en retournèrent chacun dans leur 
Eglise remplis de tristesse , et s'assemblèrent de nouueau pour 
examiner comment recouurer par crainte de damnation , ce 
que l'on n'auoitpu auoir par amitiée , pourquoy jls jnterdi- 
renttous les églises , et ordonnèrent qu'il seroit fait uu pour- 
chat pour déliurer aux Allemans , et par ce moyen réussit. 
L'Ëuesque sortit de prison , et fut ramené en un logis deuant 
le cloistre de Nôti'e-Dame ; et quand il se sentit déliuré, il 
trouuafaçoQ de, s'éloigner de ce très dangereux danger, et se 
tint en la ville de Douay pendant quelque temps , et après que 
ces mauuais garnemens eurent employés ces épouuentables 
malicce enuers TEuesque, les pasteurs et chefs du clergé, jls 
enfoncèrent et persécutèrent la mère (c'est-à-dire l'église), 
occirent les frères, dépouillèrent son père, et lorsque l'Eglise 
vouloit décorer aucunes solemnités , de riches ornemens pour 
complaire à son époux Jésus-Christ, et parer richement la 
place , ou il deuoit coucher f ee^t à ^ntendr^ VauttlJ, elle se 
voyait ravir plusieurs images , joyaux , et reliquea, calices, 
crcûx d'or, et d'argent estimés ^ un fort haut prix ; et quand 
lesdits satellites venoient a l'Eglise de Notci^Dame, c'estoit 
plus pour rapiner que pour y adorer Dieu% Ils se disoient lun 
a l'autre : « Sommes nçus «n danger de ^ayêmsns , fuand nous 
m voyons si grand trésor; j'ine nous coûtera que la peine de le 
• prendre. » puis s'en tretenoient quelque temps ensemble, et 
après s'approchoieut des chanoines disans bien sérieusement : 
« Donnez nous ces reliques pour ttous viure , et entfretenir, car 
» l'argent nous manque. » Les chanoines répondirent que rien 
n ei^ feixiient. Prenez les si bon vous semble ; de laquelle re- 



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pooée 8e eootentcrettt fort mal ; mais jls ue ârent pour celte 
fois nulle Tiolence , et pensèrent les aiM>.ir d'une autre ma^ 
tiière , tellement que lesdktes reHques , encensôires , plats d^ar^ 
gent, j mages, croix , bénitiers, tout ce qui pouuoit seruir à 
Tautel fut saisi , et tomba en leur mains. 4^ calices, dont deux 
etoient de fin or, et les autres d'argent doré , lesquels , avec 
vaisselles , chaisnes , ceintures joyaux et rubis , pris ça et la , 
furent fondus^ et mis par lingots , dont jl y en auoit neufs 
maix» d'or, et dix huit d'argent , et en après jls déparèrent 
l'autel de cinq piliers' d'argent que le roj Louis Xt* leur auoit 
donné , dont le tombeau de la comtesse Mahault d'^Ârtoîs auoit 
esté richement étoffié , et parauant renserré. Non contens de 
tons ces excès , et ne pouuànt assouuir leur auarice exti^ême ; 
jls dépendirent le crucifix d'jcelle église rèuestu de plaque 
d'argent, comme auoit fait. Joseph et Nicodeme pour le met- 
tre en sepulchre; mais jceux rauisseurs , pires que Turcqs et 
Sarrasins, le dépendirent pour lu y oster et dérober ses riches 
vestemens; et après auoir dépouillé le père et la m^re, comme 
il appmt , jls persécutèrent leurs enfans , c'est-à-dire les cha-^ 
noines , parce qu'jls ne leur donnoient argent à volontés. Ik 
en enfermèrent plusieurs dans des caues obscures, ou jls res- 
tèrent depuis le jeudy du matin jusqu'au samedy au soir sans 
leur donner subsistance pour leur soutenir leur vie, desquel- 
les cruautés Jean Benoist chanoine d'Àrras docteur en théolo- 
gie^ personnage très vprtueux , et de grande recommandation , 
aùsny bien que M* Jean de Tongre docteur, et chanoine de 
laditte ville finirent malheureusement leurs jours; Les moi- 
nes de St.'^Vaast ne souffrirent pas moins que Messieurs les 
chanoines, et leur église eust le même sort que la leur. Ils y 
enleuerent les reliques et cal ioes,. chandeliers, basions, en un 
mot tout ce dont on pouuoit faire argent; même la riche table 
d autel étoffée de dignité, pierrerie d'admirable et subtille 
fabricaturé, et qui toujours estoit demeurée en son entier,, 
pendant que les françois estoiept màistres, fut brisée, fondue 
et abbatùe , dont le dommage fut plus grand pour la forme , 
façon et artifice d'jcel|a qui sembloit estre irrécupérable, quc- 
^ur la perte de ses matéreaux. Après qu'jls eurent fait tou^ 
teâ ces énormités sans craindre ny Dieu ny les Jbommes , dix 
ou douze se retirèrent et s'habillèrent dés riches chappes , et 



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ornemeiiA d'église par deriaion , l'uQ4K>miiie pi*elat et rtiutre 
ooBiine diacre .et 80us-<liacre contrefirent les saints mystères ^ - 
et cérémonies de TËglise de Dieu , chantoient et buuoient les 
calices bénis , et polïuoient de sang humain les saintes reli^ 
ques et le sabctuaire | qui par eux deuoit esti-e honoré et 
veneré. . 

Mais comme des crimes aussy énormes que tout ce que des*' 
sus f ne pouuoient demeurer iongtems jmpunis deuant la face 
de rSternel^ les cheft et officiers AUemans, après en auoir 
fait prendre plusieurs , assemblèrent un conseil , par lequel 
trois des plus insolens , furent condamnés à estre menés sur 
la plus haute chambre de leur logis , qui estoit sur le grand 
marché d'Artas, et de sauter par des fenestres sur des piques 
qu'on auoit dressé les pointes en haut pour les receuoir, et 
les y laisser expirer. Mais aucuns de leurs amys prièrent tel" 
. lement pour eux touchant ce nouueau genre de supplice dont 
Jl n'y auoit pas encore eu d'exemple ^ et afin qu'jls nesou£fri- 
rent pas si longtemps , on ordonna qu'aussitost qu'jls seroient 
tombés des batimens sur lesdittes piques^ jls seroient d'icelletf 
âbbatus et acheués par les haliebardiers qui estoient présensi 
et ces malheureux fiuirent ainsy leurs joura* 

Voila de quelle manière la ville et là cité d'Arras furent 
vendu a son seigneur et prince naturel Maximiliejv premier 
de ce nom en^pereur des Ailemans , et roi des Romains , et de 
son fibl'archiducq par Jean Le Maire, autrement dit Giisart 
eu l'an du rachapt du genre humain le 4 dejoobre iA^ià. 




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W^Hé tft ftn ^e Skat^t 



ou 



LA TAU]>EM£ EN ARTOIS. 



Les lecteurs des Archives n'ont sans doute pas oublié Thori;'!- 
ble supplice du malheureux poète , connu en Artois sous le 
nom d'yièôe de peu de sens ^ au milieu du XV® siècle. Les ren- 
seignemens que Tauteur a puisés dans une édition tronquée 
des mémoires de Jacques Duclercq étaient incomplets ; l'édi- 
tion donnée par M. de ReifFenberg et reproduite par M. Bu- 
chon , dans sa collection des chroniques, nous met à même de 
donner un utile appendice à l'article intéressant publié à la 
page 54 des Hommes et des Choses, Pierre le Broussart, jacobin, 
inquisiteur, se trouvait à Langres , où se tenait ^e chapitre 
général de son ordre , en 1 4^9 , lorsqu'on y brûla comme vau-' 
dois un hermite, nommé Robinet de Vaux , natif d'Hébu- 
terne , en Artois ; ce malheureux laissa échapper au milieu des 
tortures les noms de Déniselle et de maître Jehan Lavite, dit 
Abbé de peU de sens. L'inquisiteur, de retour à Arras , fit ar- 
rêter, environ le jour de tous les saints, ladite Dénisell6 , fem- 
me de folle vie , qui demeurait à Douai. La pauvre femme, 
après avoir supporté courageusement la question , qu'on lui 
avait appliquée plusieurs fois , finit par succomber et confesse 
tout ce que l'on veut : elle s'accuse de vauderie , et reconnaît 
J'Abbé de peu de sens pour son complice. Celui-ci cependant 



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avait dérouté les limiert de saint DcMttinique, et commeDçait & 
respirer dans la retraite qu'il avait choisie, à Abbeville ; mais 
Tinquisiteur fit tant qu'il le découvrit. Il se rendit aussitôt 
dabs cette ville, arrêta Jehan Lavite, et le ramena en la cité 
d'Arras , le 95 de fi^riar. Là les boutreaitft Tatleiidaient avec 
la question du chapelet; le poète le savait ; effrayé d*être trahi 
par ses forces , et de compromettre ses amis par des aveux arra- 
chés par la douleur, il veut se couper la langue avec un canif 
et se fait une blessure qui l'empédie de parler pendant long- 
tems. Mais Tinquisitioil ne s'arrête point pour si peu : c'est 
par écrit qu'il fera ses aveux et qu'il nommera ses complices ; 
et en effet le pauvre vieillard c— fcsifl-q»i'ii a été en vauderie 
et qu'il y a' vu beaucoup de gens. Cette con'fession eut lieu 
devant les vicaires de l'évèque d'Arras , absent , c'est à savoir 
Pierre Duhamel , archidiacre d'Ostrevant , Jean Thiëbault , 
officiai , Jean Pechon , et Mathieu Duhamel , secrétaire de Té- 
véque» toqa quatre chanoines d*Arras, et Jacques Dubois , 
docteur en théologie , aussi chanoine et doyen en T^lise de 
Notre-Dame d'Arras , qui s'était mis avec eux. Plusieurs per^ 
sonnes furent arrêtées par suite des déclarations de l'Abbé' de 
feu de sens , mais les vicairas généraux se décidenjt bientôt à 
les renvoyer tous sans nulle punition. Dubois s'oppose à cette 
sage résolution , range a son parti le frère mineur, Jean Faul* 
connier, évèque de Baruth, suffragant de 1 evêqne d'Arras, et 
va ti*ouver à Péronne le comte d'Etarape , capitaine général des 
marches de Picardie , pour le duc de Bourgogne. Le comte 
vient à Arras , rappelé aux vicaires les oixires que Philippe le 
Bon leur a donnés , leur commande de faire leur devoir des- 
dites personnes prises , ou qu'autrement il s'en prendraità eux- 
mêmes. Les vicaires-généi-aux cherchèrent à se soustraire à cet 
ordre rigoureux. Toutes les confessions des prisonniers accu- 
sés de vauderie sont par eux envoyées ^ deux ecclésiastiques^ 
renouâmes par leur piété et leur savoir ; ce sont Gilles Carlier, 
docteur en théologie, professeur au collège de Navarre, à Paris, 
et doyen de Téglise Notre-Dame de Cambrai depuis pfès de Ào 
ans, et Grégoire Nicolaï ou Nicollet, chanoine et officiai de 
l'évèque de Cambrai. La réponse de ces docteurs fut que les 
vaudois repentant ne méritaient pas la mort. L'évèque d'A- 
miens, Ferry de Beauvoir, les jugeait plus sainement encore; 



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il pensait que ces maUiéureux , auxquels les bourreaux die- 
taieatdes aveux , n'avaient pas fait et ne pouvaient pas même 
faire ce dont ils s'accusaient. Jehan Taincture, docteur en 
théologie qui demeurait à Tournai , écrivit , de concert avec 
plusieurs autres botablâ clercs, un beau traité sur la vaude- 
rie, dont la publication eut pour effet de faire relâcher les 
prisonniers qu'on détenait à Tournai sous ce prétexte. Le 
Èinatisme du do^en d'Arras s'en ébranlait peu ; au contraire, 
plus il rencontrait d'obstacles , plus il se montrait ardent à 
poursuivre ceux que la haine, la^ cupidité ou une aveugle 
crédulité désignait comme va udois. Le procès des prisonniers 
s'instruisit de nouveau devant un tribunal où vinrent siéger 
tous les clercs de la ville et cité d'^ rras et quelques laïques , 
tels que Gilles Flameng et Mathieu Paille , avocatf de Beau- • 
quesné. Le lendemain , neuvième jour de mai , l'Abbé de peu 
de sens, Déniselle, quatre autres femmes du peuple et le ca- 
davre de Jean Iief«bvre , sergent des échevins , qui s'était étran- 
glé la nuit dans sa prison j tous sept coiffés d'une mitre oii 
était la figure du diable adoré par un vaudois , furent amenés 
sur un ^chafaud élevé , dressé dans la cour de la maison épis- 
copale , en la cité ; l'inquisiteur les prêcha en présence d'une 
foule immense , a<:courue de dix ou douze lieues à la ronde ; 
JeanLavite, comme ces femmes, infortunées, répondit oui à 
chacune des charges absurdes sur lesquelles on Tinterrogeait , 
^t après cette confession , la sentence fut prononcée , en latin 
et en français, par laquelle ils furent rendus à la justice laye 
comme pourris et non dignes d'être avec les membres de sainte 
Eglise , et tous leurs héritages confisqués au seigneur et leurs 
biens meubles à révêque. Déniselfe fut rendue à la loi de 
Douai qui était venue pour la prendre ; la loi d'Arras eut les 
quatre autres femmes et les cadavres, et l'Abbé de peu de sens 
fut ilendu aux prévôt et échevins de la cité. Tous mouru- 
rent avec courage, protestant de iei^r innocence jusque sur 
le bûcher et vouant à l'exécration du peuple Gilles Flameng , 
dont les fallacieuses promesses leur avaient extorqué Taveu 
public d'un crime imaginaire. 



Le fanatisme trouva bientôt un puissant auxiliaire dans la 



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cupidité des courtis|ins qui plaient parvenus à faire appliquer 
à ceux d'Arras la coofiscation de leurs biens pour le, cas parti- 
culier de vauderie^ malgré les privilèges dont ils jouissaient. 
On immola des victimes d*un rang plus élevé , et surtout celles 
qui se recommandaient par leur gripide fortune. Dès lors la 
résistance ne se formula plus seulement ^ vaines protesta- 
tions d^nnocence. On avait beau ajouter aux prétendus crimes 
des vaudois en leur attribuant toutes les calamités publiques, 
comme on le fit, pai' <^emple , pour Tincendie de la ville de 
Pernes(i3 inars*^ j 4(io) ^ ces hofribles supplices avaient fini 
par éveiller une vive sympathie dàoê toute Ja popuUtion pour 
les victimes. Cette persécution apportait d*ail leurs une. gêne 
immense au comm^'ce d,*Arras , parce que les aubergistes re- 
fusaient le logement aiuc marchj^mjs de cette ville, et que leur 
crédit était anéanti parla crainte que chacun avait de }es voir 
arrêter comme vaudois et jwononcer contre eux la confiscation 
de tous leui*8 biens. Le parlement àe Paris , le roi de France , 
le pape même ^'interposèrent entre les bourreaux et les victi- 
mes. Au moii'dejum i46^ , le parlement déchargea de toutes 
condamnations Çolard de B^aufort , riche et vieux chevalier, 
convaincu de vauderle par l'inquisition d'Arras ; il est mis en 
liberté avec quelques uns de ses cpnîpagnons d'infortune et le 
trop confiant vieillard continue d'habiter les lieux qui obéis- 
sent à ses juges implacables j bientôt , traduit de nouveau sous 
leplus léger prétexte devant le tiûbunal sanguinaire, ses cen- 
dres dispersées au vent , attestent la puissance ^ l'orgueil de 
ces hommes barbares. Jean Geoffroy, cependant, en faisant 
son entrée dans sa ville épiscopale, vers la Toussaint de i4Gij 
comme légat du pape , désavoue la conduite de ses vicaires et 
dépose son secrétaire : Jean Faulconniér est arrêté et conduit 
en prison dans la ville de Boui^ogne où il avait reçu le jour; 
Mathieu Paille va s'établir à Paris, et Gilles Plameng, qui 
n'était pas aimé à Arras^ et n'y était pas en sûreté, quitte é- 
galement cette ville et va demeurer à Douai. Pour Jacques 
Dubois, attaqué d'aliénation menfale, comme il se rendait à 
Corbie , il fut ramené à Paris , oii il mourut , après une lon- 
gue et douloureuse maladie, au nvois de février suivant, âgé 
de 35 à 36 ans. Il y en avait plusieurs qui disaienf que c'était 
punition de Dieu , parce que c'avait été par son admonition 



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et avertissement qu'on avait pris les vaudois , et les aucuns 
ards^ comme dit est, et que cVtait lui suitout qui s'était mis 
en peine de prouver qu'on allait en ladite vauderie et qtie c'é- 
tait chose réelle. Ce ne fut qu'en 1491 cependant le 20 de mai 
que les héritiers BeaufFort et Jean Tacquet , riche bourgeois 
et échev in , obtinrent arrêt du parlement, qui réhabilitait 
tous les vaudois condamnés par la cour spirituelle , ordonnait 
la restitution des biens confisqués, et imposait de fortes amen- 
des aux juges des victimes. L'Abbé de peu de sens est nommé 
Jean Taunoy dans le texte latin de l'arrêt, et Jehan Tevoy 
dans le dictum en français. Là petite' fortune du poète avait 
été partagée entre le duc de Boiirgogne, Thiébault , Pochon , 
Pierre Duhamel, Flameng, et Jean Forme,, secrétaire du 
comte d'Etampe. Jean Angenost, conseiller au parlement , se 
rendit à Arraspour faire exécuter laiTêt. Publications furent 
faites les i3 et 16 juillet par les carrefours de la ville et en la 
cité, que le lundi suivant 18, un sermon serait prêché en la 
cour de l'hôtel épiscopal, par un docteur régent en la faculté 
de théologie, en l'université de Paris , par lequeL sera exposé 
en partie l'arrêt du parlement. « Et pour ce, pour obéir à 
justice que l'on fasse diligence de soi y trouver et adsister, sur 
peine d'estre réputé désobéissant à justice. » Ledit conseiller, 
les mayeur et échevins firent ajouter que l'on donnera ledit 
jour de lundi , aux meilleurs joueurs et qui le meilleur joeu- 
joueront de folie moralisée, une fleur de lys d'argent et au 
meilleur en suivant , une paire d'oisons; outre sera donné au 
meilleur joeu et le mieux joué de pure folie, une tasse d'ar- 
gent et au second une paire de chapons. Cette solennité fut 
publiéeà Bapaume, St.-Pol,,Hesdin, Thérouane, Ardre etBé- 
thune. GreofFroy Broussart prit pour texte du sermon qu'il 
prononça devant un concours immense de peuple, ces paroles 
de David : Erudimini qui judicatis terram. Chacun festoya de 
grand cœur ce jour tant souhaité, et ceux de l'abbé de l'Es- 
cache et autres compagnons, chacun en son logis à part, et à 
bannières et éteudarts déployés, donnèrent jeux et ébatte- 
mens sur le petit marché , en face de la maison de la balance, 
où les mayeur et échevins avaient diné , et au devant de la- 
quelle fut tendu et mis le tapis de la ville. Mais les Arrageois 
n'avaient pas attendu l'arrêt du parlement pour flétrir les per- 

28 



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secuteurs; au milieu de leur toute puissance, lorsque les bû-^ 
cher» 8^aliumaient de toutes pai-ts , des i^les de papier furent 
semés et jetés en plusieurs lieux de la ville d'AiTas, dans les- 
quels un poète exhalait une noble indignation. Jacques Du- 
clercq nous a conservé les vers que M. Buchon devait faire 
entrer dans sa collection qu'il avait pix)mi6e des poésies histo- 
riques du moyen âge. Tel est le début du poète ; 

Lea trailoiv yetnpiis de grande envie , 

De convoUise et de veoin couvert » 

Ont fait régner ne êçaj quelle vat|Merie % 

Four cuider prendre à tort çt à travers 

Les biens d'aulcuns notaMes et expers 

Avec leurs corps , leurs femmes et efaevauche , 

Ft mettre à mort des gens dVstat divers. 

Hach ! noble Arras , tu as b|en eu Vadvanche. 

Jacotin Maupeiit , sergent du roi , du nombre d'Artois , fut 
soupçonné d'être l'auteur de cette ballade et ce autres libel» 
.diffamatoires.» Leduc de Bourgogne le fit arrêter par un huis- 
sier d'armes ; m^is Jacotin prévoyant le sort qui lui était ré- 
servé, s'esquive adroitement en laissant dans les mains de 
l'huissier sa robe fourrée de renard , s'enfuit en pourpoint à 
Notre-Dame , de là à Saint-Nicaiâe , puis à l'église des Carmes , 
et se rend enfin prisonnier à Paris ^ oii il fut acquitté et remis 
en liberté par le pai^lement. 

Le crédit des juges ecclésiastiques qui avait été as^z puis- 
sant pour faire différer pendant 3o ans la justice due à leurs 
nombreuses victimes , ne leur manqua pas encore quand il s'a- 
git de faii^ exécuter certaines clauses de l'arrêt relatives aux 
amendes ; car il parait qu'on n'a jamais élevé <( la croix de 
pierre de 1 5 pieds de hauteur au lieu plus prochain , et con- 
venable dudit lieu ou autre , où les Vaudois ont été exécutés et 
bruslés , en laquelle devait être insculpté et affiché unépitaphe 
contenant l'eftet de l'arrêt ;» il ne parait pas non plus qu'on ait 
célébré par chacun jour perpétuellement, en l'église cathédrale 
d'Arras, une messe qui devait être sonnée, répétée et tintée 
par 33 coups distincts et séparés par 3 intervalles , chacun de 
i i coups , pour le saliit et remède des âmes desdits exécutés ^ 



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L'intérêt que nous portons au pauvre poêle artésien nous a 
entraîné au-delà des bornes que nous nous étions prescrites ; 
mais retendue même des détails dans lesquels nous sommes en- 
trés semble nous imposer l'obligation de donner quelques ex- 
plications sur ce crime de vauderie ou vaudoisie , lequel , sui- 
vant un auteur contemporain , est pire que Tidolatrie des pa- 
yens , plus grief que le péché d*hérésie et l'infidélité dessarazins* 
Un autre auteur , dont le nom est également ignoré et qui a 
sei*vi à continuer les chroniques de Monstreiet , rapporte assez 
brièvement les absurdes accusations contre les Vaudois. a En 
la ville d'Arras , dit-il , ou pays d'Artois , advins un terrible 
cas et pitoyable que l'on nommait Vaudoisie ne scay pourquoi : 
mais Ton disait que ce estoient aucunes gens , hommes et fem- 
mes , qui de nuict se transportèrent par vertu du diable , des 
places où ils estoient , et soubdainement se tix)uvoient en au- 
cuns lieux arrière des gens, es bois (bois de Mofflaines) ou es 
désert, là où ils se trou voient en très grand nombre hommes 
et femmes : et trouvoient illecun diable en forme d'homme, du- 
quel ils ne veoient jamais le visage et ce diable leur lisoit ou 
disoit ses commandemens et ordonnances , et comment , et par 
quelle manière ils dévoient aorer (adorer) et servir, puis faisoit 
par chacun baiser son deiTiêre et puis il bailloit à chacun un 
pou d'argent, et fipablement leur administroit vins, et vian- 
dfes eq grand largesse, dont ils se repaissoient : et puis tout-à- 
Goup ch^icun prenoijt sa chacune : et f^n ce point s'estaindroit la 
lumière et cognoissoient l'un Tautre charnellement : et ce fait, 
tout soubdaiœment se retrouvoient chacuD en sa place dont 
ii^ estoient partis premièrement*» Le pudibond auteur a éteint 
les lumières et laissé dans l'ombre une partie des faits les plus 
révoltans. Mais tout cela ne l'empêche pas déjuger sainement : 
(c Et ne fait ici à taire ce que plusieurs gens de bien cogneu- 
rent assez, que ceate mapière de accusation fut une chose con-< 
trouvée par aucunes mauvaises personnes pour grever et dé- 
truire , ou deshonnorer, ou par ardeur de convoitise , aucune» 
notables personnes que ceux hayoi^it de vielle haine. . . . qui 
fut pour veoir au jugement de toutes gens de bien une chose 
moult perverse et inhumaine au très grand deshonneur de ceux 
qui en furent notez et au très grand péril de leurs âm«s.)> 

Du Faitelle. 



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^<i<tlnag< ^< ffÏJiitoiiiea^ 



Le village de Maroilles (Maricola, Maricolœ, Madriolœ)^ si- 
tué sur la petite Helpre, et sur la grande route de Landrecies 
à AvesneS; à 5 kilomètres de la première de ces villes, est une 
des plus anciennes communes du département du Nord. 11 y 
existait une célèbre abbaye de Bénédictins, qui avait eu pour 
premier fondateur Chonebert, comte de Famars , Cornes Fano- 
tnartensis, que Baillet nomme Rodobert et qu'il qualifie sei- 
gneur du canton appelé Famars (^\), Le second , ou pour mieux 
dire le principal fondateur de labbaye de Maroilles , fut saint 
Humbert, évêque et compagnon de saint Amand, évêque de 
Tongres, mort selon les uns le 26 mars 690, selon d'autres 
(avec Baillet) en 682. On conservait, dans Téglise de Tabbaye, 



(i) Fanomartensis Pagus, une des subdivisions du pays AaNerviensi^ 
■^li prit plus tard le nom de Hainaut^ de Id rivière de la Hajrne qui l'arrose* 

A. D. 



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sou corpâ avec une grande partie des ossemcns de saint Quînî- 
bert , prieur de Salesches , petit vilfage du voisinage. 

11 est rare de faire , avec un peu de philosophie , des recher* 
ches sur les premiers momens d'existence des établissemens re- 
ligieux qui remontent à une date aussi reculée, sans y trouver 
des traces, plus ou moins probables , du culte des eaux , des ar- 
bres , des pierres , du feu; en un mot, des pratiques religieuses» 
empruntées des Druides , auxquels ont succédé les Romains ^ 
puis les premiers chi^tiens. A Maroilles (i), peut-on ne pasre* 
trouver celles du culte des eaux , dans Tantique vénération 
pour une fontaine que le peuple vient visiter encore aujour- 
d'hui, de 20 à 3o lieues aux environs , et à laquelle il attribue 
des vertus miraculeuses contre la rage , la fièvre et le mal de 
dents ; je veux parler de la fontaine de saint Humbert dont 
voici l'origine merveilleuse : Saint Humbert , fondateur et bien-- 
faiteur de Maroilles , i'an €7 1 , ne sortait de sa retraite que pour 
aller voir sa voisine, sainte Aldegonde, fondatrice du monas-r 
tère de Maubeuge. * Cette sainte, dit ingénuement Thistorien 
» du Hainaut, le père Delewarde, aimoit très ardemment la lec- 
n ture de l'Ecriture Sainte, c'est ce qui faisoit qu'elle aimoit 
» les entretiens des saints personnages qui pussçnt hi nourrir 
*> du pain cœlesteet de la parole de Dieu , c'ëtoit le saint com- 
» merce qu'elle avoit avec saint Humbert ; il arriva qu'ayant 
» passé plusieurs jours dans Maroilles , charmée des discours 
» enflammez du saint prélat, ils se promenèrent un jour le long: 
» du monastère, s'entretenant des choses cœlestes».. la sainte se 
» sentit si embrasée... de l'amour de Dieu, quelle alloit tom— 
» ber en défaillance par l'extrême ardeur qu'elle souffroit : l'al- 
» tération augmentant, le saint joignit sa prière à celle de la-- 



(1] L'étjmologîe uaturelle de Maroilles , Maricoîa , indique assez un lieu 
où les eaux étaient l'objet dNin culte. Quelques auteurs ascétiques n^icsi^è- 
rent pas toutefois à s'emparer de cette étymelogie au pro6t de la vierge , en 
la tirant de MariamColens ^ honorant Marie. cVst la leçon qui fut adoptée 
par les moines de Maroilles > et à cette occasion , ils chantaient tous les jours 
danf leur cloUre Its litanies delà sainte Vierge. 

A. D. 



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» sainte , pour obtenir de l'eau. . . . une fontaine sortit de la terre, 

• appaisa la soif d'Aldegonde et continua de couler.... » (t) 

• Et après quelques conférences qu'ils eurent encore ensem- 

• ble, ajoute un autre historiographe, sainte Aldegonde ravie 

• d'y avoir dto)uvert plus que la renommée ne Iviii en avoit ap- 
» pris , s'en retouk^ia à Màubeuge ; mais si pénétrée d estlnieet 

• de vénération , pour le mérite si rare de nott^ saint, qu'elle 

• conservoit toujours avec lui une liaison foit étroite. Mais 

• comme elle étoit venue à Maroilles avec une passion plus belle 
» et plus sainte que celle qui attira un jour du midy la reine 
» de Saba , pour faire épreuve de la sagesse de Salomon , elle en 

• revint aussi plus ravie, plus instruite , et plus chai^gée de 
» présens qu'elle. » (2) 



Cette fontaine est «ituée au centre de la commune , l'eau y 
est contenue dans un bassin où l'on vient la puiser. Cette 
source ,qui parait ai^oir anciennement été déplacée et qui e^ 
en Sisse^ mauvais état , était , avant la révolution , le point de 
rendez-vous d'une procession solennelle qui avait lieu cha- 
que année le 6 septembre , et à laquelle le peuple se poilait en 
foule. Ce jour-là , elle était surmontée d'une chapelle ; comme 
cela se pratique aujourd'hui encore , à la procession de la Fèt&- 
Dieu. 



Les mérites du pèlerinage s'appliquant aux hommes et aux 
bétes, principalement contre la rage , la personne qui voulait 
faire la grande neuvaine , devait se confesser , faire dire une 
messe de saint Humbert et communier ; puis pendant 9 jours , 
dire Spater et 5 ave maria chaque jour ; déjeûner de trois tran- 
ches de pain qui après avoir touché aux reliques du saint , 
avaient été trempées dans de l'eau nette ; de la même eau , il fal- 



(i) Hlatoire génércyle du Hainaut , t. i«*", p. 176. 

(2) Abrégé de la vie tie saint Humbert , par D. F. Blaocart , p. ^o. 



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lait layer tous les jour» la morsure ; si elk étah grande , af^li- 
quçr dessus un linge imbibé et rien autre chose, La personne 
mordue, doit, ajoute le règlement local que Ton m'a fait con- 
naître , « coucher seule en draps blancs, nouTelkment l»^s , 
» ne pas changer de draps pendant ké neuf jours; elle doit 

• boire seule , ne pas baisser la tête pour boire dans des fontai- 

• nés, rivières ou ailleurs; elle peut boii-e vin blanc > cki- 

• ret, vermeil trempé d'eau , ou de Teau seulement ; elle peut 

• manger du pain blanc ou bis, de la chair ^de mouton, du 

• prinsel (^XBuf salé) , de toutes volailles ,. des œufs cuits dur^, 

• du beurré nouveau peu salé, du fromage tendre sçntani jpeu 

• rétine , du chapon ou de la poule d'un an ou plus y des poi€h 
» sons portant écailles comme harengs sorets , carpes et autres ; 
» user desdits vivres refroidis et rien autre chose; il faut aussi, 
» pendant ces neuf jours , se garder de la fumée du four , du 
» fumier et autres, du soleil trop ardent, de colère et de tous 
te autres excès; il faut se garder, pendant quarante jours , de se 

• baigner, étuver, peigner, mirer, et de manger aulx, oignons , 
» poivre, poireauxw •» li'auteur de la recette finit en faisant 
connaître que la principale efficacité doit venir de la con- 
fiance du malade en Dieu et en saint Humbert, et qu'il faut ho- 
norer tous les ans la fête du saint, le 6 septembre. 

il faut du mei'vei lieux pour instituer, surtout en matière de 
Ineligion ; on raconte donc , pour expliquer l'origine du pèleri- 
nage de saint Humbert, et la grande dévotion du peuple envers 
lui , que dans un voyage qu'il fit à Rome avec saint Amaud , 
évèque de Tongres, un ours qui avait dévoi'é leur mulet, pen- 
dant qu'ils reposaient dans une prairie , fut contraint , par son 
ordre de se charger de leurs bagages et les suivit tranquillement 
jusqu'à Rome. 

Que travaillant un jour avec des ouvriers à Maroilles , un 
cerf poussé par les chiens d'un seigneur , vint se réfugier sous 
son manteau^ ce qui fait qu'on l'invoqua toujours avec succès 
contre les animaux enragés ; que la dévotion , sous ce rapport 
s'accrédita d'autant plus rapidement , que le saint homme avait, 
de son vivant, guéri plusieurs personnes de la rage. 



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La grande vogue était , comme je l'ai dit , au 6 septembre (t ), 
mais le pèlerinage n'en était pas moins fréquenté tous les au- 
tres joura indistinctement ; on y conduisait jusqu'aux animaux 
mordus, à qui Ton fesait boire de Teau de la fontaine, après 
leur avoir appliqué un fer rouge sur le front. 

Ce pèlerinage ne laissait pas d'être productif . La spéculation 
était exploitée par le sacristain de l'abbaye. C'était lui qui don- 
nait à baiser aux pèlerins une relique renfermée dans un bras 
d'argent. Les habitans de Maroilles accusent un de leurs an- 
ciens curés , de leur avoir escamoté cette relique pour en favo- 
riser la commune d'Anor,et c'est à cette circonstance qu'ils im- 
putent, en partie, l'espèce de refroidissement qui parait rendre 
moins fréquente la visite des pèlerins. 

Il existe, sur le pèlerinage de Maroilles, une vie de saint 
Humbeii:, qui a été imprimée à Lille, mais dont je n'ai pu en- 
core me procurer d'exemplaire. (2) 

Le CUKVALIER BOTTIN. 



(i)Nou8 avons 60US Irsyeux un petit opvBcvi\tBtsezTare,{niilu\é: abrégé 
de la vie de saint Humbert , évéqueet confesseur^ fondateur, premier 
abbé et patron tutélaire de l'abbaye et du village de Maroilles en Hay- 
nautjpar dbm François Blancart^ sous-prieur de ladite abbaye, A Douai, 
veuve Taverne, 1722^ in-8°66 pp. approuvé par Benoit, abbé de Maroilles. 

A. D. 

(2) Le 6 septembre était le jour de !a translation des reliques de saint Hum- 
)>ert qui se fit au monastère de Maroilles , durant le xii" siècle. Ce ne fut pas 
sans pi'inect sans débat que les restes précieux du saint furent réintégrés 
dans le paisible asyle qu'il avait agrandi et doté pendant sa vie. A cette épo- 
que , les reliques d'un saint étaient une propriété d'un grand rapport et soi- 
gneusement gardée parcequelle était toujours enviée. Après la mort du saint, 
ses disciples embaumèrent son corps dans de riches parfums et l'enterrèrent 
dans une chapelie bâtie par lui ; il en fut levé l53 ans après et enterré dans 
l'église en son entier. L'abbaye ayant été vers ce tems habitée par des béné- 
dictins qui remplacèrent des chanoines dissolus , ceux-ci profitéreirt d'une 
absence de rabl>é et de ses religieux appelés au synode de Cambrai , pour , 
à l'aide de paysans armés , enlever le corps ^ alors en possession de faire de 
fVéquens miracles. Us l'emportèrent dans la foret et s'y fortifièrent en dé- 
clarant qu'ils ne rendraient les reliques qu'autant qu'on les réintégreiait 



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dans leur couvent , ou qu'on leur donnerait une somme suffisante pour K a 
établir aillrurs ; en ras de refus , ils devaient promener le corps saint par les 
villes et les villages du Hainaut et du Cambrësis , afin de gagner leur vie. Les 
ëvéques voisins arrangèrent avec peiue ce diflférent des moines et des chanoi- 
nes expulsés de Maroilles Ce pauvre corps de saint Humbert passa ensuite 
chez le marquis de Flandre Baudouin V, pour dégager une t^^rre qu'il tenait 
de l'abbaye de Maroilles'; puis il fut reporté à Cambrai et mis d'abord dans 
f église de St. -Martin du faubourg , et déposé ensuite dans l'abbaye de St.- 
André du Câteau-Cambrésis , tant qu'à la fin , après bien des détours , il fut 
restitué à soa ancien monastère où il reposa tranquillement six siècles du- 
rant, jusqu'à ce que la révolution française vint encore le forcer à un der- 
nier déménngeraent. 

A. D. 



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( l5*iÙtTI0I£.) 



ANTOINE WATTEAU. 



Parée i la frnnçaise , un jour dame Nature 
Eut le désir coquet 4*» voir sa portraiture ; 
Que fit la bonne mère 7 elle enfanta ff^aUeaui 
Pour elle ce cher fils, plein de reconnaissance ^ 
Non content de tracer partout sa ressemblance. 
Fit tant, et fit si bien qu'il la peignit en beau. 
LA Morrs-HOUDABD* 



Les arts ont eu leurs révolutions comme la littérature ; à deâ 
époques diverses, la nature enfanta des hommes d'un génie in- 
dépendant, qui, dédaignant de Suivre les routes battues pai* 
leurs maîtres , et guidés par une imagination vive et primesau-* 
tière, se frayèrent des sentiers nouveaux dans le vaste champ 
des connaissances humaines. Ces hommes rares, souvent éle- 
vés trop haut par de chaleureux partisans, appréciés trop bas 
par ceux dont ils heui*taient les idées reçues depuis longtéms , 
firent dans la suite époque dans Fhistoire de Tart, et furent 
regardés par les critiques impartiaux comme des novateurs 
hardis, mais heureux, qui avaient ouvert au génie de nouvelles 
chances de succès. Tel fut le célèbre ^eintTe Antoine ff'^atteau, 
exemple frappant des vicissitudes des réputations artistiques i 
Elevé dans son tems au sommet de la vogue, dédaigné plus 
tard , il semble être replacé par l'opinion actuelle et la recher-* 
che que Ton commence à faire de ses ouvrages , au véritable 
rang oii son genre de mérite doit le placer. Sa trop courte car* 
rière ne lui a pas pei'mis de compléter la révolution de Fart de 
la peinture qu'il avait commencée, néanmoins son genre a 
fait école , et il est assez remarquable pour appeler une atten- 
tion minutieuse sur Thomme qui Ta fondée presque sans guide 
et sans autre inspiration que la nature. 



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A .WATEAF, Valenceneiisis 



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^4^1 '^ ■ 

A k fin du dix"^ptième siècle , peu après la conquête de la 
Flandre par Louis XI V^ la ville de Valenciennes était , comme 
toutes celles des Pays-Bas, frécfuentée par des charlatans et de 
joyeux bateleurs qui couraient le pays en débitant sur les pla-* 
ces publiques des drogues qu'ils fesaient passer à l'aide de quel- 
ques scènes comiques et bouffonnes. Or, il advint qu'un jour 
on remarqua un jeune Valenciennois de la classe ouvrière, 
aux yeux vifs et ouverts , au teint pâle , à la bouche béante , 
qui suivait avec un intérêt indicible les jeux scéniques de ces 
personnages subalternes de la comédie Italienne qui venaient 
de faire invasion dans la Flandre conquise , et délectaient les 
Belges nouvellement francisés. Ce jeune homme , abandonnant 
tout pour ce spectacle en plein air, et que souvent on surprit 
écoutant encore Arlequin le bergamasque et Gille à la face 
enfarinée alors que leurs dialogues burlesques avaient cessé de- 
puis longtems , était Antoine ff^atieau , dont le nom rappelle 
bien une origine wallon ne^i) et qui naquit à Valenciennes , 
le 10 octobre i684> d'un simple maître couvreur et charpentier 
(2). A l'aspect des figures grotesques qui lui apparaissaient , 
sajeune imagination d'artiste s'ouvrait d'elle-même à des idées 
inconnues* Tels furent cependant les premiers modèles qui 
posèrent devant Watleau enfant ! Tels furent les jeux légerit 
qui en firent un peintre, et occasionnèrent cette tendance qu'il 
C(»i8erva toute sa vie pour les sujets plaisans et comiques! On 
sait quelles impressions profondes laissent les premiers pen- 
chans de la jeunesse : C'est ainsi que Molière , le plus fameux 
de nos poètes comiques, conduit par sonàyeul à de semblables 
spectacles, puisa le goût qui inspira plus tard son génie (3)< 



(1) Dans le vitaux langage Wallon , le w remplace le^et le mol môme de 
wallon f dérive de Oallus ^ est un exemple de ce changement ; ff^atteau 
est pour Gatieau , comme fF'illaume signifie Guillaume , comme XaPlace 
des fFantiers indique le lieu où se tenaient les gantiers . 

(2) C'est avec beaucoup de peine que nous avons pu trouver dans les vieux 
registres des églises de Valenciennes, Textiait de baptême de Walteau^ 
tië snrla paroisse de St.-Jacques. Le voici textuellement : 

a Le 10 d'octobre 168^ , fut baptizé Jean-Antoine , fils légitime de Jean-' 
"h Philippe t^ateau et de Michelle Lardenois , sa feme. — Signes : le pa-^ . 
» rin , Jean-Antoine Baiche. La raarène , Anne JUaillion, » 

0) Molière et fP^atteau ne furent pas les seuls hommes célèbres qu^ 



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Cependant le jeune Watteau charbonnait chez lui des Arle* 
quins et des Gilles ; son père , étonné de ses dispositions tiatu-* 
relies pour le dessin , le plaça quelque tems chez un maitre de 
Valenciennes , dont le talent, répondait peu , il est vrai, au 
goût particulier que les habitans de cette ville avaient déjà 
montré pour les arts. Antoine Watteau y fit toutefois des pro- 
grès rapides ; mais bientôt son père , homme naturellement dur 
et d'une avarice que son peu de fortune rendait peut-être ex- 
cusable j crût devoir se débarrasser de la faible charge occasion- 
née par ces leçons ; il signifia sèchement à son fils qu'il nepou-> 
vait plus supporter cette dépense et qu'il eut à remplacer par 
lin métier qui produisait de l'argent une occupation qui n'oc- 
casionnait que de la dépense. 



C'était en 1702; le jeune Antoine venait d'atteindre l'âge 
heureux de 18 ans: son caractère indépendant se pliait déjà 
difficilement à la domination de son père ; il avait quitté son 
premier maitre pour suivre les leçons d'un autre peintre qui 
possédait assez de talent comme décorateur ; celui-ci , mandé 
à Paris par le directeur de l'Opéra, l'engagea à le suivre. Wat- 
teau, mû par le désir de se perfectionner dans un art qui avait 
pour lui tant de charmes , secoua tout-à-fait le joug paternel, 
et donna tout essor à son instinct libre et v^lontaire.^ L^er 
d'argent et de bagages, portant tout avec lui comme Bias, il 
quitta un beau jour la maison de son père , et , seul et à pied , 
se mit en route pour Paris dont l'idée se présentait à lui comme 
un port de salut où il devait aborder et trouver le bonheur. 

Mais le sanctuaire des arts n'est pas toujours d'un accès facile 
pour qui n'a pas d'étaie solide ; le jeune et pauvre Valencien- 
nois, la tête pleine de génie et les poches vides d'argent, fut 
bientôt réduit à une extrême misère. Il travailla d'abord aux 



prirent part aux représentations des spectacles en plein air: on vil souvent 
nilnstre Boy le arrête pendant deux heures devant la loge nomade des ma'» 
fionnettes. 



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décorations de TOpëra , puis son maître, étant retourné à Va- 
lenciennes , le laissa sans secours , sans soutien , au milieu d un 
monde tout nouveau pour lui. Il chercha quelque artiste qui 
voulut bien l'employer et lui donner les moyens de se perfec- 
tionner ; le hasard le jeta chez un nommé Métayer, peintre 
médiocre , qu'il quitta bientôt , faute d'ouvrage , pour un au- 
tre qui ne le valait même pas. C'était éviter l'écueil de Scylla 
en tombant dans celui de Carybde. Quant au genre de travail, 
il passait du plaisant au sévère. Le spéculateur , chez lequel il 
venait d'entrer (car il ne mérita jamais le titre de peintre) , ne 
s'occupait guères que de la vente des tableaux pieux pour les 
marchands en gros. Son débit était considérable ; il consistait 
en petits portraits de saints personnages et en sujets de dévo- 
tion , faits à la pacotille , qu'on expédiait dans la province à 
la douzaine , et même à la grosse. 

Le patron de Watteau fesait ce commerce en grand ; vrai 
corsaire avec ses esclaves, il avait sous lui une douzaine de 
malheureux élèves qu'il fesait travailler en véritables manœu- 
vres ; chacun avait son emploi dans cette fabrique à^ex-^oioi 
les premiers esquissaient , les uns confectionnaient les ciels , les 
auti^es les têtes j ceux-ci posaient les draperies , ceux-là pla- 
çaient les clairs , les derniers mettaient les vernis ; enfin , le ta- 
bleau se trouvait terminé lorsqu'il amvait, par cette filière, 
aux mains du cinquième ou sixième, élève: on eut dit d'une 
fabrique d'épingles. Tout ce qu'on exigeait des pauvres rapins 
c*était la prompte exécution. Watteau ne fut donc alors em- 
ployé qu'à ce travail misérable : encore , sut-il se distinguer 
des autres élèves, parce qu'on trouva qu'il était bon à tout, et 
fort expéditif. Comme le peintre napolitain Luc Giordano , 
on aurait pu aussi le swYnommetfa-presio. 11 fesait et répétait 
souvent le même sujet ; il possédait surtout le talent de rendre 
si bien \q Saint Nicolas ^ saint fort demandé et d'une bonne dé- 
faite, qu'on le réservait particulièrement pour lui. « Je sa- 
» vais , disait-il plus tard lorsqu'il parlait de ses premiers tra- 
» vaux à Paris y je savais mon Saint-Nicolas par coeur feX\t me 
• paasais de modèle. » 

Ce travail repoussant et infructueux ennuyait Watteau, mais 



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jl fallait vivre. Occupe toute la semaine , il ne recevait qu'un 
petit ëcu le samedi , et , par une espèce de charité j on lui don- 
nait de la soupe tous les jours. Telle fut cependant la vie dure 
et misérable que le gracieux peintre dês fêtes galantes , mena à 
Paris dans ses débuts. Que de grands et fameux artistes eurent 
le même sort ! Lantara, H^oueermans ont ainsi commencé ; 
tant il est difficile de fonder une fortune de peintre ! 

Néanmoins le génie de Tartiste se développait entre tems ; 
Famour du travail, le désir de produire, un instinct secret , 
poussaient Watteau à profiter de tous ses momens de liberté 
pour chercher la nature , la prendre sur le fait , et la repro- 
duire fidèlement sous ses crayons. Le soir , le matin , les jours 
de fête , on le voyait occupé à dessinertout ce qui lui tombait 
sous la main , mais toujours d*après nature. Ces exercices 1& 
fortifièrent singulièrement et lui donnèrent une pureté de des- 
sin qu'on chercherait difficilement chez ses contemporains. 

Il se ias^a cependant de aon train de vie habituel lorsqu'il 
reconnut qu'il était bien supérieur aux travaux qu'on exigeait 
de lui : i) tenta de sortir d'une si pauvre école et se présenta 
ch^z le peintre Ciaude Gillety ué à Langres en 1673 , et qui n'a- 
vait gu^res plus de dix ans plus que lui. GîluÎKîi, ayant re- 
marqué son intelligence et sa ûtcilité , le reçut avec plaisir com- 
me élève y et le logea chez lui. On doit considérer Gillot, comme 
le #eul maître de Watteau : le jeune peintre se débrouilla tota- 
lement ohez (ui et commiença alors seulement à donner des 
marqjiies sûres d'un talent qu'il devait perfectionner encore. 
£|) peu de tems , le disciple ^ala le professeur : à p#ine dis- 
cernai t-qn leurs ouvrages. Poursuivant le goût des scènes co- 
miques qu'il avait puisé sur la place publique de Valenciennes^ 
le jeuDje artiste courait les spectacles et les scènes italiennes ; 
les impressions qu^il en rapportait , jointes au goût de Gillot 
pour le grotesque et Le comique , fortifièrent en lui cette ten- 
dance vers les sujets qu'il a particulièrement traités, sujets for^ 
mant une opposition si tranchée avec son caractère, naturelle- 
ment morose, triste, mélancolique, bisarre, inconstant et peu 
sociable. 



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Cette malheureuse disposition d'esprit ne contribua pas peu 
à sa séparation d'avec son maître, que Gersaint, qui les avait 
connus personnellement tous deux , raconte ainsi (i) : « Ja- 
» mais caractères et humeurs n'eurent plus de ressemblance que 
» ceux de Watteau et de Gillot ; mais comme ils avaient lesmê- 
» mes défkuts, jamais aussi il ne s'en trouva de plus incompa- 
» tibles : ils ne purent vivre longtems ensemble avec intelli- 
» gence ; aucune faute ne se passait ni d'un côté ni de l'autre, 
» et ils furent enfin obligés de se séparer tous les deux d*une 
» manière assez désobligeante des deux parts ; quelquçs^un» 
» veulent même que ce fut une jalousie mal-entendue que Gillot 
» prit contre son disciple , qui occasionna cette séparation j 
» mais ce qui est vrai c'est qu'ils se quittèrent au moins avec 
» autant dé satisfaction qu'ils s'étaient auparavant unis. » 

Ce fut alors que Watteau entra chez Claude Audran , qui de- 
meurait au Luxemboui*g , occupe qu'il était à faire des ara- 
besques et à peindre en camayeux , genre fort en vogue sous la 
régence, et qui servait à la décoration des plafonds et des boi- 
series des boudoirs des grandes maisons. Dès ce moment , le 
jeune peintre Yalenciennois commence à jouir un peu de la li- 
berté de la vie d'artiste ; Audran, trouvant son compte dans la 
facilité et l'exécution prompte de son élève qui peignait toutes 
les figures de ses ouvrages^ lui rend sa position de plus en 
plus agréable à mesure des bénéfices que son pinceau lui ap- 
porte. C'i'St chez lui que Watteau devient ornemaniste et 
qu'il compose des décorations qui furent depuis gravées. C'est 
aussi vers ce tems, et en se promenant dans les belles galeries 
du Luxembourg, qu'il s'anime pour Rubens de cet amour et 
de cette vénération qu'il conserva toute sa vie. 

Peu-à-peu Watteau puise aussi de nouvelles lumières dana 
le bon goûtd'Audran ; il s'éloigne insensiblement de la maniè^ 
\^ re deGillot, dont bientôt on ne i^etrouve plus de traces; un meil- 
leur ton de couleur, un dessin plus fin et plus correct, une tou- 



(\) Catalogue du VOrangèref ^aris , 1744 > in- 12, page 19. 



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che plus délicate et plus i^echeix^hée deviennent désormais les 
indices d un progrès évident. Watteau, depuis longtems déjà 
était artiste y dès ce moment il est passé maître. 

Se sentant enfin en état de voler de ses propres ailes , il se 
met à composer seul , et dans ses momens de loisir, un tableau 
d'imagination représentant un départ de troupes (i), puis le 
montre à son maître pour avoir son avis. Audrau , homme ha- 
bile et en état de juger une œuvre d'art , est effraye, c'est le 
mot, du mérite de ce tableau ; mais la crainte de perdre un 
disciple si distingué et sur lequel il pouvait se reposer de la 
conduite de ses ouvrages, lui fait dissimuler lëmotion qu'il 
éprouve à la vue d'un tel essai : il dit à Watteau qu'il lui con- 
seille de ne point se livrer à la composition de ces œuvi-es d'ima- 
gination qui ne peuvent que lui gâter le goût et qu'il l'en- 
gage à continuer ses études sérieuses sous sa direction. 

Cependant le jeune artiste a senti sa force ; il n'est pas dupe 
de l'artifice; la résolution qu'il avait prise de s'émanciper , 
jointe à un désir ardent de revoir sa ville natale , véritable nos- 
talgie qui le rongeait alors, le déterminent à quitter Audran. 
Son ardeur de rejoindre ses parens sert en même tems de pié- 
texte honnête pour remercier son maître, mais il lui faut 
quelqu'argent pour se mettre en route , et il n'a que son 
premier tableau ! Ignorant tout-à-fait les moyens de s'e« dé- 
faire, Watteau va trouver Spoede , peintre d'Anvers, qui le 
traitait presqu'en compatriote : Spocdeeut occasion de monti-er 
l'œuvre du jeune Valenoienuois à S trois , riche marchand de 
tableaux de Paris ; il en demanda 60 fr. et le brocanteuFle prit 
au mot. Watteau alla toucher son argent, et, ne s^élant jamais 
vu si riche , partit joyeux pour Valenciennes , emmenant gaî- 
ment son petit trésor avec lui. Il emportait de plus la com- 
mande du Sirois de faire un pendant à ce premier tableau, ce 
qu'il exécuta à Valenciennes; c'était une halte d^ année , com- 
posée d'après nature sur les troupes alors en marche dans la 



(l) Ce tableau est un de ceu-x que Çocbin père a grave'«. 



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Flanclce(i): elle lui valut deux censfrancs. Ces deux premiers 
tableaux ont toujours passé pour des morceaux capitaux de son 
œuvre: c'est le cas de dire que ses essais furent des coups de 
mattre. 

En ce tems-là ^ la ville deValenciennes ne fesait point à ses 
enfans, devenus peintres, de ces magnifiques réceptions qui 
échauffent ces cœurs d'aitiste , et leur rendent plus cher encore 
le berceau de leur enfance; Watteau^ dévoré à Paris d*une mé- 
lancolie profonde par le désir de lavoir sa patrie , qui , de loin 
lui paraissait adorable , fut tout étonné , en y retournant , d'y 
retrouver les hommes plus petits y les esprits plus étroits, les 
lieux plus réti*écis : tout était cependant comme il l'avait lais- 
sé, ni plus ^ ni moins ; lui seul avait changé: il était grandi !!! 

Le peu de sympathie qu'il rencontrait à Valenciennes, où . 
du reste il ne ti-ouvait rien sous ses yeux capable de l'animer 
et de l'instruire ; son caractère inconstant dont il subissait tou* 
jours l'ascendant , ce goût pour la vie aventureuse de l'artiste 
qui domine souvent un jeune cœur, tout le poussa à repartir 
une seconde fois pour Paris. Entre tems sa réputation s'y était 
faite : son second tableau avait été envoyé de Valenciennes 
chez Sirois; il avait partagé, avec son pendant, l'attention des 
connaisseurs (2) ; on ne parlait que du génie naissant deWat- 
teau, c'était un soleil levant dont chacun cherchait à recevoir 
les rayons. 

De i-etour à Paris , le jeune artiste se tix)uva choyé , fêté, ad- 
miré; mais il voulait travailler, et les nombreuses visites qu'il 
recevait lui fesant perdre beaucoup de tems^ il accepta loffre 
qui lui fut faite d'entrer chez M. de Croxai, le jeune^ riche 
amateur qui possédait des trésors de dessins curieux et origi- 
naux ; il en profita avec avidité et passa tout son tems à feuil-^ 
leter, à examiner attentivement, et même à copier tous lesmor- 



(1) C'est le second morceau gravé par Cochio. 

(^2] Us devinrent la propriété de M. l'abbé De La Roque, riche amateur 
de l'époque. 

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r.eaux i\eà grands maitrcs qu'il avait bous les yeux; cequi oott- 
tribua beaucoup à flxei* son goût et purifier son dessin. Néavec 
le sentiment de la couleur^ si naturel aux artistes de kt Flan- 
dre, il devait naturellement se passionner pourRubens, le 
plus grand coloriste et le chef de cette ëcole ; aussi copia-t-il 
avec un soin extrême tout ce qui! pût se procurer d'études de 
ce grand maître. 

Mais , comme nous lavons dit| Watteau avait un earactèf« 
bi^Bi*!^ j mélancolique, allié k un amour excessif de la liberté 
et de rindépendance; \q lien le plus léger était pour lui un 
joug pesant , et les devoirs les plus simples de la société lui pa- 
j-aissaient des chaînes insupportables qu'il fallait briser à tout 
prix. Sans autre motif que celui de vivre à sa guise et ignoré « 
il sortit de chez M. de Crozat, et se retira chez le mai-cband 
Si rois, où il prit un petit logement obscur sous la condition 
expresse qu*ou ne découvrirait sa retraite à qui que ce fût au 
monde (i}. 

11 fit à cette époque la connaissance de E, F. Gersaint, gen- 
di'edeSirois, connaisseur distingua de tableaux, avec lequel 
il ne tarda pas à se lier intimement malgré son humeur noire 
et chagrine. Gersaint lui fut souvent utile pendant sa vie , 
et son amitié lui a consacré, après sa mioiH, un article cons- 
ciencieux , déposé daps le Catalogue isaisonné du cabinet de 
M. Quiptin de l'Orangèi-e (i). 

L'esprit passablement remuant et iniquiet de Watteau lui 
suscita ridée d al 1er en Italie , étudier lés grands mait^'cs et sur- 
tout les peinti^es Vénitiens, dont le coloris et la composition 
lui plurent toujours beaucoup. Ses moyens pécuniaiies ne lui 
permettaient pasd entrepi^ndrecevoyagesansassistance, aussi 
crut-il devoir solliciter la pension du Hoi. Pour lohtenir, il 
fît exposer ses deux premiers tableaux dans les salles du Louvre 
qui servent de passage aux académiciens les jours d'assemblée ; 



(i) Paris , 1744 i in-12 , p. 172, 



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De Lafosse , directeur de l'académie de peinlui*e , le^ ayant vas , 
iFQulat en connaiti^ Tauteur ; on lui présenta le jeune Watteau 
qui se tenait respectueusement à l'écart , et qui lui dit qu'il dét 
sirait vivement aller à Rome pour se perfectionner. ^ «Vous 
» perfectionner, mon ami, lui répondit De Lafosse, avec toute 
• la franchise et la bonhomie de son caractère, mais vous en 
« savex plus que nous tous, et vous feiiez grand honneur à no- 
» tre académie j présentez-<yous , et vous serez reçu. ^ Watteau 
enûouragé} se présenta en effet pi fit ses visites, tous les con-r 
ourpenaise retirèrent, et, quoique son nouveau genre de pein- 
ture ne fut pas encore goûté de tout le monde, il fut reçu k 
une grande majorité en Tannée 1717. C'est peut-être le seul 
exemple d'un académicien nommé sans amis et sans autre pro-^ 
tection que ses ouvrages. Il choisit pour sujet de son tableau 
de réception k l'académie, le Départ des pèlerins d^ Cyihhre\ 
scène aimable qui P^*e l'image d'une voluptueuse féerie. Une 
longue (iledejeunespélerinset pèlerines, se tenanl^par la main, 
s avancent en dansant vers des barques élégamment ornées et 
dont les amours sont Us nautonniers. Uu essaim d'aiUres pe- 
tits'amoui^ se balançant dans les aira, comme une uuée de pa- 
pillons, précèdent les joyeux voyageui*s et letir montrent au 
loin l'île enchantée où règne souverainement la déesse du plai-^ 
sir. (.es pèlerins sont en costume de bergers , bien enrubannés; 
les barques sont des conques recoquillées portapt des guirlan-r 
des pour cordages ; les rives se présentent fleuries comme au 
mois de mai ; l'ensemble du tableau est gracieuse et léger. Cette 
production , qu"'on a peut-être trop louée, n'est guères qu'une 
esquisse terminée, mais d'une légèreté sans exemple : c'est la 
seule peinture de Watteau qui existe h la galerie du Louvre.(i) 



( 1] Elle se trouve dans la grande salle, à gauclie en entrant, Inscrit sous le 
le n° 3i5. Il est assez extraordinaire que le musëe national n'ait t^n^une seule 
des productions d'un peintre français qui a fait école , tandis que les galeriei^ 
particulières des riches anglais en comptent un si grand nombre, et que 
inéme le musée royal de ^|adrid çn contienne deux fort jolies , quoiqu'un 
peu sombres, quenousovoos pu voir en i833, inscrites sous les n"* ^33 et 53S 
dn catalogiie, et représentant , Tune , une uôce de village , et l'antre une ^ue 
de jardin avec des personnages m asquës. 

I^a ?ill(Bquia vu naître \yatt«au ue devait pas rester sans p ne œuvrp c)ç 



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L académie de peinture ne put méconnaître le talent neuf 
et original de Watieau; toujours datsique toutefois, elle ne 
voulut point aborder la comparaison entre son genre nouveau 
et celui des anciens } elle créa donc pour lui un titre et un 
genre inconnu qui en fit un artiste exceptionnel : il f^it nommé 
lejtêintrê dêéfiiês galantes^ Plus tard ce même corps crut voir 
la ruine de la peinture dans le succès qu'obtint la manière du 
peintre Yalenciennois ; il chercha à en arrêter la vogue aous 
le prétexte que son g0nr$ ir^p sMucieur aurait •U fwnUUux 
auxfortiêê êM^miiêlUê de lapêimiure (i). G>mme si les déci- 
sions académiques pouvaient empêcher le progrès ou la déca- 
dejice de Tart ! • 

La vanité ne vint point enfler le nouvel académicien ; long- 
tems disciple des autres, il eut à son tour des élèves : Ni- 
eoias Laneret, de Paris, qu'il excita à sortir de chez Gillot; 
françoiê Eiacuj de Bruxelles , père du célèbre graveur Charles 
Eiêên ; Jtan^BoftUie Paiêry(%) qu'il fit venir deValenciennes ; 
suivirent ses leçons , copièi-ent son genre, et tant que la santé 
de leur maître le permit, travaillèrent assidûment sous Wat- 
teau ; mais on |)eut dire de lui qu'il dépassa ses maitrps et ne 
fut pas atteint par seséJèves« Il fut bientôt imité par les alle- 
mands qui lui comparent le fameux saxon Diétrici, et par les 
hollandais qui donnent à leur Comeitte Trooat le surnom de 
IVattêau de la Hollande, Ces succès presqu'Européens n'influè- 
rent pas sur la simplicité du peintre Valenciennois; toujours 
modeste, toujours laborieux , il continuait à vivre dans l'obs- 
curité et s'appliquait plus que jamais à l'étude. Cetteardeurde 
travail provenait de ce qu'il croyait pouvoir sans cesse acqué- 
rir et mieux faire. Soit que cela tint à son esprit mécontent j 



c«i ai'tUte ; aussi yoiuon, dans le ipusëe de Valenciennes ^ un charmant petit 
tableaju représentant einc| persounagt s causant et folâtrant av pied d'an 
arbre tandis qu'un épagneul se désaltère dans un rttii>9eau. Ce joli WatteaOj 
duut l'originalité n'est pas contestable, est peint de ric^, d'une touche légère, 
mais burdie , dans laquelle la main du maître se fait partout sentir. 

(i) Dandré Bardon. (Traité de Peinture^ Paris, 1766, t. a p. i4B*] 

(2) Mort en 1786 , âgé de 4l ans. 



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soît qu*ileutla convitlion intime qu'ail pouvait se surpasser Gn> 
cfoi-e, il ti'était jamais satisfait de ce qu'il fesait : souvent on le 
vit efFaeer des choses admirables qu'il reproduisait moins bien. 
CÎersaint, mai*cliand de tableaux, lui avait offert plusieurs Fois 
un bon prix d'ouvrages queWatteau mécontent détruisait en- 
suite à ses yeux ; un jour même, son ami lut en ayant arrache 
un des mains , contre son gré^ i( lui en voulut longtems poui? 
ce fait. 

Incapable d'aucun soin, d aucune prévoyance, Walteàu 
dépensait son argent avec cette facilité qui guidait son pin- 
ceau ; son désintéressement était grand : il s'est souvent fâché 
contre Gersainl qui voulait le forcer à accepter un prix raison- 
nable d'ouvrages qu'il trouvait toujours qu'on lui payait plus 
qu'ils ne valaient. D'une part sa modestie, d'un autre côté la 
légèreté de son camctère, entraient pour beaucoup dans cette 
manière de se conduire. C'est cette même légèreté qui le fit 
changer si souvent de demeure, ne se plaisant qu'un instant 
aux lieux qu'il avait ardemment désiré d'habiter. C'est ainsi 
qu'il quitta^ après un court séjour, la belle habitation de 
M. deJuîHennê, cet ardent collecteur de tableaux, qui mono^ 
polisa^ pendant un certain tems, toutes les productions du 
peintre Yalenciennois; et qu'il ne put rester chez yieugheh ^ 
«on ami , qui plus tard alla mourir à Rome^ Âant directeur 
de l'académie. 

Son humeur vagabcmde ke poussa même, en 1720, jusqu^ert- 
Angleterre j il y fut fort occupé pendant son séjour ; l'aristo- 
cratie anglaise le fesait beaucoup travailler et payait ses ouvra- 
ges au poids de l'or t ce fut là qu^il commença à connaître le 
prix de l'argent) dont jusqu'alors il n'avait fait aucun cas. 

Bientôt cette vie nouvelle , un travail trop assidu , le cli • 
mat firoid et humide de l'Angleterre , furent trois causes qui 
contribuèrent à affaiblir son tempérament déjà délicat. Aus- 
si , aprèa une année de séjour , voyant que l'air épais de Lon- 
dres ne suffisait plus à sa respiration , il revint à Paris en 
1721 , mais déjà tttaqué si vivement de la consomption , qu'il 
ne traîna plus désormais qu'une vie chétive et languissante. 



V 



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C'est à Pépoque de son retour, qu'il pria son ami Gersaiot^ 
de lui permettre I /M»ii>* se dégourdir les doigts y di9ait*il, de 
l^eindre le plafond de sa boutique située sur le pont Notre- 
Dame^ Il fît ce travail en huit jours , encore ïij travaillait-il 
que le matin , sa faiblesse ne lui perâiettant pas de s^occupej* 
toute la Joiu*nëea Ce tableau, celui qui éveilla le plus Tamour- 
pix)pre dfe Watteau , est peut-être la plus célèbre enseigne qui 
jamais ait été faite, quoique depuis ce tems on ait beaucoup 
sacrifié au luxe dans ce genre de peinture. Celle-ci , très-remar-< 
quable du reste par la compositioil et Texécution , représentait 
une longue galerie i^mplie de personnages et de tableaux de 
toutes les écoles , tellement bien imités que Ton y reconnaissait 
le genre et la touche de chaque maître. Figures et tableaux ^ 
tout avait été peint d après nature. A peine cette enseigne eu*' 
rieuse fut-^elle en évidence que tous les peintres se hâtèrent de 
la visiter ; tout Paris se porta vers la boutique de GerMiint j 
et; pendant plusieui^s jours y la foule obstrua le pontet inter^^ 
dit le libt% passage* Comme on le pense bien , un tel chef-d'œu- 
Vre ne resta pas longtems dévoué au triste rôle d enéeigne ; ori 
le descendit s et il entra, peu de jours après, dans la belle ga-* 
lerie de tableaux de M. de Jullienne, une des plus céièbi'es de 
la capitale : il c9t passé depuis chee l'étranger qui Ta enlevé à 
prix d'or, (i) 

Après son retour d'Angleteri-e , Watteau s'était logé che* 
ison ami Gersaiut : sa santé s'altérait de plus en plus^ l^ennut 
et le dégoût l'accompagnaient partout ; au bout de six mois , il 
ci^aignit que le spectacle aflfi^ux d'une mort qu'il sentait pro"* 
chai ne ne troubla le repos de son ami ^ et it voulut sortir dé. 
chez lui. On lui procura un nouveau logemepit où il ne fut 
paspiutôtétabliquegamaladieaugmienta: il cratej^coreéchap^ 
per à l'ennui et à son mal en changeant de demeure. Cette fois 
co fut vers la campagne qu'il dirigea s^ vœux ) il aspirait au 
bonheur de vivre dans les champs , de parcourir les bois^ et il 
n'eût plus de repos que lorMju'il apprit que M« L^ehore , alors 



(t) Cejslkperbe tableau a ëté grave par Cochin pèi% , à la demande de M^ 
4tf t^HUMpDhe. 



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intendant des menus- plaisirs, lui avait assigné une agréablfe 
tet rai te dans sa belle maison de Nogent-sur-Marne, au delà 
de Vincennes , à la sôlticitation de Tablié Harani/^r , chanoine 
<îe St.-Germain-l'ALUxerrois , ami commun du pauvre Wal-î- 
teauetdu riche intendant. Gersaint le (induisit dans cet asile 
tranquille , let il avait soin d'aller 4e visiter tous leâ deux jours 
^viBc d'autres aaais. 



Au milieu des douleurs atroces de sa maladie, Wattea'u ter-^ 
toina la série de ses travaux par la composition ia. plus grotés* 
^ue qiiCait produit sou piaceau bien fécond en cegeprei c'était 
«in tableau représentant un malade en robe-<le-*chambre «a 
knilieu d'un cimetièi^, fesant de vainS çt derniei*s efforts pour 
^échapper à quatre ou cinq seringues braquées contre lui » et 
^arrivant enfin au tombeau y son dernier asyle,ayec un cortège 
de médecins, d'apothicaires et de suivans, marchant deux-à- 
deux en habit^ de cérémonie. Cette dernière plaisanterie qu'en- 
fanta le pinceau si joyeux de Watteau étail en rapport avec sa 
propre situation :.on voit la pensée de la mort qui le dominait 
déjà y et néanmoins l'habitude de laisser courir son crayon sur 
des détails rians l'emporte et vient se mêler à cette idée d an- 
nihilation prochaine. Ce tableau était encore vigoureux, plein 
de charme , d'un coloris brillant , et présentant tous les carac- 
tères propres à chaque personnage, 

Ge fat, hélcis! léchant du cygne. tJne nouvelle vcliéité de 
locomotion le tourmenta bien une dernière fois ,^ mais alors les 
forces lui manquèrent pour i^aliserson projet de ti^nslation. 
Il crut un jour que Tair de Yalenciennes pourrait lui rendi-e 
laiant^ : dès loM, il ne soupira plus qu après le sol natal. 
Four reculer ce derniek* iroyage, il pria Gersaint de vendre le 
peu d'effets et de tableaax qu'il possédait , ce qui produisit une 
somme de 3oo« livres. Watteau espérait encore retiHiiuver assez 
de force pour aller mourir dans sa patrie; Gersaint devait rac- 
compagner , mais sa vigueur s'épuisait au lieu de se rétablir, 
la défaillance augmenta de plus en^plud, et le dernier moment 
de l'artiste pattoissant prochain , on fit venir le bon pasteur de 
Nogent qui était aussi son ami particulier. 



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La dernière heui*e de Walteau est caractéristique, et peint 
bien l'âme de l'homme n^ artiste. Le curé de Nogent , aussi gai, 
aussi jovial que le peintre l^était peu , avait une de ces figures 
de prospérité qu*il n'était point rare autrefois de voir aux gens 
d'église. Cette figure riante et un peu épaisse avait frappé le 
peintre des fêtes galantes ^ et quand , dans sea tableaux , il avait 
à représenter le personnage quelque peu ignoble de Gilles ^ ha« 
bitué qu'il était à toujours copier la nature, il prenait oitii- 
nairement pour modèle le curé de Nogent. Cette peccadille d'ar- 
tiste pesait sur la conscience de Watteau : à sa dernière heure 
il demanda pardon au curé d'avoir ainsi abusé de sa figure ; le 
bon pasteur, en le lui accordant , lui présenta, suivant Fusage, 
un crucifix à baiser. L'image du sauveur du monde était sans 
doute fort mal exécutée, car Watteau se ranimant tout-à-^ 
coup à la vue du Christ , s'écria : Otez-^moi ce crucifix ; com- 
ment un artiste a^t^ilpu rendre si mal les traits d'un Dieu ! 

Après ces paroles où l'homme de lart se révélait tout entier, 
la nature manquant chez lui tout d'un coup, il rendit l'âme 
entre les bras de Gersaint et du curé, ses deux plus intimes 
connaissances , le 18 juillet 1721 9 âgé seulement de 87 ans. 

Watteau légua ses dessins à quatre de ses amis : Grersaint , 
M.deJuUienne, l'abbé Haranger et M. Hénin , pour être par- 
tagés également entr'eux ; ce qui se fit par l'entre^mise de Ger- 
saint qui en avait été le dépositaire. Les mille écus provenant 
de son mobilier , et deux mille autres-, prix de ses ouvrages ,et 
déposés chez M.deJuUienne , depuis son voyageen Angleterre, 
furent envoyés intacts à Yalencieones à «a famille ; c'était toute 
sa foilune, et ce qu'on avait pu «auvar du désordre né de son 
extrême insouciance. Ses quatre amis payèrent ses dettes et lui 
filant élever, dans le joli village de Nogent-sui'-Marne, un mo- 
nument funéraire dont il ne reste plusen ce moment la moin- 
dre ti^ace (1). Si l'existence de Watteau s'était un peu prolon- 



(1^ Pemlant un assez long séjour à la campagne datis lea eoTirons de Paris , 
Fauteur de cette notice a recherché avec soin les restes du tombeau de Wat- 
teau à Nogent, et il n'a rien pu découvrir, dl dans FégUse du village j nidana 



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gée il aumt eu y duivant le dernier souhait qu'il a formé , Id 
coosolatioB de roourîr au milieu de ses concitoyens et la ville 
de ValeocieDnnesrpourrait aujourd'hui montrer son tombeau : 
en Tabsenice de tout monument , la cite qui s'honore de lui 
avoir donné le jour, a du moins doté de son nom une de ses 
rues nouvelles y afin de rendre aussi populaire que possible le 
souvejiir d'un de ses plus célèbres en fans. Un jeune sculpteur 
Valeociennois, M. LouU Auway ,k<\n\ Ion doit déjà le buste 
deThistorien Froissàrt, cherche en ce moment à reproduire 
les traits de Watteau dans un nouveau buste qui sera d''un 
§rand prix pour tous les amis du genre de ce peintre fameux. 
C'est un monument que le jeune Valenciennois veut élever à 
l'un de ses illustres devanciers ; et pour qu'il devienne à la 
portée de tous ses coudtoyens et de toutes les fortunes , il en 
doit&ire tii^r de petits médaillons en plâtre qu'on verra bientôt 
suspendus dans les cabinets les plus modestes de nos contrées. 

• Watteau , ditGersaint qui l'a si bien connu , était de moy- 
» enne taille etde faible constitution ; il avoit le caractère in- 
» quiet et changeant; il étoit entier dans ses volontés; liber- 
» tin d'esprit, mais sage de mœurs ; impatient, timide; d'un 
» abord froid et embarrassé ; discret et réservé avec les incon- 
» nus ; bon , mais difficile ami ; misanthrope , même critique 

• malin et mordant \ toujours mécontent de lui-même et des 
» autres^ et pardonnant difficilement; il parloit peu, mais 
» bien : il aimoit beaucoup la lecture ;c'étoit le seul amuse-^ 

• ment qu'il se proemroit dansson loisir ; quoique sans lettres, 
» ildécidoit asaes sainement d'un ouvrage d'esprit. Voilà , au- 
» tant que j'ai pu l'étudier, ajo.ute sou ami , son portrait au 
» naturel ; satis doute que son application continuelle au titi- 
» vail , la délicatesse de son tempérament et les douleurs vives 
» dont sa vie a été entremêlée, lui rendoient l'humeur diffi- 
» cik, et influaient sur les défaut* de société qui le doihi- 

• noient. » 



le viettx cinetiire qui rentoure , quant au nonveati cimetière deNogeat , il 
e*t trop récemmeiit établi pour atoirpn recevoir les restes mortels du pein- 
tre Valencicunois. ' ' 



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Oil vdît pair ce portrait non flatté , mais, il faut bien tetlirë, 
ndèie au dernier point, queWatteau, peintre si ainable dans 
«es productions 9 n'atait garde de i*étre dails ta personne. Il 
paraîtra même toujours extraordinaire que ce misanthrope mo- 
rose, taciturne et atrabilaire) n'ait eu qutt des conceptions 
d*ttne folie gatté) et où règne la plus douce volupté. « Le genre 
» deWatteau, * dit avec justesse £tfM#]peiflA^^ dans un frag^ 
ment de sa Galerie des peintres célèbres (i), « tient au moment 
*» où il a vécu. Arrivé jeune à Paris , vers la fin d*un r^ne 
^ qui fut gltind et noble, auquel par un brusque passage de- 
» vaitsuccéder l'empire de la folie; à cette époque, où elle se 
» répandit sur un pays où la licence allait succéder à Tex-^ 
M tréme dévotion , où on la vit agiter ses grelots jusiques dans 
i» la cour d'un prince ami desaits et des plaisirs, il était fort 
» naturel qu'un peintre dont Tiniagi nation n'enfantait que 
» des scènes galantes et voluptueuses , fut re^u favorablement 
f» de ses contemporains^ L'artiste est souvent l'homme de son 
• siècle; si le siècle est grand ^ toutes lés œuvres du génie sont 
» nobles et âl€yestueusesi » 

Watteau , imbu d« bonne heura des scènes buriesqueé de 
iîilles et d'Arlequin et des repréâentations de l'ancien ihéâtiis 
italien , en a transporté les joyeux personnages sur sa toile,où 
ils se multiplient Sans cesset Le Docteur, Pantalon , Scara*^ 
mouche, Colombine et Pierrot, dont il saisit si bien l'esprit ^ 
les mainères, les attitudes et k tournure plaisante^ lui ont 
fourni uae masse éé scènes variées «t plehies de grâces piqua n- 
tes^Aien n'estplus agréable que lesoomposiikNisdecemaltretO 
me sont que danses champêtres qu'animent les sons de la flûte 
et du taiûbourin ; que gnMipcs de jeunes hommes et de jenneS 
femmes , qui se jouent mollement sur un vertgason ; que fêtes 
pompeuses , repas somptueux , jardins délicieux raffraichis par 
idescascades bouilloonantes ; que musiciens , et surtout joueurs 
de guitare qui viennent encore animer des tableaux, dont 



(i) Lu le 9 yam i8i5 à la SoeiéU d'Emulition de Rouen. {Mémoires et 
t^iSociétS de Rouen, iSiSf iik-^,)^^alerie d$speinî/i99ûéiéknSi¥sLrièi 
f reuml , i8ai , a toI* in-^'» ** 



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les câractèi^es saillans sont ceux de la franche gaité et du plai-» 
Èïr, Telles sont les impressionsqu'ëveillent les produits dé son 
dëlîcrâux pindeau , où pétillent VespHt et la grâce ^ le goût et la 
vëritét Voltaire à écrit qu'il est danô le gracieux ce que Tentera 
iut dans le grotesque ; un autre éciivain a prétendu qu'on pou-^ 
vait rappeler le Chaulieu ie la peinture: Ces deux expressions 
Bout également ingéni^ses et caractéristiques» 

Ce charmant aiiiste a bien touché le paytôgé ^ mai$ oq doit 
avouer qu il s'était choisi une nature à lui ; une nature exacte ^ 
il est vrai^ mais toujours élégante et parée > une nature petite- 
maîtresse , enrubannée et fardée» Il avait adopté de préférence 
la vue de ces parcs somptueux, de ces bosquets à guirlandes ^ 
de ces berceaux épais et luxueux, dont les contours simulent 
une architecture recherchée, surchargée encore de vases et 
de fontaines mêlés avec le£^ fleurs et le feuillage , qui , produi- 
sant un certain air de féerie ^ parlent peut-être plus à Timagi-^ 
nation que le peintre n*a eu Tintention de le faire. 

Parmi les meilleûi^ tableauxde Watteau y on l^âiarque aussi 
des marches et des haltes de soldats, des campemens militaire^, 
exécutés avec cette vérité qui révèle lartiste né daas une ville 
de guerret 

Bd l^énéml 3 le de«»in çori^t et faâîle deWatteaU donae xkhé 
idée exacte et histM^que de rapchitecture sureliar^ée et des 
tottuiiies apprêta àm son temé ; ses figures se distinguent par 
la iieïve^, la grâce et Texpression ; ses poses, puiséeedàns la ua* 
tUire j ikmt pleiaes de vie et de mouvement ; soiicolorisest fraie 
dans les femmes et les enCafiS , ohd&%d et doré dans les hommes» 
Ses draperies sont agencées avec goût ; Ses costumes brillans et 
purs; il avait surtout un talent particulier pour bien i^endre 
les étotfes de «oie et il choietssait de pr^érence celles qui pré^ 
sentent des rayureé de diverses couleurs. Les arbres sont habi- 
lement feuilles quoiqu'avec une sorte de négligence > sesiiiels 
tont chauds ^ ses danses légères > lies attitudes gracieuses , et sa 
lumière > répandue avec discernement , laisse tout appercevoii^ 
saBB coofusioit et san» papillotage. 



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«•444- 

On ne peut toutefois s'empêcher de i^marquer que les ta^-^ 
bleaux de ce peintre inconstant , se ressentent un peu de l'irré- 
Bolution etde Timpatience de son caractère. Un objet qu'il 
voyait trop longtems devant lui 1 ennuyait j aussi , comment 
cait-il plusieurs tableaux à la fois, et , allant de l'on à Taixtre, 
sans cesser de travailler, il voltigeait de sujets eo sujets, paree 
que celui qui n*ëtait encore qu*ébauchë le fatiguait déjà» Afin 
de se débarrasser plus vite d'un ouvrage commencé > il mettait 
beaucoup d'huile grasse à son pinceau pour étendre plus facile^ 
nient la couleur; cette circonstance a faittort à la conservation de 
beaucoup de ses tableaux qui n'ont point retenu leur ton pri- 
mitif, ont noirci , et se sont gercés et fendillés promptement ; 
mais tous ceux qui ont résisté sont superbes et ont aujourd'hui 
un grand prix aux yeux des vrai* amateurs qui les admettent 
diins leurs cabinets comme morceaux capitaux. 

Après avoir décrit la vie, le caractère , la manière de Wat- 
teau , il reste comme complément de cette notice, à parler des 
principales œuvres délaissées par ce maître. Personne mieux 
que lui ne connut le prix du tems : aussi est-on étonné de ce 
que ses pinceaux et ses crayons ont produit, quoiqu'arrètés si- 
tôt par une mort prématurée! Qu'eût-ce donc été s'il avait 
rempli i|oe pleine carrière d'homme! 

Outre les tableaux dont 11 a déjà été question dans le cour» 
de cet article, on connaît encore de Watteau les ouvrages stii- 
vans qui ne sont pas sans réputation n^ La êifnaiurB êm eon^ 
irai de la nâcê de village, superbe tableau flki dUnc d'Arenberg , 
gravé par Antoine Cardan j offrant jusqu'à 96 personnages sans 
la moindre confusion, s® Lee ekampe élie^e , tableau sur bots^ 
vendu chez M. de Gagny 65o5 livres à M. d'Azineourt. V L^a 
fêtes FAiitiennee , composées de 18 figures dans un paysage, 
gravées par Laurent Cars, vendues en 1767, chez M. de Jul- 
tienne, 3616 1. 4"* La sérénade Italienne,^ figures dans un jar- 
din , gravé par G. Seotin, tableau qui passa, pour un prix éle- 
vé , de chez M* Titon du Tillet, chez M. de Jullienne, et, suc- 
cessivement, dans les galeries deMM. deBoisset, LeBrun^ 
et M. ***. La vraie gaite', danse flamande, petit tableau 
du cabinet de M. Alexandre de Famars ,Mle Valencicnnes ^ 



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et gravé par lui. 6° L*amour désarma, de chez M. de Juf- 
lienne, gravé par Audran. 7® Un Mezzettin jouant de Jta 
guitare j du même cabinet. Et 8^ Les singes peintres , petit tan 
bleau sur cuivre de la galerie du Palais-Royal^ fesant pendant 
à la Musique des ehats, de P. Breugk. 

A la vente de Denon , faite en i8a6, on adjugea ((vratre ta- 
bleaux de Watteaadont l'un , de 66 pouces de hauteur sur 54 
de largeur, est un des plus importans ouvrages sortis du pin- 
ceau de cet excellent coloriste. On y voit plusieurs personnes 
en habit de carnaval; ellessontdegrandeurnafurelleceq^iest 
fort rai-e dans les peintures de Watteau. La figure principale 
est celle d'un Gille, vu de face; derrière, en plan* coupe, onr 
aperçoit un Crispin , monté sur un âné , et trots autres' person^ 
nages en habits de caractère. On présume que ce sont les por- 
traits d'acteurs du théâtre Italien avec lesquels Watteau était 
fort lié, 

Enfin f cet artiste 4vait encore une foule de ses tableaux a 
l*académie de peipture, au château de la Muette, dont il pei- 
gnit les lambris, et en Angleterre , contrée qui en possède les 
plus beaux dans ses diverses galeries particulières, tant de ceux 
que Watteau y fit pendant son séjour, que de ceux acquis en 
France à gi'ands frais par les anglais qui n ont pas peu contri- 
bués à i-emettreeu vogue le peintre Yalenciennois. Beaucoup 
de oes productions ont reçu les honneurs de la gravure et ont 
été repiXKluites par le burin des Coohin , Audran , Boucher^ 
Thomassin , Desplaoes, Tardieu, Huquier père et fils, et au- 
tres graveurs célèbres. Toutes ces gravures, qui composent 
l'œuvre de Watteau^ peu vent être réunies en troisvolumes in- 
f* ; c'est ainsi qu'elles furent présentées à la vente de M. Quiu- 
tin de l'Orangère, sous le n° 94» qui contenait 6ai pièces, y 
comprises celles gravées eq Angleleri^ qui sont fort raines (1). 



(i) La Biographie universelle ne porte qu'à 563 planches l'œuviede 
WifUeau f dans rarticle incomplet et parfois inexact donne par M. de 
Chazet sur Wattean. On a déjà remari|vé au reste que les notices de 
cette Biographie ( si estimable sous tant d'autres rapports ) qui regardent 
les peintres et le» muttciens laissent l>eaucoup à délirer. 



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'Walteau a lui*méme gravé, d'une pc^ute légère et spirî* 
tuelle , des aoldaU en marche , dea recrues , et une suite de 
petites figures de modes de sa composition. Il S( aussi laissé 
plusieurs eau'^fortes, mais comme ildeasifiait beaucoup et que 
même pendant ses promenades il se livrait à cet exercice,, on a de 
lui une immense quantité de dessins originaux tous ti*ès-rpi^- 
cieux par l'heureuse étude qu'il fit de Rubens et de Yan-Dick 
qu'il révérait également. La seule vente de M, de Jul tienne jeta 
3oo dessins de Watteau dans la circulation; le cabinet du prince 
Charles de Ligne 9 vendu à Vienne ^ en 1794 » sous la dii*ectioo 
du célèbre Bartsch 1 contenait Uuguêtur qui demandé l'aumône, 
joli dessin à la sanguine, ayant pour pendant un Courtisan à 
genoux aux pifds de sa maîtresse. L'auteur de cette notice pos^ 
sède aussi quelques dessins de ce maître à la pierre dui*e et à la 
sanguine. 

La poésie a célébré le talent original de Watteau ; outre La 
MotteHoudart et Wattelet , qui l'ont chanté, l'abbé de la 
Mari'e a composé deux pièces en vers intitulées : rArt et la na-r 
fure réunis par fVatteau ,et la Mort de ff^afteau ou la mort de 
la peinture (1), pièces dans lesquelles il exalte au plus haut 
degré le talent de notre artiste. 

Les traits de ce peintre , enlevé si jeune , noue ont été heu- 
reusement conservés par lui-même; le président de Laiseville 
acheta chez M. de Jullienne un petit tableau sur bois, où il 
l'était lepréaenté à mi-corps, tenant sa palette et son appui- 
main» M. de Ravanne acquit à la même vente un autre por- 
trait de Watteau > vu de face, dessiné aux trois crayons : C'est 
d'après cette dernière figure qu'on a gravé le portrait de ce 
peintre, qui, étant fort peu répandu, nous a paru mériter 
d'être reproduit ici, M. de Pujol, prévôt de Yalencieqnes et 
père de M, Abel de Pi\jol, a aussi gravé au trait le buste de 
Watteau en habit d'académicien et d*api*è8 un sien portrait. 



(i) QSuvres diverses de M, l'abbé de la Marre , Pari», 1763, in-4^» 
pagrs 26-34. 



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3^447** 

Cette gravuiv se trouve jointe à une courte notice sur Wat- 
teau dans la Gt^Urie historique universelle de M. de Pujol > 
4786-89, in-4"* 

Quoiqu'on levé jeune aux arts et à sa famille , Watteau ne 
périt pas pour cela tout entier. 11 laissa àValenciennes un ne^ 
veu de son nom , qui s'inspira de ses ouvrages, et qui parvint à 
imiter jusqu'à un certain point la touche et la manière desob 
onde. Louis Watteau , dont nous ne pouvons nous empêcher 
de dire ici un mot , ne fut-ce que pour qu'on ne confonde ps» 
sespuvrages, assez communs du reste ^ avec ceux du jr^'ancf 
JVatteau, son maître, naquit à Valenciennes, à peu près à 
rëpoque où son oncle rendait le dernier soupir à Paris ; en 
1777, il était adjoint à M* Guéret , professeur de l'académiede 
peinture de Lille ; cinq ans plus tard , il dirigeait cette école., 
Dès l'an 17') 0, il fit pour la célèbre abbaye de Crépin , les 
Quatre parties dujour^X^ïÀediUii champêtres qui eurent quel- 
que succès et qui font aujourd'hui pailie du Musée de Valen- 
ciennes. Ils sont exécutés en grand dans un salon de la demeure 
de mon ami et collaborateur, M* Aimé Leroy, bibliothécaire 
de cette ville, Louis Watteau fit aussi un grand nombre de ta- 
bleaux militaires, et par commande, quelques sujets pieux tels 
qu'un Christ pour Téglise St.^Maurice de Lille ^ et d'autres 
pour celle de Tourcoing, Mais ce qui rendit son talent plus 
populaire dans le département du Nord, ce' fut quatre com-i 
positions locales , savoir : le tableau du Broquelet, fête des fil-^ 
tiers , à Lille;; V Entrée de Vaéronaute Blanchard et du chevalier 
Z^)iina^, dans la vi lie de Lille^ en août 1785; V Ascension, 
aérostatique des mêmes ; ces deux pièces dédiées au magistrat 
de Lille sont gravées par Helman, de la même ville; et enfin un 
immense ts^blea\i représentant la Confédératiçn des défartemenst 
du Nord, de la Somme et du Pt^s^de-Calais , faite àLille, le 14 
juillet 1790, dédié aux maire et officiers municipaux de 4a ville 
de Lille, exécuté en 1790 et gravé par Helman en 1791. Louia 
Watteau eut un fils qui déjà , en 1 7M , était professeur eu 
survivance de l'école depeintui'e de Lille et qui depuis rem-« 
plaça tout-à-fait son père dans ces pénibles fonctions, 

Jjfi nom du graud Watteau ^ devenu Européen , est désor^ 



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mais uni sans retour à celui de ValencieDues, sa patrie; sa 
gloire I comme celle de Froissart^ i^ejaillit, par ^n vif reflet , sur 
sa ville natale et lui permet de se monti^r fière des hommes 
qu'elle a produits. Le souvenir de ces illustrations dans les let- 
tres et dans lesarts, nées et grandiesdans ses murs, doitémou- 
voir d une noble fierté ^ tout habitant véritablement attaché à 
la cité; bien pluS; les, étrangers eux-mêmes rendent hommagie 
à ces naissances de grands citoyens, et il n*est pas aujouixi'hui 
de livre élémentaire, de compilation renfermant les plus sim- 
ples notions historiques; qui n'ait inscrit comme louange, au 
plus bref article sur la ville de Valenciennes, cette phrase^ si 
souvent répétée: c'est la patrie d^ Antoine IVatteau! 

Abthur Dinaux. 



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(il* ARTICLE.) 



LA COMTESSE D'ALBANY. 



Albany fLouise^Maximilierme-Caroline-Emmanuel , eom-' 
tesse dy, princesse de Stolberg, naquit à Mons , le 20 septem- 
bre 1762 , et non le 21 du même mois, comme le dit la Biogra- 
phie des Contemporains , éditée par Alphonse Rabbe et Boisjo- 
lin , ou le 27 septembre 1 753 , ainsi que le rapporte M. Meldola, 
dans le supplément à la Biographie Universelle de Michaud 
(1). A peine était-elle âgée de 5 ans, qu'elle perdit son père Gus- 



(1) En "voici la preuve : 

(c Extrait du registre des baptêmes du rëgimetil dtt comte d^Aiiierg. 
» Le ao septembie 1752 a été baptWe Louise-Mazimilienne-Caroliae- 
» Emmanuel^ fille lëgîtime <Se son altesse le prince 6 ustaye- Adolphe dé 
» Stolberg y colonel , et de son Altesse la princesse Elisabeth de Homes > 
» ëpoux et épouse. Ses parains ont été S. A. le prince Maximilien-Em- 
» manuel Homes , chevalier de la Toison d'Or de la première classe , et 
» S. A» 1« prince Frëdëric-Gharles , prince de Stolberg. Les maraines ont 
» été la très-illustre et noble dame Alexandrine , princesse de Croy , cîia- 
» noinesse de Ste.-Vaudru^ au nom de S. A. la princesse Louise de Stol- 



30 



• 



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taye-Adolphe^ prince de Stolberg-Goedern , lieutenant-général 
au service d'Autriche et commandant de la forteresse de Nieu> 
port ; il fut tué en 1757, à la bataille de Leuthen, d'un coup 
de canon.. Elisabeth-Philippine, fille d'Emmanuel , prince de 
Hornes y son épouse , restée veuve avec quatre enfiins , et n'ayant 
pour fortune que l'illustration du nom de son époux , fit don- 
ner à ^ fille Louke une éducation solide, qui fut achevée dans 
un couvent de la Flandre. EUe n'en sortit que pour entrât* 
dans un des chapitres du même pajs , ouverts aux povon- 
nés d'une haute nmmiee , aiais peu fixtunées. Dans cette 
retraite , elle cohiva la musiqiie , le dessin et la poésie. Bien- 
tôt on parla de ht iMauté ^ de la grâce et des brillantes qualités 
.de la princesse ,«t sa réputation parvint jusqu'à Charles-Ëdou- 
ard-Louis-Philipp^C^imir S^tuart, dernier rejeton de cette 
limîlb infortunée , et que l'on appelait alors : le Prétendant, 
j^ cour de France seiKtit que sa politique lui commandait de 
jOe pfk» laiaser éteindre une raoe royale qui pouvait encore être 
Htile à ses desseius ; elle n^^ia donc le mariage de Charles 
Stuart avec Lquise de Stolberg et Ves trois eours de la maison 
.de Bourbon assurèrent aux illustres époux un apanage conve- 
nable. Cette union, vue de fort mauvais œil par le cabinet au- 
trichien , eût lieu à Macerata , le 17 avril 1772 , et fut d'abord 
tenue 9epréyte. La princesse douairière de Stolberg , qui' habi- 
tait Brii^cçUes.,. désirant assister à la célébration du mariage de 
aa flllje , imagina un prétexte pour quitter la cour et déguiser le 
véritable motif de son absence. Lorsque cette démarche , bi^n 
naturelle à une mère , fut connue de l'impératrice Marie-Thér 
jèse , elle ne put dissimuler son ressentiment contre la prin- 
cefuie dotiit^irière , et elle écrivit de sa propre main le billet si^i- 
vaint «u piioiGe 4e Kamût». 



» ^tf^, née priacefie jle Nacsau , et S. A. la princeMe Albertine de Hor- 
» i^» née pri|ices8e4« Gavre. Est signe': Quc^d TestorV. A. Vanderclet. » 

nf U est aÎDfi audit registre. Mons^ le o5 septembre 1762. Est signé ": 
3»J?. J. QiiiBpnt, cur^ deSt.-Qernp. (Geimaji^] ^ojen de Mons. 
An bas. est écrit : 

se Cet .enrçgistrei|ient § été fait pour cette foi& et sa^ns conséquence pot^ç 
■»U9 enfjins.d^ militâmes oue To^ prétendrait nous faire coucber au rer 
9 g^tre aprèf avoir jété baj^tiséi ppr les aismaânien. » 



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^4^1 «< 

« Je ne sais si je vous ais prévenue que je ne saurois dissi-? 

• muler vis-à-vis de la Stolberg le mariage de sa fille, vous ep 
» iécrirois à Staremberg et lui dirois que sa pention est suspen- 
V dijie et qu'elle ne paroisse pas à la cour jusqu'à nouvel ordre. 
f» J'en ais écrite ainsi au prince (le prince Charles de Lorraine) 
«> on pourra après lui faire grâce quapd elle reconnoitra sa 

• grande faute. » 

J'ai conservé scrupuleusement Fortographe de ce billet cu- 
rieux dont l'autographe se trouve aux archives du royaume à 
Bruxelles (2). La princesse douairière adressa, pour rentrer en 
grâce , une supplique à l'impératrice (3) et pria Je duc Charles 



(a) Voici la lettre quMcrivit à ce sujet le prince de Kaunitz aii prince 
de Staremberg : 

« I^'impératrice reine , a c)aignë me faire connoUre qu'elle avoit té- 
» nioigné au S^rënissime Dyc goiivemeur-génëral , qu'elle jvpouvoit pas 
» dissimuler vis-à-vis de la princesse de Stolberg Ik mariajl de sa fille , 
» qu*en conséquence la pension de Madande de Stolberg doit être snspeudue, 
» et qu'elle ne doit pas paraître À U cour fusqu'à nouvel ordre. Sa M9- 
» jestë y ajoute néanmoins qu'on pourra lui faire grâce quand elle recon- 
^ naîtra sa grande favite « et elle veut que je fasse part de tout ceci à 
» Votre Altesse. 

» Il est sur et certain que Madame de Stolberg a grandement manqué en 
j> donnant , sans l'agréatien de la cour, sa fille en mariage à un person- 
» nage comme celni du prétendant , et votre 4-1^^!^^ ^^^^ ^rès bien de li^i 
l> faire sentir tout ce que sa conduite 'à cet ë^ard ^ de répréhensible. 

» J'ai l'honneur , etc. 
» Vienne^ ce 24 juin. » 

Cette pièce se trouve aux archives du foyauine à Bruxelles. 

(3) o( A sa sacre majesté l'impératrice reine apostolique , 
»La princesse douariere de Stolberg désole d'avoir eu le malheur de 
9 déplaire à Votre Majesté ose prandre l'humble confiance de déposer ^ 
vses pieds les marque de sa douleur et de son abbatteméut^ condamnée 
» par Votre Majesté, elle ne socupe que du moîeu de reparer sa ftiute, 
7D et en la reconnoissant ele ne cherchera d'aube justification que sa con- 
}> fiance dans la clémence et dans les bonté d'une souveraine toujours ausj 
» bienfaisante qu'auguste. 

» La remontrante n'anroit d'ailleuvs dautre raisons a alléguer pour sa 
» décharge que les circonstance vraiment embarrassante pour elle , quelle 
» a pris la liberté de mettre sons les jeux (yeux) <|e Son Altesse Roy.al le 
p serenissime duc gouverneur gênerai et elle sent que ce n'est uniq^^ 



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i]e Lorraiue d'intercéder pour elle. Le comte de Kaunitz fit 
rapport de cette requête à Marie- The'rèse le 17 août 1772. 
L'impératrice , moins in itée , révoqua les ordres sévères qu'elle 
avait donnés , et faisant droit à la demande de la princesse dou- 
airière de Stolberg lui rendit ses bonnes grâces, la jouissance 
de sa pension et ses entrées à la cour. 

Les cours de France, d'Espagne et de Naples assurèrent, 
comme nous l'avons dit , aux nouveaux époux , un revenu suf- 
fisant , et la Toscane leur offrit une retraite agréable. Charles- 
Ëdouai'd prit à cette époque le nom de comte d'Albany, et vint 
habiter avec la comtesse, un palais que Léopold avait fait dis- 
posera Floi-ence pour les recevoir. Cette union ne fut pas long- 
tems heure4ise, et M. Meldona dit : a II faut moins en attri- 
» buer la cause à une grande disparité d'âge (4) qu'à la diffé- 
» rence du caractère des époux. La comtesse d'Albany était 
» vive, spirituelle, et douée de cette bonté d'âme qui gagne 
w tous les cœurs, tandis que son époux d'une humeur cha- 
• grine et inégale, s'irritait à la moindre contrariété, et se je- 
» tait souvent dans des accès de rage et de fureur. » 

Ce fut à Florence , en 1 776 , qu'Alfiéri vit pour la première 
fois la comtesse d'Albany , cette femme , qui eût une si grande 
influence sur sa destinée. Voici le portrait qu'il en fait dans ses 
mémoires : « Des yeux noirs remplis de feu et de la plus douce 
» expression , joints (chose qui se rencontre rarement) à une 
» peau très blanche et à des cheveux blonds, donnaient à sa 



*) ment que de la clëmence et de l'indulgence de Voire lyfajeste qu'elle 
» peut espérer un soulagement à sa peine qui laccable de^iuis le moment , 
» ou elle sait davoir encourru sa disgrâce. 

» C'est dans cette circonstance que se jettant aux pieds de Votre Ma- 
9 jeste^^elle la bupplie de lui rendre ses bonnes grâces. — C'est la grâce. 
» fSigndj La princesse douarière de Stolberg. » 

Cette pièce , qui ne porte pas de date , se trouv« aux archives du royau- ' 
me à Bruxelles. 

(4) La comteftse d'Albany dtait de trente-deux ans plus jeune que son 
^poux* 



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» beauté un éclat dont il était difficile de se dt'fendre. Vingt-* 

• cinq ans , beaucoup de penchant pour les lettres et pour les 
» beaux-arts , un caractère d'ange , une fortune brillante et des 

• circonstances domestique» très pénibles qui la rendaient mal* 
» heureuse , comment échapper à tant de raisons d aimer ! » 
Que Ton rapproche ce passage de l'esquisse tracée par un au-^ 
tre de ses adorateurs , et Ton verra qu'il n'est pas étonnant 
qu'une femme réunissant tant de charmes , de talens , de bonté 
et de qualités solides, ait dans le cours de sa vie, inspiré de 
vives et profondes passions. « La reine des cœurs (5), dit M. 
» C. V. de Boustellen , que j'avais vue à Rome , était de moy-^ 
» enne taille, blonde, aux yeux bleus foncés, le nez un peu 
» retroussé, blanche comme une anglaise , l'air gai, malin et 
» sensible à toUf*ner toutes les têtes. » (6). 

Alfîéri devint épris de la comtesse , en quelque sorte malgré 
lui ; il 5e crut assez fort pour l'approcher sans danger , mais 
bientôt, dit-il, il se trouva pris sans s'en appercevoir. Qne 
l'on me permette de citer ici le passage oii il explique à ses lec- 
teurs l'attachement qu'il conçut pour Madame d'Albany : « En - 

• core irrésolu , ne sachant plus si je devais me livrer ou non 

• à ce nouvel amour , je pris la poste au mois de décembi'e 
» 1777 , et j'allai à franc étriei* jusqu'à Rome. Ce voyage fou et 
» fatiguant produisit pour tout bien , le sonnet sur Rome, 
» que je fis dans une très-mauvaise auberge de Baccana , où je 
» ne pus fermer l'œil. Je n'employai que douze j^ours pour al- 
>» 1er, rester et revenir. En allant et en revenant, je revis à 
» Sienne mon ami Gori , qui ne désapprouva pas les nouvelles 
n chaînes dont j'étais à moitié lié ; de sorte que mon retour à 
» Florence les riva pour toujours. Cette quatnème et dernière 
*» fièvre de cœur se manifestait en moi par des symptômes bien 

• différens des autres. Dans les troîâ premières, je n'avais été agité 

• d'aucune passion de l'esprit qui , comme dans cette dernière^ 
» se mêlant à celle de l'âme , lui servit de contre^poids et for-- 



(5) CVtait 8oa« ce nom qii^on la deâignaît. 

(6) Extrait des souvi^nirs [inédits] de M. C.V. De Boustellen, inséré 
dans la Bibliothèque universelle de Genève. 



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* ma (pour m^expriracr avec le poète) un mélange inconnii uit 
» peu moins impétueux et moins brûlant , mais plil^ profond, 

• plus senti et plus durable. » J'ai transcrit dans son entier ce 
long passage parce qu'il nous fait voir que c'est à son âmouf 
pour Madame d'Albany qu^Alfiéri dût la révélation de sa Vo- 
cation poétique , et que c'est à lui que nous devons en quelque 
sorte la gloire de cet illustre auteur , en qui il féconda et déve- 
loppa le germe des talens et du génie. La dédicace de la tragé-^ 
die deMirra , un des plus beaux ouvrages du poète , à Madame 
d'Albany, rie laisse d'ailleurs aucun doute sur ce point : «Vous 
» êtes la source où puise mon génie , y est-il dit , et ma vie n'a 
» commencé que le jour où elle a étë ehchaînée à la vôtre » (7). 

Charles-Edouard , déçu dans son espoir de ressaisir le scep- 
tre^ tomba dans une espèce de délire, et se livra envers sa 
femme à de tels emportemens qu'une séparation devint indis- 
pensable. Le gouvernement de Toscane crût même devoir in - 
tervenir dans cette affaire. Pour échapper à la tyrannie d'un 
époux sans raison et toujours ivre , Madame d'Albany témoi- 
gna le désir de visiter un des couvens de Florence. Son époux 
l'accompagna, mais il fut bien étonné quand on lui annonça 
qu'il fallait l'y laisser, et qu'elle y devait rester par ordre du 
gouvernement. Peu après, elle se rendit à Rome auprès de son 
beau-frère le cardinal qui désirait la faire entrer dans un autre 
couvent, cette séparation eût lieu en 1780. 

. En mars 1781 , elle obtint du pape la pei^mission de sortir 
du couvent et de rester, sans bruit, séparée de son mari , dans 
un appaitement que son beau-frère qui demeurait hors de 
Rome, lui laissait dans son palais. Enfin, le 3i janvier 1788 , 
Charles-Edouard mourut k Rome , et non à Florence , comme 
le dit M. de Sevelinges, dans la Biographie Universelle. Cette 
mort , en rendant Madame d'Albany à la liberté , lui permit 
d'avouer sa liaison avec Alfieri, liaison qui, à la vérité, n'é-* 



(7^ C'est pour elle seule et par elle seule, dit Alfiévi daus ses nié- 
inthes^ que je composai toutes mes poésies amoureuses. 



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tait iiD secret {)our personne , puisque déjà em «vrîl i.7â5 , Al- 
fieri av^it été obligé de quitter lés Ëtats^R^Hnains poiur fiiite 
cesser les tracasseries que suscitait y à cause de lui , lé cardinal 
« s^ belle-sœur. Il prévint le coup qu*én Voulait porter à son 
^amie et s'éloigna daps le mois de mai suivante Malheui^eui^ 
ment cette noble résignation du poète ne mit pa(S fin auk maus- 
vais traitemens que subissait Madame d'Albany de la part des 
prêtres de son beau-frère, et surtout de son mari ; ces sévices 
lie cessèrent pas aprè^ le dépaii; d'Alfiéri, et ils fuirent mém'^- 
portés à un point tel qu'ils altérèrent tout-à-fait la santé de la 
comtesse , qui obtint avec beaucoup de peine de son beau-frère 
et du pape la permission d'aller en Suisse prendre les eaux de 
Baden , afin de la rétablir. 

Alfiéri était en Alsace, lorsqu'enfiil la comtesse d^Albaâj^ 
qui avait été victime pendant si longtems d'une UBtbn que là 
politique seule l'avait forcée de contracter, sevoJ'afitlibhe,'aUa 
l'y rejoindre. Ils vinrent à Paris , et en 1.^89^ ils y assistèrent 
aux ^remièi*eâ scènes du grand drame de la révolution. Alfiéri, 
à l'âme forte et énengique , y puisa de nouvelles inspirations 
pour Ses chants, mais cependant craignant que ks événement 
qui Se préparaient ne compromissent le sort de son àmie^ il la 
décida à aller passer quelque tems en Angletek*re ; ce' ptys , sur 
le trône duquel elle avait été sur le point de s'aSseoir. Bientôt 
Alfiéri , qui avait d'abord applaudi aux idées nouvelles et par- 
tagé la manière de voir des partisans de la révolution , prit en 
horreur les excès qui souillèrent cette dernière. La comtesse 
d'Albany l'eviut à Paris en 1^92 , «t fut témoin j avec son ami, 
de la fameuse journée du i û août; Cet événement les époU'^^ 
vanta , et , en redoutant les tristes suites, ilé se hâtèrent-dé quit*^ 
ter Paris six jours après. La voiture d'Alfiérifut ai-i-êtée à l'une 
dés barrières et le peuple Parisien voulait supposer à son dé- 
part et à celui de la comtesse qu'il emmenait avec lui. La gaixle 
nationale survint, mais elle ne put empêcher que la foule ex<- 
«spéi*ée ne dételât les chevau'x ; enfin, |prêoe à la fermeté et à 
l'énergie d'Alfiéri , que cette contrariété avait toîs en fui^ur , 
Il put se remettre en rbitte avec sa coinpagné. 

Après leur départ , on inscrivit les deut fugitifs sur la liste 



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dt» émigréB, on viok leur domicile, on pilla les valeurs mo- 
bilières qui é'j trouvaient déposées , et la bibliothèque du poète 
ftit eatièrenent dëtruilej cette bibliothèque qu'il affectionnait 
tant et poifr laqueHe il eût volontiers sacrifié une partie de sa 
fortune. La rapaoit^des Vandales qui avaient <xiramis ces exac- 
tions leur fitdéeouvrirqoel emploi Alfiéri efrla comtesse avaient 
firit de leurs fonds en France, ils se les approprièrent , et enfin 
supprimèrent la pensioR de 6e ,000 livres que Madame d*Al-* 
bany recevait du gouvernement déchu. Heureusement TAn- 
gleterre dans cette occasion vint au secours de la veuve du der- 
nier des Stuarts , et lui assura un revenu plus considérable 
même que celui dont elle venait d*étre privée. 

Alfiéri et la comtesse se retirèrent à Florence (8) , et y me- 
nèrent une vie fort retirée. Voulant réparer le tems qu'il avait 
perdu sans s'occuper d'études littéraires, le poète entreprit un 
travail auquel il se livra avec une ardeur telle qu'elle lui oc- 
casionna une maladie aiguë , dont il mourut le 8 octobre i8o3. 
La comtesse d' A Ibany lui fit élever dans Téglise de Santa-Croce, 
à Florence, un monument magnifique. On voit le dessin de ce 
tombeau dans le Rêeuêil de fOEuore de Canova^ publié par 
M. Rc^eil , car ce sarcophage est un des beaux ouvrages du cé- 
lèbre sculpteur italien. 

On y lit cette simple épitaphe : 

Victorio Alferio Astensi 

Aloisia è principibus Stolbergis 

Albaniœ coroitissa 

M, P. G. an MDGGCX. (9) 



(8) C'est II ccUe époqtje qoe M. Pabre , dohe je parlerai plus loin , flc 
la cMinaittiinoe de Madame d'Albany. 

>(9) Alfiéri avail compté loi-même rinfcriptioii qu'il dësirait Toir figfi' 

rer sur ^ah tombeau , niai« , iDal§ré aoo. désir, ceUe amère et poignante 

épilaphe, comme la qualifie M. de Valéry (Voyage en Italie, tome 3, 

page io4 ) « ne figure pas sur sa tombe. La voici : 

Quiescil. bic. tandem 

Vietorius. AJfetJos. ÂsteosiM 



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Non contente d'avoir élevé C6r monument de regretd à ded 
cendres chéries , Madame d'Albany réunit les œuvres d'Alfiéri, 
en fit un choix et en publia une très-belle édition y livrant ainsi 
à Tadmiratktn de ses contemporains et de la postérité les ou-> 
*vrages de l'homme qu'elle avait tant aimé. M. François-Xavier 
Fabre , ami intime de la comtesse et du poète , peintre d'hÛH 
toire d'un très-grand talent, élève de David, ami de Drouais, 
de Gérard, de Girodet, dont il s'est toujours honore d'avoir été 
l'heureux émule, donna à cette édition des œuvres d'Alfi^ 
les soins les plus attentifs. 

La comtesse continua de résider à Florence. Son noble ca- 
ractère, sa bonté , ses charmes, son goût pour les beaux-arts, 
son esprit, ses connaissances étendues, (lo) attiraient beaucoup 



Musarum. ardentissitnus. cultor 

Veritati. tantummodo. obnoxius 

Domioatibas. idchrco. Tirit 

Peraeque. ac. inëervientibin. ommbus 

Inviftii merito. 

Multitadiai 

Eo. quod. nnlla. ttnquam. quesserit 

Publica. negotia. 

Igootus 

Optimis. perpaacis. acceptus 

Nemini 

Nisi. fortasse. slbimet. ipsi 

Despectus 

Vixit antios. . . mensîs. . . dies. . . 

Obiit. . . die. . . mensis 

Anno. domini. MDCGC . . . 

M. de Valëty nous apprend de pins qu'Alfi^ri avait Uit inscrire son 
épiUphe ainsi que celle de son amie dans deux petites tablettes de scagliola 
en foime de dyptique et qu'il appelait son dernier livre (liber nopissi- 
mus) selon le titre mis sur le dos. 

(lo) Elle savait l'anglais et l'allemand, possédait parfaitement l'italien 
et le français , et connaissait à fond la littérature de ces nations. £lk 
n^ignore pas non pins , ajoute Alfiëri , à qtii nous devons ces détails , touâ 
ce qu'il y a d^esèentiel dans la litlëirature ancienne f c'est A^ri lùt^ 
même qui lui avait appris l'italien qu'elle parlait avec une prononcia' 
tion meilleure que toutes les anties Cemmes d'Italie. 



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tie monde dans ses salons qui étaient devenus célèbres et tiftuit 
{)ersonnage de réputation ne passait à Florence , sans prësen-^ 
ter ses hommages à l'illustre veuve du dernier des Siuarts , et 
4 la femme qui avait inspiré les chants d'Alfiéri. Clarke , mi- 
nistre de France à Florence, ne put, cependant y malgré tous 
ses efforts , parvenir à être présenté et reçu dans la société de 
Madame d'Albany. M. Meldola nous apprend à la vérité quel- 
les étaient les raisons qui feisaifent vivement désirer cet hon- 
neur au duc de Feltre, mais il nous tait malheureiMementcelles 
pour lesquelles il ne put l'obtenir. Le grand duc Ferdinand 
qui considérait la comtesse comme un des plus beaux ornemens 
de la capitale, était charmé que la jeunesse Florentine allât 
prendre chez elle des leçons de goût et de savoir vivre , et lui- 
même se plaisait à s entretenir avec Madame d'Albanj. 

Nous avons vu plus haut qu'Alfiéri avait voué des senti-- 
mens de haine à la France ; la comtesse , à qui toutes les émo- 
tions du poète étaient communes , partagea aussi son aversion 
pour ce pays. C'est pour cette raison qu'en 1807 , lorsque le 
gouvernement français étendit son pouvoir jusque sur la Tos^ 
cane , il fit surveiller minutieusement Madame d'Albanj et û-* 
nit par la mander à Paris. Danà la Biographie Universelle y 
M. de Sevelinged prétend que Tempereur Napoléon lui fît dé 
vifs reproches qu'elle soutint avec fermeté. Voici ce que m'é-* 
crivait sur ce point , M. Fabre , dont j'ai parlé plus haut, sous 
la date du 22 février i833 : « Ce que Michaud a dit (11) de la 
» réception que lui (à la comtesse d'Albany ) fit Bonaparte à 
» Paris est peu exacte, il lui fut très- facile de soutenir la pré- 
» sence elles reproches du despote , car l'accueil qu'elle en reçut 
» fut très-aimable ; il est vrai qu'il lui dit , sur le ton de la 
» plaisanterie , qu'il savait toute son influence sur la société de 
» Florence, qu elle entravait ses projets de fusion des Toscans 
» et des Français, que c'était pour cette raison qu'ill'avait enga- 
» gée à venir se fixer à Paris où elle trouverait plus facilement 



(11) M. Fabre se trompe, ce n'est pas M. Michaud qui a ëcrit dans 
la Biographie univerielle, L'artiele de Cliarles-Edouard oii se trouvent 
ces faits inexacts sur Madame d'Albany , mais bien M. de ScreUngesr 



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n à satisfaire son goût pour les arts , et qu'il Tinvitait à venii* 

* quelquefois jouir de son théâtre particulier, et, en effet, il 
» lui envoya la clé d'une loge au théâtre des Tuileries , où j'eus 
» l'honneur de l'accompagner, ainsi c'est positif. Apfèâ quinze 
» Mois de séjour à Paris (de 1 809 à la fin de 1 8 1 o) elle demanda 
» la permission de retourner à Florence et elle lui fut abcordée 
» sur le champ. Ce même article de Michaud finit, je ne diraî 
» plus par une inexactitude , mais par une véritable inconve- 
» nànce : ce Elle consacra le reste de son existefice à un artiste 
n français, qui avait été V ami A* Alfièri ^ il parait même cons- 
» tant que par un mariage de la main gauche elle honora dudon 
» de sa main P.-X. Faère , peintre d'histoire. » Ici, je suis le 
» seul juge compétent pour déclarer fausse cette ridicule àsseï^ 
» tion ; c'est moi , au contraire , qui avais consacré ma vie à lui 
» être agréable , et j'ai eu l'honneur, pendant trente-trois ans 
w d'être presque tous les jours auprès d'elle. » 

» La vie de Madame la comtesse d'Albany, ajoute M. Fabre, 
». pendant tout le tems que j'ai passé auprès d'cfle , a été cons- 
» tamment la même , simple et sans aucune étiquette chez clle> 
» quoiqu'en aient dit lady Morgan et autres personnes qui ont 
» voulu paraître avoir vécu dans son intimité. On pouir- 
» rait dire qu'elle avait pris à cœur de faire les honneurs de 
» Florence j son salon était le rendez-vous de toutes les per- 
» sonnes l'emarquables dans tous les genres possibles. Sa sahté 
» était excellente, et je ne me rappelle pas de l'avoir jamais vue 
» une seule fois contrainte de rester au lit pour cause de santé* 
« Au reste cette vie monotone prête peu à citer de ces anecdo- 
« tes qui rendent piquant uU article de biographie , et je ne 
» saurais vous en fournir aucune qui me paraisse mériter d'être 
» citée. » 

Quelques lignes plus bas il me mande : « Je vous recom- 
» mande surtout de donner le démenti le plus formel aux faus^ 

* ses assertions que je vous ai signalées. » 

A son retour à Florence , la cônit«8«e reçut des habitana de 
cette ville l'accueil le plus flatteur. Elle admit M. Fabre dans 
ëoii intimité, et , par testament fait en 1817, l'institue son lé^ 



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gataii^ universel. M. Fabi*e fi^ le plus noble usage de ce legs 
honorable. Il donna à la bibliothèque Médicis de Florence , 
les éditions d'Homère, de Virgile, des tragiques grecs et d'A- 
ristophane , sur lesquels Alfiéri , vers la fin de ses jours , étu^ 
diait avec tant d ardeur , ainsi qu'une partie des manuscrits du 
poète , et il créa avec le reste de ce legs un musée et une bibli- 
othèque publique qu'il donna tous deux à Montpellier, sa ville 
natale (i 3): il continue encore à les enrichir tous les jours l'un 
et l'autre. 

Madame d'Albany , mourut à Florence, le 29 janvier 1824, 
à l'âge de 72 ans. La ville tout entière la pleura et le grand 
duc permit de déposer ses dépouilles mortelles dans l'église de 
Santa-Groce oh reposaient déjà celles d'Alfîéri , la mort même 
ne devant pas séparer ces deux êtres si étroitement unis pen- 
dant leur existence» M. Fabre lui fit ériger un monument , 
chef-d'œuvre de grâce, d'élégance et de simplicité. M. Percier 
en fournit les dessins, et MM. Santorelli et GiovanozzidaSet-^ 
tignano , sculpteurs italiens , l'exécutèrent en marbre ; il con- 
siste en un cippe auprès duquel se groupent deux génies ailés 
tenant une urne cinéraire. Le fût du cippe est couvert de bas-^ 
reliefs all^oriqties qui font allusion aux qualités de l'illustre 
défunte. 

Voici Pépitaphe qu* Alfiéri avait composée pour elle : 

Hic. si ta. est 

Aloysia. è. Stolbergis 

Albaniœ. Coroitissa 

Génère, forma, moribus 

Incomparabili. animi. candore 

prœclarissima 

a. Viclorio. Alferio 



(il) Le miuéc comptait, en i833 , plus de 36o tableatix et attires objets 
dWtS, et la b^liothèque plus de i5,ooo voldnàes, non com(>ris ceux qui 
^l^pv^irtenaient à la ville et qui ont été rëuuis à la Bibliothèque-Fabre. 



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Juxta. quein. sarcopliago. uno (iS) 
Tuinulala. est 

annorum spatio 

Ultra, res. omnes. dilecta 

Et. quasi. moi*tale. numem 

Ab. ipso. coDStanter. habita 

Et. observala 

Yixit. annos. . . . menses. • . dies. . . • 

In. hannonia. montibus. nota 

Obiit. . . die. . . mensis. . . . 

Anno. Dornini. MDCCG 

Le portrait de cette femme célèbre , peint de grandeur natu- 
relle , vu à mi-corps , et très-ressemblant , se trouve , ainsi que 
celui d*Alfiéri , à la galerie de Florence. Alfiéri a écrit de sa 
main derrière ces portraits , deux sonnets. Il n'existe jusqu'à 
présent , que je sache , aucun portrait gravé ou lithographie de 
la comtesse d'Albany. 

Une question qui n'avait pas encore été résolue est celle de 
savoir ai la comtesse d'Albany fut ou non l'épouse d'Alfiéri. 
Voici ce que dit à cet égard M, de Boustellen : « La comtesse 
» d'Albany avait été mariée avec Alfiéri , si j'en juge par un 
n mot qui lui échappa. Lui ayant demandé si elle allait souvent 
n au spectacle , elle meVépondit : « mon mari ne l'aimait pas. ». 
» Or, son premier mari, le prétendant, la tourmentait pour 
n y aller tous les soirs. Je lui en fis la remarque ; elle baissa 
» les yeux. » L'anecdote est jolie, mais , et j'en demande hum- 
blement pardon à M. de Boustellen , je la considère comme> 
apocryphe. Alfiéri , dans ses mémoires, prouve à maints en- 
droits qu'il aimait le spectacle , et d'ailleurs comment croire 
qu'un poète dramatique qui a autant travaillé pour le théâtre 



(i3] II avait joint à cette épitaphe la noie suivante; 
«Sic iii6cril>eDdum , me, ut opinor et opLo proRmoriente. Sed alita: j«-« 
» bente Dec , aliter ioscnbendum : 

»Qai. juxta. eam« Barcophago. uiro. 
» Condttus. crit. quam. primnm. » 
Celle variante se rapportait aux 7*», 8« et 9» lignes. 



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qu'Alfiéri Ta fait, put le haïr? M. Fabre a pris soin. d'éclair^ 
cir le point qui nous occupe dans la letti^e déjà citce qu*il m'a 
adressa. Voici ce qu'il en dit : a C'est ici le lieu de signaler 
» une erreur oii sont tombés différens auteurs qui ont parlé de 
» Madame d'Albanj. Il ont affirmé qu'elle avait épousé Alfiéri^ 
» et qu'après sa mort (à elle), ses cendres avaient été réunies à 
» celles d'Alfiéri ; l'une et l'autre assertion sont fausses. J'ai 

• possédé tous les papiers qu'ils ont laissé après leur moi-t, et 
» je n'y ai trouvé aucune trace de ce prétendu mariage. Quant 
m aux cendres de Madame la comtesse d'Albany , elles ont été 
» religieusement déposées dans un monument particulier que 
» la reconnaissance lui a fait ériger dans la même église, et que 
» je crois digne d'un si haut personnage. C'est probablement 

• faute de bien connaître Titalien que l'idée de ce mariage s'est 
» propagée ; le comte Alfiéri , en parlant de son amie , a sou- 
» vent employé l'expression de : la mia donna, que l'on aura 
» cru bien traduire par : ma femme , tandis que bien certaine- 
» ment il fallait dire : ma souveraine, la maîtresse de mon ex- 
m isienee. » 

Nous avons déjà vu qu'elle n'épousa pas plus M. Fabre 
qu' Alfiéri, et quelle confiance peut inspirer l'assertion men- 
songère de M. de Sevelinges sur ce prétendu mariage de la 
main gauche. 

La gloire de Madame d'Albany eut été incomplette si elle 
n'eut pas compté de détracteurs ; ce fleuron ne manque pas à 
sa couronne. Mais une chose bizarre , c'est que ce sont préci-» 
sèment les partisans de la légitimité qui semblent avoir pris à 
tâche de la noircir et de la dénigrer (i 4). Quel en peut être le vé- 
ritable motif? Parce qu'elle n'a pas entraîné son époux dans de 
téméraires échauffourées politiques ? La rectitude de son juge- 



(i4) Parmi eur on remarque avec surprise Madame de Crëqay dont 
oo publie en ce moment les Souvenirs, Madame de Crëquy juge Ma- 
dame d'Albanj avec une tëvërité qui nous Mirprendrait de la part d'une 
femme aussi spirituelle y si , elle-même ne prenait soin de nous prouver 
à chaque ligne de ses Mémoires qu'elle poussait si loin la morgue héral- 
dique que souvent cet orgueil de caste a faussé ses jugemens. 



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ment lui faisait prévoir sagement qu'il n'en résulterait pottr 
Charles-Edouard que honte et défaite. Parce qu elle n*a pas su 
patiemment supporter Tivresse et les einportemens de son mari? 
Que sait-on ? Peut-être même parce qu'elle ne s'est pas trouvée 
honorée des brusqueries et des fureurs de son royal époux ? 
Parce que princesse de Stolberg, veuve du prétendant, elle 
s'est souillée du crime irrémissible, d'aimer, non le comte Al- 
fiéri , ce titre eut peut-être ti'ouvé grâce devant ses ennemis , 
mais bien Alfiéri le poète , Alfiéri l'homme de génie ! Reposez, 
en paix , femme illustre , la postérité vous absoudra facilement 
de ces prétendus forfaits , et yotre renommée se fondera bien 
plus sur les pages éloquentes que vous sûtes inspirer au poète 
Toscan que sur les poudreux parchemins des Stolberg-Goedern^ 
ou sur les titres à la royauté des descendans de l'infortuné 
Charles !«'. 

H. Delmotte. 
(Extrait i'un Essai de Biographie Montoise inédit. J 




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otaïe. 




hnUi 



Cmrtre le p^s >e Mmirts. 
(îretaSOà 1060-) 



llubiiue \'ax puBBi le CtB^ 
3e Berap gotB et ^0lt0 
€n ee îr«l2 pâfe >e ^rtttice > 
€t obrap à ma plabonee > 
iltintgré ^lonlrre et le pdw ^ 

9u \'ù^ tmixB fait penanee^ 
llorté ba^Btnet et lanee^ 

4^eu atur e1|am)i0 ^ en grant Iroubtatiee ^ 



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€n fahn^ frmt^ pïuu ttimAmct , 
Bam cammt ^ Bmz mm lt5« 

tf t mc0t me fmoit i^xb 
iJDacwcm % alwcm et Ub cvxb 
BtB iFlomenjai > que md finonee ^ 
Ite que toute ma ine^iiettee; * 
me mieit Boteitt '^ tU m(m]rt5« 

|lut5i|ue f (Tg ptoBé le jEbt^ 
3e Bercrg 0ttt5 et ^0lt5 
tfn ce imi% pcliB ^ Jrmtee^ 
€t nimms à mu ptin^ftttee ^ 
Mcat%té JUmiBce ttU fm. . 

(Httont tl plettt nuU n'g Iranee^ 
£e0 e^etittttlîf \mqn!à ovMxmtt 
00iifeiib0eeîi0eiieltj6i; 
MmvA 0ommte2 iB ci^minB ktiee ^ 
litat U n'e5t mille e^péronee 
(Hue \(mm en ;0iott ^atlltô* 

|||>eBr0bez , tnez , murîrm t 
iP'unepûitteaettUpatiee; 
^arop maiwdfe g fait, fluont f 5 pen^e , 



♦ Vacarme était im cri des Flamands en guerre ; ce root ne parait 
pas avoir ëtc usit^ avant IVpoque où écrivait l'auteur. 

31 



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€\^muïfm pax leur ptàs. 
|lttt04tte \tà pwBt le C90 ^ etc. 

(BUttotre fou Ir'une Mxùntt^ 
CeBt une foie uentonce ^ 
3'(rg e^itéentre^irb^ 
tfu péril et en balance 
m'auinr grant ntale me^iç^ance ; 
3'en mh \)(n:B ^ bien m'en tst prin^ 

3amatâ n*^ ^ieraj re))rin0. 
WxBt ^ il iiui ueult m^oir pm ^ 
Je n'i tuB onqmB plaisance , 
tf uIjs regni et leut pui^^ance , 
Car \t U$ l)arrag toulrlai ^ 
|lui0i|ue Vos ))a00é le txB. 

EVSTACHE DESGHA.MFS. 



rnr ou troisiième volume. 



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TABLE DES MATIÈRES 

CONTENUES DANS LE TROISIEME VOLUME 

DES 
DU MORD DE X.A FRANCE ET DU MIDI DE LA BELGIQUE. 



Les Editeurs des Archives aux Souscripteurs • page 5 

Le Bigame , par M. ^, Jjerqy 9 

Glossair^es principaux sobriquets historiques du Nord de la France , 

par MJ Le Glœy, 34 

Journée des Mau bruslez , par M. E. Bouton 5o 

Tour de St.-Amand , par M. A, Dinaux 64 

Poësie. -— Epitaphe de Philippe de Gommines, historien 79 

Le Bourgeois de Lille 81 

Lettre à M. A. Dinaux , par M. H« DelmoUe, bibliothécaire de Mons* 91 

Bergues-Saint-Vinoc • • 9Ô 

Lettre sur Tétat actuel de la Belgique , par M. Félis 106 

Suite du Glossaire des sobriquets historiques du Nord de la France, 

par M. Le Glay ^ 111 

Histoire des monumens. — L''abbaye du mont St.-Eloi ^ par M. Fidèle 

'Delcroix, . > • 1 16 

Biographie départementale (1 1® article). L'aBbé Servois , par M. Le 

Glay 123 

Les Trouyères Gambrésiens , i''* partie , par M. Arthur Dinaux, ... 128 

Les Trouyères Gambrésiens , 2" partie , par M. Arthur Dinaux i45 

Hondschoote , par M. P. L « 184 

Staminets en Flandre, par M. P. B , 195 

Le Parisien à Lille , par M. Jules Janin 204 

Biographie départementale (12* article). Charles de Lannoy , sire 

de Maingoval , par M. Arthur Dinaux 216 

Lettre de Jeanne d'Arc 23o 

De la poésie latine dans le nord de la France, depuis le 8^ siècle jus- 
qu'au i8«, par M. Constant Houillon 233 

Lettre sur Gualtercurt ou Wahiercourt , ancien village du Gambrésis , 

à M. B. Guérard , par M. Le Glay 255 

Biographie départementale (i3« article).— Le conseiller Plouvain , par 

M.E. T 262 



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^4^8 « 

Biographie Belge (9*^ article). -^ Le gënëral d'Asper, par M. le baron 

de Stassart • « 37^ 

Introduction de l'imprimerie dans le département du Nord. — Grande 
tnrprise d'un petit bibliophile. -* Consternation. — Enchantement. 

Par M. A. Leroy • •• 'aSo 

Etudes m orales et littéraires sur la personne et les écrits de J-F. Du- 

cis , de M. O. Leroy, par M, Rajrnouard, 291 

Fronton de la Madeleine, exécuté par M. Henrf Lemaire, de Valen- 

ciennes , par M. Delécluse .*. 3o4 

Guillemelte Lhomme , par M. Aimé Leroy •- •. 5io 

Une f(éte flamande sons Gharles-Quint. Principauté de plaisance à Va- 

lenciçnnes. [1648] par M. Arthur Dinaux. ... * 3i3 

Le Trinmphe des Carmes. Poème. Combat des moines de St.-Pol 
(Paul) contre les Cannois hors la ^orte Cardon (à Yalenciennes) , 

pour le corps d'un seigneur de Berlajmont (x3i 1) • # . . . 345' 

Madame Deshoali^es à Bruxelles. [Extrait de» Mémoires du marquis 

de la RocKegiffart), i65j. Par M. le baron de Reijfenberg, 378 

M. Alexandre de Famars , par M. Arthur Dinaux •« . 384 

Biographie départe mentale (14® article). Floris Vander Haer^ par Ai. 

Arthur Dinaux 390 

Biographie Belge[io" article]. L'abbé Delobel,par M. Louis Pu- 

mière 398 

Prise d'Arras sur les Français en 1492 4^^ 

L'Abbé de peu de sens , ou la Vauderie en. Artois, par M. Du Fai- 

telle 4i3. 

Pèlerinage de Maroilles , par M. Ue cKeyalier Boltin [^%o 

Biographie départementale [lô* article]. AntoineWatteau , par M. Ar- 
thur Dinaux 4^^ 

Biographie Belge [1 \* article]. La comtesse d'Albany, pat M. IT. Del- 

motte ^49^ 

Poésie. — Virelay contre le pays de Flandre. [De i35o à i36o].,. ..... 4^ 

Table des matières du 3*^ voluuu -. ' 4^7 



FIN DE LA TABLE 

BU TlOISliME VOLHMS, 



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4 



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151 I 

34 , 

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